B. ENGAGER UNE CROISSANCE RAPIDE DES FORCES NATIONALES DE SÉCURITÉ (FNS) AFGHANE, ARMÉE ET POLICE : UN OBJECTIF D'UNE GRANDE COMPLEXITÉ

La montée en puissance des FNS est un élément fondamental de la stratégie de contre-insurrection. Elle est par ailleurs la condition indispensable d'un futur retrait de la coalition internationale.

Les opérations militaires qui ont été menées jusqu'à présent ont permis, comme du reste l'avait fait l'armée soviétique, de tenir les villes et les axes de communication. La supériorité militaire permettait, par ailleurs, le nettoyage de zones mais ne permettait pas de les tenir de manière permanente. Les taliban, chassés d'une vallée, réoccupaient le terrain dès que les forces de la coalition s'en retiraient. Dans ces conditions, la population adoptait de manière rationnelle une attitude au moins neutre tant vis-à-vis des forces occidentales que de l'insurrection.

Les effectifs actuels des troupes alliées, de l'armée et de la police afghanes dépassent à peine 200 000 hommes, ce qui est évidemment insuffisant pour quadriller et tenir le territoire. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable d'engager une forte croissance des FNS. L'augmentation des troupes de la coalition demandée par le général MacChrystal doit, par ailleurs, permettre d'assurer la transition avec la montée en puissance des FNS et de les encadrer.

En tout état de cause, l'armée nationale afghane (ANA) ne serait en mesure d'assumer la sécurité du pays au plus tôt qu'en 2013. Les effectifs qui atteignent aujourd'hui 92 000 hommes devraient être portés à 134 000 hommes en 2010 et atteindre une taille critique de 240 000 hommes en 2013. Les effectifs de la police pourraient atteindre 160 000 hommes à cette date.

Cet objectif de disposer, pour les FNS, de 400 000 hommes en 2013 est sans doute ambitieux. Est-il réaliste ? Jusqu'à présent la croissance de l'armée et de la police afghanes avait été limitée en très large partie pour des questions budgétaires.

Aujourd'hui, la question se pose de savoir si la coalition occidentale dispose des moyens suffisants, dans le délai de trois ans à venir, pour équiper et former l'ANA et l'ANP.

D'ores et déjà, ces fonctions sont très largement sous-traitées à des sociétés privées dont l'absence d'encadrement juridique de leurs activités pose de nombreuses questions.

Le soutien logistique de l'ANA, la rédaction de la doctrine, le « mentoring » des états-majors, l'instruction et l'entraînement sont en effet confiés à des sociétés militaires privées dans le cadre de la privatisation de la violence légitime. Or, comme le fait remarquer le lieutenant-colonel Charlier, les sociétés militaires privées n'ont aucun intérêt à la stabilisation de l'Afghanistan et à ce que l'afghanisation de l'ANA fonctionne. Cela diminuerait en effet d'autant la nécessité en agents contractuels et irait logiquement à l'encontre de leurs intérêts financiers. 15 ( * ) Les sommes en jeu sont considérables. À titre d'exemple, la société Military Professional Ressources Inc. (MPRI) a reçu 200 millions de dollars pour la rédaction de la doctrine militaire et 1,7 milliard de dollars pour la composante liée à l'entraînement des forces.

On peut donc aujourd'hui émettre un doute sérieux sur la réalité des transferts de connaissances et de compétences, alors même que la réalité de ces transferts reviendrait, pour ces sociétés, à scier la branche sur laquelle elles sont assises.

C'est peut-être l'une des raisons des limites constatées dans les capacités opérationnelles de l'ANA. Lors de l'entretien de la mission avec le général Druart, ce dernier a indiqué que l'armée nationale afghane n'avait pas encore d'aptitude à la manoeuvre interarmées et à la combinaison des efforts. À l'heure actuelle l'ANA ne manoeuvre encore qu'à un niveau inférieur à celui du bataillon. Sur le terrain, le commandant du 3 ème RIMA, le colonel Chanson, indique que les «Kandaks » de l'armée afghane sont capables d'actions de guerre efficaces mais que ces unités ont une aptitude limitée à manoeuvrer et à combiner les efforts. Elles dépendent des forces de la coalition pour l'artillerie, l'appui aérien et le renseignement.

Globalement parlant on peut même s'interroger sur la pertinence des choix de formation. Le lieutenant-colonel Goya a indiqué devant l'IRSEM que « l'ensemble du système de formation de l'armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. On ne permet pas aux Afghans de combattre à leur manière, en petites bandes très agressives (c'est-à-dire comme les rebelles que nous avons en face de nous) tout en ayant du mal à les faire manoeuvrer à l'occidentale. »

Le constat est encore plus préoccupant pour la police dont les effectifs atteignent aujourd'hui 84 000 hommes. Le général MacChrystal constate que « l'ANP souffre d'un manque de formation, de cadres, de ressources, d'équipements et d'encadrement. L'efficacité du maintien de l'ordre est rendue quasiment impossible par les carences du système judiciaire ou de résolution des conflits. Par ailleurs, le bas niveau des salaires encourage la corruption ». Ces forces ne peuvent aujourd'hui agir efficacement en matière de contre-insurrection.

En l'état actuel des choses, il est évident que des forces de police mal payées, mal équipées et protégées ne sont pas motivées pour faire régner l'ordre et contribuer à l'établissement d'un état de droit. En vallée de Kapisa, le colonel Chanson constatait que la coopération est efficace avec la police bien que la répartition des effectifs sur le territoire soit trop concentrée autour de la capitale de la province de Kapisa (473 hommes sur 800 déclarés) et que les forces de police ne s'aventurent pas au-delà de petites actions protégées par les forces de la coalition.

Un accent tout particulier doit être mis sur la formation et de développement de la police. Cette remarque s'applique non seulement à l'Afghanistan mais aussi au Pakistan.

Le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Kayani, a souligné les limites de l'action militaire : « il y a des opérations dont seule la police doit se charger pour le compte de la justice. L'armée n'est pas adaptée pour cela » 16 ( * ) .

Outre le renforcement qualitatif et quantitatif des forces de police il convient également de développer cet outil spécialité, particulièrement adapté au contrôle des zones rurales, qu'est une gendarmerie. 17 ( * )

Le but poursuivi par les forces françaises en Kapisda ou en Surobi, comme par les autres forces alliées, est de réduire le soutien populaire accordé à l'insurrection en apportant un soutien actif aux forces de sécurité afghanes et en appuyant des projets de développement, en participant à l'évolution de la société locale et en offrant la protection de la force. Il semble que ces objectifs soient difficilement atteignables en l'état actuel des effectifs et des compétences des forces nationales de sécurité afghanes. Leur montée en puissance, en nombre comme en capacités, est donc impérative.

Outre les questions de montée en puissance et de formation des forces nationales de sécurité afghanes, se pose la question de leur coordination. À cet égard, le transfert de responsabilités de la capitale Kaboul aux autorités afghanes est riche d'enseignements.

Un organisme de coordination l'OCCR 18 ( * ) (Operational Coordination Centre Region) a été mis en place. Son efficacité est vivement contestée : « un organisme comme l'OCCR engorgé par ses rivalités intestines, n'offre plus qu'un pouvoir de façade, contourné par les commandements afghans des forces de sécurité qui ne reconnaissent pour chef que leur ministre. Il faut bien admettre que vouloir coordonner la police et l'armée, c'est afficher une ambition démesurée : quel pays développé peut se vanter d'avoir atteint chez lui un niveau de coopération satisfaisant entre militaires et policiers ? Comment prétendre contrôler l'échelle hiérarchique du ministère de la défense et du ministère de l'intérieur au moyen d'un organisme de coordination nouvellement créé, et qui ne dispose que des cadres que les administrations respectives ont bien voulu lui affecter ? L'échec de l'OCCR de Kaboul, boycotté par ses principaux responsables, montre à nouveau le décalage entre pensée stratégique et réalisation tactique dont pâtit l'image de la présence occidentale en Afghanistan. » 19 ( * )

Enfin, on a pu dire qu'une partie significative des forces armées ou de la police de ce pays est composée d'insurgés provisoirement détachés près des forces gouvernementales, souvent pour des raisons alimentaires. Cette assertion n'encourage sans doute pas les forces occidentales à former et à équiper des hommes, dont une partie, aussi minime soit-elle, pourrait rejoindre les insurgés. Le colonel Michel Goya estimait récemment dans une communication à l'institut de recherche de l'école militaire que le taux de désertion au sein de l'armée afghane était de 3 % pour les officiers, de 12 % pour les sous officiers et de 34 % pour les hommes du rang.

Ce n'est que quand les forces de sécurité afghanes apparaîtront comme les garants nationaux de la paix, dont la présence permettra le développement, qu'elles cesseront d'être perçues par la population comme des «suppôts de l'Occident ».

C'est ce hiatus entre les objectifs, l'indispensable montée en puissance des FNS afghanes, et la réalité qu'il convient de combler dans les plus brefs délais.

* 14 « Dans une guerre de guérilla, il est plus important de contrôler 75 % du territoire 100 % du temps que 100 % du territoire 75 % du temps » Henri Kissinger - Newsweek octobre 2009.

* 15 « Political advise : témoignage en Afghanistan » Inflexions, la Documentation française, numéro 11, septembre 2009

* 16 M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan, avait indiqué que « L'absence d'une police de qualité est une réelle difficulté dans la lutte contre les taliban », lors de son audition devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le 18 février 2009.

* 17 La mission de police de l'Union européenne a été mise en place par l'action commune du 30 mai 2007. Débutée à partir du 15 juin 2007, pour un mandat de trois ans, EUPOL Afghanistan a pour mission de conseiller les forces de police locales et d'accompagner leurs réformes. Cette mission européenne peine à se développer et à atteindre ses objectifs en termes de personnels internationaux. La France participe à cette opération, comme elle participe à la mission de l'OTAN, en particulier en déployant 150 personnels pour participer à la formation de la police afghane. La gendarmerie nationale française est appelée à former des officiers et sous-officiers de « l'Afghan National Civil Order Police » (ANCOP) au sein d'une école de formation des cadres et à conseiller « l'Afghan Uniform police » (AUP) dans son travail quotidien, au coeur des districts situés dans la zone du théâtre sous commandement français.

* 18 Le centre régional de coordination opérationnelle (Operational Coordination Center Regional, OCCR) a vu le jour au mois de juillet 2008. Composé d'agents du ministère de l'intérieur et de militaires de l'armée nationale afghane (ANA), il a été formé et entraîné par l'état-major du RC--C. Opérationnel depuis le 28 août et activé 24h/24h, il est chargé du suivi de la situation sécuritaire dans la province de Kaboul. En cas de crise, il coordonne les actions de la police, de l'ANA et des services de renseignement (National Directorate Service, NDS).

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