2. Les résiliations partielles des commandes

En raison, tant de la modification du schéma vaccinal que du succès très limité des campagnes de vaccination, il est apparu que les commandes passées par les Etats excédaient largement leurs besoins 149 ( * ) .

Le cas de la France

Alors que divers pays avaient déjà entamé des négociations avec leurs fournisseurs, la France, renouant avec les principes du droit des contrats administratifs - un peu oubliés lors de la négociation des achats de vaccins - a décidé, le 4 janvier 2010, de résilier unilatéralement, à hauteur de 50 millions de doses sur 94, les commandes résultant du contrat et des marchés passés avec GSK, Sanofi Pasteur et Novartis, en se fondant sur le motif d'intérêt général constitué par la modification du schéma de vaccination, ramené à une seule injection pour tous les patients âgés de plus de dix ans 150 ( * ) . Cette décision, notifiée par l'EPRUS, signataire des contrats, aurait pu intervenir plus tôt, la modification en question ayant été validée le 30 novembre, mais le ministère de la santé a estimé plus prudent d'attendre que soient passées la fin de l'année et la période d'affluence constatée à la mi-décembre dans les centres de vaccination.

Comme l'a reconnu à demi-mots le directeur général de la santé devant la commission d'enquête 151 ( * ) , le ministère craignait que l'annonce de cette résiliation entraîne une cessation immédiate des livraisons.

Cette résiliation n'était pas sans risque car elle exposait l'Etat à se voir réclamer une indemnité par ses cocontractants, qui pouvaient prétendre à une indemnisation compensant intégralement le préjudice subi, c'est-à-dire les pertes subies (damnum emergens) et le gain manqué (lucrum cessans) . Dans le cas d'un marché de fournitures dont la production pouvait être largement en cours, l'indemnisation risquait de ne pas être beaucoup moins élevée que le montant des commandes annulées. Cependant, le risque du contentieux pouvait sans doute être pris car la légalité des contrats était assez aléatoire pour ne pas exclure qu'ils soient purement et simplement annulés 152 ( * ) .

La résiliation portait sur les quantités non livrées et a été assortie d'une proposition d'indemnisation fixée à 16 % du prix des doses annulées, soit :

- 2 millions d'euros pour Sanofi Pasteur pour 2 millions de doses annulées, cette annulation faisant suite à une annulation de 9 millions de doses à l'initiative du laboratoire (sur 28) ;

- 10,46 millions d'euros pour 7 millions de doses annulées (sur 16) pour Novartis ;

- 35,84 millions d'euros pour 32 millions de doses annulées (sur 50) pour GSK.

Actuellement :

- Novartis a accepté un règlement transactionnel de 10,5 millions d'euros le 15 mars 2010 ;

- Sanofi Pasteur a tacitement accepté la décision d'indemnisation qui lui a été notifiée le 30 avril 2010 ;

- GSK, en revanche, a présenté à l'EPRUS, en réponse à la proposition d'indemnisation qui lui avait été notifiée, une demande d'indemnisation de 224 millions d'euros hors taxes et hors intérêts et une proposition transactionnelle de 108 millions d'euros.

En réponse à cette demande, l'EPRUS lui a notifié, le 30 avril 2010, une décision d'indemnisation globale et définitive de 36 millions d'euros.

GSK dispose d'un délai de quatre mois pour former un recours contre cette décision.

Le montant total des dédommagements prévu par l'Etat est donc actuellement de 48,5 millions d'euros. Si l'on en reste là, le coût total des achats de vaccins H1N1 serait ainsi ramené, hors taxes, de 675 à 317 millions d'euros, plus 48,5 millions d'euros d'indemnités, soit 365,5 millions d'euros hors taxes et 382 millions d'euros TTC .

La situation des pays étrangers

Selon les informations auxquelles la commission d'enquête a pu avoir accès, certains laboratoires, notamment GSK, acceptent depuis le début de l'année de renégocier des « commandes fermes ».

Le refus de le faire devenait, à dire vrai, assez peu tenable, compte tenu des surplus de vaccins laissés à la charge des Etats à la suite, d'une part, du schéma de vaccination à deux injections et, d'autre part, du succès mitigé des campagnes de vaccination, alors que les principaux fournisseurs de vaccins H1N1 ont réalisé des ventes considérables.

Selon un bulletin d'information économique 153 ( * ) , GSK aurait livré 130 millions de doses de vaccin pandémique au dernier trimestre 2009 , pour un montant de 1,3 milliard de dollars de chiffre d'affaires net ; Novartis vaccines and diagnostics (ex Chiron) a fait progresser ses ventes de 38 % entre 2008 et 2009 et vendu 100 millions de doses de vaccins pandémiques pour 1 milliard de dollars ; Sanofi Pasteur aurait enregistré plus de 250 millions de doses de commandes pour 2009-2010 et réalisé en 2009 des ventes d'un montant de 2 à 3 milliards de dollars.

Au total, les ventes supplémentaires dues aux vaccins H1N1 représenteraient 5 à 6 milliards de dollars en 2009 , chiffre à rapprocher du montant du marché mondial des ventes de vaccins en 2008, soit 17 milliards de dollars.

Les « transactions » consenties par GSK à des pays comme le Japon, la Belgique, le Royaume-Uni, l'Allemagne... seraient calculées sur la base des deux tiers de la valeur initiale du contrat, selon les propos tenus devant la commission d'enquête par M. Hervé Gisserot, président directeur général de GSK France 154 ( * ) . De tels accords avaient été conclus, à l'époque, avec une vingtaine de pays européens (Allemagne, Hollande, Belgique) et le Japon.

Ainsi, l'Allemagne aurait pu annuler la commande de 16 millions de doses sur 50, sans indemnités car ces doses n'avaient pas encore été livrées. Cependant, l'Allemagne a par ailleurs versé 10 millions d'euros aux laboratoires pour soutenir la recherche sur les vaccins.

Le Royaume-Uni a conclu en avril un accord avec GSK limitant à 35 millions de doses ses commandes, y compris les livraisons déjà effectuées - sur un montant total de 90 millions de doses, complété par des options d'achat. Les détails de cet accord n'ont pas été divulgués, le ministère de la santé indiquant seulement qu'il permettrait d'économiser environ un tiers du montant de la commande totale.

Le Royaume-Uni avait par ailleurs fait jouer, le 28 janvier, la clause de résiliation qu'elle avait pu faire inclure, dans le contrat définitif passé avec son autre fournisseur, Baxter.

Un certain nombre de pays n'ont pas négocié de résiliations. Les Etats-Unis devraient ainsi répartir leur reliquat de 138 millions de doses sur 229 millions achetées, entre des dons (25 millions de doses) et une mise en réserve de 37 millions de doses environ. Les 71,5 millions de doses restantes, conditionnées en flacons ou en seringues, devront être détruites si elles ne sont pas utilisées avant leur date de péremption.


* 149 Le montant des commandes mondial serait de l'ordre d'un milliard de doses et celui de la consommation de vaccins voisin de 200 millions de doses.

* 150 Parmi les vaccins acquis par la France, seul le Celvapan de Baxter restait administré en deux injections, mais les livraisons ont été complétées à la mi-décembre.

* 151 Audition de M. Didier Houssin du 30 juin 2010.

* 152 D'autant plus que, pour le contrat GSK, la clause prévoyant l'interruption des livraisons en cas de suppression des stipulations qui lui reconnaissait des avantages pour le moins inhabituels, montre qu'il n'ignorait pas la fragilité de ces stipulations.

* 153 Vaczine Analytics-Export React - 28 janvier 2010.

* 154 Audition du 30 mars 2010.

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