Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de MM. Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG , fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 mai 2010

Synthèse du rapport (255 Koctets)

Disponible au format Acrobat (692 Koctets)

N° 499

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par le groupe de travail (2) sur l' action de groupe ,

Par MM. Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

(2) Ce groupe de travail est composé de : MM. Laurent Béteille et Richard Yung, co-rapporteurs.

LES 27 RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L'ACTION DE GROUPE

1. Le champ d'application de la procédure d'action de groupe

Recommandation n° 1 - Dans un premier temps, ouvrir le recours à la procédure d'action de groupe, en le limitant aux litiges contractuels de consommation au sens large, incluant ceux qui trouvent leur origine dans une infractions aux règles de la concurrence, ainsi qu'à certains manquements aux règles du droit financier et boursier.

Recommandation n° 2 - Recourir aux principes généraux de la responsabilité civile relatifs à la détermination des victimes indemnisables, au fait générateur, au lien de causalité ou à la réparation intégrale du préjudice.

Recommandation n° 3 - Limiter le recours à la procédure d'action de groupe aux seuls dommages matériels , sans plafonner leur montant.

Recommandation n° 4 - Réserver la procédure d'action de groupe aux actions relevant de la compétence du juge judiciaire .

Recommandation n° 5 - Prévoir une évaluation du dispositif trois ans après son entrée en vigueur pour déterminer le périmètre pertinent du champ d'application de l'action de groupe.

2. L'introduction de l'instance

Recommandation n° 6 - Donner aux seules associations de défense des consommateurs ou des investisseurs auxquelles aura été délivré un agrément renforcé , la compétence pour introduire une action de groupe et la conduire jusqu'à son terme.

Recommandation n° 7 - Lorsque plusieurs associations introduisent plusieurs actions de groupe visant les mêmes fait, regrouper l'action devant une même juridiction et imposer aux associations de désigner, par commun accord, l'une d'entre elles « chef de file » pour l'accomplissement des actes procéduraux et pour mener la médiation éventuelle. À défaut, le juge pourrait désigner l'association chef de file.

Recommandation n° 8 - Faire relever les actions de groupe de la compétence d'un nombre limité de tribunaux de grande instance spécialisés .

3. Le schéma procédural retenu

Recommandation n° 9 - Organiser l'action de groupe selon deux phases distinctes :

- la première permettrait à une association agréée de présenter au juge un nombre limité de cas exemplaires dans lesquels des consommateurs ou des investisseurs sont victimes de préjudices analogues trouvant leur origine dans le même manquement d'un professionnel à ses obligations, afin que le juge statue sur le principe de sa responsabilité ;

- la seconde permettrait au juge, après constitution du groupe des victimes, de statuer sur l' indemnisation versée à ses membres.

Recommandation n° 10 - Sauf pour les points faisant l'objet des recommandations qui suivent, appliquer les règles procédurales de droit commun.

4. La phase d'examen de la responsabilité du professionnel

Recommandation n° 11 - Prévoir que l'association agréée ne soumette au juge qu'un nombre limité de cas exemplaires qui définiraient, au regard des préjudices qu'ils visent et des faits reprochés, les limites du groupe possible des plaignants.

Recommandation n° 12 - Prévoir que les personnes susceptibles d'avoir subi le dommage visé par l'action de groupe bénéficient de la suspension de la prescription sur leur action individuelle jusqu'à ce que la décision statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause devienne définitive.

Recommandation n° 13 - Prévoir que le juge se prononce, à l'issue du procès, sur la responsabilité de l'entreprise par un jugement déclaratoire de responsabilité.

Recommandation n° 14 - Ne permettre le passage à la seconde phase de l'action de groupe qu'une fois les voies de recours éventuelles expirées et le jugement déclaratoire de responsabilité passé en force de chose jugée.

5. La constitution du groupe des plaignants

Recommandation n° 15 - Prévoir que le juge définisse dans la décision déclaratoire de responsabilité, les critères de rattachement au groupe , ou le cas échéant, à des sous-groupes, des personnes lésées. Lors de la réception des demandes d'intégration au groupe, le juge s'assurera de leur recevabilité au regard de ces critères.

Recommandation n° 16 - Charger le juge d'organiser, dans la même décision qui prononce le jugement déclaratoire de responsabilité, les modalités de publicité applicables pour la constitution du groupe de victimes et en imputer la charge au professionnel responsable.

Recommandation n° 17 - Laisser au juge le soin de définir, en fonction de l'espèce, les modalités de publicité pertinentes , sans fixer, dans la loi, les moyens auxquels il peut être recouru.

Recommandation n° 18 - Poser le principe d'une adhésion volontaire au groupe (opt in) .

6. La phase d'indemnisation

Recommandation n° 19 - Favoriser la médiation dans le cadre de l'action de groupe sans en faire cependant un préalable en prévoyant :

- que le juge puisse désigner un médiateur ou proposer aux parties une médiation ;

- que le groupe soit représenté dans toute médiation par l'association agréée chef de file ;

- lorsqu'une médiation est organisée après que le principe de la responsabilité de l'entreprise a été retenu, que l'accord négocié auquel elle aboutit fasse l'objet d'une homologation par le juge, qui s'assure qu'il préserve les intérêts de l'ensemble des membres du groupe.

Recommandation n° 20 - Permettre au juge de définir, lorsque la nature du préjudice s'y prête, dans sa décision relative à l'indemnisation, les critères permettant de la liquider à partir d'un schéma d'indemnisation.

Recommandation n° 21 - Prévoir que le jugement d'indemnisation vaille titre exécutoire pour chacun des membres du groupe, sauf lorsque l'entreprise conteste au cas par cas l'intégration de la personne concernée au groupe ou la liquidation retenue à son profit, en lui opposant par exemple sa propre faute.

Recommandation n° 22 - Autoriser le juge à fixer dans sa décision les conditions dans lesquelles la personne lésée pourra obtenir le paiement par le professionnel des sommes qui lui sont dues.

Recommandation n° 23 - Permettre explicitement au juge d'accepter la proposition faite par le professionnel d'une réparation en nature, lorsque celle-ci s'avère la plus adaptée ou la plus efficiente.

Recommandation n° 24 - Maintenir l'interdiction de prononcer des dommages-intérêts punitifs.

7. Autres dispositions

Recommandation n° 25 - Prévoir qu'en cas d'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'évaluation retenue tienne compte de la réalité du travail fourni par l'association et son conseil juridique.

Recommandation n° 26 - Conserver les règles déontologiques actuelles en matière de rémunération des avocats intervenant dans une action de groupe.

Recommandation n° 27 - Dans le domaine de la concurrence et du droit boursier et financier :

- faire intervenir à la procédure devant le juge l'autorité régulatrice concernée, en qualité d' amicus curiae , lorsque cette autorité n'est pas saisie d'une action contre l'auteur du manquement allégué ;

- imposer au juge de l'action de groupe, saisi d'une demande concernant une pratique faisant l'objet d'une procédure devant une autorité de régulation, de sursoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de cette autorité ou, en cas d'appel contre cette décision, dans l'attente de la décision définitive de la juridiction compétente pour examiner la légalité de cette décision administrative. Une fois la décision devenue définitive, le juge saisi de l'action de groupe statuerait eu égard à cette décision, qui ne le lierait pas formellement juridiquement, mais dont il est peu probable qu'il s'écartera en pratique.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Longtemps la France a fait figure de modèle en Europe pour la protection apportée au consommateur. La loi d'orientation pour le commerce et l'artisanat du 27 décembre 1973, plus connue sous le nom de « loi Royer », a posé les bases d'une législation adaptée aux enjeux de la société de consommation alors émergente. L'édifice juridique constitué au fil des années a trouvé sa consécration dans le code de la consommation institué par la loi du 26 juillet 1993, aux termes de longs travaux préparatoires.

Dix ans plus tard, le bilan dressé par M. Luc Chatel dans son rapport au premier ministre sur l'information, la représentation et la protection du consommateur1 ( * ), souligne les points forts du système français : un dispositif juridique efficace, qui allie un droit protecteur et cohérent, une régulation publique étendue et un système judiciaire qui offre toutes les garanties nécessaires ; une réelle capacité d'expertise de tous les acteurs impliqués ; et une solide culture de la concertation.

Cependant, dans le même temps, le rapport retient comme une des cinq faiblesses du système français, le fait que les modes de réparation des dommages ne soient pas suffisamment satisfaisants pour les consommateurs 2 ( * ) .

Ceci renvoie à l'un des paradoxes du champ de la consommation : alors que les dommages y présentent un caractère de masse, puisqu'ils se répètent à l'identique pour tous les consommateurs placés dans la même situation et qu'ils trouvent leur origine dans le même manquement du professionnel à ses obligations, ils ne font pas l'objet d'une indemnisation en conséquence.

En effet, bien que chaque consommateur lésé dispose d'une action individuelle pour obtenir la réparation de son dommage, il est dissuadé d'agir parce que le gain n'en vaut pas les inconvénients ou que, seul, il ne parviendra pas à prouver la responsabilité de l'entreprise. En l'absence d'un mode collectif de règlement du litige, le dommage subi n'est pas réparé et la faute civile du professionnel pas sanctionnée.

Pour apporter un remède à cette lacune dans la protection du consommateur, le rapport précité préconise la création d'une procédure de recours collectif soigneusement encadrée. Ce faisant, il reprend une proposition déjà formulée en 1990 par M. le professeur Jean Calais-Auloy 3 ( * ), visant à l'instauration en France d'un mécanisme d'« action de groupe », plus connue aux États-Unis sous le nom de « class action ».

Cette procédure, susceptible de recouvrir des réalités très différentes, correspond à une action de procédure civile permettant à un ou plusieurs requérants d'exercer, au nom d'une catégorie de personnes (classe ou groupe), une action en justice 4 ( * ) : elle permet une mutualisation des moyens et une économie des coûts procéduraux, qui la rendent attractive quand les actions individuelles ne le sont pas.

Cependant une telle procédure n'est pas sans soulever de nombreuses inquiétudes, alimentées par l'exemple des dérives auxquelles le modèle américain de la « class action » donne lieu. De tels excès, qui ne profitent guère aux consommateurs, pourraient s'avérer dangereux pour la compétitivité des entreprises.

Deux préoccupations légitimes se font ainsi face : d'une part la crainte des dérives de l'action de groupe et de leur impact négatif sur l'économie, d'autre part la volonté d'apporter au consommateur victime la réparation à laquelle il a droit et dont il est de fait privé.

Ces deux considérations alimentent un débat très nourri sur l'opportunité de créer ou non en France une procédure d'action de groupe. Plusieurs rapports ont été publiés sur le sujet et de nombreuses propositions ont été formulées en ce sens. Le 1er février 2006, la commission des lois du Sénat a conduit un cycle d'audition sur le thème des « class actions », au cours duquel elle a entendu les représentants des associations de consommateurs agréées, des entreprises ainsi que des professions judiciaires 5 ( * ) .

Les initiatives engagées à l'époque n'ayant pas abouti, le débat a été récemment relancé par M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, qui s'est prononcé, au cours des assises de la consommation du 26 octobre 2009, pour, dans certains cas, « la mise en place d'une action de groupe à la française, précisément encadrée pour éviter les dérives à l'américaine ».

Souhaitant prendre toute sa part dans la réflexion engagée au plan national et européen, la commission des lois du Sénat a décidé de constituer, en octobre 2009, un groupe de travail sur le sujet, afin d'examiner l'opportunité de la mise en place d'une action de groupe en droit français.

Composé de deux co-rapporteurs, l'un membre du groupe de l'union pour un mouvement populaire, l'autre du groupe socialiste, le groupe de travail de votre commission des lois a procédé à une trentaine d'auditions, ouvertes à l'ensemble des sénateurs de la commission. Compte tenu de la dimension européenne du sujet, il a effectué un déplacement à Bruxelles auprès des institutions communautaires et de la représentation permanente de la France.

Ces auditions ont permis à vos rapporteurs d'entendre ou de recueillir les contributions écrites de représentants de l'ensemble des acteurs concernés, qu'il s'agisse des consommateurs et de leurs associations, des professionnels et des entreprises, des professions judiciaires, des milieux universitaires ou des administrations et des autorités de régulation...

Elles les ont convaincus de l'intérêt qui s'attache à la création d'une procédure d'action de groupe dans le champ de la consommation et dans certains domaines connexes, afin d'apporter une juste indemnisation aux préjudices aujourd'hui non réparés faute d'une voie de droit adaptée.

Dans le même temps, vos rapporteurs ont pris toute la mesure des inquiétudes que suscite une telle procédure et du danger qu'elle pourrait représenter si elle n'était pas suffisamment encadrée. Cependant, ils jugent possible de répondre à ces craintes en assortissant la procédure envisagée de garde-fous adaptés et en tirant parti des principes procéduraux français qui constituent la meilleure garantie contre les dérives dénoncées.

Après avoir évoqué les raisons qui les conduisent à recommander la mise en place d'une action de groupe à la française, ils détailleront, à travers vingt-sept recommandations, les principes auxquels doit répondre la procédure envisagée pour concilier à la fois le souci d'offrir aux personnes lésées une voie de droit efficace et sûre pour obtenir réparation de leur dommage, et l'exigence de la préservation des droits et des intérêts des professionnels.

I. LES RAISONS D'INTRODUIRE L'ACTION DE GROUPE DANS LE DROIT FRANÇAIS

A. LA NÉCESSITÉ D'APPORTER UNE RÉPONSE À UNE INSUFFISANCE DU DROIT FRANÇAIS

1. L'absence d'une réelle procédure d'action collective en droit français

a) Des actions exercées par les associations dans l'intérêt collectif des consommateurs

Plusieurs formes d'actions dans l'intérêt collectif des consommateurs, nées à partir du début des années 1970 et actuellement définies aux articles L. 421-1 à L. 421-7 du code de la consommation, peuvent être mises en oeuvre par les dix-huit associations nationales agréées de consommateurs.

En premier lieu, l'article L. 421-1 autorise les associations de défense des intérêts des consommateurs agréées à exercer les droits reconnus à la partie civile en cas de préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs. Sont seuls concernés les faits constitutifs d'une infraction pénale portant atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs. Cette action peut donc s'exercer devant la juridiction pénale à l'encontre, par exemple, d'un professionnel responsable de faits de tromperie ou de fraude.

Selon l'article L. 421-2, cette action peut être assortie de la demande de cessation de pratiques illicites ou de suppression de clauses illicites dans des contrats entre professionnels et consommateurs. Ainsi saisi, le juge peut, selon les articles L. 421-3 à L. 421-5, enjoindre, éventuellement sous astreinte, le professionnel concerné de mettre un terme à ses agissements illicites ou de supprimer les clauses illicites.

En deuxième lieu, indépendamment de faits constitutifs d'infractions, l'article L. 421-6 autorise les associations de défense des intérêts des consommateurs agréées à agir devant la juridiction civile pour demander, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite, mais également d'une clause abusive 6 ( * ) , dans les contrats proposés aux consommateurs 7 ( * ) . Cette action correspond à celle de l'article L. 421-2, sans que soit nécessaire la constatation de l'existence d'une infraction. Deux voies sont ainsi offertes aux associations pour obtenir la suppression des clauses illicites dans les contrats, mais cette seconde voie ne peut aboutir à des sanctions pénales.

En troisième lieu, l'article L. 421-7 ajoute que les associations de défense des intérêts des consommateurs agréées, dans le cadre d'une action en réparation d'un préjudice engagée par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d'une infraction pénale, sont autorisées à intervenir devant la juridiction civile aux fins de demander la cessation de pratiques illicites ou la suppression de clauses illicites.

Ces dispositions variées et complémentaires, si elles permettent bien de faire cesser des pratiques illicites ou abusives et ainsi bénéficient à l'ensemble des consommateurs pour l'avenir, ne permettent pas d'obtenir la réparation de la somme des préjudices subis réellement et individuellement par les consommateurs. Le préjudice dont il est demandé réparation est celui causé à l'intérêt collectif des consommateurs. Dès lors, les dommages et intérêts sont attribués par le juge à l'association ayant introduit l'action.

Concernant la protection de l'intérêt collectif des consommateurs, il convient enfin de rappeler le rôle de la commission des clauses abusives, tel qu'il résulte des articles L. 132-2 à L. 132-5 du code de la consommation. Cette autorité administrative indépendante, créée en 1978 et placée auprès du ministre chargé de la consommation, est chargée d'examiner si les modèles de conventions entre les professionnels et les consommateurs comportent des clauses abusives. À ce titre, elle émet des recommandations, plusieurs chaque année, ayant pour objet de demander la modification ou la suppression de telles clauses, mais également de proposer des modifications législatives ou réglementaires appropriées. Elle peut être saisie par le ministre chargé de la consommation, par une association agréée de consommateurs ou par les professionnels concernés, mais surtout elle peut se saisir d'office.

Hors du droit de la consommation, d'autres dispositions particulières permettent à des associations l'exercice d'actions en réparation pour le compte d'une pluralité de victimes. Tel est le cas, en particulier, des actions exercées par les associations agréées de protection de l'environnement 8 ( * ) , les associations de santé agréées 9 ( * ) ou les associations de défense des investisseurs 10 ( * ) .

b) L'échec de l'action en représentation conjointe

La loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs a institué, aux articles L. 422-1 à L. 422-3 du code de la consommation, l'action en représentation conjointe. Celle-ci permet à une association agréée de consommateurs représentative au plan national d'agir en réparation pour le compte de consommateurs nommément identifiés qui lui confient expressément mandat de les représenter. Il s'agit donc bien de la réparation, obtenue collectivement, de préjudices individuels 11 ( * ) . L'action en représentation conjointe est la forme d'action la plus proche, en droit français, de l'action de groupe.

Deux consommateurs au moins ayant subi des préjudices du fait du même professionnel et provenant d'une origine commune peuvent donner mandat à l'association, par écrit, d'agir en réparation en leur nom devant toute juridiction, c'est-à-dire civile, pénale ou administrative. L'association ne peut solliciter des mandats par voie de publicité, d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée, ce qui limite drastiquement sa capacité à rassembler un nombre significatif de consommateurs. L'avis de notre ancien collègue Lucien Lanier, établi en 1991 au nom de la commission des lois sur le projet de loi renforçant la protection des consommateurs 12 ( * ) , incitait justement à la prudence en matière de publicité, estimant que devait « être prohibée la pratique qui consisterait pour une association de consommateurs à mettre en cause de manière ciblée une entreprise, notamment par la voie d'une campagne de presse appelant des consommateurs à lui confier un mandat pour les représenter en justice ». Si l'on peut comprendre cette prudence à l'époque compte tenu des incertitudes quant à l'usage de ce nouveau type de procédure, prohiber toute publicité constituait toutefois un frein évident à l'efficacité de l'action en représentation conjointe. En tout état de cause, un des principes de l'action de groupe réside justement dans la publicité qui permet aux consommateurs lésé concernés de se joindre à l'action.

De plus, l'action en représentation conjointe ne bénéficie qu'aux consommateurs qui ont donné mandat à l'association en vue de son lancement. La réparation du préjudice ne concerne donc que les consommateurs ayant donné mandat, ce qui signifie qu'il faut préalablement identifier les consommateurs lésés, sans recourir à une quelconque forme de publicité, et que d'autres consommateurs pouvant faire état d'un préjudice identique ne peuvent ultérieurement se joindre pour obtenir réparation. Les dommages et intérêts sont versés aux seuls mandants.

L'article R. 422-2 prévoit que l'association peut renoncer au mandat lorsque le consommateur ne contribue pas suffisamment à l'organisation de l'action, tandis que l'article R. 422-5 ajoute que le mandat peut être révoqué.

Conçue de façon restrictive comme un succédané à l'introduction de l'action de groupe en droit français, l'action en représentation conjointe constitue bien une modalité d'action collective des consommateurs en vue de la réparation d'un préjudice sériel. Le rapport de notre regretté collègue Jean-Jacques Robert établi au nom la commission des affaires économiques 13 ( * ) en 1991 sur le projet de loi renforçant la protection des consommateurs adoptait une attitude de prudence, souhaitant avant tout éviter les abus de l'action collective constatés aux Etats-Unis et préconisant à cette fin un « dispositif de protection des entreprises contre les excès que pourrait favoriser cette innovation juridique ». Il avait paru prioritaire, à l'époque, de strictement encadrer l'action en représentation conjointe.

Force est de constater que l'encadrement a été tel que le dispositif n'a rencontré aucun succès. Le Conseil national de la consommation a d'ailleurs rapidement signalé les carences du dispositif et la nécessité de le faire évoluer, notamment en matière de publicité de l'action pour faciliter la collecte des mandats des consommateurs.

Depuis 1992, selon les indications fournies à vos rapporteurs, seules cinq actions en représentation conjointe ont été engagées 14 ( * ) . À l'appui de cet insuccès sont invoqués les implications de la responsabilité de l'association mandataire à l'égard des consommateurs mandants auxquels elle se substitue pour tous les actes de la procédure, la lourdeur de la gestion administrative et le coût qui en résulte pour les associations, y compris en matière d'assurance en responsabilité civile.

En outre, à l'évidence, l'action en représentation conjointe n'est guère praticable -et par conséquent peu adaptée- dans l'hypothèse de milliers de consommateurs victimes , du fait des nécessités matérielles et financières de la gestion des mandats. Dans ces conditions, il n'est pas réaliste de croire qu'une simple rénovation de l'action en représentation conjointe, par exemple en autorisant la publicité pour la sollicitation des mandats, suffirait à la rendre attractive, dès lors que le principe même du mandat paraît être l'obstacle à son développement, comme l'ont indiqué toutes les organisations de consommateurs entendues par vos rapporteurs.

Vos rapporteurs estiment néanmoins que le mérite de ce type d'action réside dans le fait qu'il s'appuie sur la reconnaissance du rôle des associations agréées en matière de protection des intérêts des consommateurs pour engager une action en faveur de consommateurs lésés individuellement en vue de la réparation de leur préjudice.

Justifiée en 1991, la prudence du législateur à l'égard de l'action collective est toujours nécessaire aujourd'hui. Elle doit néanmoins prendre en compte l'important développement du droit de la consommation en vingt ans et son intégration par les entreprises françaises, ainsi que le souci croissant de protection des consommateurs, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne, pour laquelle l'action collective peut constituer un outil utile.

2. Les conséquences dommageables de l'impossibilité pour les justiciables d'introduire une action de groupe

a) Des préjudices avérés laissés sans réparation faute d'accès effectif à la justice

L'absence d'action de groupe en droit français est souvent avancée comme empêchant de facto la réparation des préjudices de faible montant subis par les consommateurs, qui concernent des actes de la vie quotidienne, considérant qu'une action individuelle serait trop coûteuse, en raison des frais occasionnés par une procédure judiciaire, en particulier des frais d'avocat, au regard du montant attendu des dommages et intérêts. En mutualisant le coût de l'action entre tous les consommateurs lésés dans le cadre d'un préjudice de masse, l'action de groupe remédierait à cette « désincitation » à agir.

Actuellement, le consommateur se limiterait plutôt à une tentative de règlement amiable avec le professionnel concerné, sans envisager d'aller plus loin dans le cadre d'une action judiciaire. Un grand nombre de préjudices de faible montant sont ainsi susceptibles de demeurer, en pratique, sans aucune réparation, tandis que la responsabilité des professionnels concernés ne peut être réellement engagée.

À cet égard, dans sa décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982 sur la loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe selon lequel tout préjudice mérite réparation, de sorte que la suppression de toute responsabilité est contraire à la Constitution :

« Considérant que, nul n'ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer 15 ( * ) ;

« Considérant que, sans doute, en certaines matières, le législateur a institué des régimes de réparation dérogeant partiellement à ce principe, notamment en adjoignant ou en substituant à la responsabilité de l'auteur du dommage la responsabilité ou la garantie d'une autre personne physique ou morale ;

« Considérant cependant que le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes ; »

La décision du Conseil constitutionnel s'applique certes à la loi, qui organise la responsabilité, mais à l'évidence les circonstances matérielles ne sauraient conduire à l'absence de facto de tout régime réel de responsabilité.

On pourrait considérer, en quelque sorte, que les consommateurs ne disposent pas d'un droit au recours effectif pour certains petits litiges dont le montant est trop faible pour que le coût de l'action civile individuelle ne soit pas considéré comme exorbitant. La possibilité de joindre plusieurs actions individuelles soit à l'initiative des demandeurs eux-mêmes soit à celle du juge, le cas échéant avec intervention d'une association de consommateurs agréée au titre de l'article L. 421-7 du code de la consommation, ne permet guère de surmonter ces obstacles en cas de préjudice massif et de faible montant.

b) Une régulation de l'économie imparfaite, faute d'une sanction adéquate

En raison de l'absence d'intérêt financier à agir des consommateurs lésés, des comportements sources de préjudices sont susceptibles de perdurer car ils ne sont pas contestés devant les tribunaux et par conséquent ne sont pas sanctionnés. Alors que les préjudices individuels sont minimes, les bénéfices qui en résultent pour les professionnels concernés peuvent être conséquents.

Cette situation, qui n'est pas conforme au droit, nuit gravement à l'équilibre et à l'équité dans les relations économiques et commerciales entre les professionnels et les consommateurs. Elle constitue une anomalie pour le bon fonctionnement du marché et une asymétrie entre la demande et l'offre, cette dernière imposant des coûts indus et illégitimes. Elle est en outre de nature à altérer la confiance des consommateurs dans l'économie de marché.

À cet égard, dans un avis rendu en 2006 sur la possibilité l'action de groupe 16 ( * ) , le Conseil de la concurrence avait affirmé : « Nul doute que si l'on veut renforcer la confiance des consommateurs dans l'économie de marché, encore fragile et parfois vacillante en France comme le montrent certaines études récentes, il faut donner à ceux qui les représentent les moyens de pouvoir lutter eux-mêmes, par les voies juridiques les plus appropriées, contre les dérives ou les abus constatés sur les marchés et de permettre au consommateur individuel de toucher concrètement les bénéfices d'une telle politique. »

En l'absence d'actions à l'encontre de pratiques abusives causant un préjudice aux consommateurs, des coûts économiques injustifiés demeurent à la charge des consommateurs sans aucune justification, même en cas d'actions conduites dans l'intérêt collectif des consommateurs.

Des préjudices individuels réels ne sont pas réparés dès lors qu'une démarche amiable engagée par un consommateur auprès du professionnel ne donne pas de résultat. Au surplus, quelques actions individuelles isolées ne sont pas susceptibles de modifier le comportement des professionnels ou de les inciter à indemniser massivement leurs clients.

À cet égard, il est utile de rappeler les suites de la condamnation pour entente, par une décision du Conseil de la concurrence du 30 novembre 2005, des trois opérateurs français de téléphonie mobile. Les amendes infligées par le Conseil aux opérateurs se sont élevées à 534 millions d'euros. L'ampleur de ces amendes, destinées à sanctionner les infractions à la hauteur de leur gravité -de l'ordre de trente millions de personnes étaient concernées-, ne doit pas faire oublier que les consommateurs lésés n'ont pas été indemnisés. Des actions ont été engagées depuis 2006 par quelques milliers de consommateurs et l'association UFC-Que choisir, en se fondant sur la décision du Conseil de la concurrence. La Cour d'appel de Paris les a déclarées irrecevables par un arrêt du 22 janvier 2010, estimant qu'avait été entreprise une action en représentation conjointe déguisée sans en respecter les procédures ni l'interdiction de démarchage et de publicité 17 ( * ) . Cette décision judiciaire récente a relancé le débat de l'introduction de l'action de groupe en France. La Cour de cassation aura à se prononcer.

Dans les relations entre professionnels et consommateurs, l'existence de l'action de groupe aurait un effet à la fois de réparation, pour mettre fin à des pratiques abusives, et de prévention, en incitant les professionnels à veiller davantage à la qualité des offres qu'ils présentent aux consommateurs, par la simple existence de la possible menace du recours au juge en cas de pratiques massivement contestables. Cet effet préventif serait plus dissuasif que celui qui résulte aujourd'hui des différentes actions que les associations peuvent mener dans l'intérêt collectif des consommateurs, du fait du risque de condamnation au versement d'importants dommages et intérêts. L'action de groupe serait ainsi complémentaire de ces actions dans l'intérêt collectif.

À cet égard, le livre blanc d'avril 2008 de la Commission européenne sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, qui propose l'introduction d'une forme d'action collective en matière de pratiques anticoncurrentielles, fait le constat suivant :

« Une amélioration des conditions de réparation des victimes produirait donc aussi, intrinsèquement, des effets bénéfiques du point de vue de la dissuasion d'infractions futures, ainsi qu'un plus grand respect des règles de concurrence communautaires. Le maintien d'une concurrence non faussée fait partie intégrante du marché intérieur et est essentielle à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Une culture de la concurrence contribue à une meilleure allocation des ressources, une plus grande efficience économique, une innovation accrue et des prix plus bas. »

3. L'introduction d'une procédure dont la pertinence est questionnée de longue date

a) Un débat déjà ancien et régulièrement relancé

L'interrogation sur l'opportunité d'introduire la notion d'action de groupe en droit français apparaît dès le début des années 1980 dans les débats politiques comme dans les réflexions des experts du droit de la consommation, par exemple par le dépôt en 1984-1985 d'une proposition de loi à l'Assemblée nationale par M. Bernard Stasi, très rapidement retirée, puis lors des travaux sur la refonte du droit de la consommation, présidées par M. le professeur Jean Calais-Auloy, ou encore en avril 1987 par la présentation au conseil européen des ministres de la consommation d'une réflexion sur la création à l'échelon européen d'une action de groupe, pour éviter toute distorsion de concurrence entre entreprises européennes, à l'initiative de notre collègue Jean Arthuis, alors secrétaire d'État chargé de la consommation et de la concurrence.

En 1990, le rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation, également présidée par le professeur Calais-Auloy, chargée par le Premier ministre d'étudier la création d'un code de la consommation, préconisait l'introduction en droit français de l'action de groupe, accompagnée de la création d'un fonds d'aide aux consommateurs chargé d'en assurer le financement.

Plus proche de nous, en 2003, M. Luc Chatel, alors député, s'était vu confier par le Premier ministre une mission parlementaire sur l'information, la représentation et la protection des consommateurs. Son rapport remis en juillet 2003, intitulé De la conso méfiance à la conso confiance , recommandait la mise en place d'une « recours collectif soigneusement encadré », se référant notamment au système en vigueur au Québec. Le rapport estimait, d'une part, que « l'institution du recours collectif apparaît désormais comme la seule façon de garantir l'effectivité des droits des consommateurs dans certains types de litiges » et, d'autre part, qu'il était « illusoire de croire que la France pourra demeurer longtemps à l'écart d'un mouvement général qui touche de proche en proche l'ensemble de nos voisins. (...) il vaut mieux mettre en place dans la sérénité et en l'encadrant un mode d'action qui répond à des besoins réels plutôt que de prendre le risque de devoir le faire dans l'avenir sous la pression des faits, avec tous les débordements éventuels que cela pourrait entraîner. »

Par la suite, en janvier 2005, à l'occasion de ses voeux aux forces vives de la Nation, M. Jacques Chirac, Président de la République, a relancé le débat de façon significative en demandant au Gouvernement de « proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre des pratiques abusives rencontrées sur certains marchés ».

Cette demande présidentielle a donné lieu à la mise en place, par le garde des sceaux, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation, d'un groupe de travail, en avril 2005, présidé par MM. Guillaume Cerutti, alors directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau.

Composé de représentants des consommateurs, des entreprises et des praticiens du droit, ce groupe de travail ne semble pas être parvenu à émettre une position partagée sur la question qui lui était soumise, se bornant dès lors à présenter dans son rapport, remis en décembre 2005, les différentes pistes possibles d'évolution des modes de règlement des litiges de consommation, allant de l'amélioration de l'action en représentation conjointe à l'introduction de l'action de groupe. Concernant plus spécifiquement l'action de groupe, le groupe fait état de deux options possibles, tout en soulignant leurs limites et les difficultés qu'elles susciteraient : d'une part, la mise en place d'une action inspirée de la « class action » américaine et du recours collectif québécois, et d'autre part, la création d'une action en « déclaration de responsabilité pour préjudice de masse ».

La remise du rapport du groupe de travail présidé par MM. Cerutti et Guillaume a été l'occasion, pour la commission des lois du Sénat, d'organiser le 1 er février 2006 une journée d'auditions publiques sur les « class actions », afin d'informer sur les enjeux juridiques et pratiques de l'introduction d'un tel mécanisme dans notre droit, tant au regard des intérêts des consommateurs que de ceux des entreprises 18 ( * ) . Aucune position unanime ou consensuelle n'a pu se dessiner au cours de ces auditions, la ligne de partage se situant clairement entre représentants des consommateurs et des avocats, favorables à la création d'une action de groupe, et représentants des entreprises, hostiles quelle que soit la forme d'action envisagée. En outre, parmi les partisans de l'action de groupe, il n'existait pas de convergence complète sur les modalités à adopter, par exemple sur le champ d'application ou sur la qualité à agir pour introduire l'action, certains suggérant par ailleurs une mise en oeuvre expérimentale suivie d'un bilan. Le seul élément de relatif consensus était dans la préférence pour un système d'« opt in », davantage compatible avec le modèle processuel français.

Vos rapporteurs ont constaté tout au long de leurs auditions que ces nombreuses divergences demeuraient, sans réelle évolution depuis 2006.

En septembre 2006, le Conseil de la concurrence intervenait à son tour publiquement dans le débat 19 ( * ) , par un avis favorable « à ce que soient permises en France les actions de groupe des consommateurs en matière de concurrence, afin de faire de ces derniers de véritables acteurs de la politique de concurrence elle-même recentrée sur la protection de leur bien-être », en complément de ses propres missions de contrôle et de répression en tant qu'autorité de régulation, avec un encadrement approprié de l'action de groupe passant notamment par les associations de consommateurs agréées.

Dans le rapport qu'elle a remis en janvier 2008 au Président de la République, la commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de M. Jacques Attali, a préconisé à son tour, parmi ses 316 propositions, l'instauration des actions de groupe en matière de consommation et de concurrence, considérant qu'elles offraient une protection accrue des consommateurs en facilitant l'accès au droit par une réduction des coûts de procédure. Ce rapport écartait l'idée de dommages et intérêts punitifs destinés à sanctionner les entreprises au-delà de l'indemnisation des préjudices, se limitant à la réparation des préjudices subis. L'introduction de l'action, auprès de juridictions compétentes limitativement désignées, était réservée à des associations de consommateurs agréées à cet effet. En cas de procédures abusives et de façon à les dissuader, il était prévu le remboursement par les demandeurs des dommages subis par le défendeur du fait de l'action. Le choix était fait de l'« opt in », c'est-à-dire que seuls les consommateurs ayant adhéré à l'action de groupe peuvent y participer et être, le cas échéant, indemnisés. Toute transaction intervenant au cours de l'action devait être homologuée par la juridiction compétente.

Néanmoins, la remise de ce rapport n'a pas eu pour conséquence la préparation par le Gouvernement d'un projet de loi relatif à l'action de groupe.

Peu après, dans le rapport sur la dépénalisation de la vie des affaires, établi par le groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris, remis au garde des sceaux en janvier 2008, l'action de groupe est recommandée comme « ayant vocation à permettre une nouvelle voie d'accès à la justice à la place de certaines plaintes avec constitution de partie civile » et contribuant ainsi à dépénaliser le droit de la consommation. Il ajoute que l'action de groupe est « une des conditions de l'attractivité et de l'effectivité de la voie civile comme mode de substitution à la voie pénale en droit de la consommation ». Pour des raisons notamment de frais de procédure, la voie pénale est aujourd'hui privilégiée.

Dans la période récente, on peut ainsi constater une nette convergence en faveur de la mise en place de l'action de groupe, même s'il n'existe pas de modèle unique recommandé.

Enfin, lors des premières assises de la consommation, organisées le 26 octobre 2009, la question de l'introduction de l'action de groupe a été explicitement abordée. En clôture de ces assises, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, a indiqué qu'il était favorable à la création d'une action de groupe à la française, dans des cas extrêmes et avec un strict encadrement.

b) Des initiatives engagées qui n'ont toujours pas abouti

Relayant les réflexions d'experts ou de rapports officiels, plusieurs initiatives législatives ont présenté l'ambition d'introduire l'action de groupe en droit français ces dernières années.

Plusieurs propositions de loi ont été déposées, et parfois discutées, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Parmi les plus récentes, on peut citer la proposition de loi déposée au Sénat, en avril 2006, par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste 20 ( * ) , la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, en avril 2006 également, par M. Luc Chatel, alors député 21 ( * ) , la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, en février 2007, par M. Arnaud Montebourg et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste 22 ( * ) , la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, en mars 2007, par M. Jacques Desallangre et plusieurs de ses collègues du groupe communiste 23 ( * ) , la proposition de loi déposée au Sénat, en décembre 2007, par Mme Odette Terrade et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen 24 ( * ) , ou encore la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, en septembre 2009, par M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical et citoyen 25 ( * ) . Cette dernière a été inscrite à l'ordre du jour du 15 octobre 2009 et rejetée par l'Assemblée nationale. La discussion de cette proposition avait néanmoins été l'occasion pour le Gouvernement, représenté par M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, d'affirmer son approbation du principe de l'action de groupe, sous un certain nombre de réserves et de préalables. Des amendements en faveur de l'action de groupe ont également été présentés au cours de la même période dans un certain nombre de textes à caractère économique et commercial, notamment lors de l'examen du projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs fin 2007.

La question de l'action de groupe apparaît donc comme un sujet récurrent de l'initiative parlementaire et donc une préoccupation majeure des parlementaires. Les initiatives dans ce domaine n'ont cependant pas été que parlementaires.

En effet, en novembre 2006, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi en faveur des consommateurs 26 ( * ) , dont l'article 12 instituait une action de groupe. Cette disposition, perçue comme la principale du texte, a immédiatement suscité la controverse, alors même qu'elle apparaissait modeste aux yeux des promoteurs de l'action de groupe. Faisant suite aux travaux du groupe de travail présidé par MM. Cerutti et Guillaume, ce projet de loi constituait l'aboutissement de l'appel du Président de la République de janvier 2005 à la mise en place d'une action de groupe en droit français. Initialement inscrit à l'ordre du jour en février 2007 avant finalement d'en être retiré, ce projet de loi n'a pas pu être examiné par l'Assemblée nationale avant la fin de la législature, entraînant sa caducité du fait du changement de législature en 2007.

Selon son exposé des motifs, ce projet de loi correspondait à un triple objectif de la part du Gouvernement : permettre à des groupes de consommateurs d'intenter des actions collectives pour obtenir réparation en cas de préjudice matériel de faible montant résultant du manquement d'un professionnel à ses obligations contractuelles, écarter tout risque de procédures abusives affectant la vie des entreprises et respecter les principes de notre droit et de notre organisation judiciaire. C'est ce même triple objectif qui a animé vos rapporteurs tout au long de leurs auditions, considérant que la protection supplémentaire des consommateurs qui peut résulter de l'introduction de l'action de groupe ne saurait avoir pour effet ni d'altérer la compétitivité des entreprises françaises ni d'acclimater des formes procédurales étrangères à notre système juridique.

La procédure retenue par ce projet de loi constituait une solution de compromis, reposant sur une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Seules les associations de consommateurs agréées étaient en mesure d'introduire l'action, qui ne devait concerner que les préjudices matériels subis du fait d'un manquement d'un professionnel à ses obligations contractuelles. Le montant des préjudices en cause devait être inférieur à un montant fixé par décret, dont le Gouvernement avait indiqué qu'il pourrait être de 2 000 euros. La procédure prévue s'ordonnait en deux temps, un jugement déclaratoire de responsabilité, fixant également des mesures de publicité de nature à permettre aux consommateurs concernés de se joindre à l'action, c'est-à-dire un système d'« opt in », avant une phase de détermination des indemnités, d'abord dans le cadre d'un sursis à statuer ouvrant un dialogue individuel entre les consommateurs et le professionnel, puis s'il y a lieu par décision du juge en cas de proposition d'indemnisation jugée insuffisante ou de refus d'indemnisation. Le texte prévoyait la spécialisation dans l'action de groupe de certains tribunaux de grande instance.

Plus récemment, depuis le changement de législature en 2007, un débat s'est déroulé le 11 juin 2008, en séance publique, sur l'opportunité de l'introduction de l'action de groupe dans le cadre de l'examen du projet de loi de modernisation de l'économie. Notre regretté collègue Jean-Paul Charié, rapporteur de ce texte au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, avait en effet déposé un amendement en ce sens, parmi d'autres issus de tous les groupes 27 ( * ) , marquant ainsi un certain consensus sur la nécessité et la maturité d'une telle réforme.

Lors de cette discussion, le rapporteur exposa de façon précise les arguments plaidant en faveur de l'action de groupe, notamment l'effectivité de l'accès à la justice pour les victimes, concluant ainsi : « Monsieur le secrétaire d'État, retenez la volonté très claire du groupe UMP de faire pression sur ceux qui, depuis trop longtemps, préfèrent la sécurité juridique à l'efficacité économique. Aujourd'hui, l'efficacité économique, c'est de permettre aux associations de consommateurs agréées de faire des actions de groupe. On ne doit plus tergiverser encore des années sur une opération qui devient indispensable à l'effectivité de la loi. » M. Luc Chatel, alors secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, indiqua que le Gouvernement acceptait le principe de l'action de groupe, tout en évoquant les questions qui devaient encore être résolues pour en définir le contenu. Pour cette raison, il s'opposa à l'adoption de tous les amendements, qui ont été rejetés, sous le bénéfice de la constitution d'un groupe de travail réunissant des parlementaires, dont il semble qu'il ne se soit réuni qu'une seule fois, en juillet 2008.

Des amendements analogues furent par la suite présentés au Sénat dans le cadre de l'examen du même projet de loi, en juillet 2008. L'incertitude du contenu et de la procédure à retenir firent obstacle à l'adoption de toute disposition en la matière malgré l'acceptation de principe du Gouvernement. M. Luc Chatel rappela ses propos tenus à l'Assemblée nationale, insistant sur le fait que « le principe de l'introduction de l'action de groupe dans le droit français est acté », mais observant que les solutions proposées par les quatre amendements sénatoriaux 28 ( * ) différaient sensiblement de celles figurant dans les amendements de l'Assemblée nationale, soulignant dès lors la nécessité de poursuivre la réflexion sur le contenu de l'action de groupe à la française.

B. DES OPPOSITIONS FONDÉES SUR DES RÉSERVES LÉGITIMES, QU'UNE RÉPONSE ADAPTÉE PEUT LEVER

Aux attentes exprimées avec force par les associations représentant les consommateurs ces dernières années, notamment à la suite de l'annonce par le Président de la République en janvier 2005 de la volonté de créer une forme d'action collective en France, ont répondu les réticences exprimées avec autant de force par les représentants des entreprises.

1. La crainte d'une menace sur la compétitivité des entreprises

a) L'action de groupe, risque de déstabilisation pour les entreprises françaises ?

Les auditions conduites par vos rapporteurs ont fait ressortir la forte inquiétude manifestée par les représentants des entreprises susceptibles d'être confrontées à une action de groupe, en raison de leur taille et du nombre important de leurs clients. Il est d'ailleurs apparu que cette inquiétude n'était pas propre aux plus grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises pouvant craindre davantage l'impact sur leur réputation, leurs finances et leur pérennité même d'une action de groupe de grande ampleur à leur encontre. L'action de groupe au service des consommateurs se transformerait en un handicap pour les entreprises françaises, vivant sous la menace de l'action de groupe, par rapport à leurs concurrentes. Cet argument constitue le principal et plu sérieux obstacle à l'introduction de l'action de groupe.

Cette crainte est actuellement renforcée par la vive aversion au risque propre aux périodes de crise économique et d'incertitudes sur les perspectives d'avenir des entreprises.

Ainsi, au cours des auditions de vos rapporteurs, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) comme l'Association française des entreprises privées (AFEP) ont fait état de leur hostilité de principe à l'action de groupe. Également réticente, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a mis en avant la plus grande fragilité des petites et moyennes entreprises par rapport aux grandes, estimant que seules ces dernières devaient pouvoir être concernées par d'éventuelles actions de groupe, par l'effet de seuils appropriés pour le nombre des plaignants à l'origine de l'action.

Vos rapporteurs observent que les groupes français internationalisés, disposant notamment d'activités aux Etats-Unis, sont déjà exposés aux « class actions » américaines.

Entendue par vos rapporteurs, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a estimé que l'introduction de l'action de groupe mènerait à l'augmentation substantielle du montant des primes d'assurance de responsabilité civile des entreprises, qui s'imputerait nécessairement in fine sur les coûts facturés aux consommateurs. La réparation de certains préjudices individuels sériels conduirait ainsi au renchérissement général des biens et services. Selon les hypothèses retenues par la FFSA 29 ( * ) , l'action de groupe pourrait représenter 500 à 600 millions d'euros de charges supplémentaires de sinistre annuellement, pour un marché de la responsabilité civile des entreprises qui représente 2,3 milliards d'euros à ce jour, hors professions de santé et professions réglementées pour lesquelles il existe des dispositifs spécifiques de responsabilité civile.

La compétitivité des entreprises françaises serait ainsi menacée par le risque d'action de groupe et l'obligation de provision et d'indemnisation qui en résulterait pour les entreprises les plus exposées à un pareil risque.

Les entreprises peuvent craindre le « chantage au procès », qui serait destiné à recevoir de l'argent dans le cadre d'une transaction.

Indépendamment de l'aboutissement de l'action et de leur éventuelle condamnation, les entreprises craignent les effets sur leur réputation et leur image auprès des consommateurs et des médias de la publicité nécessaire à une action ayant pour objet de mettre en cause leur responsabilité et de l'usage abusif qui pourrait être fait de cette publicité.

Ces craintes résultent pour une partie de l'observation des montants exorbitants et des comportements évoqués dans les procédures américaines de « class action ». Ces craintes, car elles sont légitimes, doivent être prises en compte impérativement. Vos rapporteurs considèrent qu'elles peuvent être apaisées par une adaptation judicieuse de la procédure d'action de groupe aux principes procéduraux français, auxquels il convient de ne pas déroger.

Dans ces conditions, il apparaît qu'une entreprise respectueuse des droits des consommateurs ne devrait pas avoir à craindre d'actions de groupe à son endroit.

b) L'absence d'impact négatif sur la compétitivité des entreprises des actions mise en place en Europe

Pour apprécier l'impact, notamment économique, de l'introduction de l'action de groupe dans un système juridique comparable, il est possible d'observer les expériences européennes, relativement récentes pour la plupart.

Un rapport sur la réalité et l'efficacité des mécanismes de recours collectif dans l'Union européenne a été commandé par la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne. Remis en 2008, ce rapport a concerné les treize États membres de l'Union identifiés comme ayant introduit un tel mécanisme 30 ( * ) .

Ce rapport indique que les principaux secteurs concernés sont ceux des services financiers et des télécommunications. Le montant global des préjudices invoqués varie la plupart du temps entre 10 000 et 100 000 euros.

Aucun des mécanismes étudiés ne semble avoir généré des coûts déraisonnables ou disproportionnés pour les entreprises et la vie des affaires. Les frais de procédure sont plutôt globalement en diminution, tandis qu'il n'y a pas de preuve manifeste d'un accroissement des primes d'assurance après l'introduction dans la législation nationale du mécanisme collectif. Le principe de l'imputation du coût de l'action à la charge du perdant a pour effet de limiter les coûts directs pour les entreprises, de même que le principe de la simple réparation du préjudice en cas de condamnation. Aucune faillite n'a été recensée comme imputable à une action collective lorsque l'entreprise n'était pas déjà dans une situation financière significativement difficile, sauf cas de pratiques frauduleuses massives.

Le nombre de recours identifiés dans les États membres ayant mis en place une véritable action de groupe demeure limité, en raison notamment de leur financement par les plaignants ou les associations de consommateurs, de sorte que leurs effets économiques ne sont pas perceptibles.

Les chiffres avancés dans ce rapport sont très éloignés des centaines d'actions intentées chaque année devant les tribunaux américains comme des centaines de millions d'euros de dommages et intérêts.

Aussi le rapport ne discerne-t-il aucun effet sur la compétitivité des entreprises européennes par rapport aux autres entreprises, de même qu'entre les entreprises européennes elles-mêmes selon qu'il existe ou non un mécanisme d'action collective. Le nombre d'actions ne permet pas d'identifier des coûts supplémentaires globaux résultant pour toutes les entreprises de l'existence de l'action collective dans la législation de l'État.

Ce bilan semble susceptible de lever les inquiétudes qui pèsent sur l'impact négatif de l'introduction de l'action de groupe sur la compétitivité des entreprises.

2. La crainte d'une dérive à l'américaine

a) Les particularités du système américain de la « class action »

Dans les représentations collectives, la notion d'action de groupe renvoie immédiatement au modèle américain de la « class action », à l'origine du versement parfois de centaines de millions de dollars à titre de dommages et intérêts à des groupes de consommateurs ayant subi un préjudice de masse, représentés par des avocats spécialisés dans ce type de contentieux. De telles actions peuvent conduire les entreprises concernées à la faillite.

Le système américain de la « class action » a connu un grand succès à partir de l'instauration du principe de l'« opt out » dans les années 1960 31 ( * ) . Ce succès se compte par centaines de plaintes déposées chaque année en matière boursière, à l'instigation d'actionnaires, en matière de consommation, en matière sanitaire ou environnementale...

En premier lieu, la « class action » apparaît comme un marché pour les avocats américains, car ils possèdent un intérêt économique manifeste à agir. Ce sont les avocats qui sont le plus souvent au départ des actions, en les finançant, au besoin à crédit ou en ayant recours à des fonds privés spécialisés (« third party financing »), travaillant gratuitement et espérant se rémunérer sur les dommages et intérêts en cas de réussite. On parle généralement de « contingency fees » ou honoraires fixés en pourcentage des dommages et intérêts. Ce mode de rémunération incite les avocats à se spécialiser dans la « class action » et à multiplier les actions, d'autant que l'existence de dommages et intérêts punitifs (« punitive damages ») accroît le montant global de l'indemnisation. Les avocats américains pratiquent également le démarchage des victimes pour justifier l'action. Le juge est compétent pour joindre les actions en cas de pluralité et désigner un chef de file des demandeurs. L'affaire Enron a ainsi donné lieu en 2008 au versement de 688 millions de dollars d'honoraires aux avocats des plaignants, correspondant à 9,52 % du montant des dommages et intérêts attribués à toutes les victimes potentielles. Il n'est pas rare que des centaines d'avocats soient mobilisés sur une seule et même affaire.

En second lieu, le lancement de l'action ne nécessite pas de disposer d'éléments très significatifs de preuve, dans la mesure où la procédure dite de « discovery » permet d'obliger l'entreprise attaquée, notamment dans un litige à caractère boursier, le cas échéant en sollicitant une injonction du juge, à communiquer tous les documents susceptibles de fournir des éléments de preuve, y compris à charge. Dans certains cas, cette communication peut porter sur des milliers de documents sur tous supports. Cette phase peut être très coûteuse et longue pour l'entreprise, ce qui l'invite le plus souvent à la transaction.

En troisième lieu, le principe de l'« opt out » consiste à ce que le juge définisse a priori la classe des plaignants, toute personne correspondant aux critères de la classe étant susceptible d'invoquer le bénéfice de son jugement à l'encontre de l'entreprise condamnée. Aucune démarche n'est à faire pour se constituer partie à l'instance. De la sorte, c'est le dommage subi par la totalité des consommateurs qui est évalué et le montant des indemnités à la charge de l'entreprise correspond à cette même totalité, ce qui d'ailleurs conduit à des dommages et intérêts non réclamés. Pour ne pas être partie au procès, il faut expressément faire connaître son exclusion du groupe, par exemple lorsque l'on souhaite conserver le bénéfice d'une action individuelle.

En quatrième lieu, compte tenu des coûts énormes et des atteintes à la réputation que génère une « class action » pour l'entreprises attaquée, celle-ci préfère dans la presque totalité des cas conclure une transaction plutôt que s'engager dans un procès long, difficile et aléatoire du fait du jugement par jury. Selon les indications fournies à vos rapporteurs, en matière boursière, seules neuf actions auraient abouti à un verdict depuis 1995, la dernière étant celle mettant en cause le groupe Vivendi, avec un verdict en janvier 2010. Ceci accrédite l'idée du « chantage au procès », les entreprises préfèrent payer rapidement par crainte des conséquences. Dans certains cas néanmoins, les actions sont rejetées, considérées comme irrecevables par le juge pour défaut de moyen sérieux, au titre d'une « motion to dismiss ».

b) Des spécificités du modèle procédural français qui le mettent à l'abri des abus de la « class action » à l'américaine

Le système juridique français possède une conception strictement individualiste de l'action en justice, c'est-à-dire que la capacité d'agir appartient personnellement à celui qui a intérêt à agir.

En premier lieu, le système de l'« opt out » semble poser un problème de constitutionnalité. La décision du Conseil constitutionnel n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 sur la loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion mérite d'être rappelée, en ce qu'elle émettait une réserve d'interprétation concernant le droit d'ester en justice des organisations syndicales pour la défense des intérêts individuels des salariés. Le texte soumis au contrôle du Conseil constitutionnel prévoyait que les organisations syndicales représentatives pouvaient agir en justice en faveur du salarié, en matière de licenciement économique, « sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé ». S'appuyant sur le respect du principe de liberté personnelle du salarié, le Conseil a indiqué que, « s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action ». Cet argument constitutionnel confirme la nécessité d'une manifestation individuelle de volonté pour agir en justice, conformément à l'adage selon lequel nul ne plaide par procureur. Il conduit à écarter un système d'action de groupe de type nord-américain, avec « opt out », c'est-à-dire une action conduite au nom de consommateurs qui n'auraient pas expressément pu faire connaître leur volonté d'y participer 32 ( * ) .

L'effet relatif de la chose jugée, limité aux parties à l'instance, et l'individualisation de la réparation du préjudice font obstacle eux aussi à l'adoption d'un mécanisme d'« opt out », qui au demeurant ne permet pas à l'entreprise défenderesse de connaître le nombre et l'identité des parties adverses, ce qui porterait atteinte au principe du contradictoire.

À cet égard, il faut rappeler l'action engagée devant la Cour d'appel de Paris par la société Vivendi, en vue de faire déclarer le système américain de « class action » avec « opt out » contraire au droit français, de façon à ce que des actionnaires français ne puissent pas participer à l'action américaine, après un premier jugement américain rendu en janvier dernier donnant raison aux actionnaires dans l'affaire Vivendi. La Cour d'appel a rejeté fin avril cette demande, sans se prononcer sur le fond mais tout en soulignant la présence d'éléments de nature à justifier la compétence du juge américain 33 ( * ) .

En second lieu, les règles déontologiques de la profession d'avocat en France sont aussi de nature à éviter les dérives observables chez les avocats américains résultant des « contingency fees ». L'interdiction des honoraires intégralement proportionnels au résultat - même si une convention d'honoraires, soumise au contrôle du bâtonnier, peut prévoir une fraction liée au résultat -, autrement appelés pacte de quota litis , limite les risques de dérive liés aux intérêts économiques propres des avocats et à leur mode de rémunération. Il convient aussi de rappeler que les avocats ne peuvent pas seuls introduire une action, sans être mandatés par un client, ni procéder à du démarchage.

En troisième lieu, le droit français de la preuve et le respect des droits de la défense écartent la possibilité d'instituer en matière civile une procédure analogue à celle dite de « discovery ».

En quatrième lieu, le droit français ne prévoit pas l'attribution de dommages et intérêts punitifs, le contentieux de la responsabilité civile ayant pour finalité la réparation intégrale du seul préjudice réellement subi.

Par conséquent, la conservation des principes fondamentaux du droit français fait obstacle à l'essentiel des motifs de dérive du système américain.

3. Une préférence pour la médiation bien qu'elle ne permette pas d'apporter une réponse à tous les litiges

Face aux craintes suscitées par l'action de groupe, nombreux sont les professionnels qui plaident en faveur du développement de la médiation en matière de petits litiges de consommation. La médiation pourrait, à terme, rendre inutile l'action de groupe.

Mode alternatif, non judiciaire, de règlement des litiges, la médiation est souvent avancée comme une solution à la résolution des petits litiges de consommation entre professionnels et consommateurs, tout en évitant d'encombrer les tribunaux. On constate d'ailleurs ces dernières années un développement important - et assez disparate - des instances et organes professionnels de médiation, avec des statuts très variés, et nombreux sont les secteurs professionnels voire les grandes entreprises privées et publiques qui instituent un médiateur et rendent public chaque année le bilan de son activité.

De nombreux secteurs professionnels ont mis en place des dispositifs de médiation à leur initiative, par exemple le médiateur des communications électroniques, le médiateur de l'eau... Il existe un médiateur de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) de même qu'un médiateur des mutuelles d'assurances du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA), sans oublier les médiateurs institués dans certaines compagnies ou mutuelles d'assurances.

Dans le domaine bancaire, le code monétaire et financier impose à tout établissement de crédit depuis 2002 la désignation d'un ou plusieurs médiateurs chargés de recommander des solutions aux litiges l'opposant à sa clientèle et prévoit une procédure de médiation. Les établissements peuvent désigner un médiateur interne ou encore le médiateur de la Fédération bancaire française (FBF) ou de l'Association des sociétés financières (ASF).

Il existe également de nombreux médiateurs dans le secteur public, regroupés dans la charte des médiateurs du service public, qui peuvent avoir à connaître de litiges de consommation, par exemple les médiateurs de la Poste, de la RATP, de la SNCF, d'EDF...

Outre le modèle du Médiateur de la République, d'autres médiateurs ont un statut public garantissant leur complète indépendance à l'égard des professionnels du secteur concerné, par exemple le médiateur national de l'énergie, chargé des litiges entre les consommateurs et leurs fournisseurs d'électricité ou de gaz naturel, sans préjudice au demeurant de l'existence de médiateurs d'entreprise.

Certes, une très grande majorité des petits litiges peut être traité grâce à une systématisation des outils de médiation dans tous les secteurs. Il est à l'évidence plus simple, plus rapide et moins coûteux pour un consommateur d'obtenir gain de cause en s'adressant à un médiateur, s'il n'a pas été satisfait par les réponses du service clients du professionnel concerné. La médiation, si elle fonctionne et donne des résultats, est à préférer à l'action judiciaire, même collective. À ce titre, elle doit être encouragée et généralisée, de même que son statut, ses procédures et ses garanties d'impartialité, sans oublier la prise en charge de son coût, mériteraient aujourd'hui d'être encadrés.

Lors des assises de la consommation, le 26 octobre 2009, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, a ainsi annoncé une série de mesures de nature à étendre les dispositifs de médiation : définir dans la loi la notion de médiation de façon à imposer aux médiateurs des compétences et des obligations claires, instaurer une certification des services de médiation en matière de consommation de manière à assurer aux consommateurs la qualité du processus de médiation qui leur est proposé, assurer un suivi permanent de la médiation dans le cadre de l'Institut national de la consommation (INC), développer la médiation dans les secteurs qui en sont actuellement dépourvus, notamment dans les petites entreprises, et mieux informer les consommateurs sur l'existence des services de médiation.

À cet égard, il faut noter qu'il appartient à la France de transposer 34 ( * ) la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Faisant suite à un livre vert présenté en 2002 sur les modes alternatifs de règlement des conflits, cette directive vise à encourager le recours à la médiation comme moyen de règlement des litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale et, plus généralement, le règlement amiable des litiges. Dans l'esprit de ce texte, la médiation n'est pas un substitut de la résolution judiciaire des conflits, mais un utile complément. Ce texte vise également à rendre obligatoire la faculté pour l'une des parties de demander à une autorité publique ou juridictionnelle la confirmation de l'accord obtenu au terme de la médiation.

Toutefois, lorsque la médiation sera généralisée, il pourra demeurer quelques litiges individuels qui n'auront pas obtenu de solution. Ces litiges ne peuvent rester sans possibilité effective de demander réparation, sous prétexte que les montants en cause sont trop faibles et que, par conséquent, l'action civile individuelle n'est pas pertinente économiquement au regard des coûts qu'elle engendre pour le consommateur. Pour ces litiges, peu nombreux bien sûr, l'action de groupe, utilisée avec discernement, demeurerait utile.

Au surplus, l'existence d'une voie contentieuse collective pourrait constituer une incitation à emprunter de façon plus volontaire et efficace la voie extrajudiciaire de la médiation, en vue d'aboutir à un accord et d'éviter le recours au juge et à la publicité que cela ne manque pas de susciter. Vos rapporteurs notent que l'action de groupe donnerait ainsi une crédibilité plus grande à la médiation, avec de meilleures chances pour les consommateurs d'obtenir une juste indemnisation.

C. UN CONTEXTE FAVORABLE INCITANT À LA MISE EN PLACE D'UNE ACTION DE GROUPE À LA FRANÇAISE

1. Une forte mobilisation pour la mise en place d'une action de groupe à la française

Indissociable du débat sur l'action de groupe, la question des modes de résolution des conflits entre consommateurs et entreprises a été l'un des trois thèmes des assises de la consommation, organisées le 26 octobre 2009 à l'initiative de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et de M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Ce seul fait indique bien comme l'action de groupe est aujourd'hui incontournable dans les débats sur l'amélioration de la protection des consommateurs.

Par-delà leurs divergences de système et de méthode, les associations de consommateurs entendues par vos rapporteurs ont unanimement plaidé en faveur de la mise en place de l'action de groupe. Ce point de vue a été partagé par l'Association de défense des actionnaires minoritaires, de façon à pouvoir mettre en cause sans recourir à la voie pénale la responsabilité des entreprises en cas de comportement fautif de leurs dirigeants entraînant un préjudice boursier et à bénéficier d'une indemnisation. Ces associations ont néanmoins fait état pour la plupart de la nécessité de dissuader les actions abusives telles qu'elles se déroulent aux États-Unis.

Il en est de même des organisations représentant les professionnels du droit, magistrats et avocats, qui ont tous insisté, de même que les professeurs de droit, sur la nécessité de rendre effectif l'accès au droit ainsi qu'à une procédure assurant la réparation d'un préjudice même de faible montant, tout en préservant les principes généraux de la procédure civile française pour éviter toute dérive à l'américaine. Certaines personnes entendues, réticentes a priori à toute procédure d'action de groupe, ont même considéré qu'elle s'imposerait tôt ou tard.

Tranchant avec l'opposition des représentants des entreprises, au premier rang desquels le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) er l'Association française des entreprises privées (AFEP), la Chambre de commerce et d'industrie de Paris a fait part à vos rapporteurs de son absence d'hostilité a priori à l'action de groupe, à condition qu'elle soit encadrée très strictement et ne puisse pas donner lieu à des utilisations abusives et nuisibles pour la vie des entreprises.

Les auditions menées par vos rapporteurs ont néanmoins fait ressortir, chez les partisans de l'action de groupe, des approches variées de son champ d'application, certains proposant de le limiter aux litiges de consommation, avec une acception plus ou moins large susceptible de concerner le droit bancaire et financier, c'est-à-dire la consommation de services bancaires et de produits financiers, mais également les services publics à caractère industriel et commercial, d'autres proposant de l'élargir au droit boursier, au nom de la défense des actionnaires.

Les associations de consommateurs ont considéré que le rôle qu'elles pourraient jouer dans l'introduction de l'action leur permettrait d'avoir un effet régulateur bénéfique tout en leur donnant une reconnaissance et une compétence supplémentaire dans l'accomplissement de leurs missions de protection des intérêts des consommateurs. Au niveau européen, cette position est reprise par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).

2. Un environnement européen et international favorable

a) Des modèles différents adoptés par plusieurs États membres

Le rapport précité établi en 1991 au nom la commission des affaires économiques sur le projet de loi renforçant la protection des consommateurs 35 ( * ) indiquait que l'introduction d'une action collective « ferait de la France une exception parmi les autres pays européens ». Force est d'observer que, depuis vingt ans, les législations des autres États européens ont significativement évolué, un grand nombre d'entre elles comportant désormais une forme ou une autre d'action collective, sans qu'aucune ne s'apparente au modèle américain 36 ( * ) .

Depuis une quinzaine d'années, de nombreuses législations d'autres États européens ont accueilli l'action de groupe, par exemple au Portugal en 1995 sous le nom d'action populaire, en Angleterre et au Pays de Galles en 2000, en Suède en 2002, en Allemagne, à titre expérimental dans le domaine de l'information financière, et aux Pays-Bas en 2005 et en Italie en 2009 37 ( * ) .

Les systèmes d'« opt in » sont majoritaires en Europe, limitant la décision d'indemnisation aux seules personnes ayant adhéré au groupe. Dans la grande majorité des cas, l'action concerne au moins la défense des consommateurs et le plus souvent toutes les actions civiles sont ouvertes au recours collectif. La plupart des législations ne prévoit pas de nombre minimal de demandeurs pour rendre l'action recevable.

b) Plusieurs initiatives communautaires encore en gestation

Une réflexion est engagée depuis plusieurs années par la Commission européenne sur l'introduction d'une législation relative à l'action de groupe, dans plusieurs domaines, reposant sur l'existence de litiges transfrontières en matière de consommation et de concurrence.

L'initiative la plus avancée concerne le domaine de la concurrence. Dans un livre blanc présenté en avril 2008, la Commission part du constat que tout dommage résultant d'une violation des règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante doit pouvoir trouver réparation auprès de celui qui a causé le dommage. Or ce type de dommage ne reçoit en pratique que rarement réparation.

Cette initiative retient, entre autres, le principe de la conformité aux traditions juridiques nationales et européennes. Elle prévoit la combinaison de deux mécanismes complémentaires : d'une part, des actions représentatives, intentées par des entités qualifiées, par exemple des associations de défense des consommateurs, au nom de victimes identifiées ou identifiables et, d'autre part, des actions collectives assorties d'une option expresse de participation, c'est-à-dire un mécanisme d'« opt in ».

Une seconde initiative se présente à un stade moins avancé, dans le domaine de la réparation des préjudices subis par les consommateurs. Un livre vert a été publié par la Commission en novembre 2008, évoquant entre autres la possibilité de créer une action de groupe. À ce stade, aucun livre blanc n'a encore été présenté par la Commission pour faire suite à la consultation à laquelle a donné lieu le livre vert 38 ( * ) . De même que l'introduction de l'action de groupe en droit français, l'introduction de l'action de groupe en droit communautaire rencontre d'importantes hostilités et peine à faire consensus quant à ses modalités procédurales.

Lors de son déplacement à Bruxelles, l'un de vos rapporteurs a pu constater que ces deux initiatives n'aboutiraient pas dans des délais proches, du fait notamment du changement de composition du collège de la Commission européenne il y a quelques mois et du remplacement des deux commissaires ayant engagé ces initiatives. Trois commissaires sont désormais en charge des questions liées à l'action de groupe : Mme Viviane Reding, chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, M. Joaquin Almunia, chargé de la concurrence, et M. John Dalli, chargé de la santé et de la protection des consommateurs. De nouvelles consultations ont été lancées par les commissaires avant de passer à l'étape de l'élaboration de projets de directive. Plusieurs projets avancent de concert en raison de règles différentes de compétence européenne : la compétence de la Commission est exclusive en matière de concurrence, tandis que le principe de subsidiarité s'impose dans les autres domaines tels que la consommation.

Néanmoins, même si ces initiatives n'ont pas encore atteint le stade de projet de texte, il est utile pour la France de se doter d'une action de groupe qui lui permette de peser davantage et de façon crédible dans les négociations relatives à l'élaboration de ces projets de texte et qui soit prise en compte au titre du respect des traditions juridiques nationales. Ces projets devront en effet tenir compte du système existant en France. Dans le cas inverse, la France pourrait être tenue un jour de transposer sans pouvoir l'adapter un mécanisme plus éloigné de ses principes juridiques.

c) La question de la concurrence des systèmes juridiques nationaux et le risque d'une délocalisation du contentieux

Il existe une tentation pour le justiciable, notamment en droit des affaires dont le contentieux revêt souvent un caractère international, de vouloir introduire son action devant une juridiction qui applique un système juridique et des règles qui lui seront plus favorables. Ce comportement potentiellement abusif, qualifié de « forum shopping », est limité par le fait que les juridictions n'admettent pas facilement la recevabilité de telles actions, mais il est en renforcé par le développement du libre-échange, l'internationalisation des échanges économiques et la mondialisation, sources de concurrence accrue entre les systèmes juridiques dans le domaine des relations commerciales.

Cette restriction de la possibilité de choisir la nationalité de la juridiction qui doit vous juger est peut-être en train d'évoluer, dans le domaine du droit boursier en particulier, dans le cadre d'une affaire actuellement en instance devant la Cour suprême des Etats-Unis. Les juridictions américaines peuvent sembler désireuses d'élargir leurs compétences au point de devenir les tribunaux internationaux des affaires, en particulier par l'accueil de « class actions » boursières à l'encontre de sociétés non américaines.

En effet, l'enjeu de l'affaire Morrison v. National Bank of Australia , qui oppose des actionnaires de nationalité australienne à une banque dont le siège et l'essentiel des activités sont situés en Australie relève bien de cette problématique 39 ( * ) . Si la Cour suprême conclut à la recevabilité de la plainte, c'est-à-dire admet la compétence des tribunaux américains au motif qu'un des éléments du contentieux, même mineur, a pris place sur le sol américain, elle constituera un formidable appel au lancement par des étrangers d'actions collectives dans le domaine boursier devant les tribunaux américains à l'encontre d'entreprises étrangères. Cet enjeu a été apparemment bien perçu, puisque tant le Gouvernement français que l'Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), en tant que personnes extérieures au litige, ont déposé comme douze autres un mémoire en qualité d' amicus curiae , destiné à faire valoir leurs arguments tendant au rejet de la plainte. La Cour suprême devrait rendre son arrêt prochainement.

À titre de comparaison, dans la « class action » boursière concernant la société française Vivendi, cotée à Paris mais également à New York, pour dissimulation d'informations financières, des actionnaires français ont été autorisés par les tribunaux américains à se joindre à l'action en 2007, suscitant d'ailleurs une action judiciaire en France de la société Vivendi à l'encontre de ces actionnaires pour abus de « forum shopping ». La Cour d'appel de Paris a très récemment considéré qu'il existait des éléments de nature à justifier la compétence du juge américain 40 ( * ) . Dans une affaire similaire de « class action » en matière boursière concernant la société française Alstom, une solution inverse avait été retenue en 2008 par les tribunaux américains, excluant la participation des actionnaires français.

Ainsi, dès lors que plusieurs juridictions de nationalité différente sont susceptibles d'être concernées, ce qui est de plus en plus fréquent en matière commerciale, la question du « forum shopping » peut risquer de se poser.

Aussi, plutôt que de laisser un jour attraire les entreprises françaises par des consommateurs ou des actionnaires français devant des tribunaux étrangers, en particulier américains, faisant preuve d'un comportement quelque peu hégémoniste, il apparaît plus sage et prudent d'offrir dans notre système judiciaire des moyens d'action civile suffisants. Une telle délocalisation du contentieux concernant les entreprises françaises dans le cadre de « class actions » américaines serait bien plus préjudiciable que l'introduction en France d'une action de groupe respectueuse de nos principes procéduraux. Cette dernière permettrait de localiser les actions collectives devant les juridictions françaises, tandis que l'éventuel abus de « forum shopping » résulterait du contrôle des décisions juridictionnelles étrangères dans le cadre de la procédure d' exequatur , en cas de demande d'application sur le territoire français.

Ainsi qu'il est apparu à l'un de vos rapporteurs lors d'un déplacement à Bruxelles, la Commission européenne est clairement consciente des enjeux internationaux, mais également internes à l'Union, du « forum shopping » et de l'impérative nécessité de protéger les systèmes juridictionnels européens, mais il n'existe pas à ce stade de position européenne commune sur la question. Ceci renforce la nécessité pour la France d'anticiper la question et d'agir dès à présent, sans attendre la contrainte des circonstances.

3. Une position du Gouvernement ouverte quant au principe de l'introduction de l'action de groupe dans le droit français mais vigilante quant aux conditions de sa mise en oeuvre

Lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l'économie à l'Assemblée nationale, le 11 juin 2008, M. Luc Chatel, alors secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, indiquait que « le Gouvernement a accepté le principe de légiférer en la matière » et que « le Président de la République souhaite que le Gouvernement présente un projet de loi sur une action de groupe équilibrée, évitant les dérives du système à l'américaine, et permettant d'apporter une vraie réponse à des problèmes de consommation courante ». Cette affirmation de principe s'accompagnait du rappel d'un certain nombre d'interrogations non encore résolues sur les contours d'une action de groupe à la française. Cet engagement gouvernemental n'a pas donné lieu à l'élaboration d'un texte de compromis.

Aussi, plus d'un an après, lors de son discours de clôture des assises de la consommation, le 26 octobre 2009, M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, a considéré que, « dans un marché libre, au pouvoir des acteurs économiques, doit répondre le contre-pouvoir du consommateur. »

À ce titre, il a d'abord appelé au « renforcement des outils permettant de traiter les litiges entre entreprises et consommateurs, avec comme première action la généralisation de la médiation », en reconnaissant qu'il demeurerait parfois nécessaire d'avoir recours aux procédures judiciaires.

Estimant que la procédure civile de droit commun était peu adaptée en cas de litige concernant un nombre important de consommateurs pour un montant faible de préjudice, il a considéré : « Pour ces cas extrêmes et de dernier recours, je suis favorable à la mise en place d'une action de groupe à la française, précisément encadrée pour éviter les dérives à l'américaine. Ma conviction est que l'instauration d'un tel dispositif dans notre droit est inévitable. » M. Hervé Novelli avait déjà fait état à plusieurs reprises de sa conviction favorable à l'introduction de l'action de groupe dans notre droit.

Vos rapporteurs tiennent à saluer le courage de cette prise de position publique sur un sujet aussi controversé et toujours reporté jusqu'à présent.

M. Hervé Novelli a toutefois posé quatre préalables à l'introduction de l'action en groupe : la réorganisation du mouvement consumériste, le développement de la médiation, la cohérence avec les travaux en cours au niveau communautaire et la sortie de la crise économique actuelle.

Vos rapporteurs considèrent que ces conditions ne constituent pas de réels obstacles à l'introduction de l'action de groupe dans notre droit, mais invitent plutôt à envisager à une mise en place progressive, appuyée sur le rôle des associations de consommateurs agréées. La question ne porte donc plus aujourd'hui sur l'opportunité de créer l'action de groupe, mais sur la manière de l'acclimater dans les meilleures conditions au système juridique français.

* * *

En conclusion, vos rapporteurs affirment que l'alternative posée au législateur ne se limite donc pas à l'inaction ou à l'imitation servile du modèle américain de la « class action » et de ses dérives. Entre ces deux extrêmes, une voie moyenne existe bien pour créer une véritable action groupe à la française, répondant à la fois aux attentes des consommateurs, à la sécurité économique et juridique des entreprises et aux principes de notre droit.

II. LES RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

A. UNE DOUBLE EXIGENCE : CRÉER UNE VOIE DE DROIT EFFICACE, SÛRE ET AU COÛT LIMITÉ, TOUT EN PROTÉGEANT LA COMPÉTIVITÉ DES ENTREPRISES

Les travaux menés par vos rapporteurs les conduisent à conclure à l'opportunité de créer, au bénéfice des justiciables qui se voient aujourd'hui privé de leur droit à réparation, une voie de droit leur permettant d'obtenir une juste compensation pour leur préjudice.

Cependant, le groupe de travail prend aussi toute la mesure de l'inquiétude que suscite, parmi les professionnels, la perspective de l'introduction en France d'une procédure d'action de groupe. Certaines dérives, largement dénoncées, des « class actions » justifient de redoubler de prudence afin d'éviter que le remède soit pire que le mal.

C'est pourquoi les recommandations qui suivent obéissent à un double souci : proposer une procédure efficace, accessible et au coût limité, qui satisfasse l'exigence de réparation du dommage subi par les personnes lésées, mais en même temps l'entourer de suffisamment de garanties pour que les intérêts des entreprises et des professionnels soient préservés.

À cet égard, le groupe de travail considère que c'est en respectant, autant que possible, les principes procéduraux du droit français, que l'on offrira à l'action de groupe les garanties qui s'imposent.

B. OUVRIR DANS UN PREMIER TEMPS LE CHAMP DE L'ACTION DE GROUPE EN LA LIMITANT À CERTAINS TYPES DE DOMMAGES

Tracer les contours de l'action de groupe impose d'arbitrer entre deux exigences contraires : lui ouvrir le champ le plus large possible, afin de garantir au citoyen l'accès à une voie de droit efficace, quel que soit le contentieux dans lequel il est engagé ; ou bien restreindre ce champ, pour limiter les risques de dérive ou d'abus et en favoriser, dans un domaine spécifique, l'acclimatation.

Face à un objet juridique nouveau, la prudence doit nécessairement prévaloir. Cependant, il faut aussi tenir compte de la cohérence d'ensemble de la procédure d'action de groupe et ne pas exclure a priori des domaines connexes à ceux auxquels elle est fondée à s'appliquer.

En outre, la conformité de l'action de groupe aux règles qui régissent le droit commun de la responsabilité civile constitue la meilleure garantie contre ses dérives. Seules se justifient les limitations sans lesquelles la compatibilité de cette procédure avec la bonne conduite du procès civil ne serait pas assurée.

Enfin, dans un souci de pragmatisme, vos rapporteurs estiment judicieux de donner un caractère expérimental à la procédure créée, et de prévoir d'en réexaminer les contours après trois années de pratique.

1. Le champ recouvert par l'action de groupe

Il n'existe pas de consensus sur le périmètre qui doit être donné à l'action de groupe.

Certains, à l'instar du syndicat de la magistrature, de l'Association nationale des juges d'instances, du Conseil national des barreaux, du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers défendent son application à tous les champs de la responsabilité civile. M. Serge Guinchard, professeur émérite à l'université de Paris II Panthéon Assas, favorable à cette position, s'est interrogé sur la pertinence des restrictions d'application parfois proposées, au motif que, dans la pratique, le citoyen victime, par exemple, d'un préjudice environnemental ou d'un préjudice de santé, pourra être assimilé à un consommateur de prestation environnementale ou de santé. D'ailleurs les associations de consommateurs, comme l'UFC-Que choisir, la CGT-INDECOSA ou la Confédération syndicale des familles, se sont prononcées pour une interprétation extensive du champ de la consommation, qui puisse notamment recouvrir la santé et l'environnement, voire certains services publics.

D'autres intervenants se sont déclarés opposés à toute extension du champ de l'action de groupe au-delà du droit de la consommation voire des règles exclusivement contenues dans le code de la consommation. Telle est en particulier la position des organisations représentatives des entreprises ou des professionnels, comme le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA), L'association française des entreprises privées (AFEP), la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) ou la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).

Entre ces deux thèses, la discussion porte sur les matières à inclure ou à exclure, étant entendu que sont seules pertinentes celles susceptibles de recouvrir des préjudices de masse trouvant leur origine dans le même comportement fautif : le droit de la concurrence, le droit bancaire, financier et boursier, le droit de la santé, le droit de l'environnement ou celui des services publics.

Vos rapporteurs ont choisi d'exclure les trois derniers du champ d'application de l'action de groupe, en raison des spécificités qu'ils présentent, qui ne sont pas compatibles avec les principes qui régissent cette procédure.

En effet, les dommages subis en matière de santé sont avant tout des dommages corporels, dont l'évaluation requiert un examen individuel, ce qui s'accorde mal avec la logique de généralisation qui est celle de l'action de groupe. En outre, comme l'a rappelé le syndicat des entreprises du médicament (LEEM), s'agissant des préjudices de masse, des dispositifs spécifiques d'indemnisation ont généralement été mis en place par le législateur, comme le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, pour les victimes de contaminations post-transfusionnelles par le VIH (art. L. 3122-1 et suivants du code de la santé publique) ou l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (art. L. 1142-1 et suivants du code de la santé publique).

Les dommages intervenant en matière d'environnement présentent, quant à eux, un caractère collectif, étranger au mécanisme d'agglomération de préjudices individuels propre à l'action de groupe.

Enfin, vos rapporteurs considèrent qu'en raison de leur nature particulière, les activités de service public, qui mettent en oeuvre des considérations d'intérêt général ou des prérogatives de puissance publique et relèvent d'un régime de responsabilité spécifique, ne doivent pas pouvoir faire l'objet d'une action de groupe.

En revanche, une procédure de recours collectif paraît envisageable dans les domaines de la consommation, de la concurrence et du droit bancaire, financier et boursier.

a) Le droit de la consommation plutôt que le code de la consommation

Le champ de la consommation constitue, par excellence, le domaine de l'action de groupe : c'est à l'égard des litiges de consommation que la mise en place d'un mécanisme d'action collective a été envisagée 41 ( * ) pour la première fois. Il s'agit d'ailleurs d'une revendication constante des associations de défense des consommateurs. De plus, l'action de groupe est particulièrement adaptée au contentieux de la consommation : les préjudices subis sont facilement identifiables, comme les fautes à l'origine de ces préjudices, et, dans la mesure où ils interviennent à l'occasion d'un acte standard de consommation, ils sont susceptibles de se reproduire de nombreuses fois à l'identique, requérant de ce fait une réparation massive. Enfin, les actes de consommation les plus nombreux étant aussi ceux qui portent sur les biens ou les services les moins coûteux, les dommages subis sont généralement de faible montant, ce qui conduit les consommateurs lésés à renoncer à saisir le juge, compte tenu du coût et de la durée prévisible de la procédure par rapport au gain escompté.

Les différents rapports rendus sur l'action de groupe, comme les projets et propositions de loi qui ont eu pour objet d'instaurer un mécanisme de recours collectif, ont d'ailleurs tous préconisés son application au droit de la consommation.

Si l'application de l'action de groupe au contentieux de la consommation ne fait ainsi pas de doute, le débat porte sur ce que recouvre exactement ce contentieux.

Restreindre le droit de la consommation au seul code de la consommation n'est pas envisageable. Comme l'a relevé le groupe de travail présidé par MM. Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, dans son rapport sur l'action de groupe, « une telle orientation conduirait à ne pas inclure certains contentieux de masse affectant directement les intérêts des consommateurs, tels ceux de la téléphonie mobile, de la fourniture de services d'accès à Internet, des voyages à forfait, des relations banques clients..., qui relèvent soit de réglementations spécifiques ou d'autres codes, soit du droit général des contrats parce que touchant aux conditions d'exécution des obligations contractuelles » 42 ( * ) .

Or, l'action de groupe n'a d'intérêt que si elle offre aux particuliers engagés dans un litige concret de consommation un recours judiciaire efficace, que ce litige relève ou non du code de la consommation. Le champ ouvert à l'action de groupe doit donc recouvrir tout le droit de la consommation entendu comme celui qui garantit la protection du consommateur contre le professionnel.

Cette définition emporte deux conséquences.


• Un contentieux contractuel ou péri-contractuel

Le contentieux ainsi délimité est un contentieux contractuel, ce qui exclut que, dans ce domaine, une action de groupe puisse être intentée en matière délictuelle. En effet, l'acte de consommation, qu'il s'agisse d'un achat ou d'une location, se matérialise dans un contrat qui fixe les limites des obligations réciproques des parties, et ce faisant, le cadre de leur responsabilité éventuelle. Les représentants des entreprises privées, en particulier le mouvement des entreprises de France, ont insisté sur ce point et jugé nécessaire d'exclure les actions fondées sur une responsabilité délictuelle.

Toutefois, cette limitation à la sphère contractuelle doit être entendue largement, afin d' inclure :

- le domaine du pré-contractuel, c'est-à-dire l'ensemble des pratiques et des engagements passés en vue de la conclusion du contrat, ce qui renvoie notamment aux pratiques commerciales déloyales ou illicites ou aux infractions aux pratiques commerciales réglementées. Dans de telles situations, le dommage survient bien à l'occasion du contrat passé entre le consommateur et le professionnel, même si la faute commise par ce dernier est intervenue en amont de la conclusion du contrat et qu'elle engage plutôt, en toute logique, la responsabilité délictuelle de son auteur 43 ( * ) . Exclure du bénéfice de l'action de groupe ce pan entier de la protection apportée au consommateur au motif qu'il ne s'agirait pas, à proprement parler, d'un cas de responsabilité contractuelle, serait peu pertinent. Mme Pascale Fombeur, alors directeur général des affaires civiles et du Sceau du ministère de la justice s'est d'ailleurs prononcée pour l'inclusion du contentieux pré-contractuel de la consommation, si une procédure d'action de groupe devait être mise en place ;

- les régimes spéciaux de responsabilité destinés à protéger le consommateur en tant que tel, comme celui relatif aux produits défectueux (article 1386-1 et suivants du code civil), qui prévoit la responsabilité première du producteur du produit vis-à-vis du consommateur, même s'ils n'ont pas passé entre eux de contrat, celui-ci ayant été conclu entre le producteur et le distributeur d'une part, et entre le distributeur et le consommateur d'autre part.


• Un contentieux centré sur le consommateur, personne physique

L'action de groupe introduite dans le cadre du droit de la consommation ne vise que le préjudice subi par un consommateur dans un litige qui l'oppose à un professionnel, ce qui devrait en restreindre strictement l'objet.

Cependant, ni le code de la consommation ni aucun autre texte de droit français ne consacrent de définition légale de la notion de consommateur 44 ( * ) , ce qui laisse au juge le soin de décider qui peut bénéficier de la protection apportée par le droit de la consommation.

En principe, le consommateur est une personne physique : telle est la position de la Cour de justice des communautés européennes 45 ( * ) et de la Cour de cassation 46 ( * ) . Cependant, dans certains cas, comme en matière de clauses abusives, la protection apportée au consommateur l'est aussi au non-professionnel. La Cour de cassation en a conclu que des personnes morales non-professionnelles, comme par exemple des associations, pouvaient bénéficier des mêmes dispositions favorables 47 ( * ) .

De la même manière, en principe, le consommateur est, suivant la définition donnée par M. le professeur Jean Calais-Auloy, « une personne physique qui se procure ou qui utilise un bien ou un service pour un usage non-professionnel » 48 ( * ) . Néanmoins, lorsqu'un avocat, un artisan ou un agriculteur passent, par exemple, un contrat de téléphonie mobile pour leur usage professionnel, leur situation n'est pas très différente de celle d'un consommateur moyen vis-à-vis de son opérateur de téléphonie : ils sont placés dans la même situation de dissymétrie, sans que leur compétence professionnelle leur permette de la corriger. La Cour de cassation a en conséquence forgée une jurisprudence qui distingue selon que le contrat a un rapport direct ou seulement indirect avec leur activité professionnelle : dans le premier cas, la relation qui s'établit entre eux et leur prestataire est une relation entre professionnels et ils ne peuvent être assimilés à des consommateurs ; dans le second cas, la Cour de cassation considère qu'ils sont placés dans la situation de simples consommateurs et accepte qu'ils invoquent le bénéfice de la protection prévue 49 ( * ) .

De telles jurisprudences n'apparaissent pas présenter de difficultés majeures au regard de la procédure de l'action de groupe. Certes, elles étendent quelque peu le champ des personnes susceptibles de participer à un recours collectif, mais cette extension est tout à fait cohérente avec le souci d'apporter un recours juridique efficace à l'ensemble de ceux qui, placés dans une situation de faiblesse vis-à-vis d'un professionnel, se trouvent aujourd'hui privés de toute voie utile pour obtenir réparation.

En outre vos rapporteurs considèrent que la procédure d'action de groupe sera d'autant plus sûre et entourée des garanties nécessaires, qu'elle reprendra les règles et la jurisprudence actuelles, sans multiplier les exceptions au droit commun.

Si l'accord est unanime, parmi ceux qui défendent la procédure d'action de groupe ou ceux qui cherchent à l'encadrer le plus possible, pour reconnaître qu'elle doit s'appliquer au moins -ou se limiter- au droit de la consommation, son application au-delà de ce périmètre est plus controversée.

b) Le droit de la concurrence

Il revient à l'autorité de la concurrence, qui a remplacé le conseil de la concurrence, de veiller au respect des règles relatives à la concurrence et de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles. Intervenant de sa propre initiative ou à la demande de plaignants 50 ( * ) , dès que la concurrence est faussée sur un marché, l'autorité de la concurrence peut prononcer des mesures d'urgence, des injonctions, des sanctions pécuniaires ou accepter des engagements pris par les entreprises fautives.

En revanche, l'autorité de la concurrence n'a pas compétence pour se prononcer sur les demandes civiles des consommateurs éventuellement victimes des pratiques anticoncurrentielles. Dans de telles situations, ces derniers n'ont d'autre possibilité que de saisir individuellement le juge judiciaire pour qu'il condamne le professionnel fautif à verser des dommages-intérêts. Compte tenu de la faiblesse du montant du préjudice subi individuellement par chaque consommateur, de telles actions sont très rares, alors même que, d'un point de vue collectif, les sommes engagées sont conséquentes et les sanctions prononcées particulièrement importantes.

Ainsi, dans l'affaire de l'entente des opérateurs de téléphonie mobile, le conseil de la concurrence a prononcé à leur encontre des sanctions d'un montant total de 534 millions d'euros 51 ( * ) . Les actions individuelles en responsabilité qui auraient pu être introduites portaient sur un préjudice de quelques dizaines d'euros seulement par consommateur.

L'association UFC-Que choisir a tenté de les réunir et recueilli, sur le site internet « cartelmobile.org » qu'elle avait créé à cette fin, 3.700 dossiers de particuliers. Cependant le tribunal de commerce de Paris puis la cour d'appel de Paris ont jugé irrecevable l'action engagée sur la base de ces dossiers, au motif qu'elle relevait de la procédure d'action en représentation conjointe, dont elle n'avait pas respecté les règles restrictives en matière de publicité. Les deux juridictions ont par ailleurs considéré que l'association avait, procédé, du fait de la création de son site internet, à un démarchage juridique illégal 52 ( * ) .

Cet exemple illustre le fait qu'il n'existe en droit français pour les consommateurs aucun recours véritablement utile ou efficace leur permettant d'obtenir réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait d'une pratique anticoncurrentielle. Les associations de consommateurs, comme la commission pour la libération de la croissance 53 ( * ) , appellent de leurs voeux une évolution sur ce point.

En réalité, il s'agit là d'une exigence communautaire clairement établie par la Cour de justice de l'Union européenne. Dans un arrêt du 20 septembre 2001, celle-ci a estimé que la pleine efficacité des règles applicables en matière de concurrence serait « mise en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence », et qu'il appartient en conséquence aux États membres d'organiser les recours internes de manière telle que ne soit pas rendu « pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire » 54 ( * ) .

Dès 2006, le conseil de la concurrence a souscrit à cette analyse et s'est prononcé en faveur de l'introduction d'une action de groupe en matière de concurrence pour remédier au paradoxe qui veut que, lorsque « les victimes des pratiques anticoncurrentielles sont les consommateurs, les mécanismes d'indemnisation existants ne leur permettent pas d'intenter une action en réparation de manière effective . En effet, dans le cas d'atteinte au fonctionnement du marché affectant une catégorie de consommateurs, à concurrence de montants faibles pour chaque individu, le consommateur individuel est dissuadé d'agir compte tenu de la complexité et du coût des procédures au regard de la faiblesse du gain escompté » 55 ( * ) .

En outre, le conseil de la concurrence a souligné, dans le même avis, que, « à côté des sanctions publiques, qui, eu égard à leurs montants désormais élevés, contribuent à dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques prohibées, les actions de groupe peuvent être un facteur de dissuasion supplémentaire, puisqu'elles augmentent le risque financier pour l'auteur de l'infraction ».

Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Bruno Lasserre, président de l'autorité de la concurrence a confirmé cette position et relevé que, contrairement aux consommateurs particuliers, lorsqu'une grande entreprise était victime d'une pratique anticoncurrentielle, elle parvenait en raison de son poids économique à obtenir, par voie de transaction, du fournisseur fautif une indemnisation adaptée.

Selon lui, il convient d'ajouter à ces deux enjeux d'équité et d'efficacité de la régulation en matière de concurrence, un enjeu de compétitivité juridique internationale : compte tenu de la perméabilité des frontières juridiques et du risque de forum shopping , il est préférable de construire un modèle français de l'action de groupe, afin d'éviter que des contentieux nationaux soient indirectement traités par des juges étrangers selon des règles qui ne seraient pas forcément conformes aux principes de l'ordre juridique français. Le fait que la France dispose d'un modèle spécifique d'action de groupe contribuerait en outre à assoir sa crédibilité dans les discussions en cours au niveau communautaire sur la création de mécanismes de recours collectifs en matière de litiges relatifs à la concurrence.

Pour utile qu'elle soit, la prise en compte, par l'action de groupe, des préjudices liées à des pratiques anticoncurrentielles n'est cependant pas sans poser de difficultés. L'avis précité du conseil de la concurrence en souligne plusieurs.

Les premières difficultés sont d'ordre technique : le contentieux de la concurrence requiert une expertise particulière, car il mêle analyse juridique et analyse économique. Sauf à ce que le cartel ou l'entente soit dénoncé par l'un des participants, la preuve de l'infraction ne peut être apportée qu'au terme d'une investigation approfondie ou d'une analyse minutieuse des comportements de marché. De la même manière, l'évaluation du préjudice effectivement subi par le consommateur est difficile à établir, puisqu'il faut à la fois tenir compte de l'impact réel de l'entorse à la concurrence sur le prix de marché, et de sa répercussion intégrale ou partielle éventuelle par les entreprises intermédiaires. Or, il est peu probable que les consommateurs ou leurs associations disposent des moyens d'investigation et d'expertise nécessaires.

D'autres difficultés tiennent à l'articulation à prévoir entre l'action publique de l'autorité de la concurrence et la conduite du procès civil : des mécanismes doivent être prévus pour que le juge civil puisse bénéficier de l'expertise de l'autorité compétente, en évitant cependant les engorgements que pourraient générer un nombre trop important de sollicitations. De plus, les actions civiles ne doivent pas nuire aux programmes de clémence. Or tel pourrait être le cas si les entreprises susceptibles de dénoncer une entente s'abstenaient de le faire, en raison du risque financier auquel elles s'exposeraient si une action de groupe était conduite contre elles.

Le groupe de travail recommande cependant que l'action de groupe voit son champ étendu au droit de la concurrence lorsque le manquement constaté cause un préjudice aux consommateurs. Il considère en effet qu'aucune des difficultés soulevées ne présente un caractère dirimant. Au contraire, elles peuvent trouver une solution si, comme vos rapporteurs le préconisent par ailleurs, le travail du juge civil et celui de l'autorité de la concurrence sont correctement articulés.

En outre, vos rapporteurs observent qu'il serait incohérent, si l'on se donne comme objectif d'apporter une protection effective aux consommateurs, d'exclure les pratiques anticoncurrentielles du champ d'intervention de l'action de groupe, alors même que souvent, le préjudice économique subi par les consommateurs trouvent son origine dans une infraction au droit de la concurrence.

c) Le droit financier et boursier

Les mêmes raisons qui justifient l'introduction d'une action de groupe en matière de consommation ou de concurrence s'appliquent en matière bancaire et financière. Il existe une asymétrie entre l'épargnant et la banque ou la société dont il détient des parts. En outre, une même infraction à la législation bancaire ou financière peut causer un nombre élevé de préjudices identiques dont le montant individuel reste trop faible pour justifier l'introduction d'une action en responsabilité, ce qui permet à la société fautive d'échapper à l'indemnisation qu'elle devrait pourtant verser.

Dressant ce même constat, M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers a défendu, au cours de son audition, l'application de l'action au champ bancaire et boursier. Il a notamment fait valoir que les personnes pénalisées par des infractions boursières ou financières sont des victimes comme les autres et méritent autant qu'elles d'être indemnisées pour leur préjudice. Or, récemment, plusieurs affaires trouvant leur origine dans des manquements à la législation bancaire ou boursière ont entraîné des préjudices massifs pour les épargnants, comme l'affaire Benefic, qui portait sur la commercialisation par la Poste, entre septembre 1999 et novembre 2000 d'un fonds à formule auprès de plus de 300 000 épargnants. En l'absence de toute procédure d'action de groupe et du fait de l'inefficience des procédures actuelles, les épargnants ont été dissuadés d'agir. Ainsi, l'affaire Benefic n'a donné lieu qu'à 94 procès civils et deux procédures pénales, alors même que le manquement de l'entreprise à ses obligations était avéré.

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers s'est par ailleurs inquiété de ce que, faute d'un mécanisme de réparation adéquat, les épargnants ou les actionnaires lésés portent leur litige dans d'autres pays où la société en cause pourrait être cotée, afin de bénéficier alors d'une procédure d'action de groupe. Une telle hypothèse, comme on l'a vu, est loin d'être théorique, ainsi que le montre l'exemple du procès actuellement en cours aux États-Unis comme la société Vivendi 56 ( * ) .

Mme Colette Neuville, présidente de l'association des actionnaires minoritaires, qui s'est elle aussi déclarée favorable à l'introduction d'une procédure d'action de groupe en matière financière et boursière, a par ailleurs estimé qu'une telle procédure aurait un effet dissuasif, d'autant plus important que la responsabilité des dirigeants des sociétés incriminées pourra être engagée.

Les représentants des entreprises, en revanche, ont marqué leur opposition à l'extension du champ de l'action de groupe au droit financier et boursier, en estimant que l'ensemble des dispositifs existants permettaient d'ores et déjà d'assurer la protection des actionnaires et des épargnants.

En outre, Mme Véronique Magnier, professeur de droit privé à l'université Paris XI, a montré que certaines spécificités du droit financier s'accordaient mal avec les règles de l'action de groupe 57 ( * ) : « si la faute du dirigeant a causé un préjudice social qui rejaillit sur la valeur du titre, ce n'est qu'indirectement, au travers de la baisse des cours, que les actionnaires subissent l'effet d'une faute. Or, la Cour de cassation considère que la dévalorisation du titre, résultant elle-même de la dépréciation du patrimoine social, n'est pas un préjudice individuel réparable 58 ( * ) ». La faute de gestion ne lèse pas directement les investisseurs, elle ne peut donc justifier la conduite d'une action de groupe. Pour qu'une telle action puisse être menée, il faudrait que la faute commise par les dirigeants sociaux porte directement atteinte à un droit de l'actionnaire. Tel serait le cas, par exemple, d'un manquement à une obligation d'information. Mme Véronique Magnier a considéré lors de son audition que, compte tenu de ces particularités, l'action de groupe des investisseurs devrait recouvrir un champ plus limité que celle qui interviendrait en matière de consommation et pourrait n'être mise en place que dans un second temps.

Soulignant l'inadéquation de l'action de groupe au droit financier, les représentants de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ont par ailleurs relevé les difficultés qu'il y a, en matière boursière, à établir la réalité du dommage, la fluctuation des cours n'étant pas nécessairement due au manquement de la société à ses obligations au regard de la législation financière. En outre, comme le mouvement des entreprises de France, ils ont évoqué le paradoxe qu'il y aurait à voir les épargnants ou les actionnaires gagner leur procès en responsabilité contre la société et recevoir de celle-ci une indemnisation qui en dégradera les comptes et, par voie de conséquence, la valeur boursière, ce qui diminuera leur patrimoine financier.

Le groupe de travail reconnaît la pertinence des réserves ainsi formulées. Cependant, il considère, sur le premier point, que le juge saisi d'une action de groupe pourra solliciter l'expertise de l'autorité des marchés financiers, ce qui lui permettra d'établir la réalité et l'ampleur du préjudice éventuellement subi, et, sur le second point, que les actionnaires lésés - qui ne seront pas forcément les mêmes que les actionnaires actuels de la société - arbitreront, avant de se joindre au recours collectif, entre le gain qu'ils comptent retirer de l'action et la perte éventuelle que celle-ci pourrait leur occasionner sur leurs titres.

Par ailleurs, faisant droit aux réserves formulées par Mme Véronique Magnier, professeur de droit privé à l'université de Paris XI, vos rapporteurs jugent souhaitable, comme l'a proposé M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers, de limiter l'action de groupe intervenant en matière de droit boursier aux seules infractions boursières portant atteinte à la transparence des marchés et définies aux articles L. 465-1 et L. 465-2 du code monétaire et financier que sont le délit d'initié, le délit de communication d'informations privilégiées, le délit de diffusion de fausses informations et le délit de manipulation des cours et d'entrave au libre établissement des cours. S'ajouteraient à ces infractions tous les manquements commis au titre de la commercialisation des produits financiers.

Les litiges entre un épargnant et son établissement bancaire ou financier relèveraient quant à eux d'une action de groupe soit à ce dernier titre, soit au titre du droit de la consommation entendu largement (crédit bancaire, droit au compte...).

* *

*

Le groupe de travail préconise donc de donner, dans un premier temps, un champ suffisamment large à l'action de groupe, qui rende compte de la palette de situations dans lesquelles un nombre élevé de consommateurs ou d'épargnants sont susceptibles d'être victimes d'un préjudice similaire, causé par le même manquement d'un professionnel à une obligation légale. Seraient à ce titre concernés le droit de la consommation entendu largement et incluant notamment le droit bancaire, celui de la concurrence, lorsque la pratique anticoncurrentielle a nui à un consommateur, et le droit financier et boursier pour un nombre limité d'infractions ou de manquements. L'intervention possible, dans ces deux derniers champs, d'autorités régulatrices à la compétence reconnue constitue une garantie supplémentaire contre les dérives parfois craintes par ceux qui s'opposent à la création d'une action de groupe à la française.

Recommandation n° 1 - Dans un premier temps, ouvrir le recours à la procédure d'action de groupe, en le limitant aux litiges contractuels de consommation au sens large, incluant ceux qui trouvent leur origine dans une infractions aux règles de la concurrence, ainsi qu'à certains manquements aux règles du droit financier et boursier.

2. Les limites apportées à l'action de groupe


• L'application des principes généraux de la responsabilité civile

Le groupe de travail est convaincu que créer la procédure d'action de groupe comme une procédure d'exception n'est pas le bon moyen de se prémunir contre les dérives auxquelles elle pourrait donner lieu. Bien au contraire, les principes qui régissent le droit français de la responsabilité civile, tels qu'ils ont été précisés par le juge judicaire, sont autant de garanties contre les actions excessives ou infondées.

En matière délictuelle, il s'agit notamment, des exigences relatives au fait générateur du dommage, au caractère certain, direct et personnel du préjudice subi, au lien de causalité entre le dommage et la faute, aux causes exonératoires de responsabilité et au principe de la réparation intégrale. En matière contractuelle, il s'agit, entre autres, des règles relatives aux différentes obligations d'information, de sécurité, de moyen ou de résultats, des limitations contractuelles ou légales de responsabilité, de la double condition d'une inexécution contractuelle et d'un dommage pour ouvrir droit à réparation, ou encore de la force majeure et du fait du co-contractant.

Cette recommandation aurait aussi pour conséquence que, lorsque des régimes spéciaux d'indemnisation existent pour des préjudices qui pourraient donner lieu à une action de groupe, les procédures spéciales qu'ils mettent en oeuvre s'appliquent de manière exclusive. Ainsi, l'indemnisation des déposants en cas d'indisponibilité de leurs dépôts relèverait du fonds de garantie des dépôts prévu aux articles L. 312-4 et suivants du code monétaire et financier et ne pourrait donner lieu à une action de groupe.

Plusieurs des personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné l'intérêt qui s'attache à ce que les principes généraux de la responsabilité civile s'appliquent, dans la mesure du possible, à l'action de groupe. Telle a été la position exprimée notamment par M. le professeur Serge Guinchard et Mme le professeur Véronique Magnier, par les représentants du syndicat de la magistrature, de force ouvrière-magistrats, et de l'association nationale des juges d'instance, ainsi que par l'association française des entreprises privées.

Recommandation n° 2 - Recourir aux principes généraux de la responsabilité civile relatifs à la détermination des victimes indemnisables, au fait générateur, au lien de causalité ou à la réparation intégrale du préjudice.


• La nature du préjudice allégué

L'action de groupe présente cependant des spécificités qui justifient de prévoir des exceptions aux règles de la responsabilité civile. En particulier, parce qu'elle agglomère des préjudices individuels identiques, qu'elle traite de manière collective, elle n'est pas adaptée au traitement des dommages qui requièrent une évaluation individuelle précise.

Or, comme l'a indiqué Mme Pascale Fombeur, alors directeur des affaires civiles et du sceau, les préjudices moraux et les préjudices corporels sont par nature insusceptibles de faire l'objet d'un traitement collectif. Leur indemnisation relève nécessairement d'une démarche individuelle, qui prend en compte la situation personnelle de la victime et qui n'est pas transposable à une autre victime, quand bien même la même cause serait à l'origine de leur dommage respectif.

Plusieurs intervenants ont marqué leur désaccord avec cette position. Les représentants de l'association nationale des juges d'instance ont considéré que limiter l'accès à l'action de groupe en fonction de la nature du préjudice subi créerait des inégalités injustifiées. Les représentants du syndicat de la magistrature et ceux des avocats ont pour leur part fait valoir que l'évaluation individuelle du préjudice pourrait intervenir dans la seconde phase de la procédure. Mme le professeur Véronique Magnier a quant à elle observé que, le cas échéant, pourrait être laissé à l'appréciation du juge le soin de déterminer si le caractère très personnel ou non des préjudices corporels allégués interdit ou pas la conduite de l'action de groupe.

Cependant, la grande majorité des personnes entendues par vos rapporteurs, s'est prononcée contre la réparation des préjudices corporels ou moraux par la voie de l'action de groupe.

Le groupe de travail juge les arguments présentés tout à fait fondés : l'action de groupe n'est pas adaptée à la réparation des dommages moraux ou corporels. Son champ naturel est celui de la consommation, où les mêmes manquements ou infractions causent des préjudices économiques identiques, susceptibles de donner lieu à une indemnisation standardisée. L'appliquer à autre chose que des préjudices matériels, serait courir le risque de la dénaturer et de lui faire perdre toute pertinence, en rallongeant considérablement la durée de la procédure engagée, en raison de la nécessaire évaluation individuelle par le juge de chacun des préjudices subis par les individus victimes.


• Le montant du préjudice allégué

Deux arguments ont été présentés au cours des auditions pour justifier que l'action de groupe soit circonscrite à la réparation des préjudices inférieurs à un certain montant.

Limiter le montant de préjudice dont les justiciables pourraient obtenir réparation par une action de groupe présenterait tout d'abord le mérite de limiter le risque financier auquel les entreprises seraient exposées.

En outre, l'action de groupe n'aurait de sens que pour des préjudices de faible montant. En effet, elle a pour objet de fournir un recours collectif efficace aux victimes qui s'abstiennent d'agir individuellement, en raison du rapport défavorable entre le coût ou la durée de la procédure et le gain escompté. Au-delà d'un certain montant, l'action individuelle redevient attractive : le maintien d'une action de groupe ne se justifierait plus.

La confédération générale des petites et moyennes entreprises et M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, ont proposé de fixer ce montant à 4 000 euros, ce qui correspond au seuil à partir duquel le tribunal d'instance devient compétent à la place de la juridiction de proximité. Sans proposer de montant, le mouvement des entreprises de France, a pour sa part évalué à 1 500 euros la valeur moyenne des litiges de consommation. Dans son exposé des motifs, le projet de loi en faveur des consommateurs 59 ( * ) , déposé par M. Thierry Breton, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, retenait quant à lui le seuil de 2.000 euros.

Plusieurs intervenants ont marqué leur opposition avec cette proposition de limitation, principalement défendue par les représentants des entreprises ou des professionnels. Les représentants des avocats et l'association nationale des juges d'instance se sont inquiétés de la restriction qui serait ainsi apportée à l'accès à la nouvelle voie de droit créée et à l'inégalité qui en résulterait entre les justiciables. M. le professeur Serge Guinchard a exprimé ses réserves sur la conformité à la Constitution d'une telle limitation en raison du traitement différencié qu'elle entraînerait entre les victimes selon l'ampleur de leur dommage.

Sensibles à ces objections sur les inévitables effets pervers des seuils que l'on crée, vos rapporteurs jugent eux aussi la limitation proposée inopportune.

En effet, l'action de groupe n'a pas uniquement pour vocation de remédier à l'absence effective de réparation pour les préjudices de faible valeur : elle vise aussi, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et de la célérité des procédures, à réunir en une seule action l'ensemble des demandes individuelles de réparation ayant pour origine le même fait générateur. En outre, l'action de groupe présente des avantages certains pour le justiciable : elle lui permet d'être assisté dans la conduite de son action, en diminue le coût et facilite la démonstration judiciaire du préjudice subi et de la faute commise par le professionnel.

Enfin, la limitation de l'action de groupe aux seuls dommages matériels, permet d'ores et déjà de diminuer le risque financier auquel les entreprises sont exposées, puisque les préjudices corporels, qui sont susceptibles de recevoir l'indemnisation la plus élevée, se trouvent exclus du champ de cette procédure.

Recommandation n° 3 - Limiter le recours à la procédure d'action de groupe aux seuls dommages matériels , sans plafonner leur montant.


• Le juge compétent

Le champ ouvert à l'action de groupe, étant, avec le droit de la consommation et, de manière annexe, le droit de la concurrence et le droit financier, celui du droit privé, le groupe de travail préconise de réserver cette procédure aux seules actions susceptibles de relever de la compétence du juge judiciaire.

Le contentieux qui relève du juge administratif, et notamment celui relatif aux services publics administratifs serait ainsi laissé de côté. M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, lors d'une audition devant la commission des lois du Sénat, a d'ailleurs indiqué qu'une réflexion propre à la juridiction administrative était en cours au Conseil d'État sur l'instauration d'une action collective spécifique en contentieux administratif pour traiter les nombreux litiges sériels auxquels elle est confrontée comme en matière fiscale ou de contentieux de la fonction publique 60 ( * ) .

Recommandation n° 4 - Réserver la procédure d'action de groupe aux actions relevant de la compétence du juge judiciaire .

3. S'inscrire dans une démarche expérimentale

Même si son champ est restreint, l'introduction d'une action de groupe en droit français constituera une innovation dont les conséquences seront importantes sur la façon dont les justiciables parviennent à faire respecter leurs droits et les entreprises à défendre leurs intérêts. Seul l'usage qui en sera fait pourra confirmer ou infirmer la justesse du champ d'application retenu.

Aussi, dans un souci de pragmatisme, le groupe de travail recommande de conférer un caractère expérimental au dispositif législatif qui mettra en place l'action de groupe et de prévoir son évaluation au bout de trois ans, afin de décider à ce moment de restreindre ou d'ouvrir encore son champ d'application. Une telle démarche expérimentale est d'ailleurs celle qu'a retenu le législateur allemand lorsqu'il a crée la « procédure modèle dans les litiges de droit financier » ( KapitalanlegerMusterverfahrensgesetz ) 61 ( * ) .

Recommandation n° 5 - Prévoir une évaluation du dispositif trois ans après son entrée en vigueur pour déterminer le périmètre pertinent du champ d'application de l'action de groupe.

C. RÉSERVER LA CONDUITE DE L'ACTION DE GROUPE À DES ASSOCIATIONS AGRÉÉES, INTERVENANT DEVANT DES TRIBUNAUX DE GRANDE INSTANCE SPÉCIALISÉS

1. L'introduction et la conduite d'une action de groupe réservées à des associations agréées


• Un filtre nécessaire et utile

L'un des travers des « class actions » la plus souvent dénoncé est leur multiplication. N'importe quel justiciable victime d'un dommage peut décider d'introduire une telle action, à charge pour lui de démontrer au juge que le préjudice qu'il allègue est suffisamment proche de celui subi par un nombre significatif de personnes pour justifier une procédure de « class action ». Ce faisant, les avocats américains n'hésitent pas à démarcher les particuliers pour les convaincre d'initier une telle action.

Avant même ce contrôle de recevabilité, les entreprises sont susceptibles d'être engagées dans une procédure qui peut être abusive ou menée à des fins de déstabilisation. La multiplication des procédures, même infondées, pèse lourd sur les sociétés ou les professionnels : non seulement leur réputation en est affectée, mais ils doivent provisionner les risques judiciaires auxquels ils sont exposés.

Pour parer à une telle dérive, il est souvent envisagé d'établir un filtre préalable à l'introduction de l'action de groupe, en réservant aux associations de défense des consommateurs la possibilité d'initier et de conduire une telle procédure 62 ( * ) .

Vos rapporteurs ont pu constater aux cours des auditions qu'une telle proposition recevait un soutien quasi unanime.

Seuls les représentants des avocats ont clairement manifesté leur opposition à une telle solution. Ils ont observé que les règles déontologiques auxquels sont soumis les avocats français et l'interdiction du démarchage juridique interdisent d'ores et déjà les dérives dénoncées, sans qu'il soit nécessaire de réserver aux associations de consommateurs la qualité pour agir en justice dans une action de groupe.

Sur ce dernier point, ils ont fait valoir qu'un tel monopole d'action s'analyse comme une entrave à l'accès à la justice, non conforme au droit à un recours effectif que consacre l'article 6-1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils se sont par ailleurs inquiétés de ce que les associations de consommateurs, érigées en procureurs privés, pourraient poursuivre leur propre politique d'action de groupe, en sélectionnant les affaires qu'elles lanceront, au détriment des intérêts de certains justiciables, privés de tout recours.

En réponse à ces critiques, vos rapporteurs soulignent le rôle éminent que jouent les associations de consommateurs agréées dans la défense de l'intérêt collectif et des intérêts individuels des consommateurs, en raison notamment de leur expertise.

La Cour européenne des droits de l'homme reconnaît d'ailleurs leur utilité dans ce cadre, quand elle rappelle que « dans les sociétés actuelles lorsque le citoyen se voit confronté à des actes administratifs spécialement complexe, le recours à des entités collectives telles que les associations constitue un des moyens accessibles, parfois le seul, dont il dispose pour assurer une défense efficace de ses intérêts particuliers. Cette qualité à agir des associations dans la défense des intérêts de leurs membres leur est d'ailleurs reconnue par la plupart des législations européennes [...] Une autre approche, par trop formaliste de la notion de victime, rendrait inefficace et illusoire la protection des droits garantis par la Convention » 63 ( * ) .

En outre, comme l'a noté le groupe de travail présidé par MM. Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, « leur objet statutaire leur permettrait [...] de répondre aux exigences de légitimité de l'intérêt à agir, et, par exception au principe selon lequel nul ne plaide par procureur, de leur voir reconnaître la qualité de représenter le groupe des consommateurs, en tant que tel sans qu'il soit besoin d'identifier au préalable les victimes » 64 ( * ) .

Juridiquement rien ne s'oppose donc à ce que la qualité pour agir dans une action de groupe leur soit réservée, les particuliers conservant la possibilité d'agir de manière individuelle.

Or, leur intervention constituera une garantie contre les abus : leur sérieux et la nécessité dans laquelle elles seront placées de ne pas disperser leurs moyens dans des actions au fondement trop incertain leur permettront de jouer un rôle de filtre qui évitera que les tribunaux soient encombrés de procédures fantaisistes. Elles pourront en outre participer en amont à une tentative de médiation avec les entreprises fautives, pour trouver une solution d'indemnisation des consommateurs satisfaisantes pour tous.

De plus, l'expertise des associations de consommateurs sera aussi une garantie de l'efficacité des procédures menées, que ce soit dans la production de la preuve des faits allégués, ou dans la constitution du groupe des victimes, dont elles seront en principe les interlocuteurs privilégiés.


• S'assurer de la représentativité et de la compétence des associations par un agrément renforcé

Réserver aux associations de consommateurs la qualité pour agir en matière d'action de groupe n'a de sens que si l'on s'assure de leur compétence et de leur représentativité.

Il est tout d'abord nécessaire que leur objet statutaire corresponde bien à l'un des champs dans lesquels une action de groupe peut être initiée. À cet égard, les associations de consommateurs ne sont pas forcément compétentes pour conduire les actions relatives à un manquement au droit boursier, qui relèvent plutôt de la compétence des associations de défense des investisseurs auxquelles est déjà reconnu, aux termes de l'article L. 452-1 du code monétaire et financier, le pouvoir d'« agir en justice devant toutes les juridictions même par voie de constitution de partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des investisseurs ou de certaines catégories d'entre eux » 65 ( * ) .

En principe l'agrément délivré aux associations de défense des consommateurs ou des investisseurs rend compte de leur compétence et de leur représentativité, puisque, pour l'obtenir, elles doivent répondre à un certain nombre de critères.

L'article R. 411-1 du code de la consommation impose ainsi aux associations de consommateurs, de réunir à la date de la demande d'agrément, un nombre de membres cotisant individuellement :

- au moins égal à 10 000 pour les associations nationales

- « suffisant, eu égard au cadre territorial de leur activité », pour les associations locales, départementales ou régionales.

Les associations de défense des investisseurs qui sollicitent un agrément doivent justifier, aux termes de l'article D. 452-1 du code monétaire et financier, « pendant les six mois précédant la date de la demande, d'au moins 200 membres cotisant individuellement ainsi que d'une activité effective et publique en vue de la défense des intérêts des investisseurs en valeurs mobilières ou en produits financiers appréciée, notamment, en fonction de la réalisation et de la diffusion de publications, de la tenue de réunions d'information et de la participation à des travaux de réflexion ».

Or la question se pose de savoir si les critères utilisés pour délivrer ces agréments sont suffisamment exigeants au regard du nouveau rôle que ces associations seront appelées à jouer avec la procédure d'action de groupe.

Au cours de son audition, M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers, s'est ainsi inquiété du foisonnement des associations de défense des investisseurs et du manque de représentativité de certaines.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation a indiqué, lors de son intervention aux premières assises de la consommation qui se sont tenues le 26 octobre 2009, qu'il étudiait la possibilité de mettre en place un « super agrément » qui s'ajouterait à l'agrément actuel, dont il élèverait les exigences en matière de représentativité nationale, et qui conférerait aux associations de consommateurs auxquelles il serait délivré des compétences spéciales, notamment en matière d'action de groupe. Il a d'ailleurs présenté la réorganisation du mouvement consumériste et la mise en place d'un tel agrément comme un préalable à l'introduction d'une action de groupe en droit français.

Le groupe de travail partage cette préoccupation : permettre à une association seulement représentative au plan local, qui ne présente pas les mêmes garanties qu'une association nationale, d'initier une action de groupe, serait courir le risque de perdre, en raison d'un défaut d'expérience ou d'expertise, le bénéfice du filtre que l'on a voulu mettre en place. Il préconise donc la création d'un agrément renforcé pour les associations de défense des consommateurs comme pour les associations de défense des investisseurs, seul susceptible de conférer à celles auxquelles il sera délivré, la qualité pour conduire une action de groupe.

Recommandation n° 6 - Donner aux seules associations de défense des consommateurs ou des investisseurs auxquelles aura été délivré un agrément renforcé , la compétence pour introduire une action de groupe et la conduire jusqu'à son terme.


• Garantir la bonne coordination des actions de groupe conduites sur une même affaire

Le mouvement consumériste étant pluraliste, il est tout à fait possible que plusieurs associations soient saisies au même moment de recours portant sur une même affaire. Dans une telle situation, il conviendra d'éviter, autant que faire se peut, la dispersion des actions.

Si chacune introduit une action de groupe, il sera ainsi de bonne administration que le juge joigne les différentes actions, puisque, par définition, elles auront toutes le même objet.

En outre, pour simplifier la conduite des débats, le groupe de travail recommande qu'elles désignent l'une d'entre elles comme « chef de file » auquel le juge s'adressera, à charge pour elle de transmettre aux autres associations les informations ou les documents reçus. Cette même association conduirait l'affaire au nom des autres, y compris dans le cadre de la médiation éventuelle. À défaut d'accord entre les associations, le juge pourrait en désigner une d'office.

Recommandation n° 7 - Lorsque plusieurs associations introduisent plusieurs actions de groupe visant les mêmes fait, regrouper l'action devant une même juridiction et imposer aux associations de désigner, par commun accord, l'une d'entre elles « chef de file » pour l'accomplissement des actes procéduraux et pour mener la médiation éventuelle. À défaut, le juge pourrait désigner l'association chef de file.


• Ouvrir aux justiciables un recours indépendant des associations agréées ?

Parce qu'elles joueront le rôle de filtres, les associations agréées seront conduites à refuser d'engager une procédure d'action de groupe pour certaines affaires qui leur seront soumises. Quelle que soit la raison de ce refus, la conséquence pour les justiciables concernés sera la même : ils se trouveront privés d'une voie d'action par la décision d'une autorité privée et non impartiale, sans disposer d'un recours contre cette décision.

Certes, compte tenu du nombre élevé des associations de défense des consommateurs ou des investisseurs, et de leur pluralisme, les consommateurs dont l'affaire repose sur des moyens juridiques sérieux devraient selon toute vraisemblance parvenir à convaincre au moins l'une d'entre elles d'initier une procédure d'action de groupe. Cependant on ne peut garantir que certains refus ne seront pas motivés sinon par des considérations de pure opportunité, au moins par des considérations pratiques, les associations disposant de moyens limités qui ne leur permettent pas de conduire trop de procédures en même temps.

C'est pourquoi, afin d'assurer aux justiciables que leur demande tendant à l'introduction d'une action de groupe pourra être examinée par une instance tierce indépendante et impartiale, il pourrait être envisagé de reconnaître à une autorité indépendante la compétence pour initier et conduire une telle procédure.

La Suède connaît un tel mécanisme, puisque que l'article 6 de la loi sur les actions de groupe n° SFS-2002-599 (« lag om grupprättegång ») entrée en vigueur le 1 er janvier 2003, prévoit la possibilité d'introduire de telles actions, pour des autorités désignées par le gouvernement, notamment l'Ombudsman chargé de la défense du consommateur 66 ( * ) .

Après s'être interrogé sur l'opportunité de transposer cette procédure en droit français en attribuant au Défenseur des droits une telle compétence, le groupe de travail n'a pas retenu cette solution qui ajouterait au champ d'action couvert par cette nouvelle autorité une mission nouvelle dont l'adéquation avec ses autres missions n'est pas assurée.

2. La compétence de tribunaux de grande instance spécialisés

Les litiges de consommation relèvent du juge civil de droit commun. En pratique, compte tenu du faible montant des sommes en jeu, il s'agit soit du juge de proximité jusqu'à 4.000 euros, soit du juge d'instance, jusqu'à 10.000 euros.

La procédure d'action de groupe ne peut cependant respecter ce schéma, pour des raisons d'ordre juridique, pratique et technique qui conduisent le groupe de travail à préconiser, à l'invitation de M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, la compétence de tribunaux de grande instance spécialisés.

L'article L. 211-3 du code de l'organisation judiciaire dispose que le tribunal de grande instance connaît des affaires pour lesquelles « compétence n'est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction ». Or, au moment de l'introduction de l'action, le montant de la réparation demandée par la voie d'une action de groupe est par définition inconnu, puisque ce n'est que dans un second temps, lorsque le groupe sera identifié et que les consommateurs concernés auront présenté leurs prétentions, que l'on pourra évaluer le montant total du litige. Même si les litiges individuels relèveraient plutôt, en raison de leur faible montant, de la juridiction de proximité ou du tribunal d'instance, l'action de groupe qui les réunit devrait, elle, être de la compétence du tribunal de grande instance.

En outre, il convient de tenir compte des capacités des tribunaux à prendre en charge les actions de groupe. Celles-ci peuvent présenter un caractère massif et réunir plusieurs milliers de requérants. Or les greffes des juridictions les plus petites ne sont pas dimensionnés pour traiter un nombre trop élevé de demandes.

Par ailleurs, la compétence du tribunal de grande instance présente un certain nombre d'avantages : non seulement la représentation par avocat est obligatoire, mais le tribunal statue en formation collégiale, ce qui constitue des garanties supplémentaires pour les affaires à fort enjeu financier ou présentant des difficultés juridiques particulières, comme, par exemple, en droit de la concurrence. Pour les litiges les plus simples, en revanche, le président du tribunal pourrait décider qu'il sera statué à juge unique.

Dans un souci de rationalisation des compétences et des moyens, il serait pertinent de réserver la compétence en matière d'action de groupe à un nombre limité de tribunaux spécialisés. Les greffes disposeraient d'une taille suffisante pour traiter les procédures les plus massives, et les juges développeraient une expertise particulière. En outre, la question de la proximité entre le justiciable et son juge ne se pose pas pour une action conduite, au nom des justiciables, par une association agréée de niveau national : la concentration des contentieux dans quelques juridictions est neutre pour le consommateur. En revanche, elle évite à l'entreprise de devoir faire face à plusieurs instances dispersées sur tout le territoire, alors qu'elles concernent la même affaire.

Les représentants du syndicat de la magistrature et ceux de force ouvrière - magistrats se sont déclarés réservés sur la spécialisation des tribunaux. Sans remettre en cause le principe de cette spécialisation, l'association nationale des juges d'instance a considéré que le contentieux de l'action de groupe pourrait être réparti, en fonction du montant des demandes présentées, entre le juge d'instance et celui du tribunal de grande instance.

En dépit des réserves ainsi formulées, la proposition consistant à réserver la compétence en matière d'action de groupe à quelques tribunaux de grande instance spécialisés a fait l'objet d'un large accord parmi les personnes entendues par vos rapporteurs.

Recommandation n° 8 - Faire relever les actions de groupe de la compétence d'un nombre limité de tribunaux de grande instance spécialisés .

D. INSTITUER UNE PROCÉDURE EN DEUX PHASES : UNE DÉCLARATION DE RESPONSABILITÉ SUIVIE, APRÈS PUBLICITÉ ET CONSTITUTION DU GROUPE, D'UNE DÉCISION SUR L'INDEMNISATION


• Les deux modèles envisageables

Les auditions conduites par vos rapporteurs ont dessiné deux modèles de procédure d'action de groupe, déjà mis en avant par le groupe de travail présidé par MM. Guillaume Cerutti et Marc Guillaume 67 ( * ) : celui de la « class action » américaine ou du recours collectif de droit québecois et celui de l'action déclaratoire de responsabilité proposée pour la première fois par M. le professeur Jean Calais-Auloy en 1990 68 ( * ) .

Chacune des deux procédures s'articule en deux phases.

Dans le modèle de la « class action », la première phase correspond à un examen de recevabilité de l'action : le groupe n'est pas encore constitué et le juge s'assure seulement à ce stade que la prétention est sérieuse et adaptée à une action de groupe en ce qu'elle vise des préjudices homogènes pour toutes les victimes a priori concernées et des questions de droit similaire.

L'initiateur de l'action est alors autorisé à agir au nom de ce groupe, lequel se constitue soit au fur et à mesure, sur une base volontaire, soit de manière abstraite, toutes les victimes étant présumées y appartenir, sauf opposition expresse de leur part.

La seconde phase de la procédure correspond au jugement au fond, le juge statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause et sur le montant des dommages et intérêts qu'il lui appartiendra de verser aux victimes. Le cas échéant, il fixe les critères de la répartition de l'indemnisation entre les membres du groupe.

L'action déclaratoire de responsabilité renverse la perspective. Alors que dans la « class action », l'autorisation judiciaire de constitution du groupe précède le jugement sur la responsabilité, dans l'action déclaratoire de responsabilité, le jugement sur la responsabilité précède la constitution du groupe .

Dans la première phase du jugement, le juge, saisi par une association de consommateurs qui représente les intérêts des victimes potentielles, statue sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause, à partir des quelques cas individuels qui lui sont soumis. S'il la juge engagée, il prononce une décision déclaratoire de responsabilité qui vaudra pour tous les litiges individuels homologues aux cas qui lui ont été présentés.

Une fois cette première décision acquise et rendue publique par des moyens appropriés de publicité, le juge sursoit à statuer pour permettre aux victimes de se faire connaître et de préciser l'ampleur de leur préjudice individuel. Dans la seconde phase de son jugement, il se prononce sur le montant des dommages et intérêts qui leur seront attribués.

Le modèle procédural de la « class action » et du recours collectif québécois a inspiré plusieurs propositions de loi :

- la proposition de loi de M. Luc Chatel, député, et plusieurs de ses collègues du groupe UMP, tendant à instaurer les recours collectifs des consommateurs, déposée le 26 avril 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3055 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Arnaud Montebourg, député, et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, relative à l'introduction de l'action de groupe en France, déposée le 15 février 2007 à l'Assemblée nationale (n° 3729 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Jacques Desallangre, député, et plusieurs de ses collègues du groupe communiste, relative à l'introduction de l'action de groupe en France, déposée le 13 mars 2007 à l'Assemblée nationale (n° 3775 - Assemblée nationale, XII e législature) ;

- la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative à la suppression du crédit revolving, à l'encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l'action de groupe, déposée le 2 septembre 2009 à l'Assemblée nationale (n° 1897 - Assemblée nationale, XIII e législature). Ce texte a été rejeté par l'Assemblée nationale le 20 octobre 2009.

Le modèle de l'action déclaratoire de responsabilité, initialement esquissé dans la Proposition pour un code de la consommation de la commission pour la codification du droit de la consommation présidée par M. Jean Calais-Auloy 69 ( * ) puis par M. le professeur Serge Guinchard 70 ( * ) , a été ensuite repris dans plusieurs textes :

- la proposition de loi n° 322 (2005-2006) de Mme Nicole Bricq, M. Richard Yung, sénateurs, et plusieurs de leurs collègues du groupe socialiste, sur le recours collectif, déposée le 25 avril 2006 au Sénat. Cette proposition de loi, devenue caduque, a fait l'objet d'un nouveau dépôt le 9 février 2010 et est devenue la proposition de loi n° 277 (2009-2010) ;

- le projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature). Ce texte a été retiré de l'ordre du jour en février 2007 ;

- le groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires, présidé par M. Jean-Marie Coulon a présenté un dispositif s'inspirant de ce modèle d'action de groupe 71 ( * ) .


• Les garanties plus nombreuses apportées par la procédure d'action déclaratoire de responsabilité

Entre les deux modèles envisageables, le groupe de travail a tranché en faveur du second, celui de l'action déclaratoire de responsabilité .

En effet, la dissociation de l'examen de la recevabilité et de l'examen au fond présente un danger pour le professionnel mis en cause : même s'il ne porte que sur la recevabilité de l'action, le premier jugement rendu paraît valider la procédure initiée et confère un certain crédit aux plaignants.

Les représentants des entreprises, et particulièrement le mouvement des entreprises de France et la fédération bancaire française ont tous considéré que ce pré-jugement pèse lourd dans la décision des professionnels de transiger, même lorsqu'il est probable que leur responsabilité ne sera pas retenue au terme de la procédure. Le jugement défavorable rendu sur la recevabilité est en effet susceptible de porter atteinte à la réputation de l'entreprise, d'autant plus que la publicité qui en sera faite dans l'objectif de constituer le groupe des plaignants sera importante. En outre, comme l'a signalé la confédération générale des petites et moyennes entreprises, une fois l'action déclarée recevable, l'entreprise doit provisionner le risque juridique auquel celle-ci l'expose, ce qui affecte durablement son bilan, alors même que le principe de sa responsabilité n'est pas encore acquis.

Ajoutées aux inconvénients liés à la durée et au coût du procès, ces préoccupations peuvent conduire les sociétés à proposer une transaction même si elles sont, au fond, dans leur bon droit. Une telle procédure contribue ainsi à développer les stratégies du chantage à la transaction.

L'avantage, de ce point de vue, du modèle de l'action déclaratoire de responsabilité, c'est qu'aucune publicité n'est donnée à l'affaire avant que le principe de la responsabilité de l'entreprise ne soit acquis par l'effet du premier jugement. De plus, l'association agréée n'ayant pas à rassembler un nombre élevé de mandats pour introduire l'action, elle-même n'a pas à recourir à la publicité pour constituer son dossier et ne court ainsi pas le risque, comme l'a souligné Mme Murielle Robert-Nicoud, présidente de l'association nationale des juges d'instance, d'engager sa responsabilité pour diffamation ou dénigrement à l'égard de l'entreprise concernée.

En revanche, une fois le jugement déclaratoire de responsabilité rendu, il n'y a plus de doute possible sur le principe de la réparation du préjudice causé par l'entreprise : la publicité conférée au jugement pour permettre la constitution du groupe des victimes n'est plus susceptible de porter atteinte aux intérêts du professionnel.

L'action déclaratoire de responsabilité présente un autre avantage : elle est plus simple à conduire pour l'association qui l'initie, et moins coûteuse . En effet, au cours de la première phase du jugement, qui décide du principe de la responsabilité, l'association agréée n'a à s'appuyer que sur un nombre limité de situations individuelles, représentatives de celle des autres victimes potentielles. Elle ne doit rapporter la preuve du préjudice subi et démontrer la responsabilité de l'entreprise que pour ce petit groupe. Le procès organisé à ce niveau est comparable à un procès individuel : cette décomposition en deux phases successives de jugement retarde le moment où la massification de l'action de groupe doit intervenir . Ce n'est que lors de l'évaluation du préjudice que l'ensemble des victimes doit être considéré.

Du fait de cette simplicité et des garanties qu'il présente, le modèle de l'action déclaratoire de responsabilité est celui que la plupart des personnes entendues par vos rapporteurs ont privilégié, qu'elles se soient prononcées pour la création d'une action de groupe ou qu'elles s'y soient déclarées hostiles, cette solution leur apparaissant comme la plus acceptable.

L'action déclaratoire de responsabilité présente un dernier avantage : sous réserve de quelques aménagements, elle peut, ainsi que l'ont montré M. le professeur Serge Guinchard et Mme le professeur Véronique Magnier, facilement se fondre dans les règles procédurales françaises. Or, le respect de ces principes est le plus sûr moyen de garder la procédure d'action de groupe des errements de la « class action ».

Recommandation n° 9 - Organiser l'action de groupe selon deux phases distinctes :

- la première permettrait à une association agréée de présenter au juge un nombre limité de cas exemplaires dans lesquels des consommateurs ou des investisseurs sont victimes de préjudices analogues trouvant leur origine dans le même manquement d'un professionnel à ses obligations, afin que le juge statue sur le principe de sa responsabilité ;

- la seconde permettrait au juge, après constitution du groupe des victimes, de statuer sur l' indemnisation versée à ses membres.

Recommandation n° 10 - Sauf pour les points faisant l'objet des recommandations qui suivent, appliquer les règles procédurales de droit commun.

La procédure proposée est résumée dans le schéma joint en début de rapport.

1. Un premier jugement déclaratoire de responsabilité pour faciliter l'introduction de l'action de groupe tout en protégeant les entreprises contre les actions fantaisistes ou abusives

Cette première phase de jugement doit être organisée de manière à concilier trois exigences essentielles : la protection des droits de l'entreprise ou du professionnel mis en cause, la préservation des intérêts des victimes non parties à l'action et l'efficacité de la nouvelle voie de droit créée.

a) Garantir l'efficacité de la nouvelle voie de droit créée

Le groupe de travail juge nécessaire de tirer les enseignements de l'échec, que nul ne conteste, de l'action en représentation conjointe. Seules cinq actions de ce type ont été conduites, parce que ceux qui auraient souhaité en initier d'autres en ont été empêchés par les conditions très restrictives définies par le texte.

Or, il ne sert à rien de créer une nouvelle voie de droit dont les justiciables ne peuvent se saisir, faute de parvenir à réunir les conditions exigées pour introduire l'instance. La protection des droits et des intérêts des entreprises justifie un encadrement procédural strict. Mais ce dernier ne doit pas avoir pour conséquence de faire perdre toute pertinence ou toute efficacité à la procédure mise en place.

À cet égard, au stade de l'introduction de l'instance, deux questions se posent.


• L'initiative de l'action déclaratoire de responsabilité

L'action est lancée par une association, alertée du dommage causé par une entreprise ou un professionnel à des consommateurs ou des investisseurs : l'association doit-elle préalablement recueillir mandat des intéressés pour introduire, en leur nom, une action de groupe ?

Tel est le cas dans le schéma de l'action en représentation conjointe. Cependant, dans cette action, l'association n'agit qu'au nom de ses mandants, et nulle autre victime ne pourra bénéficier des effets du jugement si elle ne s'est jointe à temps à l'instance.

Or, dans sa première phase de jugement, la logique de l'action déclaratoire de responsabilité est différente : il ne s'agit pas d'obtenir une décision sur la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis des personnes identifiées que l'association représenterait. Il s'agit d'obtenir du juge qu'il statue sur le principe de la responsabilité de l'entreprise pour l'ensemble des dommages causés à des individus placés, vis-à-vis d'elle, dans des situations identiques ou analogues.

La responsabilité sur laquelle il est statué au cours de cette première phase de jugement est donc une responsabilité « objectivée », au sens où elle repose sur les seuls éléments identiques parmi toutes les situations individuelles envisagées, qui doivent être suffisants pour l'établir. Elle ne préjuge cependant pas de la responsabilité effective de l'entreprise pour chacun des cas individuels, dans la mesure où celle-ci peut être affectée par des circonstances propres à l'espèce.

En effet, le principe de cette responsabilité acquis, le droit individuel de chacune des victimes à obtenir réparation doit encore être établi, ce qui sera l'objet de la seconde phase de jugement, où la partie mise en cause pourra le cas échéant opposer à certains des plaignants des causes d'exonération de sa responsabilité qui leur seraient propres.

L'action déclaratoire de responsabilité ne s'attachant pas à des cas précis, mais visant plutôt une situation susceptible de s'être répétée à l'identique ou de manière analogue un nombre élevé de fois, il n'est pas nécessaire que, pour la mener, l'association dispose d'un mandat donné par des consommateurs particuliers.


• La présentation de cas exemplaires

L'association qui introduit l'action fait face à une difficulté de preuve : elle doit prouver la responsabilité de l'entreprise pour un ensemble homogène de situations identiques, mais ne peut que produire des exemples individuels. Comment lui sera-t-il possible d'extrapoler à partir de ces cas individuels le principe d'une responsabilité globale ?

Le groupe de travail estime que cette difficulté peut être surmontée s'il est imposé à l'association non seulement de démontrer la responsabilité de l'entreprise dans des cas précis, mais aussi le caractère exemplaire ou généralisable des situations qu'elle présente.

Un tel mécanisme s'inspire des procédures d'action modèle ou de « test case » par lesquels les juges anglais ou allemand 72 ( * ) rendent une décision dans un cas-type, qui vaut pour tous les cas analogues.

Le ou les cas présentés peuvent être des cas précis, à charge pour l'association requérante de démontrer en quoi ils correspondent dans leurs éléments essentiels aux situations dans lesquelles se trouvent placées les autres victimes membres potentiels du groupe.

L'action déclaratoire de responsabilité pourrait aussi s'appuyer sur une démonstration objective de la responsabilité de l'entreprise lorsque le manquement incriminé présentera un tel caractère objectif. Tel est le cas pour une infraction aux règles de la concurrence ou l'inclusion d'une clause abusive dans un modèle de contrat. Néanmoins elle devrait compléter sa démonstration par la preuve que ce manquement est susceptible d'avoir été à l'origine d'un préjudice de masse pour les consommateurs concernés.

Le recours à cette technique des cas exemplaires permettra au juge de définir le groupe possible des victimes à partir des caractéristiques déterminantes des cas qui lui auront été soumis et pour lesquels il aura prononcé le principe de la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause.

Recommandation n° 11 - Prévoir que l'association agréée ne soumette au juge qu'un nombre limité de cas exemplaires qui définiraient, au regard des préjudices qu'ils visent et des faits reprochés, les limites du groupe possible des plaignants.

b) Préserver les droits des victimes non parties à l'action

Non seulement l'association engage l'action de groupe sans avoir à en informer les victimes, mais ces dernières peuvent choisir, dans le mécanisme retenu par vos rapporteurs pour la constitution du groupe des victimes, d'en bénéficier ou de s'en exclure. Cependant, elles ne se détermineront qu'une fois connue l'issue du jugement sur la responsabilité. Si les délais de prescription de leur action individuelle continuaient à courir pendant l'instance de l'action de groupe, le risque serait grand qu'elles soient forcloses.

En outre, il convient, autant que possible, d'encourager les victimes à obtenir réparation dans le cadre de l'action de groupe et éviter ainsi que se multiplient les instances individuelles. Or, le fait que le cours de la prescription ne soit pas suspendu pendant l'action de groupe conduirait les intéressés à introduire parallèlement une action individuelle afin de préserver leurs intérêts si le recours collectif échouait ou ne les satisfaisait pas.

C'est pourquoi, dans l'idée de préserver les droits des victimes non parties à l'action, le groupe de travail préconise de prévoir la suspension du cours de la prescription de l'action individuelle en responsabilité pour les membres potentiels du groupe, pendant la durée de la première phase de l'action de groupe.

Recommandation n° 12 - Prévoir que les personnes susceptibles d'avoir subi le dommage visé par l'action de groupe bénéficient de la suspension de la prescription sur leur action individuelle jusqu'à ce que la décision statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause devienne définitive.

c) Protéger les entreprises contre les actions infondées ou abusives et garantir le respect des droits de la défense

Les réflexions du groupe de travail ont été animées par le souci constant de préserver la compétitivité des entreprises françaises et d'éviter, grâce à la définition de mécanismes procéduraux adaptés, qu'elles puissent être soumises à des tentatives de déstabilisation qui prendraient la forme d'actions de groupe abusives.

Or, les associations représentatives des entreprises ont à cet égard fait part de deux inquiétudes.


• La protection contre les actions abusives ou infondées

Les représentants des entreprises ont exprimé la crainte qu'en l'absence d'un contrôle préalable de recevabilité de la demande, les actions puissent se multiplier sans que le juge puisse écarter celles qui seraient manifestement abusives ou infondées, alors que, pendant toute la durée de l'instance, une exploitation médiatique qui nuirait aux intérêts du professionnel injustement mis en cause pourrait se développer.

Les inquiétudes ainsi exprimées sont légitimes. Cependant, le groupe de travail considère que le mécanisme qu'il propose permet d'y répondre.

En effet, le jugement rendu sur le principe de la responsabilité du professionnel intègre, comme tout jugement, un contrôle de la recevabilité de l'action. À ce titre, le juge devra s'assurer que l'action de groupe introduite devant lui l'est par une association agréée et qu'elle porte sur des préjudices indemnisables par l'action de groupe. Il lui appartiendra en particulier de vérifier que l'action relève bien du champ de la consommation, de la concurrence ou du droit financier et qu'elle vise bien un préjudice matériel identique ou analogue entre plusieurs victimes et non des préjudices individuels non homogènes. Les actions manifestement abusives ou infondées pourront donc être écartées dès le stade du premier jugement.

En outre, l'action de groupe proposée s'intégrant aux règles traditionnelles de la procédure civile, les dispositions relatives à la sanction des actions abusives ou des recours dilatoires sont aussi applicables, en particulier l'article 32-1 du code de procédure civile qui prévoit que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ». L'instrumentalisation médiatique d'une action de groupe à des fins déloyales pourrait quant à elle tomber sous le coup du délit de diffamation prévu par les articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


• La question de la préservation des droits de la défense

Le respect du contradictoire constitue le second sujet de préoccupation des représentants des entreprises, qui craignent que le professionnel attaqué n'ait pas la possibilité à l'instance d'opposer le fait des plaignants, ou qu'il n'ait pas de moyen, faute de précision suffisante, de contester les éléments de preuve produits par la partie adverse. Une fois le jugement acquis, et le groupe des plaignants connus, le professionnel ne pourrait plus remettre en cause le principe de sa responsabilité, alors même que celle-ci ne devrait pas être engagée vis-à-vis de certains membres du groupe.

Vos rapporteurs considèrent que la procédure retenue ne porte pas atteinte au principe du contradictoire. En effet, lors de la première phase de jugement, l'association agréée, qui agit au nom de la défense de l'intérêt des consommateurs en général, est la seule partie requérante à l'instance. Le défendeur à l'action connaît son adversaire : il n'y a donc aucun obstacle à l'organisation d'échanges contradictoires. Les cas exemplaires soumis par l'association au juge peuvent être contestés par le professionnel attaqué.

Lors de la seconde phase de jugement, les membres du groupe des victimes sont tous identifiés. À l'occasion de l'examen de leur demande en réparation de leur préjudice, le professionnel a la possibilité d'opposer toutes les causes d'exonération de sa responsabilité qui seraient liées aux particularités de la situation individuelle des intéressés par rapport aux cas exemplaires sur lesquels le juge s'est prononcé au cours de la première phase de jugement. Il peut par exemple s'agir de la participation de la victime à son propre dommage ou d'un élément qui devrait l'exclure du groupe des victimes. Ainsi, l'obligation d'information en matière de placements financiers n'a pas la même portée vis-à-vis d'un consommateur sans expérience particulière et vis-à-vis d'un consommateur averti dans ce domaine, en raison de sa formation ou de sa profession.

D'une certaine manière, s'agissant de l'action qui opposera les victimes et le professionnel, le contradictoire n'est pas nié : il est seulement décalé dans le temps, puisqu'il n'intervient que dans la seconde phase de jugement, au moment où l'ensemble des parties sont présentes à l'instance 73 ( * ) .

Un point mérite d'être souligné : le passage à la seconde phase de jugement qui opposera, selon une procédure simplifiée, l'entreprise à l'ensemble des victimes alléguées dépend de l'issue de la première phase de jugement. Sauf à porter gravement atteinte aux intérêts du défendeur à l'action, il est nécessaire que le principe de sa responsabilité soit définitivement établi pour que s'engage l'instance relative à l'indemnisation individuelle des plaignants. À défaut, des dommages-intérêts pourraient être versés, alors même qu'une décision d'appel ou de cassation remettrait en cause le principe de la responsabilité du professionnel. C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent de n'autoriser le passage à la seconde phase du jugement que lorsque la décision rendue sur le principe de la responsabilité est devenue définitive. Il conviendrait que les recours soient traités suffisamment rapidement, par exemple par une procédure d'appel à jour fixe.

Recommandation n° 13 - Prévoir que le juge se prononce, à l'issue du procès, sur la responsabilité de l'entreprise par un jugement déclaratoire de responsabilité.

Recommandation n° 14 - Ne permettre le passage à la seconde phase de l'action de groupe qu'une fois les voies de recours éventuelles expirées et le jugement déclaratoire de responsabilité passé en force de chose jugée.

2. Encadrer les règles gouvernant la constitution du groupe

La constitution du groupe des personnes lésées est une étape essentielle de l'action de groupe, puisqu'elle permet à la fois d'avertir ses membres potentiels de la faculté qu'ils ont de participer à l'action et qu'elle met pour la première fois l'entreprise face à l'ensemble des plaignants, manifestant l'étendue du risque auquel elle est exposée.

La procédure de constitution du groupe doit en conséquence répondre à deux exigences différentes, l'une vis-à-vis des victimes potentielles, l'autre vis-à-vis du professionnel défendeur. S'agissant des premières, elle doit garantir que toutes les victimes potentielles auront bien connaissance de l'action et qu'elles pourront s'y joindre. S'agissant du second, elle doit lui permettre d'identifier les plaignants, afin de préparer correctement sa défense, et éviter que se joignent à l'action des individus qui n'y auraient aucun titre.

Compte tenu de l'importance de l'enjeu, le groupe de travail préconise de soumettre l'opération de constitution du groupe au contrôle du juge . Il retient par ailleurs le principe d'une adhésion volontaire au groupe , qui manifeste l'implication de la victime, plutôt que celui d'une adhésion présumée qui maximise, sur une base incertaine, le risque auquel l'entreprise est exposée.

a) Le contrôle du juge sur la constitution du groupe

Le contrôle du juge sur la constitution du groupe interviendrait à la fin de la première phase de jugement, dans la décision rendue sur le principe de la responsabilité du professionnel et porterait sur deux éléments : les critères en fonction desquels une personne pourra être rattachée au groupe des plaignants et les modalités de publicité qui seront utilisées pour informer les personnes intéressées de l'action de groupe en cours.


• La définition des critères de rattachement au groupe

Pour convaincre le juge de l'existence d'un préjudice de masse qui engage la responsabilité de l'entreprise à l'égard d'un groupe d'individus, l'association agréée s'est fondée sur quelques cas exemplaires ou sur un cas type. Ces différents cas présentent un ensemble de traits communs avec la situation des autres personnes lésées (dommage subi, fait à l'origine du dommage, caractéristiques propres au consommateur victime, période couverte par le contrat etc. ), qui, à eux seuls, suffisent à établir le principe de la responsabilité du professionnel. Ces traits justifient qu'une personne soit rattachée au groupe ou pas et en fixent la limite.

Il revient en conséquence au juge de les définir afin de permettre aux intéressés de comprendre qu'ils peuvent se joindre à l'action de groupe, et de vérifier, au moment de la réception des demandes, que tous les plaignants répondent bien aux critères exigés. Ainsi il pourra exclure à ce stade certains consommateurs qui ne pourraient démontrer qu'ils ont subi le préjudice allégué, ni qu'ils ont été placés dans la situation-type décrite dans le jugement.

En outre, le juge pourra aussi par ce biais identifier des sous-groupes de victimes au sein du groupe, ce qui permettra de faciliter l'individualisation de la réparation qui devra leur être versée.

Recommandation n° 15 - Prévoir que le juge définisse dans la décision déclaratoire de responsabilité, les critères de rattachement au groupe , ou le cas échéant, à des sous-groupes, des personnes lésées. Lors de la réception des demandes d'intégration au groupe, le juge s'assurera de leur recevabilité au regard de ces critères.


• L'organisation des modalités de publicité

L'échec de l'action en représentation conjointe est dû pour partie à la difficulté des associations agréées pour recueillir les mandats qui leur auraient permis de constituer le groupe des plaignants. L'article L. 422-1 du code de la consommation interdit en effet que ces mandats soient sollicités « par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, [...] par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée ». Il prohibe le recours aux formes de publicité les plus efficaces, et condamne à l'échec les tentatives des associations agréées pour réunir ces mandats.

Vos rapporteurs considèrent que, sauf à tuer dans l'oeuf la procédure d'action de groupe, il ne faut pas limiter a priori les moyens de publicité auxquels il pourrait être recouru pour informer le public de l'engagement de l'action de groupe et du prononcé du principe de la responsabilité du professionnel en cause.

Le groupe de travail préconise donc que le juge prévoit les modalités de publicité applicables en vue de la constitution du groupe. Celles-ci n'ont pas à être fixées dans la loi, le juge appréciant, en fonction de l'espèce, les moyens de publicité les plus appropriés. Il pourrait par exemple enjoindre à l'entreprise de lui fournir la liste des clients concernés et prévoir qu'un courrier recommandé leur sera adressé pour les informer de la possibilité qui est la leur de se joindre à l'action de groupe.

Dans la mesure où la responsabilité du professionnel est reconnue, il est légitime que le coût de la publicité nécessaire pour permettre la constitution du groupe des personnes lésées par ses agissements soit à sa charge.

Recommandation n° 16 - Charger le juge d'organiser, dans la même décision qui prononce le jugement déclaratoire de responsabilité, les modalités de publicité applicables pour la constitution du groupe de victimes et en imputer la charge au professionnel responsable.

Recommandation n° 17 - Laisser au juge le soin de définir, en fonction de l'espèce, les modalités de publicité pertinentes , sans fixer, dans la loi, les moyens auxquels il peut être recouru.

b) Privilégier l'adhésion volontaire au groupe

Vos rapporteurs ont constaté que la façon dont le groupe se constitue est l'une des questions les plus débattues. Deux options sont possibles. Soit l'adhésion des intéressés est présumée et le groupe comprend donc l'ensemble des victimes sauf celles qui ont exprimé leur refus d'y participer : c'est le mécanisme dit de l'« opt out ». Soit l'adhésion volontaire des intéressés est nécessaire, et le groupe n'est constitué que de ceux qui ont expressément manifesté leur accord : c'est le choix de l'« opt in ».


• L'adhésion présumée ou « opt out » : une solution juridiquement très incertaine

La solution de l'« opt out », notamment en vigueur aux Etats-Unis, au Québec ou au Portugal, a la préférence des associations de consommateurs, comme l'ont indiqué les représentants de l'UFC-Que choisir, de la confédération syndicale des familles et la CGT INDECOSA. Mme Reine-Claude Mader, présidente de la confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) s'est aussi prononcée pour cette solution mais seulement lorsque le préjudice est inférieur à 4 000 euros. Mme Elyane Zarine, présidente de l'organisation générale des consommateurs (ORGECO) a défendu l' « opt out » pour l'introduction de l'instance et la conduite de l'action de groupe par l'association et l'« opt in » au stade de la demande individuelle de réparation.

La solution de l'« opt out » a notamment été reprise dans la proposition de loi de M. Luc Chatel, député, tendant à instaurer les recours collectifs des consommateurs, déposée le 26 avril 2006 à l'Assemblée nationale 74 ( * ) ou dans celle de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault, député, relative à la suppression du crédit revolving, à l'encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l'action de groupe, déposée le 2 septembre 2009 à l'Assemblée nationale 75 ( * ) .

Cette solution est défendue pour des raisons liées à l'efficacité du système, l'association pouvant agir au nom de tous, y compris pour des préjudices modiques, sans avoir à supporter les frais d'une recherche exhaustive de mandats.

Cependant, en dehors des associations de consommateurs citées, la quasi-totalité des personnes entendues par vos rapporteurs se sont déclarées opposées à l'« opt out », et ont souligné les risques juridiques que présenterait une procédure d'action de groupe construite sur ce modèle.

En effet, les associations représentatives des entreprises ont considéré que cette technique portait atteinte au principe procédural selon lequel nul ne plaide par procureur, puisque tel serait le cas d'une association qui agirait au nom d'un groupe indéterminé de personnes, dont l'adhésion à l'action serait seulement présumée.

Cet argument trouve un appui dans une décision du 25 juillet 1989 du Conseil constitutionnel. Ce dernier a considéré que le mécanisme par lequel un syndicat pouvait agir en justice pour le compte d'un salarié n'était conforme à la constitution qu'« à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à son action » 76 ( * ) . Appliquant cette exigence à la procédure prévue par la loi soumise à son examen, le Conseil constitutionnel a jugé que l'acceptation tacite du salarié ne pouvait être considérée comme acquise « qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance » de la lettre comportant « toutes les précisions utiles sur la nature et l'objet de l'action exercée, sur la portée de son acceptation et sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action ». Faute de pouvoir prouver cette abstention positive et informée, le syndicat ne pourrait être recevable à agir en son nom. Or l'association agréée qui mène une action de groupe n'est pas toujours en mesure d'apporter une telle preuve dans le cadre d'un mécanisme d'« opt out », surtout lorsqu'elle n'a pu identifier précisément les consommateurs victimes et qu'elle a recouru à des moyens de publicités collectifs, comme la diffusion d'annonces publicitaires par voie de presse ou audiovisuelle.

Mme Gaëlle Patetta, directrice juridique de l'UFC-Que choisir a opposé à cette interprétation celle développée par M. le professeur Michel Verpeaux, qui considère que l'atteinte portée à la liberté personnelle de ceux au nom desquels est menée l'action de groupe sans qu'ils aient donné leur accord, pourrait être justifiée, aux yeux du juge constitutionnel, dans le cas particulier de l'action de groupe, par la nécessité de favoriser l'effectivité de la garantie des droits, l'accès effectif à un juge et le droit des victimes à voir sanctionner les fautes du responsable 77 ( * ) . Il suffirait alors que soit prévue la possibilité pour les intéressés de s'exclure de l'action à tout moment.

Vos rapporteurs considèrent qu'une telle interprétation, qui ne rend pas forcément compte de la précision des exigences posées par le juge dans sa décision, méconnaît un aspect fondamental de l'action de groupe menée sur la base de l'« opt out » : le jugement a l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous les membres du groupe, qui ne peuvent plus s'en exclure une fois qu'il est devenu définitif. D'ailleurs, le montant de la réparation versée par l'entreprise est fonction de la taille du groupe des plaignants et inclut ceux dont l'adhésion implicite a été présumée.

L'« opt out » pose une autre difficulté : en l'absence d'une adhésion volontaire, les membres du groupe peuvent rester non identifiés. Tel est le cas, par exemple, pour les consommateurs qui ont acheté un produit défectueux sans passer de contrat nominatif. Faute de connaître précisément l'identité de tous les membres du groupe, l'entreprise ne peut employer certains moyens de défense qui lui permettraient, par exemple, d'opposer à un consommateur son propre fait ou la part qu'il a pris dans la réalisation de son dommage. L'« opt out » ne garantit pas le respect des droits de la défense.

En raison des difficultés juridiques décrites, le groupe de travail préconise d'écarter la règle de l'adhésion présumée au groupe et de privilégier l'adhésion volontaire.


• L'adhésion volontaire ou « opt in » : une solution en phase avec les principes régulateurs du procès

La solution de l'« opt in » présente un double mérite : d'une part, elle garantit qu'aucun justiciable n'est engagé contre sa volonté ou sans le savoir dans une action en justice, et d'autre part, elle permet au professionnel attaqué de connaître l'ensemble des plaignants et de construire sa défense en conséquence. C'est la solution la plus compatible avec les principes français du procès, puisqu'elle préserve la liberté personnelle des victimes et garantit le respect des droits de la défense.

Il s'agit de l'option notamment retenue par la plupart des pays européens ayant mis en place une procédure d'action de groupe : l'Allemagne, la Suède, l'Angleterre et le Pays de Galles, l'Italie ou l'Espagne.

Plusieurs propositions reprennent le principe de l'adhésion volontaire à l'action de groupe : c'est notamment le cas de la Proposition pour un code de la consommation de la commission pour la codification du droit de la consommation présidée par M. Jean Calais-Auloy 78 ( * ) , de la proposition de loi de nos collègues Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, sur le recours collectif, déposée le 25 avril 2006 au Sénat, qui a fait l'objet d'un nouveau dépôt le 9 février 2010 79 ( * ) , et du projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale 80 ( * ) .

En outre, la très grande majorité des personnes entendues par vos rapporteurs s'est prononcée pour la solution de l'« opt in », parce qu'elle constitue l'un des éléments clés de l'encadrement de l'action de groupe et permet d'en éviter les dérives.

Certes, cette solution peut paraître plus coûteuse, puisqu'elle impose, au stade de la constitution du groupe, de déployer les moyens nécessaires pour recueillir l'assentiment des intéressés et qu'elle oblige le juge à se prononcer sur des indemnisations individuelles, les personnes victimes de préjudice étant toutes identifiées. Mais la préservation des intérêts et des droits des plaignants, comme du professionnel défendeur, est à ce prix.

Recommandation n° 18 - Poser le principe d'une adhésion volontaire au groupe (opt in) .

3. Faciliter, au cours de la second phase du jugement, la juste indemnisation des personnes lésées

Tout l'objet de la procédure d'action de groupe est de permettre au justiciable d'obtenir la réparation légitime dont il aurait été privé s'il n'avait eu, comme seul recours, que son action individuelle. Sauf à déséquilibrer le bilan coûts avantages pour la personne lésée, l'indemnisation reçue doit être juste, et intervenir rapidement et à moindre frais. Dans cette perspective, doivent être privilégiées les voies procédurales les plus efficaces, mais aussi celles qui préservent le plus les droits des parties.

a) Favoriser la médiation pour l'indemnisation sans la poser en préalable


• La médiation, instrument complémentaire à l'action de groupe

Il y a tout lieu de se féliciter du développement de la médiation en France, qu'elle soit judiciaire ou organisée, avant toute saisine d'une juridiction, par les professionnels eux-mêmes.

Les représentants du mouvement des entreprises de France ont défendu devant vos rapporteurs les nombreux avantages de la médiation extrajudiciaire pour la résolution des litiges de consommation. Il s'agit, pour le consommateur, d'une procédure en principe gratuite, rapide et facile d'accès. Elle est source de progrès pour l'entreprise, qui est ainsi mieux informée des attentes des consommateurs, et source d'économies, puisqu'elle permet de réduire le nombre de litiges faisant l'objet d'une procédure judiciaire.

Les succès parfois rencontrés par la médiation dans certains domaines, comme les assurances ou le secteur bancaire, tels qu'ils ont été présentés par les représentants de la fédération française des assurances et de la fédération bancaire française sont à cet égard encourageants. Cependant la médiation reste encore trop peu développée dans de nombreux secteurs professionnels.

M. Hervé Novelli s'est fortement engagé en faveur du développement en France de la médiation, en lien avec les exigences communautaires en la matière et notamment la directive européenne sur la médiation en matière civile et commerciale 81 ( * ) . Au cours des assises de la consommation du 26 octobre 2009, il a proposé de définir dans la loi la notion de médiation, ce qui permettra un certain encadrement des pratiques qui se développent, d'instaurer une certification des services de médiation en matière de consommation, d'assurer un suivi transversal de la médiation au sein d'un « comité de la médiation » et de généraliser la médiation à tous les secteurs économiques.

Estimant que la médiation n'était pas un substitut mais un préalable à l'action de groupe, il a jugé nécessaire de conditionner l'introduction en droit français d'une telle procédure au développement de la médiation.

Le groupe de travail est convaincu de l'utilité des modes alternatifs de règlement des litiges et de l'intérêt qui s'attache à leur développement. Cependant si les consommateurs et les entreprises auront tout à gagner à ce que le dossier de la médiation et celui de l'action de groupe progressent de concert, l'avancement de l'un ne doit pas dépendre des progrès enregistrés par l'autre. À cet égard, la création d'une procédure d'action de groupe constituera une puissante incitation pour les entreprises à développer des mécanismes de médiation interne qui leur permettront de répondre efficacement aux réclamations des consommateurs.


• La conduite de l'action de groupe ne peut être conditionnée à l'organisation d'une médiation

Plusieurs des personnes entendues par vos rapporteurs ont jugé nécessaire que l'action de groupe inclue une phase de médiation obligatoire. Ainsi, les représentants de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ont défendu cette option en s'inspirant du mécanisme retenu par le projet de loi en faveur des consommateurs précité 82 ( * ) .

Cependant, comme l'ont souligné les représentants du mouvement des entreprises de France, la médiation ne peut réussir que si les deux parties en acceptent le principe. Une médiation obligatoire préalable à l'exercice d'un recours judiciaire est vouée à l'échec. Mme le professeur Véronique Magnier a à cet égard relevé le paradoxe qu'il y aurait à favoriser l'accès au juge par l'action de groupe, en rendant possible, en conférant un caractère obligatoire à la médiation, son instrumentalisation à des fins dilatoires.

Le groupe de travail n'a en conséquence par retenu cette option. En outre, il a estimé que la décision prononçant le principe de la responsabilité du professionnel sera une incitation puissante pour les parties à s'engager dans une procédure de médiation, puisque le principe de la réparation ne fera plus de doute et qu'il ne s'agira que de solder, le plus rapidement possible, le contentieux en versant l'indemnisation nécessaire.


• Intégrer le recours potentiel à la médiation à l'action de groupe pour faciliter l'indemnisation des victimes

La médiation est certainement la voie la plus rapide et la plus efficace pour apporter au consommateur lésé la réparation qui lui est due. Il convient donc, sans la rendre obligatoire, de l'intégrer à la procédure d'action de groupe, comme une des options ouvertes aux parties pour régler leur litige, en permettant en particulier que le juge propose aux parties de s'engager dans une médiation.

En principe, elle devrait pouvoir intervenir à tout moment. Cependant, il ne s'agit pas d'une option anodine : l'accord auquel la médiation aboutit permet d'éteindre l'action de groupe. Dans la mesure où les membres du groupe ne sont que représentés à cette médiation, et non parties, il n'est pas certain que tous acceptent la proposition qui leur est faite. Ils peuvent au contraire souhaiter que l'action de groupe poursuive son cours.

C'est pourquoi, afin de préserver les intérêts des personnes lésées, le groupe de travail préconise un encadrement minimal de la médiation qui interviendrait au cours d'une action de groupe.

Il est tout d'abord logique que ce soit l'association agréée qui représente les consommateurs lésés ou, si plusieurs associations se sont jointes à l'action, l'association agréée chef de file, qui conduise la négociation. Ainsi, la médiation engagée conserve un caractère collectif, l'association étant en charge des intérêts de l'ensemble des membres du groupe quel que soit la gravité de leur préjudice matériel.

Ensuite, il est nécessaire de prévoir l'homologation par le juge de l'accord éventuellement conclu. En effet, un désaccord peut survenir entre l'association requérante et certains des membres du groupe dont elle a porté l'action. Par ailleurs la médiation peut ne porter que sur un accord partiel, seule une partie du groupe étant indemnisée de son préjudice. Le juge doit s'assurer que la réparation proposée à l'issue de la médiation est bien conforme aux intérêts de toutes les personnes lésées. En particulier, il est possible que l'appartenance au groupe de certains individus soit contestée par le professionnel, qui refuse de leur verser l'indemnisation prévue : il revient au juge de trancher ce point.

À défaut d'homologation les plaignants pourraient continuer à bénéficier de la procédure d'action de groupe ouverte.

Enfin, les victimes qui le souhaitent pourraient s'exclure de la médiation et engager leur propre action individuelle.

Recommandation n° 19 - Favoriser la médiation dans le cadre de l'action de groupe sans en faire cependant un préalable en prévoyant :

- que le juge puisse désigner un médiateur ou proposer aux parties une médiation ;

- que le groupe soit représenté dans toute médiation par l'association agréée chef de file ;

- lorsqu'une médiation est organisée après que le principe de la responsabilité de l'entreprise a été retenu, que l'accord négocié auquel elle aboutit fasse l'objet d'une homologation par le juge, qui s'assure qu'il préserve les intérêts de l'ensemble des membres du groupe.

b) Assurer l'efficacité de la procédure d'indemnisation

Dans le schéma retenu par le groupe de travail, la phase d'évaluation du montant des réparations à verser est, comme l'a relevé M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, la phase la plus complexe et la plus longue. En effet, l'indemnisation doit se faire sur une base individuelle, ce qui impose au juge de considérer la situation particulière de chaque membre du groupe.

Pour une large part, le succès de l'action de groupe dépendra de l'efficacité de la procédure d'indemnisation qu'elle mettra en place. Conscient de cette difficulté, le groupe de travail a cherché à dessiner une procédure qui allie la souplesse nécessaire avec la préservation des droits des participants à l'action de groupe.


• Les différents types de procédures d'indemnisation

Trois schémas procéduraux différents sont envisageables.

Le premier est celui de la proposition formulée par M. le professeur Jean Calais-Auloy 83 ( * ) . Il consiste en une évaluation judiciaire des préjudices individuels 84 ( * ) . Après avoir prononcé le principe de la responsabilité du professionnel et constitué le groupe, le juge rend une ordonnance établissant la liste des consommateurs victimes et le montant de la réparation qui doit être versée à chacun. Cette ordonnance peut être contestée par chacune des parties intéressées dans un délai d'un mois. À l'expiration de ce délai, l'ordonnance devient exécutoire pour les créances qui n'ont pas fait l'objet d'opposition.

La solution retenue permet un versement rapide de la réparation. Mais elle ne facilite pas le travail judiciaire, puisqu'il appartient au juge d'évaluer chaque préjudice et de répondre à chacune des oppositions formées contre l'ordonnance qu'il a rendue. La durée prévisible de la procédure est donc son principal inconvénient.

Le schéma retenu par le projet de loi en faveur des consommateurs précité 85 ( * ) consiste à articuler la phase judiciaire avec une phase gracieuse. Une fois la décision prononçant le principe de la responsabilité de l'entreprise publiée, tout consommateur qui s'estime lésé peut, sous un certain délai, s'adresser au professionnel condamné pour demander une indemnité correspondant à son préjudice. En cas de refus de la part du professionnel ou si la somme proposée ne le satisfait pas, il peut saisir le juge.

Cette procédure privilégie la simplicité et s'apparente à une médiation forcée. Elle évite au juge d'avoir à examiner la totalité des préjudices individuels. Cependant elle repose sur la bonne volonté de l'entreprise et fait supporter, en cas de refus d'indemnisation, le coût du recours par le consommateur. Or, compte tenu de la faible valeur des sommes éventuellement en jeu, ce dernier peut être amené à renoncer à la réparation à laquelle il a pourtant droit.

Le troisième schéma repose sur une évaluation forfaitaire par le juge du préjudice subi. Il a notamment été présenté à vos rapporteurs par M Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris. Une telle indemnisation n'est pas adaptée aux préjudices qui ne sont pas tous identiques, dans la mesure où elle risquerait de mettre en cause les principes d'égalité de traitement et de réparation intégrale du préjudice subi. Cependant, il est envisageable de concevoir, comme l'a indiqué Mme Pascale Fombeur, alors directeur des affaires civiles et du sceau, une procédure à l'issue de laquelle le juge définirait un schéma d'indemnisation associant une indemnisation forfaitaire par type de préjudices définis ou une règle de calcul de l'indemnisation en fonction de la gravité du préjudice subi. Un tel schéma d'indemnisation est en effet adapté au contentieux de la consommation car les préjudices qu'il génère sont homogènes ou fonction d'éléments aisément quantifiables (nombre d'heures de communication surtaxées, nombre de produits achetés, surcoût d'achat).

L'intérêt de ce dispositif est de permettre au juge de définir l'indemnisation à verser à partir de chaque type de préjudice et de leur gravité sans avoir nécessairement à procéder à une évaluation individuelle. Le jugement rendu sur ce point peut alors valoir titre exécutoire pour les plaignants qui peuvent s'en prévaloir, sauf contestation de sa part, auprès du professionnel, afin qu'il leur verse l'indemnisation correspondant à leur préjudice.

Contrairement à la précédente, cette solution fait donc reposer la charge de la contestation de l'acte sur le professionnel et non sur le consommateur. En outre elle permet, comme la première procédure, d'obtenir un paiement rapide, en l'absence de recours, de la réparation due. En revanche, elle n'est pas adaptée aux préjudices non aisément quantifiables, qui requièrent un examen individuel.


• La position du groupe de travail

Vos rapporteurs constatent que selon le type de préjudice sur lequel porte l'action de groupe et selon la disposition d'esprit des parties en présence, les procédures présentées s'avèrent plus ou moins efficientes. Celle qui impose au juge d'évaluer individuellement chaque préjudice fonctionne très bien lorsque tous les préjudices sont identiques et permet aux plaignants de bénéficier rapidement de la réparation qui leur est due. La procédure qui articule une phase judiciaire et une phase gracieuse est par définition la plus pertinente lorsque l'entreprise reconnaît sa faute et s'engage à réparer le dommage qu'elle a causé. La technique du schéma d'indemnisation est la plus adaptée pour les préjudices variables mais quantifiables.

C'est pourquoi, dans un souci de pragmatisme, le groupe de travail recommande de laisser au juge un large pouvoir d'appréciation pour décider la méthode d'indemnisation qu'il utilisera.

Trois options s'offriraient à lui :

- privilégier la voie gracieuse en proposant une médiation dont il homologuera, comme on l'a vu, l'accord si elle réussit ;

- présenter dans sa décision un schéma d'indemnisation suffisamment précis pour que les parties puissent connaître à partir d'éléments concrets la valeur de l'indemnisation à laquelle ils ont droit en fonction de leur préjudice. Le cas échéant, le juge pourrait prévoir, si cela se justifie, une indemnisation forfaitaire ;

- procéder à une évaluation individuelle des préjudices.

S'il n'est pas contesté, le jugement fixant l'indemnisation due par le professionnel au groupe des plaignants, acquerrait force exécutoire et leur permettrait d'obtenir le paiement des sommes dues, le cas échéant dans les conditions que le juge aura fixées.

Ainsi il pourrait indiquer quelles pièces (contrat d'adhésion, facture mensuelle) le consommateur lésé devra présenter au professionnel pour que celui-ci détermine le montant de sa créance.

Dans sa contestation du jugement, le professionnel pourrait notamment faire valoir la non-appartenance de l'intéressé au groupe des victimes, les causes exonératoires de responsabilité qui lui seraient propres ou la mauvaise évaluation du préjudice qu'il a subi.

Recommandation n° 20 - Permettre au juge de définir, lorsque la nature du préjudice s'y prête, dans sa décision relative à l'indemnisation, les critères permettant de la liquider à partir d'un schéma d'indemnisation.

Recommandation n° 21 - Prévoir que le jugement d'indemnisation vaille titre exécutoire pour chacun des membres du groupe, sauf lorsque l'entreprise conteste au cas par cas l'intégration de la personne concernée au groupe ou la liquidation retenue à son profit, en lui opposant par exemple sa propre faute.

Recommandation n° 22 - Autoriser le juge à fixer dans sa décision les conditions dans lesquelles la personne lésée pourra obtenir le paiement par le professionnel des sommes qui lui sont dues.


• La nature de la réparation versée

Les règles générales de la responsabilité civile ont vocation à s'appliquer.

Cependant afin de dissiper des inquiétudes plusieurs fois exprimées au cours des auditions, le groupe de travail souhaite réaffirmer son opposition au principe des dommages-intérêts punitifs qui alourdissent considérablement le coût de l'action de groupe pour l'entreprise et sont contraires au principe de la réparation intégrale du préjudice.

De la même manière, il convient de réaffirmer la possibilité d'une réparation en nature, qui peut, selon le cas, s'avérer plus adaptée.

Ainsi une surfacturation de communication téléphonique peut être compensée par l'octroi de minutes supplémentaires sur le forfait des consommateurs lésés. Un tel type de réparation peut d'ailleurs s'avérer plus profitable qu'une réparation pécuniaire pour le consommateur, comme pour le professionnel.

Le juge devrait donc pouvoir décider une réparation en nature, lorsque l'entreprise le lui proposera.

Recommandation n° 23 - Permettre explicitement au juge d'accepter la proposition faite par le professionnel d'une réparation en nature, lorsque celle-ci s'avère la plus adaptée ou la plus efficiente.

Recommandation n° 24 - Maintenir l'interdiction de prononcer des dommages-intérêts punitifs.

E. S'APPUYER SUR LES DISPOSITIFS EXISTANTS POUR LIMITER LES COÛTS DE LA PROCÉDURE ET FINANCER LES ACTIONS DE GROUPE

La question du financement des actions de groupe est une question débattue. Cependant, elle est plus ou moins importante selon la nature de la procédure retenue.

Plusieurs options ont été évoquées :

- la création d'un fonds public, financé par les dépens recueillis au cours d'actions de groupe ou par les dommages-intérêts versés pour la réparation de préjudices diffus, sans victimes identifiables ;

- la mise en place d'une fiscalité avantageuse pour les associations agréées qui compenseraient les frais qu'elles engagent pour conduire les actions de groupe ;

- un prélèvement sur les amendes auxquelles les entreprises sont condamnées par les autorités de régulation, notamment l'autorité de la concurrence, ainsi que l'ont proposé les représentants de l'institut national de la consommation ;

- le financement par un tiers ( third party financing ) qui fournirait les sommes nécessaires et percevrait un intéressement sur les dommages-intérêts versés. Ce mode de financement, qui s'apparente à une spéculation sur le risque judiciaire, n'est envisagé que dans le cadre de « class actions ».

Cependant vos rapporteurs considèrent que le mécanisme d'action de groupe qu'ils proposent ne requiert pas un financement complémentaire.

En effet, son coût est faible : dans la première phase du jugement, l'association agréée n'engage que les frais d'une action en justice, dont elle peut être remboursée par le jeu de l'article 700 du code de procédure civile.

Si le principe de la responsabilité du professionnel est retenu, les frais de la publicité décidée par le juge, sont à sa charge.

Au cours de la seconde phase de jugement, les frais engagés par l'association agréée relèvent à nouveau de l'article 700 du code de procédure civile. Il peut être à cet égard envisageable d'imposer au juge de mieux prendre en compte au titre de l'appréciation des frais non compris dans les dépens la réalité du travail fourni par l'association et son conseil juridique, qui peut varier sensiblement en fonction de la difficulté de la preuve de la responsabilité de l'entreprise et de la taille du groupe des victimes.

Recommandation n° 25 - Prévoir qu'en cas d'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'évaluation retenue tienne compte de la réalité du travail fourni par l'association et son conseil juridique.

La pratique de la rémunération des avocats de « class actions » au résultat a été unanimement condamnée au cours des auditions. À cet égard, le groupe de travail tient à réaffirmer que l'action de groupe proposée ne déroge pas aux règles déontologiques qui régissent la rémunération des avocats. Les excès de pactes de quota litis , par lesquels l'avocat d'un groupe de plaignants fixe ses honoraires en pourcentage des dommages-intérêts qui leur seront versés, ne sont pas à craindre en France. Il faut éviter que l'appât du gain motive des actions de groupe abusives : les règles déontologiques actuelles le permettent tout à fait sans qu'une exception doive y être apportée.

Recommandation n° 26 - Conserver les règles déontologiques actuelles en matière de rémunération des avocats intervenant dans une action de groupe.

F. DANS LES DOMAINES OÙ INTERVIENT UNE AUTORITÉ RÉGULATRICE, ARTICULER LA PROCÉDURE D'ACTION DE GROUPE AVEC LES DÉCISIONS DE CETTE AUTORITÉ

Dans les domaines de la concurrence ou du droit financier où intervient une autorité de régulation, chargée de constater et de sanctionner les manquements des professionnels à la législation, il est nécessaire de veiller à ce que l'action de groupe soit correctement articulée avec les procédures éventuellement initiées devant l'autorité de régulation.

En outre, le juge saisi d'une action de groupe aurait tout intérêt à pouvoir bénéficier de l'expertise des autorités concernées, en raison de la grande technicité de la matière et, notamment, de la difficulté à évaluer correctement les préjudices subis.

M. Bruno Lasserre, président de l'autorité de la concurrence et M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers ont tous deux insisté sur ce point.

C'est pourquoi, le groupe de travail préconise de recourir à la technique de l' amicus curiae : le juge pourrait ainsi solliciter l'autorité régulatrice afin qu'elle apporte ses lumières sur des faits précis reprochés à une entreprise. L'action civile et l'action administrative ou pénale resteraient cependant totalement indépendantes.

Dans le cas où le juge sera saisi de manquements par ailleurs soumis à l'examen de l'autorité de régulation, priorité devrait être donnée à cette dernière, en raison de la compétence spéciale qui est la sienne. Le juge surseoirait à statuer, dans l'attente de sa décision. Une fois celle-ci devenue définitive, le procès reprendrait son cours, sans que la décision rendue ne lie juridiquement l'appréciation du juge sur la responsabilité de l'entreprise à l'égard des consommateurs ou des investisseurs.

Recommandation n° 27 - Dans le domaine de la concurrence et du droit boursier et financier :

- faire intervenir à la procédure devant le juge l'autorité régulatrice concernée, en qualité d' amicus curiae , lorsque cette autorité n'est pas saisie d'une action contre l'auteur du manquement allégué ;

- imposer au juge de l'action de groupe, saisi d'une demande concernant une pratique faisant l'objet d'une procédure devant une autorité de régulation, de sursoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de cette autorité ou, en cas d'appel contre cette décision, dans l'attente de la décision définitive de la juridiction compétente pour examiner la légalité de cette décision administrative. Une fois la décision devenue définitive, le juge saisi de l'action de groupe statuerait eu égard à cette décision, qui ne le lierait pas formellement juridiquement, mais dont il est peu probable qu'il s'écartera en pratique.

EXAMEN EN COMMISSION

_______________

Mercredi 26 mai 2010

La commission examine le rapport d'information du groupe de travail sur l'action de groupe.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous examinons le rapport d'information du groupe de travail sur l'action de groupe réalisé par nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung.

M. Richard Yung, co-rapporteur. - La question de l'action de groupe est une affaire ancienne. Créer une action de groupe en droit français, c'est d'abord répondre à un besoin social. Dans l'ère de la consommation de masse, avec notamment le développement des communications électroniques, les petits dommages de consommation se multiplient à plus grande échelle. Or, la plupart du temps, cela ne vaut pas la peine de mener une action en justice pour quelques euros. Les consommateurs sont frappés par un sentiment d'impuissance et une incapacité à agir.

Les outils existant en matière de protection des consommateurs sont insatisfaisants, car ils ne permettent pas de réparer les préjudices individuels de faible montant. En particulier, l'action en représentation conjointe n'a pas été un succès en raison de sa lourdeur.

Aujourd'hui, il existe une large mobilisation en faveur de l'introduction d'une action de groupe à la française. Cette mobilisation existe certes chez les associations de consommateurs, mais plus largement chez les organisations syndicales, les professionnels du droit ou encore les autorités de régulation. Je dois souligner, en revanche, l'opposition résolue des représentants des entreprises, notamment du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et de l'Association française des entreprises privées (AFEP), qui craignent des coûts supplémentaires pour les entreprises et, par conséquent, une perte de compétitivité. Cette crainte provient vraisemblablement de l'observation des « class actions » américaines, dont les nombreuses dérives ne doivent pas être reproduites. Ces dérives s'expriment notamment par le « chantage au procès » qui contraint les entreprises à accepter de coûteuses transactions.

Laurent Béteille et moi-même avons pris grand soin d'empêcher tout risque de dérive à l'américaine dans le système d'action de groupe à la française que nous avons conçu. Par exemple, il n'est pas envisageable d'autoriser les avocats à faire du démarchage pour monter des actions de groupe.

En dernier lieu, les évolutions européennes et internationales plaident également en faveur de l'introduction d'une action de groupe en France. Il existe, en matière boursière, une dérive pernicieuse : les tribunaux américains autorisent des actionnaires français à se joindre à des « class actions » contre des sociétés françaises engagées aux Etats-Unis, comme l'illustre l'affaire Vivendi. Ceci n'est pas acceptable.

Les autres Etats européens ont mis en place des dispositifs variés d'action de groupe, tandis que deux initiatives communautaires concernent l'action de groupe, l'une en matière de concurrence et l'autre en matière de protection des consommateurs. La nouvelle Commission européenne semble néanmoins prudente à l'égard de cette question.

L'ensemble de ces raisons impose que la France avance et se dote d'une législation simple et efficace en matière d'action de groupe. C'est une nécessité.

M. Laurent Béteille, co-rapporteur. - Nous sommes convaincus avec Richard Yung de la nécessité d'introduire une procédure d'action de groupe en droit français. D'ailleurs, je note que la plupart des groupes politiques ont déposé au Sénat ou à l'Assemblée nationale des propositions de loi en ce sens.

Pour répondre aux inquiétudes parfois exagérées des représentants des entreprises, il est d'ailleurs possible de concevoir une procédure qui, en s'intégrant aux principes procéduraux français, pare aux dérives incontestables du système américain des « class actions ». Il s'agit du chantage à la transaction, rendu possible par la menace d'une publicité négative à la suite d'une déclaration de recevabilité de l'action et de l'incertitude d'une future décision rendue par un jury populaire, de la rémunération des avocats proportionnelle aux dommages et intérêts obtenus, de la procédure de « discovery » qui permet d'engager une action presque sans preuve, ou de la possibilité de condamner l'entreprise à verser des dommages et intérêts punitifs.

La seconde préoccupation qui a guidé notre réflexion a été de dessiner une procédure réaliste dans son financement pour les associations, les avocats ou les tribunaux.

Nous avons retenu une procédure en deux phases, l'une portant sur le principe de la responsabilité, l'autre sur l'indemnisation. Seules les associations titulaires d'un agrément renforcé garantissant leur représentativité pourraient introduire une action de groupe en soumettant au juge un ensemble de cas exemplaires susceptibles de prouver l'existence d'un préjudice et la responsabilité de l'entreprise. A ce stade, il n'y aurait donc que deux parties à la procédure. Le tribunal statuerait dans la même décision sur la recevabilité de l'action et sur le principe de la responsabilité du professionnel. Il faut en effet éviter qu'une décision préalable sur la recevabilité ne soit instrumentalisée, par la publicité qui en serait donnée, pour faire pression sur l'entreprise. Le tribunal déterminerait, en outre, les critères de rattachement au groupe des victimes et fixerait les modalités de publicité applicables en vue de la constitution du groupe de plaignants. Les frais de cette publicité seraient à la charge de l'entreprise qui pourrait être condamnée à les avancer sous forme de provision.

Le passage à la seconde phase de l'action ne serait possible qu'à la condition que les voies de recours soient épuisées contre la décision sur la responsabilité. Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de fixer un délai réduit pour l'exercice des recours. Il nous a semblé que le principe d'un appel à jour fixe pourrait être retenu.

Au cours de la seconde phase, le juge aurait une grande latitude pour décider de la voie d'indemnisation la plus adaptée. Il pourrait inviter les parties à engager une médiation. Mais cette dernière ne peut être, comme le préconise le MEDEF, la seule solution. Le juge doit aussi pouvoir prononcer lui-même l'indemnisation sur une base individuelle ou en établissant un schéma d'indemnisation par titre de préjudice.

Le domaine de prédilection de l'action de groupe est, bien entendu, celui des litiges contractuels de droit de la consommation au sens large, qui ne se limitent pas seulement au code de la consommation et qui incluent, en particulier, les litiges pré-contractuels et ceux relevant de régimes particuliers de protection des consommateurs, comme celui des produits défectueux.

Sur le conseil des présidents des autorités de régulation concernées, nous jugeons utile d'étendre le champ d'application de l'action de groupe aux litiges de consommation trouvant leur origine dans une violation des règles de la concurrence, comme cela a été le cas de l'entente illégale entre les différents opérateurs de téléphonie mobile qui n'a fait l'objet d'aucune indemnisation des consommateurs lésés, en dépit des sanctions qui leur ont été infligées. Pour la même raison, une action de groupe pourrait être introduite par des petits actionnaires victimes de certaines infractions boursières. Dans ces deux domaines, il nous est apparu nécessaire de prévoir une procédure qui permette de faire intervenir à des fins d'expertise les autorités de régulation afin qu'elles apportent leur compétence au juge pour établir la réalité de l'infraction et déterminer le montant du préjudice subi.

Par ailleurs, l'action de groupe ne peut porter que sur des préjudices matériels. Nous avons exclu les préjudices corporels de son champ d'application parce qu'ils doivent, par nature, faire l'objet d'une évaluation individuelle. S'agissant de ceux qui présentent un caractère de masse, des mécanismes d'indemnisation spécifiques sont prévus par la loi.

Enfin, les actions de groupe ne pourraient être introduites que devant des tribunaux de grande instance spécialisés suffisamment importants pour faire face aux difficultés de gestion qu'entraîneront les actions regroupant un nombre élevé de plaignants.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je remercie les rapporteurs pour le travail considérable accompli et la clarté de leur exposé.

M. François Zocchetto. - Je félicite les rapporteurs pour leur synthèse très claire, le rapport fait suite à de nombreux travaux sur ce même sujet. Il est nécessaire d'introduire en droit français l'action de groupe qui, si elle est assortie des garanties que proposent les rapporteurs, ne va pas mettre à mal la compétitivité des entreprises, bien au contraire. Nous sommes aujourd'hui, sur cette question, dans une situation de déni. Les entreprises se trompent en refusant l'action de groupe.

J'approuve en particulier la recommandation tendant à limiter le recours à la procédure d'action de groupe aux seuls dommages matériels, ainsi que celle visant à poser le principe d'une adhésion volontaire au groupe (« opt in »), ce mécanisme permettant d'éviter certaines dérives.

A propos de la recommandation donnant aux seules associations bénéficiant d'un agrément renforcé la compétence pour introduire une action de groupe, il faut veiller à ce qu'elles ne deviennent pas des « procureurs privés ».

De même, la profession d'avocat doit conserver sa déontologie actuelle et son mode de rémunération, pour éviter les abus que l'on constate dans les pratiques des avocats américains, qui ont tué la « class actions ».

M. Pierre Fauchon. - J'apprécie que le rapport ait été présenté par un binôme composé de deux sénateurs appartenant l'un à la majorité, l'autre à l'opposition. Je souscris à leurs conclusions qui concernent une des plaies de la société de consommation actuelle. Je suis d'autant plus sensible à ces questions que j'ai dirigé l'Institut national de la consommation de 1978 à 1981. L'action de groupe peut jouer un rôle vertueux de régulateur, en particulier lorsque des produits comportent des petites malfaçons créant pour les utilisateurs des dommages limités. L'hostilité du MEDEF à l'action de groupe met justement en évidence la nécessité de mettre en place une telle procédure dans notre droit, car elle conduira à un changement du comportement des entreprises. L'action de groupe ne constitue pas un handicap pour l'activité économique, comme l'illustre l'exemple de la vigueur de l'économie américaine. Elle va permettre, dans le contexte de la mondialisation, de lutter contre les produits « bas de gamme » et de valoriser, à l'inverse, les produits fiables et de très bonne qualité. Enfin, il serait souhaitable que l'action de groupe fasse l'objet d'une législation communautaire.

Même si la démarche de nos rapporteurs me paraît prudente, l'essentiel est de commencer en mettant quelque chose en place.

M. Jean-René Lecerf. - Je salue à mon tour la qualité du travail des rapporteurs. Ne serait-il pas souhaitable d'élargir, à terme, le recours à l'action de groupe à certains litiges administratifs, tels que les dommages de travaux publics ?

M. Richard Yung, co-rapporteur. - En Suède, la procédure est ouverte dans le domaine des transports publics. Nous n'avons pas souhaité aller aussi loin dans nos préconisations, mais nous avons prévu une clause de rendez-vous au bout de trois ans pour revoir le périmètre de l'action de groupe.

M. Laurent Béteille, co-rapporteur. - Le système de l'« opt out » n'était pas envisageable, pour des raisons notamment constitutionnelles : l'adhésion au groupe doit être volontaire conformément à l'adage « nul ne plaide par procureur ».

Il est difficile de faire autrement que de donner la compétence aux seules associations de consommateurs pour introduire une action de groupe. En effet, il ne serait pas acceptable que les cabinets d'avocats puissent introduire une telle action. Quant aux consommateurs, ils pourraient certes se regrouper mais selon quelles modalités ? Cela supposerait une publicité préalable à l'action elle-même, alors que nous avons tenu à éviter tout risque de chantage et d'atteinte à la réputation avant le jugement déclarant la responsabilité du professionnel. Quel nombre de membres exiger pour permettre à ces regroupements d'agir ? Ces questions sont complexes.

J'insiste sur le fait qu'en matière de rémunération des avocats dans le cadre de l'action de groupe, il ne faut pas déroger aux règles actuelles.

Comme cela a été dit, l'action de groupe peut, en effet, jouer un rôle de régulateur dans l'économie.

En revanche, je ne suis pas persuadé qu'il faille un jour étendre l'action de groupe aux litiges administratifs.

M. Richard Yung, co-rapporteur. - Je précise que le professionnel assurera le paiement de la réparation au consommateur en tenant compte, le cas échéant, du schéma d'indemnisation établi par le juge.

M. Pierre-Yves Collombat. - Et si le professionnel ne paye pas ?

M. Laurent Béteille, co-rapporteur. - Le jugement d'indemnisation sera revêtu de la formule exécutoire et pourra donc être exécuté selon les règles du droit commun, au besoin par voie d'huissier.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Les litiges dans le domaine des transports, consécutifs, par exemple, à des retards, me paraissent entrer dans le champ d'application de la procédure d'action de groupe proposée par les rapporteurs.

M. Jean-Pierre Michel. - Je salue également le travail des rapporteurs, même si je ne suis pas un fanatique du « collectivisme judiciaire ».

Je m'interroge sur l'exclusion des dommages corporels dès lors que des produits alimentaires défectueux peuvent par définition en générer. De même, les frontières sont-elles claires avec les contrats publics ?

Par ailleurs, l'action de groupe proposée vise-t-elle à réparer une addition de préjudices individuels ou un préjudice collectif ?

M. Laurent Béteille, co-rapporteur. - Une addition de préjudices individuels.

M. Jean-Pierre Michel. - Je suis particulièrement réticent à ce que les associations de consommateurs puissent se comporter en procureur et appeler à des sanctions pour les entreprises.

M. François Pillet. - Je suis favorable à la recommandation confiant aux associations la compétence d'introduire les actions de groupe. On ne peut guère concevoir, d'un point de vue déontologique, que des avocats fassent un appel public pour engager une action de groupe.

M. Jacques Mézard. - Je suis, moi aussi, réservé à l'égard de tout « collectivisme judiciaire ». Je suis, par ailleurs, circonspect quant à la proposition de spécialiser certains tribunaux de grande instance, proposition qui risquerait d'aggraver le « désert judiciaire » alors que tous les tribunaux de grande instance sont aujourd'hui compétents en matière de concurrence.

M. Alain Anziani. - Je rappelle qu'avec Laurent Béteille nous avions proposé, dans un récent rapport d'information sur la responsabilité civile, d'envisager l'introduction d'actions collectives en responsabilité en cas de fautes lucratives commises à l'égard d'une pluralité de victimes et générant des dommages individuels de faible montant. Le rapport présenté par les rapporteurs est très fouillé, précis et audacieux. Proposez-vous un nombre minimal de personnes lésées pour engager une action de groupe, comme cela existe dans certains pays ?

Par ailleurs, je crains que l'agrément renforcé n'entraîne certains retards, par exemple dans l'hypothèse où se constitue un groupe ad hoc à l'occasion d'un événement particulier.

Enfin, la spécialisation des juridictions ne paraît pas justifiée par la technicité particulière du contentieux puisque le régime de responsabilité civile de droit commun est applicable.

M. Richard Yung, co-rapporteur. - La spécialisation de certains tribunaux de grande instance résulte moins d'un problème de technicité que d'organisation matérielle.

Par ailleurs, l'agrément renforcé vise précisément à éviter l'intervention devant les tribunaux d'associations ad hoc créées pour l'occasion.

Enfin, nous ne proposons pas un nombre minimal de personnes lésées pour engager une action de groupe.

M. Laurent Béteille, co-rapporteur. - Tout seuil pose en lui-même des problèmes. Nous nous sommes interrogés avec Richard Yung sur deux seuils en particulier : l'éventualité d'un nombre minimal de plaignants et le plafonnement du montant des litiges susceptibles de donner lieu à une action de groupe. Dans les deux cas, retenir un seuil ne nous a pas paru pertinent.

Par ailleurs, il est de l'intérêt de l'entreprise elle-même de n'avoir à gérer qu'un seul procès, grâce au rôle de l'association agréée. L'action de groupe consiste bien, pour reprendre la formule du « collectivisme judiciaire », à regrouper des litiges identiques.

Sur le champ d'application de la procédure, nous avons fait une recommandation prudente, mais il pourra être étendu ultérieurement.

Enfin, les produits alimentaires défectueux n'entraînent pas tous des dommages corporels et, même lorsque c'est le cas, les effets sont très variables d'un individu à un autre. L'action de groupe ne serait pas pertinente en pareil cas.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il est intéressant de noter que presque tous les pays européens disposant d'une forme d'action de groupe, y compris le Royaume-Uni, ont adopté le système de l'« opt in ».

M. Richard Yung, co-rapporteur. - Les pays qui ont fait ce choix procédural connaissent un nombre très limité d'actions chaque année.

M. Pierre Fauchon. - La traduction des recommandations des rapporteurs sous forme d'une proposition de loi, suivie de son inscription à l'ordre du jour du Sénat, constituerait un très bon signal politique.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Le moment venu, le rapport d'information pourra donner lieu, en effet, au dépôt d'une proposition de loi.

M. Richard Yung, co-rapporteur. - Notre travail s'est déroulé sans divergence.

La commission des lois autorise la publication du rapport d'information.

ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES OU AYANT FOURNI UNE CONTRIBUTION ÉCRITE

Ministère de la justice

- Mme Pascale Fombeur , directrice des affaires civiles et du sceau

Ministère des finances

- M. Vincent Montrieux, conseiller juridique

- M. Philippe Guillermin , chef du bureau protection juridique du consommateur

Ministère du commerce

- M. Hervé Boullanger , conseiller chargé des questions de consommation auprès du secrétaire d'Etat chargé du commerce

- M. Philippe Guillermin , chef du bureau C1 (protection du consommateur)

Personnalités qualifiées

- M. Jean-Marie Coulon , président du groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires

Association nationale des juges d'instance (ANJI)

- Mme Murielle Robert-Nicoud , co-présidente

FO magistrats

- M. Emmanuel Poinas

Syndicat de la magistrature

- Mme Odile Barral, vice-présidente

- M. Patrick Henriot, vice-président

Union syndicale des magistrats (USM)

- Mme Catherine Vandier, vice-présidente

Tribunal de grande instance de Paris

- M. Jacques Degrandi, président

Avocats

- Me Andréanne Sacaze , membre du Conseil National des Barreaux

- Me Claude Lazarus , avocat à Paris

- Me Yves Delavallade , ancien bâtonnier de Bordeaux

Cabinet Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP

- Me Pierre Servan-Schreiber , avocat

- Me Olivier Boulon , avocat

Autorité de la concurrence

- M. Bruno Lasserre, président

- M. Fabien Zivy, conseiller

Autorité des marchés financiers

- M. Jean-Pierre Jouyet, président

- M. Olivier Douvreleur, directeur juridique

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

- M. Denis Rapone, membre du collège

- M. Stéphane Hoynck directeur des affaires juridiques

Institut national de la consommation

- M. Eric Briat, directeur

- M. Jean-Michel Rothmann , directeur du service juridique et économique

Association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

- Mme Reine-Claude Mader, présidente

CGT Indecosa

- M. Guy Beauné

- M. Claude Amselle

Confédération syndicale des familles

- Mme Sylvie Le Franc

UFC Que Choisir

- Mme Gaëlle Patetta , directrice juridique

- M. Cédric Musso , directeur des relations institutionnelles

Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM)

- Mme Colette Neuville , présidente

Chambre de commerce et d'industrie de Paris

- M. Didier Kling , président de la commission du droit de l'entreprise

- Mme Anne Outin-Adam , directeur du pôle de politique législative et juridique

Chambre de commerce aux États-Unis

- M. Scézole de Cazotte , directeur général-adjoint pour les affaires européennes

- M. Olivier Debouzy , avocat au barreau de Paris

MEDEF

- M. Loïc Armand, président de la commission consommation

- Mme Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques

CGPME

- M. Benoît Defoug , vice-président en charge de l'économie

- Melle Amélie Jugan , juriste à la direction des affaires économiques

Association française des entreprises privées (AFEP)

- M. François Soulmagnon , directeur

- Mme Emmanuelle Flament-Mascaret , chargée de la concurrence, de la consommation et de la propriété intellectuelle

Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA)

- M. Philippe Poiget , directeur des affaires juridiques

- M. Emmanuel Bus , président du comité juridique

- M. François Devaux , responsable prévention responsabilité civile entreprise de Generali

- Mme Anne-Marie Papeix , chargée de mission à la direction des assurances de biens et de responsabilités

Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA)

- M. Jean-Luc de Boissieu , secrétaire général

- Mme Barbara Berrebi , chargée d'études Assurances dommages

Assemblée permanente des chambres des métiers (APCM)

- M. François Moutot , directeur général

Les entreprises du médicament (LEEM)

- Mme Blandine Fauran , directeur juridique et fiscal

- Mme Julie Bonhomme , conseiller juridique

- Mme Aline Bessis, Directeur en charge des affaires publiques

Fédération bancaire française

- M. Pierre de Lauzun , directeur général délégué

- Mme Annie Bac , directrice du pôle juridique

- Mme Séverine de Compreignac , chargée des relations institutionnelles

- M. Jean-Louis Guillot , directeur du comité juridique

- Mme Marine Guyon-Godet , collaboratrice de Mme Bac

Universitaires

- M. Serge Guinchard , professeur émérite de l'université Paris 2

- Mme Véronique Magnier , professeur à l'université Paris-Sud

Contributions écrites

- Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM)

- Organisation générale des consommateurs (ORGECO)

ANNEXE 2 - DÉPLACEMENT À BRUXELLES

13 avril 2010

- Entretien avec Mme Jacqueline Minor , directrice de la direction B politique des consommateurs de la DG Santé et Consommateurs (SANCO) de la Commission européenne

- Entretien avec M. Guillaume Delvallée , conseiller en charge des consommateurs, et de Magali Cesana, conseiller en charge de la concurrence, à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

- Entretien avec Mme Goyens , directrice générale du bureau européen des unions de consommateurs (BEUC)

- Entretien avec M. Rainer Becker de la direction A politique et stratégie de la DG Concurrence de la Commission européenne

ANNEXE 3 - L'ACTION DE GROUPE EN DROIT COMPARÉ

(tableau établi à partir de l'étude de législation comparée sur les actions de groupe 86 ( * ) )

Allemagne

Angleterre

Italie

Pays-Bas

Portugal

Suède

Domaine d'application

Demande de dommages et intérêts à la suite d'informations financières erronées ou de l'inexécution d'un contrat conclu en application de la loi sur les acquisitions et les OPA

Toutes actions civiles

Demande relative au respect des droits des consommateurs et utilisateurs et victimes de pratiques commerciales déloyales et de comportements anticoncurrentiels

Toutes actions civiles

Toutes actions civiles

Toutes actions civiles

Nombre de demandeurs

Au moins 10 requêtes engagées selon la procédure modèle, les demandeurs ayant saisi le juge du fond

Au moins un demandeur ayant déjà saisi le juge, s'il existe ou risque d'exister des actions individuelles ayant le même objet

Pas de minimum

Un accord entre les demandeurs et les défendeurs définit le groupe

Pas de minimum

Au moins une personne

Entrée dans le groupe

système opt in (la personne doit adhérer au groupe)

système opt out (toute les personnes y ayant intérêt font partie du groupe sauf demande contraire)

Système d'opt in

Système d'opt in

Les parties ayant déposé une demande individuelle demandent à s'inscrire sur un registre spécial

Le juge peut fixer des critères d'adhésion au groupe et/ou un délai pour adhérer

Système d'opt in

L'acte d'adhésion doit être déposé dans les 120 jours de l'ordonnance de recevabilité de la demande de constitution du groupe

Le juge détermine les critères d'adhésion

Système d'opt out

Système d'opt out

Système d'opt in

Tribunal compétent

Tribunaux spécialisés

Tribunaux de droit commun

Tribunaux spécialisés

Tribunaux spécialisés

Tribunaux de droit commun

Contenu de la demande adressée au juge

Demande formulée en termes similaires (nature du litige, nature des actions individuelles déposées ou à venir)

Demande formulée en termes similaires (nature du litige, nature des actions individuelles déposées ou à venir)

Pas de précisions spéciales dans la demande

Demande formulée en termes similaires (nature du litige, nature des actions individuelles déposées ou à venir)

L'accord conclu avant la saisine du tribunal est annexé

Pas de précisions spéciales dans la demande

Demande formulée en termes similaires (nature du litige, nature des actions individuelles déposées ou à venir)

Cas d'irrecevabilité de la demande

Pas de conditions particulières

- Si les éléments fondant la demande ne sont pas connexes ou communs

- Si cette procédure n'est pas la plus adéquate

- Si la demande est manifestement infondée,

- s'il existe un conflit d'intérêt,

- Si les droits individuels au soutien de l'action diffèrent,

- Si le demandeur est incapable de gérer l'intérêt du groupe

Pas de conditions particulières

S'il existe un doute manifeste quant à la possibilité d'obtenir gain de cause

- Si l'action est injustifiée

- Si la personne n'est pas la plus appropriée pour gérer la demande

- Si les éléments fondant la demande ne sont pas connexes ou communs

- Si cette procédure n'est pas la plus adéquate

Publicité de la demande

Utilisation des nouvelles technologies

Modalités laissées à la libre appréciation du juge

Publicité par le ministère du développement économique

Possibilité d'utiliser la presse

Modalités laissées à la libre appréciation du juge

Courrier individuel ou tout autre moyen

Décision du juge

La cour supérieure statue sur les principes et renvoie aux juges du fond la détermination de la réparation

Statue sur le principe

Peut fixer le montant global avec des clés de répartition entre les demandeurs ou renvoyer au juge du fond pour une détermination individuelle du préjudice

Détermine le préjudice et fixe le montant

Décision d'homologation de l'accord entre les parties sauf :

- si le montant n'est pas raisonnable,

- en cas de doute quant au paiement effectif,

- si les intérêts des personnes ne sont pas garantis,

- si la fixation de l'indemnité n'est pas indépendante

Fixe un montant global ou individualisé et les modalités de paiement

- 103 -

Détermine le préjudice et fixe le montant

Recours contre la décision

Aucun recours contre la décision de la cour supérieure

La décision peut être considérée comme un modèle qui lie les autres tribunaux

Recours après autorisation du juge

La décision peut être considérée comme un modèle qui lie les autres tribunaux

Appel de l'ordonnance de recevabilité

Recours en cassation

- Recours collectif

- ou à titre individuel si le jugement porte atteinte à ses droits

Effets de la décision

Effets limités aux seules personnes ayant adhéré au groupe

Effets limités aux seules personnes ayant adhéré au groupe

Effets limités aux seules personnes ayant adhéré au groupe

La décision ne s'applique pas aux personnes ayant manifesté une volonté de ne pas adhérer au groupe

La décision ne s'applique pas aux personnes ayant manifesté une volonté de ne pas adhérer au groupe

Effets limités aux seules personnes ayant adhéré au groupe

* 1 Luc Chatel, De la conso méfiance à la conso confiance : rapport au Premier ministre de la mission parlementaire auprès du secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation sur « l'information, la représentation et la protection du consommateur » , La documentation française, juillet 2003 .

* 2 Les quatre faiblesses relevées sont : l'éparpillement institutionnel, un paritarisme insuffisamment efficient, une culture de la prévention et de l'éducation du consommateur trop peu développée, des préoccupations nationales et européennes pas assez centrées sur l'enjeu consumériste

* 3 Proposition pour un code de la consommation, rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation au Premier ministre, présidée par M. Jean Calais-Auloy , La documentation française, 1990, p. 111.

* 4 Selon la définition qu'en donne le Groupe de travail présidé par Guillaume Cerutti et Marc Guillaume dans son Rapport sur l'action de groupe, remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux , p. 4.

* 5 Cf. Rapport d'information n° 249 (2005-2006) sur les class actions, de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, 14 mars 2006 : http://www.senat.fr/noticerap/2005/r05-249-notice.html .

* 6 L'article L. 132-1 définit la notion de clause abusive dans un contrat comme une clause ayant « pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Il renvoie à des textes réglementaires l'énumération des catégories de clauses abusives. Il ajoute également que ces clauses sont réputées non écrites.

* 7 L'article L. 421-6 vise également la cessation ou l'interdiction des agissements illicites dans le cadre transfrontalier, en application de la directive du 19 mai 1998 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs.

* 8 Article L. 142-2 du code de l'environnement. Les associations agréées de protection de la nature et de l'environnement peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction.

* 9 Article L. 1114-2 du code de la santé publique. Les associations agréées de défense des droits des usagers du système de santé peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions portant un préjudice à l'intérêt collectif des usagers.

* 10 Article L. 452-1 du code monétaire et financier. Les associations de défense des investisseurs peuvent agir en justice, même par voie de constitution de partie civile, en ce qui concerne des faits créant un préjudice à l'intérêt collectif des investisseurs.

* 11 L'article L. 142-3 du code de l'environnement prévoit depuis 1995 une action en représentation conjointe exercée par des associations agréées de défense de l'environnement même locales, en cas de préjudices subis par plusieurs personnes dans le domaine environnemental, tandis que les articles L. 452-2 à L. 452-4 du code monétaire et financier prévoient depuis 1988 une action en représentation conjointe exercée par des associations de défense des investisseurs au nom de plusieurs investisseurs.

* 12 Avis n° 328, 1990-1991.

* 13 Rapport n° 315, 1990-1991.

* 14 Ces cinq actions faisaient intervenir de quatre jusqu'à une soixantaine de consommateurs. Elles concernaient la vente de meubles par démarchage à domicile, la fourniture de cours de soutien scolaire par démarchage à domicile également, les prestations d'un voyagiste, des prêts de financement immobilier remboursables par cession d'une assurance sur la vie et des prêts affectés au financement d'abonnements dans un club de sport. Les consommateurs ont obtenu pour tout ou partie gain de cause.

* 15 Cette formulation retenue par le Conseil constitutionnel est à rapprocher de celle de l'article 1382 du code civil, selon lequel : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

* 16 Avis du Conseil de la concurrence du 21 septembre 2006 relatif à l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles.

* 17 L'association UFC-Que choisir avait effectivement créé un site internet dédié à cette affaire « cartelmobile.org », destiné à informer les consommateurs et à solliciter leur participation à l'action engagée.

* 18 Rapport d'information sur les « class actions », n° 249, 2005-2006, consultable sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/noticerap/2005/r05-249-notice.html

* 19 Avis du Conseil de la concurrence du 21 septembre 2006 relatif à l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles.

* 20 Proposition de loi sur le recours collectif n° 322, 2005-2006. Ce recours collectif se substitue à l'action en représentation conjointe, tout en conservant le principe du mandat donné par au moins deux consommateurs à l'association. Il distingue une phase de déclaration de la responsabilité du professionnel par le juge, une phase de publicité pour constituer le groupe et une phase d'évaluation individuelle des dommages et intérêts par le juge. Devenue caduque, cette proposition a été redéposée, dans une version quelque peu complétée, n° 277, 2009-2010.

* 21 Proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs n° 3055, 26 avril 2006. Ce recours collectif se substitue à l'action en représentation conjointe et écarte de façon explicite le principe du mandat. Il distingue une phase préalable d'examen de la recevabilité de l'action engagée par l'association de consommateurs agréée, une phase de publicité pour constituer le groupe, avec un mécanisme d'« opt out » pour les plus petits litiges, et une phase d'indemnisation. Il est créé un fonds d'aide faisant l'avance des frais de justice.

* 22 Proposition de loi relative à l'introduction de l'action de groupe en France n° 3729, 15 février 2007. Son contenu s'apparente à celui de la proposition de loi déposée par M. Luc Chatel en avril 2006, avec un périmètre beaucoup plus large (consommation, santé, environnement...), un « opt out » et une capacité à agir ouverte à toute association créée depuis plus de cinq ans. Cette proposition a été redéposée après le changement de législature, n° 324, 24 octobre 2007.

* 23 Proposition de loi tendant à créer une action de groupe n° 3775, 13 mars 2007. Ce texte distingue une phase d'examen de la recevabilité avec définition du périmètre du groupe, selon un système d'« opt out », une phase de publicité et une phase de détermination des dommages et intérêts. Un fonds de gestion des actions de groupe est créé.

* 24 Proposition de loi tendant à créer une action de groupe n° 118, 2007-2008. Cette proposition est identique à la précédente.

* 25 Proposition de loi relative à la suppression du crédit revolving, à l'encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l'action de groupe n° 1897, 2 septembre 2009. Son contenu s'apparente à celui de la proposition n° 324, 24 octobre 2007.

* 26 Projet de loi en faveur des consommateurs, n° 3430, 8 novembre 2006.

* 27 Un amendement du groupe socialiste, radical et citoyen, un amendement du groupe de la gauche démocrate et républicaine, un amendement du groupe Nouveau Centre, ainsi qu'un amendement de M. Frédéric Lefebvre (UMP) soutenu par d'autres membres de son groupe.

* 28 Un amendement du groupe socialiste, deux amendements du groupe communiste, républicain et citoyen et un amendement du groupe RDSE.

* 29 L'estimation de la FFSA repose notamment sur les hypothèses suivantes : 30 à 40 actions par an, plafond de litige de 4 000 euros, développement des garanties en responsabilité civile des professionnels, tous les secteurs concernés y compris les services publics.

* 30 L'étude mentionne la France comme disposant d'un mécanisme de recours collectif, en raison des différents dispositifs existants d'actions dans l'intérêt collectif des consommateurs, ce qui porte le nombre d'actions conduites en France, selon l'étude, à 196 de 1997 à 2007.

* 31 Règle 23 des Règles fédérales de procédure civile de 1966.

* 32 En outre, on peut imaginer que les consommateurs non expressément représentés aient des intérêts différents de ceux qui étaient présents au départ de l'action.

* 33 Arrêt de la Cour d'appel de Paris 10/01643, 28 avril 2010.

* 34 Le délai de transposition de la directive est fixé au 21 mai 2011.

* 35 Rapport n° 315, 1990-1991.

* 36 Voir l'étude de législation comparée n° 206 (mai 2010) sur les actions de groupe, élaborée à la demande de vos rapporteurs par le service des études juridiques du Sénat.

* 37 Voir en annexe le tableau sur l'action de groupe en droit comparé.

* 38 Dans le processus décisionnel européen, les livres verts publiés par la Commission européenne permettent de présenter les éléments du débat sur un thème donné et servent de base de départ à une consultation de toutes les parties intéressées, tandis que les livres blancs exposent un plan d'action et des objectifs et précèdent la rédaction de projets de texte.

* 39 Il convient de préciser que la législation australienne admet les « class actions » en matière boursière, mais n'aboutit pas à des indemnisations aussi généreuses que celles attribuées par les tribunaux américains.

* 40 Arrêt précité du 28 avril 2010.

* 41 Proposition pour un code de la consommation, rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation au Premier ministre, présidée par M. Jean Calais-Auloy , La documentation française, 1990.

* 42 Groupe de travail présidé par Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, Rapport sur l'action de groupe, remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux , p. 36.

* 43 Sur le fondement, notamment, de l'article 1383 du code civil : Civ. 1 ère ,  15 mars 2005, Bull. civ. I, n° 136.

* 44 Tel n'est pas le cas du droit communautaire. Ainsi, la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, définit le consommateur comme « toute personne physique qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Mais les définitions ainsi édictées ne s'imposent qu'aux législations prises en application des directives concernées. Elles ne sauraient valoir pour tous les autres cas.

* 45 CJCE, 22 novembre 2001, JCP, 2002, II, 10047.

* 46 Civ. 1 ère , 15 mars 2005, Contrats, concurrence et consommation, 2005, n° 100.

* 47 Même décision.

* 48 Jean Calais-Auloy, Franck Steinmetz, Droit de la consommation , 7 e éd., Dalloz, p. 7.

* 49 Civ. 1 ère , 24 janvier 1995, D. 1995.327 (législation relative aux clauses abusives).

* 50 De 1997 à 2005, l'autorité de la concurrence a rendu 25 décisions et répondu à 4 demandes d'avis formulées par des organisations représentants les consommateurs. Seules 5 affaires ont donné lieu au prononcé de sanctions pécuniaires, une à une injonction, le reste des saisines ayant été déclarées irrecevables ou ayant abouti à un non lieu ou un classement sans suite (avis du Conseil de la concurrence du 21 septembre 2006, relatif à l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles).

* 51 Conseil de la concurrence, décision du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile.

* 52 Décisions non publiées du Tribunal de commerce de Paris, en date du 6 décembre 2007 et de la Cour d'appel de Paris en date du 22 janvier 2010.

* 53 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, remis au président de la République en janvier 2008, p. 144 (décision n° 191).

* 54 CJCE, C-453/99, Courage c/ Crehan , 20 septembre 2001.

* 55 Avis du Conseil de la concurrence du 21 septembre 2006, relatif à l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles.

* 56 Cf. supra.

* 57 Véronique Magnier, « Les class actions d'investisseurs en produits financiers », LPA , 10 juin 2005, n° 115, p. 33.

* 58 Com., 1 er avril 1997, Bull. Joly 1997, p. 650.

* 59 Projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature).

* 60 Audition de la commission des lois du Sénat du mercredi 2 avril 2008, consultable sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/bulletin/20080331/lois.html#toc5 .

* 61 Sur cette procédure, cf . Les actions de groupes, Étude de législation comparée, n° 206, Sénat, 6 mai 2010, p. 15, consultable sur le site du sénat : http://www.senat.fr/lc/lc206/lc206.html .

* 62 Telle est en particulier la solution retenue par le projet de loi en faveur des consommateurs, déposé par M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature).

* 63 CEDH, 27 avril 2004, n° 62543/00, Gorraiz, Lizarraga et. al. c/ Espagne .

* 64 Groupe de travail présidé par Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, Rapport sur l'action de groupe, remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux , p. 34.

* 65 L'assemblée permanente des chambres de métiers a pour sa part jugé souhaitable que les actions de groupe qui pourraient être menées au nom d'artisans victimes d'un préjudice économique, le soient non pas par des associations de consommateurs, mais par les institutions représentatives des artisans. Cependant le groupe de travail considère que, compte tenu du champ ouvert à l'action de groupe, la seule possibilité pour les professionnels artisans de participer à une telle procédure est d'être assimilés à des consommateurs comme les autres, ce qui justifie en soi la compétence des associations de défense des consommateurs.

* 66 Sur ce point, cf. Les action de groupes, Étude de législation comparée, n° 206, Sénat, 6 mai 2010, p. 48, consultable sur le site du Sénat à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/lc/lc206/lc206.html .

* 67 Groupe de travail présidé par Guillaume Cerutti et Marc Guillaume, Rapport sur l'action de groupe, remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux .

* 68 Proposition pour un code de la consommation, rapport de la commission pour la codification du droit de la consommation au Premier ministre, présidée par M. Jean Calais-Auloy , La documentation française, 1990, p. 111.

* 69 Proposition pour un code de la consommation, préc.

* 70 S. Guinchard, « Une class action à la française ? », D. 2005.2180.

* 71 La dépénalisation du droit des affaires, rapport au garde des sceaux, ministre de la justice, du groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon , La documentation française, janvier 2008, p. 89-97.

* 72 Cf. pour une description de ces mécanismes, Les action de groupes, Étude de législation comparée, n° 206, Sénat, 6 mai 2010, p. 15 et s., et p. 25 et s, consultable sur le site du Sénat :

http://www.senat.fr/lc/lc206/lc206.html

* 73 Sur ce point, cf. Soraya Amrani-Mekki, « Action de groupe et procédure civile », Revue Lamy droit civil, n° 32, 2006, § 28.

* 74 Proposition de loi de M. Luc Chatel, député, et plusieurs de ses collègues du groupe UMP, tendant à instaurer les recours collectifs des consommateurs, déposée le 26 avril 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3055 - Assemblée nationale, XII e législature).

* 75 Proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative à la suppression du crédit revolving, à l'encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l'action de groupe, déposée le 2 septembre 2009 à l'Assemblée nationale (n° 1897 - Assemblée nationale, XIII e législature). Ce texte a été rejeté par l'Assemblée nationale le 20 octobre 2009.

* 76 CC, n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

* 77 Michel Verpeaux, « L' action de groupe est-elle soluble dans la Constitution ? », D. 2007. 258.

* 78 Proposition pour un code de la consommation, préc.

* 79 Proposition de loi n° 322 (2005-2006) de Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, sénateurs, et plusieurs de leurs collègues du groupe socialiste, sur le recours collectif, déposée le 25 avril 2006 au Sénat. Suite au renouvellement de son dépôt, cette proposition de loi est devenue la proposition de loi n° 277 (2009-2010).

* 80 Projet de loi en faveur des consommateurs, déposé le 8 novembre 2006 à l'Assemblée nationale (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature). Ce texte a été retiré de l'ordre du jour en février 2007

* 81 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Cette directive est limitée aux litiges transfrontaliers.

* 82 Projet de loi en faveur des consommateurs, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature), préc.

* 83 Proposition pour un code de la consommation, préc.

* 84 Les propositions de loi précitées n° 322 (2005-2006) et n° 277 (2009-2010) de nos collègues Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, sur le recours collectif, s'appuient sur la même logique, en distinguant cependant une première phase d'évaluation des dommages-intérêts dus aux premiers membres, et une seconde phase d'évaluation des dommages-intérêts dus à ceux qui se sont joints au groupe après la publication du jugement déclaratoire de responsabilité. L'association est chargée d'assurer la distribution des sommes versées.

* 85 Projet de loi en faveur des consommateurs, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature), préc.

* 86 Étude de législation comparée n° 206 (mai 2010) sur les actions de groupe, élaborée à la demande de vos rapporteurs par le service des études juridiques du Sénat.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page