3. Quelles conséquences sociales ?

Mais reconnaître un droit à l'euthanasie en France aurait nécessairement un impact social plus large que les seuls cas où une personne, en pleine possession de ses moyens intellectuels et bénéficiant de tous les soins susceptibles de l'empêcher de souffrir, décidera rationnellement et en dehors de toute pression familiale ou sociale de demander qu'on lui injecte un produit létal. C'est l'ampleur de cet impact social qu'il convient de prendre en compte. Les partisans de l'euthanasie considèrent que la reconnaissance d'un tel droit rendra la société plus libre en répondant à l'aspiration des individus, et permettra de réguler des pratiques sociales aujourd'hui clandestines. Mais les effets leur paraissent par ailleurs devoir être limités. En effet, l'euthanasie n'a pas vocation à devenir une norme mais à demeurer une faculté sans doute minoritaire, comme c'est le cas en Hollande et en Belgique. Chacun restera libre, lorsqu'il est en fin de vie, d'attendre le moment de sa mort ou de la provoquer.

A l'inverse, les opposants à l'euthanasie insistent sur plusieurs conséquences néfastes qu'aurait cette autorisation.

La première est le changement du rôle du médecin. En Belgique et en Hollande, des professionnels de santé s'engagent dans cette démarche nouvelle et particulièrement exigeante sans considérer qu'elle est contraire à l'éthique médicale. Cependant, comme l'a souligné le professeur Sadek Beloucif, l'acte d'euthanasie n'est pas un acte de soin. Le médecin qui la pratique sort donc de son rôle pour assumer une fonction que le docteur Raymond Mathis a décrite comme ne pouvant être qu'un engagement pris sur la base d'une relation de confiance, c'est-à-dire un engagement interpersonnel qui dépasse la relation normale entre médecin et patient. Le statut d'un tel acte dans l'éthique médicale demeure donc problématique.

Ensuite, il faut s'interroger sur l'effet d'une telle législation sur les personnes handicapés, les malades, leurs proches et les équipes soignantes. Peut-on réellement exclure que le message découlant de l'autorisation d'euthanasie ne soit perçu par certains comme affirmant la vanité du combat qu'ils mènent pour vivre, ou accompagner la vie ? La seule mort digne deviendrait alors la mort choisie et rapide. Autoriser l'euthanasie, ce serait ainsi faire un choix de société aux conséquences profondes. Soit, comme c'est la volonté actuelle des pouvoirs publics, la vie doit être accompagnée jusqu'au décès, soit la mort peut être provoquée, ce qui met en question la conception même de la vie humaine. Accepter l'idée que celle-ci pourrait, voire devrait, être interrompue dès lors qu'on n'est plus dans les conditions d'en jouir comme on le souhaite, ce serait, selon l'analyse de Bertrand Vergely, la réduire à une simple jouissance.

Enfin, autoriser l'euthanasie pourrait être considéré comme une remise en cause du principe culturellement central qu'est l'interdiction de tuer. Comme l'a rappelé le professeur Axel Kahn, ce principe ne connaît jusqu'à présent que des exceptions étroitement définies, la légitime défense par exemple. Un droit à l'euthanasie pourrait-il être une simple exception nouvelle ou apporterait-il un changement dans la conception que nous avons des rapports humains ? Si tel était le cas, cette vision nouvelle serait-elle préférable, car plus réaliste et mieux adaptée au monde contemporain, ou risquerait-elle de donner une vision mortifère de la société ?

Face à ces visions évidemment incompatibles, le groupe de travail a cherché à adopter une démarche pragmatique.

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