3. Les détenues
a) Une interdiction de principe inscrite dans le code de procédure pénale
L'article D.248 du code de procédure pénale 24 ( * ) pose le principe de la non-mixité.
Il dispose que les hommes et les femmes doivent être séparés lors de leur détention, incarcérés dans des établissements distincts. Il ajoute que toutes les dispositions doivent être prises, lorsque des quartiers séparés sont aménagés au sein du même établissement, afin qu'il ne puisse y avoir aucune communication.
Les femmes sont ainsi incarcérées soit dans des établissements spécialisés soit dans des quartiers qui leur sont réservés au sein des établissements pénitentiaires.
b) Les établissements pour mineurs : une ouverture à la mixité délicate à mettre en oeuvre
L'incarcération des jeunes filles mineures est organisée autour de deux grands principes :
- un principe de séparation stricte d'avec les majeurs , découlant de l'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
- un principe de non-mixité dans leur hébergement , posé par l'article R.57-9-12 25 ( * ) du code de procédure pénale, soit dans les quartiers spécialisés pour mineurs au sein des établissements pénitentiaires, soit dans les établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs tandis que les activités au sein de ce dernier type d'établissement sont organisées de façon mixte .
Cette relative ouverture à la mixité s'explique par les caractéristiques particulières des établissements spécialisés pour mineurs (EPM), qui privilégient la dimension pédagogique et font bénéficier chaque jeune détenu d'un suivi personnalisé par un éducateur. Le programme de construction de ces EPM avait en effet pour but de faire respecter le principe de séparation stricte de l'incarcération des mineurs de celle des adultes. Prévu par la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002, le programme de ces constructions a porté sur 420 places réparties dans 7 EPM, tous situés près de grandes agglomérations : EPM de Paris, EPM de Meaux Chauconin et Porcheville, EPM de Quiévrechain près de Lille, EPM de Meyzieu près de Lyon, EPM La Valentine à Marseille, EPM de Nantes et EPM de Lavaur près de Toulouse.
Les EPM peuvent héberger jusqu'à 60 mineurs détenus et leur ouverture s'accompagne de la fermeture de 27 quartiers mineurs. 4 à 6 places d'hébergement sont réservées aux jeunes adolescentes.
La Protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire envisagent de consacrer au Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis les mêmes moyens que pour un EPM dans la mesure où l'EPM de Meaux ne serait a priori pas ouvert, en raison de la diminution du nombre de mineurs incarcérés.
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Toutefois, l'incarcération des jeunes filles mineures se heurte à un certain nombre de difficultés :
- les auditions effectuées par la délégation ont révélé l'émergence d'une forme de violence extrême de la part de certaines jeunes filles ;
- le nombre - souvent très faible - de jeunes filles incarcérées, par rapport aux jeunes garçons, a largement conditionné le maintien des unités pour filles au sein des EPM, comme par exemple l'unité pour jeunes filles de l'EPM de Quiévrechain et celle de l'EPM de Lavaur.
L'obligation d'incarcération séparée des mineurs est donc aujourd'hui toujours respectée pour les jeunes hommes mineurs mais pas pour les jeunes filles, souvent détenues avec les femmes majeures.
En effet, la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire ont décidé de regrouper les femmes mineures incarcérées dans quatre centres de détention - dont seulement un EPM :
- l'EPM de Quiévrechain ;
- le quartier femmes de la prison des Baumettes à Marseille ;
- le centre pénitentiaire de Rennes, qui devrait regrouper les mineures de Rennes et de la maison d'arrêt pour femmes de Nantes ;
- la maison d'arrêt de femmes de Fleury-Mérogis, préférée à l'EPM de Porcheville, en raison du nombre variable et faible des jeunes filles concernées.
La question de savoir s'il faut, pour l'incarcération de ces jeunes filles mineures, privilégier le principe de séparation mineurs/majeurs ou le principe de non-mixité, suscite un débat important qui justifie la mise en place d'un groupe de travail pluridisciplinaire sur ce sujet au sein de la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Enfin, il existe actuellement 38 centres éducatifs fermés, structures constituant une alternative à l'incarcération pour des mineurs ayant été condamnés par la justice, offrant au total 413 places disponibles. Parmi ces centres, un seul est actuellement strictement réservé aux jeunes filles, celui de Doudeville, en Normandie, et dix autres sont mixtes, sous réserve de pouvoir héberger au moins deux ou trois filles.
M. Philippe-Pierre Cabourdin a évoqué, lors de son audition, l'exemple d'un centre éducatif dans la Marne, qui gère la question de la non-mixité d'hébergement des mineurs en délimitant l'espace des jeunes filles et celui des jeunes hommes par un système de cloison mobile que l'on peut déplacer en fonction de l'effectif féminin présent dans le centre.
c) Les exemples de l'Espagne et du Danemark constituent des approches originales de la mixité en milieu carcéral
La délégation s'est rendue en Espagne pour étudier un système pénitentiaire adossé à une conception renouvelée après la disparition du général Franco et caractérisé par l'ouverture à certaines formes de mixité, notamment dans l'organisation des activités ou encore avec l'incarcération en couple de condamnés.
Mme Conception Yagüe Olmos, sous-directrice générale des institutions pénitentiaires et ancienne directrice d'une prison pour femmes a présenté à la délégation les quatre formes d'incarcération des femmes en Espagne :
- Les femmes emprisonnées avec enfant peuvent être dans des unités indépendantes pour femmes de semi-liberté ; elles reçoivent le soutien d'ONG qui leur cherchent du travail. Le régime de semi-liberté leur permet par exemple d'accompagner leurs enfants à l'école.
- D'autres sont incarcérées dans les prisons mais dans des structures séparées du reste de l'établissement. Leurs enfants vont à l'école mais reviennent en prison à la fin des cours.
- Certaines femmes sont incarcérées avec leur conjoint et leurs enfants dans des blocs mixtes.
- Les femmes condamnées à de lourdes peines sont incarcérées dans des centres situés en centre-ville et disposent de chambres qui leur permettent de vivre avec leur enfant.
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La délégation a eu l'occasion d'apprécier concrètement cette approche originale de la mixité autorisée par le système pénitentiaire espagnol en visitant le centre pénitentiaire de Madrid VI à Aranjuez, inauguré en 1998.
Ce centre permet ainsi d'héberger à la fois des détenus masculins placés sous le régime ordinaire, mais aussi des couples et des femmes avec enfants, placés dans des départements spécifiques.
Au sein de cet établissement, les détenus peuvent avoir des contacts avec leurs familles à raison de 40 à 60 minutes le week-end, contacts qui peuvent être portés à une heure, voire à trois heures avec les enfants. Les détenus peuvent en outre avoir accès au téléphone pour des communications de 5 minutes.
Un bloc est réservé aux mères et aux couples avec enfants, constitué de studios doubles d'une surface de 21 m² (soit le double de la surface d'une cellule individuelle, fixée à 10 m²) comportant un lieu de vie et, séparée par un rideau, une chambre garnie d'un lit double avec un cabinet de toilette.
Les couples avec enfants y sont admis après un examen individuel. En sont a priori exclus les condamnés pour délits sexuels et pour violences conjugales, ainsi que ceux condamnés pour des crimes et délits liés au trafic de drogue. Pour être admis, les deux membres du couple doivent avoir fait l'objet d'une décision judiciaire : soit une condamnation définitive, soit une décision de mise en détention préventive.
Il semble que la mise en oeuvre de la mixité au sein des établissements pénitentiaires espagnols ait contribué, d'après les services concernés, à apaiser le climat au sein de la détention et à conserver, pour les détenus, un minimum de lien social en vue d'une meilleure préparation à la sortie.
Une telle expérience d'ouverture à la mixité n'est pas unique en Europe. Lors de son audition, M. Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, a présenté l'exemple du système pénitentiaire danois , fondé sur le principe selon lequel la détention devait se rapprocher le plus possible de la vie en liberté et où la surpopulation est interdite par la loi.
Ce système a pour objectif de permettre aux détenus de maîtriser leur vie quotidienne. Les visites conjugales y sont fréquentes et les parloirs privés multiples.
Un règlement du ministre danois de la justice du 17 mai 2001 énonce notamment que « les parloirs doivent, dans toute la mesure du possible, être aménagés de façon à créer une atmosphère de visite naturelle et chaleureuse » et ajoute que les visites peuvent, le cas échéant, avoir lieu dans les cellules ou dans les espaces collectifs de l'établissement. Il dispose que les visites ne doivent, en règle générale, pas se dérouler en présence du personnel pénitentiaire.
En outre, les couples mariés peuvent habiter dans la même unité de détention et la majorité des centres de détention sont mixtes, même si les femmes peuvent demander à être incarcérées séparément. Quant aux enfants, ils peuvent rester auprès de leur mère incarcérée jusqu'à l'âge de trois ans.
Néanmoins, l'administration pénitentiaire française semble considérer avec précaution la transposition de telles innovations en France.
d) La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 permet une ouverture limitée et encadrée de la mixité pour faciliter l'accès aux activités et à des formations professionnelles
L'article 28 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, prévoit que des activités peuvent être organisées de façon mixte au sein des établissements pénitentiaires, sous réserve du bon ordre et de la sécurité.
Le rapport de M. Jean-Paul Garraud au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi pénitentiaire, déposé le 8 septembre 2009, a précisé qu'il s'agissait de favoriser l'activité des femmes, souvent incarcérées dans des enceintes très petites et enclavées et qui accèdent difficilement aux activités organisées le plus souvent dans les quartiers hommes dans la mesure où l'article D.248 du code de procédure pénale prévoit qu'aucune communication ne peut être possible entre les détenus hommes et les détenues femmes au sein d'un même établissement.
Le rapport précise que « c'est d'ailleurs ce qui se pratique en Espagne et ce qui existe déjà, en France, pour les mineurs, en vertu de l'article R.57-9-12 du code de procédure pénale qui prévoit que les activités organisées dans les établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs peuvent accueillir des détenus des deux sexes ».
* 24 Article D.248, alinéa 1 : « Les hommes et les femmes sont incarcérés dans des établissements distincts. Lorsque néanmoins des quartiers séparés doivent être aménagés dans le même établissement pour recevoir respectivement des hommes et des femmes, toutes dispositions doivent être prises pour qu'il ne puisse y avoir aucune communication entre les uns et les autres. »
* 25 Article R. 57-9-12 : « Les détenues mineures sont hébergées dans les unités prévues à cet effet sous la surveillance des personnels de leur sexe. Les activités organisées dans les établissements spécialisés pour mineurs peuvent accueillir des détenus des deux sexes. »