C. LA POSSIBILITÉ D'UNE PAIX

1. Comment contribuer à la réunification du mouvement palestinien ?

Un des obstacles les plus importants sur la voie de la réconciliation tient au fait qu'Israël et la communauté internationale rejettent tout contact avec le Hamas et refusent de lui accorder le bénéfice de toute aide internationale.

Les puissances occidentales souhaiteraient en effet participer à la reconstruction de la Bande de Gaza, sous l'égide exclusive de l'Autorité palestinienne, ce que le Hamas ne peut évidemment accepter. Elles se sont engagées, lors du sommet de Charm el-Cheikh du 2 mars 2009, à verser 2,8 milliards de dollars pour la reconstruction de Gaza. Mais aucune reconstruction ne pourra être entreprise aussi longtemps que le blocus israélien ne sera pas levé. L'importation de matériaux de construction, de pièces détachées et d'intrants agricoles est indispensable. En avril 2009, soit quatre mois après la fin des hostilités, les volumes importés à Gaza étaient à leur plus faible niveau depuis le début de l'année, et ce malgré l'importance des besoins humanitaires et l'arrêt des tirs de roquettes.

En réalité, le problème n'est pas seulement humanitaire, même si la levée du blocus est de ce point de vue un impératif. Il est avant tout politique. Pourquoi Israël refuse-t-il de négocier avec un Gouvernement conduit par le Hamas et pourquoi a-t-il persuadé les Etats-Unis et l'Europe de ne pas parler au Hamas, jetant l'anathème sur les contrevenants ? 35 ( * )

Sans doute le Hamas est-il une organisation terroriste ennemie d'Israël. Mais on fait la paix avec ses ennemis, pas avec ses amis. La France a dû accepter de parler au F.L.N. et le Gouvernement britannique avec l'IRA.

Comme l'ont relevé les membres de la Chambre des communes britannique, dans un rapport publié le 13 août 2007 : « Nous concluons que le fait de ne pas parler au Hamas en 2007, à la suite de l'accord de La Mecque a été contreproductif ». Nos collègues britanniques ajoutent : « Nous concluons que la décision de boycotter le Hamas, malgré l'accord de La Mecque et la suspension continue de l'aide au Gouvernement d'unité nationale, signifiait que ce Gouvernement avait toutes les chances de tomber ». 36 ( * ) Nos collègues britanniques viennent du reste de réitérer leur recommandation de parler avec les éléments modérés du Hamas dans un récent rapport sur la situation en Israël et dans les territoires occupés 37 ( * ) . Dans le même esprit, l'ancien Président des Etats-Unis, Jimmy Carter, lors d'une visite dans la Bande de Gaza le 19 juin dernier, a rencontré le « Premier ministre » Ismaïl Haniyeh.

Ne soyons pas dupes. D'après les informations fournies à vos rapporteurs par les autorités turques, les Israéliens eux-mêmes ont des contacts secrets avec le Hamas. Interdire aux Européens et aux Américains d'en faire autant n'a d'autre effet que de pousser le Hamas dans les bras de l'Iran.

Maintenir les exigences du Quartet constitue un obstacle dirimant à la formation d'un Gouvernement palestinien d'union. L'existence d'Israël sera implicitement reconnue si le Hamas participe à un Gouvernement d'unité nationale qui entre en négociation avec lui. La reconnaissance de jure viendra à l'issue de la négociation, mais entre deux entités souveraines. En faire un préalable n'a qu'une conséquence : empêcher que le processus de paix ne s'enclenche.

S'agissant de la Charte du Hamas, les Israéliens continuent à voir en elle la preuve d'une « vision du monde » islamique, incompatible avec les valeurs et les principes de l'Occident. Pourtant de nombreux chercheurs 38 ( * ) ont montré que cette charte constituait avant tout une carte dans le jeu du Hamas et qu'il s'en dessaisira le moment venu.

Lors des élections de 2006, le Hamas a dû présenter une « plate-forme électorale » puis un « programme de Gouvernement d'union nationale » qui sont plus importants pour situer le positionnement du Hamas que la Charte de 1988. Or, ces documents mettent l'accent sur la « liberté d'expression, de presse, d'association », sur le « pluralisme » et la « séparation des pouvoirs », sur l'« alternance pacifique au pouvoir », sur l'« édification d'une société civile développée » et le « respect des droits des minorités ».

Si l'on doit exiger quelque chose en préalable à toute négociation avec le Hamas, c'est bien le respect, sur le terrain, à Gaza, de ces principes et de ces valeurs, plus que la modification d'une charte écrite il y a plus de vingt ans par un étudiant exalté et auquel les dirigeants du Hamas eux-mêmes ne semblent plus accorder la moindre importance.

Concernant l'OLP, il semble de plus en plus évident que Mahmoud Abbas repousse sans cesse la réforme du mouvement palestinien à des jours meilleurs. Il en va de même avec la réforme du Fatah qui est pourtant indispensable avant les prochaines élections car chacun sait que le Fatah est traversé actuellement par des mouvements contradictoires entre conservateurs et réformistes de la « jeune garde » qui n'excluent plus le retour à la lutte armée 39 ( * ) .

Le congrès du Fatah, pendant l'été 2009, a certes re-légitimé Mahmoud Abbas et redonné un nouveau souffle à ce mouvement. Mais ce congrès n'a rien réglé sur le fond du problème : la possible réunification du mouvement palestinien.

Le Gouvernement israélien détient sans doute la clé de la réunification palestinienne en la personne d'un prisonnier, membre du Fatah mais dont la représentativité est reconnue par le Hamas : Marwan Barghouti.

D'après les informations recueillies par vos rapporteurs auprès de l'épouse de Marwan Barghouti, l'avocate Fadwa Barghouti, l'incarcération de celui-ci est sévère. Ce qui ne l'a pas empêché de se faire reconnaître comme leader par l'ensemble de ses codétenus qui se prononcent avec lui pour l'unité nationale.

Si Marwan Barghouti constituait un Gouvernement d'unité nationale, on peut penser qu'il rassemblerait aujourd'hui l'opinion palestinienne. Pour lui, la réconciliation passe par la mise en oeuvre du « document des prisonniers » endossé par l'ensemble des factions et qui garantit la protection des principes démocratiques : le pluralisme, la séparation des pouvoirs, les libertés publiques et individuelles. Le document proclame le droit à la résistance du peuple palestinien et prévoit les étapes concrètes du retour à l'unité : réforme de l'OLP, réforme de l'Autorité palestinienne, ces deux organes étant mandatés pour porter et défendre les revendications du peuple palestinien dans les négociations avec Israël. Le Gouvernement d'union nationale serait uniquement chargé de reconstruire Gaza et d'organiser des élections avant le 25 janvier 2010.

Dans ces conditions, un échange de Marwan Barghouti contre Gilad Shalit mérite d'être considéré. D'autant plus que, selon son épouse Fadwa, Marwan Barghouti aurait été placé en tête de la liste de prisonniers présentée à Israël, en échange de la libération de Gilad Shalit.

Marwan Barghouti

Barghouti est un des principaux chefs politiques de la première Intifada dans la Bande de Gaza dès 1987. Il est arrêté dès 1987 par l'armée israélienne et expulsé vers la Jordanie. Il ne peut revenir d'exil qu'après la signature des accords d'Oslo en 1994. Il est élu au Conseil législatif de Palestine en 1996, et y défend la nécessité d'une paix avec Israël. Orateur talentueux, ayant fait ses preuves au combat, Barghouti grimpe dans l'appareil politique du Fatah et en devient secrétaire général pour la Cisjordanie.

Lors de la seconde Intifada, Barghouti, chef du Tanzim-Fatah, branche armée du Fatah, se rend indispensable par ses talents d'organisation. Sa popularité croît chez les Palestiniens. Le Tanzim-Fatah lance par l'intermédiaire d'un groupe, les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, des attentats-suicides sur le territoire israélien et contre les colonies israéliennes.

Son rôle dans la campagne d'attentats-suicides contre Israël en fait l'un des Palestiniens les plus recherchés par les forces de sécurité israéliennes. En 2001, il déjoue une tentative d'assassinat préparé contre lui par l'armée israélienne. Le 15 avril 2002, Israël le capture. Il est inculpé par un tribunal civil pour meurtres et tentatives de meurtres dans une entreprise terroriste sous son commandement. Les Palestiniens capturés pour des faits de résistance sont d'habitude jugés par des tribunaux militaires israéliens mais pour Barghouti, Israël doit se soumettre aux pressions étrangères et donner au procès un minimum de crédibilité juridique.

Barghouti se sert de la tribune qui lui est offerte pour plaider sa cause politique. Tout au long de son procès, il refuse de reconnaître la légitimité du tribunal israélien et, par conséquent, refuse de se défendre. Il dit soutenir les attaques armées contre l'occupation israélienne mais ne pas cautionner les attaques contre des civils sur le territoire d'Israël.

Il est condamné le 20 mai 2004 pour cinq meurtres dont celui d'un moine orthodoxe grec. Barghouti est aussi déclaré coupable d'une tentative de meurtre pour un attentat-suicide déjoué par les forces de sécurité israéliennes.

Il affirme être innocent des chefs d'accusation portés contre lui. Il est inculpé de 21 chefs d'accusation de meurtre commis au cours de 33 attentats. Le 6 juin, Barghouti est condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité pour cinq meurtres et 40 ans d'emprisonnement pour tentative de meurtre.

* 35 Les membres du Gouvernement israélien ainsi que Benyamin Netanyahu, alors simple candidat, ont refusé de recevoir vos rapporteurs lors de leur visite en Israël, au motif que ceux-ci avaient rencontré Khaled Mechaal à Damas Seul Haïm Oron, leader du Meretz, a accepté de les recevoir.

* 36 House of Commons - Foreign Affairs Committee - Global Security ; the Middle East - Eighth Report of Sessions 2006-07 ; citations p. 2 (item 3) et p. 28 (item 50).

* 37 House of Commons - Foreign Affairs Committee - Global Security : Israël and the Occupied Palestinian Territories - Fifth Report of Sessions 2008-09 ; p. 5 (item 12) policy towards Hamas.

* 38 V. notamment Paul Delmotte : « Le Hamas et la reconnaissance d'Israël - impasse politique en Palestine » Le Monde diplomatique de janvier 2007.

* 39 International Herald Tribune - 21 mai 2009 : « Fatah struggle with a new guard's call for change ».

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