D. L'IRAK RESTERA-T-IL UNI ?

Si la reconstruction des infrastructures, la lutte contre la corruption, la répartition des recettes du pétrole posent de difficiles problèmes, le vrai casse-tête qui attend l'Irak consistera à intégrer le Kurdistan dans l'ensemble national. Les deux millions et demi de Kurdes jouissent, depuis la fin de la première guerre du Golfe, d'une autonomie de fait, protégée par l'Occident. Ils disposent d'une force militaire de 90 000 hommes, les Peshmergas, dotés d'armes légères, mais disciplinés et loyaux. La Constitution irakienne a fait une place de choix au Kurdistan et dans les institutions du pays : le Président de la République, M. Talabani, est Kurde. Les trois provinces qui forment le Kurdistan bénéficient d'une très large autonomie, qui leur permet notamment de fixer librement les dates de leurs élections provinciales. Le Kurdistan s'est doté d'un aéroport international et attire d'importants investissements étrangers. Il ignore l'insécurité. Il n'y aurait donc pas lieu de s'étendre sur la situation des Kurdes s'ils ne formulaient pas d'importantes revendications territoriales que rejettent le Gouvernement de Bagdad et le reste des Arabes de l'Irak.

Ces revendications portent sur les régions adjacentes au Kurdistan et en particulier sur la ville de Kirkouk et sa province. Le Président du Gouvernement du Kurdistan, M. Barzani, qui a longuement reçu la mission, lui a déclaré sur tous les tons que Kirkouk était la capitale historique du peuple Kurde et que la ville devrait, quoi qu'il arrive lui revenir. Kirkouk représente plus ou moins pour les Kurdes ce que Jérusalem est pour les Israéliens et les Palestiniens.

Aussi longtemps que les revendications des Kurdes seront formulées en termes aussi radicaux, ils poseront un problème insoluble. Les territoires en cause, à commencer par Kirkouk, sont, en effet, considérés comme arabes par le reste de la population. Aussi le Gouvernement de M. Maliki ne fait-il pas mine de céder à l'insistance du Kurdistan et ne manifeste-t-il aucune hâte à appliquer l'article 140 de la Constitution qui prévoit la tenue d'un référendum pour décider du sort de Kirkouk. Référendum qui, selon le Gouvernement kurde, ne devrait intervenir que lorsque les habitants arabes que Saddam Hussein avait installés dans la ville pour l'arabiser auraient regagné leurs provinces d'origine.

M. Maliki, que le Président Barzani voue aux gémonies, n'a manifestement pas l'intention de bouger avant les prochaines élections législatives. En attendant, la Turquie suit de près l'évolution de la situation. Ankara a fait clairement savoir qu'elle n'accepterait en aucun cas l'indépendance du Kurdistan et que la Turquie veillerait à ce que les droits des Turcomans, nombreux à Kirkouk, soient pleinement respectés.

On peut penser que la communauté internationale fera pression sur les autorités du Kurdistan pour qu'elles en rabattent de leurs revendications et que, s'agissant de Kirkouk, elles acceptent un compromis dont les grandes lignes ont été tracées dans le rapport adressé en avril 2009 aux autorités irakiennes par le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Irak, M. Staffan de Mistura, au nom de la Mission d'assistance des Nations unies en Irak (MANUI).

L'importance de l'Irak ne tient pas seulement à ses réserves pétrolières mais au fait qu'il se situe à la charnière du monde arabe et de l'Iran. Les relations entre Bagdad et Téhéran ont toujours été difficiles et contentieuses et ont été marquées par la guerre de huit ans entre les deux pays, déclenchée par Saddam Hussein en 1981. En l'éliminant, les Etats-Unis ont rendu un signalé service à l'Iran dont la stratégie régionale réserve à l'Irak une place de premier plan pour plusieurs raisons.

La première a un caractère religieux. Les plus grands lieux saints chiites se trouvent non en Iran mais en Irak où neuf Imams chiites sur onze ont leur tombeau.

La seconde est politique : dans le bras de fer nucléaire qui oppose l'Iran à Washington, les moyens d'action dont Téhéran dispose en Irak pèsent lourds. L'Iran entend, en toute hypothèse, préserver l'influence dont il jouit en Irak. Il y est d'autant plus attentif qu'il y a subi quelques échecs cuisants : la signature de l'accord de retrait des forces américaines, que Téhéran avait tout fait pour empêcher, la division de la coalition chiite, sur laquelle il s'appuyait, les déboires électoraux du Conseil Supérieur Islamique en Irak (CSII), dirigé par Abdelaziz Al Hakim, un affidé de l'Iran, la diminution de l'influence des Sadristes, alliés de l'Iran, à Bagdad.

Il ressort des réponses faites aux nombreuses questions posées par la mission sénatoriale que si les autorités irakiennes tiennent à conserver avec leur puissant voisin, frère en religion, des relations étroites et amicales, elles n'ont aucunement l'intention de laisser Téhéran dicter sa loi à Bagdad.

Parallèlement à la normalisation des relations américano-irakiennes, on assiste d'ailleurs, depuis dix-huit mois, au retour de l'Irak dans la famille arabe. Nombreux sont les pays de la région qui ont ouvert des ambassades à Bagdad et plusieurs chefs d'Etat et premiers ministres s'y sont rendus en visite officielle. Ce fut notamment le cas du Premier ministre syrien, reçu à Bagdad, accompagné d'une dizaine de ministres et de hauts fonctionnaires. La Syrie souhaite jeter les bases d'une étroite coopération économique et pétrolière avec l'Irak, dont elle souhaite devenir, grâce à la réhabilitation de l'oléoduc Kirkouk-Banias, le débouché naturel sur la Méditerranée. Au Président de la Ligue arabe en visite à Bagdad, Nouri Al Maliki a proposé d'accueillir le prochain sommet arabe que l'Irak souhaitait présider.

Le Gouvernement irakien n'a donc pas ménagé, depuis l'été 2008, ses efforts pour amener les Arabes à reprendre le chemin de Bagdad. Il y a réussi, à une exception importante près : le roi Abdallah d'Arabie saoudite attend, pour normaliser les relations de son pays avec l'Irak, de voir si Nouri Al Maliki place réellement l'intérêt de son pays au dessus de ses fidélités chiites.

Si le ciel de l'Irak s'est donc miraculeusement éclairé depuis deux ans et demi dans la plupart des domaines, la renaissance du pays demeure fragile et il reste à savoir si les trois communautés du pays -chiite, sunnite, kurde- pourront s'affirmer et se développer sans s'enfermer dans le piège du communautarisme.

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