B. QUE FAIRE... ET QUAND LE FAIRE ?

La réflexion sur les modalités d'assujettissement des entreprises sous quotas achoppe immédiatement sur un dilemme entre constitutionnalité et optimum économique . Toute contrainte carbone supplémentaire pour les installations soumises au SCEQE revient en effet à s'éloigner de cet optimum, alors même qu'elle est une condition nécessaire pour que le dispositif global de contribution carbone soit jugé conforme à la Constitution.

1. Comment respecter la Constitution en s'éloignant le moins possible de l'optimum économique ?

a) La gratuité de l'allocation n'emporte pas la gratuité des quotas

Ainsi que l'a déjà indiqué votre rapporteur spécial, taxe et quotas constituent deux mécanismes d'effets équivalents pour inciter les agents économiques à réduire leurs émissions.

En effet, selon Dominique Bureau et Patrick Criqui : « en première approximation, c'est-à-dire notamment en l'absence d'incertitude, l'approche fiscale et celle des marchés sont équivalentes . A niveau de protection donnée, elles conduisent en effet au même signal-prix, et orientent à l'identique les comportements, conduisant de ce fait aux mêmes actions de réduction » 30 ( * ) .

Taxe et quotas

Une première solution pour « internaliser » le coût des émissions de gaz à effet de serre consiste, comme l'ont envisagé les économistes Allyn Young, James Meade et surtout Arthur Cecil Pigou, à taxer celui qui est à l'origine de la pollution, afin que ce dernier diminue son émission. Selon l'approche coûts/efficacité, le taux de la taxe doit alors être fixé au niveau où le coût marginal de réduction d'une quantité donnée de pollution est égal au coût marginal des effets négatifs de cette pollution . En effet, si le taux de la taxe est inférieur à ce montant, le niveau de pollution sera excessif et, à l'inverse, si le taux de la taxe est supérieur, la production ou la consommation du bien ou du service sera réduite en dessous de son niveau souhaitable.

Une seconde solution, développée par les économistes Ronald Coase et John Dales, consiste à mettre en place un marché d'échange de quotas selon le principe du « cap and trade » . Dans ce cas, l'Etat fixe une quantité maximale de pollution et attribue aux entreprises des permis d'émission. Ces permis sont négociables, chaque entreprise pouvant vendre ses quotas à une autre entreprise. Ainsi, dans ce cadre, le signal-prix n'est plus fixé par l'Etat, mais résulte de la confrontation de l'offre et de la demande sur le marché . Les entreprises qui ont réduit leur pollution parce que les coûts liés à cette dépollution étaient inférieurs au prix des quotas - en règle générale les plus innovantes -, vont vendre leurs droits à polluer aux entreprises - en règle générale celles qui disposent d'une technologie ancienne - qui n'ont pas réduit la leur, parce que le coût de cette réduction aurait été jugé trop élevé.

Source : rapport d'information de Mme Fabienne Keller « En attendant la taxe carbone - Enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 » (n° 543 - 2008-2009).

L'équilibre économique que permettent d'atteindre la taxe et les quotas est néanmoins obtenu par le recours à deux types de contrainte différents.

Selon Jean-Pierre Landau, la « fiscalité permet de plafonner - au niveau de la taxe - le coût marginal d'abattement supporté par les entreprises. Mais elle introduit une incertitude sur le résultat environnemental (niveau final de pollution par exemple). Par contraste, dans le cas d'un marché de permis d'émission, l'enveloppe de quotas initialement allouée détermine le plafond global d'émission de polluant et in fine le degré de contrainte quantitative qui pèsera sur les agents. Il laisse en revanche au marché le soin de déterminer ex post le prix d'équilibre du quota, donc de révéler les coûts d'abattement des acteurs. Dans ce cas, c'est donc le prix des quotas et le coût de réduction des atteintes à l'environnement que l'on ne connaît pas a priori » 31 ( * ) . La taxe constitue ainsi un « instrument-prix », alors que le marché d'échange de quotas est un « instrument-quantité ».

Il doit, ensuite, être clairement posé que la gratuité de l'allocation des quotas n'équivaut pas à la gratuité des quotas eux-mêmes. Selon M. Jean-Michel Charpin, il est en effet peu compréhensible de qualifier les quotas de « gratuits », « alors même qu'ils s'échangent tous les jours sur un marché et pour une valeur de l'ordre de 15 euros la tonne . On pourrait faire une analogie avec l'ensemble des terrains disponibles sur le territoire national. La plupart sont acquis par héritage et ne coûtent donc rien aux personnes qui en disposent ; cela n'empêche aucunement le marché des terrains de fonctionner comme un marché normal. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que le prix des terrains est égal à zéro, parce que la plupart de ces terrains ont été acquis par héritage. Le fait que les quotas aient été distribués gratuitement ne change absolument rien au fait qu'ils ne sont pas gratuits, qu'ils ont un prix, et que cela crée des effets incitatifs qui sont exactement de même nature que les effets incitatifs d'une taxe carbone » 32 ( * ) .

De fait, le SCEQE organise une rareté du facteur de production qu'est le carbone, rareté qui découle du plafond total de quotas alloués et se matérialise dans le prix qui se forme sur le marché. Cette rareté implique un coût pour l'entreprise, qui peut être direct , lorsqu'il est nécessaire d'acheter des quotas manquants, ou d'opportunité , ce dernier coût étant égal à la valeur de revente des quotas sur le marché. En définitive, la gratuité de l'allocation des quotas ne constitue qu'un mode particulier de redistribution de la rente créée par la contrainte carbone. Au lieu d'accaparer cette rente en faisant payer les quotas, l'Etat la restitue aux entreprises par le biais d'une allocation gratuite , selon une logique en tous points comparable à celle qui a prévalu pour la contribution carbone des ménages 33 ( * ) .

* 30 Dominique Bureau, Patrick Criqui, « Ecotaxes et quotas d'émissions échangeables CO 2 », fiche n° 6 pour le Conseil économique pour le développement durable, 2009.

* 31 Groupe de travail présidé par Jean-Pierre Landau, « Les instruments économiques du développement durable », 2006.

* 32 Tables rondes de la commission des finances du 17 février 2010.

* 33 En termes plus « intuitifs », l'ensemble de ces raisonnements est illustré à la fois par le prix du carbone formé sur le marché, mais aussi par les investissements consentis par les agents économiques pour éviter d'avoir à payer ce prix. Pour mémoire, les statistiques des services de l'INSEE et de la Direction générale des douanes et des droits indirects relatives aux investissements consacrés à la maîtrise des émissions industrielles font apparaître un montant de facturation de 1,351 milliard d'euros en 2008 pour les équipements concourant à la réduction de ces émissions.

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