M. CHRISTIAN VITALIEN, PROFESSEUR ASSOCIÉ À L'UNIVERSITÉ DES ANTILLES ET DE LA GUYANE

M. Serge Larcher, président, a interrogé M. Christian Vitalien sur les possibilités d'évolution institutionnelle et statutaire offertes par la Constitution depuis la révision constitutionnelle de 2003.

M. Christian Vitalien a expliqué que la loi du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République permettait d'envisager quatre scenarii d'évolution pour les départements et collectivités d'outre-mer.

Il a indiqué en premier lieu que l'article 73 de la Constitution répondait aux difficultés posées dans les départements et régions d'outre-mer par l'existence de deux assemblées délibérantes distinctes, en offrant la possibilité de mettre en place une assemblée unique, commune au département et à la région, dotée d'une dualité fonctionnelle. Il a précisé que la question du mode d'élection devant être retenu pour cette assemblée unique se posait dans la mesure où le Conseil constitutionnel avait sanctionné le mode de scrutin spécifique envisagé par le législateur en 1982.

Il a exposé que l'article 73 permettait, en second lieu, de fusionner les collectivités départementale et régionale en créant une collectivité unique exerçant les compétences du département et de la région. Il a rappelé que cette fusion avait été proposée en 2003 aux électeurs de la Guadeloupe et de la Martinique mais s'était soldée par un refus.

Il a précisé qu'en tout état de cause l'article 73 ne permettait pas de déroger au principe d'assimilation législative, bien que dans des domaines spécifiques certaines mesures relevant du domaine de la loi puissent être exercées par la collectivité.

Évoquant les évolutions statutaires autorisées par l'article 74 de la Constitution, M. Christian Vitalien a rappelé que le régime des collectivités d'outre-mer avait été créé en 2003 afin de mettre en place un « moule unique » rassemblant les anciens territoires d'outre-mer, caractérisés par une grande diversité de statuts. Il a précisé que cette disposition permettait à des départements d'outre-mer de se transformer en collectivités d'outre-mer, ce qui implique en particulier l'adoption d'une loi organique définissant leurs statuts. Il a indiqué que cette loi organique avait pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles la loi et les règlements doivent s'appliquer sur le territoire de la collectivité, soit dans le cadre d'un régime d'identité législative, soit dans celui d'un régime de spécialité législative.

Il a fait observer que l'article 74 offrait une très grande souplesse puisque le statut de la collectivité pouvait donner à celle-ci une compétence de principe, l'État ne disposant alors que d'une simple compétence d'attribution, comme c'est le cas en Polynésie française, ou pouvait au contraire retenir un principe d'assimilation en prévoyant l'octroi à la collectivité de simples compétences d'attribution, à l'instar de ce qui a été prévu à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Il a également précisé que l'article 74 permettait de créer des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, ce qui lui semblait constituer une catégorie spécifique de collectivités.

M. Christian Vitalien a ensuite estimé qu'il subsistait encore, dans les discours officiels, une équivoque sur les incidences d'un changement de statut des départements d'outre-mer quant à leur appartenance à la catégorie des régions ultrapériphériques de l'Union européenne. Il a mis en exergue le fait qu'une modification statutaire n'avait, en elle-même, aucune incidence sur le statut communautaire d'une collectivité située outre-mer, mais qu'en revanche l'étendue des compétences transférées pouvait conduire une collectivité à perdre son statut de région ultrapériphérique. Il a expliqué que tel était le cas si le statut de la collectivité transférait à celle-ci l'exercice de compétences dévolues à l'Union européenne. Il a souligné que le statut de Saint-Barthélemy prévoyait ainsi qu'en cas de transfert à cette collectivité de la compétence douanière, Saint-Barthélemy deviendrait un pays et territoire d'outre-mer au sens du traité instituant la Communauté européenne.

Il a donc conclu qu'il n'y avait pas d'effet mécanique associé à un changement de statut et que tout dépendait des dispositions particulières de la loi organique.

Après avoir rappelé que des volontés d'évolutions institutionnelle et statutaire avaient surgi dès 2003 en Martinique et en Guadeloupe mais s'étaient alors heurtées au refus des électeurs, M. Christian Vitalien a précisé que des demandes d'évolution étaient à nouveau aujourd'hui formulées en Martinique et en Guyane.

Il a précisé qu'en Guyane, premier département à avoir historiquement souhaité voir son organisation institutionnelle évoluer, le congrès des élus régionaux et départementaux avait adopté un avant-projet de document d'orientation, le 18 décembre 2008, envisageant la transformation de la Guyane en une collectivité unique régie par l'article 74 de la Constitution.

S'agissant de la Martinique, il a indiqué que le congrès des élus avait adopté également, le 12 janvier 2009, le principe d'une évolution statutaire dans le cadre de l'article 74, sans que la question de savoir si la nouvelle collectivité serait dotée de l'autonomie ait été précisée.

Il a indiqué qu'en cas de transformation en collectivité d'outre-mer se posait la question de savoir si le statut envisagé pouvait donner compétence à la collectivité pour prendre des mesures destinées à protéger l'emploi local ou à limiter les acquisitions foncières. Il a souligné que ce type de dispositions figurait déjà dans le statut de certaines collectivités d'outre-mer, telles que la Polynésie française s'agissant de l'emploi local et Saint-Barthélemy et Saint-Martin s'agissant de l'acquisition de biens fonciers. Il a cependant fait observer que le Conseil constitutionnel n'autorisait ce type de dispositions que dans la mesure où elles respectaient le principe d'égalité des citoyens devant la loi et étaient conformes aux obligations internationales de la France. Or, il a précisé que certaines règles du droit communautaire, à commercer par le principe de libre circulation, semblaient mettre en cause ce type de dispositif.

À l'interrogation de M. Daniel Marsin sur le contenu de la distinction souvent faite entre évolution institutionnelle et évolution statutaire, M. Christian Vitalien a rappelé que cette distinction avait été initiée historiquement dans les Antilles afin de différencier les modifications qui n'avaient pour objet que de modifier a minima l'organisation institutionnelle actuelle de celles qui tendaient à un bouleversement institutionnel. Il a toutefois précisé que ce type de distinction répondait à des considérations, non juridiques, mais politiques. Il a indiqué qu'aujourd'hui les juristes estimaient être en présence d'une évolution institutionnelle lorsqu'une modification des structures était envisagée sans remise en cause des conditions d'application de la loi nationale sur le territoire, tandis que le passage du régime de l'article 73 à celui de l'article 74, ou inversement, pouvait être qualifié d'évolution statutaire.

M. Georges Patient a indiqué que les élus guyanais s'interrogeaient sur la possibilité de voir la Guyane se transformer en une collectivité sui generis , à l'instar de la Nouvelle-Calédonie.

M. Christian Vitalien a souligné que l'article 74 permettrait de doter la Guyane d'un statut très particulier et distinct des autres statuts existants. Rappelant que la Nouvelle-Calédonie disposait d'un statut constitutionnel propre, il a souligné que le recours à une collectivité sui generis impliquerait une révision constitutionnelle et ne se justifierait que si le cadre juridique et institutionnel s'écartait résolument des contraintes prévues par la Constitution.

M. Georges Patient a fait observer que le débat public organisé en Guyane sur l'évolution statutaire avait fait naître l'hostilité d'une certaine partie de la population, avec la crainte souvent exprimée qu'une plus grande autonomie ne conduise à l'indépendance pure et simple, n'aboutisse à la perte des avantages sociaux, ne réduise les ressources des collectivités locales, n'entraîne la perte du statut de région ultrapériphérique et n'aboutisse à favoriser l'immigration illégale en raison du désengagement de l'État.

M. Christian Vitalien a répondu que les compétences de police n'étaient pas transférables et resteraient, en tout état de cause, du ressort de l'État, quelle que soit l'évolution statutaire envisagée. S'agissant de la question de la perte des avantages acquis, il a rappelé que cette crainte avait déjà été exprimée en 1982 et qu'il convenait de faire un travail de pédagogie vis-à-vis de la population, l'évolution statutaire n'impliquant pas la suppression de l'application des lois sociales dans la collectivité. Il a précisé que les statuts de Saint-Barthélemy et Saint-Martin avaient maintenu un principe d'assimilation législative s'agissant des droits sociaux et qu'une collectivité pouvait, bien entendu, choisir de récupérer la compétence en matière sociale, comme l'avait fait la Polynésie française, mais que cela nécessitait de prendre la mesure des moyens nécessaires. Il a expliqué que les lois organiques statutaires prévoyaient généralement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des mécanismes de compensation mais que cela n'exonérait pas de la mise en place de services spécifiques.

M. Jean-Paul Virapoullé a rappelé qu'en matière institutionnelle La Réunion avait adopté une approche très prudente, les Réunionnais aspirant à un cadre institutionnel stable, et a qualifié cette approche de raisonnable et volontariste. Demandant si, hors la compétence douanière, d'autres transferts étaient susceptibles d'entraîner la déchéance de la qualité de région ultrapériphérique (RUP), M. Christian Vitalien lui a répondu que l'ensemble des compétences relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux étaient concernées.

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