C. DR FRANÇOISE GAILL, DIRECTRICE DE L'INSTITUT ÉCOLOGIE ENVIRONNEMENT (INEE), CNRS
Monseigneur, Monsieur le sénateur, Monsieur le préfet, chers collègues, si nous visualisons ce que vous avez déjà pu observer au cours de ces deux jours, les cartes de l'Arctique et de l'Antarctique, les différences sautent aux yeux : l'Antarctique à droite, un continent entouré d'océans et l'Arctique à gauche, un océan entouré de continents. Ce qui a des conséquences fondamentales sur la biodiversité et les caractéristiques des écosystèmes de ces contrées. L'Arctique comme on le voit sur cette diapositive est peuplé d'environ 4 millions de personnes qui ont des histoires linguistiques différentes et dont la présence remonte à plus de 20 000 ans alors que le continent antarctique, que vous voyez représenté ici avec ses 37 stations permanentes, est « peuplé » uniquement de voyageurs transitoires, chercheurs, logisticiens et touristes, dont le nombre atteint aujourd'hui près de 50 000 personnes par an.
Si on s'appuie sur les données du GIEC de 2007, tout le monde s'accorde maintenant à reconnaître que, à l'échelle planétaire, on assiste à un accroissement significatif des températures. On constate également une accélération de l'élévation du niveau moyen des mers qui, dans les dernières cinquante années, est allé de pair avec la raréfaction de la couverture neigeuse dans l'hémisphère Nord. Si on compare ce qui s'est passé dans l'Arctique avec ce que l'on obtient au niveau global, on s'aperçoit que le réchauffement en Arctique est le double de celui qui existe à l'échelle du globe, et cela depuis la fin du XIXème siècle. Parmi les conséquences immédiates, la possibilité aux navires d'emprunter ces deux dernières années le passage du Nord-Ouest alors qu'auparavant, c'était quelque chose de très improbable. En Antarctique, on s'aperçoit que sur les cinquante dernières années, la température moyenne annuelle a augmenté de 3 à 4 degrés, notamment sur la péninsule antarctique, cette partie du continent qui fait face à l'Amérique du Sud. Ces régions polaires soumises à de tels changements climatiques voient leurs populations animales en particulier soumises à des situations qui sont extrêmement dangereuses pour leur avenir. L'exemple de l'ours polaire est à cet égard emblématique : il est évident que toute réduction de la surface de la banquise va entraîner une réduction de son territoire de chasse, rendre l'accès à ses ressources alimentaires difficiles, influer sur son comportement, tout cela pouvant avoir, à terme, des conséquences irréversibles pour cette espèce.
C'est vrai de l'ours polaire, mais c'est aussi vrai par exemple du manchot Adélie représenté à gauche sur cette carte. Les sept sites figurés en rouge comportent des populations en déclin, notamment en raison des conditions climatiques, alors que les sites en vert, moins touchés par les changements climatiques, accueillent des populations plus stables ou en progression.
Parmi les six thèmes retenus pour cette 4 ème année polaire internationale, une attention particulière est portée à ce qu'on appelle l'état des lieux, c'est-à-dire l'état actuel de ces régions, tant sur le plan quantitatif que d'un point de vue qualitatif : Quelles espèces présentes ? Où les trouve-t-on ? Le second thème est lié à la question du changement : qu'est-ce qui va se passer si, par exemple, nous avons un réchauffement climatique ? Que peut-on prédire pour la biodiversité de ces régions ? Quels sont les liens entre ces régions polaires et le reste de la planète ? Est-ce qu'on peut par exemple au niveau des pôles avoir une idée du cycle du carbone ou peut-on prédire ce qui va se passer sur la circulation océanique dans son ensemble si nous avons une diminution ou un accroissement de la température ? Un autre thème concerne les nouvelles frontières, à la marge de notre connaissance : qu'avons-nous dans les grandes profondeurs par exemple ? Quels écosystèmes abritent les calottes glaciaires ? Le thème suivant s'intéresse aux points singuliers que constituent ces régions, du fait de leur isolement, de leurs conditions extrêmes et de leur position particulière sur le globe terrestre. Alors que la plupart des milieux que l'on dit naturels sont en réalité déjà anthropisés, ces zones polaires constituent une fenêtre à travers laquelle nous pouvons nous faire une idée de l'évolution du vivant sur cette Terre. Enfin, cette API a souhaité prendre en considération la dimension humaine puisqu'en Arctique, on l'a vu, des populations ont une histoire, ont aussi un devenir qui dépend fortement de leur capacité à s'adapter à ce monde en changement.
J'ai repris cette figure rassemblant les différents programmes qui ont été soutenus à la fois dans l'Antarctique et dans l'Arctique au cours de cette API. Ils sont nombreux. Les projets figurant sur la gauche du graphique et en rouge, sont ceux qui concernent la biologie et la biodiversité. Deux remarques sur ces programmes : d'une part, ceux qui concernent l'océan sont majoritaires, ceux qui concernent la terre sont assez prépondérants également, mais ceux qui concernent l'espèce humaine sont très peu nombreux. D'autre part, on voit que ces programmes se distribuent de façon équivalente entre l'Arctique et l'Antarctique.
Il est important de savoir que la France a des résultats dans le domaine de la recherche polaire qui sont extrêmement visibles au niveau international. Si on s'intéresse, par le biais du « Web of Science », à la production scientifique réalisée sur les années 1992 à 2009 par les chercheurs français, toutes disciplines confondues, on s'aperçoit que notre pays occupe la 10 ème place pour l'Arctique. Si l'on regarde les thématiques dans ce domaine, on voit qu'il n'y a pas particulièrement de thématiques majoritaires exceptée l'identification dans le domaine de la météorologie et dans celle des géosciences d'une position importante.
Une analyse similaire des publications traitant de l'Antarctique montre cette fois que les équipes françaises figurent au 6 ème rang mondial, je dirais même presque 5 ème ex-æquo avec l'Italie avec laquelle nous avons de très fort liens, notamment à travers la mise en oeuvre de la base Concordia. Du point de vue thématique, ce sont les disciplines de l'Institut des Sciences de l'Univers qui sont majoritaires en Antarctique, les trois quarts de la production scientifique étant produites par la météorologie, les géosciences, l'astronomie, la géochimie ; seul le quart restant provient des équipes qui font de l'écologie.
Enfin, si on regarde les productions scientifiques qui émanent des études réalisées sur les îles subantarctiques, on s'aperçoit que la France est au 1 èr rang. Cette position de leader est due à des équipes qui oeuvrent dans le domaine de l'écologie et de l'environnement. Je pense que c'était extrêmement intéressant de noter cet aspect qui a été d'ailleurs relevé par M. le préfet et qui, dans l'avenir, va nous permettre sans aucun doute d'amplifier l'effort que nous avons fait jusque-là.
Si l'on s'intéresse cette fois aux publications françaises récentes, produites entre 1998 et 2007, par les programmes soutenus par l'Institut Polaire Français, on constate que 70 % d'entre elles émanent de recherches menées dans le subantarctique et en Terre Adélie. L'Arctique représente un peu moins de 20% de ces publications et Concordia, l'une des 3 seules stations à l'intérieur du continent antarctique, 14 %. Parmi ces publications figurent celles relatives au programme de forage glaciaire profond EPICA qui, en fournissant 800 000 années de reconstitution climatique et de changements de composition de l'atmosphère, joue un rôle fondamental dans les hypothèses portant sur les changements climatiques actuels.
Du point de vue maintenant de la répartition des travaux thématiques dans les îles subantarctiques, on constate que l'écologie terrestre est majoritaire et qu'elle concerne surtout l'étude des oiseaux et des mammifères. Il est également intéressant de souligner que les études concernant les espèces introduites, en particulier des mammifères introduits, sont en forte croissance. L'excellent positionnement de la recherche française dans le subantarctique repose sur la qualité des laboratoires qui ont su très tôt se mettre en position d'observer sur le long terme l'histoire de vie des animaux ou la dynamique des populations. C'est vrai pour les oiseaux avec, sur cette figure, l'illustration de l'évolution du nombre de couples reproducteurs de plusieurs espèces. Il y a peu de pays qui ont autant de données sur une cinquantaine d'années. Yvon le Maho en a parlé tout à l'heure, le développement de matériels électroniques embarqués et le travail interdisciplinaire qui s'est noué autour de ces problématiques, ont permis non seulement d'améliorer nos connaissances sur ce que faisaient ces animaux à terre, mais aussi de suivre leur exploration au niveau océanique. L'équipe CNRS de Chizé a joué un rôle important dans ce domaine puisque les premiers à avoir réalisé ces travaux de suivi en mer ont été Pierre Jouventin et Henri Weimerskirch. La miniaturisation de ces équipements électroniques comme Yvon l'a montré tout à l'heure a ouvert des voies de recherche nouvelles, renseignant non seulement sur ce que font ces animaux en mer, mais aussi comment ils le font. Ainsi, grâce à ce « chapeau » tout à fait original, un peu japonais, il faut le dire, on peut suivre la plongée de cet éléphant de mer, et connaître la durée de cette plongée, sa profondeur, tout en informant sur les caractéristiques physiques et chimiques de la colonne d'eau traversée.
Voici une illustration des résultats obtenus par ce type d'études, réalisée à travers une collaboration internationale : partant de Kerguelen vers l'océan Antarctique, cet éléphant de mer a effectué des plongées à plus de 1 000 mètres de profondeur, ce qui est extrêmement spectaculaire. On a pu suivre son déplacement à la surface et l'on visualise les changements de température de l'eau, aux différentes profondeurs, au cours de son trajet vers la côte antarctique. L'ensemble de ces données océanographiques contribue aux bases de données internationales à travers l'Observatoire Mondial des Océans. Au final, ces animaux à eux seuls alimentent plus de 90 % des données de la base Coriolis pour les régions situées au sud du 60 ème parallèle sud.
Je souhaitais également vous montrer les travaux réalisés par Yvon le Maho sur les manchots Adélie mais il l'a fait avant moi. Vous avez vu combien ces animaux sont particulièrement attachants et originaux.
Les travaux liées aux impacts des changements climatiques concernent également la végétation, qu'il s'agisse de l'étude des traits chez une vingtaine d'espèces subantarctiques dont dépend la plasticité des réponses des plantes, ou bien encore du suivi du couvert végétal où peuvent s'établir des espèces invasives. A une autre échelle, les chercheurs s'intéressent également à l'évolution des sols au moyen d'images satellitaires.
Les espèces invasives, que j'ai évoquées il y a un instant, sont malheureusement en forte croissance dans les îles subantarctiques françaises. Elles offrent toutefois des situations extrêmement intéressantes sur le plan scientifique car dans ces écosystèmes à faible diversité spécifique et aux conditions environnementales relativement stables jusqu'à une période récente, elles nous permettent de comprendre la manière dont une espèce devient proliférante ou non. C'est ce qui fait l'intérêt des programmes portant sur les chats, sur les lapins, et parmi les plantes invasives, sur le pissenlit.
Autre axe de recherche prometteur pour les années à venir : le rôle des interactions plantes/insectes qui permettent dans certains cas d'avoir une symbiose et peut-être aussi d'entraîner une adaptabilité particulière de certaines espèces végétales.
Le CNRS soutient plusieurs équipes travaillant en Antarctique et dans les îles subantarctiques. Il a eu le souci de rationaliser ses programmes et les a réunis dans ce qu'on a appelé la zone atelier de recherche sur l'environnement antarctique et subantarctique, animée par Marc Lebouvier. Cette zone atelier recouvre les travaux réalisés non seulement sur l'Archipel Crozet et les îles Kerguelen, mais aussi sur les îles Saint-Paul et Amsterdam, et en Terre Adélie. Ces travaux se répartissent selon trois grandes thématiques. La première concerne l'impact des changements climatiques et des espèces introduites sur les communautés et les écosystèmes terrestres. C'est Marc Lebouvier et Dominique Pontier qui coordonent ce volet-là. Le deuxième volet vient d'être présenté brièvement par Yvon le Maho. C'est le suivi à long terme s'intéressant notamment à la démographie, les traits d'histoire de vie, la microévolution et la plasticité phénotypique chez les oiseaux et mammifères. Le troisième volet, coordonné par Charles-André Bost et Philippe Koubbi, concerne les réseaux trophiques, la variabilité physique et la variabilité biologique de l'écosystème pélagique.
Les 7 laboratoires regroupés au sein de cette zone atelier figurent sur cette carte qui montre leur large distribution sur le territoire national. Ce réseau est particulièrement puissant du point de vue de la créativité scientifique puisqu'il bénéficie non seulement du soutien de l'ANR a travers de nombreux projets, mais il a également participé à plusieurs programmes labellisés « année polaire internationale ».
Je pense qu'il est également important de souligner le rôle que ces équipes et que les scientifiques jouent dans la diffusion des connaissances sur le polaire et vous voyez sur cette carte également les nombreuses manifestations qui se sont déroulées durant cette 4 ème API en France, qu'il s'agisse d'expositions longue durée ou d'autres manifestations plus ponctuelles. On réalise que, bien que les régions polaire soient assez éloignées du territoire national, elles demeurent un attrait pour le grand public, en particulier à travers les recherches qui y sont menées.
Pour finir, je pense que les deux dernières années ont déjà donné lieu à des résultats très significatifs. D'autres sont attendus dans les mois qui viennent, une fois que toutes les données et observations engrangées pendant cette 4 ème API seront exploitées. Mon voeu aujourd'hui est que nous puissions suivre encore longtemps ces animaux et en parler à la prochaine réunion de l'année polaire internationale, c'est-à-dire dans cinquante ans.
Merci.
Préfet MOUCHEL-BLAISOT
Merci, Madame Françoise Gaill pour avoir illustré superbement l'importance écologique et de la recherche dans tous ces territoires. Je vais maintenant donner la parole successivement aux trois intervenants thématiques en leur demandant de bien respecter entre 20 et 25 minutes puisqu'il faudrait après laisser un temps aux questions et aux échanges avec la salle avant qu'à 17 heures, les discours de clôture puissent intervenir. J'ai le plaisir de donner la parole maintenant au Dr. Michael Stoddart qui est Chief scientist de l'Australian Antarctic Division et qui est coordinateur du programme Census Marine Life qui va parler en anglais, je présume.