B. TABLE RONDE N° 2 : ARTICULATION DE LA CONTRIBUTION CARBONE AVEC LES MÉCANISMES D'ALLOCATION DE QUOTAS DE CO2

M. le Président - Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, nous avons à présent le plaisir d'accueillir :

- M. Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, président du groupe de travail sur les modalités de vente et de mise aux enchères des quotas de CO 2 en France ;

- M. Serge Harry, président de Bluenext SA ;

- M. Christian de Perthuis, professeur associé à Paris-Dauphine, directeur du Programme de recherche en économie du climat.

Messieurs, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue aux tables rondes organisées par la commission des finances sur la contribution carbone et le marché européen des quotas de CO 2 .

Comme lors de la précédente table ronde, nous souhaiterons vous interroger, en premier lieu, sur l'articulation entre une taxation des émissions de carbone et les quotas d'émission, à la suite de la censure de la première version de la contribution carbone par le Conseil constitutionnel.

En effet, comme vous le savez, le Conseil a notamment fondé sa censure sur la rupture d'égalité devant les charges publiques que constituait, selon lui, l'exonération dont bénéficiaient les sites industriels soumis au système des quotas.

Vous pourriez en particulier vous exprimer sur la « piste » qui consisterait à délivrer dès à présent certains quotas de carbone à titre onéreux, sans mise aux enchères et sans modifier la quantité de quotas alloués à chaque site, au lieu de créer une fiscalité nouvelle aux contours d'une redoutable complexité.

Nous pourrons ensuite aborder d'autres thématiques d'importance, comme la mise en place d'un système de distribution des quotas aux enchères à compter de 2013 dans l'ensemble de l'Union européenne, ou encore la régulation des marchés du carbone ainsi que la sécurité des registres nationaux de gestion des quotas.

Comme pour la table ronde précédente, afin de favoriser l'interactivité de nos échanges, je vous propose de nous dispenser de propos liminaires et de procéder par jeu de questions-réponses.

M. le Rapporteur général - Il serait important que nous comprenions bien ce que sont ces quotas. Quelle est leur nature ? Comment naissent-ils ? Comment les valoriser, les échanger ?

M. Jean-Michel Charpin - Cette question est faussement simple. Les quotas sont aujourd'hui définis, par la directive de 2003 et les articles du code de l'environnement qui la transposent ; il s'agit du droit d'émettre une tonne d'équivalent gaz carbonique, qualifié de « bien meuble » incorporel. C'est donc une définition très physique qui rapproche la tonne de carbone d'une matière première. Lors de la table ronde précédente, on a dû vous dire que, dans le cadre de la commission Prada, une des grandes questions à résoudre sera de savoir si la régulation à appliquer au marché primaire ou secondaire du carbone devra être de type « matière première » ou de type « finance ». Dans le second cas, cela devrait nécessiter une modification de la définition des quotas.

Le marché des quotas fonctionne sur un principe de « cap and trade » qui consiste à fixer une quantité dans la zone européenne et à permettre des échanges qui vont dégager un prix. Dans la théorie économique, la question « prices versus quantities » est importante et ancienne ; elle a été introduire par une contribution magistrale de Martin Weitzman en 1974, celui-ci ayant continué à écrire sur cette question jusqu'à aujourd'hui. Cette question consiste, dans un monde dans lequel les prix et les quantités sont reliés entre eux, à déterminer s'il vaut mieux faire porter la régulation sur la quantité ou sur le prix. En matière de politique monétaire, vaut-il mieux essayer de réguler la masse monétaire, les taux d'intérêt s'en déduisant, ou de réguler les taux d'intérêt, la masse monétaire s'en déduisant ?

Le problème « taxe carbone contre quotas » est exactement un problème théorique du même ordre. On peut réguler ce marché, sachant qu'il existe un lien entre les prix et les quantités, soit par les prix - auquel cas on fait une taxe fixant le prix et les quantités s'en déduisent - soit par les quantités : c'est alors un système de quotas dont les prix se déduisent. Bien évidemment, on ne peut fixer indépendamment les prix et les quantités, les deux étant liés par une relation que les mathématiciens appelleraient de dualité. En information parfaite, les deux méthodes sont équivalentes. Le choix entre les deux va donc dépendre de la nature des déficiences de l'information.

La décision du Conseil constitutionnel est une décision sur laquelle je m'exprimerai avec prudence car, sous certains de ses aspects, elle est difficile à comprendre. L'un d'eux est le fait de qualifier, quasiment sans autre approfondissement, les quotas de « gratuits » alors même qu'ils s'échangent tous les jours sur un marché et pour une valeur de l'ordre de 15 euros la tonne. On pourrait faire une analogie avec l'ensemble des terrains disponibles sur le territoire national. La plupart sont acquis par héritage et ne coûtent donc rien aux personnes qui en disposent ; cela n'empêche aucunement le marché des terrains de fonctionner comme un marché normal. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que le prix des terrains est égal à zéro, parce que la plupart de ces terrains ont été acquis par héritage.

Le fait que les quotas aient été distribués gratuitement ne change absolument rien au fait qu'ils ne sont pas gratuits, qu'ils ont un prix, et que cela crée des effets incitatifs qui sont exactement de même nature que les effets incitatifs d'une taxe carbone.

M. le Rapporteur général - Cette décision administrative d'allocation de quotas a été prise par l'Union européenne, déclinée Etat par Etat, ces derniers ayant attribué des autorisations qui viennent à s'échanger sur un marché secondaire. Il résulte une valeur de ces échanges. Ce qui me surprend, du point de vue de la comptabilité patrimoniale de l'Etat, c'est qu'il n'existe aucune image de cette transaction d'origine. Après tout, c'est l'Etat qui a créé une valeur en attribuant les allocations !

M. Gérard Longuet - On a créé une rareté.

M. le Président - Dans un système où l'on crée du droit à produire, toutes les licences pourraient être valorisées à l'actif du bilan de l'Etat. Il suffirait d'avoir une politique malthusienne : on donnerait alors de la valeur au droit à produire.

M. le Rapporteur général - Et on autoriserait des crédits budgétaires !

M. le Président - Il s'agit ici de l'intérêt de la planète.

M. le Rapporteur général - C'est une sorte de caisse d'émission...

M. le Président - Quand on doit restreindre la liberté de produire, on en fait un bien marchand. Les « actifs carbone » sont valorisés dans le patrimoine de l'Etat, la Cour des comptes certifiant la sincérité de cette évaluation.

M. le Rapporteur général - Il faut que nous approfondissions ce point.

M. le Président - Cela veut dire que les entreprises qui disposent de droits à produire vont pouvoir les inscrire dans leur actif, d'autant qu'elles ont la possibilité de stocker leurs quotas pour les utiliser dans les périodes à venir. Il n'est donc pas indifférent d'acheter des actions d'une entreprise qui a des quotas ou qui n'en a pas.

M. le Rapporteur général - Logiquement, elles devraient le faire mais le directeur d'ArcelorMittal a tout à l'heure indiqué le contraire !

M. Jean-Michel Charpin - Ces questions comptables ont été étudiées de près par les instances de normalisation comptable. Ce n'est pas l'une des difficultés majeures de cette affaire alors que certains sujets restent très délicats comme celui de la régulation ou de la taxe carbone.

Mme Fabienne Keller - Cette normalisation comptable s'opérera-t-elle à l'échelle européenne ?

M. Jean-Michel Charpin - Les concertations auront lieu.

M. le Président - C'est en cela que les marchés du carbone conditionnent les marchés financiers !

M. le Rapporteur général - Il serait important d'évoquer les principes de régulation de ces échanges, surtout dans le contexte suivant la crise financière. Il serait illogique que ce marché très innovant soit le seul à ne pas tirer les conséquences de la crise !

M. Jean-Michel Charpin - Au printemps 2009, j'ai présidé un groupe sur les enchères carbone qui a conduit à des conclusions unanimes et précises sur la quasi-totalité des sujets ; elles sont aujourd'hui reprises dans le cadre de la rédaction du règlement européen qui doit sortir en juin 2010.

Un des sujets sur lesquels les conclusions ont été un peu moins fermes est celui de la régulation. Nous avons posé quelques principes qui me semblent justes mais nous ne sommes pas allés au bout de nos réflexions. A l'époque, nous avions jugé que la maturation des idées n'était pas suffisante. Le fait de savoir s'il faut une régulation de type matières premières ou une régulation financière est fondamental. Cette question soulève des enjeux complexes et constitue le coeur de la réflexion de la commission Prada.

Lorsque ce choix sera fait, il sera nécessaire de légiférer. Aujourd'hui, les quotas n'appartiennent ni au domaine de compétence des instances de régulation des matières premières, ni à celui de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

M. le Rapporteur général - Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux optiques ?

M. Jean-Michel Charpin - Le sujet n'est pas mûr. Il vaut mieux attendre les conclusions de la commission Prada.

M. le Rapporteur général - Nous sommes entre nous ! La parole est libre...

M. Serge Harry - Deux éléments ressortent des discussions. En premier lieu, l'accord me semble unanime pour réguler ce marché, qui ne l'est pas aujourd'hui pour ce qui concerne les transactions au comptant. Les contrats futurs sont en revanche assimilés à des instruments financiers qui sont supervisés par l'AMF.

En second lieu, les participants à ce marché ne souhaitent qu'un seul régulateur de l'ensemble du marché. L'objectif de la commission Prada est de présenter ses conclusions à la Commission européenne pour faire en sorte qu'elles soient reprises à leur compte par les autres pays.

M. le Rapporteur général - Jusqu'à ce que le dernier l'ait adopté, on fait ce que l'on veut et cela dure des années !

M. le Président - Celui qui a des quotas en France peut-il les utiliser dans ses usines allemandes ?

M. Serge Harry - Oui, ce sont des quotas européens.

M. Christian de Perthuis - Les échanges de quotas que nous pouvons observer entre 2005 et 2008 montrent que les 11.000 installations soumises au SCEQE utilisent ce marché au niveau européen. De grosses installations qui émettent par exemple de l'électricité avec du charbon en Allemagne ou au Royaume-Uni restituent les quotas qui peuvent provenir de dix ou douze autres pays.

L'une des difficultés à articuler le système de la taxe avec celui des quotas provient aussi du fait que les règles du marché sont totalement européennes alors que celles de la taxe sont nationales.

Par ailleurs, les entreprises conservent bien leurs quotas d'une période sur l'autre. On le voit à travers les études assez approfondies que nous avons menées sur les données de conformité.

M. le Rapporteur général - Elles disposent donc vraisemblablement de plus-values latentes.

M. Christian de Perthuis - Ces entreprises réalisent des arbitrages dans le temps, en fonction du prix actuel et futur des quotas, ainsi qu'entre les quotas et les crédits carbone issus du Protocole de Kyoto.

M. le Rapporteur général - Les analystes financiers commencent-ils à être sensibles à ce sujet ?

M. Christian de Perthuis - Bien évidemment.

M. le Rapporteur général - On aurait intérêt à en auditionner certains.

M. Christian de Perthuis - Il existe une équipe à la mission climat de la Caisse des dépôts et consignations ; la Société générale, la Deutsche Bank, Barclays Bank ont maintenant toutes des services d'analyse économique qui intègrent le marché des quotas.

S'agissant de l'articulation entre la taxe et le marché, superposer une taxe nationale avec les quotas payants pour les entreprises n'apporte aucun bénéfice environnemental supplémentaire. Il faut en être bien conscient. Le surcroît de prix du carbone résultant de l'application de la taxe aux entreprises sous quotas va générer des réductions d'émissions sur le territoire français mais aussi des surcroîts de droits à produire d'un montant équivalent chez nos partenaires allemands, polonais ou anglais. On ne fait donc que déplacer la contrainte.

On trouve en Europe quatre pays qui ont une expérience en matière de coexistence d'une taxe nationale sur le carbone avec le marché des quotas. Le Royaume-Uni a échoué sur ce sujet, du fait de la complexité du système mis en place et a retiré sa taxe nationale. Les systèmes fiscaux compliqués ne sont compris ni par les entreprises auxquelles ils s'appliquent, ni par ceux qui sont censés les faire fonctionner.

L'Irlande a projeté la mise en place d'une taxe de 15 euros la tonne sur le carbone domestique en 2010. Cette taxe couvre les émissions d'origine énergétique, hors marché des quotas, et l'agriculture est exonérée, ce qui constitue un gros problème car les émissions d'origine agricole sont très importantes dans ce pays. Le choix d'exonérer les entreprises sous quotas a donc été fait, et ce système fonctionne depuis le premier janvier.

La Suède et la Norvège possédaient une taxe carbone avant d'entrer dans le système des quotas, le Danemark, quant à lui, étant à rapprocher du Royaume-Uni. La Suède a dû adapter sa taxe carbone au fonctionnement du marché des quotas ; elle a exonéré ou très fortement réduit la taxe frappant les entreprises sous quotas. La Norvège a couplé un système de paiement de la taxe avec des quotas, mais a négocié le fait de pouvoir mettre plus de quotas aux enchères plus tôt que les autres.

Mme Fabienne Keller - La Norvège applique-t-elle les quotas ?

M. Christian de Perthuis - Bien sûr. Elle y est entrée le 1 er janvier 2008. Bien que n'étant pas dans l'Union européenne, la Norvège, l'Islande et le Lichtenstein font partie de l'Espace économique européen et on rejoint le système des quotas.

Mme Fabienne Keller - Qu'en est-il de la Suisse et de la Turquie ?

M. Christian de Perthuis - La Suisse n'a pas les mêmes accords politiques avec l'Union européenne ; quant à la Turquie, elle n'est pas dans le système des quotas.

Les pays qui ont à la fois une taxe carbone et des industries sous quotas ont donc tous réservé un traitement particulier à ces dernières. Aucun n'a considéré que les quotas étaient gratuits. Ce qui est gratuit, c'est la méthode d'allocation des quotas jusqu'à présent retenue par notre pays durant la première et la seconde phase.

Enfin, le dispositif crée bien de la valeur. 2 milliards de tonnes de CO 2 ne valaient rien avant le 1 er janvier 2005. Depuis, ils valent entre 20 et 60 milliards d'euros suivant le prix du carbone. Cette valeur économique est une rente de rareté. L'autorité publique rétrocède cette rente aux entreprises, et l'allocation gratuite peut déjà être considérée comme une sorte de compensation de la contrainte créée par le quota. En 2012 et 2013, l'autorité publique va récupérer la majorité de cette rente en mettant les quotas aux enchères.

M. le Président - L'Etat, sur les comptes 2008, a valorisé pour 11 milliards les actifs carbone en précisant que cette valorisation ne porte que sur 25 % des quotas alloués à la France.

M. Christian de Perthuis - Je pense que vous faites ici allusion aux quotas européens. Il existe deux régimes de droits à produire des gaz à effet de serre, celui qui couvre l'intégralité des émissions de la France dans le cadre du Protocole de Kyoto, soit 565 millions de tonnes d'équivalent CO 2 par an et, en second lieu, les quotas européens couvrant l'industrie française qui représentent 25 % des quotas nationaux.

M. Jean-Michel Charpin - Un système de taxe incitative qui se superposerait aux quotas serait rigoureusement inutile du point de vue de la réduction des émissions de carbone. Dans un système de Cap and Trade , la quantité de carbone émise s'aligne, quoi que l'on fasse, sur le cap . Non seulement cette superposition serait inutile mais, avec elle, on régresserait du point de vue de l'optimalité économique.

Je crains que, croyant bien faire, certains ajoutent des incitations destinées à économiser le carbone au système des quotas. La superposition d'une taxe et s'un système de quotas, voire d'autres dispositifs incitatifs, ferait qu'en France, pour les entreprises, il serait rentable d'économiser le carbone jusqu'à 32 euros la tonne par exemple, alors que dans le reste de l'Europe, ce serait toujours à partir de 15 euros la tonne. On créerait donc de la sous-optimalité en supprimant le prix unique du carbone, ce qui éloignerait de l'optimum économique sans diminuer aucunement les quantités émises.

En dehors de la commission des finances du Sénat, je ne vois pas sur qui nous pouvons compter pour éviter un tel scénario !

M. le Rapporteur général - Même si le Conseil constitutionnel a sans doute fait une erreur d'analyse, sa décision est donc salutaire !

M. le Président - Oui, dans la mesure où elle permet de développer ces réflexions.

M. le Rapporteur général - Il faut réfléchir à la bonne régulation, au droit à mettre en vigueur. Qui doit le concevoir ? Le contrôle doit-il porter davantage ou simultanément sur les produits ou sur les acteurs ? Quelles sont les règles déontologiques ? Quels sont les principes de ce marché ? Si nous arrivons à avancer sur ces sujets, nous pouvons obtenir des résultats concrets. Il faudra trouver quelques modalités réalistes pour que ce marché se développe dans des conditions crédibles, saines et transparentes.

M. le Président - Avez-vous le sentiment qu'il existe un certain nombre de partenaires prêts à mettre de l'ordre dans ce marché ?

M. Serge Harry - La situation n'est pas la même dans chaque pays européen. La qualification du quota, bien meuble incorporel, a été traduite dans les droits nationaux de manière différente d'un pays à l'autre. La France ne l'a ainsi pas qualifié d'actif financier et ne dispose donc pas de régulation propre. La Commission européenne s'est déjà saisie du sujet. Elle doit rendre son rapport en fin d'année. L'idée de la France est d'anticiper ces travaux, le rapport Prada étant prévu mi-avril. Je pense qu'il sera d'application nationale.

M. le Rapporteur général - Le rapport Prada aurait-il valeur de test pour l'organisation européenne ?

M. Serge Harry - Je pense que les idées produites dans le rapport seront partagées avec la Commission et d'autres pays européens. La Commission s'inspirera sûrement des travaux, comme elle l'a fait avec les conclusions du groupe de travail présidé par M. Charpin. Pour ce qui est de la supervision, les régulateurs sont, à ce stade, nationaux.

M. Jean-Michel Charpin - L'opération que j'ai conduite a, me semble-t-il, favorablement impressionné le Gouvernement. La réflexion organisée en France au eu un effet d'entraînement européen si fort que la rédaction du projet de règlement prévu pour juin 2010 en a été considérablement influencée. Un effort de même nature est tenté avec la commission Prada. On peut difficilement envisager que la France parte seule dans une régulation de type financier si d'autres pays européen en choisissent une autre. Il faudra que le même choix soit fait dans l'ensemble des pays européens. Si la force intellectuelle du rapport de Michel Prada est suffisante, on peut convaincre les autres pays comme pour le dispositif d'enchères.

M. Christian de Perthuis - Il existe deux caractéristiques importantes du marché du carbone. Fondamentalement, la plupart des intervenants ne choisissent pas d'y entrer ou d'en sortir mais sont contraints de restituer des quotas et de plafonner leurs émissions de gaz à effet de serre. En second lieu, la part des échanges qui se font sur des plates-formes organisées à Paris ou à Londres est élevée. Celles-ci ne sont pas totalement régulées, mais opèrent suivant des règles extrêmement précises.

M. le Rapporteur général - Ce sont en quelque sorte des entreprises de marché. A quelles règles du jeu obéissez-vous ?

M. Serge Harry - Bluenext est à la fois régulée par l'AMF, par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et par la Commission bancaire. Bluenext gère par ailleurs deux marchés : Bluenext dérivés, régulé, et le marché des quotas « spot », qui ne l'est pas.

M. le Rapporteur général - Sur ce dernier, ce sont donc des opérations de gré à gré...

M. Serge Harry - Pas totalement. Bien que le marché « spot » ne soit pas régulé, l'entreprise de marché a édicté des règles ; on a essayé de mettre en place des règles proches de la directive européenne sur les marchés financiers. D'autre part, on négocie sur ce marché sans risque de contrepartie.

Mme Fabienne Keller - Pourquoi donc ?

M. Serge Harry - Il n'y a pas de transaction directe ; pour négocier, le vendeur doit justifier qu'il a des quotas en compte et l'acheteur qu'il dispose d'argent sur son compte en espèces.

Mme Fabienne Keller - Il n'existe donc pas de vente à découvert.

M. Serge Harry - En effet.

M. le Président - Qui le contrôle ?

M. Serge Harry - Bluenext a un accès direct et électronique sur les comptes de quotas tenus par la Caisse des dépôts et sur les comptes espèces que nous faisons ouvrir à la Caisse par tous les membres du marché. Nous sommes informés en temps réel des positions de tous les acheteurs et vendeurs et nous réalisons un contrôle ex ante avant d'apparier les ordres qui viennent sur notre marché.

Mme Fabienne Keller - Avez-vous des appels de marges ?

M. Serge Harry - Nous n'en avons pas besoin, le règlement-livraison étant immédiat.

Mme Fabienne Keller - Lorsque ArcelorMittal vend 100.000 tonnes de CO 2 , un instant après, il a donc 100.000 tonnes de moins sur son compte.

M. Serge Harry - Absolument et son compte espèces est instantanément crédité du produit de la vente. C'est donc un marché qui, bien que non régulé, apporte certaines garanties aux opérateurs.

M. le Président - Comme une caisse de compensation ?

M. Serge Harry - Plus efficace, le dénouement étant instantané.

Mme Fabienne Keller - On est donc dans un système assez sécurisé.

M. Serge Harry - Absolument. Il faut être membre pour pouvoir négocier. Il a aujourd'hui 109 membres.

Mme Fabienne Keller - Je pense que ce marché n'est ni financier, ni de commodities , c'est une création publique, commandée par l'intérêt général, un concept qui ne se transporte pas ni ne se livre, une notion comptable...

M. le Rapporteur général - Ce sont des biens immatériels ! ce sont des Picasso qui ne sortiront jamais du coffre.

M. Jean-Michel Charpin - La tentation est forte de considérer ce marché comme un cas particulier pour lequel il faudrait inventer une régulation spécifique. Le risque est de perdre l'héritage immense des régulations. En sens inverse, il suffirait d'une ligne définissant le quota comme un instrument financier pour que s'applique ipso facto la totalité de la régulation financière. Mais attendons les conclusions de la commission Prada.

Mme Fabienne Keller - J'adhère à votre raisonnement mais tirons les conséquences de la crise : il vaut mieux un peu trop réguler que pas assez, sous peine de voir la politique environnementale remise en cause. Le système est bordé et régulé mais je plaide en faveur de carnets d'ordres centralisés, de chambres de compensation bien contrôlées, d'autorité de régulation et peut-être de comité de gestion.

M. le Rapporteur général - Il faut rendre grâce à la capacité visionnaire de la Caisse des dépôts qui, il y a plus de dix ans, a imaginé l'importance que ces biens allaient prendre. C'est Daniel Lebègue qui avait lancé les premières réflexions.

Mme Fabienne Keller - La Commission n'a pas cette culture de marché et n'a donc pas la maîtrise des outils adaptés. Il y a là une réflexion à mener afin de trouver des outils sur les marchés financiers ou de matières premières.

M. Christian de Perthuis - J'ai présenté il y a quelques jours le marché du carbone à Bruxelles à une partie de la Commission, à la nouvelle commissaire en charge du climat ainsi qu'aux différentes directions générales. L'enjeu est important et perçu comme tel mais il faut que la compréhension et l'appropriation du marché du carbone dépasse le strict cadre de la direction générale du climat. Toutes les interventions sont donc bienvenues.

Par ailleurs, le modèle de Bluenext n'est pas le modèle unique des places de marché organisées. A Londres, le marché de futures fonctionne suivant le modèle classique des chambres de compensation et des appels de marges. C'est une combinaison des deux qu'il va donc falloir mettre en place. Même si la part des échanges sur les plates-formes de marché est élevée, il existe aussi du gré à gré.

M. le Président - On pourrait imaginer des droits à produire du nitrate dans le domaine de l'agriculture. On pourrait ainsi réguler un certain nombre de marchés.

M. le Rapporteur général - Ce serait une façon de renflouer les finances des départements !

M. Christian de Perthuis - J'ai milité en faveur de ce sujet. Il est techniquement et économiquement extrêmement difficile d'intégrer directement les exploitations agricoles ou même les coopératives d'élevage dans le même système de « cap-and-trade » où se trouvent les énergéticiens, pour des raisons de mesures des émissions. On sait mesurer ce que l'on économise en évitant les émissions atmosphériques de d'oxyde nitreux et celles de nitrates dans le sol mais on ne sait pas la totalité de ce qui est émis.

En revanche, il faudrait mettre en place d'urgence le système de valorisation des projets qui réduisent ces émissions sous forme de crédits carbone. Ceci est techniquement possible. La Caisse des dépôts a milité en faveur de mécanismes de projets domestiques CO 2 , visant à étendre les réductions d'émissions de gaz à effet de serre notamment dans le secteur agricole, via un mécanisme de projet. Il faudrait, pour avoir un réel impact, que l'administration simplifie les méthodologies de calculs, car leur complexité actuelle fait que seuls de grands opérateurs peuvent les mettre en oeuvre. C'est une voie à laquelle on a réfléchit en France, en Irlande. C'est la voie d'avenir pour permettre d'appliquer la tarification du carbone dans le secteur agricole.

M. le Président - Plutôt que de créer une taxe éphémère, nous avions pensé demander aux attributaires de quotas de payer certains quotas et de se préparer ainsi au « grand saut » de 2013.

M. Jean-Michel Charpin - Je ne maîtrise pas bien la logique de la décision du Conseil constitutionnel, donc je ne me prononce pas sur la question de savoir si votre proposition serait agréée par le Conseil ou non. J'ai entendu, par exemple, le professeur Carcassonne défendre l'idée que la décision du Conseil constitutionnel eût été la même si les quotas avaient été alloués à titre onéreux. Je vous livre cette citation pour ce qu'elle vaut, je ne sais pas quoi en faire. En revanche, nous savons que les modifications du plan national d'allocation des quotas (PNAQ) sont difficiles à obtenir de la Commission européenne.

Mme Fabienne Keller - L'idée est de rendre le système payant pour chacun sans modifier l'équilibre entre les secteurs.

M. Jean-Michel Charpin - Ce sont des négociations complexes. Bien que le PNAQ français initial ait beaucoup de défauts, il n'a jamais été modifié. Toutes les tentatives ont jusqu'à présent échoué !

M. le Rapporteur général - Nous ne sommes pas pressés !

M. le Président - Non, il n'y a pas le feu ! Merci infiniment de nous avoir éclairés. Je suggère que nous autorisions la publication d'un rapport d'information de notre collègue Fabienne Keller. (Approbation).

La séance est levée.

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