2. Assurer un soutien durable aux filières économiques
a) L'indemnisation des agriculteurs et le recours au Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA)

Différents types de dommages ont été causés aux filières agricoles et aquacoles. Certains, causés par le vent, ont affecté les bâtiments, les équipements et les cultures. D'autres, résultant plus directement de la submersion marine, sont allés plus loin et n'ont pas détruit que les cultures en place, mais ont réduit à court et moyen terme le potentiel agronomique des terrains en raison de la salinité et de la sodicité de l'eau de mer . Cette dernière a également engendré des phénomènes mécaniques d' érosion et des perturbations dans le fonctionnement des infrastructures hydrauliques (canaux, fossés), en particulier sous l'effet du déplacement de matières telles que du sable, de la vase, de la terre ou des déchets divers.

Selon les réponses du ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche au questionnaire transmis par votre mission, les dommages exceptionnels liés à l'ennoiement et à la stagnation de l'eau salée concernent une zone de plus de 50 000 hectares, dont 35 000 ont été particulièrement touchés . Ces parcelles inondées sont constituées de deux tiers de grandes cultures et d'un tiers de prairies. Le tableau suivant présente la répartition des surfaces inondées dans les deux départements les plus touchés.

Surfaces inondées dans les deux départements les plus touchés

(en hectares)

Grandes cultures semées 1

Grandes cultures non semées 2

Prairies

Nombre d'exploitations

Charente-Maritime

4 406

6 106

10 941

800

Vendée

5 505

3 156

1 866

164

Total

9 911

9 262

12 987

974

1 Cultures d'hiver, principalement blé dur et blé tendre ;

2 Cultures de printemps, comme le maïs et le tournesol. Source : ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche

Les exploitations conchylicoles et piscicoles ont principalement subi des dégâts sur leurs installations et équipements à terre (bâtiments et matériels détruits), leurs installations en mer ayant été relativement épargnées. La Charente-Maritime et la Vendée sont là aussi les départements les plus touchés, avec près de 900 exploitations sinistrées en Charente-Maritime et 120 en Vendée , mais des dégâts ont également été signalés en Loire-Atlantique et en Gironde, notamment sur le bassin d'Arcachon.

Plusieurs indemnisations seront versées aux agriculteurs, parmi lesquelles trois catégories peuvent être distinguées. Pour les risques assurables, les indemnisations relèvent des assurances privées , pour les aléas non assurables, elles seront issues de l' indemnisation publique par le biais du Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) et, enfin, des aides exceptionnelles ont déjà été annoncées en renfort des deux indemnisations précitées.

Les premières n'appellent pas, à ce stade, de remarques particulières, si ce n'est la faible part des indemnisations déjà versées par les assureurs : au 31 mai 2010 sur la base d'un échantillon de 75 % des dossiers de sinistres de la fédération française des assurances (FFSA) concernant la couverture des dégâts dans le monde agricole par les sociétés d'assurance, 50 % des dossiers ont été réglés ou sont sur le point de l'être , mais seulement 10 % ont conduit au versement d'indemnités . Pour les ostréiculteurs, la situation est moins alarmante, puisqu'au 5 mai 2010, il est fait état de 650 sinistres déclarés, parmi lesquels 592 ont fait l'objet d'expertises, dont les deux tiers (412) ont été réglés définitivement ou sont sur le point de l'être.

L'indemnisation publique des aléas non assurables se place sous le régime légal des calamités agricoles 57 ( * ) , mais il convient d'observer que les indemnisations ne peuvent représenter au mieux que 75 % du montant des dommages .

Dans le cas des dommages provoqués par la tempête Xynthia, le FNGCA devrait être mobilisé pour un montant qui reste à déterminer 58 ( * ) , et servir à la fois aux agriculteurs et aux conchyliculteurs et pisciculteurs, en veillant à indemniser les dégâts et les pertes de récolte, mais aussi les pertes plus indirectes de rendement des sols inondés, en prenant en compte les effets de la salinisation des terres et la nécessité de leur gypsage .

Il a été procédé à la notification de ces aides à la Commission européenne le 27 mai 2010 , qui a donné son accord par sa décision n° N 209/2010 relative aux aides d'Etat en date du 17 juin 2010.

La Commission européenne s'est attachée à vérifier en particulier l'absence de phénomènes de surcompensation. En effet, la discussion avec les autorités nationales a principalement porté sur les conditions de mise en place d'un système d'indemnisations forfaitaires.

Deux aspects du dossier doivent à cet égard être distingués :

- d'une part, la couverture des dommages non assurables subis par les exploitations agricoles, à l'image des récoltes non engrangées et du cheptel vif situé hors des bâtiments, mais également par les conchyliculteurs et pisciculteurs ;

- d'autre part, la prise en charge partielle des effets de la salinisation des terres, ce qui implique le financement du gypsage des surfaces exploitées inondées et de la perte de rendement induite compte-tenu de la présence de sel.

Le premier point n'a pas suscité de réelles difficultés, dans la mesure où il correspond à la prise en charge habituelle des pertes de culture, tandis que le second, qui vise à compenser partiellement et par forfait les pertes de rendement des sols inondés, y compris les pertes futures, a dû faire l'objet d'un argumentaire plus affiné de manière à démontrer qu'aucun cas de surcompensation n'est rendu possible 59 ( * ) .

Les pertes de potentiel de production seront compensées sur des bases forfaitaires de 1 000 euros par hectare pour les grandes cultures et de 600 euros par hectare pour les prairies. Les indemnisations représenteront 35 %, 45 % ou 60 % de ces forfaits selon des modalités relativement complexes récapitulées ci-après.

Calcul de l'indemnisation des pertes de potentiel de production

Étendue de la Surface agricole utile (SAU) inondée

Inférieure à 30 %

De 30 % à 75 %

De 75 % à 100 %

Taux d'indemnisation

35 %

45 %

60 %

Source : ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche

Chaque exploitation devrait donc recevoir une aide proportionnelle au nombre d'hectares inondés, progressive en fonction de l'importance des surfaces inondées par rapport à l'ensemble de la surface de l'exploitation et, enfin, correspondant à un type de culture donné (grandes cultures ou prairies).

Au total, votre mission regrette que, dans des situations de crise du type de celle de Xynthia, la Commission européenne exerce un contrôle aussi rigoureux au regard des règles du droit de la concurrence, alors même que l'indemnisation sera inférieure aux pertes constatées. Les aides devraient en effet pouvoir être versées le plus rapidement possible sans qu'il soit procédé à d'inopportuns contrôles administratifs tâtillons.

Lors du débat organisé au Sénat le 16 juin dernier, Mme Chantal Jouanno, Secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, a elle-même considéré que « face à ce type d'événements, il faut mettre en place une procédure d'approbation accélérée . »

Proposition n° 73 de la mission :

Promouvoir au niveau européen une révision des modalités de contrôle des aides publiques versées à la suite d'une catastrophe naturelle et prévoir une procédure d'approbation accélérée afin de faciliter un versement rapide de ces aides aux filières économiques sinistrées.

Pour les agriculteurs qui rencontrent les plus grandes difficultés, des avances sur les indemnisations du FNGCA doivent être débloquées, soit par l'Etat directement, soit par les banques avec financement des intérêts des prêts par l'Etat.

La mission est particulièrement attentive à l'efficacité et à la rapidité des procédures de versement des aides annoncées. Les agriculteurs, les ostréiculteurs et les conchyliculteurs sont, en effet, les professions qui ont été les plus frappées par la tempête Xynthia. Il est donc primordial d'assurer très rapidement l'indemnisation des préjudices très importants qu'ils ont subis, surtout que l'accord de la Commission européenne sur les dossiers notifiés place aujourd'hui le Gouvernement face à ses responsabilités.

Un versement des aides dans les meilleurs délais est d'autant plus essentiel que leurs destinataires doivent entreprendre le plus tôt possible d'importants travaux de remise en état des terres en culture pour réduire la quantité de sel présent dans le sol par l'utilisation du gypse et retrouver les capacités de rendement perdues.

Votre mission constate avec satisfaction que la visite sur place, le 4 juin 2010, de M. Bruno Le Maire, ministre de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche, a conduit au versement effectif des premières aides . D'après les informations transmises par le ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche, il s'agirait, au 25 juin 2010, de 386 000 euros versés aux agriculteurs vendéens, et de plus de 231 000 euros pour ceux de Charente-Maritime.

Ces acomptes, faibles au regard des indemnisations dues, ne concernent que la partie « pertes de fonds classiques » du FNGCA, les crédits destinés à la compensation des pertes de potentiel agronomique et correspondant aux indemnisations forfaitaires n'ont pour leur part été délégués que le 24 juin 2010 (15,9 millions d'euros en Charente-Maritime et 10,6 millions d'euros en Vendée), et vont donc pouvoir commencer à faire l'objet de procédures de paiement.

En outre, la prise en charge des dépenses de gypsage s'effectuant sur présentation de factures (coût d'achat et d'épandage), ces versements spécifiques ne s'effectueront qu'à partir de l'automne 2010, point sur lequel votre mission souhaite attirer l'attention du ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

Sur le plan du financement communautaire, outre un redéploiement de crédits de la PAC et du Fonds européen pour la pêche, la mission préconise de recourir à la « mesure 126 » de l'UE, qui permet la mobilisation d'un fonds d'urgence pour reconstituer les capacités des territoires frappés par une catastrophe naturelle. Cette aide ne pourra concerner que des dégâts non assurables, tels que les récoltes non engrangées détruites ou les animaux morts hors des bâtiments. Aujourd'hui non financée, cette rubrique pourrait faire l'objet d'un abondement par redéploiement. La sollicitation de cette procédure, à l'initiative des préfets de région en particulier, serait envisagée dans la région Poitou-Charentes , mais pas dans la région des Pays de la Loire , ce que déplore votre mission.

Proposition n° 74 de la mission :

Recourir à la « mesure 126 » de l'Union européenne, qui permet la mobilisation d'un fonds d'urgence pour reconstituer les capacités des territoires frappés par une catastrophe naturelle.

S'agissant des aides ad hoc , les pouvoirs publics ont élaboré un plan de soutien exceptionnel de 20 millions d'euros, déjà approuvé par la Commission européenne, au bénéfice des professionnels conchylicoles et piscicoles de Charente-Maritime et de Vendée, afin de permettre la reconstruction de bâtiments et l'achat de matériels, suite aux dégâts engendrés par la tempêtes Xynthia. Ces aides doivent également permettre la prise en charge du coût des franchises et des coefficients de vétusté appliqués par les assureurs. Votre mission salue cette initiative et préconise de faire bénéficier les agriculteurs d'un dispositif similaire à celui prévu pour les aquaculteurs . Elle propose en outre une mesure spécifique pour les agriculteurs en difficulté économique majeure.

Propositions n° 75 et 76 de la mission :

- Faire bénéficier les agriculteurs d'un dispositif similaire à celui prévu pour les aquaculteurs permettant la prise en charge par l'Etat du coût des franchises et des coefficients de vétusté appliqués par les assureurs.

- Pour les agriculteurs que Xynthia a placés dans une situation de difficulté économique majeure, leur permettre de bénéficier d'une procédure spécifique « agriculteurs en difficulté » qui n'est pas soumise aux règles européennes de plafonnement dans le cadre du de minimis.

D'autres aides budgétaires sont annoncées à l'instar du financement des intérêts de prêts d'environ 30 000 euros par exploitant , par l'intermédiaire du Fonds d'allégement des charges des agriculteurs (FAC), pour un montant de 3 millions d'euros pour les agriculteurs 60 ( * ) et d'1,5 million d'euros pour les ostréiculteurs et les conchyliculteurs, ou encore de la prise en charge de 2,5 millions d'euros de cotisations dues à la mutualité sociale agricole (MSA).

Lors de leur audition par la mission, MM. Pierre Baudry, directeur général adjoint de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Poitou-Charentes-Vendée, et Stéphane Marco, responsable du service départemental de la Charente-Maritime, ont proposé la mise en oeuvre par leur SAFER 61 ( * ) d'une politique d'acquisitions amiables par une interprétation extensive du champ d'application des articles L. 143-3 et R. 143-7 du code de l'urbanisme. Elle participerait de la mise en oeuvre d'une stratégie foncière de long terme , orientée vers la protection du littoral et des personnes et de mise en valeur des terrains agricoles et des espaces naturels .


* 57 Institué par la loi n° 64-706 du 10 juillet 1964, le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) vise à couvrir ces dommages subis par les exploitations agricoles mais également par les conchyliculteurs et pisciculteurs, tels que les récoltes non engrangées ou le cheptel vif situé hors des bâtiments. Cf. les articles L. 361-1 et suivants du code rural qui précisent qu'il s'agit d'indemniser des dommages matériels causés aux exploitations agricoles par des événements non assurables d'importance exceptionnelle dus à des variations anormales d'intensité d'un agent naturel, outrepassant les moyens préventifs ou curatifs habituels.

* 58 Les taux d'indemnisation à accorder aux sinistrés restent à fixer d'où un montant mobilisé de ressources du FNGCA difficile à déterminer (il pourrait s'agir de 30 à 45 millions d'euros d'après les informations transmises à votre mission par le ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche).

* 59 Pour les agriculteurs ayant souscrit une assurance récolte, les services de l'Etat vérifieront, pour chaque exploitation, que le cumul de l'indemnité d'assurance et de celle prévue au titre du FNGCA ne conduit par à une surcompensation des dommages. Si tel est le cas, les indemnisations envisagées seront réduites à due concurrence du dépassement constaté.

* 60 Selon les réponses du ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche au questionnaire transmis par votre mission, il s'agirait, au 25 juin 2010, de 680 000 euros déjà versés aux agriculteurs vendéens (120 dossiers) et, surtout, de 900 000 euros pour ceux de Charente-Maritime (160 dossiers).

* 61 Disposant d'un droit de préemption, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) participent à l'aménagement des zones rurales en achetant des exploitations ou des parcelles ainsi qu'en les rétrocédant. Il convient de souligner leur rôle stratégique dans le monde agricole puisqu'elles achètent et revendent environ 84.000 hectares chaque année, soit environ 23 % de l'ensemble du marché foncier. De plus, elles choisissent de céder les propriétés à des exploitants agricoles sur le fondement non pas du prix offert mais d'une appréciation effectuée à partir de plusieurs critères d'intérêt général.

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