2. La portée de la décision, dérogation par dérogation

Afin de circonscrire les limites constitutionnelles dans lesquelles le législateur devra inscrire ses futurs travaux, votre rapporteur spécial s'est efforcé d'analyser succinctement la conformité à la Constitution des principales mesures dérogatoires adoptées par le Parlement.

a) Les exemptions partielles

Il ressort tout d'abord de la décision du Conseil que les dérogations partielles sont, sous certaines réserves, conformes à la Constitution. En effet, les réductions de taux ou les tarifications spécifiques peuvent être justifiées par la poursuite d'un intérêt général telle que la sauvegarde de la compétitivité de certains secteurs.

Le Commentaire aux cahiers cite en exemple les mesures prévues en faveur des agriculteurs et des pêcheurs, du transport routier ou du transport maritime. Ces mesures semblent, selon le commentaire, d'autant plus admissibles que le Gouvernement en avait souligné le caractère transitoire au cours des débats parlementaires 18 ( * ) .

b) Les exemptions totales

L'appréciation de la conformité à la Constitution est plus délicate s'agissant des mesures d'exemption totale . En effet, la décision du Conseil semble indiquer que c'est l'accumulation de ces exemptions totales qui est contraire à l'objectif de lutte contre le changement climatique et qui crée une rupture d'égalité devant les charges publiques, sans pour autant statuer dans le détail sur la constitutionnalité de chaque mesure.

(1) Les exemptions validées : transport en commun de voyageurs et déshydratation de luzerne

La conformité à la Constitution n'est pas douteuse pour ce qui concerne la compensation totale de contribution carbone octroyée au transport public routier en commun de voyageurs .

Le Commentaire aux cahiers justifie cette conformité par le fait que « le développement (de ce type de transport) limite d'autres modes de transport qui émettent beaucoup de dioxyde de carbone » et qu'il « maximise l'efficacité de l'utilisation des carburants et génère des rejets de dioxyde de carbone par kilomètre passagers très faibles » . Le déploiement du transport public routier en commun de voyageurs s'inscrit donc pleinement dans l'objectif de lutte contre le changement climatique.

Le Commentaire aux cahiers juge également recevable l'exonération des activités de déshydratation de luzerne, au motif que les entreprises concernées « appliquent des accords volontaires de réduction de gaz à effet de serre permettant d'atteindre des objectifs environnementaux équivalents ou d'accroître leur rendement énergétique » . Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, ces accords présentent deux composantes principales, consistant :

1) à réduire les consommations d'énergies fossiles de 10 % par tonne de produits sur l'ensemble de la période d'engagement 2008-2012 et par rapport à 2006 ;

2) à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'origine fossile de 12 % par tonne de produits sur l'ensemble de la période d'engagement 2008-2012 et par rapport à 2006.

Le non-respect de ces engagements est diversement sanctionné. Si la réduction des émissions est inférieure à 10 % et/ou la réduction des consommations d'énergie inférieure à 8 %, l'accord prévoit la rédaction d'un rapport motivant la non-réalisation des objectifs et la mise en place d'un audit thermique identifiant les mesures correctrices à mettre en place à l'avenir. Si la réduction des émissions est comprise entre 10 % et 12 % et/ou la réduction des consommations d'énergie comprise entre 8 % et 10 %, l'engagement est considéré comme respecté sous réserve de la production d'un rapport expliquant la non-atteinte de l'objectif de 12 %.

(2) Les exemptions invalidées : industries sous quotas et activités assimilées

L'exemption des industries sous quotas est, quant à elle, clairement inconstitutionnelle , et se situe au centre du raisonnement développé par le Conseil. En effet, l'existence de quotas d'émissions ne suffit pas à dispenser des industries du paiement de la contribution carbone, dans la mesure où ces quotas sont aujourd'hui alloués gratuitement . A fortiori , le même raisonnement peut être fait pour les entreprises chimiques intensives en énergie qui, sans même être assujetties aux quotas puisqu'elles n'ont vocation à rejoindre le SCEQE qu'à compter de 2013, bénéficiaient pourtant d'une exonération totale.

Reste toutefois en suspens la question de l'exonération octroyée aux « petites installations » (papier, céramique, tuiles, briques), qui ne sont autorisées à se soustraire aux quotas qu'en faisant la démonstration qu'elles sont soumises à des mesures leur permettant d'atteindre des réductions d'émissions équivalentes . Cette notion de « mesure d'effet équivalent », bien qu'elle n'ait encore fait l'objet d'aucune mise en oeuvre concrète en France, doit-elle être considérée comme mettant à contribution les secteurs intéressés et, partant, comme justifiant une exonération de contribution carbone ?

Cette question est d'autant plus complexe à trancher si l'on rapproche la situation des industries sous quotas et « assimilées » de celle des déshydrateurs de luzerne. Dans le cas des premières, l'existence de quotas obligatoires, à respecter à peine d'amende, ne semble pas suffire à les exonérer de contribution carbone. En revanche, les accords volontaires souscrits par les secondes paraissent constituer un motif valable d'exonération.

(3) Les mises hors champ et exonérations inspirées du droit communautaire

La question des « mises hors champ » et exonérations tirées de la directive 2003/96/CE précitée est également délicate à traiter. Ces mesures résultaient en partie d'une volonté de clarté et de simplicité. En effet, dans la mesure où la contribution carbone était conçue comme une taxe additionnelle aux accises énergétiques existantes, les mises hors champ et exonérations prévues pour lesdites accises avaient été purement et simplement transposées à la contribution carbone.

La décision du Conseil constitutionnel démontre toutefois que l'existence de dispositions communautaires ne saurait, à elle seule, justifier l'octroi de taux réduits ou d'exonérations dans le cadre de la législation nationale . Le législateur est, dans ces conditions, placé devant l'alternative suivante :

1) asseoir la contribution carbone sur un fondement juridique communautaire autre que la directive « énergie » ;

2) conserver à la contribution carbone sa vocation d'accise, tout en faisant prévaloir la jurisprudence constitutionnelle sur le droit communautaire, mais cette fois au risque de susciter un recours en manquement de la part de la Commission à l'encontre des dispositions de la loi nationale, conformes à la Constitution mais contraires à la directive.

(4) Les biocarburants

Il serait enfin hasardeux de se prononcer sur la conformité à la Constitution de la compensation totale en faveur des biocarburants , censurée d'office et par coordination avec la censure de la contribution carbone, mais dont le Conseil ne dit rien sur le fond.

En effet, si les biocarburants de première génération, analysés sur l'ensemble de leur cycle de vie , permettent des économies de CO 2 par rapport aux carburants fossiles, leur bilan carbone à la combustion n'est toutefois pas meilleur que celui de l'essence et du gazole. Il n'est donc pas certain qu'une compensation de contribution carbone serait jugée recevable sur le fondement de la participation des biocarburants à l'objectif de lutte contre le changement climatique. Il n'est pas davantage assuré que leur exemption puisse être motivée par la nécessaire sauvegarde de la compétitivité du secteur, dont on pourrait considérer qu'elle est déjà garantie par les tarifs réduits de taxe intérieure de consommation dont ils bénéficient en application de l'article 265 bis A du code des douanes.

* 18 On relève néanmoins que le commentaire ne cite pas, au titre des dérogations considérées comme justifiées, le taux réduit dont bénéficie, à l'initiative de votre commission des finances, le transport fluvial de marchandises. Il est toutefois vraisemblable que cette mesure, tant en raison de son caractère partiel que de ses justifications en termes de compétitivité et de développement durable, soit à inscrire au titre des atténuations de contribution dont la constitutionnalité n'est pas douteuse.

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