b) La question cruciale des prix : une solution à double détente : concurrence et surtout transparence
(1) Le niveau et les mécanismes de formation des prix constituent une préoccupation majeure outre-mer
(a) Le niveau et les mécanismes de formation des prix ont été au coeur des conflits sociaux qui ont paralysé les départements d'outre-mer au cours des derniers mois
(i) Les prix, étincelle du conflit social

? Le prix du carburant, origine du conflit guyanais en décembre 2008

Au mois de décembre 2008, la Guyane a été le premier des DOM à être touché par un mouvement social conduisant à une paralysie du département. L'élément déclencheur de la mobilisation a été le prix du carburant .

En effet, deux éléments conjoncturels ont conduit à ce mouvement social.

D'une part, certains importateurs d'automobiles du département avaient lancé une action en justice contre les compagnies pétrolières qui importaient des carburants de Trinité-et-Tobago, ne respectant pas les normes européennes. Ils ont obtenu gain de cause 78 ( * ) et les importateurs ont été condamnés à approvisionner la Guyane en carburants respectant ces normes.

Cela a donc conduit les compagnies pétrolières à s'approvisionner en carburants après de la Société anonyme de raffinage des Antilles (SARA) , entraînant une hausse de 25,6 centimes pour le litre de super et 20,6 centimes pour le gazole 79 ( * ) . Couplé à une hausse de la taxe spéciale de consommation décidée par le conseil régional, ce changement d'approvisionnement devait conduire à une augmentation encore supérieure, de 31 centimes pour le litre de super et de 27 centimes pour le gazole.

Ces augmentations ont certes été mises en oeuvre progressivement mais, en novembre 2008, le prix du litre de super et de gazole étaient supérieurs respectivement de 62 et 44 centimes aux prix pratiqués en métropole.

D'autre part, le système d'administration des prix des carburants en vigueur dans les DOM entraîne un décalage dans le temps entre l'évolution du cours du brut et la répercussion de celle-ci sur le prix à la pompe . Ainsi en novembre 2008, alors que le prix du carburant chutait en métropole, il continuait d'augmenter en Guyane.

L'administration des prix du carburant

Depuis l'ordonnance du 1 er décembre 1986, les prix des biens et services sont « librement déterminés par le jeu de la concurrence ».

Cependant les prix peuvent être réglementés dans certaines zones ou secteurs par décret en Conseil d'État pris après avis du Conseil de la concurrence, « quand la concurrence par les prix est limitée » notamment en raison de « difficultés durables d'approvisionnement » .

Le Conseil de la concurrence a estimé que cette situation s'appliquait au marché des produits pétroliers dans les quatre DOM. En conséquence, en vertu du décret n° 88-1046 du 17 novembre 1988, le prix de certains produits pétroliers y est fixé par autorisation préfectorale.

Le préfet fixe ainsi, dans chaque département et pour chaque catégorie de produit, le prix de vente maximum en gros et au détail. Il détermine l'ensemble des composantes du prix : la marge maximum de gros, la marge maximum de détail, le taux de passage dans les cuves de stockage, le coût de transport et les éventuels frais divers. Le prix maximum de détail incorpore d'autres éléments ne dépendant pas des pétroliers (octroi de mer, taxe spéciale de la consommation, droits de port ou redevances).

D'un département à l'autre, les révisions de prix interviennent selon une périodicité soit mensuelle, soit trimestrielle.

Source : rapport de l'IGF

Bien que le prix des carburants ait été au coeur des conflits sociaux des derniers mois, on observe que le prix des carburants n'y est pas plus élevé -à l'exception de la Guyane- qu'en métropole .

Ainsi l'Inspection générale des Finances a noté dans son rapport que « sur les cinq dernières années, les prix des carburants aux Antilles et à La Réunion étaient globalement proches de ceux de la métropole, un peu plus élevés pour le supercarburant mais inférieurs pour le gazole. En Guyane, les prix (...) ont été supérieurs à ceux de la métropole » .

Le principal élément explicatif est la fiscalité sur le carburant, qui est beaucoup moins élevée dans les DOM qu'en métropole, comme l'illustre le tableau suivant.

Part des taxes dans le prix de vente du carburant
(au 1 er décembre 2008)

Guyane

Guadeloupe

Martinique

Réunion

Équivalent Métropole

Supercarburant

47,4 %

40,5 %

40,9 %

50,8 %

72 %

Gazole

37,6 %

28 %

21,8 %

35,8 %

59,7 %

Source : rapport de l'IGF

? Le prix des produits de première nécessité, au coeur des revendications

La problématique des prix a été au coeur du conflit qui a paralysé les départements antillais au début de l'année 2009.

Les plateformes de revendications des deux collectifs qui ont été à l'origine de la grève générale, le Collectif contre l'exploitation outrancière, le « Lyannaj Kont Pwofitasyon » (LKP) en Guadeloupe, et le « Collectif du 5 février » en Martinique, illustrent ainsi la place centrale accordée dans leurs revendications à la thématique du coût de la vie et du pouvoir d'achat .

Outre les revendications en matière de relèvement des bas salaires, la plateforme de revendications du LKP comprend la création d'un « bureau d'études ouvrières, chargé de calculer l'évolution des prix des produits réellement consommés par les travailleurs » , la baisse « significative de toutes les taxes et marges sur les produits de première nécessité et sur les transports » ou encore la baisse des taux de la taxe sur les carburants 80 ( * ) .

Le « Collectif du 5 février » martiniquais a formulé des revendications assez proches, en exigeant notamment :

- la réduction du prix des produits de première nécessité : le collectif a ainsi souhaité la baisse du prix de 100 familles de produits de première nécessité ou la suppression de la TVA sur tous les produits alimentaires ;

- la baisse des prix des services, notamment des frais bancaires, du transport de marchandises ou encore du carburant ;

- la mise en place d'un véritable contrôle de la formation des prix, notamment par le biais d'un renforcement des services de la concurrence.

La thématique du coût de la vie est également très présente dans les revendications des collectifs constitués à La Réunion et en Guyane, en écho au mouvement social antillais.

À La Réunion, le Collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de La Réunion (COSPAR) insiste, dans le préambule de sa plateforme de revendications, sur la question des prix, affirmant que « en matière de prix, on constate que sur la période 1997 à 2007, les prix à La Réunion ont augmenté de 37 %, alors que, dans le même temps, ils n'augmentaient que de 30 % dans l'hexagone » .

En Guyane se sont constitués deux collectifs :

- le « Mayouri kont leksplwatasyon » (MKL) a revendiqué une diminution de 40 % des prix et la création d'un véritable organisme de contrôle des prix et de la qualité des produits ;

- le « Mayouri Pou Lavi Miyow » (MPLM) dont le projet comprend notamment une baisse de 40 % du prix des 200 familles de produits de première nécessité et le contrôle des marges des grossistes, des grandes surfaces et des détaillants.

? Une inflation importante dans les DOM, notamment pour les produits alimentaires

Les données de l'INSEE pour les dernières années montrent que l'inflation est généralement plus importante dans les DOM qu'en métropole .

Au cours des vingt dernières années, le rythme de croissance des prix a été supérieur dans les DOM : entre janvier 1990 et décembre 2007, les augmentations cumulées des prix atteignent 47,5 % à La Réunion, 44 % en Martinique, 39,1 % en Guadeloupe contre 38,6 % en métropole. Seule la Guyane connaît un taux d'inflation moindre (37,9 %).

Au cours des quatre dernières années, la tendance est globalement identique : la croissance des prix est généralement plus importante dans les DOM, avec cependant quelques exceptions et des écarts importants entre DOM, qui apparaissent dans le tableau suivant.

Évolution annuelle des prix dans les départements d'outre-mer 81 ( * )

Guadeloupe

Guyane

Martinique

Réunion

Ensemble de la France

2005

3,2 %

1,5 %

2,5 %

2,2 %

1,8 %

2006

2,1 %

2,1 %

2,4 %

2,6 %

1,6 %

2007

1,3 %

3,4 %

2,4 %

1,4 %

1,5 %

2008

2,2 %

3,5 %

2,8 %

2,9 %

2,8 %

Sources : IEDOM, INSEE

En 2008 par exemple, si la croissance des prix s'accélère dans l'ensemble des DOM, c'est également le cas au niveau national : l'inflation est donc inférieure au niveau national en Guadeloupe et très proche de ce niveau en Martinique et à La Réunion.

Derrière ces taux importants pour 2008 se dissimulent des taux encore plus importants dans le domaine de l'alimentation . Ainsi la hausse des prix de l'alimentation atteint 6,6 % à La Réunion, 4,7 % en Guyane et 4,1% en Guadeloupe.

Cette augmentation des prix de l'alimentation est pondérée par l'évolution d'autres prix, par exemple :

- en Guyane, l'augmentation de l'énergie (+ 9,8 %) ou des services (+ 2,9 %) ;

- à La Réunion, l'augmentation des prix des services (+1,9 %), de l'énergie (+7,2 %) ou des produits manufacturés (+0,8 %).

Ces données illustrent le poids de l'alimentation dans le calcul de l'indice des prix à la consommation . Pour la Guyane, la hausse des prix de 3,5 % comprend ainsi trois composantes importantes : l'énergie (pour 0,8 point), les services (pour 1,4 point) et l'alimentation (pour 1 point). Les prix de l'alimentation augmentent de près de deux points de plus que ceux des services tout en pesant donc moins sur l'évolution globale de l'indice des prix.

L'indice des prix à la consommation construit par l'INSEE dans chaque DOM prend en compte le poids supérieur de l'alimentation dans les dépenses des ménages de ces départements par rapport à la métropole (plus de 20 % contre 16,5 %) mais également les différences existant sur ce plan entre les DOM, comme l'illustre le tableau suivant.

Pondération des grands postes de consommation dans l'indice des prix à la consommation

Guadeloupe

Guyane

Martinique

Réunion

Ensemble de la France

Alimentation

21,5 %

22,3 %

22,8 %

20,7 %

16,5 %

Tabac

1 %

1,8 %

0,8 %

2 %

1,7 %

Produits manufacturés

28,6 %

21,4 %

27,7 %

28,8 %

31,5 %

Énergie

9,5 %

7,4 %

8,7 %

7,5 %

7,2 %

Services

39,4 %

47,1 %

39,9 %

41,1 %

43 %

Source : INSEE, 2009

Cependant, cette pondération repose sur une moyenne : pour la part -importante- de la population vivant sous le seuil de pauvreté , l'alimentation pèse plus dans le budget que le niveau attribué par l'INSEE : ces ménages ont donc été proportionnellement davantage affectés par la forte augmentation des prix de l'alimentation au cours de l'année 2008.

* 78 Référé du 17 novembre 2006.

* 79 Cf. Inspection générale des finances (IGF), Rapport sur la fixation des prix des carburants dans les DOM, mars 2009.

* 80 Cf. Plate-forme de revendications du LKP.

* 81 Les taux indiqués dans ce tableau sont les taux d'inflation calculés en moyenne annuelle : ils comparent la moyenne des indices de prix mensuels entre deux années.

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