b) Une prise en compte encore trop insuffisante des spécificités des régions ultrapériphériques

De manière générale, tout le monde s'accorde à reconnaître que l'Union européenne joue un rôle très positif à l'égard des régions ultrapériphériques, et notamment des DOM.

Les DOM bénéficient, en effet, des avantages de l'appartenance à l'Union européenne, et notamment des fonds structurels, et l'article 299§2 du traité instituant la Communauté européenne, introduit par le traité d'Amsterdam, permet de prendre en compte les spécificités de ces régions.

La mise en oeuvre de cet article dépend, toutefois, dans une large mesure, de la Commission européenne, laquelle dispose d'une grande marge de manoeuvre en la matière, mais aussi des autres institutions européennes et en particulier du Conseil des ministres.

Or, il résulte des travaux de la mission commune d'information que la prise en compte des spécificités des RUP au niveau de l'Union européenne pourrait encore être renforcée.

Ainsi, au cours de son audition, M. Gérard Bailly, délégué général d'EURODOM , a mentionné, parmi les aspects positifs, la politique agricole commune à l'égard des régions ultrapériphériques, avec le POSEIDOM, qui représente une enveloppe de 273 millions d'euros et qui joue un rôle très important pour l'agriculture dans les DOM, y compris pour le sucre et la banane, la fiscalité, avec les dérogations accordées par l'Union européenne à la France en ce qui concerne le régime de l'octroi de mer et le régime spécifique du rhum en matière de droits d'accises, ou encore les dérogations accordées en matière d'aides d'Etat, qui ont été toutefois encadrées par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européenne. Il a indiqué que, si la politique régionale n'était pas spécifiquement destinée aux régions ultrapériphériques, puisqu'elle s'appliquait à l'ensemble des régions de l'Union en retard de développement, ses modalités d'application avaient toutefois été adaptées pour tenir compte de la situation particulière des régions ultrapériphériques, avec notamment des taux de cofinancements de l'Union européenne supérieurs à ceux applicables sur le continent européen et la mise en place d'une allocation spécifique de compensation des handicaps dus à l'éloignement au titre du FEDER, dotée d'une enveloppe globale de 482 millions d'euros sur sept ans pour l'ensemble des sept régions ultrapériphériques et ayant vocation à financer aussi bien les aides à l'investissement que le fonctionnement.

En revanche, il a estimé que la situation particulière des régions ultrapériphériques n'était pas suffisamment prise en compte par l'Union européenne dans le domaine de la politique commune de la pêche, puisque ces régions sont dans une situation très différente de celle existante autour des côtes du continent européen marquée par un épuisement des ressources halieutiques, et que, contrairement à ce qui se passe sur le continent, la filière de la pêche était insuffisamment développée dans les DOM, notamment en Martinique. Il a aussi estimé que la situation particulière de chaque région ultrapériphérique n'était pas suffisamment prise en considération par l'Union européenne, jugeant paradoxal par exemple que la Guyane, qui constitue pourtant la région ultrapériphérique la plus défavorisée, dispose du dispositif le plus restrictif en matière d'octroi de mer.

On pourrait également mentionner d'autres domaines où la politique européenne ne tient pas suffisamment compte des spécificités des régions ultrapériphériques, comme les aides d'État à finalité régionale par exemple. En effet, la politique de la Commission européenne concernant les aides d'État à finalité régionale donne lieu à une approche limitative. Ainsi, en ce qui concerne les aides au fonctionnement destinées à compenser en partie les surcoûts de transport, les aides autorisées doivent être objectivement quantifiables, sur la base d'un ratio « aide par passager » ou « aide par tonne/kilomètre parcouru » et doivent faire l'objet d'un rapport annuel.

Mais c'est surtout en ce qui concerne l'insertion régionale, qui constitue pourtant l'une des trois priorités de la communication de la Commission européenne de 2004 sur les régions ultrapériphériques, que le bilan de la politique européenne apparaît très décevant, comme l'illustre le cas des accords de partenariat économique avec les pays ACP.

(1) L'exemple archétypique des accords de partenariat économique avec les pays de la zone Afrique-Caraïbes -Pacifique (ACP)

En tant que partie intégrante de l'Union européenne et de l'Union douanière, les DOM sont soumis au tarif douanier extérieur commun et relèvent de la politique commerciale commune.

Or, les accords de partenariat économique (APE) actuellement négociés par la Commission européenne avec les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) ne prennent pas suffisamment en compte la situation particulière des DOM, qui sont assimilés au reste du territoire de l'Union européenne sans considération, ni de leur proximité géographique avec les pays ACP, ni de leurs intérêts propres. En effet, à la différence de la plupart des pays ou territoires voisins, les DOM sont soumis à de fortes contraintes environnementales et sociales du fait de la législation européenne et nationale. Si on ajoute à cela un coût plus élevé de la main d'oeuvre, leurs productions locales sont souvent moins compétitives que celles de leurs voisins immédiats.

Les accords de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne
et les pays ACP : Quelles conséquences pour les départements d'outre-mer?

L'accord de Cotonou du 23 juin 2000 a introduit un nouveau partenariat entre l'Union européenne et les 78 pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Il prévoyait, en particulier, à l'horizon 2008, la conclusion d' accords de partenariat économique (APE) avec les pays ACP, ces accords devant favoriser une approche globale de la relation UE-ACP en intégrant l'approche commerciale portant sur les biens et sur les services et des mesures d'accompagnement mais également l'intégration régionale tout en permettant la mise en conformité des relations commerciales UE-ACP avec les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Il s'agissait d'une nouvelle approche en matière d'aide au développement, axée sur le commerce et la libéralisation des échanges .

1. L'objectif des APE :

Les APE ne sont donc pas des accords commerciaux « classiques » mais des instruments au service du développement des pays ACP qui tiennent compte du fait que les relations entre l'Union européenne, première puissance commerciale mondiale, et les pays ACP, dont la majorité sont des pays à revenu intermédiaire ou des pays les moins avancés, ne peuvent pas être mis sur le même plan. Les APE se caractérisent donc par une logique asymétrique : l'Union européenne s'engage à ouvrir immédiatement et intégralement son marché aux produits originaires des pays ACP alors que ceux-ci s'engagent à ouvrir progressivement et partiellement seulement leur marché aux produits venant de l'Union européenne. La notion de « réciprocité » n'est donc pas pertinente et a été difficile à mettre en oeuvre en pratique.

Depuis 2002, la négociation des APE est conduite par la Commission européenne dans six zones de négociation : Afrique de l'Ouest, Afrique centrale, Afrique de l'Est, Afrique australe (y compris Afrique du sud), Caraïbes et Pacifique. L'île de la Réunion est concernée par les zones de négociation de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe, tandis que les Antilles et la Guyane sont concernées par la zone Caraïbes.

À ce jour, le seul accord complet (volet marchandises et volet services) concerne la zone Caraïbes et a été signé officiellement le 15 octobre 2008 à la Barbade avec tous les pays ACP de la région (Cariforum) sauf Haïti. Il doit encore être ratifié par les États membres. Pour les autres zones, des accords partiels dits « intérimaires » (portant uniquement sur le volet marchandises) ont été paraphés à la fin de l'année 2007. Ces accords doivent être signés et/ou complétés en 2009.

2. La problématique des APE au regard des DOM :

Les APE - dont la négociation est exclusivement conduite par la Commission européenne - s'appliquent aux DOM qui font partie intégrante du territoire douanier de l'UE. La situation des DOM a toutefois fait l'objet de mesures spécifiques, qui restent cependant insuffisantes.

? Les DOM vont-ils pouvoir exporter leurs produits et leurs services vers les pays ACP ?

Selon les zones et les accords conclus par l'Union européenne, les DOM pourront exporter en fonction du degré et du rythme d'ouverture des marchés des pays ACP. Il n'existe pas de mesure spécifique en faveur des DOM. La Commission européenne s'est fixé comme objectif d'obtenir de la part des pays ACP au moins 80% de libéralisation des lignes tarifaires sur 15 ans.

Pour mémoire, à la demande de la Commission, la France avait présenté en 2007, dans une approche dite « offensive », des listes de produits des DOM dans des secteurs à forte valeur ajoutée et ayant un fort potentiel à l'exportation, tels que la communication, les produits agroalimentaires, les transports, les énergies renouvelables ou la santé, pour lesquels il était demandé une diminution des droits de douane. La Commission européenne n'a pas retenu cette proposition dans le cadre de la négociation pour la zone Caraïbes.

? Les DOM vont-ils être envahis par les produits des pays ACP ?

La Commission européenne a entériné l'ouverture intégrale et immédiate du marché européen (y compris les DOM) à l'ensemble des produits des pays ACP avec des périodes de transition seulement pour le sucre et le riz.

La France avait proposé en 2007, dans une approche dite « défensive », des mesures spécifiques pour la protection des marchés locaux des DOM : maintien des droits de douane sur 40 produits sensibles (principalement les fruits et légumes, la viande), mise en place d'une clause de sauvegarde régionale et non remise en question de l'octroi de mer.

La Commission européenne a accepté le principe d'une clause de sauvegarde régionalisée. En cas de perturbation du marché local d'une ou plusieurs région(s) ultrapériphérique(s), il est permis de demander à la Commission la possibilité de rétablir les droits de douane sur certains produits dans une ou plusieurs RUP pour une durée déterminée afin de laisser le temps à la ou aux RUP concerné(es) de restructurer le marché. La durée maximale a été portée de 2 à 4 ans. Ce nouveau mécanisme permet également d'activer des mesures de sauvegarde provisoires en cas d'urgence.

La Commission européenne a également accepté de ne pas faire de l'octroi de mer un enjeu de négociation.

En ce qui concerne le maintien des droits de douane sur des produits sensibles, la Commission européenne n'a pas retenu les listes des 40 produits proposées par la France. En revanche, elle a accepté de maintenir les droits de douane sur les marchés locaux pour l'entrée du sucre et de la banane en provenance des pays ACP sur une période de deux fois dix ans (soit vingt ans au total).

Dans le cadre de la poursuite des négociations des APE dans la zone de l'Océan Indien134 ( * ), la France veille à ce que la Commission ne revienne pas sur les propositions acceptées en 2007 concernant le volet marchandises, sous la pression de certains pays ACP. En effet, si les pays de l'ESA (Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles, Zimbabwe) ne remettent plus en cause l'octroi de mer et qu'ils ont accepté le principe de la « clause de sauvegarde », certains pays, comme Maurice, souhaiteraient limiter le champ d'application de cette « clause de sauvegarde » à une liste limitative de produits. Les autorités françaises s'opposent à cette lecture limitative de la « clause de sauvegarde ».

Lors de son audition devant la mission commune d'information, M. Gérard Bailly, délégué général d'EURODOM, a porté un regard très critique sur la négociation de ces accords par la Commission européenne.

Il a rappelé que l'annonce de ces accords avait suscité une forte attente de la part des départements français d'outre-mer, désireux d'élargir leurs débouchés par de nouveaux marchés situés dans les pays voisins, mais que, en définitive, « le résultat des négociations menées par la Commission européenne sur ces accords avait abouti à un échec complet, puisque non seulement les DOM n'auront pas accès aux marchés des pays ACP, mais qu'ils devront ouvrir immédiatement leur propre marché aux produits en provenance de ces pays ».

Il a souligné le paradoxe, selon lequel d'un côté, l'Union européenne apporte des financements pour aider les entreprises situées dans les DOM à investir et à produire, alors que, de l'autre côté, elle leur interdit simultanément d'exporter dans leur voisinage.

Au total, il a estimé qu'en dépit des nombreuses déclarations de la Commission européenne en faveur de l'intégration des régions ultrapériphériques dans leur environnement géographique, il n'existait pas de véritable politique européenne d'intégration régionale de ces régions, notamment en termes de débouchés économiques.

Votre mission commune d'information estime également que la négociation par la Commission européenne des accords de partenariat économique avec les pays ACP ne tient pas suffisamment compte de la situation spécifique des régions ultrapériphériques, et des départements français d'outre-mer en particulier.

En effet, la question des échanges économiques avec les pays de la Caraïbe ou de l'océan Indien ne se pose pas dans les mêmes termes à la Martinique, à la Guadeloupe ou à La Réunion, qu'à Helsinki, Varsovie ou même Paris.

Votre mission commune d'information appelle donc la Commission européenne à davantage tenir compte des spécificités des régions ultrapériphériques dans la conduite des négociations des APE avec l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.

Elle recommande, en particulier, la mise en place d'un mécanisme d'évaluation spécifique et régulier de la mise en oeuvre de ces accords, notamment au regard de leur impact sur l'économie des régions ultrapériphériques.

Une évaluation des APE est certes prévue, tant en ce qui concerne l'impact de ces accords sur l'économie des pays ACP, que son impact sur l'économie de l'Union européenne, avec notamment une évaluation tous les cinq ans, ainsi que trois comités (un comité conjoint composé de représentants des États membres de l'Union européenne, de la Commission européenne et des pays ACP, qui doit se réunir au moins une fois par an, un comité parlementaire conjoint, composé de représentants du Parlement européen et des parlements des pays ACP, ainsi qu'un comité technique, composé d'acteurs non-étatiques), mais il convient de tenir compte de l'impact spécifique de ces accords sur l'économie des RUP.

Proposition n° 54 : Tenir compte davantage des spécificités des régions ultrapériphériques dans le cadre des accords de partenariat économique avec les pays ACP et mettre en place un mécanisme spécifique et régulier d'évaluation de ces accords au regard de leur impact sur l'économie des DOM.

* 134 Les APE négociés dans la zone de l'Océan Indien sont les accords SADC (y compris Afrique du Sud) - ESA - EAC (Ouganda, Rwanda, Tanzanie, Burundi, Kenya) qui résultent d'une scission des pays ESA.

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