c) Pour une approche à la fois individuelle et collective de la pénibilité, associant compensation et réparation

La pénibilité est un sujet complexe et épineux du débat social car elle joue sur trois qui requièrent la mise en oeuvre de politiques publiques différentes :

- une politique de prévention destinée à lutter contre le mal-être au travail et qui appelle des mesures d'amélioration des conditions de travail, d'encouragement de la formation professionnelle tout au long de la vie et de réaménagement de l'organisation des tâches au sein des entreprises ;

- une politique de prise en charge des déficiences en santé qui nécessite une politique de santé au travail ;

- une politique de prise en compte de la pénibilité par le système de retraite via des dispositifs de compensation et/ou réparation.

La problématique de la pénibilité ne relève donc pas prioritairement des retraites, mais des conditions de travail et de l'organisation de celui-ci , donc des partenaires sociaux et non des régimes d'assurance vieillesse. Il faut d'ailleurs souligner qu'aucun pays étranger n'a intégré la pénibilité dans son système de retraite.

Toutefois, sachant que les politiques de prévention et de santé au travail ne pourront produire des effets qu'à moyen et long terme, il est justifié que la pénibilité soit, à court terme, prise en compte dans la définition des règles relatives au bénéfice des pensions de retraite afin d'apporter une réponse aux personnes d'ores et déjà exposées à des facteurs de pénibilité (ce que l'on appelle familièrement le « stock »).

Sur ce sujet, la Mecss a jugé très pertinente l'analyse du statisticien et ergonome Serge Volkoff 68 ( * ) , laquelle repose d'abord sur l'idée que la prise en compte de la pénibilité doit combiner une approche à la fois individuelle et collective .

En effet, ce n'est pas l'appartenance à un métier qui compte, mais les conditions de travail vécues par chaque individu. Tous les travailleurs, y compris ceux exerçant la même activité, n'ont pas un parcours professionnel identique. Cependant, il faut reconnaître que cette approche individuelle est difficile à organiser sur le plan institutionnel. C'est pourquoi, il conviendrait, dans un premier temps, de définir des critères de pénibilité au niveau interprofessionnel puis, dans un second temps, de les décliner par branche .

Un système à trois niveaux pourrait alors être proposé :

- le premier identifierait les individus qui ne peuvent en aucun cas avoir droit à réparation au titre de la pénibilité ;

- le troisième déterminerait les métiers qui sont intrinsèquement pénibles ;

- le niveau intermédiaire conjuguerait une dimension à la fois individuelle et collective : une commission départementale assistée d'experts serait chargée d'étudier les dossiers individuels pour identifier ceux qui justifient des mesures particulières de prise en charge.

Cette commission n'examinerait pas seulement les dossiers des travailleurs présentant déjà une altération irréversible de leur santé du fait de l'exercice de travaux pénibles, mais aussi ceux des travailleurs estimant avoir été exposés, au cours de leur carrière, à des facteurs de pénibilité potentiellement invalidants ou pathogènes à long terme.

La prise en compte de la pénibilité doit ensuite associer compensation et réparation, ce qui permettrait de traiter à la fois le stock et le flux.

L'évaluation en fin de vie active de la pénibilité subie au cours de la carrière professionnelle pourrait ainsi faire l'objet d'une réparation , par exemple, sous la forme d'une possibilité de cessation anticipée d'activité. Étant donné que la pénibilité au travail résulte d'un cumul de facteurs subis tout au long d'une carrière professionnelle, une telle démarche suppose toutefois de mettre en place une traçabilité dans le temps des expositions diverses à ces facteurs subies par chaque travailleur. Certains partenaires sociaux 69 ( * ) plaident pour la création d'un « curriculum laboris » , c'est-à-dire un relevé sur lequel seraient signalés les facteurs de pénibilité auxquels a été exposé chaque travailleur au cours de sa vie professionnelle. Si, comme l'indique le député Jean-Frédéric Poisson dans son rapport sur la pénibilité 70 ( * ) , cette proposition est intéressante, elle présente toutefois de nombreuses difficultés sur le plan de la mise en oeuvre pratique 71 ( * ) .

Parallèlement, l'analyse en temps réel des situations de travail pénible pourrait donner lieu à une compensation destinée aux travailleurs concernés. Différentes options sont alors possibles : bonifications de droits à pension, rémunérations supplémentaires...

*

* *

La problématique de la pénibilité pose celle, plus globale, du rapport au travail dans les sociétés contemporaines. Alors que les Français sont, parmi les Européens, ceux qui attachent le plus d'importance à la valeur travail, ils sont les premiers à estimer que le travail est source de souffrance . Dès lors que le travail n'est plus facteur de satisfactions et est vécu comme pénible, l'aspiration à partir le plus tôt possible à la retraite est très forte (58 % des Français déclarent vouloir partir le plus rapidement possible à la retraite). Inverser cette tendance suppose de réfléchir aux moyens susceptibles de redonner du sens au travail et de construire un « bien-être » au travail . C'est ce à quoi s'emploie la mission d'information sur le mal-être au travail créée au sein de la commission des affaires sociales du Sénat, dont le rapport sera rendu public au début de l'été prochain.

* 68 Audition de Serge Volkoff, directeur de recherches au Centre d'études de l'emploi, directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations. Cf. Tome II, p. 182.

* 69 En particulier la CFE-CGC. D'autres syndicats, comme la CFDT, proposent la création d'un « carnet de santé au travail ».

* 70 « Prévenir et compenser la pénibilité », rapport d'information de Jean-Frédéric Poisson fait au nom de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, juin 2008.

* 71 Le curriculum laboris devra notamment résoudre les difficultés suivantes : la détermination d'un délai à compter duquel les employeurs auront l'obligation de renseigner le document, la prise en compte des emplois occupés à l'étranger, la définition d'une procédure de rectification a posteriori, la détermination du rôle des régimes d'assurance vieillesse par rapport aux employeurs dans l'exploitation des données, etc.

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