N° 685

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 29 juillet 2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juillet 2010

Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 30 juillet 2010

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v , créée sur la demande du groupe Communiste, Républicain et Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, dont la Conférence des Présidents a pris acte le 10 février 2010, en vertu de l'article 6 bis, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Tome II : annexes

Président

M. François AUTAIN,

Rapporteur

M. Alain MILON,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. François Autain, président ; M. Alain Milon, rapporteur ; MM. Claude Domeizel, Jean-Jacques Jégou , vice-présidents ; Mmes Odette Herviaux, Christiane Kammermann, secrétaires ; M. Gilbert Barbier , Mme Marie-Christine Blandin , MM. Christian Demuynck , Marcel Deneux , Guy Fischer , Bruno Gilles , Jean-Pierre Godefroy , Michel Guerry , Mme Marie-Thérèse Hermange , MM. Alain Houpert , Serge Lagauche , Marc Laménie , Jacky Le Menn , Mme Patricia Schillinger , M. Alain Vasselle .

I. PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Audition de MM. Thierry COUDERT,
directeur général de l'établissement de préparation
et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS)
et Claude AVARO, directeur général adjoint
(mardi 23 mars 2010)



Huis clos demandé
Audition de M. Noël RENAUDIN,
président du Comité économique des produits de santé
(mardi 23 mars 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Noël Renaudin, président du CEPS qui, comme a eu l'occasion de l'indiquer Mme la ministre de la santé et des sports a pris une part importante à la négociation des contrats de fourniture de vaccins H1N1.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Noël Renaudin prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission.

Vous avez la parole.

M. Noël Renaudin - Je vous remercie M. le président. Je tiens tout d'abord à préciser que le Comité économique des produits de santé n'a joué aucun rôle, ni direct, ni indirect, dans la gestion de la crise de la grippe H1N1 ou dans l'acquisition de vaccins car ce n'est pas son métier.

Ses compétences, définies par la loi, consistent essentiellement à fixer les tarifs des médicaments ou des dispositifs médicaux remboursables mais ne s'étendent pas à l'achat de médicaments ou de vaccins pour le compte de l'Etat quand il est nécessaire de le faire. Dans ce cas, l'organisme compétent est l'EPRUS.

C'est donc à titre personnel, intuitu personae , que le ministère de la santé m'a demandé, à l'été 2009, de venir en appui de l'EPRUS pour finaliser les contrats d'acquisition des vaccins, ce que j'ai fait pendant une brève période de temps.

Je dirai d'abord quelques mots sur les rapports qui existent « en régime de croisière » entre les pouvoirs publics et l'industrie pharmaceutique, qui sont des rapports conduits avec des institutions et selon des procédures qui garantissent que ces rapports sont à la fois conformes à l'éthique et en adéquation avec l'intérêt général.

J'en viendrai ensuite au cas spécifique des contrats d'acquisition de vaccins, en insistant sur le fait que, dans ce cas, les rapports n'ont pas changé : on est toujours dans le contexte des rapports entre industrie et pouvoirs publics, qui sont des rapports sains.

Les rapports généraux entre l'industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics se déroulent sur deux plans bien distincts dont les procédures ne se confondent pas, le plan au sens large de la politique industrielle et de la recherche, dans laquelle l'Etat, tout naturellement, a affaire aux entreprises pharmaceutiques - et la politique de santé et d'assurance maladie, dans la cadre de laquelle les rapports entre l'Etat et les entreprises pharmaceutiques sont des rapports de client à fournisseur : l'Etat négocie, prend des décisions vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique en tant que fournisseur.

Ces deux aspects des rapports entre l'Etat et les pouvoirs publics en général et l'industrie pharmaceutique sont distincts.

Ce n'est pas par hasard car c'est justement en raison des risques qui pouvaient être attachés à la conduite, sous l'autorité directe ou indirecte des ministres, des prix et des tarifs dans des perspectives de politique industrielle ou de localisation d'entreprises au niveau régional ou local que, en 1993, le Gouvernement a décidé de créer le Comité économique du médicament, devenu CEPS en 2001, lorsqu'on lui a confié en outre la responsabilité des tarifs des dispositifs médicaux.

Cette distinction est importante.

Concernant la politique industrielle et la politique de recherche, les entreprises du médicament sont traitées comme les autres. Elles ont droit aux mêmes dispositifs et mesures incitatives, qui sont conduits selon des procédures publiques connues, et dont elles bénéficient lorsqu'elles remplissent les conditions pour cela.

Lorsque les entreprises du médicament demandent à bénéficier du crédit impôt-recherche, elles remplissent les mêmes dossiers que les entreprises des autres secteurs et obtiennent ce à quoi elles ont droit. Il en est de même pour la législation tendant à favoriser l'installation des entreprises dans certaines zones, au titre de l'aménagement du territoire, et pour beaucoup d'autres dispositifs.

Le second aspect des rapports entre les pouvoirs publics et l'industrie pharmaceutique concerne la fixation de ses tarifs aussi bien en médecine de ville que pour les médicaments distribués à l'hôpital.

Ces rapports ont été au fil du temps aménagés et encadrés de sorte que les pouvoirs publics soient insoupçonnables.

Cet encadrement s'est fait sur la base d'un certain nombre de principes qui sont la collégialité, la transparence et le contrôle juridictionnel. Les décisions prises par les pouvoirs publics vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique le sont dans ce contexte.

Dans ce cadre, les rapports de l'Etat et de l'assurance maladie avec les entreprises pharmaceutiques sont banals : ces entreprises sont des entreprises capitalistes mues par le profit, qui interviennent sur le marché international - la France n'est pas une île de ce point de vue. Nous sommes sur un marché ouvert.

Pour mettre en oeuvre ces rapports, un certain nombre d'institutions se sont progressivement mises en place au fil du temps, toujours avec la même perspective de garantir l'éthique et l'efficacité des rapports entre l'industrie et les pouvoirs publics. Je peux citer la séparation des évaluateurs et des tarificateurs, qui constitue une spécificité française de grande portée : ce ne sont pas les mêmes personnes ni les mêmes institutions qui sont chargées des aspects purement économiques et de la négociation ou qui ont à dire si un médicament - ou un vaccin - présente un intérêt, de quelle nature et de quelle ampleur, par rapport à ce qui existe déjà.

Second élément : bien que l'indépendance intellectuelle de la commission de la transparence n'ait guère été contestée, l'Etat a cependant jugé utile, en 2004, de l'intégrer à la Haute Autorité de santé (HAS), créée à l'époque, dont l'indépendance réelle a été affirmée. Le CEPS, quant à lui, n'est pas une autorité indépendante puisqu'il obéit aux orientations générales des ministres, mais il jouit d'une certaine autonomie dans la fixation individuelle des prix ou des tarifs lorsqu'il s'agit de rembourser les médicaments. Cette autonomie - qui est selon moi un confort pour les pouvoirs publics - n'est jamais mise en cause.

Voici donc le cadre dans lequel s'exercent quotidiennement les rapports entre pouvoirs publics et industrie.

L'application de toutes ces règles et de toutes ces procédures fait-elle que les décisions sont parfaites ? Bien sûr que non ! Je ne sais d'ailleurs pas quel type d'institution pourrait garantir la perfection des décisions mais cela garantit - ce qui n'est pas négligeable - le fait que les décisions sont prises de bonne foi, motivées de façon explicite à partir de critères d'intérêt général et laissent peu d'espace - pour ne pas dire aucun - au manquement à la probité.

C'est ce système qui a été mis en place par les pouvoirs publics progressivement pour offrir ces garanties.

Le cas spécifique de l'acquisition des vaccins H1N1 s'est inscrit dans le même cadre de rapports sains et comptables entre l'Etat et ses fournisseurs.

Tout d'abord, il est indispensable, pour exprimer une opinion sur les aspects économiques de l'acquisition des vaccins et la nature des contrats, de rappeler le contexte concurrentiel de l'affaire. Il s'agit d'un contexte dans lequel la demande était beaucoup plus importante que l'offre. Tous les pays n'aspiraient qu'à une chose : avoir vite des vaccins et, dans le cas de la France, beaucoup de vaccins.

C'est dans ce contexte qu'ont été conclus les contrats passés essentiellement avec trois entreprises : GSK, Sanofi Pasteur et Novartis.

Il me semble que trois éléments des contrats qui peuvent soulever un certain intérêt : le prix, les clauses spécifiques et la question des tranches optionnelles.

Je suis intervenu entre fin juin 2009, période importante de la finalisation des contrats, et les 7 et 8 juillet 2009, dates de deux réunions tenues en ma présence à l'EPRUS, pour mettre la dernière main aux contrats passés avec GSK et Novartis. Je n'ai pas participé directement à la discussion avec Sanofi Pasteur.

Mon intervention sur les prix a été modeste, en réalité, mais je l'assume ; elle a consisté à dire au ministère de la santé, qui me l'avait demandé, que ces prix ne me paraissaient pas abusifs. Je suis prêt à répondre à toutes les questions pour expliquer pourquoi je l'ai dit à l'époque et pourquoi je continue à le dire.

Le second élément de ces contrats porte sur les clauses qui ont été évoquées. Je ne doute pas que le directeur de l'AFSSAPS vous en dise aussi beaucoup, ayant été comme moi associé à la finalisation de ces contrats.

Mon rôle essentiel dans cette affaire a été de faire supprimer la clause la moins acceptable dans les contrats types proposés à la France comme aux autres Etats, qui était une clause d'irresponsabilité des entreprises, y compris en cas de défectuosité des vaccins.

Les contrats initiaux étaient rédigés de telle manière que, outre les clauses d'irresponsabilité sur les effets secondaires - dont vous parlerez probablement -, il existait une clause proprement choquante qui voulait que, même si le vaccin n'avait pas été fait selon les règles de l'art, ce n'était pas la faute des laboratoires que nous avions contraints à agir dans l'urgence.

Je pense avoir joué un petit rôle dans la suppression de cette clause, pour laquelle il nous était objecté par les entreprises, notamment GSK, qu'elles ne pouvaient la changer, étant tenues par une sorte d'égalité de traitement entre leurs clients au niveau mondial. Je pense que le fait que je sois intervenu a compté. Nous leur avons dit que cette clause était insupportable, qu'elle serait certainement annulée en cas de contentieux et qu'il valait donc mieux ne pas la faire figurer dans le contrat initial.

Le troisième point concerne la question des tranches optionnelles. Je sais que l'on a considéré que si elles avaient existé, il aurait été plus facile de ne pas les lever et d'arrêter les commandes. Bien entendu, on y a pensé ! J'espère que personne ne fera l'injure à l'administration de croire qu'elle n'a pas eu l'idée de tranches optionnelles. La réalité est qu'en juin-juillet 2009, la préoccupation centrale de l'Etat était d'avoir très vite de grosses quantités. La décision avait été prise de vacciner tout le monde...

M. François Autain, président - Ceux qui le souhaitaient !

M. Noël Renaudin - Tout le monde, à l'exception de ceux qui ne le voulaient pas !

M. François Autain, président - C'est exprimé différemment mais cela revient au même !

M. Noël Renaudin - La volonté des pouvoirs publics était d'avoir rapidement des vaccins. Dans le contexte défavorable dans lequel se situait la demande de l'Etat par rapport à l'offre de vaccins, plus on en commandait de manière ferme, plus on les avait tôt.

C'est pourquoi on a eu des tranches optionnelles mais celles-ci étaient livrables assez tard dans le temps, à une époque et en un moment où il était raisonnable de penser que l'offre serait devenue plus abondante.

Pour des raisons de contraintes de fabrication, on savait que l'offre serait peu abondante en septembre, octobre et novembre, qu'en décembre on commencerait à disposer des vaccins et qu'on en aurait probablement autant qu'on en voulait en janvier, février et mars.

C'est pourquoi les tranches optionnelles ont concerné les quantités qui permettaient, dans le cas de la France, de dépasser si nécessaire 94 millions de doses, avec 30 millions de plus. On avait donc la possibilité d'acheter 124 millions de doses de vaccins.

Si on avait voulu des tranches optionnelles pour une part plus importante de la commande, par exemple une tranche ferme à 10 millions avec GSK et le reste en option, on n'aurait pas été servi. C'est le sentiment que chacun avait. Il a fallu se battre pour faire inscrire dans les contrats un calendrier même indicatif.

M. François Autain, président - Sans pénalité de retard ?

M. Noël Renaudin - Sans pénalité de retard.

M. François Autain, président - Cela a-t-il une valeur ?

M. Noël Renaudin - Oui, je le pense.

M. François Autain, président - Cela a-t-il été respecté ?

M. Noël Renaudin - La vérité - que vous avez certainement apprise de l'EPRUS - est que Sanofi Pasteur, contrairement à ce que l'on redoutait, a été plutôt rapide et que GSK, contrairement à ce qu'on espérait, a été un peu lent.

M. François Autain, président - Comme quoi on peut se tromper !

M. Noël Renaudin - En effet.

J'en ai terminé de mon exposé liminaire.

M. François Autain, président - Merci.

On peut ne pas être d'accord avec la première partie de votre exposé mais cela nécessiterait de créer une nouvelle commission d'enquête.

Vous avez évoqué la probité. Je suis d'accord avec vous. Je pense que ce serait encore plus facile à appliquer si les experts qui conseillent les laboratoires n'étaient pas les mêmes que ceux qui conseillent les instances publiques et les autorités sanitaires !

M. Noël Renaudin - D'un point de vue économique, je suis expert dans cette affaire mais vous savez que je n'ai pas de relations avec les laboratoires.

M. François Autain, président - C'est pourquoi je ne vous l'ai pas demandé. Vous le savez, chaque fois que l'on s'exprime, on doit maintenant décliner ses liens d'intérêts, mais vous savez, par ailleurs, que beaucoup d'autres experts ont des liens d'intérêts. Je pense que cela jette une ombre sur la probité des contrats et des prix qui peuvent être fixés.

M. Noël Renaudin - Pour ce qui est des prix, je me porte fort de la probité et de l'absence de liens d'intérêts des personnes qui appartiennent au CEPS.

Par ailleurs, je souhaite répéter que les règles de collégialité, de transparence et de contrôle juridictionnel sont un puissant moyen pour rendre les manoeuvres difficiles. Il est difficile de raconter des histoires à vingt personnes qui siègent dans la commission de la transparence.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas tout à fait tort et j'aurais tendance à suivre les avis de la commission de la transparence puisque selon eux, 95 % des médicaments qui sont mis sur le marché aujourd'hui ne sont pas plus efficaces que ceux qui existent déjà ! Ce que je comprends moins, c'est que ces médicaments qui ne sont pas mieux que les autres sont vendus beaucoup plus cher !

M. Noël Renaudin - Vous me permettrez de répondre à cela dans le cadre d'un autre débat !

M. François Autain, président - On créera donc une nouvelle commission d'enquête !

Pour la partie qui nous concerne, je passe la parole à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Aviez-vous déjà été associé à la négociation des contrats passés en 2005 en prévision de la grippe H5N1 ?

M. Noël Renaudin - Non.

M. Alain Milon, rapporteur - Quels éléments ont été pris en compte pour la négociation et la fixation des prix des vaccins proposés par les quatre laboratoires fournisseurs ?

M. Noël Renaudin - Vous avez à juste titre fait remarquer que des contrats relatifs à la grippe H5N1 avaient été conclus auparavant entre certains Etats et différentes entreprises.

Le système n'a d'ailleurs pas été entièrement symétrique. GSK avait des contrats de réservation de vaccins H5N1 avec les Anglais et les Allemands mais pas avec nous, qui avions des contrats de réservation avec Novartis et Sanofi Pasteur. Le paysage n'est donc pas simple mais ces contrats existaient et pouvaient être activés par des avenants simples.

Les prix des doses avaient été fixés dans ces contrats. La commande du vaccin GSK a été notre plus grosse commande - 50 millions de doses. Le contrat a été passé, notamment avec les Anglais et les Allemands, à un prix ferme de 7 euros en mars 2006. Avec les Anglais, le prix était exprimé en livres sterling mais correspondait à l'époque à 7 euros, soit 4,83 livres environ, la livre étant à l'époque à 1,45 euro.

Lorsque le moment est arrivé de commander des vaccins, la France n'avait pas réservé de vaccins auprès de GSK. Mais, compte tenu des quantités, il était certain que l'on n'en aurait pas assez. Il fallait donc contracter avec GSK qui nous a dit, dans un premier temps, qu'il devait d'abord servir les Anglais et les Allemands qui avaient réservé. L'un des éléments de la discussion a consisté à obtenir, sur la production d'une usine de GSK, un droit de tirage suffisant pour ce que voulait l'Etat mais à un prix qui n'était plus discutable. Nous avons obtenu de ne pas payer les droits de réservation qu'avaient payés, nous disait-on, les Allemands et les Anglais pour le Pandemrix.

Ce qui a été négocié, c'est l'absence de compensations du fait que l'on n'avait pas payé de droits de réservation. Quant au prix lui-même, j'ai considéré qu'il n'était pas abusif. C'est ce que j'ai dit au ministère de la santé à l'époque. Pourquoi ? En premier lieu, l'élément de référence était le vaccin saisonnier. Les modes de fabrication sont en effet très voisins. Les vaccins saisonniers, en Europe, coûtent 7 euros, prix sortie d'usine, hors taxe et frais de distribution. Ce vaccin n'a toutefois pas le même prix partout, tous les pays n'ayant pas les mêmes mécanismes de fixation des prix.

M. François Autain, président - Les chiffres que j'ai pour les prix en officine, en France, sont entre 5,29 et 6,79 euros la dose !

M. Noël Renaudin - Mais on est sur un marché international ! Nous avons obtenu de payer le vaccin H1N1 à un prix européen de vaccin saisonnier.

En Europe, le vaccin saisonnier coûte entre 11 et 12 euros en Allemagne, entre 5 et 7 livres en Angleterre, ce qui faisait à l'époque 9 à 10 euros ; il coûtait 4,50 à 6,50 euros en Italie, l'Allemagne et le Royaume Uni pratiquant la liberté du prix des médicaments et des vaccins.

En France, il coûtait 4,10 euros. Je connais bien le prix fabricant, que le CEPS a négocié. Tous les vaccins - sauf un, qui est un peu adjuvé - coûtent en France 4,10 euros à la sortie d'usine.

Nous n'avons donc pas obtenu un prix français. Nous nous sommes assurés que nous n'étions pas victimes de discrimination mais nous n'avons pas obtenu pour ce vaccin, compte tenu du contexte du marché, le prix que nous avions obtenu pour le vaccin saisonnier il y a un certain nombre d'années, du fait de la concurrence qui existe pour le vaccin saisonnier.

M. François Autain, président - La pandémie est donc plus intéressante pour l'industrie que l'épidémie !

M. Noël Renaudin - Non, mais je n'ai probablement pas été assez clair.

Le prix du vaccin H1N1 a été fixé par chaque entreprise, dans l'ordre de grandeur de son prix de vente des vaccins saisonniers mais il s'est agi d'un prix unique en Europe.

Les pays qui avaient des vaccins saisonniers peu chers, comme la France, ont payé le vaccin pandémique plus cher ; les pays qui avaient un vaccin saisonnier cher ont payé le vaccin pandémique moins cher. Ainsi, les Allemands, au lieu de payer 11 ou 12 euros le vaccin H1N1, l'ont payé 7 euros seulement.

M. François Autain, président - Le vaccin pandémique est plus cher que le vaccin saisonnier.

M. Noël Renaudin - Uniquement en France. Il est moins cher en Allemagne et en Angleterre. Le prix est unique en Europe mais, en France, nous bénéficions d'un prix bas pour les vaccins saisonniers.

M. François Autain, président - Qui a fixé le prix européen ?

M. Noël Renaudin - Ce sont les entreprises qui ont fixé le prix en Europe de façon assez réaliste.

Que peut-on dire sur la différence entre les prix des vaccins saisonnier et pandémique d'un point de vue économique et d'un point de vue de rentabilité pour les entreprises ? Les coûts de fabrication sont les mêmes. En revanche, l'amortissement du développement n'est pas du tout le même. GSK a développé un vaccin H5N1 et n'en a jamais vendu une boîte ! Personne ne sait, aujourd'hui, combien les laboratoires vont pouvoir gagner d'argent - s'ils en gagnent - sur le vaccin H1N1.

M. François Autain, président - Si tout le monde se comporte comme le Gouvernement français, c'est une catastrophe !

M. Noël Renaudin - En quel sens ?

M. François Autain, président - En ce sens que la France a résilié une partie de ses commandes. Cela crée un manque à gagner considérable pour les laboratoires.

M. Noël Renaudin - Je ne souhaite pas interférer avec des discussions qui, à ma connaissance, ne sont pas closes...

M. François Autain, président - Elles ne sont donc pas closes ?

M. Noël Renaudin - Je pense que ce sera à Mme Roselyne Bachelot-Narquin de le dire. A ma connaissance, avant-hier, elles ne l'étaient pas. J'ai lu dans le Figaro qu'elles l'étaient. J'attendrai donc de le savoir par la voie officielle.

M. Alain Milon, rapporteur - Mme Roselyne Bachelot-Narquin l'a annoncé à l'Assemblée nationale tout à l'heure.

M. Noël Renaudin - J'attendrai de le savoir par la voie officielle !

Tous les gouvernements ont renégocié les contrats devant la réalité de cette affaire, la France comme les autres. Notre droit public le permet. Ce n'est pas choquant. Les entreprises qui contractent avec l'Etat - même les entreprises pharmaceutiques - savent que l'Etat peut, pour des motifs d'intérêt général, résilier un contrat qu'il a passé sous réserve d'une juste indemnité. Ce qui a fait l'objet de discussions qui, à ma connaissance, ne sont pas tout à fait terminées, c'est le montant de l'indemnité.

Supposons que les choses se soient passées autrement - car personne ne pensait que l'on en arriverait là en juillet 2009. Il n'en reste pas moins vrai, pour apprécier l'équilibre économique de cette affaire, que si l'amortissement du développement du vaccin pandémique ne se fait que sur la campagne 2009, les laboratoires ont du souci à se faire !

Les entreprises ne se sont pas précipitées pour transformer leur capacité de production de vaccins saisonniers en vaccins H1N1. Des entreprises comme Sanofi Pasteur sont très puissantes sur le marché du vaccin saisonnier...

M. François Autain, président - Il faudrait donc baisser les prix ?

M. Noël Renaudin - Les prix, en France, sont de beaucoup les plus bas en Europe pour les vaccins saisonniers. Il existe un fournisseur espagnol, Estève, qui vend le vaccin saisonnier 3,90 euros, un peu moins cher que le prix fixé en France mais le marché espagnol est plus haut en moyenne. Les marges de manoeuvre actuelles pour baisser le prix des vaccins saisonniers sont donc faibles, de mon point de vue.

M. Alain Milon, rapporteur - Les clauses de limitation de la responsabilité des producteurs ont-elles eu pour contrepartie une limitation des prix ?

Les écarts de prix entre les différents vaccins paraissent-ils justifiés ?

Les clauses de confidentialité des prix qui semblent avoir été imposées par tous les fournisseurs à tous les Etats acheteurs de vaccins H1N1 sont-elles habituelles dans ce genre de contrat ? Peuvent-elles faire obstacle à l'équité d'accès aux vaccins pandémiques ?

M. Noël Renaudin - Je ne suis pas sûr de pouvoir objectiver les raisons des différences de prix entre vaccins.

Il existe une différence entre le vaccin Novartis et les autres qui réside dans le fait qu'il est fourni avec une seringue et une aiguille - mais cela ne coûte presque rien et ne peut donc pas expliquer la différence de prix.

Le vaccin de GSK comporte un adjuvant. GSK a dit que l'essentiel du prix était constitué par l'adjuvant. C'est de l'affichage car l'adjuvant n'est pas vendu seul. Vaccin et adjuvant forment un tout. Le vaccin adjuvé coûte 7 euros et le vaccin non adjuvé 6,25 euros.

On ne peut expliquer le prix des médicaments par leur coût de fabrication. Les prix des médicaments répondent pour une part à la loi de l'offre et de la demande. L'objectif de l'Etat, à l'époque, était d'obtenir le plus vite possible des quantités de vaccins.

Les différences de prix entre vaccins n'ont d'autres explications que l'intuition des entreprises, lorsqu'elles se sont mises sur le marché et ont proposé des contrats. Elles avaient des idées différentes sur le prix.

Cela entraîne-t-il des inégalités d'accès ? Non, bien sûr. Rien ne permet de dire aujourd'hui qu'il y a entre les vaccins des différences significatives de rapport bénéfice-risque et tous ceux qui le voulaient ont été servis.

Par ailleurs, les prix ont été construits de la manière que j'ai déjà indiquée. Les clauses de non-responsabilité étaient, pour une part, compréhensibles, du fait du temps minimum laissé aux essais cliniques : les laboratoires ne voulant pas être poursuivis et ruinés en cas d'effets secondaires inattendus.

Mme Marie Thérèse Hermange - Vous avez dit que le prix était un prix européen et fixé en fonction des quantités fournies ?

M. Noël Renaudin - Non, le prix était totalement indépendant des quantités fournies ; ce qui dépendait des quantités commandées, c'était la rapidité de fourniture des vaccins.

Mme Marie Thérèse Hermange - Pourquoi l'avis de l'Agence européenne des médicaments indiquant qu'il fallait une dose au lieu de deux a-t-il été donné aussi tardivement alors qu'il y avait vingt-deux personnes autour de la table ? Toute la politique du médicament étant définie au niveau européen, pourquoi la décision n'a-t-elle pas été prise au moment opportun ?

M. François Autain, président - Alors qu'aux Etats-Unis, on le savait en septembre !

M. Noël Renaudin - Je suis incapable de répondre à cette question, qui n'est pas du tout de ma compétence.

M. Jean Jacques Jégou - Vous êtes un expert des prix et vous avez dit que les aiguilles et les seringues coûtent très peu de chose. Je suis entièrement d'accord avec vous ! Comment se fait-il alors qu'on n'ait pu obtenir des doses individuelles prêtes à injecter ? Un laboratoire en a d'ailleurs fourni ; cela aurait peut-être pu éviter à nos concitoyens cinq à six heures de queue !

Vous avez évoqué par ailleurs la capacité des laboratoires de transformer le vaccin H5N1 en H1N1. Comment se fait-il que nous ayons encore reçu, en janvier 2010, 1,5 million de doses de H5N1 alors que la pandémie n'est pas survenue dans notre pays ?

Troisième question plus délicate : en votre âme et conscience, considérez-vous que dans cette affaire - même si, au moment où on a livré les doses, on ne pensait pas se trouver dans cette situation - le fait de pouvoir faire fonctionner la clause de droit public en résiliant la commande de cinquante millions de doses risque de créer des difficultés particulières pour les laboratoires, compte tenu des prix tirés que vous avez indiqués ? Cela ne risque-t-il pas de changer les rapports entre pouvoirs publics et laboratoires ?

M. Noël Renaudin - Concernant les différences de prix, je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit : les prix de Novartis et de Sanofi Pasteur ont été réactivés, car ils figuraient déjà dans les contrats de 2005. Quand on m'a demandé mon avis sur les prix, à l'été 2009, j'ai répondu qu'ils n'étaient pas abusifs. Je ne pensais pas qu'on pouvait obtenir mieux.

Si ces prix avaient été dramatiquement élevés, je l'aurais dit. Je pense que j'aurais été capable de le faire comprendre aux entreprises que je connais bien et qui me connaissent bien ; cela aurait peut-être changé les choses. Je suis obligé d'employer le conditionnel car les entreprises ont été selon moi raisonnables, chacune avec sa vision des choses. C'est ce que j'ai constaté et dont j'ai fait part à la ministre de la santé.

Je rappelle aussi que le Gouvernement attachait, avec raison, une grande importance à la diversité des approvisionnements.

Concernant les livraisons actuelles de vaccins H5N1, je ne puis pas vous répondre. Je ne suis pas au courant.

S'agissant de la situation des laboratoires après les résiliations, j'ai joué un rôle relativement modeste dans cette opération ; néanmoins, on m'avait demandé mon avis. Je l'ai donné, et il a été suivi, concernant le nombre de doses à résilier par entreprise. J'ai proposé de résilier au prorata des vaccins non livrés, ce qui était désavantageux pour GSK et qui le sanctionnait d'une certaine manière pour son retard de livraison.

Je me souviens de ma discussion avec les dirigeants de GSK au moment où la décision de Mme Roselyne Bachelot-Narquin se préparait. Ils pensaient être en avance sur les livraisons de Sanofi Aventis et ont été fort contents que je propose la règle du prorata. Lorsqu'ils se sont aperçus qu'ils étaient moins bien placés sur ce critère, ils ont déchanté mais ils sont restés beaux joueurs et ont estimé que le critère était raisonnable.

Cela va-t-il compliquer les rapports de l'Etat et notamment du CEPS avec les laboratoires ? Je ne le pense pas...

M. François Autain, président - Non, ils ont trop besoin de vous !

M. Noël Renaudin - Je ne crois pas que cela compliquera nos rapports. Il y a un peu d'amertume chez tel ou tel - ils ne se privent d'ailleurs pas de le faire savoir - mais nous sommes dans la fourchette basse de ce qui me paraît être la juste indemnité de résiliation. Les chiffres annoncés par la ministre de la santé sont, de mon point de vue, dans la fourchette de ce qui doit pouvoir être accepté en application de notre droit.

M. François Autain, président - Avant de nous quitter, je voudrais vous conseiller la lecture de « Pharmaceutiques » qui est, comme vous le savez, le magazine du LEEM (les entreprises du médicament) qui indique - sans doute à tort - que le prix du vaccin H1N1 en Angleterre est de 5,80 euros et que le vaccin contre la grippe saisonnière est du même ordre !

Il n'est donc pas plus cher que chez nous ! Vous avez dit que le vaccin saisonnier était en France le moins cher d'Europe, cela n'est donc pas exact !

M. Noël Renaudin - Je vous le confirme, c'est vrai ! Je rappelle que le contrat de mars 2006 avec les Anglais a été passé à 7 euros ; à l'époque, cela représentait 4,83 livres. Il était normal que GSK - entreprise d'origine anglaise - et le gouvernement anglais contractent en livres sterling. Personne n'aurait compris qu'ils contractent en euros ! Et il se trouve que ce prix était de l'ordre de grandeur de celui du vaccin saisonnier. Depuis, la livre, qui valait alors 1,45 euro, vaut maintenant 1,10 euro. Mais le prix n'a pas changé en livres pour les Anglais...

M. François Autain, président - Je parlais du vaccin saisonnier...

M. Noël Renaudin - Son prix n'a pas changé non plus !

M. François Autain, président - Il n'est donc pas plus élevé que chez nous !

M. Noël Renaudin - Pour beaucoup de médicaments, les entreprises n'ont pas relevé leurs prix à mesure que la livre se dépréciait.

M. François Autain, président - Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, mais nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler ! Je vous remercie en tout cas, M. le président, pour les informations que vous nous avez apportées.

Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
ministre de la santé et des sports
(mardi 23 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, que je remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.

Vous avez souhaité, madame la ministre, être accompagnée de M. Didier Houssin, directeur général de la santé, afin qu'il puisse, le cas échéant, compléter vos réponses sur certains points techniques. Nous y voyons, même s'il ne s'agit pas d'une démarche habituelle, le souci de nous répondre le plus concrètement possible et nous vous savons gré, naturellement, de ce souci.

Aujourd'hui, cependant, c'est surtout la ministre de la santé que nous souhaitons entendre. Nous avons prévu d'entendre demain M. le directeur général de la santé et peut-être pourra-t-il nous apporter alors certaines des précisions techniques que vous estimeriez nécessaires pour éclairer vos propos.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Roselyne Bachelot-Narquin et M. Didier Houssin prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer cette audition par un bref exposé liminaire et de répondre ensuite aux questions du rapporteur et des membres de la commission. En introduction à ce dialogue, sans doute serait-il utile, madame la ministre, que vous nous précisiez quelle a été, dans la gestion gouvernementale de la crise pandémique, le rôle propre de la ministre de la santé, quelles décisions étaient de votre ressort, quelles responsabilités vous incombaient - et j'imagine qu'elles étaient importantes compte tenu de la nature de cette crise.

Vous avez la parole.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Merci.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, expertise, indépendance, industrie et laboratoires pharmaceutiques, stocks de vaccins, coût, financement : tous ces aspects, vous avez commencé à les aborder et vous continuerez à le faire dans les prochaines semaines.

Aujourd'hui, c'est d'éthique, de justice et de responsabilité dont je veux vous parler, en un mot, c'est l'idée que je me fais de mon rôle de ministre de la santé et que je veux défendre devant vous.

Plus que les autres, les situations de tension questionnent nos valeurs et notre conception de l'existence.

En tant que responsable politique, je considère que la protection de tous et de chacun est un impératif absolu.

Cet impératif n'a pas surgi en avril 2009, lorsque l'alerte a été donnée. Il est le fruit de mon histoire et à l'origine de mon engagement politique.

Tout au long de ma vie, dans les combats que j'ai menés, j'ai voulu défendre cet impératif avec détermination, avec passion, avec conviction. Pour répondre à la menace sanitaire que nous avons traversée, j'ai fait des choix exigeants. J'ai fait le choix de protéger d'abord la santé de mes concitoyens - hommes et femmes, enfants et adultes, malades et bien portants - plutôt que d'envisager le seul coût financier. J'assume ces choix.

Avec le Gouvernement, j'ai fait le choix de préparer la France à affronter une menace sanitaire plutôt que celui d'improviser. Là encore, je l'assume.

Je crois que c'est précisément ce qu'attendent nos concitoyens de leur ministre de la santé : qu'avant tout, il protège leur santé. Pour ce faire, j'ai refusé les préjugés et les certitudes. J'ai préféré la prudence, l'analyse, l'honnêteté, l'exigence et l'ouverture du champ des possibles, de tous les possibles.

Faut-il le rappeler, un choix est un acte engagé. Pleinement consciente de cela, j'ai tenu, à chaque étape, à expliquer ce que je faisais, comment je le faisais et surtout pourquoi je le faisais.

Régulièrement, avec le maximum de pédagogie, de transparence, j'ai voulu rendre compte à nos concitoyens, dans le détail, de la politique de gestion du risque que je menais au nom du Gouvernement. L'exercice collectif qui s'ouvre aujourd'hui avec vous est dans la droite ligne de cette même démarche.

D'une période de menace sanitaire grave comme celle que nous avons connue, il faut tirer tous les enseignements utiles.

Je sais que nous avons en partage ce souhait de faire toujours progresser la connaissance et la gestion publique du risque sanitaire.

Le temps n'est donc plus à l'urgence mais au retour d'expérience. Il n'est plus à la réactivité mais à la sérénité et à la lucidité. C'est pourquoi je veux désormais, sans complaisance, répondre à toutes les interrogations qui ont pu se faire jour.

Je veux aussi en profiter pour mettre un terme à un certain nombre de fantasmes et de rumeurs qui ont pu s'exprimer. Je veux démasquer la désinformation ou l'irresponsabilité partout où elle a pu se manifester.

Les institutions de notre République nous le permettent. C'est ma fierté, en tant que ministre de la santé, de participer, comme je l'ai toujours fait, à l'intérêt général, en préparant efficacement l'avenir.

Je me livre maintenant bien volontiers à vos questions.

M. François Autain, président - Merci, madame la ministre. La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Merci pour ces propos introductifs.

Concernant le dispositif de gestion de la crise, le président François Autain vous a demandé tout à l'heure de préciser votre rôle dans la gestion de la crise. Pourriez-vous aussi nous éclairer sur les rôles respectifs des groupes d'experts consultatifs qui ont travaillé sur la grippe H1N1 - le Comité de lutte contre la grippe, le Comité technique des vaccinations, la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de santé publique - et sur la façon dont ils ont participé à l'élaboration des avis du HCSP ?

L'intervention de très nombreux acteurs, outre ceux que je viens de citer, dans la gestion des aspects sanitaires de la crise a-t-elle permis, dans un contexte d'urgence, d'optimiser les conditions de prise de décisions ?

Enfin, quelle appréciation avez-vous pu faire, à l'occasion de cette crise, des marges de manoeuvre dont dispose le décideur politique face aux recommandations des experts scientifiques dont il est entouré ? A votre connaissance, la situation sur ce point est-elle comparable en France et dans les autres pays, notamment européens ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler d'où nous partons, la gestion de la pandémie grippale et la préparation de la campagne de vaccination ayant impliqué que le Gouvernement s'appuie sur une expertise plurielle.

Vous m'interrogez sur le rôle qu'a joué cette expertise dans la prise de décisions et sur l'indépendance des avis.

Dans quel cadre nous plaçons-nous ? La mobilisation de l'expertise nationale s'inscrit dans le cadre de la loi de 1998 et a répondu à un objectif de pluridisciplinarité et d'intégration de l'expertise qui est sollicitée dans tous ses aspects.

Dans la droite ligne de cette loi de 1998, je me suis d'abord appuyée sur l'expertise des agences publiques sanitaires.

En 1997, l'un des vôtres, le sénateur Claude Huriet, en posant le cadre de la loi de 1998, avait souhaité, tout comme vous et nous, que les institutions de contrôle soient fonctionnellement indépendantes et disposent d'une réelle légitimité scientifique.

La réforme mise en oeuvre en juillet 1998 relative au renforcement de la veille et de la sécurité sanitaire a suivi ces lignes directrices et s'est concrétisée par le rôle dévolu aux agences sanitaires : les fonctions de gestion sont séparées des fonctions d'évaluation des risques, d'alerte et de police sanitaire, le rôle des experts est clarifié pour limiter les conflits d'intérêts et les fonctions d'évaluation et de police sanitaire s'exercent indépendamment de la tutelle économique.

Le mode de fonctionnement des agences a donc été conçu pour assurer la qualité et l'indépendance de l'expertise. Plusieurs exigences sont donc requises ; la première est évidemment celle de la compétence. Il est naturel que les meilleurs experts soient mobilisés, tant par les organismes publics que par les sociétés privées.

Deuxième exigence : une expertise tournée vers un objectif de santé publique. Le pluralisme et la collégialité sont donc essentiels. Il est vrai que la vérité absolue n'existe pas en matière d'appréhension du risque sanitaire ; seule la collégialité permet de faire surgir une expertise argumentée, prévoir l'avenir étant toujours par définition un exercice périlleux.

C'est donc ainsi que sont organisés les agences et les comités d'expertise. Je n'ai pas de gourou et l'expertise devait être pour moi la plus large possible.

Troisième exigence : la transparence. Les experts font état de leur activité dans le cadre de leurs déclarations publiques d'intérêts et il est tenu compte de chaque question qui leur est posée pour assurer l'indépendance des expertises produites.

Il faut souligner qu'un lien d'intérêts n'est pas forcément un conflit d'intérêts. L'important est à mes yeux de pouvoir disposer de règles claires de gestion des liens d'intérêts déclarés.

Second point : une expertise pluridisciplinaire et transversale. D'abord, dans ce cadre, l'expertise scientifique et technique a reposé sur l'Institut de veille sanitaire - nous avons un remarquable outil pour les questions de surveillance et d'analyse du risque épidémiologique - et sur l'AFSSAPS pour les questions de qualité et de sécurité des vaccins. C'est une expertise interne aux agences qui a été ensuite été complétée par l'expertise interne des comités ad hoc, dont le Comité de lutte contre la grippe, mis en place dans le cadre de la réflexion sur les mesures de préparation à la grippe H5N1. Ses avis les plus importants sont passés par les fourches caudines du Comité technique des vaccinations et du Haut Conseil de la santé publique, le législateur ayant souhaité l'indépendance de cette instance d'expertise créée par la loi de santé publique du 9 août 2004.

Cette expertise a intégré également des dimensions sociales et éthiques. Alors que nous nous préparions depuis longtemps à une pandémie, nous avons sollicité le Comité consultatif national d'éthique qui s'est exprimé dans son avis n° 106 sur les grandes questions qui pourraient se poser en matière de pandémie, en particulier sur la nécessité de concilier équité et priorisation d'accès aux moyens de prévention disponibles.

J'ai également voulu que cette expertise soit complétée pas une expertise plus informelle à travers des réunions thématiques que j'ai organisées au ministère. Ainsi, les réanimateurs sont venus me parler des formes graves à travers leur société savante. J'ai fait une réunion de travail avec des pédiatres, des neurologues, des infectiologues.

Je veux souligner qu'il faut que cette expertise soit très réactive face à l'émergence d'une alerte sanitaire telle que la pandémie. Il faut s'appuyer sur une expertise de qualité. Ce n'est évidemment pas au moment de la crise que l'on crée une telle structure ! J'ai donc utilisé les organisations et comités dont je disposais, en particulier ceux déjà cités.

Bien entendu, l'expertise a été complétée par une expertise internationale et une expertise au niveau européen. Deux instances ont joué un rôle essentiel : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies - qui a participé à l'analyse de la situation épidémiologique et des évolutions prévisibles pour l'évaluation de la crise sanitaire - et l'Agence européenne du médicament qui a rassemblé l'ensemble de l'expertise des Etats membres sur les produits de santé.

Quant au niveau mondial, l'OMS a joué un rôle prépondérant.

L'expertise française n'était donc pas isolée. J'ai évidemment tenu compte de l'expérience des autres pays avec lesquels nous sous sommes souvent réunis - je parle bien sûr des pays qui ont des traditions de santé publique comparables aux nôtres - Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne. Je suis d'ailleurs extrêmement surprise de voir évoquer la Pologne dans vos références et me ferai un plaisir de revenir sur ce point.

M. François Autain, président - Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas d'argent que ce sont des idiots !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - J'espère que vous me poserez une question !

M. François Autain, président - Je ne sais si je répondrai à votre espoir. Je n'en suis pas sûr !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je pense que l'expertise est toujours perfectible - ce pourra être une conclusion de nos travaux après la commission d'enquête. Le ministère de la santé ne cesse de progresser sur la qualité de cette expertise. Depuis juin 2009, un groupe de travail s'est constitué au sein du CASA, Comité d'animation du système d'agences. L'administration de la santé étant fort parcellisée, il faut essayer de faire fonctionner tout cela ensemble. Il est piloté par la Haute Autorité de santé et mène une réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise publique. Ses travaux ont abouti à la rédaction d'une charte de déontologie de l'expertise en santé publique qui constitue un socle commun de règles déontologiques. C'est une étape importante qui va se poursuivre.

Mme Valérie Pécresse, de son côté, a fait part, le 3 mars dernier, de son souhait de voir les organismes de recherche adopter une charte nationale de l'expertise scientifique et technique. C'est une question qui se pose dans d'autres pays.

Vous avez cité l'exemple des Etats-Unis qui, comme nous, commencent à réfléchir sur le sujet.

Nous devons mobiliser les professionnels les plus compétents et, dans un domaine donné, leur nombre est compté. Nous devons nous assurer de leur impartialité par le biais d'un certain nombre de dispositions qui, globalement, donnent satisfaction. On peut toujours les améliorer et je suis à la disposition des uns et des autres pour poursuivre dans ce dossier.

M. François Autain, président - J'ai quelques questions à poser à propos de l'expertise et de son indépendance...

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai moi-même des questions à poser à ce sujet.

M. François Autain, président - Vous n'aurez donc pas besoin de les poser si je le fais : on va gagner du temps !

En ce qui concerne l'expertise, je sais que dans ce domaine, la ministre de la santé doit montrer l'exemple. Or, malheureusement, ce n'est pas toujours le cas !

Vous me permettrez donc de poser une première question : y-a-t-il des membres de votre cabinet qui ont ou ont eu des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique dans un passé récent - moins de cinq ans. La réponse est rapide : c'est oui ou c'est non.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je puis vous apporter cette réponse par écrit. Les membres de mon cabinet sont un certain nombre et il faut que je consulte leur CV !

M. François Autain, président - Autre exemple qui montre que vous ne vous précipitez pas pour appliquer la législation sur l'indépendance de l'expertise : les membres du Comité de lutte contre la grippe, que vous avez créé par décret en 2008, sont tenus, conformément à l'article L. 1421-3-1 du code de la santé publique, de déclarer leurs liens d'intérêts directs et indirects. Vous les ont-ils adressés au moment de leur nomination ? Dans le cas contraire, leur en avez-vous fait la demande ? Pourquoi ne les avez-vous pas rendus publics dès 2008 comme la loi vous l'impose ?

Voilà une question qui mérite une réponse plus argumentée et complète que celle que vous venez de me faire à l'instant !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je veux vous fournir des renseignements très précis. Vous me pardonnerez de ne pas connaître le CV complet à cinq ans de l'ensemble de mes collaborateurs. Tout cela sera complètement transparent !

M. François Autain, président - Bien entendu ! Je parle de la question concernant les membres du Comité de lutte contre la grippe. Je ne vais pas parler des membres du Comité technique des vaccinations, dont nous avons appris les liens d'intérêts après que la presse ait publié de nombreux articles fin novembre 2009, alors que la loi, encore une fois, vous imposait de le faire bien avant ! Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Ne voulez-vous pas ou ne pouvez-vous pas appliquer ce texte ? Vous gêne-t-il ? Etes-vous d'accord ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Non seulement cela ne me gêne pas mais je souhaite en outre que les différents acteurs fassent connaître de la façon la plus exhaustive l'ensemble de leurs liens d'intérêts dans le cadre de la loi. Si la loi existe, elle doit être appliquée. Je suis extrêmement ferme sur ce sujet !

Ce n'est pas parce qu'un expert travaille intuitu personae pour un laboratoire que son expertise n'est pas valable ou qu'elle est orientée.

Pourquoi cette expertise est-elle transparente et valide ? D'abord parce qu'elle n'est pas unique et qu'elle est toujours rendue de façon collégiale et plurielle.

C'est un milieu scientifique dans lequel les travaux des uns et des autres sont extrêmement inspectés et un expert ne se risquerait pas - sauf à voir sa crédibilité internationale et la qualité de ses travaux mis en cause - à un conseil et à une expertise qui ne seraient pas de qualité. La collégialité et la pluridisciplinarité sont les meilleures garanties.

En tout état de cause, la qualification de la pandémie relève d'organismes d'épidémiologie et de veille sanitaire où les experts n'ont pas de liens d'intérêts avec les laboratoires, qu'il s'agisse de l'InVS, de l'ECDC ou des cellules interrégionales d'épidémiologie. Ce sont eux qui qualifient la pandémie, qui en déterminent la qualité, la sévérité et la gravité.

M. François Autain, président - Non, c'est l'OMS qui qualifie la pandémie, non l'InVS !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Absolument et nous croisons avec l'InVS.

M. François Autain, président - Or, l'OMS brille par son opacité en matière de liens d'intérêts.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je vous arrête : les alertes relatives à la pandémie sont faites par l'OMS - heureusement d'ailleurs, dans un monde global - mais ensuite, la qualification de l'épidémie est réalisée par l'InVS, qui informe l'OMS de ce qui se passe dans notre pays.

M. François Autain, président - Pour quelles raisons les membres du CLCG n'ont-ils pas publié leurs liens d'intérêts comme la loi l'exige ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Ils doivent le faire.

M. François Autain, président - Pourquoi ne l'ont-ils pas fait en 2008 ? Les avez-vous rappelés à leur devoir ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Bien sûr et ils doivent le faire !

M. François Autain, président - C'est une bonne nouvelle. On a donc des chances de voir les affaires progresser en ce domaine.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Vous n'avez qu'à aller sur le site : vous allez les trouver !

M. François Autain, président - Ils viennent de le faire mais en 2008, il ne s'est rien passé ! Il a fallu que la presse exerce sa pression pour qu'on connaisse en effet les liens d'intérêts.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Cela a été mis en ligne il y a plusieurs mois.

M. Alain Milon, rapporteur - L'intervention de tous ces acteurs vous permet-elle d'optimiser vraiment les conditions de prise de décisions ?

Quelle appréciation portez-vous sur les marges de manoeuvre dont dispose le décideur politique face à ses conseillers techniques qui vous disent de prendre telle ou telle décision ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Tout d'abord, les experts ne nous disent jamais de prendre telle ou telle décision. Les experts épidémiologistes nous donnent un certain nombre de scénarios. Cela ne se passe pas du tout comme votre question le laisse imaginer. Ils ne disent pas : « Voilà ce qui va se passer ». Ce serait d'ailleurs plus confortable pour le décideur politique mais ce n'est pas comme cela que cela se passe !

Tout au long de la gestion de l'épidémie, ils ont raisonné en disant : « On peut avoir trois types de scénario, un scénario sévère - qui n'a jamais été celui de la grippe de 1918, contrairement à ce que l'on a prétendu - un scénario probable - un pic, deux pics, etc. - et un dernier scénario où il ne se passe rien du tout ».

Les experts ont été extrêmement loyaux, posant d'ailleurs plus de questions qu'ils n'apportaient de réponses. C'est ensuite aux politiques de prendre des décisions. Je l'assume complètement ! Ils nous éclairent et c'est à nous de choisir le scénario de la facilité où il ne se passera rien ou d'exprimer un principe de sécurité en choisissant tous les scénarios.

La multiplicité des acteurs de l'expertise est-elle un handicap ou une chance ? Dans un Etat démocratique, c'est une chance. Certes, le gourou est plus confortable pour un ministre de la santé mais c'est une démarche éthique que de s'appuyer sur une expertise plurielle, parfois contradictoire, d'essayer à partir de celle-ci de dégager des consensus scientifiques les plus larges possibles. Ceci amène évidemment à éliminer les avis les plus éloignés de la moyenne même s'ils peuvent parfois se révéler a posteriori justifiés.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant l'OMS, nous avions demandé à votre cabinet la composition du comité d'urgence « grippe » de l'OMS. Il nous a été répondu que le Gouvernement n'avait pas souhaité en avoir communication. Si tel est bien le cas, pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons ?

D'après les quelques éléments dont nous disposons déjà, les comptes rendus de travaux de l'OMS font état d'interrogations des représentants de la Suisse et du Royaume-Uni sur :

- l'adaptation du plan pandémique de l'OMS en cas de pandémie de gravité modérée ou non encore connue et sur le critère uniquement géographique du déclenchement de la phase 6 ;

- la nécessité d'affiner les critères conduisant à une déclaration de pandémie ;

- l'intérêt d'une stratégie à long terme en matière de vaccination qui viserait à encourager le développement d'un vaccin à large spectre, peu coûteux et susceptible d'assurer une immunité de longue durée.

Les représentants français à l'OMS ont-ils-eu, eux aussi, des observations ou des suggestions à formuler sur la stratégie de l'OMS et les conditions de déclaration de la pandémie grippale ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - L'expertise de l'OMS repose sur des experts désignés sur la base de leurs compétences techniques et non d'experts désignés par les Etats membres. Il s'agit de l'article 37 de la constitution de l'OMS.

Dans le cadre de la réponse à la pandémie H1N1, deux structures ont été mobilisées. La première est le SAGE qui a pour mission de conseiller l'OMS en matière de politique vaccinale. Il est composé de quinze membres désignés pour trois ans par le directeur général de l'OMS.

Ces experts s'expriment en leur nom ; le SAGE est présidé jusqu'en avril 2010 par M. Salisbury, de Grande-Bretagne. Ce groupe se réunit deux fois par an pour travailler en sous-groupes dédiés à un certain nombre de souches.

D'une part, selon l'ordre du jour, l'OMS peut convier un certain nombre d'experts de façon informelle. C'est ainsi que M. Daniel Camus, un collaborateur de M. Didier Houssin, a été associé à certaines sessions. M. Christian Perronne, président du CTV, a également été entendu lors de la réunion du 7 juillet sur la vaccination. Ils ne font toutefois pas partie du comité : ce sont des experts invités. Aucun membre français ne siège au sein du SAGE depuis 2005.

D'autre part, le Comité d'urgence « grippe » a été constitué dans le cadre du règlement sanitaire international (RSI) pour savoir si un événement constitue une urgence de santé ou si celle-ci a pris fin ; il propose également d'émettre, de proroger ou d'annuler des recommandations temporaires.

Ce comité s'est réuni six fois à propos de la grippe. Il revient à l'OMS de fixer la composition de ce comité qui n'est donc pas permanent. La composition de ce comité n'a pas été rendue publique par l'OMS, l'OMS voulant le protéger des influences extérieures et en particulier de celles des Etats.

M. François Autain, président - Mais pas de celles des laboratoires ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Si, également, mais il existe des Etats qui ne veulent pas que l'on dise qu'il y a une urgence sanitaire.

On parle du risque de la dramatisation : l'intérêt des Etats n'est pas dans la dramatisation mais dans la minimisation d'une crise sanitaire. On l'a vu à de nombreuses reprises ! L'impact d'une crise sanitaire sur l'économie, le tissu social est connu et comporte un risque de trouble à l'ordre public.

Les chiffres de l'impact de la pandémie sur le Mexique et sur la diminution de son PIB sont maintenant connus. Les organismes financiers internationaux l'ont parfaitement chiffré.

Les Etats ont donc tout intérêt à ne pas communiquer et il faut pouvoir protéger ces experts de l'influence des Etats.

Ces membres sont choisis parmi un vivier d'experts et détectés dans le cadre de l'OMS pour l'appuyer dans le cadre du RSI.

Lors de ces réunions, la directrice de l'OMS a demandé à huit nouveaux membres qui représentaient l'Australie, le Canada, le Chili, le Japon, le Mexique, l'Espagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, de participer à ce comité pour évoquer le possible passage en phase pandémique. Le président en est M. John Mackenzie qui a présidé en mai 2009, en marge de l'assemblée mondiale de la santé, une consultation de haut niveau sur la grippe.

A ce stade, rien ne me permet de mettre en doute l'indépendance des experts qui conseillent cette organisation.

Quand l'urgence de santé publique de portée internationale sera clôturée, l'OMS rendra publique la composition de son comité d'urgence et les déclarations d'intérêts des experts.

M. François Autain, président - Non !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Si !

M. François Autain, président - Quand ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Quand l'urgence de santé publique sera clôturée. C'est une décision qui sera prise par l'OMS. Il s'agit évidemment d'une décision qui peut sembler différente de la stratégie de transparence que nous menons au niveau national. Il est vrai que les enjeux et les positions ne sont pas les mêmes au niveau national et au niveau de l'OMS. On peut comprendre l'OMS. Bien entendu, je proposerai les travaux nécessaires s'il est possible d'améliorer cela.

Voilà ce qui m'a conduit, dans le cadre de la procédure, à ne pas demander la composition de ce comité d'experts.

M. François Autain, président - Seriez-vous favorable à ce que cette composition soit rendue publique, oui ou non ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Vous me posez une question à laquelle je suis bien en peine de répondre. L'argument de l'influence des Etats est un argument qui n'est pas mince. Regardez ce qui s'était produit lors de l'épidémie du SRAS dans la province de Canton ! La Chine avait alors délibérément caché cette épidémie, qui a ainsi pu frapper Hong-Kong de plein fouet, avec les morts que l'on sait. Peut-être que s'il y avait eu une communication plus transparente, s'il n'y avait pas eu de rétention d'information, les choses se seraient passées différemment.

Si n'adhéraient à l'OMS que des pays comme la France, je vous dis oui tout de suite puisque c'est la stratégie que nous employons dans nos instances mais l'intérêt de l'OMS est précisément d'être une organisation mondiale.

M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec la façon dont l'OMS a évalué la menace ? Estimez-vous que le risque ait été correctement pris en compte ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je présente mes excuses au rapporteur qui m'a posé la question.

Tout d'abord, je ne parlerai pas de menace. L'OMS a donné l'alerte. La question que vous posez revient à savoir si l'OMS a changé sa qualification de la pandémie en cours de route.

Je veux redire de façon précise, des informations contradictoires et erronées ayant circulé à ce sujet, que la définition de la pandémie par l'OMS n'a pas varié, les trois critères étant la globalité de l'épidémie, l'émergence d'un nouveau virus et la naïveté immunitaire de la population.

Dans le cadre de la révision de son plan pandémie, l'OMS a engagé bien avant 2009 un travail de modification de la définition des différentes phases d'une pandémie. La structure en six phases a été conservée mais en évoluant pour pouvoir s'appuyer sur des critères plus objectifs.

L'OMS avait engagé ce travail dès 2007 à travers des travaux scientifiques importants, une consultation publique d'octobre à novembre 2008, pour aboutir en janvier 2009 à une version définitive, validée et publiée officiellement en mai 2009. C'est une coïncidence si ce travail commencé en 2007 a abouti en 2009, alors que l'alerte était donnée pour la pandémie.

De la même façon, le travail actuel va faire l'objet d'une révision qui va aboutir en 2014. Il s'agit donc d'un travail continu de remise en chantier.

Contrairement à ce qui est dit, cette nouvelle classification de la pandémie est plus restrictive que l'ancienne. En effet, le plan de 2005 définissait les phases d'alerte en fonction de la transmission du virus sans considération d'extension géographique.

Par exemple, la phase 5 désignait des foyers importants mais localisés, ce qui donne lieu à une démarche interprétative non étayée. Dans la nouvelle définition, la phase 5 est définie par l'existence d'une transmission interhumaine dans au moins deux pays d'une même région OMS. Il s'agit là d'une information plus objective qui témoigne de l'imminence de l'extension d'une maladie.

Contrairement à ce qui a été dit, la sévérité ou le nombre de décès n'ont jamais été des critères de définition des phases d'alerte, ni en 2005, ni en 2009.

M. François Autain, président - On peut le regretter !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - La sévérité d'une attaque peut être basée sur la mortalité. Vous avouerez que la mortalité est un critère bien difficile à apprécier. Où va-t-on constater la mortalité ? Dans des pays dont le système de santé est profondément différent. Quel critère va-t-on retenir ? Je suis persuadée que les critères retenus par l'OMS - sous bénéfice d'inventaire - sont étayés.

Contrairement à ce qui a été dit, si l'on avait eu les anciens critères de 2005, il est probable que le passage en phase 6 aurait été déclenché plus tôt.

Comme vous, j'ai constaté l'évolution de la définition non de la pandémie mais des critères de qualification des phases du plan.

Des observateurs ont soupçonné certains pays d'avoir retardé le passage en phase 6 en considérant objectivement qu'il aurait pu être fait par l'OMS un peu plus tôt sur les critères retenus à partir de l'étude de 2009.

Je note qu'à la demande de certains Etats parties, dont la France, l'OMS a assorti sa déclaration de pandémie d'une appréciation de la sévérité ; elle a en l'espèce été qualifiée par l'OMS de modérée.

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que c'est l'absence d'appréciation portant sur la sévérité qui a permis de traiter une grippe banale comme une pandémie ? Si l'on avait tenu compte de la virulence du virus, on aurait pu qualifier cette épidémie - plutôt moins grave qu'une grippe saisonnière - de pandémie. Les mesures à prendre face à une grippe qui fait 60 % de morts comme la grippe aviaire ne peuvent être de même nature que celles à prendre face à une grippe qui fait un mort sur 10 000 ou sur 100 000. Ce n'est pas du même ordre ! D'où la nécessité d'un indicateur concernant la virulence du virus. Or, nous ne l'avons pas et c'est pourquoi nous avons eu une pandémie alors qu'il ne s'agissait que d'une grippe saisonnière qui ne méritait que le traitement d'une grippe saisonnière.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Vous parlez d'or mais vous parlez en total asynchronisme ; vous vous exprimez maintenant. Reportez-vous au tableau de l'évaluation de la pandémie. Le passage en phase 6 a lieu le 11 juin. Nous commençons à avoir des éléments. Des experts s'expriment, qui ne peuvent être soupçonnés d'aucun lien avec un quelconque laboratoire, et émettent des avis divergents.

Vous ne pouvez jeter l'opprobre sur l'ensemble d'une collectivité scientifique !

M. François Autain, président - Pas sur l'ensemble !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Nous y reviendrons lorsque nous évoquerons la question de ce qui a guidé mes choix sur la gestion de la pandémie qui, je suppose, viendra à un moment ou à un autre.

M. Alain Milon, rapporteur - On peut également juger d'une pandémie sur sa contagion et de la dangerosité d'un virus sur les populations qu'il frappe, en fonction de leur plus ou moins grande protection sanitaire.

S'agissant de la coopération européenne, vous aviez regretté, lorsque vous avez été entendue en janvier dernier par la commission des affaires sociales, que les Etats membres de l'Union européenne n'aient pu avoir une stratégie commune et coordonnée en matière de négociation des achats de vaccins.

Pouvez-vous nous préciser les raisons de cet échec, que nous regrettons autant que vous et nous informer sur les contacts que vous avez dit avoir eus, néanmoins, avec certains de vos homologues ?

Mme Marie Thérèse Hermange - L'avis de l'Agence européenne du médicament n'a-t-il pas été trop tardif ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Les experts nommés par l'Agence européenne du médicament sont désignés par les autorités nationales compétentes en charge des produits de santé des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne, auxquels viennent se rajouter trois pays de l'Espace économique européen, la Norvège, le Lichtenstein et l'Islande.

Vous trouverez la liste sur le site de l'Agence européenne du médicament qui fournit leur déclaration d'intérêts sur simple demande.

C'est l'AFSSAPS qui désigne les experts français. J'ai ici leurs noms afin de les joindre au dossier de la commission.

M. Alain Milon, rapporteur - On le joindra au rapport.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - La désignation des membres français fait l'objet d'une notification formelle aux instances européennes ; plus spécifiquement, dans le cadre des travaux relatifs à la grippe a été mobilisé le comité ad hoc du Comité des médicaments à usage humain en charge de la vaccination : missions, programme de travail, composition du groupe de travail sont accessibles sur le site de l'Agence européenne du médicament.

L'avis est-il trop tardif ? Je trouve que l'Agence a travaillé vite et bien. Elle a garanti des produits de qualité - c'est là son travail. On ne peut lui faire le reproche d'avoir travaillé trop lentement.

M. François Autain, président - On peut peut-être lui faire le reproche inverse !

M. François Autain, président - Je ne le lui fais pas non plus !

Les choses ont-elles bien fonctionné ? Nous nous sommes trouvés face aux laboratoires dans des négociations de vaccins avec la tentation pour certains laboratoires de nous faire accepter des clauses scélérates, en particulier la clause de responsabilité des Etats en cas de produit défectueux, qui avait été acceptée par les Etats-Unis.

Nous avons mis ce sujet à notre réunion informelle, en Suède, le 6 juillet 2009 et l'ensemble des pays européens n'a pas accepté cette clause scélérate. Certaines choses ont bien fonctionné dans la mise en commun.

Nous avions précédé ce travail de mise en commun d'un certain nombre de réunions de travail. J'avais placé ma présidence française sous l'égide de la préparation à une pandémie grippale. Nous sommes au dernier semestre de 2008 ; nous avions pu échanger sur nos différences et renforcer le rôle du HSC - Health security committee - qui nous a été fort utile. M. Didier Houssin s'est réuni avec ses collègues pratiquement de façon quotidienne au début de la pandémie pour échanger nos informations. Les travaux du HSC ont continué mais de manière évidemment plus intermittente.

On peut sans doute aller plus loin mais des choses importantes ont eu lieu.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant les contrats de fourniture de vaccins, pouvez-vous nous retracer l'historique des négociations avec les différents laboratoires concernés, qu'il s'agisse de celles des avenants aux anciens contrats H5N1 ou de celles des nouveaux contrats ?

A quelle période ont été arrêtées les quantités commandées à chacun des différents fournisseurs ?

A quel moment a-t-il été décidé de passer des commandes publiques permettant à toute personne qui le souhaiterait de se faire vacciner ? D'autres scénarios ont-ils été envisagés ? Pour quelles raisons ont-ils été écartés ?

Pour quelle raison les contrats de commandes de vaccins ne comportaient-ils pas de clause de révision, ce qu'auraient pu notamment justifier, avant même le constat de l'inutilité d'une double injection, les incertitudes sur l'importance et la gravité de la pandémie ?

N'aurait-il pas fallu également prévoir la possibilité de modifier l'importance des commandes en fonction des dates auxquelles elles pourraient être livrées, l'intérêt de la vaccination et son utilité pour enrayer la pandémie dépendant du moment de sa mise en place ?

Devant la mission d'information H5N1 de l'Assemblée nationale, les représentants du laboratoire Sanofi Pasteur avaient indiqué que les accords passés en 2005 avec la France, en ce qui concerne la vaccination H5N1, portaient sur la fourniture de traitements et non de doses, car à ce moment on ignorait si la vaccination contre la grippe H5N1 nécessiterait une ou deux injections. La même solution n'aurait-elle pas dû être retenue pour tenir compte, dans le cas du vaccin H1N1, de la même incertitude ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Quelle a été la stratégie d'acquisition des vaccins ?

Nous avions un certain nombre d'acquis dans la préparation du H5N1. Dans le cadre de la préparation à cette éventuelle pandémie, mes prédécesseurs avaient passé, en 2006, deux contrats de pré-réservation de vaccins avec Novartis et Sanofi Pasteur qui comprenaient une tranche ferme et une tranche conditionnelle portant sur la fourniture de quarante millions de doses de vaccins pandémiques.

Les prototypes de vaccins H5N1 bénéficient d'un régime particulier d'AMM, d'autorisations centralisées. M. Jean Marimbert, que vous entendez demain, pourra vous donner en détail toutes les procédures qui ont pour but d'accélérer l'autorisation d'utilisation effective, dès que les souches pandémiques sont disponibles.

La réflexion engagée dans le cadre de cette préparation quant à la stratégie vaccinale à adopter pointait les difficultés probables d'approvisionnement en vaccins face à une demande sociale importante ; la nécessité de catégoriser des personnes à vacciner en priorité apparaissait clairement.

Il était alors proposé d'identifier trois groupes de population, les personnes particulièrement exposées, en contact permanent avec les malades grippés - les professionnels de santé entre autres -, les personnes à rôle critique en pandémie qui, de par leurs responsabilités dans l'organisation de la société doivent être protégées pour éviter que celle-ci fasse face à des situations de crise ou de graves dysfonctionnements, et la population générale dans laquelle était identifié le sous-groupe des personnes vulnérables. L'avis 106 du Comité national consultatif d'éthique a retenu le principe d'une vaccination générale mais proposée de façon séquentielle selon les livraisons de vaccins et sur la base de ces populations et de cette classification.

M. François Autain, président - Et du volontariat.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Oui, bien sûr.

S'agissant des objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre du H1N1, les acquisitions ont été dimensionnées de manière à pouvoir proposer la vaccination à l'ensemble de la population pour répondre aux critères éthiques mis en avant par le Comité consultatif national d'éthique.

J'ai ici un tableau qui compare la stratégie de vaccination des vingt-sept pays européens. Je pense qu'il s'agit d'un élément important pour votre commission.

M. François Autain, président - Peut-on mettre en face la façon dont a évolué l'épidémie dans ces pays, de manière à établir le cas échéant un lien entre l'évolution de l'épidémie et la stratégie ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - On pourra le faire.

M. François Autain, président - Je n'ai pas l'impression qu'il existe une différence considérable entre les pays malgré les stratégies différentes.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Quels groupes stratégiques trouve-t-on dans les pays ? Nous avons d'abord des pays qui, au moment de la pandémie, font le choix de protéger l'ensemble de leur population par une vaccination à deux doses. Dix pays font ce choix au début. Ils vont ensuite être confrontés à des difficultés d'approvisionnement qui ne sont pas minces. Seuls trois pays font le choix de n'acheter aucun vaccin : la Pologne, la Slovaquie et la Lettonie.

Dix pays veulent couvrir 100 % de la population avec une vaccination à deux doses, en particulier les Etats-Unis qui veulent en quelque sorte disposer de l'ensemble du potentiel de fabrication mondiale, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Autriche, la Norvège, Chypre, l'Allemagne, le Luxembourg, l'Irlande, la Suède.

Un second groupe de pays veut ensuite couvrir 100 % de la population mais, devant les difficultés financières, procède à un principe d'équité, propose la vaccination à l'ensemble des citoyens mais ne peut payer qu'une dose. C'est une stratégie bizarre dans la configuration actuelle : n'ayant pas d'argent pour protéger tout le monde, ils décident de protéger tout le monde à moitié. Il s'agit de Malte, de la Belgique, de la Finlande et de l'Islande.

Certains pays vont choisir la stratégie des populations cibles.

La France n'entre dans aucune de ces catégories. La France va choisir de proposer à l'ensemble de la population la possibilité de se vacciner mais en calculant un taux d'attrition. Nous obéissons à un principe de justice mais aussi à un principe de réalité. Nous partons du principe que, très probablement, tous les citoyens ne voudront ou ne pourront se faire vacciner. C'est le calcul de ce taux d'attrition qui pose problème : comment le choisir ? Comment connaître à l'avance le nombre de citoyens qui ne se feront pas vacciner ?

Pour choisir ce taux, nous avons deux éléments, en premier lieu, le taux d'attrition des personnes à qui on propose le vaccin grippal dans la population cible et qui ne se font pas vacciner néanmoins. Ce taux est de 35 % : 65 % des personnes à qui l'on propose la vaccination grippale dans la vaccination cible se font vacciner. Un second élément nous permet d'évaluer ce taux d'attrition probable : c'est la vaccination de la méningite à méningocoque. Dans les zones frappées par la méningite, et en particulier la Seine Maritime, le taux de vaccination atteint entre 65 et 85 % dans certaines zones.

C'est pourquoi nous commandons quarante-sept millions de vaccins en deux doses. Ce dimensionnement a été validé en réunion interministérielle le 3 juillet. Sur les questions sanitaires, le ministère de la santé est en première ligne mais toutes les décisions concernant la vaccination - stratégie d'achat de vaccins, organisation de la campagne - sont prises au niveau interministériel et sous la responsabilité du Premier ministre, le ministère de la santé ayant un rôle de conseil, d'évaluation et d'expertise.

C'est sur cette base que, le 4 juillet, j'ai donné mandat à mon directeur de cabinet et au directeur général de la santé de lancer les procédures d'acquisition auprès des laboratoires.

Les négociations avec les industriels se sont déroulées en trois phases : pré-réservation, négociations contractuelles, notification des contrats. Notre but était de nouer le plus tôt possible des contacts avec les fournisseurs afin de positionner la France au sein des pays retenus comme prioritaires au regard des livraisons, démarche particulièrement importante car nous n'avions à ce moment de contrats de préréservation qu'avec Novartis et Sanofi. Or, GSK se trouvait être le plus prometteur dans la fabrication de vaccins et dans la rapidité de livraison.

C'est pourquoi, dès la mi-mai, nous avons envoyé des lettres d'intention aux industriels pour pouvoir évaluer la quantité de vaccins qu'ils pourraient éventuellement mettre à la disposition de la France. C'est sur cette base que GSK s'est engagé à réserver pour la France 8,33 % de sa capacité de production. Baxter, qui avait initialement accepté l'hypothèse d'une commande de quatre millions de doses, est revenu en arrière au début de l'été, avant notification du contrat. C'est en effet sur une culture cellulaire que sont fabriqués les vaccins Baxter et non sur un milieu d'oeufs et les rendements ont été jugés décevants.

Novartis a également abaissé ses quantités disponibles de 24 millions de tranches fermes à 16, tandis que Sanofi Pasteur a accepté d'augmenter les doses livrables.

Une fois ces lettres d'intention envoyées, mission a été confiée à l'EPRUS d'engager les négociations avec les laboratoires. Novartis et Sanofi étaient donc titulaires de marchés de fourniture de vaccins pré-pandémiques et de réservation de vaccins pandémiques ; les tranches conditionnelles ont donc été modifiées par avenant pour contractualiser l'acquisition de vaccins H1N1.

Les contrats avec GSK et Baxter se sont évidemment faits sur la base de contrats nouveaux.

Les négociations s'engagent à un moment où les laboratoires ne disposent pas de la souche du virus pour la mise en production, qui leur sera ensuite fournie par l'OMS.

Les laboratoires sont bien entendu en position de force, un très grand déséquilibre existant entre l'offre et la demande à l'échelle mondiale. Ils subordonnent tout engagement de fourniture de vaccin à la formulation par les pays intéressés de commandes fermes portant sur des quantités significatives, les quantités de vaccins livrées au début étant proportionnelles à la quantité globale commandée.

M. François Autain, président - Qu'est-ce qu'une quantité significative ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Cela dépend de la possibilité de fabrication des vaccins : la plus élevée possible !

M. François Autain, président - Vous aviez déjà commandé 40 millions de doses grâce aux contrats dormants.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - On ignorait alors la capacité de production du vaccin H1N1 !

S'agissant des calendriers de livraison, aucun des laboratoires n'a consenti à s'engager fermement, compte tenu des incertitudes sur le rendement des cultures. Seuls des échéanciers indicatifs sur les différentes hypothèses ont pu être retenus. Au départ, l'offre des laboratoires, à l'exception de Novartis, n'a concerné que des présentations multidoses, Novartis prévoyant la fourniture de 10 % de la commande en seringue monodose.

Au terme des discussions, l'EPRUS a, conformément à mes directives, exigé l'obtention d'une AMM comme base du dispositif contractuel ; cette exigence a fragilisé davantage encore les échéanciers de livraison, compte tenu du fait que les laboratoires n'avaient pas connaissance, au moment de la négociation, de la date d'obtention de l'AMM pour leurs produits.

De la même façon, l'EPRUS a dû faire face à l'attitude des laboratoires qui rejetaient sur l'Etat toute responsabilité due à l'utilisation des produits, y compris celle concernant les conséquences d'aléas de fabrication. Cette attitude a été combattue par l'EPRUS, avec l'assistance du directeur de l'AFSSAPS et du président du CEPS, qui a dû vous le confirmer.

Nous avons voulu aussi avoir à notre disposition des notices en français en nombre suffisant et des étiquettes indiquant le numéro de lot, ce qui n'était pas prévu au départ.

La notification du contrat a donc eu lieu le 3 juillet, suite à l'arbitrage du Premier ministre qui a été rendu sur les quantités globales à commander.

Les dotations de l'Etat et de l'assurance maladie à l'EPRUS pour 2009 n'étaient naturellement pas suffisantes pour financer l'achat des vaccins. Dans l'attente de la révision de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, M. Eric Woerth et moi-même avons demandé par courrier au directeur général de la CNAMTS de faire l'avance de la totalité à l'EPRUS, à charge ensuite de régulariser la situation dans les lois de financement suivantes.

Nous avons calculé le montant de cette avance sur une TVA à 19,6 % et fixé le contrat de la totalité de l'opération à 879 millions d'euros. La dotation des régimes d'assurance maladie à l'EPRUS pour 2009 a donc été modifiée, révisée lors du PLFSS 2010, passant à 414,8 millions d'euros, en tenant compte d'une révision à la baisse des besoins de l'EPRUS du fait du taux réduit de TVA.

De la même façon, les ouvertures de crédits prévues en loi de finances rectificative au titre de la subvention à l'EPRUS sont passées de 204 millions d'euros en autorisation d'engagement et 284 millions d'euros en crédits de paiement à 354 millions d'euros en autorisation d'engagement et 434 millions d'euros en crédits de paiement.

S'agissant de l'absence de clauses de sauvegarde dans les contrats, je le répète, le contexte n'était pas favorable aux Etats qui passaient commande. En mai 2009, la capacité de production de vaccins de l'industrie pharmaceutique se situe entre 500 millions et moins d'un milliard de doses.

Si le rendement de la souche virale était inférieur aux prévisions, la capacité de production pouvait descendre à 250 millions de doses.

Les Etats-Unis, à eux seuls, veulent 600 millions de doses et désirent capter l'intégralité des capacités de production des laboratoires. Il s'agit d'un marché de demandes et non d'offres et il faut placer la France dans la meilleure position pour obtenir des livraisons conséquentes le plus tôt possible. Ceci explique les lettres d'intention que mon directeur de cabinet, en mon nom, signe dès la mi-mai. Ce contexte va perdurer jusqu'à la notification des contrats, en juillet, mettant les industriels en situation de force.

En second lieu, la France a un handicap par rapport à GSK, le plus avancé sur le vaccin pandémique et le mieux à même d'en fournir rapidement des quantités importantes. Il dispose de grandes capacités de production, d'une AMM pour des vaccins pandémiques et pré-pandémiques dans le cadre des travaux liés au H5N1. Novartis a les mêmes AMM mais ne dispose pas de capacités de production analogues. Sanofi n'a pas les mêmes et son dossier de vaccin pandémique non adjuvanté a été rejeté par l'Agence européenne du médicament début 2009.

Nous ne disposons pas de contrats de pré-réservation avec GSK, contrairement à Sanofi et Novartis car GSK n'avait pas répondu à l'appel d'offres qui avait été lancé par mes prédécesseurs en 2005. A l'inverse, l'Allemagne et le Royaume-Uni disposent d'un tel contrat de pré-réservation.

La question n'est donc pas celle de l'utilisation effective des doses mais de savoir si les doses seraient livrables et utilisables en temps utile. Or, nous avons une incertitude sur la mise à disposition de la souche A H1N1 par l'OMS. La question de la date de la remise de la souche par l'OMS a pesé au début des négociations puisqu'elle conditionnait le lancement des travaux par les industriels et le calendrier à suivre.

Seconde incertitude : l'obtention de l'AMM. Au moment de la négociation, l'inquiétude était de savoir si les laboratoires obtiendraient l'AMM en temps utile. L'Agence européenne du médicament n'a annoncé qu'elle suivrait la procédure « mock-up » que le 27 juillet, après la notification des contrats.

Sanofi n'a obtenu son AMM pour le vaccin adjuvanté prévu au contrat qu'en février 2010. L'un des objectifs principaux des négociations a donc été de se prémunir quant à un risque de retard dans l'obtention de l'AMM.

La troisième incertitude porte sur les rendements. L'exemple le plus flagrant est celui de Baxter, que j'ai déjà exposé, Baxter finissant par conclure un contrat pour 50 000 doses.

Le calcul du nombre de doses est alors réaliste et n'est pas contesté. En ce début juillet, nous avions un virus qui restait très mal connu ; nous étions encore dans la phase systématique d'hospitalisation des cas qui ne s'est arrêtée que le 23 juillet, avec la bascule sur la médecine ambulatoire. Le 4 juillet, nous n'avions pas de retour de l'hémisphère Sud. Certes, on commençait à savoir que le virus semblait moins sévère qu'on ne le craignait mais qu'il était très contaminant, ce qui laissait entendre que l'ensemble de la population était concernée.

Le Royaume-Uni annonce, à ce moment-là, l'hypothèse de 100 000 cas par jour avant fin août et les 47 millions de vaccins sont calculés sur une moyenne objective de compliance à la vaccination dont je vous ai exposé les attendus.

Les négociations ont été difficiles ; elles ont duré près de deux mois, de mi-mai à mi-juillet. On ne peut dire qu'elles ont été bâclées ! Malgré le caractère d'urgence, nous avons voulu que cette négociation soit menée de manière extrêmement soigneuse. Nous avons voulu qu'il existe un lien entre les quantités affermies et le calendrier de livraison. Si nous commandons 47 millions de vaccins, cela vient du fait que les industriels lient les livraisons et ces quantités affermies. Dans un contexte qui faisait que les vaccins allaient arriver peu de temps avant - voire en même temps - que le pic pandémique, la notion de flux était primordiale. Pour sécuriser ce flux, la France a été contrainte d'affermir des quantités importantes de vaccins.

GSK, par exemple, a décidé d'attribuer un pourcentage de sa capacité de production à chaque Etat en fonction des commandes fermes. Pour la France, c'est la commande de 50 millions de doses qui a permis de se voir attribuer l'équivalent de 8,33 % de la production de Dresde garantissant ainsi un flux important dès le début.

Si la France avait décidé de ne commander ferme que 25 millions de doses, nous aurions eu la moitié de la production de Dresde.

Novartis, de son côté, rejetait toute livraison de tranche conditionnelle dans un deuxième stade de production, début 2010. Seules les tranches fermes avaient vocation à être livrées en 2009.

Les négociations portaient sur les clauses de responsabilité, sur la condition d'obtention d'une AMM - à notre connaissance, la France est le seul pays à l'avoir obtenue dans les contrats - et l'obtention d'un partage de responsabilités équilibré en rejetant la clause visant à reporter sur l'Etat la responsabilité d'un défaut de qualité du produit...

M. François Autain, président - Les effets indésirables, c'est nous qui les supporterons !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Comme nous le faisons pour les autres produits !

Les inconvénients en termes de réduction de flux d'une réduction des commandes fermes l'emportaient alors largement sur la sécurité économique d'une bascule de quantités importantes en tranches conditionnelles. Ces contrats ne nous ont pas empêchés de résilier des quantités importantes de vaccins selon les prérogatives de la puissance publique puisque nous avons résilié 50 millions de doses.

Vous avez évoqué la Pologne. Les déclarations de la ministre polonaise sont reprises en boucle par un certain nombre de ligues ou de sectes anti-vaccinales et je pense qu'il n'est pas inintéressant d'y répondre point par point d'autant que c'est un argument qui étaye votre argumentation, monsieur le président, dans la demande de commission d'enquête.

J'avoue que je suis surprise de voir la Pologne présentée comme un exemple alors que ce pays est cité en cinquantième position par les instances internationales pour la performance de son système de santé. J'en suis d'autant plus surprise que les déclarations de la ministre de la santé polonaise devant le Parlement polonais ont frisé la désinformation !

Elle a d'abord traité le vaccin d'« eau miraculeuse » et a remis en cause la sécurité d'emploi des produits de santé évaluée par l'Agence européenne du médicament, à laquelle son pays contribue.

Pars ailleurs, la réalité des faits lui a donné tort : les vaccins ont été utilisés par dizaines de millions d'exemplaires en toute sécurité. C'est déjà un élément que nous tirons de tout cela...

M. François Autain, président - Et en toute efficacité !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - La Pologne est un des rares Etats du monde développé à avoir déclaré ne pas vouloir vacciner sa population.

Il est intéressant de revoir la chronologie des faits. Nous nous réunissons trois fois à ce sujet ; certes, la ministre polonaise n'est pas là. Elle a sans doute jugé peu intéressant de nous faire profiter de son expérience mais le directeur général de la santé polonais, l'équivalent de M. Didier Houssin, est là. Croyez-vous qu'il nous avertit des doutes des autorités polonaises ? Que nenni, monsieur le président ! Aucun représentant des autorités polonais ne nous dit ne pas croire au vaccin !

Après sa déclaration tonitruante devant le Parlement polonais, nous recevons enfin la ministre le 1 er décembre. Elle pourrait nous dire sur quels éléments se basaient ses déclarations. Que nous dit-elle ? ... Qu'ils voulaient acheter des vaccins mais qu'ils auraient souhaité que ce soient les pharmaciens et les grossistes polonais qui les achètent directement aux laboratoires ! Vous avez raison, monsieur le président : ce n'est pas que la Pologne n'a pas voulu acheter de vaccins, c'est qu'elle n'a pas pu le faire !

M. François Autain, président - Au moins n'a-t-elle pas besoin de les revendre !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je trouve que cela ne doit pas susciter le rire ! Je veux simplement, pour clore le débat - puisque vous avez utilisé un avis que vous qualifiez de scientifique et que vous parlez de hauteur de vue, de capacités d'analyse...

M. François Autain, président - C'est un terme que je n'emploie jamais, contrairement à vous !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je ne résiste pas au plaisir de verser aux pièces annexes de votre commission d'enquête la lettre qu'envoie à mon cabinet l'ambassadeur de Pologne fin septembre : « Suite à la pandémie de la grippe H1N1, nous souhaitons vous adresser une proposition d'établissement d'une coopération entre les ministères de la santé français et polonais pour mener une série de vaccinations pour le personnel diplomatique polonais en France et français en Pologne. Cela pourrait être vu comme un geste de solidarité. Le ministère de la santé polonais disposera du vaccin contre la grippe A-H1N1 dans les mois suivants mais déjà est prêt pour accueillir les propositions françaises concernant une élaboration d'un éventuel accord en cette matière » ! Vous avouerez que se servir des déclarations des autorités polonaises comme invalidant les stratégies de vaccination et la qualité des vaccins constitue un double langage !

Certes, les autorités polonaises, du fait de difficultés financières et de difficultés de leur système de santé, n'ont pas pu mener une campagne de vaccination mais ce n'est pas qu'elles ne l'ont pas voulu !

M. François Autain, président - Il est intéressant de comparer l'évolution de l'épidémie en Pologne et en Suède par exemple, où on a vacciné à 60 %.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Il n'existe pas de système de veille sanitaire en Pologne pour faire le bilan de la pandémie grippale !

M. Alain Milon, rapporteur - En tant que médecin, tout ce que vous avez dit me convient.

Une chose m'étonne toutefois : pourquoi, alors que le vaccin risquait d'arriver en pleine pandémie, a-t-on continué à administrer deux doses à trois semaines d'intervalle ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Il y a une efficacité sociale et une efficacité individuelle. L'immunité d'un vaccin ne se déclenche pas automatiquement. Certes, l'immunité est maximale au bout d'un certain temps mais elle débute dès l'injection.

Sur ce sujet technique, je vais laisser le directeur général de la santé s'exprimer.

M. Didier Houssin - Nous n'avions aucune connaissance précise du moment où pourrait survenir une vague pandémique. Nous avions des éléments surprenants et préoccupants de ce point de vue : nous avions fait face, dès les mois de mai et juin, à quelque chose qui ressemblait à une vague pandémique en Grande-Bretagne, en Espagne, au Canada, aux Etats-Unis, pays où, a priori , à ce moment de l'année, il n'existe pas de vague épidémique grippale.

Nous pressentions donc qu'à l'occasion de l'évolution climatologique -  abaissement de la température et baisse du degré d'humidité - nous allions peut-être être confrontés à une vague pandémique mais nous n'avions aucune notion du moment où celle-ci surviendrait.

C'est pourquoi nous étions extrêmement concentrés sur la question du calendrier de livraison. Plus les doses étaient livrées tôt, plus nous avions de chances de nous trouver au début ou avant le pic pandémique.

L'expérience a d'ailleurs montré que le seuil épidémique a été franchi fin août ou début septembre. Nous avons eu la chance de constater que la montée de septembre a été plus progressive que nous le craignions. La fermeture des classes en Ile-de-France a probablement ralenti le processus de propagation du virus.

L'accentuation de la courbe épidémique s'est produite alors que nous avions commencé la vaccination mais nous aurions bien aimé pouvoir la débuter plus tôt.

M. François Autain, président - Si j'ai bien compris, la protection individuelle l'emportait sur la protection collective. Après l'explication de M. le directeur de la santé, il était très improbable que la vaccination puisse se faire suffisamment tôt pour ralentir l'épidémie. Dans les faits, elle est intervenue plus d'un mois et demi - voire deux mois - après l'apparition du virus. De ce point de vue, elle était inutile puisqu'elle n'a, en quoi que ce soit, modifié le déroulement de l'épidémie !

Je m'inspire là des avis du Haut Conseil de la santé publique, selon lequel la vaccination, pour être efficace, doit intervenir pas moins d'un mois après la circulation du virus. Or, elle n'est intervenue que le 12 novembre, trop tard pour que l'on soit immunisé individuellement.

Prenons un enfant dont la vaccination a commencé le 25 novembre : il lui fallait deux injections. Il a donc été immunisé biologiquement six semaines après, début janvier, au moment où le virus avait disparu ! Cette protection ne lui a donc servi à rien. Il est certes aisé de porter un jugement après-coup mais cette vaccination a pratiquement été inutile. Les Français l'ont bien compris puisqu'ils n'ont été que 6 % à se faire vacciner. Parfois, il faut faire confiance au bon sens populaire.

Je crains que dans cette affaire - et je le regrette - la crédibilité de la parole publique en ait pâti, de même que la crédibilité de la vaccination !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Ce sont là des affirmations polémiques auxquelles je me dois de répondre.

Vous posez une question capitale qui est celle de la protection générale et de la protection individuelle. En termes de santé publique, c'est un sujet que nous ne résoudrons sans doute pas ce soir.

Il est vrai que certains ont dit qu'il suffisait de vacciner la moitié de la population pour en protéger l'ensemble.

Si une telle démarche pouvait être battue en brèche, c'est bien à travers cette pandémie dont la caractéristique, lorsqu'on observe ce qui va arriver de l'hémisphère Sud, fait que les cas mortels et les cas graves vont survenir chez des sujets que l'on n'a pas l'habitude de rencontrer. On va se rendre compte qu'il existe une immunité acquise chez les personnes les plus âgées. Néanmoins, la démarche éthique et médicale se doit de proposer cette protection à l'ensemble de la population - et je suis fière d'avoir été en mesure de le faire.

M. François Autain, président - Dans ce cas, il fallait faire un sondage : vous auriez commandé moins de vaccins !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Vous avez vos références : je n'utiliserai pas celle-là pour mener mes politiques de santé publique !

Vous avez évoqué le taux de vaccination. La France est le seul pays à avoir des chiffres fiables en matière de vaccination - sans doute minimisés. Nous sommes les seuls à avoir tenu une comptabilité à partir de coupons sur des vaccinations réellement effectuées. Sans doute ces vaccinations sont-elles minimisées puisque des personnes ont été vaccinées sans bon et certains bons n'ont pas été renvoyés. Aucun autre pays n'a tenu cette comptabilité. Les évaluations de taux de vaccination sont faites par tous les pays à partir de la diffusion des vaccins dans les circuits de vaccination.

Si nous comptions comme les autres pays, nous aurions 16 millions de personnes vaccinées - ce qui serait une absurdité. Les taux comparatifs sont donc à prendre avec beaucoup de prudence.

M. François Autain, président - Nous sommes les meilleurs !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Nous sommes le seul pays à avoir une véritable comptabilité : je ne porte pas de jugement de valeur ! Comme quoi un Etat organisé en ces termes peut avoir des avantages pour évaluer les politiques de santé publique.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Un quotidien annonçait ce matin que vous aviez envoyé des courriers à chacun des trois laboratoires leur indiquant que l'Etat verserait 48 millions d'euros de compensation aux fabricants des vaccins. Ces informations sont-elles exactes ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je comptais réserver cette information à votre commission. Lors des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la mission d'information sur la grippe H1N1 m'a interpellée sur ce sujet.

J'ai, le 4 janvier dernier, résilié 50 millions de doses, trente-deux auprès de GSK, onze auprès de Sanofi Pasteur et sept auprès de Novartis. Je dois dire que Sanofi Pasteur a ensuite de lui-même résilié sans indemnisation 9 millions de doses ; il en restait donc deux en négociation avec ce laboratoire. Je l'ai fait sur la base de la possibilité de résiliation d'un contrat qui est donnée à la puissance publique. Nous sommes ensuite entrés en négociation avec ces laboratoires. Résiliation certes, mais celle-ci ouvre la voie à indemnisation.

Je me suis basée sur deux principes. En premier lieu, je voulais que les laboratoires soient tous traités à la même enseigne et qu'en second lieu, l'indemnisation ne soit en aucun cas calculée sur un éventuel manque à gagner des laboratoires. Je ne voulais indemniser que des dépenses réellement constatées et engagées par le laboratoire. Nous sommes arrivés avec Novartis à une indemnisation à 16 % ; cela constitue une excellente base d'évaluation.

Nous continuons les négociations avec les autres laboratoires. Je souhaite privilégier la démarche transactionnelle mais si dans les jours à venir celle-ci n'aboutissait pas, nous notifierions une indemnisation unilatérale sur les mêmes bases que celles du contrat Novartis. Votre commission sera la première informée de l'heureuse signature de ces contrats.

Mme Marie Christine Blandin - Madame la ministre, ne serait-il pas opportun de travailler pour le futur et d'avoir l'assurance que des études sérologiques soient financées par votre collègue de la recherche ou par l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui n'a pas encore pu se mobiliser sur le sujet ?

Par ailleurs, la garantie de l'indépendance de l'expertise a beaucoup été évoquée ; j'interroge donc la représentante du Gouvernement que vous êtes sur la mise en oeuvre de l'instance spécifique que le Parlement a votée à l'unanimité dans le Grenelle I. M. Jean Louis Borloo l'a approuvée, elle devait être mise en place sous douze mois ; nous allons arriver en juillet et elle n'existe toujours pas ! Il s'agissait simplement de pouvoir externaliser la lecture des CV et des intérêts liés, de garantir les protocoles d'écoute aux lanceurs d'alerte. Cette instance aurait été précieuse afin que M. Bruno Lina dorme mieux lorsque son nom sort dans les journaux ou pour que les citoyens soient mieux informés lorsqu'on leur conseille de se faire vacciner !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je laisse M. Didier Houssin répondre à propos de l'ANR.

M. Didier Houssin - En effet, il aurait été très utile de disposer très tôt d'une connaissance précise de l'état de l'immunité de la population. Nous avons vite constaté que les personnes nées avant 1957, dans un pourcentage important de cas, possédaient des anticorps permettant de neutraliser ce virus.

Récemment, des informations très importantes ont été publiées concernant l'immunité médiée par les cellules T. Il est possible qu'une des explications à la moindre gravité de cette pandémie soit liée à une immunité non détectée au début et difficilement détectable, qui tienne en particulier à une immunité adaptative des cellules T.

Le projet que vous évoquez qui consiste à approfondir la relation entre ce virus et l'état immunitaire des populations est un projet important. Il existe des travaux en cours en ce sens. J'aurai l'occasion d'entrer demain dans le détail des travaux de recherche qui ont été lancés ou qui pourraient l'être dans ce domaine.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Mme Marie-Christine Blandin pose la question de l'expertise.

Mme Marie-Christine Blandin - Je ne pose pas la question : le Parlement l'a votée !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Elle a été votée pour la partie ayant trait à l'environnement mais demande évidemment concernant la santé - ce que veut faire Mme Valérie Pécresse - une superstructure qui expertisera les experts, avec des collèges, etc.

Tout d'abord, quels experts peuvent expertiser les experts ? C'est un cercle vicieux ! En général, les experts qui sont sollicités sont les meilleurs dans leur spécialité et peu nombreux. Il n'y a que trois ou quatre virologues de la qualité de celui que vous avez cité et quelques dizaines dans le monde ! Juger les experts et la qualité de leur expertise est difficile. Il ne s'agit pas seulement de qualifier l'absence de conflit d'intérêts ou de connaître les liens d'intérêts mais d'avoir une démarche non seulement éthique mais également technique.

Ceci étant, cela ne garantit pas l'honnêteté des uns ni celle des autres. Je ne fais de procès à personne mais imaginons que ce soit le cas. Il existe des gens malhonnêtes partout. Qui empêche qu'un expert cultive des liens d'intérêts avec un laboratoire ? Ce peut être le cas dans une instance indépendante ! Quelle garantie avez-vous du contraire ? Prenons garde de ne pas ajouter plus de confusion au sujet !

J'ai tenu à la présence d'experts pour me conseiller mais j'ai aussi voulu m'appuyer sur le réseau des agences sanitaires et que toutes les décisions soient prises en très grand lien avec les professionnels de terrain et les échelons territoriaux que nous avons mobilisés. Nous avons, de façon constante, multiplié les réunions avec les DRASS, les DDASS, les acteurs de terrain de l'administration ; nous avons établi un panel de représentants des services déconcentrés des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) afin d'évaluer l'adaptation des mesures proposées ; le Directeur général de la santé et la DGS ont participé à des conférences téléphoniques hebdomadaires mises en place par le ministère de l'intérieur avec les préfets de zones de défense et réuni régulièrement les conseillers sanitaires des DRASS ; nous avons entretenu un lien continu avec l'offre de soins.

Dès le 22 juillet, un espace dédié aux professionnels de santé à la grippe pandémique était ouvert sur le site Internet du ministère de la santé ; nous avons réuni de façon constante les médecins libéraux, le 5 mai, le 15 juin, le 2 juillet, le 15 juillet, le 17 septembre, le 29 octobre, le 19 novembre, le 7 et le 26 janvier. Six réunions ont eu lieu avec les représentants des pharmaciens d'officine, le 20 mai, le 5 octobre, le 10 décembre, le 14 janvier, les 21 et 26 janvier. Dix réunions ont eu lieu avec les représentants des infirmières ; douze messages DGS urgents ont été envoyés. Nous avons demandé aux préfets de réunir les comités départementaux d'aide médicale urgente de la permanence des soins et des transports sanitaires avant les vacances, après les vacances et tenu des réunions d'information avec eux pour qu'ils aient le maximum d'informations. On peut citer aussi quatorze réunions des établissements de santé, 34 messages d'alerte. J'ai écrit individuellement, le 15 juillet, à l'ensemble des 80 000 médecins généralistes, pédiatres et pneumologues. Le 29 septembre, j'ai écrit à nouveau à l'ensemble des professionnels de santé.

M. François Autain, président - Les recommandations du directeur général de la santé en matière de traitement n'ont pas toujours été bien avisées !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Pouvez-vous préciser le sens de votre remarque ?

M. François Autain, président - Il s'agit du Tamiflu.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - M. Didier Houssin sera très heureux de vous répondre ! Il serait peut-être intéressant qu'il réponde tout de suite.

M. François Autain, président - Nous verrons demain !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Soit vous proférez votre accusation demain devant la commission, soit vous la proférez maintenant et le directeur général de la santé y répond tout de suite !

M. Alain Milon, rapporteur - Il était prévu que nous interrogions M. Didier Houssin demain au sujet du Tamiflu.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Dans ce cas, M. le président de la commission d'enquête n'interpelle pas le directeur général de la santé !

M. Alain Milon, rapporteur - Si M. Didier Houssin désire répondre, je souhaite qu'il le fasse maintenant.

M. Didier Houssin - Je pense que vous faites référence aux recommandations formulées à l'intention des médecins durant cette pandémie.

Suite aux avis formulés par les experts du Comité de lutte contre la grippe au sujet des mesures d'hygiène ou des antiviraux ou par le Haut Conseil de la santé publique concernant les questions relatives à la vaccination, nous avons été conduits à formuler des recommandations soit aux établissements de santé et aux professionnels y exerçant, soit à l'intention des pharmaciens ou des médecins libéraux.

Depuis quelques années, nous nous efforçons de constituer un fichier électronique de volontaires à travers un dispositif appelé « DGS-urgent » qui nous permet de transmettre rapidement des informations qui nous paraissent importantes. Nous essayons de faire preuve de discernement à la fois dans le rythme des envois et l'importance des objets traités.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Pouvez-vous dire à combien s'élève le nombre d'adhérents à « DGS-urgent » du fait de la grippe ?

M. Didier Houssin - On n'est pas loin de 50 000.

M. François Autain, président - Il ne s'agit pas ici du Tamiflu !

M. Didier Houssin - Le Tamiflu - ou oseltamivir - est un produit virostatique, une anti-neuraminidase qui, parmi les différents antiviraux possibles, est celui qui est susceptible d'être utilisé dans le cadre de la grippe. En France, s'agissant de la grippe saisonnière, il n'existe pas de recommandations d'utilisation de l'oseltamivir. L'utilisation de ce produit est d'ailleurs assez faible dans notre pays, comparée au Japon où les antiviraux sont beaucoup plus largement utilisés.

Nous n'étions pas dans une situation de grippe saisonnière mais de pandémie où nous avons assez rapidement observé qu'un certain nombre de personnes étaient susceptibles de développer des complications graves - jeunes, femmes enceintes - et nous nous sommes rapidement inquiétés des conséquences possibles liées à ce virus.

C'est pourquoi ont été formulées à partir du mois de mai des recommandations concernant le traitement par antiviraux souhaitable, si possible dans un délai très rapide car il a été démontré que ces antiviraux sont d'autant plus efficaces que le délai d'administration est précoce, un antiviral administré après quarante-huit heures n'ayant plus guère d'efficacité. Nous avons également formulé ces recommandations pour les personnes contacts.

Durant l'été 2009, nous avons noté un certain nombre de publications en provenance du Mexique, des Etats-Unis, puis du Chili et de France. L'étude faite par l'InVS nous a montré que lorsqu'on étudiait les cohortes de personnes hospitalisées pour grippe pandémique, on observait que les personnes hospitalisées en réanimation ou décédées n'avaient pas reçu de traitement antiviral - ou tardivement.

Un avis du Comité de lutte contre la grippe le 11 ou 12 novembre a suggéré que, compte tenu de l'augmentation du nombre des cas graves en France, il était souhaitable d'accroître la prescription d'antiviraux, comme l'avaient fait les Britanniques à peu près au même moment.

C'est pourquoi nous avons formulé une recommandation à l'intention des médecins par tout moyen, notamment par le biais de « DGS-urgent », les invitant à utiliser plus largement les antiviraux, y compris dans un contexte préemptif où le traitement n'est non plus prophylactique à dose faible pendant une durée longue mais un traitement à dose curative pendant une durée brève. Nous avions pris la précaution de nous assurer que l'AFSSAPS donnait son aval à cette approche, s'agissant d'une utilisation hors AMM.

Nous n'avons aucun regret d'avoir fait cette recommandation ; je vous invite à lire la publication des autorités sanitaires chiliennes du mois de décembre qui a montré que s'il n'y a vraisemblablement pas eu de mortalité importante au Chili, c'est en grande partie grâce à une utilisation très large des antiviraux.

Je sais qu'un certain nombre de médecins se sont étonnés de cette recommandation des autorités sanitaires ; j'ai reçu ces médecins et je leur ai expliqué les raisons pour lesquelles nous avions fait ces recommandations, que je ne regrette en aucune façon !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Je voudrais revenir sur le rôle du politique. En premier lieu, nous sommes face à une souche virale inconnue et nous colligeons un certain nombre de renseignements qui amènent à des inflexions - ce qui est normal.

En second lieu, certains ont tiré argument d'un article du British medical journal qui indiquait que l'oseltamivir n'avait pas d'efficacité sur la grippe saisonnière, en la confondant avec la grippe A H1N1. Je comprends que l'attention des journalistes d'une presse généraliste ait été détournée.

Tertio , le colligement des études internationales ayant été réalisé, c'est le rôle de « DGS-urgent » de porter à la connaissance de la communauté médicale les avis de ce colligement. C'est précisément le rôle d'une direction générale de la santé. Il ne s'agissait en aucun cas d'un ordre mais d'une recommandation, chaque médecin restant libre de sa prescription.

M. Serge Lagauche - J'ai l'impression que la communication, sur le terrain, a quand même eu du mal à passer.

Je ne doute pas que des réunions ont eu lieu mais, sur le terrain, les nouvelles se transformaient. A l'hôpital Henri Mondor, j'ai constaté que le personnel soignant n'allait pas se faire vacciner, pour tout un tas de raisons. Je pense que l'essentiel est d'avoir les relais sur le terrain. Cela me paraît essentiel sur le plan de la communication.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre - Vous soulevez-là un point capital. Il s'agit de la communication en situation de pandémie par rapport à une société multiple, où les émetteurs d'informations sont extrêmement nombreux, où se mêlent la puissance publique, les acteurs locaux, Internet, etc.

Je souhaite qu'un certain nombre de spécialistes de sciences de la communication se penchent sur ce sujet pour arriver à convaincre nos concitoyens que cette communication est sécurisée.

Toutefois, nous avons gagné sur le plan de la communication auprès des professionnels de santé. Vous évoquez l'hôpital Henri Mondor. Le président de la Commission médicale d'établissement (CME), M. Laurent Brochard, m'a confirmé que, alors que 17 % des professionnels de santé avaient l'intention de se faire vacciner, ils ont été 60 % à la fin de la campagne de vaccination. La stratégie de communication a gagné chez les médecins et les infirmières, qui avaient encore moins l'intention de se faire vacciner. Ce chiffre, nous le retrouvons à peu près dans tous les hôpitaux de France.

Pourquoi avons-nous gagné cette bataille ? D'abord parce qu'un professionnel de santé, peut-être mieux qu'un autre, a la possibilité de confronter son information à la formation qu'il a reçue et de valider telle ou telle information fantaisiste.

Lorsque je me suis faite vacciner - M. Alain Milon était là, il peut en témoigner - un brave homme m'a demandé si on ne profitait pas du vaccin pour lui implanter une puce destinée à le suivre dans ses déplacements ! Un professionnel de santé ne peut croire à de telles balivernes. Ils ont également été confrontés à des cas graves, comme M. Laurent Brochard, président de la CME, qui est réanimateur. Quand, dans un service, vous voyez une jeune femme enceinte perdre la vie, le processus de vaccination change du tout au tout !

M. François Autain, président - On en a vu aussi beaucoup à la télévision !

Il ne suffit pas d'envoyer des lettres pour convaincre les médecins et pour se faire adopter par eux. Je crois qu'il existe actuellement un défaut de compréhension et de communication. On s'en est aperçu à la faveur de cette crise. Un certain nombre de recommandations ne passent pas, même si elles s'appuient sur les meilleurs niveaux de preuves possibles. En effet, trois sociétés savantes de généralistes se sont profondément offusquées de cette recommandation. Nous aurons l'occasion d'en reparler demain avec le directeur général de la santé.

M. Alain Milon, rapporteur - Je remercie Mme la ministre et ses collaborateurs d'avoir répondu franchement à l'ensemble de nos questions. Je voudrais par ailleurs rappeler combien, dans l'histoire de notre pays, la vaccination a été utile pour sauver des millions de vies. Cela devrait continuer !

M. François Autain, président - Je remercie à mon tour Mme la ministre et M. le directeur général de la santé d'avoir répondu avec précision à toutes nos questions.

Audition de M. Jean MARIMBERT,
directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé
(mercredi 24 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean Marimbert prête serment.

M. François Autain, président - Merci, monsieur le directeur général. Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire de votre part. Vous aurez ensuite à répondre aux questions de notre rapporteur, Alain Milon, et des membres de la commission ici présents. Monsieur le directeur général, vous avez la parole.

M. Jean Marimbert - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, comme m'y a invité votre président, je vais développer en une dizaine de minutes quelques considérations introductives en rapport avec l'objet des travaux de votre commission d'enquête.

Je rappellerai brièvement, dans un premier temps, les principales activités que l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) a déployées dans le cadre de la préparation, puis de la gestion de la pandémie grippale, avant d'évoquer l'organisation même des processus de travail, notamment, mais pas uniquement, d'expertises sur la base desquelles elle a apporté sa contribution à ce chantier, impliquant de très nombreux acteurs publics.

L'évocation de ce processus de travail me permettra d'aborder la question des liaisons opérationnelles avec les industriels concernés et celle de l'expertise externe.

Cette préparation avait commencé bien avant l'apparition du virus pandémique A (H1N1)v ; l'Agence avait participé à la préparation d'un plan, pour faire face à une probable pandémie, pour laquelle on redoutait surtout une évolution du virus H5N1 qui aurait permis de le rendre facilement transmissible entre humains.

Dans toute cette phase qui précède l'apparition du virus A (H1N1)v et son identification, nous avons apporté un certain nombre de contributions aux travaux menés par le ministère de la santé. Sans entrer dans le détail, je citerai en particulier :

- le contrôle des stocks stratégiques de produits de santé détenus par l'Etat, ce qui a permis, par exemple, de certifier à l'Etat, à l'automne 2008, que l'on pouvait utiliser plus de cinq ans les stocks de Tamiflu. Le Committee for Medicinal products for Human Use (CHMP) de l'Agence européenne des médicaments (EMA) a officiellement entériné l'extension de la durée de validité du Tamiflu à sept ans au mois de mai 2009 ;

- la préparation d'une liste de médicaments et de dispositifs médicaux indispensables ou nécessaires en cas de pandémie ; cet exercice moins connu est probablement unique en Europe ;

Bien évidemment, l'apparition du virus A (H1N1)v, le passage à la pandémie ensuite, vont démultiplier les actions de l'Agence, comme celles de l'ensemble des acteurs publics qui ont été impliqués dans le courant du printemps. Par commodité, on peut les regrouper en deux catégories.

La première catégorie regroupe les activités liées à l'exercice des missions propres de l'AFSSAPS - je veux dire par là - qui débouchent sur des décisions de son directeur général au nom de l'Etat. Il s'agit notamment, pour les vaccins, des autorisations d'essais cliniques accordées durant l'été 2009 pour des essais ou des études de suivi concernant le virus A (H1N1)v, des autorisations d'importation de vaccins, des certificats de libération de lots de vaccins délivrés par le site de Lyon de la direction des laboratoires et des contrôles de l'AFSSAPS.

Il faut rappeler à ce stade que, contrairement à tous les médicaments, chaque lot de vaccins doit faire l'objet d'un certificat de libération par un organisme public de contrôle habilité. L'AFSSAPS libère ainsi environ 40 % des vaccins commercialisés en Europe, et plus de la moitié des lots commercialisés en France.

Il s'agit aussi, dans les missions propres de l'AFSSAPS, de l'évaluation, en tant que pays de référence - j'y reviendrai -, du vaccin non adjuvanté Panenza, en vue d'une autorisation délivrée par l'AFSSAPS le 16 novembre 2009, mais également de l'évaluation de l'oseltamivir PG, c'est-à-dire une forme de Tamiflu. Je ne devrais pas dire cela, car le Tamiflu est un nom commercial. Je rectifie tout de suite : il s'agit de l'oseltamivir PG, développé par la pharmacie centrale des armées, sous forme de comprimés sécables, et qui a fait l'objet d'une autorisation le 26 novembre 2009.

Il faut y ajouter un ample dispositif de suivi des effets de l'utilisation des vaccins conjuguant, pour faire court, un dispositif renforcé de pharmacovigilance que nous avons ouvert, pour la circonstance, à la déclaration par les patients eux-mêmes, et une série d'études de suivis épidémiologiques centrées sur certaines populations, les femmes enceintes par exemple, ou certains risques comme le syndrome de Guillain-Barré.

L'AFSSAPS a également inspecté elle-même - ou participé à l'inspection - de sites de production de vaccins ou adjuvants.

En dehors de ce domaine, il faut mentionner aussi les évaluations qui ont été faites sur les antiviraux, pour lesquels se posait notamment la question des formes pédiatriques les plus adaptées, ou encore les solutions hydroalcooliques qui ont donné lieu à des recommandations publiques de l'Agence.

Cette première catégorie recouvre les activités de l'Agence débouchant sur des décisions qui lui sont propres. Il en existe une deuxième.

L'Agence a fourni au ministère de la santé les éléments d'expertise et des avis susceptibles de l'éclairer dans les décisions qui lui incombaient en propre, et à la ministre in fine . L'Agence a participé, notamment dans ce cadre, aux travaux du Haut Conseil de la santé publique, où elle est représentée. Elle a également donné régulièrement des informations et des interprétations au ministère sur la portée des avis d'étape pris à l'échelon européen par le CHMP.

Elle a également participé aux travaux du Comité de lutte contre la grippe et du comité technique des vaccinations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), où elle était représentée par deux de ses agents.

Enfin, l'Agence a participé à l'effort beaucoup plus large de production et de diffusion d'informations concernant les produits de santé utilisés en période pandémique pour les professionnels de santé et pour le grand public. C'est dans cet esprit que nous avons organisé deux conférences de presse, l'une le 25 septembre 2009, juste après que le CHMP, à l'échelon européen, a pris une position favorable aux deux premiers vaccins pandémiques centralisés. Nous avons tenu une deuxième conférence de presse le 16 novembre 2009, dans les heures qui ont suivi l'octroi de l'autorisation du vaccin non adjuvanté Panenza, pour présenter les éléments de l'évaluation.

Le plus souvent, j'ai été amené, ou mon adjoint, à présenter également, dans le cadre des points de presse organisés par le ministère de la santé, un point hebdomadaire de pharmacovigilance, à partir de la première quinzaine de novembre. Un bulletin hebdomadaire a été mis en ligne dans la foulée. Nous avons fait, à intervalles un peu plus espacés, un bulletin analogue pour les antiviraux.

Comment ont été organisés les processus d'intervention de l'AFSSAPS ? Tout ce que je viens de vous présenter concerne la liste des différents types d'intervention.

Il faut d'abord souligner que beaucoup de ces processus sont assurés intégralement par des agents de l'établissement public. C'est le cas pour le contrôle en laboratoire ; c'est le cas pour les inspections sur site.

Pour la pharmacovigilance, le processus a reposé essentiellement sur la collaboration entre les équipes internes du service concerné de l'AFSSAPS et le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance qui sont, comme vous le savez, logés pour la plupart dans les CHU, et qui recevaient les signalements des professionnels de santé et des patients avec, pour la circonstance, un rôle de coordination donné au centre régional de pharmacovigilance de Toulouse.

Pour la mise au point des études de suivi, des échanges ont eu lieu entre les équipes de l'AFSSAPS et un certain nombre de centres académiques, ou pour le problème spécifique du syndrome de Guillain-Barré qui, vous vous en souvenez, notamment au mois de septembre et octobre, suscitait beaucoup de débats et d'interrogations, avec un réseau de cliniciens spécialisés dans le traitement de ce syndrome.

Concernant les travaux d'évaluation des vaccins, il faut distinguer deux niveaux : le premier niveau est la participation de l'Agence aux travaux européens menés au sein du CHMP, où elle dispose d'un représentant titulaire et d'un représentant suppléant en permanence. Le second niveau concerne les travaux d'évaluation menés en dehors du cadre centralisé. Je fais ici allusion notamment à l'évaluation du vaccin Panenza.

Cette évaluation de Panenza a reposé, pour l'essentiel, sur le travail d'une équipe d'évaluateurs internes, qui a interagi avec quelques experts externes et avec les évaluateurs des agences des quatre autres pays qui étaient parties à la procédure dite « de reconnaissance mutuelle ».

C'est une procédure non pas centralisée, mais de reconnaissance mutuelle où un Etat fait un rapport. Le pays de référence était la France, en l'occurrence. Il confronte son point de vue avec tous les autres Etats intéressés à prendre une autorisation de mise sur le marché (AMM) sur ce produit. S'ils sont d'accord, ils prennent, chacun de leur côté, la même décision. C'est ce qui s'est passé.

Pour Panenza, nous avons appliqué une méthodologie homogène avec celle utilisée dans le cadre de la procédure centralisée, c'est-à-dire utilisant les mêmes critères d'immunogénicité - j'y reviendrai si nécessaire. La méthodologie était la même, mais le cas de figure était un peu différent, parce que l'évaluation de Panenza s'effectuait plutôt par référence à un vaccin de grippe saisonnière préexistant.

L'évaluation de l'oseltamivir PG par la pharmacie centrale des armées a également reposé sur un processus associant les compétences des évaluateurs internes de l'Agence et de leurs collègues des laboratoires, avec la consultation des groupes de travail de la commission d'AMM compétents pour les questions de qualité pharmaceutique, puis en plénière, de la commission d'AMM.

On peut aussi mentionner les avis que l'AFSSAPS a demandés, au fil de l'automne, à un groupe d'experts cliniciens sur l'utilisation des antiviraux hors AMM ou sans AMM, dans le cadre d'autorisations temporaires d'utilisation pour les cas graves de grippe A (H1N1)v.

M. François Autain, président - Pas seulement pour les cas graves.

M. Jean Marimbert - Je fais allusion aux cas graves, mais vous avez tout à fait raison. Il y a un autre aspect.

M. François Autain, président - C'est là où est le problème.

M. Jean Marimbert - Nous en parlerons. Ce groupe était chargé de donner un avis sur les cas graves. Le deuxième aspect a été le débat sur l'usage préemptif début décembre. Je crois que vous faites allusion à cela, mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Toutes ces démarches d'évaluation ont été mises en oeuvre dans le respect des principes de base qui gouvernent cette activité à l'Agence, c'est-à-dire principalement : la collégialité et la pluridisciplinarité ; la déclaration des intérêts et leur prise en compte, pour écarter de l'évaluation ou des délibérations les experts qui présenteraient un conflit d'intérêts élevé pour le produit concerné ; et la transparence du processus qui se traduit par la mise en ligne de documents de synthèse, comme nous l'avons fait pour Panenza et pour les vaccins pandémiques centralisés, des rapports publics d'évaluation. Il se traduit également par la mise en ligne des comptes rendus des séances des commissions. Celle-ci est régulière depuis le premier trimestre 2006 pour la commission nationale de pharmacovigilance. Elle est obligatoire depuis 2007 pour d'autres commissions, comme la commission de contrôle de la publicité et la commission d'AMM.

Ces différents processus s'accompagnent de contacts fréquents, d'ordre opérationnel avec les firmes, et principalement les laboratoires pharmaceutiques. En particulier, l'instruction de dossiers de demande d'autorisation implique souvent un va-et-vient de questions et de réponses à caractère scientifique et technique. Il en va de même pour les processus de libération des lots, au cours desquels la direction des laboratoires et des contrôles de l'AFSSAPS étudie les dossiers des lots de vaccins fournis par les producteurs, mais procède également, de son côté, à des contrôles internes sur échantillon, pour vérifier des paramètres essentiels de conformité du produit, par exemple la conformité microbiologique du produit.

Il faut ajouter enfin que, dans le contexte d'incertitude et de changement de données qui a caractérisé la période de gestion de la pandémie, des réunions, en particulier l'été dernier, ont parfois été organisées délibérément par l'Agence avec les laboratoires pharmaceutiques pour obtenir, en cours de route, des éléments d'information actualisés sur certains paramètres essentiels pour la gestion de ce chantier par l'Agence. Des réunions ont également été organisées avec les autorités sanitaires en général, sur les rendements vaccinaux sur lesquels il y avait des incertitudes, et la montée en charge de la production, qui conditionnait le respect des calendriers de livraison.

Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, les quelques points essentiels que je voulais souligner dans le cadre de cette présentation initiale.

M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le directeur général, je vous remercie pour ce propos introductif. Permettez-moi de vous poser des groupes de questions.

La ministre de la santé a indiqué que l'AFSSAPS et ses experts avaient, avec le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) et le directeur général de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), participé à la négociation collégiale des marchés de fournitures de vaccins. Pouvez-vous nous dire quelle a été sa participation ? A partir de quand avez-vous été inclus dans la participation aux négociations ? Quel a été, en dehors de la négociation des contrats, le rôle que vous avez joué dans la gestion de la grippe ?

Deuxième groupe de questions concernant l'articulation nationale et européenne : pouvez-vous nous présenter l'articulation des compétences entre l'AFSSAPS et l'Agence européenne des médicaments dans les procédures d'autorisation de mise sur le marché de ces vaccins ? Pouvez-vous nous présenter le rôle de l'AFSSAPS au sein du réseau européen des laboratoires ? Quelles relations l'AFSSAPS entretient-elle avec ses « homologues » européens ?

Afin de pouvoir vous préparer, j'aurai ensuite des questions sur les procédures accélérées d'AMM, sur la surveillance des effets indésirables, et enfin sur les modalités de la vaccination. Je vous laisse d'abord répondre aux premières questions.

M. Jean Marimbert - Sur votre première question relative à la participation à la négociation des vaccins, j'ai participé, à partir d'un certain stade que je vais préciser, à la phase plutôt finale de la négociation des vaccins, car elle a commencé plus tôt, en mai, je crois.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 15 mai.

M. Jean Marimbert - La ministre de la santé, son directeur de cabinet plus précisément, m'a demandé, aux côtés de M. Noël Renaudin qui était également associé, de participer à une dernière phase de négociations avec les laboratoires. La justification de cette intervention n'était pas tant l'aspect directement économique car je n'ai pas, sur ces sujets, de compétences institutionnelles ni personnelles. Il y avait des discussions âpres sur les questions de responsabilité. J'ai été amené à analyser les termes proposés par les fabricants, tels qu'ils se présentaient au début de la deuxième quinzaine de juin. Cela a commencé durant la troisième semaine de juin.

En dehors de cette analyse, j'ai été amené à participer, de mémoire, à deux réunions terminales de négociations avec deux des trois producteurs, dont on pouvait penser que leur vaccin allait être autorisé d'ici quelques mois, et qui avaient des offres en quelque sorte. Ces réunions ont eu lieu au tout début du mois de juillet.

Pour finir de répondre sur ce point, mon apport dans la négociation était d'essayer de contribuer à une amélioration des clauses de responsabilité par rapport aux termes initiaux, tels qu'ils étaient proposés par certains laboratoires, qui posaient des difficultés majeures. Nous avons été notamment confrontés, à un moment donné de la négociation - c'était le cas lorsqu'on m'a demandé d'y participer - à une clause qui entendait exclure toute forme de responsabilité pour le laboratoire, quelle qu'elle soit, y compris dans le cas où les dommages causés seraient dus à un défaut de fabrication du produit.

M. François Autain, président - Pensez-vous que cette responsabilité en matière de défaut de fabrication est plus importante ou plus coûteuse, pour les laboratoires, que celle qui consiste à prendre en charge les conséquences que peut avoir le vaccin en matière d'effets indésirables ? J'ai le sentiment que ce n'est pas tout à fait égal. Dans un cas, on risque beaucoup, et dans l'autre, on risque un peu moins.

M. Jean Marimbert - Dans le droit commun de la responsabilité pharmaceutique d'un producteur de vaccins, il n'y a pas que la responsabilité pour les dommages liés à un défaut de fabrication. Ce n'est qu'une partie de la responsabilité. Encore fallait-il qu'elle soit bien introduite dans les contrats et que les laboratoires assument au moins cette part de responsabilité-là. Ce qui n'était pas le cas, encore une fois, dans le cadre des versions de contrats qui m'avaient été soumises, pour avis, au début de la deuxième quinzaine de juin. Il y a eu ce débat assez âpre sur ce point, je ne vous le cache pas.

Dans le droit commun, cela va plus loin que cela. Il faut se souvenir que le droit commun doit être tempéré par l'article L. 3131-3 du code de la santé publique qui institue, en cas de menace sanitaire d'ampleur, la possibilité d'un régime spécifique, qui déplace la responsabilité dans un sens plus favorable aux laboratoires, et plus défavorable à l'Etat. Ce régime national de l'article L. 3131-3 a une base communautaire : une directive communautaire, dont j'ai oublié la référence dans l'instant présent mais que je pourrai vous donner, a prévu, quelques années auparavant, ces dispositions en cas de menace sanitaire d'ampleur.

L'enjeu de la négociation, vu du point de vue du participant que j'étais, était d'essayer de tirer les contrats signés vers quelque chose qui soit le plus près possible de l'article L. 3131-3, plus que du droit commun, ce qui, pour terminer ma réponse, n'était pas complètement trivial dans la mesure où nous étions manifestement dans une période de négociation et où le rapport de force - si vous me permettez cette expression - était assez favorable aux offreurs, qui étaient les producteurs. C'est en tout cas la perception que j'ai eue.

M. François Autain, président - En d'autres termes, grâce à vous, le contrat dont nous disposons est moins défavorable à l'Etat qu'il aurait pu l'être.

M. Jean Marimbert - Je ne dirai pas cela, monsieur le président. J'ai été un intervenant dans la négociation. J'ai dit ce que j'avais à dire, dans le sens que je vous ai expliqué. Je pense que d'autres le pensaient comme moi.

En ce qui concerne mon rôle dans la gestion de la grippe, j'ai peut-être déjà répondu, au moins partiellement, dans mon intervention initiale. J'ai essayé d'identifier les types d'intervention de l'Agence dans la gestion de la grippe.

Concernant l'articulation des compétences entre l'Europe et la France pour l'évaluation des vaccins, on ne peut pas dire dans cette affaire que, de manière générale, tous les vaccins soient soumis à la procédure centralisée. La procédure centralisée européenne, menée au niveau de l'Agence européenne des médicaments (EMA), dans un comité où sont représentées toutes les agences nationales, est obligatoire pour un certain nombre de types de médicaments, en particulier, historiquement, tous les médicaments issus des biotechnologies. S'est ajoutée une série de rubriques dans la révision de 2004, qui a été transposée par le législateur français en 2007, mais qui ne vise pas les vaccins en général, en tant que tels.

Concernant les vaccins, il existe une distinction entre les vaccins qui utilisent des mécanismes de recombinaison génétiques, et les autres. Pour les premiers, on va en procédure centralisée obligatoirement ; pour les autres, on n'est pas forcé d'aller en procédure centralisée. Cela vous explique que, par exemple, les vaccins « grippe saisonnière » qu'on utilise régulièrement ne sont pas en procédure centralisée. Ils sont dans une procédure de reconnaissance mutuelle.

Cela explique aussi que pour le vaccin Panenza, on ait pu utiliser une procédure de reconnaissance mutuelle, qui se termine par une décision juridiquement nationale. En fait, il s'agit d'un partage de compétences dans ce domaine des vaccins. Un point est important, et je reviens à ce que je disais dans ma présentation introductive : même si les voies d'examen sont juridiquement différentes, il faut que la méthodologie puisse être homogène.

Vous m'avez également interrogé sur le rôle de l'AFSSAPS au sein du réseau européen des laboratoires. Je suis content que vous me posiez cette question, monsieur le rapporteur, parce que l'action publique dans le domaine des laboratoires n'est pas l'aspect le plus connu de la régulation sanitaire, et pourtant elle est très importante dans le domaine des vaccins. C'est le seul domaine - vaccins et médicaments dérivés du sang - pour lequel il y a obligation d'un certificat de libération de lots par une autorité publique. Ce n'est pas le cas pour l'ensemble des médicaments.

Notre site de Lyon est amené à libérer des lots qui ne sont pas tous les lots utilisés sur le marché français. La règle est que chaque lot de vaccins, quelle qu'en soit la marque, doit avoir un certificat de libération délivré par ce qu'on appelle un OMCL, un organisme public de contrôle en laboratoire. Il doit pouvoir le produire. Cela peut être l'organisme de contrôle français, l'organisme allemand, ou tout autre organisme européen compétent. Ce qui est indispensable, c'est d'avoir un certificat de libération de lot. Il y a de fait une reconnaissance mutuelle ensuite au sein de l'Europe de ces certificats de contrôle.

Nous sommes un membre très actif de ce réseau des laboratoires, lequel est animé au niveau européen, non pas par la Commission de Bruxelles, non pas par l'EMA, mais par un organisme qui s'appelle la Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM) et qui est rattachée au Conseil de l'Europe.

Comme je l'ai dit enfin en introduction, les laboratoires de l'AFSSAPS jouent un rôle important dans cette activité de libération publique des lots, puisque cela concerne plus de la moitié des lots de vaccins libérés sur le marché français, et un peu moins de 40 % des lots libérés sur le marché européen.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé aussi sur...

M. Alain Milon , rapporteur - Sur vos relations avec vos homologues européens.

M. François Autain, président - Sur ce point, Mme Hermange souhaite intervenir.

Mme Marie-Thérèse Hermange - L'Agence européenne a donné l'indication des deux doses uniquement le 24 novembre. En tant que responsable de l'AFSSAPS, pourquoi ne pas avoir sollicité plus tôt l'Agence européenne, pour savoir s'il fallait une ou deux doses en temps voulu, avant les commandes ?

M. Alain Milon , rapporteur - Je m'excuse auprès de Mme Marie-Thérèse Hermange. Je passe aux AMM. Quand nous arriverons à la question des vaccins, nous pourrons reposer la question.

Mme Marie-Thérèse Hermange - D'accord.

M. Alain Milon , rapporteur - Je passe aux procédures accélérées d'autorisations de mise sur le marché. Pour disposer rapidement d'un vaccin pandémique, l'EMA a adapté ses procédures d'évaluation pour réduire, dans la mesure du possible, le délai d'attribution des AMM.

Pouvez-vous nous présenter le calendrier précis de délivrance des AMM des différents vaccins ? Dans quels cas ces procédures accélérées peuvent-elles être mises en place ? Le recours à ces procédures était-il subordonné à une modification de la définition de la notion de pandémie par l'OMS ? Quelles sont les spécificités de ces procédures et leur fiabilité ?

Alors que les vaccins des laboratoires GSK, Novartis et Baxter ont obtenu une AMM avant la fin du mois de septembre et le début du mois d'octobre 2009, le vaccin Humenza du laboratoire Sanofi Pasteur n'a reçu son AMM qu'au mois de février 2010. Comment s'explique la différence plus tardive de l'AMM de ce vaccin ?

M. Jean Marimbert - Sur les procédures européennes, quelle a été la philosophie du dispositif européen ? Comme je vous l'ai dit, on s'est préparé, à partir de 2005, à une menace pandémique dont on pensait plutôt qu'elle serait une menace H5N1, avec la crainte d'un passage à une transmission interhumaine du virus H5N1 qui était terriblement virulent, avec plus de 60 % de mortalité, mais pas facilement transmissible d'humain à humain, heureusement.

Dans ce cadre, au niveau européen, l'EMA, avec la participation de toutes les agences, a pensé qu'il fallait anticiper : si nous commencions le processus d'évaluation des vaccins seulement au moment où nous aurions identifié la souche pandémique, nous ne pourrions pas arriver à une situation où des vaccins pourraient être mis à disposition à temps pour couvrir des populations très importantes.

Cela a débouché sur une procédure en deux temps, qu'on baptise procédure « mock-up » en anglais. Je parlerai plutôt d'une procédure en deux temps, fondée sur un vaccin prototype.

Premier temps : les laboratoires, à partir de 2005/2006, développent des dossiers de vaccins assez complets, comportant une partie qualité pharmaceutique et une partie essais cliniques sur des milliers de personnes, avec un antigène H5N1. Ils développent des vaccins prototypes H5N1. Le CHMP, c'est-à-dire l'EMA, évalue ces dossiers prototypes. Cela s'est passé fin 2008 et début 2009 pour vérifier si ces dossiers sont solides par rapport aux critères, en particulier ceux relatifs à la qualité et à l'immunogénicité des vaccins, sur la base d'essais cliniques. On leur donne un premier label. C'est une AMM de première phase pour ces vaccins prototypes.

Arrive ensuite la souche pandémique. Elle est identifiée au premier trimestre 2009. L'organisation mondiale de la santé (OMS) la caractérise et la rend publique. A partir de ce moment-là, les laboratoires vont, dans le cadre de ce qu'on appelle une « variation pharmaceutique », produire le vaccin pandémique en gardant les mêmes processus de fabrication que ceux qui étaient dans le dossier prototype « mock-up » et les mêmes modalités de contrôle des vaccins, mais en changeant l'antigène, c'est-à-dire en remplaçant l'antigène H5N1 par l'antigène H1N1.

On leur accorde ensuite une variation d'AMM qui, en quelque sorte, prend acte du changement d'antigène, le reste des paramètres de fabrication, de contrôle, de contenu de dossier n'étant pas modifié. Sur quelles bases ? Sur la base d'un raisonnement d'extrapolation qui consiste à dire : on a de bonnes raisons scientifiquement de penser que si un vaccin, dans le cadre d'essais cliniques sur le H5N1, a été efficace, a rempli les critères d'immunogénicité avec une population « naïve », c'est-à-dire n'ayant pas rencontré le virus auparavant, il sera aussi efficace au substitut, l'antigène H1N1, en n'ayant changé aucun des paramètres fondamentaux de fabrication et de contrôle.

C'est la base du raisonnement d'extrapolation qui a été suivi au niveau européen et qui a été développé scientifiquement, dans des documents publics qui ont été mis en ligne et que nous avons fait traduire en français. Ils sont en ligne sur le site de l'AFSSAPS depuis fin septembre ou début octobre. Les Américains ont fait aussi un raisonnement d'extrapolation, mais au lieu d'extrapoler par rapport à un dossier complet clinique et de qualité pharmaceutique H5N1, ils ont extrapolé par rapport à des dossiers classiques de vaccin grippe saisonnière. C'est la principale différence.

M. François Autain , président - Il n'est pas inutile, monsieur le directeur général, de rappeler que les Américains, contrairement aux Français, ont utilisé des vaccins qui ne comportaient pas d'adjuvants et qui étaient fabriqués selon les méthodes traditionnelles. Je pense que ce sont des mesures de précaution que notre pays aurait bien fait d'adopter. Personnellement, je le regrette. Cela me permet de poser une question : pourquoi ce qui est possible aux Etats-Unis ne l'est-il pas en France ?

M. Jean Marimbert - Pourquoi, au niveau européen, a-t-on accepté des dossiers prototypes H5N1, puis des dossiers H1N1 avec des adjuvants ? La raison principale est la suivante : mettre des adjuvants dans un vaccin vous permet d'avoir a priori le même effet d'immunogénicité et le même niveau d'efficacité.

M. François Autain , président - Biologique.

M. Jean Marimbert - On y reviendra. Vous avez tout à fait raison. Immunogénicité et efficacité clinique sont deux choses différentes. Cela permet le même niveau d'immunogénicité en utilisant une quantité moindre d'antigènes, c'est-à-dire de matières premières vaccinales. C'est extrêmement important quand il s'agit de mettre à la disposition très vite, avec quelques mois de fabrication, un vaccin pour couvrir des populations très larges. Pour vous donner une idée, l'utilisation d'adjuvants dans les vaccins pandémiques centralisés amène à utiliser, selon les produits, deux à quatre fois moins d'antigènes pour avoir une dose et pour couvrir quelqu'un. Ce n'est pas rien quand il faut couvrir tout le monde très vite.

La deuxième justification - je fais état de ce que disent les scientifiques, mais ils pourront être interrogés sur ce point -, sur la base des études cliniques faites avec H5N1, on a constaté que, lorsqu'il y avait une variation du virus, le fait d'avoir un vaccin adjuvanté donnait un plus large spectre, une capacité à couvrir en cas de variation du virus, ce qui n'est pas différent avec les virus grippaux. Les virus grippaux ont pour caractéristique essentielle de muter. Ils bougent : c'est une de leurs complexités. Pour ces deux raisons, le choix de l'adjuvanté a été retenu au niveau européen.

Cela me permet de répondre à la deuxième question. Si je n'ai pu autoriser Panenza qu'un mois et demi après que les vaccins centralisés aient été autorisés par la commission, c'est que, s'agissant d'un vaccin non adjuvanté, pour avoir un niveau de quantité important, il faut plus de temps pour le produire. Il y a eu « un retard à l'allumage », mais il n'a pas été très important au final. C'est-à-dire que, malgré tout, le producteur a fait diligence sur ce point. Nous nous sommes efforcés - il faut le dire aussi - de faire diligence : nous avons évalué le produit en six ou sept semaines.

M. François Autain , président - Sans compromettre les règles de sécurité, il faut le préciser.

M. Jean Marimbert - Sans compromettre les règles de sécurité. C'est une des choses que j'ai dites dès le mois d'octobre quand tout le monde m'a interrogé : on prendra le temps nécessaire minimum pour faire un bon travail. Voilà pour les adjuvants, mais on pourra y revenir.

Pourquoi Humenza plus tard ? C'est une des questions que vous m'avez posées, mais j'en ai peut-être oublié. Humenza est le vaccin non adjuvanté de Sanofi-Aventis. Pardonnez-moi, je dis une bêtise. Sanofi-Aventis a fait deux vaccins centralisés. En fait, il en a fait trois d'une certaine manière. Il y a aussi Panenza non adjuvanté.

Par ailleurs, Sanofi-Aventis, en 2008, avait déposé un dossier dans le cadre de la procédure centralisée « mock-up » prototype. Ce dossier était le vaccin Emerflu, mais à l'époque Sanofi-Aventis n'a pas eu l'AMM dans le cadre du « mock-up », le CHMP et l'EMA estimant que les critères d'immunogénicité pour ce vaccin n'étaient pas atteints pleinement. Il n'a donc pas pu avoir l'AMM, ce qui fait que ce laboratoire, pour la partie vaccin adjuvanté, a changé son fusil d'épaule et a dû se mettre à développer un dossier complet en dehors de la procédure « mock-up ». On n'est plus dans la procédure « mock-up », on est dans une procédure accélérée classique.

C'est Humenza, mais pour Humenza il y a, si je puis dire, « un retard à l'allumage », du fait de l'échec d'Emerflu, c'est-à-dire de l'échec de ce vaccin « mock-up » prototype. Ceci explique ces quelques mois de retard de l'autorisation d'Humenza par rapport à l'autorisation des trois autres vaccins centralisés.

M. Alain Milon , rapporteur - Il me reste deux séries de questions. Des procédures particulières de surveillance pharmacologique des effets indésirables des vaccins ont-elles été mises en place ? En avez-vous constaté ?

Avez-vous constaté des effets indésirables des adjuvants ? Je reviendrai sur la question de Mme Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange - L'Agence européenne du médicament a indiqué une dose et non deux doses.

M. Alain Milon , rapporteur - Je vais compléter la question. Lorsque la commission des affaires sociales a entendu, en janvier dernier, les laboratoires pharmaceutiques fournisseurs des vaccins H1N1 utilisés en France, un de leurs représentants - je ne dirai pas lequel - nous a expliqué que le choix du vaccin à deux injections n'avait pas été fait par les laboratoires, mais par les autorités des différents pays, qui avaient supposé que deux doses étaient nécessaires compte tenu du précédent H5N1, ce que vous nous avez appris tout à l'heure. N'aurait-on pu, dans ces conditions, poursuivre un peu plus loin les essais des vaccins H5N1 pour résoudre ces questions avant l'apparition du virus H1N1 ?

Pourriez-vous nous apporter une réponse que nous attendons ? Pourquoi le choix de l'injection unique a-t-il été fait aux Etats-Unis en septembre 2009 et seulement fin novembre en Europe ?

Mme Marie-Thérèse Hermange - Pourquoi, à votre avis, la délibération de l'Agence a-t-elle été si tardive alors que des éléments existant antérieurement pouvaient montrer qu'une dose, et non deux, suffisait ?

M. Jean Marimbert - Je suis un peu surpris par ce que vous me dites et la déclaration que vous me rapportez. Dans le cadre des dossiers prototypes et de leur évaluation, je n'ai pas eu connaissance d'un désaccord qui aurait existé, entre les laboratoires et l'Agence européenne, sur le fait que, sur la base des essais menés pour ces vaccins prototypes, le vaccin H5N1, sur plusieurs milliers de personnes, deux doses étaient nécessaires dans la généralité des cas. De fait, quand fin septembre, le CHMP examine ces dossiers, c'est sur cette base, et tout naturellement d'ailleurs, qu'il dit a priori deux doses. Que se passe-t-il à ce moment-là ?

On commence à avoir des résultats préliminaires d'études cliniques faites sur le vaccin A (H1N1)v, étude ayant débuté très tard, après la fabrication, donc durant l'été. Ils le resteront jusqu'à fin octobre, et tendent à montrer que dans la population adulte, avec Focetria et Pandemrix, mais pas avec Celvapan, une dose paraît susceptible de remplir les trois critères d'immunogénicité. Ces résultats sont préliminaires. Ils portent sur un nombre faible de personnes.

C'est ce qui conduit le CHMP, le 23 octobre, quand il se penche de nouveau sur le sujet, à sortir un communiqué très prudent qui dit : il se peut que le passage à une dose soit suffisant, mais les données sont encore trop préliminaires ; on veut avoir des données complémentaires pour pouvoir se prononcer, de façon ferme, sur le caractère suffisant d'une ou deux doses.

En tant que directeur général de l'AFSSAPS, lorsqu'on m'a demandé mon avis, j'ai dit qu'il fallait rester prudent à ce stade et ne pas se démarquer de la position prudente prise par le CHMP. Livrer le message univoque à toute la population, selon lequel deux doses étaient nécessaires jusqu'à présent, mais que maintenant une dose suffit, ne peut se faire que lorsqu'on est vraiment sûr de son fait. C'est en tout cas l'avis que j'ai donné. Sur la base de données préliminaires, ce serait bien hasardeux de le dire.

Que s'est-il passé ? Un mois plus tard, le CHMP en a de nouveau débattu dans sa séance de fin novembre ; il a infléchi sa position, estimant avoir une masse critique d'éléments et de données suffisantes, compte tenu de tout ce qui était sorti dans l'intervalle, pour dire qu'une dose suffit chez les adultes, dans la tranche 18-65 ans, et même sur une partie des tranches enfants.

J'attire votre attention sur le fait qu'il ne l'a toujours pas dit pour Celvapan. Pour le troisième vaccin, ce sont toujours deux doses qui sont jugées nécessaires. Pour ce qui me concerne, j'assume parfaitement l'avis que j'ai donné sur ce point, mais je n'étais pas le seul.

Envoyer un message consistant à dire aux gens que contrairement à ce qu'on avait dit jusqu'à présent, ils pouvaient être rassurés, qu'une seule dose était suffisante, ne peut se faire que lorsqu'on en est vraiment sûr.

Concernant les effets indésirables, c'était un enjeu très important. Malgré tout le sérieux mis dans l'évaluation des dossiers prototypes centralisés, puis la variation, puis l'évaluation en cours d'automne des premiers résultats qui tombaient semaine après semaine, des essais cliniques sur H1N1, cette fois-ci, on n'avait pas un recul énorme. En particulier, il n'y avait pas de données cliniques sur les femmes enceintes et sur les très jeunes enfants. Il existait beaucoup de raisons de mettre en place un dispositif très solide de suivi.

C'est ce que nous avons choisi de faire. La France n'a pas été la seule ; cela s'est fait dans d'autres pays d'Europe. On a choisi de faire un dispositif renforcé, en donnant aux patients la possibilité de déclarer par simple téléchargement et envoi aux centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Cela a eu un résultat, car un quart des signalements qui nous sont parvenus, dans le cadre de cette campagne pandémique, sont venus des patients et trois quarts des professionnels de santé.

On a pensé qu'il était absolument indispensable de fournir aux professionnels de santé et à l'opinion un point hebdomadaire sur cette question, un point le plus possible en temps réel sur les effets indésirables. C'est ce que nous avons fait. C'est ce qui m'a amené à présenter, souvent moi-même, ou des proches collaborateurs, le bulletin pandémique toutes les semaines.

Parallèlement, il est très important de souligner qu'on ne peut pas se contenter de la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée. Pour suivre les effets indésirables de ces vaccins, il faut aussi mettre en place des études de suivi épidémiologiques à plus long terme, pour suivre des cohortes de femmes enceintes qui ont été vaccinées, suivre la question du syndrome de Guillain-Barré pour voir si on en a plus ou moins, par rapport au bruit de fond, c'est-à-dire au taux annuel de signalements que nous avons régulièrement. En dehors de toute campagne de vaccination, il faut des études à côté de la notification spontanée.

Qu'avons-nous constaté en pratique ? Je vais être bref, car il faudrait beaucoup de temps pour répondre à cette question. Le suivi, semaine après semaine, n'a pas montré de signal préoccupant. Il faut le dire.

M. François Autain , président - Sauf à une exception. Elle a fait l'objet d'une lettre à Mme la ministre concernant une sclérose en plaques.

M. Jean Marimbert - Je ne parle pas de cas individuels.

M. François Autain , président - Ceci a été signalé depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

M. Jean Marimbert - Attendez. On ne peut pas déduire un rôle du vaccin et un lien de cause à effet d'un cas individuel.

M. François Autain , président - On peut en parler.

M. Jean Marimbert - On peut, et il faut en parler.

M. François Autain , président - Ce que je reproche, c'est de ne pas en avoir parlé du tout. Sur aucun de vos bulletins n'est signalée cette sclérose en plaques.

M. Jean Marimbert - Les bulletins de pharmacovigilance publiés en ligne ont fait état de tous les cas qui nous étaient signalés comme suspicion, surtout si cela portait sur des maladies graves. Croyez-moi, en tant que directeur général de l'AFSSAPS, j'y ai veillé, c'est une condition de crédibilité de l'action publique dans ce domaine. J'ai présenté publiquement le premier cas, sans savoir si c'était lié au vaccin. Il y a eu une mort intra-utérine ; je l'ai annoncé publiquement. Les cas de sclérose en plaques, de poussées ou de rechute de sclérose en plaques qui nous ont été signalés en pharmacovigilance ont été mis en ligne. Nous rajouterons au bulletin et au point hebdomadaire ceux qui n'ont pas été signalés en pharmacovigilance et qui sont signalés aujourd'hui. La transparence a été totale sur ce point, monsieur le président.

Après, nous pouvons nous rejoindre. On constate dans les jours ou les semaines qui suivent, chez une personne qui a été vaccinée le jour J, la survenance d'une maladie : pour savoir s'il y a un lien de cause à effet, il faut faire deux types d'analyse : une analyse clinique individuelle de l'imputabilité et une analyse collective. Compte tenu du nombre que j'ai répertorié pendant la période de poussée de scléroses en plaques, du nombre de syndromes de Guillain-Barré, est-ce, oui ou non, supérieur au nombre que je constate habituellement ? Nous avons essayé de le faire petit à petit pour chacune des grandes catégories, si vous regardez nos bulletins.

M. François Autain , président - Je consulte vos bulletins.

M. Jean Marimbert - Je n'en doute pas, monsieur le président.

M. François Autain , président - Madame Blandin, vous avez la parole.

Mme Marie-Christine Blandin - Pour des raisons de sécurité biologique, il était nécessaire qu'il y ait un additif, le Thiomersal, pour garantir la pureté du produit. Franchement, la population s'est émue au-delà du raisonnable sur Internet, mais on lui a aussi donné des raisons de s'inquiéter. Je vais dire pourquoi. Sur le site de l'AFSSAPS, depuis 1999, il y a la déclaration de l'Agence européenne d'évaluation des médicaments, à propos du Thiomersal.

Vous rappelez sur votre propre site qu'il ne faut surtout pas l'employer pour les jeunes enfants et nourrissons, qu'il est exigé que les laboratoires producteurs de vaccins soumettent un plan d'action pour achever de retirer le Thiomersal de tous les vaccins. Vous recommandez l'utilisation de vaccins sans Thiomersal quand ils étaient disponibles, au minimum pour la vaccination des nouveau-nés.

La crise arrive. Sur votre site, il est écrit : « Les propriétés du Thiomersal sont particulièrement utiles dans le cadre de campagnes de vaccination où les conditionnements multidoses sont utilisés. Le Thiomersal est actuellement présent dans tous les vaccins à des doses tout à fait sans risque de toxicité, etc. »

Le changement de ton est troublant pour les gens qui ont en mémoire ce qu'il y avait sur votre site. Il y a quelques années, il fallait le retirer parce que c'était inquiétant : ce n'était pas bon que le mercure reste dans le tissu des jeunes enfants. Là, d'un seul coup, on en a besoin, cela devient inoffensif. Je voulais vous alerter et vous interroger sur ce changement de ton qui n'est pas propre à créer la confiance.

M. Jean Marimbert - Madame la sénatrice, si M. le président le permet, je réponds à votre question. L'évaluation sur le Thiomersal a commencé au niveau européen, comme au niveau français, à la fin des années quatre-vingt-dix. Il y a eu plusieurs prises de position en 1999, et dans les années 2000. La dernière a été prise par le CHMP, en particulier, en 2007. Je ne me souviens pas aujourd'hui si nous l'avons répercutée ; en tout cas, nous avons été parties prenantes. Celle de 2007 à coup sûr, et peut-être celle d'avant, était déjà sur la ligne de ce que nous avions mis sur le site après la conférence de presse fin septembre. Elle rappelait les propriétés utiles du Thiomersal dans le cadre d'un conditionnement multidoses, des propriétés de conservateur en particulier, comme vous l'avez rappelé.

Elle rappelait aussi que, selon les études toxicologiques qui ont été faites, mais qui sont discutables et sujettes à débats comme toute donnée scientifique, les doses de Thiomersal contenues dans une dose de vaccin sont très inférieures aux doses considérées comme susceptibles de produire des effets indésirables. Cette position de 2007 rappelait aussi que les débats sur le lien avec les manifestations de type autisme en particulier - vous vous souvenez - surtout dans les pays anglo-saxons, ont été discutés scientifiquement. Au niveau de l'évaluation européenne, on a jugé que ce lien ne pouvait pas être considéré comme établi.

Ce qui a pu se produire - je ne l'exclus pas, madame, car si vous le dites, c'est bien que vous avez perçu cette différence -, c'est que nous n'ayons pas suffisamment répertorié sur notre site les positions de 2007, dont pourtant nous étions parties prenantes, et qu'on ait eu cette impression de « changement de pied » au moment de la pandémie, auquel cas il est fâcheux que ce maillon que je viens de rappeler soit manquant. Sur le fond, il n'y a pas eu du tout de rupture de position de notre part sur ce point.

M. Michel Guerry - On nous dit depuis deux jours qu'on a des relations avec les autres pays européens. On nous a dit aussi que les Etats-Unis voulaient acheter 600 millions de doses de médicaments. Une dose, deux doses, etc. J'aimerais bien savoir comment les choses se sont passées. Si j'ai bien compris, tout s'est passé pour que les vaccins puissent être acceptés plus tôt que ce qui s'est passé en Europe. Dans cette affaire, les services européens ont-ils suivi ce qu'il s'est passé aux Etats-Unis ? Aux Etats-Unis, comme au Canada, il y a eu une vaccination très large de la population, et même un peu forcée. On nous a parlé de ces commandes qui empêchaient que nous en ayons nous-mêmes un nombre suffisant. Etait-ce les mêmes vaccins ou quelque chose d'autre ? Je n'ai pas bien compris.

M. Jean Marimbert - Non, ce n'était pas tout à fait les mêmes vaccins. J'ai un peu esquissé le sujet dans ma présentation tout à l'heure. Le choix qu'ils ont fait aux Etats-Unis est aussi le choix d'extrapoler par rapport aux vaccins classiques utilisés dans le cadre de la grippe saisonnière tous les ans.

Ceci pourrait nous retenir peut-être, au passage, d'un éloge trop rapide des choix américains. Cela veut dire que les vaccins américains sont autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) sans l'once d'un essai clinique, contrairement aux vaccins européens, par simples variations par rapport aux vaccins de la grippe saisonnière : donc sur dossier, sans essai clinique. C'est l'extrapolation pure.

Deuxièmement, aux Etats-Unis, le choix a été fait de vaccins sans adjuvants. Oui, mais il y a eu une conséquence : vous vous souvenez qu'à la mi-octobre, il y a eu un début de panique. On manquait de vaccins. Les gens se sont précipités vers les centres de vaccination, et les autorités, à l'époque, n'étaient pas en mesure de satisfaire rapidement toute la demande. Une des raisons est que le choix avait été massivement celui du non adjuvanté.

On doit produire beaucoup plus d'antigènes pour couvrir le même nombre de personnes - deux à quatre fois plus. Cela met plus de temps de mettre le nombre de doses nécessaires sur le marché. Il y avait un aspect de pari considérable dans le choix des autorités américaines de faire prioritairement - pas tout à fait exclusivement - le choix du sans adjuvant. Si on avait eu un développement épidémique plus radical, avec un taux d'attaque beaucoup plus large que celui qu'on a eu, les difficultés d'approvisionnement auraient pu être importantes et durables.

Je dis cela pas du tout pour critiquer le choix des collègues américains : chacun fait ses choix. Au final, telles que les choses se sont passées, il n'y a pas eu de difficultés majeures, il y a eu une période de pénurie appuyée dans le courant du mois d'octobre, aux Etats-Unis. Je voulais souligner que ces choix ont été différents pour partie, et qu'ils reposaient sur un certain pari de la part des autorités américaines sur le profil d'évolution qu'aurait cette pandémie.

Mme Christiane Kammermann - Je n'ai pas compris quelque chose. Une personne, par exemple, aurait en elle une maladie de sclérose en plaques, qui n'est pas apparue : le vaccin pourrait-il la déclarer ? Le fait de vacciner cette personne pourrait-il déclencher cette maladie ?

M. Jean Marimbert - Tout un débat a eu lieu. On a donné les explications qui nous paraissaient importantes dans le courant de l'automne, deux points principalement.

Premièrement, le syndrome de Guillain-Barré apparaît dans près de trois quarts des cas au décours de syndromes infectieux, grippaux ou paragrippaux. Autrement dit, la grippe ou des syndromes paragrippaux produisent du Guillain-Barré, ce qui d'ailleurs contribue à expliquer, qu'en dehors de toute campagne de vaccination, on ait chaque année en Europe entre deux et quatre cas pour 100 000 de syndromes de Guillain-Barré. Deux tiers à trois quarts des cas sont consécutifs à un épisode infectieux. La grippe produit du Guillain-Barré.

En sens inverse, si j'ose dire, la question scientifique et sanitaire se posait dans les termes suivants : peut-on imaginer que le vaccin lui-même puisse déclencher le syndrome de Guillain-Barré ?

Mme Christiane Kammermann - Ou des scléroses en plaques.

M. Jean Marimbert - C'est très différent. Pour le syndrome de Guillain-Barré, la question a été posée à partir d'un épisode aux Etats-Unis en 1976. On a vacciné massivement la population - plusieurs dizaines de millions de personnes -, et on a constaté, à cette époque, une montée temporaire du nombre de cas de Guillain-Barré. Un certain nombre d'études ont été réalisées ensuite qui tendent plutôt à écarter le lien causal, ou à estimer qu'un effet déclencheur de Guillain-Barré par les vaccins contre la grippe saisonnière, pour lesquels on avait du recul, est très faible ; beaucoup plus faible en termes de pour cent millièmes que le risque que la grippe elle-même produise du Guillain-Barré.

J'ai été amené à dire ceci publiquement. On ne peut pas nier qu'il y ait un petit risque - plutôt du genre du millionième - que la vaccination saisonnière ou H1N1 puisse produire du syndrome de Guillain-Barré. Cependant, on sait que la grippe provoque plutôt deux à quatre cas sur 100 000 de Guillain-Barré.

Mme Christiane Kammermann - Cela peut-il se produire à retardement, c'est-à-dire dans quelques années, comme cela a été dit, dans la mesure où on n'a pas de recul ?

M. Jean Marimbert - Vous interrogerez des médecins sur le sujet, mais tout ce que j'ai lu en tant que non scientifique, c'est que le Guillain-Barré très retardé, comme syndrome neurologique, paraît peu probable.

M. François Autain , président - Comme vous me l'avez suggéré au début de votre audition, je reviens sur l'oseltamivir, puisque la direction générale de la santé vous avez demandé le 3 décembre 2009 d'émettre un avis sur une nouvelle utilisation, une utilisation hors AMM, qui avait l'avantage de permettre aux médecins de prescrire beaucoup plus d'oseltamivir qu'ils n'en prescrivaient habituellement. Je ne dis pas que c'est pour écouler les stocks que nous avons, mais cela avait au moins cet avantage marginal.

Vous avez donc émis cet avis, mais au lieu - comme il m'aurait paru normal, semble-t-il - de saisir la commission d'AMM, puisqu'il s'agit de modification de l'AMM, vous avez saisi le groupe de travail antibiotiques et antiviraux. L'avis que vous avez émis est favorable, bien qu'il soit assorti d'un certain nombre de réserves qui correspondent plutôt à un avis défavorable.

Pourquoi n'avez-vous pas saisi la commission d'AMM ? Pourquoi, pour cette nouvelle utilisation de l'oseltamivir, préconisez-vous que la pharmacovigilance soit assurée par Roche, le producteur de l'oseltamivir, au lieu d'être assurée par la commission qui a été créée à cet effet au sein de votre institution et qui assure cette surveillance pour les prescriptions de l'oseltamivir ?

J'ai une troisième question concernant l'indépendance des experts. Vous avez fait d'énormes progrès dans ce domaine depuis quelques années. Il en reste encore un certain nombre à réaliser. Disposez-vous d'une instance dotée de moyens adéquats pour exercer un contrôle, ne serait-ce que ponctuel, sur la sincérité des déclarations d'intérêts des experts ? Actuellement, il n'y a pas de sanction, ni de contrôle. Les experts sont tous de bonne foi, mais ils peuvent se tromper, faire des erreurs, avoir des oublis. Il serait intéressant que vous puissiez disposer d'une telle instance. Existe-t-elle et de quelle nature est-elle ?

Mme Marie-Christine Blandin - L'AFSSAPS a-t-elle modifié, à la demande du ministère, les dates de péremption d'antiviraux situés dans les stocks, par une analyse ?

M. Jean Marimbert - Je commence par la dernière question qui est factuelle. J'ai fait une petite allusion rapide dans la présentation. Dès avant la pandémie, dans le cadre d'une démarche plus globale, qui est un programme de contrôle des stocks stratégiques, sous l'angle AFSSAPS, contrôle en laboratoire, le ministère nous avait demandé de faire des contrôles pour voir si le Tamiflu, qui faisait partie des stocks de l'Etat et qui était sur le point d'approcher la péremption prévue par l'AMM des cinq ans, était toujours stable, avec une bonne composition, donc valable et utilisable. On a fait des analyses et j'ai pu écrire au directeur général de la santé, en octobre ou novembre 2008, qu'on pouvait porter la péremption de cinq à sept ans. Cela a été validé au niveau européen. L'AMM a été modifiée en mai ou juin 2009 pour porter la péremption de cinq à sept ans. C'est un type d'approche qui peut ensuite être utilisé pour d'autres éléments du stock de l'Etat.

Pour ce qui concerne les recommandations d'usage de l'oseltamivir, je vérifierai, monsieur le président, car mon souvenir n'est pas précis sur ce point. Je ne veux pas donner d'informations inexactes.

M. François Autain , président - J'ai la même source sous les yeux.

M. Jean Marimbert - Je vérifierai ce que vous avez dit. On a consulté le groupe de travail antibiotiques, mais on n'est pas du tout allé en commission d'AMM.

M. François Autain , président - Pourquoi ?

M. Jean Marimbert - Je vais vérifier.

M. François Autain , président - Vous ne pouvez pas me répondre ?

M. Jean Marimbert - Pas tout de suite. Je m'engage à vous répondre le plus vite possible sur cette question. Je ne suis pas sûr de mon fait sur ce point.

Sur le fond, ce qui est essentiel, c'est que nous avons donné cette position le 7 décembre, dans un contexte qu'il faut rappeler. Nous sommes avant le pic pandémique, avant le début de la baisse, qui ne va commencer à se manifester que mi-décembre ou troisième semaine de décembre, à un moment où cela continue à monter.

M. François Autain , président - On savait ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud. On savait très bien que ce n'était pas exceptionnel.

M. Jean Marimbert - Pourquoi l'Agence est-elle saisie dans ce contexte ? Nous avions discuté en son sein d'une possible évolution des recommandations d'usage pour permettre un usage de type préemptif, c'est-à-dire un usage en prévention, notamment pour des personnes qui sont au contact de personnes ayant le virus ou étant fortement suspectées de l'avoir.

M. François Autain , président - Cela permet de multiplier la prescription par trois ou quatre.

M. Jean Marimbert - La prescription, auparavant, se faisait à demi-dose. Le préemptif était de dire : dose complète pour ces catégories de personnes. L'Agence est saisie pour donner son avis. Sur la base de la proposition du groupe, comme d'ailleurs en interne - les experts internes - l'avis a été favorable. Pourquoi favorable ? L'argument était de dire : cela peut présenter l'avantage de diminuer les résistances, même s'il y en a peu. De façon générale, les traitements préemptifs ou prophylactiques sont généralement à dose curative complète et non pas à demi-dose.

En revanche, on a souligné - je pense que vous faisiez allusion à cela, monsieur le président, pour cette note - qu'il faut prendre en compte le risque de toxicité. Les experts que nous avons consultés, dans le cadre du groupe, ont considéré que ce risque de toxicité n'était pas tant, de leur point de vue, lié à la dose à donner pendant cinq jours qu'à la durée du traitement. Ils ont clairement dit qu'ils étaient d'accord pour le passage à une dose complète, à condition que le traitement soit limité à une durée de cinq jours, pour se prémunir contre d'éventuels risques de toxicité qui seraient plutôt « durée dépendante » que « dose immédiate dépendante ». J'ai repris cet avis.

Pour la pharmacovigilance, j'ai écrit dans cette note - nous avons les mêmes sources - que l'on allait demander un suivi détaillé de pharmacovigilance à la firme. Il ne faut pas prendre tout au pied de la lettre.

M. François Autain , président - Ce n'est pas terrible. Ce sont des exclusivités.

M. Jean Marimbert - Non, pas du tout, c'est une interprétation. Je rappelle simplement qu'il y a une responsabilité de base du producteur en matière de pharmacovigilance. Il faut la garder. Il faut surtout que les laboratoires ne désinvestissent pas dans leur système interne de pharmacovigilance. Il fait partie de leurs obligations de contribuer à suivre les effets indésirables des produits qu'ils mettent sur le marché. Nous nous rejoindrons peut-être sur ce point, monsieur le président. La pharmacovigilance ne saurait reposer uniquement sur les déclarations des laboratoires.

Il y a d'abord la déclaration par les professionnels de santé. C'est extrêmement important. Elle est, vous le savez, non négligeable en milieu hospitalier. Elle est beaucoup plus limitée, il est vrai, en ville ; il faut le reconnaître. Nous avons des progrès à faire sur ce point. Par ailleurs, il y a la déclaration par les patients qui ont leur mot à dire.

M. François Autain , président - Je crois que cela a été voté.

M. Jean Marimbert - Vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Il s'agit de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).

M. François Autain , président - C'est très récent. Cela a été très difficile.

M. Jean Marimbert - Le législateur, en 2009, dans la loi HPST a voté l'obligation d'organiser une pharmacovigilance « patients ». Nous y travaillons - soyez-en sûr - de façon générale. La pandémie nous a servi de banc d'essai. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cela a donné des résultats assez intéressants : près d'un quart des signalements nous sont venus par le canal signalement patient.

M. François Autain , président - Je considère que vous ne voulez pas me répondre sur cette question : avez-vous une instance qui permette de contrôler la sincérité ?

M. Jean Marimbert - C'est une omission. Ce n'est pas un acte manqué. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir donné acte aux équipes de l'Agence des efforts que nous avons faits depuis quelques années.

M. François Autain , président - Ce n'était pas difficile, il n'y avait rien.

M. Jean Marimbert - En tout cas, j'en prends acte. Je le prends comme un encouragement pour faire encore mieux.

M. François Autain , président - C'est ainsi qu'il faut le prendre.

M. Jean Marimbert - Il y a encore des progrès à faire, nous ne le cachons pas. Je suis d'accord, pour avoir été longuement auditionné par la commission à deux reprises en 2005 et 2008. Je me permets aussi de dire que cela a été un aiguillon pour nous, c'est indéniable. La décision stratégique de la mise en ligne des comptes rendus de pharmacovigilance, je l'ai prise avant, car les auditions de 2006 que vous avez pratiquées ont achevé de me convaincre de la nécessité d'une plus grande transparence. C'est une exigence aujourd'hui. Si on veut être plus crédible, il faut montrer comment on travaille, sans cacher les progrès qu'on a encore à réaliser.

M. François Autain , président - La transparence ne suffit pas.

M. Jean Marimbert - Monsieur le président, je n'ai pas encore totalement répondu à votre question. La déclaration que j'ai là, que nous faisons signer aux experts, est une déclaration sur l'honneur. Cela veut dire ce que cela veut dire. Si un expert ne déclare pas des éléments et des liens, c'est une faute.

M. François Autain , président - Il n'y a pas de sanction.

M. Jean Marimbert - Si.

M. François Autain , président - Avez-vous sanctionné des experts ?

M. Jean Marimbert - Il m'est déjà arrivé d'inviter les experts à venir dans mon bureau et de leur dire : « voilà ce qui s'est passé ». Je n'ai jamais été confronté à des déclarations mensongères. J'ai été confronté à des retards de production de déclaration. Ils peuvent encore exister. L'Agence avait, en l'an 2000, 84 % de taux de déclaration. Nous en avions 99 % en 2008. Ce n'est pas encore assez. Il faut aller aux 100 %.

M. François Autain , président - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Sur les 99 %, il y en avait qui dataient de deux ans.

M. Jean Marimbert - Vous avez raison. Nous avons encore des retards de déclaration. A partir de maintenant, en tant que directeur général, je demande à avoir des indicateurs en cours d'année sur les taux de déclaration. C'est la raison pour laquelle j'ai adressé un courrier au président de la commission d'AMM et à tous les présidents de groupe, il y a encore quinze jours, trois semaines, à l'occasion de leur nomination, leur rappelant les trois ou quatre règles absolument essentielles sur les conflits d'intérêts. Il disait en substance : vous êtes comptables, avec nous, avec la direction générale, avec les équipes de l'Agence, mais vous, en tant que président d'une instance, vous êtes comptable du bon respect de toutes ces règles qui doivent être appliquées.

M. Jean-Jacques Jégou - Je voudrais, monsieur le directeur général, revenir sur les réponses que vous avez faites à Mme Marie-Christine Blandin. C'est parfaitement exact que l'AFSSAPS a fait un travail en réponse à la question du gouvernement relative à la péremption du Tamiflu. Il est vrai, comme j'ai pu le constater, lors de ma mission de contrôle sur l'EPRUS, que vous avez envoyé une lettre indiquant que la molécule était intacte cinq ans après et qu'on pouvait prolonger de deux ans sa durée de validité, d'où une réaction mitigée d'ailleurs du laboratoire concerné, pour des raisons qu'on peut imaginer. Il n'y a pas eu cependant de décision prise sur les questions d'étiquetage. Il en est de même pour les masques. Je suis cela avec attention.

Indépendamment de la pandémie, quelles vont être les conséquences concernant ce que vous avez indiqué sur la possibilité de prolongation du Tamiflu ? Quelle va être la réaction d'un de nos concitoyens si, en cas de besoin, on lui remet une boîte sur laquelle la date serait périmée ?

Peut-être ne suis-je pas tout à fait en face du bon interlocuteur, mais peut-être aurez-vous un avis sur ce point : je m'étonne tout de même qu'on ait stocké autant de millions de traitements et que les personnes touchées par la grippe A (H1N1)v aient reçu peu de Tamiflu. Avez-vous un avis sur ce point ?

Dans le cadre de mon rapport, je m'étais renseigné pour savoir si le Tamiflu est efficace. Certains m'ont dit oui, d'autres non. Il fallait, en tout cas, le prescrire très vite sinon il n'avait pas d'efficacité.

Il paraît que 5 millions de nos concitoyens ont été touchés par la grippe A (H1N1)v. Je ne vois pas d'ailleurs comment on peut les compter puisqu'on n'a pas fait de déclaration, mais on peut l'estimer. En tout cas, si 5 millions de nos concitoyens ont été touchés, pourquoi n'y a-t-il pas eu plus de prescription de Tamiflu dans ce cas ?

M. Jean Marimbert - Sur le premier point, il est clair que si une péremption est allongée, sur la base d'un avis de laboratoire qui montre que le produit est bon pour l'usage au-delà de sa péremption initiale, il n'est pas concevable que le produit soit distribué, sans que l'utilisateur, que ce soit le professionnel de santé ou le patient lui-même, ait une information qu'il est valable sept ans et non pas cinq ans.

Cela peut poser des problèmes logistiques, vous avez raison. Parfois on les résout. Ceci nous est arrivé pour d'autres médicaments que ceux qui sont dans le stock de l'Etat par un système de stickers. Quand on ne peut pas refaire le conditionnement très vite, on met un sticker sur le conditionnement extérieur et, éventuellement sur le conditionnement intérieur si on veut aller jusqu'au bout, qui indique la modification, c'est-à-dire que c'est valable jusqu'à telle date et non pas telle date. C'est difficile, mais ce n'est pas complètement insurmontable.

Votre deuxième question est la suivante : pourquoi une prescription relativement limitée pendant la pandémie ? Vous avez vous-même apporté certains éléments de réponse. Le discours sur le Tamiflu, y compris le discours public, de manière générale, - je ne parle pas de l'usage pour les formes graves, car c'est un autre sujet - était un discours qui a toujours été nuancé, consistant à dire : cela peut être utile, mais cela ne l'est que s'il est utilisé très vite, c'est-à-dire dans les quarante-huit heures maximum après l'apparition des signes cliniques. Encore faut-il que le médecin soit amené à intervenir moins de quarante-huit heures après l'apparition des signes cliniques.

On m'a prescrit une fois du Tamiflu dans ma vie. J'ai fait une grippe le premier jour d'une semaine de vacances, malheureusement. J'étais dans le premier jour des signes cliniques. Je pense que les médecins avaient bien intériorisé ce message. Cela pouvait les amener, dans un certain nombre de cas, surtout si le patient venait après plusieurs jours, à ne pas leur prescrire de Tamiflu dans ces conditions.

Il y a aussi d'autres médicaments pour traiter les symptômes. Le discours n'a jamais été univoque sur le Tamiflu. C'est une explication, beaucoup plus qu'une crainte pour la sécurité du produit. Les éléments qu'on a encore aujourd'hui sur la sécurité du produit ne sont pas particulièrement inquiétants en pharmacovigilance. Je pense que d'autres personnes, plus compétentes que moi, pourront donner des éléments d'explication à cette consommation assez faible de Tamiflu. Cela ne m'étonne pas tant que cela.

M. François Autain , président - Monsieur le directeur général, je tiens à vous remercier pour avoir répondu complètement à toutes les nombreuses questions qui vous ont été posées. Je remercie aussi les collègues de l'attention qu'ils ont portée à votre intervention.

Audition de Mme Françoise WEBER, directrice générale,
et de M. Jean-Claude DESENCLOS, directeur scientifique,
de l'Institut de veille sanitaire (InVS)
(mercredi 24 mars 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Françoise Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire (InVS) et M. Jean-Claude Desenclos, directeur scientifique de l'InVS que nous allons entendre sur le bilan épidémiologique, en France, de la grippe A (H1N1)v et sur les résultats des mesures prises pour la combattre.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Françoise Weber et M. Jean-Claude Desenclos prêtent serment.

M. François Autain , président - Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire. Vous aurez ensuite à répondre aux questions de notre rapporteur Alain Milon et des membres de la commission ici présents. Madame la directrice générale, vous avez la parole.

Mme Françoise Weber - Merci beaucoup monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs. Vous m'avez proposé d'intervenir brièvement en préliminaire à cette audition. Je souhaite essentiellement éclairer la commission en lui apportant quelques éléments sur le déroulement de la pandémie et sur son bilan.

Il est important au préalable de rappeler quelles sont les missions de l'Institut de veille sanitaire, missions définies par la loi de 1998 puis de 2004. C'est, d'une part, la surveillance permanente de l'état de santé de la population et, d'autre part, la veille et l'alerte sur les menaces sanitaires, quelle qu'en soit la nature.

Comment travaillons-nous ? Nous nous basons sur l'analyse et la synthèse permanente et réactive des données épidémiologiques. Nous recueillons ces données dans le cadre de nos activités de veille et de surveillance nationale et internationale, et au travers de réseaux de surveillance, d'études épidémiologiques et de la littérature scientifique. Il est très important que nos sources soient parfaitement claires.

L'expertise de l'InVS est une expertise interne, menée par les agents de l'InVS qui sont épidémiologistes, biostatisticiens ou experts en santé publique. Dès le 23 avril 2009, l'InVS a été fortement mobilisé par la pandémie. Il a alerté les pouvoirs publics, documenté, analysé et évalué la menace en permanence. C'est sur la base de ce travail qu'il a appuyé les autorités de santé pour la gestion de la crise.

Une de ses missions clés était notamment de réévaluer très régulièrement les hypothèses, les scénarios possibles et plausibles pour l'évolution de cette pandémie, ceci dans le but d'aider les pouvoirs publics à décider des mesures de prévention et de préparation du système de soins à la prise en charge des malades. C'était un des objectifs principaux.

Mesdames et messieurs les sénateurs, pour répondre aux questions qui vous occupent, il me paraît également important de rappeler comment ont évolué, au cours du temps, les connaissances et les estimations de l'impact plausible de cette pandémie. Il faut rappeler au préalable que le potentiel évolutif des virus grippaux est immense. Ceci rend l'évolution des pandémies grippales extrêmement difficile, voire impossible à prévoir. Je crois que d'autres experts se sont largement exprimés sur ce sujet.

Ainsi, si les pandémies qui sont survenues au XX e siècle ont eu un taux d'attaque à peu près identique, de l'ordre de 25 %, leurs niveaux de létalité, c'est-à-dire le nombre de décès par rapport au nombre de malades, ont été très différents. La pandémie la plus grave a été celle de 1918, qui a tué à peu près 1 % de la population européenne. La moins grave a été celle de 1968-1969 qui a, malgré tout, entraîné un excès de 20 à 30 000 décès en France. Il est à noter que la plus grande partie de cette mortalité n'a pas eu lieu en 1968, mais en 1969 et au début de 1970. Le comportement des pandémies est extrêmement variable et difficile à prévoir.

Depuis la fin d'avril 2009, comment a évolué la connaissance que nous avions de cette pandémie ?

On peut décrire cette évolution en trois phases.

Tout d'abord, une première phase, entre avril et septembre, pendant laquelle certaines caractéristiques de la pandémie se sont dégagées assez rapidement, alors que son évolution possible restait très difficile à prévoir. On a constaté assez rapidement qu'il s'agissait bien d'une pandémie, au sens scientifique et épidémiologique du terme, c'est-à-dire que c'était un virus nouveau qui s'est répandu très rapidement sur tous les continents. Il se transmettait de plus très aisément chez les jeunes. C'était donc bien une pandémie.

En mai, les premières données en provenance du Mexique, fortement touché, évoquent un taux d'attaque et une létalité supérieurs à la grippe saisonnière. On n'en sait pas beaucoup plus à ce moment-là. Dès le mois de juin, il se confirme que la majorité des cas sont bénins et que la létalité est du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. La pandémie est qualifiée de « modérément grave » sur l'échelle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

A ce moment-là, on peut abandonner les hypothèses les plus pessimistes. Il se confirme néanmoins, au même moment, que certaines populations sont touchées par des formes beaucoup plus graves, plus sévères que celles de la grippe saisonnière, notamment les femmes enceintes et les adultes de moins de 65 ans, avec ou sans facteurs de risque. En France, les premiers cas très sévères, nécessitant un recours prolongé à l'oxygénation extracorporelle, sont rapportés fin juin.

On a un double tableau, celui d'une pandémie modérément grave du point de vue populationnel, et néanmoins une proportion que l'on ne connaît pas de cas sévères, qui commencent à apparaître et qui nécessitent des mesures de réanimation extrêmement lourdes, que l'on n'utilise pas habituellement au moment de la grippe saisonnière, en particulier l'oxygénation extracorporelle.

Il est à noter qu'on ne peut à ce stade abandonner l'hypothèse selon laquelle une létalité même identique à celle de la grippe saisonnière, si elle s'appliquait à un taux d'attaque important, conduirait à un nombre de cas graves et de décès très important. Le dénominateur du nombre de malades augmentant, la même proportion de décès et de cas graves donnerait un nombre extrêmement important de patients en réanimation, avec des mesures de réanimation très lourdes et des décès. Voilà où nous en étions cet été.

A partir de septembre, nous avons abordé une seconde phase, au cours de laquelle nous avons vu se préciser les projections, notamment sur les caractéristiques des cas graves, mais où des inconnues persistaient.

Nous avons pu préciser certains paramètres sur la base des données internationales les plus récentes, notamment des observations réalisées au cours de l'hiver austral et de l'épidémie estivale aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Mais les données recueillies au cours de ces épisodes ne permettent toujours pas de faire une projection univoque sur la sévérité de la vague à venir dans l'hémisphère Nord.

Par exemple, le taux d'hospitalisation était de 3 pour 100 000 aux USA, de 22 pour 100 000 en Nouvelle-Zélande et de 19 pour 100 000 en Australie. Ce taux d'hospitalisation semble croître. On ne sait pas s'il va rester stable ou s'il va continuer à croître, voire devenir exponentiel.

Il persiste également des inconnues sur le comportement de la pandémie lors de son passage hivernal dans l'hémisphère Nord, parce que le virus peut évoluer ou muter entre les deux hémisphères. On a vu, lors des pandémies précédentes, des aggravations entre l'hiver austral et celui de l'hémisphère Nord. Fin septembre, en France, néanmoins, comme dans les autres pays, ce sont les valeurs les plus basses des hypothèses de gravité d'une pandémie qui sont retenues comme les plus plausibles.

La troisième phase est celle de la précision de l'ensemble des paramètres, et notamment du taux d'attaque. Nous pouvons établir cette précision à partir des observations réalisées à partir de la seconde quinzaine de novembre, c'est-à-dire du pic dans la plupart des pays européens. Jusqu'à ce pic, nous voyons une épidémie croître, mais nous ne savons pas jusqu'où elle allait croître. Nous ne disposons d'aucun élément pour savoir jusqu'où elle allait croître, sachant que l'ensemble des pays européens, à quinze jours près, évoluait de la même façon.

Nous avons pu finalement conclure que l'impact de la pandémie resterait, pour cette première vague, en deçà de toutes les projections réalisées, y compris les plus récentes, et on ne peut que s'en réjouir. Nous pourrons revenir ultérieurement, monsieur le président, sur les facteurs qui ont joué un rôle dans cette évolution favorable.

Quel est précisément le bilan que nous pouvons faire aujourd'hui de cette vague hivernale en France ?

Lorsqu'on la compare à l'épidémie saisonnière la plus forte de ces dix dernières années - celle de 1999-2000 -, elle a été plus précoce, un peu plus longue et d'intensité légèrement supérieure. Son impact a été particulièrement important chez les enfants.

Autre caractéristique : les formes asymptomatiques ou peu symptomatiques ont été, probablement, plus nombreuses que pendant la grippe saisonnière. Le nombre de personnes atteintes par le virus, symptomatique ou non, pouvait être estimé en janvier entre 8 et 15 millions de personnes, soit entre 12 et 24 % de la population. Si on ajoute environ 5 millions de personnes protégées par la vaccination, ce sont 13 à 20 millions de personnes qui seraient aujourd'hui immunisées, soit entre 20 et 30 % de la population française, proportion à laquelle on doit ajouter une partie importante des personnes âgées de plus de 50 ans dont on sait maintenant qu'elles étaient d'emblée protégées.

En ce qui concerne les hospitalisations et les formes graves qui constituent une des caractéristiques de cette pandémie, le nombre d'hospitalisations parmi les consultations des services d'urgence a été multiplié par huit par rapport à la saison grippale précédente. L'amélioration du codage intervient probablement pour une part dans cette progression, néanmoins c'est un nombre beaucoup plus important que pour une grippe saisonnière.

La distribution des âges des personnes hospitalisées est aussi très différente de celle qu'on observe en grippe saisonnière, avec une augmentation portant essentiellement sur les tranches 10-19 ans et 20-64 ans.

Le nombre de patients admis en soins intensifs et en réanimation est estimé à au moins 1 330, chiffre en cours de consolidation, mais d'ores et déjà très supérieur à ce qui est observé en période de grippe saisonnière. Nous pourrons revenir sur ces chiffres. Il atteste d'une sévérité particulière du virus A (H1N1)v 2009 par rapport au virus saisonnier, avec une fréquence beaucoup plus importante de syndromes de détresse respiratoire aiguë, liés directement au virus, et de la nécessité du recours à l'oxygénation extracorporelle.

Enfin, 20 % des personnes hospitalisées en unités de soins intensifs ou de réanimation ne présentaient pas de facteurs de risque, et l'âge de ces patients était beaucoup moins élevé qu'avec la grippe saisonnière.

Le nombre des décès notifiés à ce jour comme directement liés à la grippe est de 310. Ce chiffre ne prend cependant pas en compte un grand nombre des décès, notamment ceux qui sont survenus hors établissements de santé, ou ceux qui ont été causés indirectement par le virus chez des personnes porteuses d'affections chroniques. C'est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas comparer ces 310 décès aux 2 000 à 6 000 qui sont enregistrés chaque année avec la grippe saisonnière.

M. François Autain , président - Ils ne sont en effet pas comparables.

Mme Françoise Weber - On peut cependant mettre en perspective cette pandémie par rapport aux 2 000 à 6 000 morts, à l'excès de mortalité habituelle de la grippe saisonnière. Je pourrais, monsieur le président, vous montrer tout à l'heure comment on peut approcher cette comparaison aux 2 000 à 6 000 morts.

Nous avons 310 décès directs qui sont notifiés, ceux-là chez des patients qui étaient en réanimation et qui ont fait des grippes extrêmement sévères, nécessitant des moyens de réanimation très lourds, voire des patients qui sont décédés pour certains à domicile.

Seules des études menées a posteriori permettront d'estimer précisément la part de la mortalité attribuable directement ou indirectement au virus. C'est ce que l'on fait d'ailleurs pour les épidémies saisonnières. On ne compte pas sur le moment les 2 000 à 6 000 morts ; c'est toujours un travail rétrospectif. Nous pourrons revenir sur ce sujet.

On peut néanmoins, d'ores et déjà, dire que cette mortalité a été plus faible que celle envisagée par tous les scénarios. Je crois qu'on peut aujourd'hui l'affirmer.

M. François Autain , président - On peut le dire.

Mme Françoise Weber - On peut le dire, ces données nécessitant néanmoins d'être consolidées. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de mortalité. Encore une fois, j'aurai l'occasion d'y revenir. Les données rassurantes sur l'impact épidémiologique de la première vague se sont accumulées progressivement au cours du temps. En France, comme dans la plupart des pays, le bilan se révèle en deçà des estimations de septembre 2009, malgré une sévérité particulière, très différente par ses formes physiques de celle de la grippe saisonnière, et surtout touchant une population beaucoup plus jeune.

Que faut-il attendre des mois qui viennent ? Compte tenu du bilan que je viens d'esquisser, notamment du taux estimé d'immunisation de la population et des données les plus récentes de la littérature internationale, et à condition que le virus reste stable dans les mois qui viennent, la survenue d'une épidémie de grande ampleur apparaît très peu probable avant l'hiver prochain. Des foyers localisés dans des groupes de population peu immunisés ne peuvent néanmoins être totalement exclus.

En ce qui concerne la prochaine saison grippale, sur la base de l'expérience des pandémies précédentes, l'hypothèse la plus probable est que le virus A (H1N1)v 2009 circulera à nouveau. L'ampleur de sa circulation et de celle des autres virus, ses caractéristiques de sévérité ne peuvent toutefois pas être précisées à ce jour.

C'est donc un scénario pandémique particulièrement favorable qui s'est déroulé jusqu'à présent. Il est néanmoins nécessaire de rester toujours extrêmement vigilant, car il peut évoluer encore entre son premier passage et son retour dans l'hémisphère Nord. L'InVS maintient une vigilance élevée sur cette menace, comme il le fait sur les quelque 90 alertes qu'il traite chaque année. Il faut aussi préciser qu'il reste tout aussi mobilisé sur des menaces moins visibles et de plus long terme, que ce soit en matière de maladies chroniques, de menaces environnementales ou d'alertes infectieuses.

M. François Autain , président - Merci, madame la directrice générale. Maintenant nous allons pouvoir poser les questions et je vais donner la parole à monsieur le rapporteur.

M. Alain Milon , rapporteur - Madame la directrice générale, j'ai quatre questions à vous poser.

Première question : l'Institut de veille sanitaire (InVS) a réalisé avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en septembre 2008, des modélisations des effets du vaccin pandémique H5N1. Ces modélisations ont été un des éléments pris en compte pour mesurer l'intérêt du recours à la vaccination contre le virus H1N1 et l'ampleur qu'elle devrait prendre selon le temps écoulé depuis le début de l'épidémie.

Pourriez-vous nous dire si ces modélisations, dont le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait relevé dans son avis du 26 juin 2009 les «aléas potentiels», ont été confirmées par les faits ? Quels étaient les effets estimés sur la pandémie en cas de vaccination de l'ensemble de la population après le début de la pandémie en France ?

Deuxième question : dès le mois de juin, le HCSP soulignait que la morbidité et la létalité de la grippe A (H1N1)v étaient modérées et proches de celles de la grippe saisonnière. Peut-on affiner cette comparaison entre la grippe A (H1N1)v et les grippes dites saisonnières, dont la sévérité est d'ailleurs très variable ?

Troisième question : comment expliquez-vous que, malgré des stratégies, notamment vaccinales, très différentes selon les pays, la grippe A (H1N1)v ait revêtu à peu près partout les mêmes caractères, tant en ce qui concerne la bénignité et la forte contagiosité du virus, que le taux d'attaque, la létalité et la durée de l'épidémie ?

Enfin, les mesures prises dans le cadre de la préparation à une éventuelle pandémie H5N1 ont certainement permis d'accélérer la mise au point de la réponse vaccinale à la grippe A (H1N1)v. Malgré cela, même dans les pays qui ont consenti de très importants efforts pour mettre en place la vaccination dans les plus brefs délais, le virus a été plus rapide que le vaccin.

Cette constatation ne doit-elle pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la « réponse vaccinale » aux pandémies grippales, d'autant plus que l'efficacité clinique des vaccinations antigrippales est, semble-t-il, relative ? Dans quelles voies devrait, selon vous, s'orienter la recherche d'une réponse efficace aux pandémies grippales ?

Mme Françoise Weber - En ce qui concerne les modélisations - sur lesquelles je demanderai au directeur scientifique de l'Institut de veille sanitaire de nous apporter des précisions - je crois que les termes « aléas potentiels » sont tout à fait adaptés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les modélisations s'appliquent à un virus grippal, qui est un des virus qui a le plus grand potentiel de variabilité et de mutation.

Les travaux que nous menons et que nous réalisons avec l'INSERM, notamment ceux que nous avons réalisés dans le cadre de la pandémie H5N1, s'appuient essentiellement sur l'expérience que nous avons des pandémies précédentes, de la grippe saisonnière et tous les enseignements que nous avons pu en tirer. Mais nous n'avons pas tous les modèles existants ni toutes les hypothèses. A chaque fois que ces modélisations sont effectuées, il est rappelé que ce ne sont que des hypothèses basées sur ce que nous savons du virus. L'expérience a montré encore une fois que le virus avait des potentiels extrêmement variés. Je vais laisser la parole à M. Jean-Claude Desenclos qui souhaite commenter ce point.

M. Jean-Claude Desenclos - Dans ces situations, en France comme dans beaucoup d'autres pays, la modélisation est surtout utilisée pour analyser l'impact relatif de différents scénarios de couverture vaccinale et de combinaison de différentes stratégies - si on associe de la prospective, du traitement, de la vaccination - et montrer à partir de quand cela reste relativement efficace.

Dans la perspective du H5N1, cette modélisation a été faite pour voir si cela paraissait légitime, sur la base d'hypothèses, de recommander ou non, pour le Haut Conseil de la santé publique, l'acquisition d'un stock de vaccins H5N1.

D'après ce que je sais, et malgré ces aléas qui ont été mentionnés, cela a aidé le Conseil à s'orienter vers la décision de recommander la constitution progressive d'un stock de vaccins H5N1.

Comme le virus H1N1 semblait présenter, d'après les premières données en provenance du Mexique, des caractéristiques de transmissibilité proches de celles du virus H5N1 - je ne parle pas de sa gravité - cet investissement, qui avait eu lieu avant, a été réutilisé pour aider à la décision, parmi d'autres éléments. Car un modèle ne permet pas de prédire ; il permet, sur la base d'hypothèses consenties et partagées, dans une perspective d'aide à la décision, d'aider ou de formaliser la démarche, de comprendre un peu comment on peut comparer différentes stratégies.

Dans un modèle, on ne connaît pas l'efficacité des vaccins. On fait des hypothèses sur cette efficacité. Après il y a différentes orientations. Soit on se dit qu'on va vacciner pour réduire la transmission - dans ce cas-là, on vise les enfants jeunes - soit on protège les personnes les plus fragiles. Ce qui sort du modèle n'est que le reflet de ce que l'on met dans le modèle.

L'efficacité clinique du vaccin n'est actuellement pas connue. Des travaux ont été faits, ils ne sont pas encore publiés au niveau européen. On essaie de voir si ceux qui sont vaccinés contractent beaucoup moins souvent la maladie. Nous n'avons pas encore les résultats. Nous ne pouvons pas les inventer avant, nous sommes donc obligés de faire des hypothèses. Même sur une base d'une inefficacité vaccinale de 30 ou 40 %, on a un gain, dans un scénario grave, en termes de prévention et de nombre d'hospitalisations, d'écrêtage du pic et de décès évités, pour peu qu'on puisse vacciner avant, ce qui est très intéressant par rapport à des stratégies collectives.

M. Alain Milon , rapporteur - Ma question ne concernait pas la vaccination avant, mais après le début de la pandémie.

M. Jean-Claude Desenclos - Après le début de la pandémie, on ne peut plus agir sur la transmission. Il faut vacciner les populations connues comme étant les plus fragiles. C'est ce qui a été fait en France et dans tous les pays européens. C'est probablement une des raisons qui expliquent, pour répondre à une autre question, que les stratégies vaccinales ont été différentes, avec des niveaux de vaccination différents. Elles ont toutes débuté alors que la pandémie était commencée ou était en train de se terminer. Clairement, elles n'ont pas pu avoir d'effets sur la première vague pandémique, ou alors très peu d'effets.

Mme Françoise Weber - Il faut peut-être rappeler que la vaccination a deux objectifs : le premier est un effet barrière. Une vaccination qui se ferait, pour la majorité de la population, au moment où l'épidémie est en train de croître, n'a pas, ou de façon très limitée, cet effet barrière.

Le deuxième objectif est un effet de protection individuelle des patients qui sont la cible de la maladie. Que ce soit pour la méningite en Seine-Maritime ou pour n'importe quelle autre maladie infectieuse qui menace une population, on va chercher à protéger la population-cible. Pour la grippe saisonnière, on connaît bien cette population : ce sont les patients porteurs d'un certain nombre de facteurs de risques, immunodépression, maladies respiratoires, et les patients de plus de 65 ans. On vaccine cette cible.

Avec cette pandémie, le problème est que la population-cible - surtout au moment où on n'avait pas identifié l'immunité préalable forte des sujets âgés - était les gens avec des facteurs de risques, mais aussi avec des facteurs de risques nouveaux qu'on n'arrivait pas très bien à comprendre, comme les populations indigènes en Amérique ou dans le Pacifique ; par ailleurs, pour 20 %, des personnes sans aucun facteur de risque se retrouvaient en réanimation dans des états très graves ou décédaient très rapidement.

La population-cible, c'était quasiment toute la population, si on prend en compte ces 20 % de sujets jeunes sans facteur de risques.

M. Alain Milon , rapporteur - Madame la directrice générale, vous nous dites que la nouveauté du virus est un élément de définition de la pandémie, et vous nous parlez en même temps de populations qui sont immunisées pour avoir été en contact avec des virus sensiblement identiques. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et où il y a nouveauté ?

Mme Françoise Weber - Nous nous sommes rendu compte qu'une partie de la population disposait d'une immunité préalable, non pas parce qu'elle avait rencontré ce virus qui est vraiment nouveau, - c'est un virus réassortant, qui n'existait pas - mais, probablement, par immunité croisée, suite à un contact avec un autre virus H1N1, voire avec un autre virus grippal qui aurait certaines caractéristiques communes avec ce virus.

Il est beaucoup trop tôt pour comprendre cette immunité croisée. Cela a été probablement une des raisons pour lesquelles cette pandémie a été très en deçà de tous les modèles de pandémie dont nous disposions : nous n'étions pas en face d'une population totalement non-immune par rapport à ce virus. Il était impossible de prévoir ceci au moment où le virus est apparu : c'est quelque chose qu'il est très important de prendre en compte. Nous avons mis du temps à consolider cette donnée.

M. Jean-Claude Desenclos - La population protégée par la circulation d'un virus, dont celui-ci descend, est la population de plus de 50 ans ; cela commence peut-être même avant 50 ans. Ainsi, les plus de 65 ans et les très âgés ont très peu fait de grippe à cause de ce virus, mais quand ils en faisaient une, ils décédaient plus que les autres groupes d'âge. Le fait qu'il y ait eu très peu de malades dans cette population âgée a limité énormément les décès et contribué probablement, pour une grande part, à une mortalité beaucoup plus faible que lors des grippes saisonnières.

Mme Françoise Weber - Ai-je répondu à la deuxième question, monsieur le rapporteur ? Peut-être, monsieur le président, souhaitez-vous avoir des précisions sur la mortalité ?

M. François Autain , président - Concernant la mortalité, on ne peut pas, si j'ai bien compris, se référer à la létalité enregistrée et évaluée chaque année, dans des conditions assez mystérieuses, pour la grippe saisonnière. Ce sont des chiffres et des fourchettes assez variables. J'aurais voulu savoir, en ce qui concerne cette grippe, selon quelles références évaluer la létalité ?

J'ai constaté, par exemple, que la courbe de mortalité totale enregistrée pendant l'épidémie de grippe A (H1N1)v ne révèle pas de surmortalité, contrairement à ce qui a été observé lors de la grippe saisonnière 2008-2009. J'ose à peine vous poser la question. Tout à l'heure, vous avez dit qu'on ne pouvait plus se référer à quelque chose.

J'aimerais que vous me donniez, malgré tout, quelques conclusions à tirer. Il paraît que c'est tout à fait nouveau. Nous avons un chiffre de quelque trois cents morts. C'est un début. Il nous servira certainement de référence dans les années qui viennent. C'est une ère nouvelle qui s'ouvre en quelque sorte.

On avait par le passé une connaissance différente, partielle, incomplète. C'est maintenant qu'on commence à pouvoir déterminer exactement la létalité en termes de causalité liée au virus lui-même.

Quelles raisons avons-nous de n'être pas rassurés ? Parce que, si j'ai bien compris, nous avons « mangé notre pain blanc ». Vous avez cité des exemples où les deuxième et troisième vagues étaient plus graves que les premières.

Je voulais savoir si, malgré tout, on n'avait pas là affaire à une grippe moins grave. Elle a ses caractéristiques, comme vous l'avez dit : elle ne frappe pas les mêmes catégories d'âge, il y a eu plus de personnes en réanimation. Mais en tout cas, en termes de mortalité, on a observé un taux très faible. Je dirais même qu'il le serait encore plus, si on connaissait exactement le dénominateur, c'est-à-dire le nombre effectif de personnes ayant contracté la grippe A (H1N1)v, qui paraît singulièrement difficile à évaluer, parce qu'il y a beaucoup de grippes asymptomatiques, on l'a dit.

Ce sont des éléments qui nous semblent intéressants à prendre en considération pour établir une comparaison entre ce qui s'est passé cet hiver, ce qui va se passer et ce qui s'est passé au cours des années précédentes. Vous avez sous-estimé, me semble-t-il, dans votre exposé, l'exemple incomparable que pouvait constituer pour nous le fait que les pays de l'hémisphère austral étaient touchés avant nous.

Nous avions là une référence qu'eux, en particulier, n'avaient pas. Je ne suis pas sûr qu'on en ait tiré toutes les conséquences sur le plan des mesures à prendre. Je n'ai pas perçu qu'on avait baissé la vigilance, à partir du moment où on était assuré, pratiquement, que la grippe se déroulerait dans notre pays sur le même mode que dans les pays australs. En particulier, on l'a vu : dix-sept semaines, le pic, c'est tout. Il n'y a pas encore deux vagues. Vous considérez qu'il y a eu une vague seulement.

Tout le monde attend la deuxième vague. Les virologues s'étaient trompés en prédisant 60 000, 30 000 décès. Ils se sont dits : heureusement, il va y avoir peut-être une deuxième vague, une troisième vague.

On nous l'a promise en février. Elle n'a pas eu lieu. On nous l'a promise en mars, mais mars n'est pas terminé. Ils sont moins nombreux à nous la promettre pour avril, et je n'ai entendu personne nous la promettre pour le mois de mai.

Je me méfie, et je me méfie d'autant plus des virologues qu'ils disent tous que la grippe est imprévisible, mais ils ne peuvent pas s'empêcher de faire des prévisions ! Il y a là aussi un paradoxe.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Je voudrais savoir si les hypothèses de modélisation que vous avez faites au sein de votre Institut ont été réalisées en liaison avec les autorités gouvernementales, si elles ont été commandées ou non ?

Deuxièmement, travaillez-vous déjà sur les hypothèses pour l'année prochaine ? Selon quels critères ? Avez-vous discuté le dossier avec les autorités gouvernementales ?

Mme Françoise Weber - Si vous permettez monsieur le président, je vais d'abord répondre à Mme Marie-Thérèse Hermange et je reviendrai ensuite aux questions que vous avez posées. La réponse, madame la sénatrice, est dans l'intitulé des missions de l'InVS.

L'InVS a une mission de surveillance, de veille et d'alerte, et l'un des principaux objectifs de sa mission est l'appui au gouvernement en matière de décision et de gestion des crises. Même sans qu'on nous le demande, il est dans les missions de l'InVS d'alerter, de décrire, de proposer des hypothèses et de donner une visibilité au gouvernement sur ce qui va se passer.

Nous travaillons, bien sûr, en lien avec les autorités, mais aussi avec tout le dispositif de santé publique, comme nous le faisons sur tous les sujets de santé publique, en donnant les éléments épidémiologiques, scientifiques et de modélisation qui vont être nécessaires pour prendre une décision. Voilà le rôle de l'InVS, c'est sa mission principale.

Vous avez évoqué, monsieur le président, différents points, notamment la gravité de cette pandémie. Vous avez évoqué le fait qu'elle serait moins grave. Sur le plan quantitatif et populationnel, elle a eu un impact moindre, très nettement moindre que les autres pandémies.

En revanche, cette pandémie - je le redis - a présenté une sévérité particulière chez un nombre beaucoup plus important de sujets que la grippe saisonnière. Le nombre de cas graves et d'hospitalisations a été beaucoup plus important que pour une grippe saisonnière, en particulier en réanimation, et il a nécessité des moyens de réanimation d'une très haute technicité.

Sur ce sujet, vous m'interrogez pour savoir pourquoi nous aurions sous-estimé l'exemple de l'hémisphère austral. Comme je le disais tout à l'heure, nous avons observé de très près l'hémisphère austral. Nous avons organisé, le 19 novembre, un séminaire avec des réanimateurs, des scientifiques, des responsables de santé publique de l'hémisphère austral, à la fois des territoires français du Pacifique, d'Australie et de Nouvelle-Zélande, pour essayer de comprendre exactement ce qui se passait, et pour en tirer les leçons.

Nous en avons tiré la leçon suivante : comme je le disais tout à l'heure, nous avions un taux d'hospitalisation, notamment en réanimation, qui était beaucoup plus élevé que pour la grippe saisonnière. Les services de réanimation ont réussi à faire face, au prix d'un investissement extrêmement important. Le taux d'hospitalisation en réanimation était plus élevé, de façon assez nette, que lors des épisodes estivaux aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Nous ne pouvions pas savoir si, au moment du passage dans l'hémisphère Nord, le taux allait rester au niveau de ce que nous avions vu dans l'hémisphère austral ou si, comme nous l'avions vu dans les pandémies précédentes, ce taux allait continuer à augmenter et s'aggraver à la faveur du passage dans l'hémisphère Nord.

Baser les mesures de gestion uniquement sur ce qu'on avait constaté dans l'hémisphère austral, et considérer que ce qui se passait dans l'hémisphère austral était exactement ce qui allait se passer lors de l'hiver de l'hémisphère Nord eût été hasardeux.

Scientifiquement, nous avions à prendre en compte des hypothèses d'aggravation progressive, notamment l'hypothèse que l'épidémie s'aggrave, comme elle l'avait fait pendant hiver austral, en ce qui concerne le nombre d'hospitalisations et la surcharge des services de réanimation, et que cette tendance à l'aggravation se poursuive. Nous ne pouvions pas ne pas prendre en compte cette hypothèse. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu comme plausibles des hypothèses d'aggravation.

En ce qui concerne l'évolution pour l'hiver qui va venir, j'ai cité des exemples où les scénarios s'étaient aggravés en 1969 et 1970. Cela ne veut pas dire que c'est inéluctable. Dans les hypothèses que nous prenons en compte, il y a, d'une part, une hypothèse de type 1968-1970 avec une aggravation lors du second hiver et d'autre part, une hypothèse selon laquelle une bonne partie de la population étant immunisée, nous verrions de moins en moins de cas sévères et, petit à petit, même très rapidement, le virus prendrait le profil d'un virus saisonnier.

Je n'ai aujourd'hui aucun élément scientifique me permettant de dire laquelle de ces deux hypothèses choisir. La seule chose que nous savons est que s'il se confirme que le nombre des cas asymptomatiques est plus important que pour les grippes saisonnières, si l'immunité vaccinale et l'immunité acquise pendant cette épidémie sont des immunités qui persistent, nous avons de moins en moins de risques de voir une vague de grande ampleur et un très grand nombre de cas sévères.

Nous n'avons pas encore suffisamment d'éléments pour savoir lequel de ces scénarios nous aurons à vivre lors de l'hiver prochain. Nous ne sommes pas catastrophistes, monsieur le président, mais nous disons seulement que chacun de ces scénarios doit être pris en compte, y compris celui du passage très rapide à un modèle de grippe saisonnière, ce virus rentrant, en quelque sorte, dans l'ordre de la grippe saisonnière.

M. Jean-Jacques Jégou - En parlant de grippe saisonnière, madame la directrice générale, j'ai cru comprendre que le virus H1N1 serait inclus dans le vaccin saisonnier de l'hiver prochain. Est-ce exact ?

M. François Autain , président - Est-ce que cela confirme l'hypothèse d'évolution vers un virus saisonnier ?

Mme Françoise Weber - Je voudrais être sûre que nous n'aurons plus de formes graves chez des sujets jeunes, avec ou sans facteur de risque, et être sûre de la proportion de ces formes sévères pour l'hiver prochain. Aujourd'hui, je ne peux pas garantir que nous n'aurons pas, à nouveau, l'hiver prochain, des formes graves, sévères chez des sujets jeunes, voire chez des sujets qu'on aurait pu croire immunisés et qui ne le sont pas tout à fait. Nous ne sommes pas encore tout à fait sûrs que ce virus deviendra gentiment un virus saisonnier, même s'il est inclus dans la vaccination saisonnière.

M. Jean-Jacques Jégou - Je ne sais pas si je m'adresse à la bonne personne, mais vous avez été exposée, sur le plan médiatique, à un moment où la pandémie était avérée. Peut-on imaginer que vous puissiez conseiller à la DGS une autre forme de communication pour faire en sorte que les jeunes puissent être vaccinés dans d'autres conditions qu'ils l'ont été lors de la pandémie ? Parce que la communication en direction des jeunes a été assez insignifiante, pardonnez-moi de le dire.

Moins de 5 % des jeunes scolarisés ont pu être vaccinés, simplement par le fait qu'ils devaient accepter la vaccination, y compris les mineurs. Si on considère encore que les jeunes sont les plus exposés au danger, comment les inciter à se vacciner avec un peu plus de succès, pour éviter qu'ils soient touchés par des formes graves ?

Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, je considère que je n'ai pas les compétences pour donner des conseils en matière de communication au gouvernement.

M. Jean-Jacques Jégou - On vous a mise pourtant sur le devant de la scène à plusieurs reprises.

Mme Françoise Weber - Lorsqu'on m'a mise sur le devant de la scène, comme vous le dites, je crois que c'était pour faire passer un message important pour l'ensemble de la population. J'ai, d'une part, essayé de décrire la situation de la façon la plus transparente et la plus claire possible ; d'autre part, le message qui accompagnait cette description était toujours le même : une très grande vigilance, sans pour autant s'alarmer, et une information la plus claire possible sur le fait que la majorité des cas étaient bénins, mais que dans de rares cas qu'il était difficile de prévoir, plus susceptible d'arriver qu'un autre, il pouvait y avoir, de façon très brutale, des formes graves et sévères. Je crois que c'est un élément de communication extrêmement important pour motiver les sujets jeunes à se faire vacciner. Mais mes compétences ne me permettent pas de faire d'autres commentaires ou d'autres recommandations sur les modalités de communication.

M. Jean-Jacques Jégou - Ne regrettez-vous pas que la vaccination ait été confidentielle ?

Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, un professionnel de santé publique ne peut que regretter qu'une mesure de prévention n'ait pas complètement abouti. C'est le seul commentaire que je peux faire sur ce sujet.

M. François Autain , président - Je n'ai peut-être aucune autorité pour vous répondre, mon cher collègue. Il n'empêche que pour la vaccination antigrippale qu'elle soit saisonnière ou pandémique - encore que, en ce qui concerne le H1N1, je ne voie pas très bien la différence, mais la commission d'enquête est là pour apporter les réponses que je cherche sur ce point - quand on a commencé à se faire vacciner contre la grippe, il faut se faire vacciner tous les ans.

Si un jeune se fait vacciner contre la grippe A (H1N1)v avec deux injections à trois semaines d'intervalle, il faudra renouveler tous les ans cette vaccination. Parce qu'autrement, on n'est pas protégés. La propriété des virus grippaux est de varier. C'est donc nécessaire de se faire vacciner chaque année. Il ne suffit pas de se faire vacciner une fois avec un rappel tous les dix ans, comme on peut l'observer dans d'autres vaccinations. C'est un problème de choix, qui est aussi un choix politique, un choix de santé publique. J'avoue que je ne peux pas répondre sur ce point. Encore moins peut-être, madame la directrice générale de l'Institut de veille sanitaire (InVS). C'est une question qu'il faudra peut-être poser à des virologues que nous auditionnerons, sauf si vous avez une réponse à apporter qui soit plus pertinente.

Mme Françoise Weber - Monsieur le président, je ne pense pas avoir de réponse. Je n'ai en tout cas pas de compétence de virologie. Je ferai un simple commentaire. La vaccination antigrippale chaque année est dirigée contre les virus qui circulent, et en fonction du risque que présentent ces virus.

On peut très bien imaginer que si un jeune a été vacciné contre le virus A (H1N1)v pandémique et que ce virus devient un virus saisonnier, qui ne menace plus, comme les virus saisonniers, qu'une partie très restreinte de la population, on n'a absolument plus besoin de poursuivre la vaccination.

La vaccination, comme toute mesure de prévention, doit être adaptée à la cible de la maladie infectieuse et aux risques encourus. Si ce virus ne menace plus les sujets jeunes de faire des formes sévères de grippe, il n'y a probablement aucune raison de continuer à les vacciner.

M. Jean-Claude Desenclos - Vous avez dit, monsieur le président, que les virologues annonçaient une vague en janvier, etc. Je ne ferai pas de commentaire sur ce point. Simplement, l'Institut de veille sanitaire n'a pas annoncé de deuxième vague en janvier, février, mars et avril. Comme l'a très bien rappelé Mme Françoise Weber, il a dit que la probabilité de voir survenir, sur la base de ce qui s'était passé, une vague importante était très faible.

M. François Autain , président - Lorsque j'ai parlé des virologues, je ne pensais pas à l'InVS. Excusez-moi si vous vous êtes sentis visés.

M. Jean-Claude Desenclos - En tant que directeur de l'InVS, j'essaie de défendre l'institut. Dès janvier, à la demande du ministère, nous avons indiqué que la probabilité d'une nouvelle grande vague avant la fin de la saison dite hivernale était très faible.

M. Alain Milon , rapporteur - J'aimerais que la directrice générale de l'InVS réponde à la question que j'avais posée sur l'efficacité de la vaccination, et aussi à la possibilité d'autres systèmes de lutte contre la pandémie.

Mme Françoise Weber - Monsieur le rapporteur, votre question porte sur la constatation que le virus a été plus rapide que le vaccin. Vous demandez si cette constatation ne doit pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la réponse vaccinale. La réponse à une pandémie est une réponse multiple. Il y a différentes mesures de prévention qui sont, vous le savez, les mesures barrière, les mesures de distanciation sociale et le vaccin. Ce dernier reste une des réponses de prévention les plus efficaces, comme pour beaucoup de maladies infectieuses.

Le fait que ce vaccin soit arrivé dans une phase relativement tardive de la pandémie ne doit pas pour autant remettre en cause la vaccination. Même si le bénéfice populationnel, ou sur la dynamique de l'épidémie, sera beaucoup plus faible, compte tenu du fait qu'elle a déjà démarré, le bénéfice individuel de protection des sujets, d'abord de ceux qui sont les plus à risques et ensuite du reste de la population qui souhaiterait se faire vacciner, reste une mesure de prévention individuelle extrêmement importante.

Même s'il faut travailler sur l'ensemble des mesures de prévention, à partir du moment où la dynamique de l'épidémie est déjà engagée et même si on doit renoncer à un effet populationnel massif, il ne faut pas pour autant renoncer à la vaccination.

M. Jean-Claude Desenclos - Les mesures d'hygiène, en particulier l'utilisation des masques et le lavage des mains, sont des mesures qui ont été promues récemment pour la lutte contre la grippe et sur lesquelles il y a encore un travail de recherche, en particulier sur leur acceptabilité et sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur une pandémie.

Pendant cette pandémie, ces messages ont été donnés et suivis par un peu plus de personnes que d'habitude. Tout de même, il y a eu beaucoup d'agitation. On a beaucoup plus utilisé l'oseltamivir PG que d'habitude. Il est apparu très efficace en France et dans d'autres pays. On s'est beaucoup plus lavé les mains. On a relativement peu utilisé les masques, car malheureusement, on n'a pas la même culture que certains pays asiatiques. Sur ce point, il reste un travail à accomplir, car ce sont des mesures qu'il faut faire entrer dans la pratique.

M. Jean-Jacques Jégou - Grâce à elles, il y a eu aussi moins de gastroentérites.

M. François Autain , président - Il y en a eu quand même.

Mme Marie-Christine Blandin - Elles sont arrivées plus tardivement.

M. Claude Domeizel - L'Institut de veille sanitaire est-il consulté sur le recours au vaccin, et à quel moment ?

Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, l'InVS n'est pas consulté sur ce sujet précis. En revanche, comme je le disais tout à l'heure, il fournit les éléments épidémiologiques qui permettent de baser et d'éclairer les mesures de gestion qui vont être prises. En fournissant les hypothèses et les scénarios possibles, notre rôle principal, dans une situation d'imprévisibilité comme celle-ci, est d'expliquer quel est le champ du possible et du plausible.

Nous ne faisons pas de prévision, ni de prédiction, nous n'avons pas les éléments scientifiques pour le faire. Personne, ni en Europe, ni dans le monde, n'avait d'ailleurs de tels éléments scientifiques. Nous nous servons de l'ensemble des données dont nous disposons pour définir le champ du plausible et du possible en disant : « Voilà les scénarios possibles. Si vous souhaitez prendre des mesures de prévention et préparer le système de soins à ces hypothèses et à ces scénarios possibles, voilà ce qu'il faut prendre en compte » . Tel est le rôle de l'Institut de veille sanitaire. Il n'est pas d'intervenir dans les mesures de gestion, et encore moins dans des mesures qui sont des mesures d'approvisionnement.

M. François Autain , président - A quelle date situe-t-on en France le début de la circulation du virus H1N1 ? Pour que la vaccination ait une efficacité populationnelle, il faut qu'elle ne commence pas plus d'un mois après le début de cette circulation active. Il est important de savoir à quelle date vous la situez. A partir de là, on pourra dire si la vaccination à laquelle nous avons procédé a eu une influence ou non sur l'évolution de l'épidémie.

Mme Françoise Weber - Le virus a commencé à circuler à peu près vers la mi-mai ou la fin mai. Je pourrai vous préciser cette date ultérieurement, je ne l'ai plus en tête. Il a circulé de façon très limitée au début. Je peux vous montrer cette courbe, qui est la courbe du réseau Sentinelle : nous avons eu une circulation qui était non seulement celle du H1N1, mais aussi celle d'autres virus respiratoires jusqu'à la semaine 46 ou 48, avant que nous n'ayons plus que du H1N1, et que nous ayons une circulation de type épidémique.

Le virus a commencé très rapidement à circuler, au moment de l'épisode de l'école de Toulouse. Il a commencé à circuler fin mai, début juin, mais de façon très limitée.

M. François Autain , président - La vaccination a commencé en novembre. Elle a donc été vraiment inutile...

Mme Françoise Weber - Je souhaite souligner à nouveau que la vaccination gardait et garde toujours un intérêt en termes de protection individuelle. Je crois que c'est ce qui est important. Monsieur le président, si vous le souhaitez, je peux vous donner des explications sur le mode de calcul de la mortalité, parce que je crois que c'est un point qui n'est pas très clair.

M. François Autain , président - Non, mais il s'éclaircira à l'avenir.

Mme Françoise Weber - Je peux vous aider à le clarifier très rapidement. Je souhaite juste donner un point de méthode sur la façon dont on calcule les 2 000 à 6 000 morts annuels de la grippe saisonnière. On le fait à partir d'un travail épidémiologique répété sur plusieurs années sur ce type de courbe. Ces 2 000 et 6 000 morts représentent la mortalité en excès que l'on constate au moment de l'épidémie grippale. C'est une comparaison entre la mortalité hors grippe et la mortalité au moment de l'épidémie grippale. On n'« étiquette » pas chacun de ces décès comme un décès dû à la grippe. C'est un excès de mortalité et il représente, sur la moyenne des épidémies, entre 2 000 à 6 000 morts. Il est assez variable d'une épidémie à l'autre en fonction du type de virus ou de la conjonction de certains facteurs. Ainsi, plus il y a de pathogènes qui circulent en même temps, plus il y a de pathogènes susceptibles de co-infecter ou de surinfecter une grippe, plus il y a de mortalité. Plus les autres épidémies de type virus respiratoire syncytial (VRS) tombent en même temps, plus on observe de mortalité. Plus il fait froid au même moment, plus on observe de mortalité.

Si vous vous en souvenez, nous avions beaucoup travaillé au début de cette année sur le pic de mortalité de la grippe 2008/2009, qui avait montré un excès de mortalité de 6 000 morts, non pas parce que le virus était plus virulent, mais parce que nous avons assisté à la conjonction, pendant quinze jours à trois semaines, de l'ensemble de ces facteurs : le grand froid, les co-infections, les cocirculations. Ces facteurs ont frappé particulièrement les sujets les plus sensibles à cette mortalité, c'est-à-dire les sujets âgés.

En revanche, que s'est-il passé cette année ? Vous avez en rouge, sur cette courbe, les variations saisonnières habituelles, c'est-à-dire la mortalité grippale habituelle. Nous ne sommes pas très loin de la mortalité grippale habituelle. Nous sommes un tout petit peu en dessous, particulièrement pour une génération, les plus de 65 ans.

Pourquoi ? Non pas parce que ce virus tue moins que les virus saisonniers. Mais parce que les personnes qui représentent ces 2 000 à 6 000 morts dus à la grippe saisonnière, c'est-à-dire les sujets âgés, étaient cette année immunisées contre le seul virus qui a circulé. Les autres virus, ceux qui les tuent habituellement, n'ont pas circulé cette année. Celui-là était tout seul, et il se trouve qu'elles étaient immunisées.

Par ailleurs, nous n'avons eu pratiquement aucune cocirculation au même moment de VRS ou d'autres cofacteurs. Nous avons assisté à quelque chose qu'il était impossible de prévoir, c'est-à-dire à la fois la présence d'une immunité préexistante, notamment chez les personnes habituellement les plus touchées par la mortalité, et l'absence totale de cocirculation, qui est une part importante de la mortalité du virus saisonnier.

En revanche, nous avons observé une mortalité exceptionnelle chez des sujets jeunes par rapport à la grippe saisonnière, mais pas dans des proportions équivalentes à la grippe saisonnière.

Dans ces conditions, vous comprendrez qu'il est très difficile de dire si cette pandémie était plus ou moins grave qu'une grippe saisonnière.

Elle était différente, elle a chargé les services de réanimation beaucoup plus qu'une grippe saisonnière, avec des sujets jeunes dans des états graves, mais, quantitativement, on ne retrouve pas la même mortalité qu'avec une grippe saisonnière, parce que les sujets âgés qui meurent habituellement de la grippe saisonnière n'en sont pas morts.

Voilà comment on peut définir à peu près la gravité de cette grippe saisonnière. Nous ne sommes pas dépourvus de moyens de comparaison. Il faut simplement comprendre que nous ne comparons pas les mêmes choses, quand on parle de 2 000 à 6 000 morts pour la grippe saisonnière et quand on parle de 310 décès pour la grippe A (H1N1)v. Quand on fera le bilan définitif de la mortalité, il faudra comprendre que ces chiffres ne s'appliqueront pas du tout aux mêmes populations ni aux mêmes formes cliniques.

Cette année, si on doit faire un bilan pour la population âgée, on peut dire qu'elle a été exceptionnellement protégée du seul virus qui circulait.

M. François Autain , président - Croyez-vous que cette situation va durer pour les personnes âgées ?

MmeFrançoise Weber - Il est difficile de prévoir comment vont circuler les autres virus. Je ne suis pas en mesure de faire des diagnostics.

M. François Autain , président - Je le sais bien, je plaisantais.

M. Jean-Jacques Jégou - Est-il bien sérieux de donner des chiffres qui semblent assez provisoires ? Je parle de ceux des personnes qui auraient eu la grippe A (H1N1)v. Pour tous ceux qui n'ont pas été hospitalisés - je pense qu'il y en a un certain nombre -, les médecins n'étaient pas chargés de faire de déclaration. Alors comment peut-on évaluer le nombre de nos concitoyens qui auraient été frappés par la grippe A (H1N1)v ? On avait envisagé, je crois, de prévoir des déclarations des cas, puis on a abandonné pour la raison que cela coûtait cher. Que pensez-vous de cela ?

Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, il était hors de question de surcharger les médecins généralistes avec la déclaration de grippes tout à fait bénignes. Sachant par ailleurs qu'il y a eu des formes asymptomatiques, cela n'aurait pas été extrêmement efficace. Les épidémiologistes sont des gens très humbles. Ils ne vous parlent pas de comptes, ils vous parlent d'estimations. Le service que nous essayons de rendre à la santé publique est d'estimer au mieux, en fonction des moyens dont nous disposons, l'impact d'une maladie. Nous n'étions pas totalement dépourvus de moyens. Ce sont des moyens que nous mettons habituellement en oeuvre pour la grippe saisonnière. Nous avons bâti depuis quinze ans des systèmes de surveillance qui sont des réseaux sentinelles, des réseaux GROG, la surveillance hospitalière, les centres nationaux de référence pour la surveillance virologique. Nous nous sommes basés, comme d'habitude, sur ces systèmes pour donner une estimation.

Vous verrez que ces estimations sont extrêmement larges, et cela témoigne de l'humilité que nous avons vis-à-vis de ces chiffres ; ils ne sont absolument pas péremptoires. Nous donnons des fourchettes qui permettent de baser des estimations pour prendre des mesures, en disant que ces mesures doivent se rapporter à ces fourchettes d'estimations. Je crois qu'aucun pays n'a les moyens de faire mieux que cela et de compter un par un les cas, mais ce n'est pas pour cela qu'il ne faut rien faire. Nous faisons ce qu'il est possible de faire, c'est-à-dire des estimations.

Ce que nous avons fait, et que nous ne faisions pas les autres années, est la mise en place d'un système de notification des cas sévères et des décès en milieux hospitaliers auprès des services de réanimation, parce que nous savions que c'était là que nous allions voir la différence avec une grippe saisonnière. C'est là que nous avions à prévoir et à suivre la situation au plus près, parce que le grand risque de cette pandémie, au-delà du risque individuel, était la surcharge des hôpitaux et des services de réanimation.

C'est là que nous devions mettre nos capteurs. Nous avons déjà des capteurs aux urgences hospitalières, dans les services d'urgence de ville. Nous les avons consolidés par un système de déclarations systématiques auquel les réanimateurs, les sociétés savantes, ont coopéré de façon remarquable : il y a donc eu un système de notifications des cas graves, pour que nous puissions dire s'il y aurait des tensions de ces services de réanimation ou si, par exemple, les possibilités de faire de l'oxygénation extracorporelle allaient être débordées.

Un des rôles principaux que joue l'InVS est d'être capable d'alerter, non seulement sur les caractéristiques d'une pandémie ou d'une maladie, mais aussi sur le risque de surcharge du système de soins ou de non-disponibilité des mesures de traitement ou de prévention. Nous avons fait ce que l'état de la science et l'état du système de santé nous permettent de faire dans un pays comme la France.

M. Jean-Jacques Jégou - A quoi correspond le chiffre de 5 millions de nos concitoyens qui auraient été frappés par la grippe A (H1N1)v ? Est-ce une probabilité ?

Mme Françoise Weber - C'est une estimation.

M. Jean-Claude Desenclos - C'est une estimation très raisonnable et, si je puis dire, relativement précise dans son imprécision. Par ailleurs, on a pu aussi affiner cette année, ce qu'on ne fait pas d'habitude, cette estimation, au travers d'une enquête par téléphone. On a pu ajouter des questions à des enquêtes qui étaient menées et estimer, parmi les gens qui déclaraient avoir contracté la grippe, combien avaient consulté leur médecin : 60 % en moyenne, 100 % chez les enfants, donc beaucoup moins chez les adultes. A partir de là, on est en mesure de faire des redressements des estimations, qui correspondent assez bien à ce qu'on était en droit d'attendre pour ce type de pandémie, et d'estimer, en y rajoutant une proportion d'asymptomatiques, la proportion de la population qui a été immunisée après le passage de cette première vague. Dans une relative imprécision, ce sont des données relativement focalisées qui donnent des évaluations raisonnables.

M. François Autain , président - Madame la directrice générale, monsieur le directeur, je vous remercie infiniment pour ces explications très claires et qui nous ont beaucoup apporté.

Audition de M. Didier HOUSSIN,
directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports
(mercredi 24 mars 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons de nouveau M. Didier Houssin, directeur général de la santé, qui a participé, hier après-midi, à la demande Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, à son audition.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Houssin prête serment.

M. François Autain , président - Je vous donne la parole, monsieur le directeur général, pour un bref exposé liminaire avant les questions que vous poseront d'abord notre rapporteur, Alain Milon, et ensuite les membres de la commission ici présente. Vous avez la parole, monsieur le directeur.

M. Didier Houssin - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice, messieurs les sénateurs, je souhaite, en préambule, situer brièvement le cadre de mon action. J'ai été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005, il y aura cinq ans bientôt. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus H5N1, j'ai aussi été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA).

Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, j'ai dû affronter, dès 2005, l'épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l'état d'hyperendémie lié au méningocoque B14 : P1-7.16 dans la zone de Dieppe. Très tôt, j'ai été sensibilisé aux menaces épidémiques. Pour conclure ce préambule, j'ajoute que je suis médecin et que je n'ai pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux.

A la question du rôle de l'industrie pharmaceutique dans la gestion par le gouvernement de la pandémie liée au virus H1N1 2009, je répondrai trois choses.

Premièrement, oui, le Gouvernement a géré la pandémie H1N1 2009. Cette gestion a été suivie par le Président de la République. Il y a eu cinq réunions autour de lui.

Des arbitrages importants ont été rendus par le Premier ministre sur :

- l'application du plan national « Pandémie grippale » ;

- la mise en place du centre interministériel de crise ;

- le passage en phase 5 ;

- l'acquisition de vaccins ;

- la gratuité et caractère non obligatoire de la vaccination.

D'autres arbitrages ont été rendus par son cabinet. Vingt-deux réunions ont été organisées à ce niveau.

La ministre de la santé et des sports a été naturellement en première ligne sur beaucoup de sujets dans son domaine, pour apprécier la situation et son évolution, préconiser ou prendre des mesures de gestion, mobiliser le système de santé, informer le public et les professionnels de santé, ainsi que dans le cadre du centre interministériel de crise (CIC) qui a tenu quarante-trois réunions, auxquelles la ministre de la santé a été présente ou représentée par son cabinet. La Direction générale de la santé a tenté d'appuyer son action, dans le souci de protéger la santé des Français, soit en lui proposant des décisions, soit en mettant en oeuvre les décisions qu'elle prenait.

La gestion gouvernementale de la pandémie a mobilisé de nombreux acteurs.

Elle a mobilisé, en premier lieu, la population : il y a eu des recommandations, par exemple, pour les voyages, pour la prise en charge médicale en cas de grippe, pour les personnes contacts, pour les mesures d'hygiène, l'incitation à la vaccination...

Elle a aussi mobilisé de très nombreux professionnels.

Hors du champ de la santé ont été concernés les ministères, les préfets, leurs services territoriaux, les collectivités territoriales, le système scolaire, le secteur médico-social, les établissements pénitentiaires, les postes diplomatiques, les médias, etc.

Dans le champ de la santé, elle a mobilisé les médecins, les pharmaciens d'officine, les infirmières, les établissements de santé et l'industrie pharmaceutique.

L'industrie pharmaceutique a contribué à cette gestion dans le domaine des produits de santé de deux manières.

Premièrement, elle a eu un rôle de fournisseur de produits de santé dans les règles usuelles d'évaluation de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité de ceux-ci, soit antérieurement à la pandémie - et c'est le cas notamment des stocks d'antiviraux, de masques chirurgicaux, d'aiguilles, de seringues qui avaient été constitués ; soit dans le cours de la pandémie avec les acquisitions, en particulier, d'antiviraux à usage pédiatrique, de vaccins, de respirateurs, d'appareils d'oxygénation extracorporelle.

En tant que directeur général de la santé, je me suis efforcé de préserver la continuité de ce rôle de fournisseur de produits de santé joué par l'industrie pharmaceutique, d'abord, avant la pandémie, c'est-à-dire entre 2006 et 2009, puis dans le cours de celle-ci durant le printemps et l'été 2009, en appelant l'attention des entreprises sur trois points qui nous semblaient extrêmement importants.

Dans le cadre de la préparation par les industriels de leur plan de continuité d'activité, j'ai rencontré à plusieurs reprises les représentants du LEEM - les entreprises du médicament -, du Syndicat national de l'industrie et des techniques et équipements médicaux. J'ai rencontré le conseil d'administration du LEEM et j'ai été amené à intervenir, à deux reprises, lors de séminaires organisés par l'industrie pharmaceutique.

Un exercice « pandémie » du secteur pharmaceutique était d'ailleurs prévu en septembre 2009. En tant que délégué interministériel, comme le secteur pharmaceutique me semblait le plus mobilisé dans le domaine des plans de continuité d'activité, j'y voyais un possible exemple pour la préparation d'autres secteurs économiques à une pandémie grippale.

Deuxièmement, il a été mis en place un dispositif en vue d'assurer la continuité d'approvisionnement de médicaments indispensables en situation de pandémie. Je pense que M. Jean Marimbert a dû vous en dire un mot. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) de mener les travaux avec la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour identifier dans toute la liste des médicaments, puis dans la liste des dispositifs médicaux, ceux pour lesquels la continuité d'approvisionnement était indispensable. Par exemple, on ne peut pas imaginer de discontinuité d'approvisionnement pour l'insuline, pour certains médicaments à visée cardiologique, etc.

Ce travail très important a été effectué par l'AFSSAPS avec de nombreuses sociétés savantes, la commission d'AMM. Les listes de médicaments ont été mises en ligne sur le site de l'AFSSAPS.

Troisième mesure prise en matière de prévention, du point de vue de la continuité d'approvisionnement des produits : ce sont les rencontres qui ont eu lieu, en particulier avec Sanofi Pasteur, Bristol Myers Squibb et les génériqueurs, autour de la continuité d'approvisionnement en antibiotiques et en antipyrétiques, car notre crainte était que nous nous trouvions à court sur ce type de produits.

Le dernier point que je voudrais évoquer avant de terminer - j'ai lu attentivement la résolution qui a été adoptée et qui fonde la création de votre commission d'enquête - est l'hypothèse que vous formulez dans la conclusion de cette résolution, c'est-à-dire l'hypothèse que l'industrie pharmaceutique ait été tentée de manipuler, voire d'instrumentaliser la gestion gouvernementale au niveau national, mais aussi éventuellement au niveau européen et mondial.

Afin de vendre des produits de santé, la manipulation aurait conduit l'industrie pharmaceutique, si j'ai bien lu, à, premièrement, influencer la décision de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de qualifier l'urgence sanitaire, signalée par le Mexique, comme une urgence de portée internationale, puis celle de déclarer un état de pandémie, pour créer une pandémie qui n'existait pas.

Le deuxième élément de cette manipulation aurait été d'orienter les avis d'experts susceptibles de peser sur les décisions d'acquisition ou d'utilisation, notamment de vaccins ou d'antiviraux au niveau national, européen ou international.

Il est toujours extrêmement difficile de démontrer que quelque chose n'existe pas. Il est encore plus difficile de le démontrer quand ce quelque chose se veut, par définition, caché, comme un complot ou une manipulation.

Je vais cependant avancer trois arguments qui me semblent plaider contre l'hypothèse d'une manipulation fomentée par l'industrie pharmaceutique.

Le premier argument est un argument de faisabilité. L'identification, puis le signalement, enfin l'analyse des faits épidémiologiques sont hors de portée de l'industrie pharmaceutique. Cela se passe en effet de la façon suivante. Des médecins ou des hôpitaux observent, puis signalent aux autorités sanitaires d'un pays que des personnes sont malades, que c'est inhabituel par le type de maladie observée ou l'âge des malades recensés, qu'il y a des décès.

L'analyse de ces signalements, au niveau national, puis international, relève alors d'une expertise qui porte sur la qualification de la situation : que se passe-t-il ? Que peut-il se passer ensuite ?

Cette expertise est déterminante, car elle dimensionne ce qu'on peut redouter, elle conditionne donc la définition de ce qu'il faudrait pouvoir faire.

Cette expertise est celle des épidémiologistes. Sauf à imaginer des liens occultes, les épidémiologistes des organismes concernés - Institut de veille sanitaire en France, European Centre for Disease Control en Europe, le CDC d'Atlanta aux Etats-Unis par exemple - sont sans lien avéré avec les industries pharmaceutiques.

L'industrie pharmaceutique ne pouvait donc pas, de mon point de vue, préparer l'étape initiale essentielle d'une telle manipulation.

Le deuxième argument est un argument de cohérence au niveau mondial. Si l'industrie pharmaceutique avait vraiment tenté de préparer une telle manipulation, le travail de préparation des trente-cinq firmes pharmaceutiques productrices de vaccins dans le monde aurait été considérable en termes d'anticipation et de concertation dans un domaine, dont je rappelle par ailleurs qu'il est excessivement concurrentiel.

Comment admettre alors que l'industrie pharmaceutique qui se serait si bien préparée ait eu tant de mal à produire ces vaccins en grande quantité ? Comment aurait-elle pu ne pas anticiper la préparation, somme toute techniquement simple, de la présentation des vaccins en monodose, ce qui aurait beaucoup simplifié l'organisation de la vaccination dans nombre de pays ? L'industrie pharmaceutique, de mon point de vue, n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins.

Je voudrais développer pour terminer un second argument de cohérence. Si l'industrie pharmaceutique tenait dans sa main, au niveau européen et national, les experts de l'AFSSAPS, du Comité de lutte contre la grippe, du Comité technique des vaccinations et de la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique, de l'Agence européenne du médicament, comment aurait-elle pu les laisser dire à l'automne 2009 que les résultats des essais cliniques montraient que dans beaucoup de cas une seule dose suffirait ?

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, en mai, en août, jusque tard en septembre 2009, notre crainte était que cette pandémie liée au virus A (H1N1)v 2009 se traduise par une hécatombe. Nous avons tout fait pour éviter cela, pour protéger au mieux la santé des Français. Nous nous sommes efforcés d'adapter les actions à l'évolution des connaissances dans un contexte longtemps marqué par de grandes incertitudes. Cette hécatombe n'a pas eu lieu. Chance inespérée, erreur d'appréciation ou action efficace, ou les deux ou les trois ? Votre commission d'enquête va pouvoir en juger. Je vous remercie de votre attention.

M. François Autain , président - Merci, monsieur le directeur général de la santé. L'objet de cette commission d'enquête est en effet de répondre à un certain nombre de questions que nous nous posons.

La situation actuelle alimente un peu votre plaidoyer. Même si l'industrie pharmaceutique a joué un rôle, et même s'il n'est pas prépondérant, dans la décision prise par l'OMS de faire de cette épidémie de grippe une pandémie, elle s'est quand même trompée en ce sens qu'elle a produit beaucoup plus de vaccins qu'il n'était nécessaire. Les bénéfices attendus seront sensiblement inférieurs à ceux qui étaient prévus. Si j'ai bien compris, ne serait-ce qu'en France, ils vont perdre pas loin de 350 millions d'euros, ce qui n'est pas totalement négligeable. L'affaire, semble-t-il, n'est pas terminée, mais en tout cas ils n'auront pas atteint l'objectif qu'ils auraient pu atteindre.

Naturellement, la conclusion de la proposition de résolution n'était qu'une hypothèse : si nous avions pu répondre à la question que nous nous sommes posée, il n'était pas nécessaire de créer une commission d'enquête. Cette commission d'enquête a précisément pour objet d'établir si, oui ou non, et comment, l'industrie pharmaceutique a pu jouer un rôle dans le fait que l'OMS a érigé en pandémie ce qui, me semble-t-il, pouvait être considéré comme une banale grippe saisonnière, même si elle a présenté certaines spécificités.

N'allons pas trop vite. Ce que vous avez indiqué constitue un élément à verser au dossier. J'espère que d'autres témoignages nous permettront d'établir la parfaite indépendance de toutes les institutions sanitaires vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. Je ne vous demande pas de l'établir, car c'est trop compliqué. Il existe un certain nombre d'interrogations, pour ne pas dire plus, sur l'indépendance d'un certain nombre d'experts par rapport à ces industries.

Je ne reproche pas, à titre personnel, à des chercheurs, des experts de travailler en étroite collaboration avec l'industrie pharmaceutique, avec les fabricants de vaccins, les fabricants d'antiviraux, au contraire, je pense qu'ils ont besoin d'eux. Ce que je critique, c'est que ce soient les mêmes qui conseillent les entreprises et qui conseillent le gouvernement. Quelquefois d'ailleurs, on ne le sait même pas. On commence à le savoir : il est vrai qu'il y a à cet égard une amélioration. On ne va pas revenir sur le débat d'hier, mais il a fallu beaucoup de temps et de pressions de la part, notamment, des médias pour que cette amélioration se produise.

Je vous remercie des indications que vous nous avez données, et de nous avoir fait part de votre sentiment. Je donne la parole à notre rapporteur, qui va vous poser un certain nombre de questions.

M. Alain Milon , rapporteur -  Monsieur le directeur général, je voudrais vous poser d'abord des questions sur l'expertise nationale.

L'intervention de très nombreuses instances d'expertise dans la gestion des aspects sanitaires de la crise a-t-elle permis, dans un contexte d'urgence, d'optimiser les conditions de prise de décision ? Les compétences de chacun de ces organismes et leur composition sont-elles de nature à apporter une information plurielle et collégiale au décideur politique ou entraînent-elles un brouillage dans l'information ? C'est une question que j'ai déjà posée à madame la ministre hier. Comment les différents avis exprimés ont-ils été pris en compte ?

En ce qui concerne l'expertise internationale : dans le cadre de vos fonctions, avez-vous formulé des observations ou des suggestions sur la stratégie de l'OMS et les conditions de déclaration de la pandémie grippale ?

En dehors même des questions que peut poser l'évolution, entre 2005 et 2009, de la définition des pandémies donnée par l'OMS, ne doit-on pas s'interroger, en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, sur le caractère opérationnel d'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité ?

Dernière question sur les conflits d'intérêts : le fonctionnement des instances nationales et internationales d'expertise au cours de cette crise fait-il, selon vous, apparaître la nécessité de repenser l'organisation et les conditions d'application des dispositifs de prévention des conflits d'intérêts ?

Quelles suites comptez-vous donner, notamment, aux conclusions du rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise en santé publique que vous aviez demandé à Mme Marie-Dominique Furet-Garabiol ?

M. Didier Houssin - Première réponse. Dans cette affaire, j'ai été très tôt sensibilisé par ce qu'on appelle « l'affaire de la grippe porcine » de 1976 aux Etats-Unis, et en particulier par le rapport de l'Institute of Medicine, piloté par M. Fineberg.

C'est à la lumière de ce rapport que j'ai souhaité orienter mon action dans le sens suivant : ne pas enfermer la ministre dans une seule décision, et faire en sorte que soient successivement proposées, et appuyées chaque fois, autant que possible, sur une expertise, des décisions qui conduisaient à une action progressive. Il fallait éviter de faire ce qui avait été fait en 1976 aux Etats-Unis où le Président Ford avait, en une seule décision, acheté les vaccins, organisé la campagne, décidé son lancement, sans qu'il y ait possibilité véritablement de retour en arrière.

Il fallait donc sérier les décisions à prendre. Une première grande décision était celle de l'acquisition de vaccins. Il fallait malheureusement la prendre très tôt pour les raisons que la ministre a expliquées hier, qui étaient des raisons de faible marché d'offre et d'une importante demande.

Une deuxième décision importante était dans le domaine de l'organisation des soins, le passage de la phase hospitalière à l'élargissement au secteur ambulatoire.

La troisième décision importante était la suivante : comment décider de l'organisation de la campagne ? Quelles devaient être les principales modalités de cette organisation ?

La quatrième décision importante concernait l'ordre de priorité de la vaccination. Curieusement, c'est celle où je m'attendais à ce qu'il y ait le plus de difficultés et finalement, c'est celle qui, au bout du compte, en a peut-être posé le moins.

Dernière décision importante, mais il y en a eu beaucoup d'autres : le lancement de la campagne.

Nous avions préparé une autre décision qui aurait d'ailleurs été la plus lourde à prendre : celle d'arrêter la campagne, en particulier si on observait des effets indésirables supérieurs aux bénéfices qu'on pouvait attendre de la vaccination.

L'objectif a été que chacune de ces décisions, pour lesquelles on peut rentrer dans le détail si vous le souhaitez, soit appuyée sur une expertise, dont la nature était évidemment un petit peu différente en fonction de la nature de la décision.

Nous nous sommes appuyés, au niveau national, essentiellement sur trois types d'organismes.

L'organisme de base fondamental est l'Institut de veille sanitaire. J'en ai dit un mot tout à l'heure. C'est lui qui est compétent pour qualifier la situation, formuler des hypothèses de planification et des scénarios qui se produisent ou qui ne se produisent pas. Je dois dire qu'on a toujours eu, grâce à l'InVS, une vision extrêmement précise de ce qui se déroulait au niveau français et international. Par rapport à d'autres crises dans le passé, c'est un élément extrêmement positif.

Nous avions un deuxième grand expert, c'est l'Agence française de sécurité des produits de santé qui est, si j'ose dire, notre « expert produits », soit directement, soit en relayant ce qui se passe au niveau européen, pour ce qui est des produits autorisés à ce niveau, selon la procédure centralisée. Cette expertise est interne à l'Agence et s'appuie également sur la commission d'AMM ou la commission de pharmacovigilance.

Nous nous sommes appuyés aussi sur le Haut Conseil de la santé publique, avec sa commission maladies transmissibles, le Comité technique des vaccinations qui lui est rattaché.

Nous avons ensuite le Comité de lutte contre la grippe (CLCG) qui n'est pas une composante du HCSP mais un comité thématique et pluridisciplinaire, créé en 1995, et dont le rôle et le statut ont été renforcés et définis par décret en 2008. Ce comité a participé à la gestion de la crise et a fonctionné, sur les questions relatives à la vaccination, comme un groupe de travail pour le Comité technique des vaccinations (CTV).

Voilà, schématiquement, quel était l'appareil d'expertise sur lequel nous pouvions nous appuyer, auquel j'ajouterai encore deux éléments importants : l'avis du Comité consultatif national d'éthique de février 2009, et le travail que j'ai lancé en juin 2008 autour de la question de l'allocation des vaccins. Ce groupe de travail interministériel a travaillé à partir de juin 2008 et a rendu son rapport en juin 2009.

Nous nous sommes bien sûr appuyés sur des éléments d'expertise au niveau international et européen. Je peux vous faire parvenir, si cela vous intéresse le visuel que nous avons réalisé, lequel essaie de montrer le cheminement du processus d'expertise vers la décision.

Quel a été le rôle de la direction générale de la santé ? La direction générale de la santé pose des questions aux experts, sauf si les événements sont si rapides que les experts s'autosaisissent ; elle recueille des réponses qu'elle transforme en préconisation, en proposition de décision présentée à la ministre avec, éventuellement des scénarios ou des arbitrages possibles, pour que la ministre puisse prendre sa décision en tenant compte de l'avis d'experts.

L'idée était que, autant que possible, la décision de la ministre ait un fondement scientifique, même si, évidemment, une décision politique intègre d'autres éléments, d'autres dimensions - psychologiques ou psychosociologiques - et si l'expertise scientifique ne suffit pas à faire en soi la décision politique.

Une fois que la décision politique était prise, la direction générale de la santé la mettait en oeuvre. Beaucoup de choses étaient décidées au niveau interministériel, par la cellule interministérielle de crise notamment, à l'intention des préfets. Il y avait cependant des actions proprement sanitaires qui étaient autorisées par la direction générale de la santé ou la direction de l'offre de soins.

Je réponds maintenant à votre deuxième question : ce processus de décision mériterait-il d'être optimisé ?

Aujourd'hui, je pense que le positionnement du Comité de lutte contre la grippe mériterait d'être réexaminé. Ce sera peut-être une des conclusions qu'on tirera. On pourrait imaginer que ce comité soit intégré au Haut Conseil de la santé publique comme un comité technique, qu'il se situe dans ce positionnement un peu intermédiaire entre le Haut Conseil de la santé publique et la direction générale de la santé. Je pense qu'il y a quelque chose à clarifier.

M. François Autain , président - Et sur sa composition ?

M. Didier Houssin - La question de sa composition peut se poser aussi.

M. François Autain , président - Il faudrait faire un peu de place aux médecins généralistes.

M. Didier Houssin - Je partage votre avis sur ce point. Le Comité de lutte contre la grippe était, au départ, essentiellement tourné vers la préparation et l'organisation de la gestion de la grippe saisonnière. Il est vrai que la dimension préparation d'une pandémie grippale nous a conduits à devoir le mobiliser en urgence. Le texte de 2008 prévoyait cela. On a pensé, à un moment donné, qu'il était important de renforcer la compétence en pneumologie.

M. François Autain , président - Il faudrait plus de cliniciens et de personnes proches du terrain...

M. Didier Houssin - Disons du terrain de médecine générale, sûrement.

M. François Autain , président - ... Et un peu moins de virologues qui travaillent sur ordinateur.

M. Didier Houssin - En ce qui concerne l'expertise internationale, on a vraiment été alimenté de façon complémentaire, en matière d'épidémiologie, par l'European Centre of Disease Control, à travers l'Institut de veille sanitaire. L'OMS, elle, avait une vision mondiale et jouait un rôle d'« ensemblier épidémiologique », rassemblant les données fournies par les différents Etats.

Nous avions aussi des liens avec nos collègues de certains pays européens ou nord-américains, avec lesquels, dans le cadre des réunions, au début journalières, du Health Security Comittee, le Comité de sécurité sanitaire, ou dans le cadre des pays du G7, nous échangions sur des éléments d'expertise.

Vous m'avez ensuite posé une question importante : la gravité devrait-elle être un critère de la définition de la pandémie ?

La ministre a évoqué ce point hier, je crois.

M. François Autain , président - Elle n'a pas l'air d'être de cet avis.

M. Didier Houssin - Des travaux ont été menés dans le cadre de la révision du plan OMS, et la question s'est posée. Ne devrait-on pas introduire un élément de gravité ? On s'est heurté à ce que la ministre a dit hier : la gravité est assez difficile à mesurer. Compter les décès peut paraître simple, mais c'est très compliqué, sauf à se dire qu'on les comptera quinze jours, un mois, six mois, un an plus tard.

Compter les décès en temps réel, de façon fiable, est très difficile. Cela suppose un système de recensement. Par exemple, en France, on essaie d'améliorer continuellement ce système. On essaie de faire en sorte que dans les hôpitaux, on ait la certification électronique des décès. On en est loin. On commence à mettre en place la certification électronique en ville, mais pour ce qui est des décès à l'hôpital, on n'en est pas encore capable aujourd'hui.

Deuxièmement, la mortalité doit être appréciée, comme l'a dit la ministre, à l'aune de ce qu'un système de santé peut faire. Imaginer que l'OMS soit capable de produire un critère de gravité à vocation mondiale, ce n'est pas si facile que cela. Malgré tout, et je crois que c'est une des leçons de ce qui s'est passé, il va falloir creuser cette question.

Est-ce que personnellement, j'ai été amené à intervenir ou à être en lien avec l'OMS sur ces questions ? Je ne fais pas partie, bien sûr, du comité d'urgence de l'OMS, mais je suis membre du conseil exécutif, qui est plutôt un conseil d'administration. A ce titre, j'ai participé à l'Assemblée mondiale de la santé au mois de mai. J'ai assisté aux interventions, qui ont été mentionnées hier, des représentants suisse et britannique. Le ministre britannique Alan Johnson était intervenu. Nous étions justement, alors, dans une période de grande incertitude : fallait-il ou non passer à la phase 6 ? Les positions étaient un peu divergentes. Je me souviens d'une conférence téléphonique à laquelle j'ai participé à la demande de la directrice générale de l'OMS quand la question s'est posée de qualifier la pandémie lors du passage en phase 6.

La directrice générale se posait la question. Elle pensait bien que nous étions dans une situation qui n'était pas celle de 1918. En même temps, certains éléments, certains aspects n'étaient pas rassurants. Dans ce contexte, la qualification de « gravité modérée » a semblé adaptée.

Pour terminer, je vais répondre à la question relative aux conflits d'intérêts. C'est un sujet extrêmement important et comme vous le dites, monsieur le président, des progrès ont été faits, mais on peut encore probablement en faire.

Des progrès ont été faits, car la loi de 2002 a mis en place un dispositif de déclaration de liens d'intérêts, de publication de ces liens, qui permet de mieux gérer les conflits d'intérêts. C'était l'objet du rapport auquel faisait allusion le sénateur Alain Milon. On est pris entre deux exigences : il nous faut des experts compétents, sinon l'expertise n'a pas de sens, et il nous faut des experts indépendants.

Les comités techniques autour de la direction générale de la santé sont souvent des comités techniques de suivi de plans de santé publique, où la question des conflits d'intérêts ne se pose pas, parce qu'il n'y a pas véritablement de décisions à prendre ; mais s'agissant du Comité de lutte contre la grippe, il y en a.

On pourrait imaginer par exemple - le sujet a été évoqué - de faire en sorte qu'une autorité soit capable de contrôler la véracité de ce qui se dit ou se fait en termes de déclaration de liens d'intérêts et en termes de gestion des conflits d'intérêts. Comme l'a dit la ministre, cela pourrait aboutir à un dispositif très complexe. Est-ce une garantie absolue ? Ce n'est pas non plus évident, mais c'est peut-être une piste.

Une autre piste est très importante : la valorisation de l'expertise. Une manière de conforter le rôle des experts est que leur rôle soit reconnu, dans les milieux universitaires notamment. Tout un travail a été réalisé sur ce thème, dont traite le rapport que vous évoquiez. J'ai eu des contacts avec mes collègues du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour savoir si dans les conférences nationales d'université, on pourrait introduire la notion d'expertise, comme un élément de valorisation du travail des chercheurs ou des enseignants-chercheurs. C'est une piste. Il y a bien sûr, aussi, la question de la rémunération.

Une troisième piste serait de trouver une manière de neutraliser les liens qui peuvent s'exercer entre un expert et un industriel, de mutualiser ces liens, en quelque sorte, ce qui n'est pas non plus forcément évident, et qui risque beaucoup d'alourdir le dispositif. Ce peut aussi être, malgré tout, une piste.

On a sans doute à notre disposition des perspectives. La question est la nécessité de trouver un bon équilibre pour ne pas être dissuasif vis-à-vis de l'expertise et, en même temps, améliorer la confiance que tout le monde peut avoir dans notre dispositif d'expertise.

M. François Autain , président - Imaginons une société idéale où tous les experts des instances placées auprès des autorités sanitaires n'auraient pas de lien d'intérêts. Considérez-vous que pour être un expert compétent, il faut avoir forcément des liens d'intérêts ?

M. Didier Houssin - Non.

M. François Autain , président - J'ai constaté que 25 % des experts de l'AFSSAPS n'ont pas de lien d'intérêts. Sur un total de 1 300 experts, 350 d'entre eux environ n'ont pas de lien d'intérêts. Ils sont certainement compétents, puisque l'AFSSAPS les fait travailler.

Je pense que les experts compétents et qui n'ont pas de lien d'intérêts avec les laboratoires sont très nombreux. Ils permettraient, je le crois, dans des conditions tout à fait satisfaisantes, de faire marcher les institutions sanitaires qui existent aujourd'hui, de manière à ne pas faire peser de suspicions sur les décisions qui sont prises. Il est important que ce qui est du domaine privé soit du domaine privé, et que ce qui est du domaine public reste du domaine public. On ne peut pas faire les deux en même temps, ce n'est pas possible. Autrement, on crée des suspicions.

Je note au passage que vous n'appliquez pas, comme vous devriez le faire, même au sein du ministère, la loi telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Je l'ai dit hier, je ne vais pas me répéter. Il y a un travail considérable à accomplir : malheureusement, on en est encore fort éloigné d'une transparence suffisante.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué l'instance spécifique d'évaluation des protocoles d'expertise que nous avons votée à l'unanimité dans le cadre du Grenelle. Madame la ministre, hier, a répondu : « Ah ! Oui, mais c'était pour l'environnement ! » Non, c'était dans le volet santé du Grenelle qu'on a fait voter cela. Cela concerne directement l'ensemble de l'expertise : la toxicologie, etc. Je tenais à le préciser.

Par ailleurs, le Sénat, dans la loi sur la recherche - qui avait été défendue par M. François Goulard -, a fait voter un texte définissant l'expertise comme un des piliers fondamentaux des missions de la recherche. On avait même parlé de rémunération majorée, etc. Il faudrait s'appuyer sur les textes pour progresser.

M. Claude Domeizel - Je suis membre d'une commission d'enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A(H1N1)v. Je voudrais savoir qui a décidé qu'il fallait 94 millions de doses. Je sais comment ce calcul a été fait. Qui a décidé qu'il fallait deux injections ? Dans quelles conditions cette décision a-t-elle été prise ? Il s'est avéré ensuite qu'une seule injection suffisait. Ce n'est pas rien, on est passé de 47 millions à 94 millions ! Il est évident que les firmes pharmaceutiques préféraient vendre 94 millions de doses plutôt que 47 millions. Excusez-moi de le dire comme cela.

Deuxièmement, en ce qui concerne les liens entre les firmes pharmaceutiques et le monde médical, on me dit qu'il n'y en a pas. Mais on les voit tous les jours : des visiteurs médicaux vont de cabinet médical en cabinet médical pour vendre leur marchandise. Il y a des liens permanents.

Enfin, monsieur le directeur, je vous précise que je ne suis pas médecin. Je suis un sénateur, et certains dans mon entourage ont su que j'étais membre de cette commission d'enquête. J'ai reçu, comme d'autres, des messages. Je voudrais vous lire un article qui m'a été transmis et sur lequel je souhaiterais connaître votre réaction :

« Il est désormais de notoriété publique que plusieurs chercheurs et médecins de l'Organisation mondiale de la santé sont rémunérés par des firmes pharmaceutiques. Le quotidien Le Parisien a mis en évidence des liens d'intérêts pour six d'entre eux. Trois font partie du principal groupe consultatif, deux du comité spécial de vaccination et le Français M. Bruno Lina du Comité de suivi de l'évolution de la pandémie... »

Je ne sais pas, je vous le précise, ce que sont ces organismes, et je ne connais pas M. Bruno Lina. Je poursuis :

« Dans le Comité français de lutte contre la grippe, il n'y a que deux experts indépendants sur les sept. Le groupe d'expertise et d'information sur la grippe est financé à 100 % par cinq laboratoires produisant le vaccin contre la grippe. »

Je me devais de vous demander votre réaction sur cet article.

M. Jean-Jacques Jégou - L'intervention liminaire du professeur Didier Houssin est une sorte de mémoire. Il paraît important qu'il soit annexé à nos travaux. C'est la première fois que nous entendons des choses aussi claires et argumentées.

M. François Autain , président - Il va naturellement nous servir de référence, mais nous ne faisons que débuter.

M. Jean-Jacques Jégou - On a dit tout à l'heure qu'il n'était pas obligatoire pour être expert d'être rémunéré par des industriels. Mais je voudrais aller plus loin : qu'est-ce qu'un expert ? Tout lien avec l'industrie doit-il être interdit ?

Selon moi, un expert est capable de rendre en son âme et conscience un avis, de prendre une décision éventuellement. Pour cela, faut-il qu'il soit coupé de tout ? Je ne sais pas comment travaillent les industries pharmaceutiques, mais c'est un monde qui est lié à celui de la recherche, de la médecine. Sommes-nous en état de définir ce que serait l'expert idéal ?

Il ne suffit pas de dire qu'il ne faut pas qu'il ait de liens. Il faut savoir exactement ce qu'est un expert... Je vais prendre un exemple « au ras des pâquerettes », celui des experts automobiles : combien sont vraiment des experts ? J'ai fait partie de la mission d'enquête sur la sécheresse. C'est assez extraordinaire, quand on a entendu les organismes officiels dire : « l'expertise en question faite chez les particuliers consistait simplement à dire : `je suis passé et vous pouvez être indemnisé' » . La langue française est très riche, on devrait pouvoir définir plus précisément la notion d'expert !

Je serais intéressé de savoir ce que le professeur Didier Houssin pense sur ce qu'un expert doit être autorisé à faire ou à ne pas faire sur le plan français, sur le plan mondial ou sur le plan de l'OMS.

M. Didier Houssin - Concernant la première question relative au schéma vaccinal à deux doses - le débat sur cette question est assez symptomatique de ce qui s'est passé -, on en a très vite su beaucoup plus sur le virus que sur ses effets.

Les progrès de la virologie ont permis, presque en quelques jours, de connaître la structure génétique de ce virus, d'observer que c'était un virus tout à fait nouveau, qui comportait des composantes d'origine porcine - on a parlé de virus porcin - d'origine aviaire et d'origine humaine. C'est-à-dire un virus qui est une sorte de recomposition, à partir de différents fragments de génomes. C'est donc un virus nouveau, ayant a priori , comme tout virus nouveau grippal, un potentiel pandémique, ce qui s'est d'ailleurs vérifié, puisqu'en quelques jours ou semaines ce virus a montré sa capacité à se propager à la surface du globe. Il est vrai que face à un virus nouveau, l'hypothèse qui est...

M. François Autain , président - Je vous interromps, monsieur le professeur, mais un virus nouveau est un virus auquel personne n'a été confronté. Tout le monde peut être atteint par ce virus. J'entends par là qu'aucune personne n'est a priori protégée contre lui. Il semble cependant que le H1N1 ne soit pas aussi radicalement nouveau que vous le dites, puisqu'un certain nombre de personnes étaient protégées contre ce virus, qu'il y avait une protection naturelle. La définition d'une pandémie - qui est en constante évolution - se rapporte, me semblait-il, à un virus, auquel personne n'avait jamais été confronté au cours de sa vie ; or ce n'est pas le cas.

On ne peut pas dire que ce soit un virus totalement nouveau. Ce n'est pas un H5N1, c'est un H1N1, voisin de virus que nous connaissons et auxquels la population a été confrontée : peut-être en 1919, peut-être en 1957. La preuve : beaucoup de ceux qui sont nés avant 1957, semble-t-il - c'est ce que nous expliquait madame la directrice générale de l'InVS - étaient protégés contre ce virus, ce qui est assez mystérieux. Il y a eu relativement peu de cas chez les personnes âgées. On ne peut donc pas dire que ce soit un virus pandémique puisque des gens étaient déjà immunisés contre ce virus.

M. Didier Houssin - Je suis navré, mais je ne partage pas votre analyse. Ce virus n'était pas nouveau au sens où c'était un virus de la grippe, c'était un virus H1N1, mais malgré tout sa composition génétique en faisait un « objet nouveau » dans la famille des virus H1N1.

C'est un élément dont on ne pouvait pas ne pas tenir compte, car l'argument que vous avancez du relatif faible impact sur certaines parties de la population est un argument quelque peu a posteriori . Lorsque nous étions au mois de mai, dans les quinze premiers jours de mai, c'était un virus nouveau.

M. François Autain , président - On peut avec le temps apporter des corrections...

M. Didier Houssin - Exactement, mais cette correction est venue plus tard. Si vous le souhaitez, je vous apporterai un élément que j'ai évoqué hier un peu rapidement, qui me parait extrêmement important pour la compréhension de ce qui s'est passé.

Avec les atténuations de sémantique apportées par le président, nous pouvons parler d'un virus « un peu nouveau ». Dans ce contexte, a priori , lorsqu'on veut induire une protection, faire en sorte que le système immunitaire réagisse suffisamment pour protéger vis-à-vis d'un virus aussi nouveau, la vaccination peut faire appel à deux, voire trois injections. Vous savez que dans beaucoup de vaccinations on est amené à faire une, deux, trois injections, voire un rappel. C'est la raison pour laquelle l'hypothèse, au départ, a été qu'il serait nécessaire d'avoir deux, sinon trois injections. L'hypothèse qui prévalait dans la communauté scientifique était que deux injections au minimum seraient nécessaires.

M. François Autain , président - C'était parce qu'on a pris le H1N1 pour le H5N1. On s'est trompé d'épidémie, c'est tout. On a appliqué au H1N1 le plan H5N1.

M. Didier Houssin - Cette orientation vers un schéma à deux doses était celle de l'ensemble des experts qui se sont prononcés sur ce sujet, au sein de l'EMA, en particulier. Disons que l'orientation qui s'est dessinée était celle qu'il faudrait deux doses. C'est la raison pour laquelle, partant sur cette hypothèse, le dimensionnement des acquisitions que vous évoquiez a été fixé à 94 millions de doses.

Si vous voulez en savoir plus sur le processus de décision lui-même, celui-ci s'est appuyé sur un scénario de planification formulé en matière épidémiologique par l'Institut de veille sanitaire. Il s'est basé sur les perspectives en termes de fournisseurs de vaccins de ce type. On a assez vite fait le tour des trois ou quatre fournisseurs qui étaient susceptibles d'être disponibles. Nous nous sommes fondés aussi sur l'avis du Haut Conseil de la santé publique, qui avait déjà formulé des hypothèses d'ordre de priorité de vaccination des populations, et de dimensionnement de populations qu'il serait nécessaire de vacciner.

M. François Autain , président - La décision d'acheter est intervenue très vite.

M. Didier Houssin - Tout à fait.

M. François Autain , président - L'avis du Haut Conseil est postérieur : il est au mois de septembre.

M. Didier Houssin - Non, on avait déjà eu des avis du Haut Conseil aux mois de mai et de juin. La direction générale de la santé a fait la préconisation auprès de la ministre en disant : compte tenu des informations dont nous disposons, de l'avis du Haut Conseil, de ce qu'on sait de ce virus ; compte tenu de ce que disent l'InVS, l'AFSSAPS, les industriels ; compte tenu de l'avis du Comité consultatif national d'éthique, voilà, en gros, le dimensionnement qu'il faudrait réaliser, avec plusieurs scénarios entre 90 et 130 millions de doses. C'est ce qui a été préconisé.

La ministre a ensuite analysé ces préconisations. Les négociations ont été engagées avec les industriels. Comme vous le savez, la décision in fine a été une décision du Premier ministre, intervenue le 3 juillet, qui a retenu un dimensionnement à 94 millions de doses, soit 47 % de la population. Je ne reviens pas sur le raisonnement qui a conduit à considérer que 25 % de la population ne souhaiteraient pas se faire vacciner.

M. François Autain , président - Vous me permettrez, monsieur le directeur général, d'indiquer que la décision d'acheter 94 millions de doses est intervenue avant les avis du Haut Conseil de la santé publique concernant les personnes à vacciner et la stratégie vaccinale. Je dirais même qu'on ne connaissait pas la stratégie vaccinale, lorsqu'on a commandé les 94 millions de doses. Je ne sais pas si cette décision relevait du principe de précaution ou d'un principe d'éthique ? Je ne sais pas comment l'appeler. En tout cas, cette mesure n'était pas scientifiquement fondée. Politiquement, elle l'était certainement, mais elle ne l'était pas scientifiquement.

M. Didier Houssin - Si je peux me permettre, monsieur le président, je dirais simplement que dès le 10 mai, le Comité de lutte contre la grippe évoquait la question de la stratégie vaccinale, en recommandant une couverture vaccinale large. Nous avons un avis du Comité technique des vaccinations le 22 juin, puis un avis du Haut Conseil de la santé publique le 26 juin.

L'aspect du dimensionnement des acquisitions a été expertisé entre le 8 mai et la fin juin, ce qui a abouti à une décision politique prise début juillet.

M. François Autain , président - Nous vérifierons tout cela.

M. Didier Houssin - Les documents sont à votre disposition.

Mme Christiane Kammermann - Ce sont des documents officiels ?

M. François Autain , président - Oui, bien entendu.

M. Didier Houssin - Sur la question concernant les liens entre les médecins et l'industrie, je crois que personne ne nie qu'il y ait des contacts entre les médecins et l'industrie.

Vous évoquiez la question des visiteurs médicaux. C'est un peu un autre problème. Le sujet qui mérite qu'on s'y arrête précisément est la question du lien, non pas entre les médecins et l'industrie, mais entre l'industrie et ceux qu'on identifie comme des experts, et qui sont susceptibles de donner des avis aux pouvoirs publics.

Ces experts, selon la loi, doivent remplir ce qu'on appelle une déclaration publique d'intérêts, dans laquelle on recense un certain nombre d'éléments. Des formulaires permettent de caractériser ces liens. Il y a différents types de liens. Il y a d'abord ce qu'on appelle la participation financière au capital d'une entreprise. C'est un lien majeur mais il est exceptionnel. Parmi les experts que nous avons, nous n'en avons pas recensé ayant ce type de liens.

En revanche, il y a des hypothèses très variées d'« activités exercées personnellement en lien avec l'industrie ». Cela peut conduire à des liens durables et permanents : par exemple, un chercheur ou un enseignant-chercheur peut être consultant permanent auprès d'une industrie. C'est une activité exercée personnellement, pour laquelle il est en général rémunéré et qui est considérée comme un lien d'intérêts durable, permanent et extrêmement important. On ne peut pas imaginer que cette personne puisse être amenée à porter un jugement sur un produit qui relèverait de cette entreprise.

Il y a ensuite toute une série d'interventions ponctuelles, c'est-à-dire que l'enseignant-chercheur ou le chercheur n'est pas rémunéré régulièrement par l'entreprise. Il peut simplement, de temps en temps, participer à un travail scientifique, être amené à donner un avis sur un projet mené par l'entreprise, ou faire un rapport d'expertise.

On peut demander, par exemple, à un virologue comment étudier la résistance de tel virus à tel médicament et de faire une étude d'expertise ponctuelle sur ce sujet. Il peut y avoir, ou ne pas y avoir de rémunération de cette intervention ponctuelle.

Il peut y avoir également des activités de conseil : par exemple, la participation à un groupe de travail. On peut imaginer qu'un industriel souhaite l'avis de spécialistes pour savoir si tel développement dans le traitement du diabète pourrait être une solution pour tel type de malades.

Dans le cadre de la participation à un groupe de travail ou groupe de réflexion, il peut aussi y avoir ou non rémunération.

Les interventions ponctuelles peuvent encore prendre la forme de participation à des conférences ou à des colloques. Un colloque de cardiologie a lieu aux Etats-Unis : on demande à tel spécialiste en cardiologie d'intervenir au sein de ce colloque sur un sujet. Un expert peut aussi simplement participer en auditeur à un congrès ou à une réunion scientifique.

Dans tous ces cas, il peut y avoir ou ne pas y avoir de rémunération. Quand il y a un déplacement, il y a en général la prise en charge des frais de déplacement. Evidemment, ce n'est pas l'enseignant-chercheur qui va payer le billet d'avion.

Un lien peut aussi résulter de l'exercice d'une activité qui donne lieu à un versement au budget d'un organisme. On a parlé, par exemple, dans la presse d'un chercheur finlandais, qui fait partie du Comité d'experts de l'OMS, dont on a découvert que l'institut de recherche auquel il appartient a, par ailleurs, un contrat avec un industriel. Dans ce cas, le lien est plus ténu, puisqu'il n'est pas concerné directement, ni scientifiquement ni financièrement, mais l'organisme dans lequel il travaille a un lien.

D'autres liens peuvent être des liens sans rémunération, mais peuvent, malgré tout, constituer des liens d'intérêts importants. Si vous êtes chercheur ou enseignant-chercheur sans lien avec une industrie, mais qu'en revanche votre femme, ou votre fils, ou votre fille, a un rôle déterminant dans une entreprise, on peut imaginer que cela constitue un lien d'intérêts qui peut peser.

M. François Autain , président - Ce dernier type de lien n'est jamais mentionné dans les déclarations qui sont rendus publiques.

M. Didier Houssin - Il devrait l'être. Aux Etats-Unis, par exemple, la question se pose actuellement de savoir si on doit indiquer à titre de lien d'intérêts le fait de participer à un même environnement de convivialité, par exemple en étant membre du même club de golf ou de je ne sais quoi. C'est un élément qui, malgré tout, peut créer un lien, et un lien parfois même très étroit.

Les organismes qui ont en charge la conduite des structures d'expertise doivent recueillir ces déclarations d'intérêts, s'assurer qu'elles sont actualisées et faire en sorte, lorsque la séance d'expertise commence, que l'on puisse juger ou pas s'il y a un lien d'intérêts susceptible de conduire à un conflit d'intérêts.

Ensuite, il y a la manière dont on gère ce conflit d'intérêts. On peut faire en sorte que la personne qui est en situation de conflit d'intérêts ne participe ni à la discussion ni à l'avis qui est formulé. Mais il y a toute une gradation dans la gestion de ces liens d'intérêts. Celle-ci est très importante et elle est faite le mieux possible par les organismes nationaux et internationaux, mais je ne doute pas qu'il y ait des marges de progrès et des moyens de resserrer encore ce dispositif.

J'ajoute que ces questions ne concernent pas seulement le domaine sanitaire.

Concernant la question des experts de l'OMS évoquée dans l'article, l'OMS, qui couvre le champ général de la santé, a plusieurs groupes d'experts dans de nombreux domaines. Pour ce qui est de la grippe, il faut avoir présent à l'esprit qu'il y a principalement deux groupes d'experts : le premier est le groupe qui s'appelle SAGE (Groupe stratégique consultatif d'experts), dont la ministre a parlé hier. Ce groupe d'experts est composé de virologues, et sa principale tâche est d'identifier, parmi les virus qui circulent, quels sont ceux qui constitueraient le meilleur choix pour la préparation d'un futur vaccin saisonnier.

Ces virologues analysent les données d'écologie virologique et annoncent la recommandation du SAGE qui deviendra la recommandation de l'OMS : pour la composition du futur vaccin saisonnier on recueille la souche H1N1 Brisbane, etc., H3N2 California, etc., à partir de la fréquence de circulation de ces virus dans les espaces géographiques.

Ce groupe SAGE, de mon point de vue, n'a pas d'impact pour la question évoquée par le président, c'est-à-dire la question de l'éventuel rôle de l'industrie pharmaceutique. Il est neutre de ce point de vue.

M. François Autain , président - C'est la raison pour laquelle on connaît sa composition.

M. Didier Houssin -  Le Comité d'urgence est un comité plus important. Il a été mis en place dans le cadre du Règlement sanitaire international. La ministre a parfaitement expliqué hier les raisons pour lesquelles l'OMS avait jugé préférable de ne pas communiquer l'identité des membres du Comité d'urgence. Souhaitez-vous que j'explique ces raisons ?

M. François Autain , président - Non, puisque la ministre l'a déjà fait.

M. Didier Houssin - Elle a expliqué en effet que c'était pour éviter des pressions des Etats.

Ensuite, pour ce qui est des comités nationaux, là aussi les déclarations publiques d'intérêts permettent de recenser ces liens. Ces liens constituent-ils pour autant des situations de conflit d'intérêts ? C'est une autre question. Lorsqu'il s'agit d'interventions ponctuelles très anciennes, pour ce qui est des comités qui sont dans l'orbite du Haut Conseil de la santé publique, c'est aux responsables de ce comité de juger si, oui ou non, il y a lieu de demander à l'expert de participer ou non au débat, de voter ou de ne pas voter.

Je vais terminer par la question que vous avez posée sur le Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG). Il s'agit d'une structure associative qui est d'origine industrielle. Cette association a trois buts à ma connaissance : tout d'abord, faire en sorte que les industriels mettent à disposition, à la même date, les vaccins saisonniers, dans un souci d'harmonisation logistique et de bonne organisation de la campagne de vaccination. Ils organisent à cette occasion un point presse où l'on annonce la date à laquelle les industriels vont pouvoir mettre les vaccins à la disposition des pharmacies.

La deuxième action du GEIG est d'organiser une réunion scientifique autour du thème de la grippe saisonnière, avec un souci de mise en avant de l'importance de la vaccination et d'amélioration de la couverture vaccinale. Je crois que M. Bruno Lina est président du conseil scientifique de cette association.

M. François Autain , président - Nous l'auditionnerons.

M. Didier Houssin - Il a essentiellement pour fonction d'élaborer le programme de cette réunion scientifique. Si vous avez envisagé de lui poser la question, il vous répondra mieux que moi.

M. Claude Domeizel - Vous aviez parlé de trois actions.

M. Didier Houssin - En fait, il y en a deux que j'ai rassemblées. Il y a aussi la mission de fixer la date de la réunion scientifique et la promotion vis-à-vis de la presse.

M. le sénateur Jean-Jacques Jégou a posé une question difficile : comment trouver une issue à cette question de la compétence et de l'indépendance ? J'entends bien le message qui serait de dire que tout serait plus simple en termes d'indépendance, si les experts étaient totalement coupés de la dimension privée. Cela peut peut-être fonctionner dans certains domaines disciplinaires, mais je ne suis pas sûr que cela puisse fonctionner dans tous.

Vous savez que beaucoup d'efforts sont faits actuellement pour faciliter les partenariats public-privé, pour faire en sorte que ce qui sort de la recherche académique puissent conduire à des développements, à des créations d'entreprises, à des créations d'emplois. Cela suppose une bonne articulation entre le secteur privé et le secteur public, entre la recherche publique et la recherche privée.

Deuxièmement, on voit bien que dans le domaine de la recherche clinique, on met beaucoup l'accent sur ce qu'on appelle la recherche translationnelle : comment faire, lorsqu'une nouvelle molécule est mise au point par un industriel, pour la mettre très vite au service des malades et la proposer ?

M. Jean-Jacques Jégou - On n'imagine pas qu'un médecin hospitalier, qu'un professeur ou qu'un spécialiste mondialement connu puisse être complètement coupé de l'industrie.

M. Didier Houssin - On est dans une période où on voit les avantages de beaucoup d'aspects de cette promotion du partenariat et des liens entre le public et le privé. Pour autant, vous avez raison, il faut qu'il y ait des garde-fous et qu'on fasse en sorte que les questions de liens d'intérêts soient bien identifiées et bien gérées.

Je reviens à ce qui a été dit au début. C'est une amélioration permanente du dispositif qui peut peut-être conduire à rétablir cette confiance. Je n'en suis pas certain, mais en tout cas on peut sans doute le tenter.

M. François Autain , président - Merci monsieur le directeur général. Je vais maintenant poser des questions que le rapporteur, qui a dû nous quitter, voulait vous poser. Si vous le permettez, j'en ajouterai une qui est de mon cru.

La première question est la suivante : comment se sont déroulées les négociations avec les laboratoires pharmaceutiques, entre l'alerte lancée par l'OMS fin avril, et la transmission des lettres d'intention de la ministre ? Et quelle a été la part de la coordination interministérielle ?

M. Didier Houssin - Les discussions avec les industriels ont commencé, je dirais, fin avril. Je pourrai vous dire précisément, pour chacun des laboratoires, à quelle date les discussions ont commencé. Concernant GSK, ce fut le 30 avril ; on a reçu un mail de proposition de GSK le 30 avril. La première réunion avec Sanofi Pasteur remonte au 30 avril. Le premier contact avec Baxter date du 7 mai, et celui avec Novartis du 14 mai.

Comment cela s'est-il passé ? Cela s'est traduit, après un échange de mails ou de contacts téléphoniques, par une première réunion au niveau de la DGS, où un point de la situation a été fait. Quand on avait des contrats, pour Sanofi et Novartis, on a évoqué la manière de procéder dans le cadre contractuel existant. Pour les autres, on a évoqué les possibilités et les produits. La discussion à ce stade a été essentiellement technique : livraisons possibles, quantités, nature de vaccins, type de vaccins... C'est essentiellement dans ce contexte que les choses se sont faites. Lorsqu'on a eu une première expression écrite de la part d'un industriel, on est passé à la phase des lettres d'intention à partir du 14 mai.

M. François Autain , président - A quelle date avez-vous transmis les lettres d'intention à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ?

M. Didier Houssin - Il y a eu d'abord un échange de messages avec les industriels qui exprimaient un intérêt. On ne peut pas parler de lettre d'intention formelle, mais en tout cas de la manifestation d'un intérêt. Cela a eu lieu fin mai, début juin pour Baxter, le 2 juin pour Novartis. Les choses ont été facilitées par les cadres contractuels qui préexistaient.

M. François Autain , président - Avec les contrats de 2005, vous pouviez déjà avoir 40 millions de doses.

M. Didier Houssin - En théorie.

M. François Autain , président - Ce n'était déjà pas mal.

M. Didier Houssin - On avait la notion très claire que Sanofi était dans une situation difficile, compte tenu de l'absence d'AMM du vaccin Emerflu, ce qui était une information très importante. Les anticipations d'obtention d'une AMM pour un vaccin adjuvanté Sanofi étaient pour nous tardives, et elles se sont vérifiées puisque Sanofi a eu son AMM le 18 février.

Pour Novartis, on avait une idée à peu près précise du dimensionnement possible. On avait beaucoup d'incertitudes sur les aspects de capacité de production, ce qui s'est aussi vérifié. En revanche, on avait la notion que GSK était sans doute le laboratoire qui était le mieux à même de livrer rapidement de grandes quantités, d'où l'iintérêt que nous avons porté à GSK.

M. François Autain , président - Autre question : quel est l'intérêt de confier la négociation des contrats à l'EPRUS, dès lors que les cocontractants et les quantités à commander sont fixés par la ministre de la santé ?

M. Didier Houssin - On a créé l'EPRUS en 2007, à l'initiative sénatoriale.

M. François Autain , président - On l'a même modifié en 2008.

M. Didier Houssin - Cet EPRUS a pour mission justement de remplir cette fonction d'acquisition et de logistique. On avait bien perçu dans les années 2005-2006, à la suite de tous les travaux engagés dans le cadre de la préparation à des menaces terroristes et dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, que le ministère de la santé avait besoin de capacités, qu'il avait du mal à assumer lui-même les fonctions de logistique, d'acquisition de produits, d'établissement pharmaceutique. Je précise que l'EPRUS est devenu un établissement pharmaceutique en janvier ou février. Cet établissement a été créé pour acquérir, stocker, gérer, faire de la logistique, gérer la réserve sanitaire. Assez naturellement, la ministre et la DGS se sont tournées vers l'EPRUS pour procéder à ces acquisitions. C'est apparu normal.

M. François Autain , président - Une question du rapporteur concerne l'organisation de la vaccination. Au 18 janvier 2010, selon les chiffres cités par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) le 29 janvier, 5,74 millions de personnes avaient été vaccinées contre la grippe A (H1N1)v. Au 31 janvier, 5,5 millions de personnes avaient répondu à la campagne vaccinale contre la grippe saisonnière organisée comme tous les ans par l'assurance maladie en direction de certaines populations à risques.

La comparaison entre ces deux chiffres ne doit-elle pas conduire à s'interroger sur l'efficacité du dispositif de vaccination pandémique qui a été mis en place ?

M. Didier Houssin - Monsieur le président, il est difficile de comparer ce qui n'est pas comparable. La vaccination grippe saisonnière est une vaccination qui se fait chaque année, qui a une cible bien identifiée, qui s'appuie sur des vaccins livrés en monodoses qu'on va acheter à la pharmacie, avec un système rodé, qui démarre de façon anticipée à partir du mois de septembre. C'est une affaire qui se joue dans la sérénité.

La campagne de vaccination contre le H1N1 s'est faite dans des conditions considérablement plus contraintes. Cela a été une sorte de course contre la montre dans un océan d'incertitudes. Allions-nous disposer de vaccins autorisés ? Ces vaccins seraient-ils en quantités suffisantes ? Comment gérer le fait qu'il y ait quatre producteurs, quatre types de vaccins, voire un peu plus éventuellement ? Comment faire face au fait que ces vaccins seraient livrés en multidoses et que, si on ne voulait pas gâcher, il fallait organiser une forme collective de vaccination ?

M. François Autain , président - On a gâché quand même.

M. Didier Houssin - On a essayé de gâcher le moins possible. Je crois qu'on a peu gâché. Le fait que des doses n'aient pas été utilisées...

M. François Autain , président - A combien va revenir la vaccination ? Vous n'avez pas fait de calculs encore ?

M. Didier Houssin - Quels calculs ?

M. François Autain , président - Ceux du coût de la vaccination que vous avez faite. Les premières estimations que j'ai faites reviennent à considérer que chaque vaccination a coûté à la collectivité pas moins de 200 euros. Ce qui n'est pas tout à fait du même ordre que le coût de la vaccination saisonnière. Et encore est-ce un chiffre tout à fait approximatif qui demande à être affiné et qui risque d'être très supérieur ! C'était une parenthèse pour dire que le système artisanal de la grippe saisonnière a peut-être certains avantages...

M. Didier Houssin - On aurait bien aimé faire comme pour la grippe saisonnière.

M. François Autain , président - Peut-être était-ce possible, mais il est trop tard.

Je voudrais vous poser une dernière question. Pourquoi avez-vous cru devoir procéder à une modification très subtile de la définition de la grippe ?

M. Didier Houssin - Pandémie ou grippe ?

M. François Autain , président - J'ai sous les yeux la fiche mémo relative à la stratégie nationale de prise en charge que vous avez adressée à tous les médecins. Vous dites maintenant que la grippe, ce n'est plus ce que c'était. Il y avait une définition officielle de la grippe qui était partagée par tous, depuis le 22 juin 2009, et qui reprenait la définition de l'Institut de veille sanitaire : « un cas possible - c'est important - de grippe H1N1 est une personne représentant un syndrome respiratoire aigu, à début brutal - signes généraux (fièvre supérieure à 38°C ou courbatures ou asthénie) et signes respiratoires (toux ou dyspnée) ».

Vous avez donné une autre définition de la grippe. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Vous avez supprimé la possibilité du cas : il n'y a plus d'hésitation. Automatiquement un cas est défini par « un malade présentant un syndrome respiratoire aigu à début brutal, associant les signes respiratoires... » . C'est très subtil, parce que vous n'avez pas changé grand-chose ; vous avez simplement ajouté un « ou » là où il y avait un « et » dans la première définition. Ce qui veut dire qu'avec votre définition, quelqu'un qui a la goutte au nez, qui a quelques courbatures et a 38° de fièvre a automatiquement la grippe A (H1N1)v...

Quand on constate que cette modification de la définition de la grippe coïncide avec la recommandation que vous avez adressée aux médecins, de prescrire des antiviraux selon des modalités hors AMM, on peut se poser un certain nombre de questions, puisque cette modification a pour conséquence de prescrire beaucoup plus d'oseltamivir qu'on en prescrivait avant.

Evidemment, les esprits malveillants diront qu'il y a des stocks d'oseltamivir dont on ne sait pas comment se défaire. Pour les écouler, on va faire en sorte qu'on les prescrive pour des cas qui ne sont pas forcément des grippes H1N1, ou en tout cas qui ne répondent pas à la définition telle qu'elle était connue depuis le mois de juin 2009.

On s'imagine bien que ce n'est pas pour cette raison que vous avez modifié cette définition. Cela n'a rien à voir, mais cette coïncidence est malencontreuse. Il faudrait, je crois lever cette ambiguïté et dire que les modifications n'ont rien à voir avec la volonté d'écouler des produits comme l'oseltamivir, qui risque de se périmer assez rapidement. C'est une question à laquelle il est facile de répondre.

M. Didier Houssin - Elle est facile et difficile, monsieur le président. Je n'ai pas le souvenir de cette évolution. Je vais regarder de très près les différents textes que nous avons produits sur ce sujet. Sincèrement, je n'étais pas au courant de ce glissement.

M. François Autain , président - Il y a eu un glissement. C'est un petit peu comme le H1N1. Il y a un v, une variation, une mutation. Ce n'est pas une cassure.

M. Didier Houssin - Je vais regarder cette mutation textuelle, et me renseigner pour savoir si elle a été délibérée. Il faut revoir l'avis du Comité de lutte contre la grippe, en particulier l'avis du 12 novembre, qui a formulé cette recommandation que nous avons évidemment suivie.

Je voudrais simplement rappeler qu'à ce moment-là notre inquiétude était qu'un certain nombre de personnes meurent de cette grippe. Vous allez me dire qu'il n'en est pas mort beaucoup, mais malgré tout, pour celui qui meurt, c'est quand même un inconvénient.

Nous avons essayé de faire en sorte de formuler des recommandations les mieux à même de protéger la santé. Sincèrement, l'idée que nous ayons eue en tête essentiellement la volonté d'écouler des stocks...

M. François Autain , président - Je provoquais un peu.

M. Didier Houssin - De plus, cela n'a aucun lien avec l'industrie, car en pratique il s'agissait d'écouler des stocks de l'Etat qui étaient gratuits. Nous souhaitions que les gens n'aient aucune difficulté d'accès.

M. François Autain , président - C'était gratuit, bien entendu, et produit gratuitement.

M. Didier Houssin - Il n'y avait pas du tout d'idée de ce type. L'idée était vraiment de faire en sorte que les personnes soient le mieux protégées possible. Si la question de la formulation autour de ce « et/ou » vous inquiète et vous laisse soupçonner quelque chose, je veux bien regarder.

M. François Autain , président - Une dernière question. N'aurait-il pas fallu, monsieur le directeur, prévoir la possibilité de modifier l'importance des commandes de vaccins en fonction des dates auxquelles elles pourraient être livrées, de l'intérêt de la vaccination, son utilité pour enrayer la pandémie dépendant du moment de sa mise en place ? La protection individuelle contre le virus justifiait-elle l'achat de 47 millions de traitements ?

M. Didier Houssin - La ministre a répondu hier à cette question. J'aurais tendance à répondre oui, cela aurait été bien, mais on n'a pas pu, car on était dans une situation de négociation qui faisait que ce n'était pas un paramètre sur lequel on pouvait jouer. On a joué sur l'exigence de l'AMM. On voulait être sûr de mettre à disposition des vaccins les mieux sécurisés possible. On a joué beaucoup sur la question des calendriers de livraisons qui était en fait notre préoccupation principale. C'étaient nos deux critères. Concernant le prix, cela a été dit par la ministre, et je pense que M. Noël Renaudin a dû vous en parler.

M. François Autain , président - Complètement. A la limite, il trouve que vous avez fait une affaire. Si, sérieusement.

M. Didier Houssin - La ministre s'est battue sur la clause de responsabilité du fait du produit, car il était hors de question qu'on accepte de prendre cette responsabilité, et je crois que ce combat a été gagné en France. Sur la question de la clause de sauvegarde, c'est vrai que cela aurait été bien, mais cela n'a pas été possible.

M. François Autain , président C'est sur ce constat que nous allons devoir, mes chers collègues, lever cette séance. Je vous remercie et vous rends hommage d'être restés jusqu'à la fin, parce que ce n'était pas toujours facile. Je remercie, bien entendu, monsieur le directeur général de la santé qui a répondu avec beaucoup de soin aux questions souvent difficiles que nous lui avons posées.

Audition de MM. Hervé GISSEROT, président-directeur général,
Jean-Noël BAIL, directeur des affaires économiques et gouvernementales,
David LECHLEITER, directeur des opérations vaccins,
et Mme Soizic COURCIER, directeur médical,
du laboratoire GlaxoSmithKline France
(mercredi 30 mars 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous poursuivons le cycle de nos auditions commencées la semaine dernière avec celle des représentants du laboratoire GlaxoSmithKline France, MM. Hervé Gisserot, président directeur général et Jean-Noël Bail, directeur des affaires économiques et gouvernementales.

Nous attendons également M. David Lechleiter, directeur des opérations vaccins et Mme Soizic Courcier, directeur médical.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Hervé Gisserot et Jean-Noël Bail prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon et des membres de la commission.

Vous avez la parole.

M. Hervé Gisserot - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l'opportunité de nous exprimer devant la représentation nationale dans le cadre de cette commission d'enquête.

Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler en quelques mots la présence de GSK en France : avec près de 5 000 employés répartis sur toute la chaîne de valeur ajoutée du médicament - de la recherche à la commercialisation - nous disposons de quatre sites industriels et d'un site de recherche et développement.

Nous sommes également le premier laboratoire international en termes d'investissements sur notre territoire avec 850 millions d'euros investis au cours de ces trois dernières années.

Avec mes collègues, nous sommes à votre entière disposition pour répondre à vos questions mais je souhaiterais auparavant vous exposer brièvement quelle a été la contribution de GSK dans le contexte de la pandémie H1N1.

Comment GSK s'est-il organisé en amont et pendant la pandémie ?

Comme vous le savez, les pandémies peuvent être dévastatrices tant en termes de santé publique que sur le plan économique. C'est pourquoi, depuis près de dix ans, l'OMS a fait de la préparation au risque de pandémie une de ses priorités, incitant les gouvernements ainsi que l'industrie pharmaceutique à se préparer avec les solutions adaptées.

Dans ce contexte, GSK, en tant qu'acteur de santé publique, souhaitait être présent et ce sont de très importants investissements et dépenses qui ont été effectués ces dernières années, à hauteur de 2,5 milliards d'euros dans le domaine de la recherche.

M. François Autain, président - Mme Soizic Courcier et M. David Lechleiter venant d'arriver, je vais leur demander de prêter serment à leur tour.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Soizic Courcier et M. David Lechleiter prêtent serment.

M. François Autain, président - Merci.

Nous pouvons poursuivre.

M. Hervé Gisserot - Depuis 2005, des contacts réguliers ont eu lieu avec la DGS pour tenir les autorités informées pas à pas des données cliniques et des démarches réglementaires sur le vaccin H5N1.

Mon prédécesseur, M. Christophe Weber, a également été auditionné en novembre 2005 par une mission d'information sur la grippe aviaire présidée par les députés MM. Jean-Marie Le Guen et Jean-Pierre Door sur le développement de notre vaccin adjuvanté.

Depuis le mois d'avril 2009, nos équipes de recherche et développement, industrielles, réglementaires et de pharmacovigilance se sont mobilisées sans relâche pour faire face aux demandes des Etats face à cette crise sanitaire.

En termes de production, nous avons revu nos priorités en fonction des recommandations de l'OMS. Cette décision nous a amenés à décaler dans le temps la production de certains vaccins moins prioritaires en termes de santé publique.

Pour préparer notre réponse aux côté des autorités à la pandémie H1N1, GSK s'est appuyé sur sa présence industrielle en France.

Nous avons ainsi accéléré nos investissements à Saint-Amand-les-Eaux, unité où, depuis plus de trois ans, nous avons investi plus de 550 millions d'euros, de manière à accroître la capacité mondiale de production de notre adjuvant ASO 3, partie intégrante du vaccin H1N1.

Nous avons également signé de nombreux accords de sous-traitance dans le domaine du remplissage, goulet d'étranglement de la production de vaccins, car les capacités industrielles de GSK et d'autres n'étaient pas suffisantes pour subvenir aux demandes des autorités, qu'elles soient françaises ou autres. Nous avons mobilisé nos réseaux industriels internes, comme notre site de Notre-Dame-de-Bonville ; nous avons également signé, en France, des contrats de sous-traitance avec les laboratoires Pierre Fabre.

Enfin, à partir d'Evreux, notre plus grand site industriel en France, nous avons exporté la moitié de la quantité mondiale de notre antiviral Relenza vers le reste du monde.

Dans ce contexte très évolutif, M. Jean Stephenne, président de GSK vaccins au niveau mondial, a adressé des courriers réguliers, une à deux fois par mois, à l'ensemble des gouvernements européens pour les tenir informés en temps réel et en toute transparence des progrès réalisés sur le plan industriel, réglementaire et clinique. Nous avons également souligné les éventuelles difficultés à anticiper en essayant des les résoudre avec les autorités.

J'en viens maintenant à la synthèse des conditions de négociation avec les autorités françaises et à leur calendrier.

A la demande de la DGS, les discussions se sont accélérées début mai 2009, suite au premier cas de grippe porcine survenu au Mexique et à la déclaration de pandémie de niveau 5 par l'OMS le 29 avril.

Les autorités ont rapidement identifié l'intérêt du vaccin GSK sur au moins trois aspects : nous disposions d'abord d'un dossier prototype H5N1 déjà approuvé par l'Agence européenne du médicament.

En second lieu, notre vaccin est adjuvanté et permet donc une réduction significative de la quantité d'antigène associée et une meilleure protection croisée.

Enfin, la réutilisation du vaccin est possible au-delà de la pandémie en cours grâce au stockage séparé de l'adjuvant et de l'antigène, à condition d'avoir obtenu les autorisations réglementaires.

M. Jean-Jacques Jégou - A combien s'élèvent les durées de conservation ?

M. Hervé Gisserot - Elles sont différentes selon les lots.

M. David Lechleiter - La durée de conservation de l'antigène est de 18 mois et celle de l'adjuvant de 36 mois. Ce sont les données mentionnées au contrat avec la France. Les produits sont livrés en flacons séparés. La reconstitution a lieu juste avant l'injection.

Un grand nombre de lots a été livré entre octobre et février ; certains ont été utilisés au début de la campagne de vaccinations. Quelques-uns sont encore stockés aujourd'hui.

M. Hervé Gisserot - L'intérêt des autorités françaises s'est traduit le 14 mai par une lettre d'intention portant sur la commande de 50 millions de doses de vaccins H1N1-GSK signée par le directeur de cabinet de Mme la ministre.

Notre production de vaccins a démarré le 22 juin, en amont de la signature du contrat avec la France. Ce contrat a été signé avec l'EPRUS le 10 juillet après plusieurs semaines de négociations.

On peut qualifier ce processus de décision de rapide ; je crois qu'il a été géré avec efficacité et exigence sur le plan scientifique et médical et également avec un grand sens mutuel des responsabilités.

Pourquoi était-il nécessaire de tenir des délais courts ? Il y avait deux raisons. En premier lieu, la capacité de production était limitée au niveau mondial, d'où la nécessité pour la France de se positionner très vite pour sécuriser les quantités souhaitées, particulièrement en l'absence d'un contrat de préréservation avec GSK. Nous étions liés contractuellement depuis parfois plusieurs années avec un certain nombre d'Etats. Tel n'était pas le cas pour la France ; si la France souhaitait bénéficier en priorité du vaccin GSK, il fallait qu'elle se positionne rapidement. En second lieu, nous devions définir nos propres besoins en termes d'investissement et de capacité de production.

Quelles ont été les étapes clés ? L'avis positif de la Commission européenne a été reçu le 29 septembre.

GSK a souhaité que tous les pays européens ayant commandé le vaccin reçoivent les premières livraisons en même temps. C'est dans ce cadre que la France a reçu 1,1 million de doses le 9 octobre 2009.

Au 4 janvier 2010, date de la notification unilatérale par le Gouvernement de la modification du contrat, 12,3 millions de doses avaient été mises à disposition, soit 25 % du total selon le planning de livraison indicatif.

Les 18 millions de doses souhaitées par la France suite à la révision unilatérale du marché ont fini d'être livrés le 16 février 2010.

Pour les 32 millions de doses restantes, la grande majorité des étapes industrielles avait déjà été réalisée à la date de la notification du 4 janvier 2010. Toute la production en vrac était ainsi finalisée et la moitié des quantités était déjà conditionnée en flacons remplis.

A ce jour, les discussions se poursuivent avec l'EPRUS dans le but d'aboutir à un accord transactionnel souhaité par GSK et par les autorités.

Des accords similaires ont déjà été signés par GSK avec une vingtaine de pays européens - Allemagne, Hollande, Belgique - ainsi qu'avec le Japon, à hauteur des deux tiers de la valeur initiale du contrat.

C'est sur cette base que nous avons fait une proposition étayée à l'EPRUS et GSK n'identifie aucun élément spécifique, dans le contexte français, qui justifierait une approche différente.

Avant de conclure, je tiens à souligner l'esprit de responsabilité dans lequel GSK s'est inscrit à tous les niveaux, qu'ils soient scientifique, contractuel et sociétal.

En termes de responsabilité scientifique et réglementaire, les décisions appartiennent aux autorités internationales, européennes et nationales compétentes. Notre responsabilité est de fournir les données nécessaires à leur prise de décision éclairée.

Tout au long du développement et de la fabrication du vaccin, les données ont été soumises en intégralité et en totale transparence à l'EMA et à l'AFSSAPS au fur et à mesure de leur génération.

En termes de responsabilité contractuelle, dans le cas d'une vaccination de masse et dans un contexte pandémique, il est non seulement logique mais incontournable pour un industriel que l'Etat prenne à sa charge la responsabilité de l'utilisation du produit. Ce principe est d'ailleurs mis en place dans tous les pays européens.

En revanche, nous assumons pleinement et entièrement notre responsabilité pharmaceutique en termes de qualité des produits délivrés.

En termes de responsabilité sociétale, depuis l'émergence du risque pandémique au printemps 2009, GSK s'est tenu à une position constante de réserve en termes de communication, vis-à-vis notamment du grand public.

Nous n'avons jamais, tant au niveau international que français, participé à quelque communication que ce soit qui aurait pu majorer la perception du risque pandémique ou qui aurait surestimé le bénéfice vaccinal.

Dans notre esprit, il appartenait aux pouvoirs publics, sans la moindre interférence de notre part, de communiquer auprès du grand public sur la stratégie choisie de gestion de la pandémie.

En conclusion, dans un contexte de grande incertitude scientifique et épidémiologique et face aux critiques rétrospectives, il me paraît important de souligner que pas un jour n'a été perdu.

Moins de cinq mois se sont écoulés entre la lettre d'intention et la livraison des premières doses le 9 octobre ; ces doses ont permis, comme vous le savez, de démarrer la campagne de vaccination auprès des professionnels de santé.

GSK se veut acteur de santé publique et partenaire dans la durée des autorités françaises, quelles que soient les circonstances.

Nous sommes tout à fait ouverts aux réflexions en cours afin d'apprendre de cet exercice pandémique grandeur nature, comment mieux nous préparer tous ensemble - Gouvernement, agences, professions de santé, citoyens et industriels - aux inévitables pandémies du futur.

Gageons que la commission d'enquête que vous présidez contribuera à mieux nous préparer collectivement à ces enjeux de santé publique.

M. François Autain, président - Notre souhait à tous est de clarifier les conditions dans lesquelles a été gérée cette crise.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant les investissements, quand le groupe GSK a-t-il fait le choix stratégique d'investir dans la fabrication de vaccins contre les grippes pandémiques ?

Quels ont été la nature et le montant de ces investissements ?

Lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur général de la santé a relevé que l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins. Cette affirmation s'applique-t-elle à votre entreprise ?

GSK a-t-il accepté des commandes de vaccin H1N1 qu'il n'était pas en mesure d'honorer ?

Pourquoi votre laboratoire n'a-t-il pas été candidat à l'appel d'offres lancé en 2005 par le gouvernement français pour la fourniture de vaccins contre le virus H5N1 ?

M. Hervé Gisserot - S'agissant de la dernière question, en 2005, nous avions le sentiment de ne pas avoir encore suffisamment avancé dans nos recherches pour pouvoir nous engager dans un tel contrat de préréservation. Voilà pourquoi nous n'avons pas répondu à cet appel d'offres.

Pour pouvoir être un acteur responsable vis-à-vis des autorités, il nous fallait avoir plus développé, recherché, de façon à nous assurer que nous avions un produit à la clef.

Voilà ce qui a incité GSK à avoir cette attitude réservée à l'époque de l'appel d'offres.

M. François Autain, président - Deux laboratoires ont signé cet accord en 2005. Il s'agissait à l'époque de Sanofi Pasteur et de Chiron, qui a été ensuite absorbé par Novartis.

Il semble que, dans les autres pays, GSK ait signé ces accords en 2006. Est-ce exact ?

M. David Lechleiter - De mémoire, GSK est entré en 2006 dans ces différents pays, quelques mois après la date à laquelle la France avait décidé de poser la question.

GSK avait décidé, au moment où la France avait commencé ce processus, qu'il n'avait pas suffisamment de certitudes.

M. Michel Guerry - A ce moment, n'étiez-vous pas déjà fabricant de la moitié de la production mondiale à Evreux ?

M. Hervé Gisserot - Nous étions déjà en relation avec les autorités françaises à propos du Relenza. Dans le compte rendu de l'audition de mon prédécesseur, en 2005, on peut lire : « Lorsque le Gouvernement a lancé l'appel d'offres, nous avons estimé qu'il était trop tôt pour s'engager sur quoi que ce soit ; rien ne dit que les fabricants parviennent à mettre au point un vaccin suffisamment immunogène pour que la réaction soit suffisante après deux doses ».

M. Alain Milon, rapporteur - Il parle bien de deux doses ?

M. Hervé Gisserot - A l'époque, le vaccin H5N1 comportait deux doses.

En revanche, dès que nous avons eu le sentiment de disposer d'un vaccin prometteur, nous avons informé les autorités. Certes, nous n'avions pas répondu à l'appel d'offres mais il ne fallait pas que les autorités passent à côté d'une éventuelle opportunité.

M. Jean-Jacques Jégou - A quelle date la souche H1N1 vous a-t-elle été remise par l'OMS ?

M. Hervé Gisserot - La souche a été remise aux différents laboratoires non par l'OMS mais par les laboratoires de référence travaillant au nom de l'OMS. Pour ce qui nous concerne, nous avons reçu la souche utilisée pour la production le 22 juin 2009.

M. David Lechleiter - S'agissant de nos investissements, ils ont commencé en 2004 dans le domaine pandémique. Ces investissements ont été très significatifs en 2005/2006. Ils s'étalent sur la période 2004/2010. N'ayant commencé qu'en 2004, il est compréhensible qu'en 2005, nous n'ayons pas estimé être suffisamment prêts, notamment en matière de capacités industrielles, pour répondre à la demande de l'Etat français.

M. Hervé Gisserot - Bâtir un dossier approuvé par l'Agence européenne du médicament nécessite un certain développement. Il s'agit, par anticipation, même si la demande excédait l'offre, d'essayer d'avoir des capacités de production mondiale permettant de répondre au mieux de nos possibilités aux demandes potentielles des différents Etats.

M. David Lechleiter - L'engagement que GSK a pris vis-à-vis des différents Etats de leur livrer les quantités demandées était-il mesuré ? Nous avons simulé des projections au moment où nous avons signé les contrats avec les différents Etats sur la base de rendements hypothétiques de la souche antigénique, sans connaître bien entendu les résultats des essais cliniques immunologiques et en fonction de l'expérience tirée du H5N1 et des vaccins saisonniers.

Il est fréquent, pour la production d'un vaccin grippal saisonnier, que le rendement antigénique oscille entre 40 et 70 mg par oeuf ; pour la projection des capacités industrielles que nous avons allouées aux différents Etats dans ce processus, on s'était basé sur un rendement conservateur à 22 mg, bien en-deçà de la fourchette normale de rendement de la souche antigénique par oeuf, ce qui nous plaçait dans une zone suffisamment confortable pour espérer pouvoir livrer à temps.

On a dû bien entendu jouer avec un grand nombre d'autres incertitudes puisqu'au moment où nous avons signé les lettres d'intention ou les contrats, nous ne savions pas à quel moment nous recevrions les souches des laboratoires de référence, laquelle serait la plus efficace en production, quels seraient les rendements, à quelle date nous pourrions utiliser toutes les capacités de remplissage, etc.

Comme pour tous les autres industriels, des choix ont dû être faits, avec un grand nombre d'incertitudes mais je pense que les hypothèses étaient raisonnables.

Il s'est avéré que le rendement de la souche H1N1 a été très faible, ce qui a été une grande surprise pour tous les laboratoires, y compris pour les laboratoires de référence et pour l'OMS. Ceci nous a mis un peu en retard par rapport à notre planification, bien que nous ayons pu commencer à livrer les premières doses dès octobre, plus tôt que d'habitude. Ceci révèle le niveau d'énergie que nous avons déployé pour accélérer la production. Le rythme de production et de livraison a ensuite été plus conservateur pour tous les laboratoires.

M. Alain Milon, rapporteur - Quand GSK a-t-il été contacté par le Gouvernement français en vue de l'achat de vaccins contre la grippe H1N1 ? Qui étaient vos interlocuteurs du côté de l'Etat ? Quel a été le calendrier de ces négociations ?

M. Hervé Gisserot - Nous étions depuis plusieurs années en contact régulier avec les autorités. Il se trouve que, début avril, nous avions eu un échange avec M. Didier Houssin et une partie des experts de la DGS pour parler du H5N1, présenter nos dernières données et faire un point d'étape régulier.

Quinze jours plus tard s'est déclaré le premier cas de grippe au Mexique ; début mai, nous avons été contactés par la DGS pour accélérer ces discussions. Nous avons passé le pont du 8 mai en conférence téléphonique permanente avec M. Didier Houssin ; M. François Hébert était également impliqué dans ces discussions à la fois avec l'équipe française et un certain nombre de représentants de la division « vaccins monde » de GSK basée en Belgique.

Ces discussions ont abouti, le 14 mai, à cette lettre d'intention. Jusqu'au 14 mai, dans notre esprit, M. Didier Houssin était celui qui pilotait l'ensemble des discussions, de nature médico-scientifique. On ne connaissait pas encore le montant des doses et on n'avait pas abordé l'ensemble des aspects contractuels. Vous avez probablement eu accès à cette lettre d'intention, signée par M. Georges-François Leclerc, le 14 mai.

M. François Autain, président - On va l'avoir, semble-t-il.

M. Hervé Gisserot - Je l'ai ici !

M. Jean-Jacques Jégou - Les discussions avec la DGS faisaient-elles apparaître que les achats de vaccins auprès de GSK s'inscrivaient dans une stratégie de vaccination de l'ensemble de la population ou avaient-ils pour objet de compléter d'autres commandes ?

Mme Soizic Courcier - A ce moment-là, je crois que le ministère de la santé n'avait pas décidé quelle stratégie vaccinale il allait mettre en place.

M. Hervé Gisserot - Les autorités ne nous ont jamais consultés sur la stratégie vaccinale.

La lettre d'intention du 14 mai, signée par M. Georges-François Leclerc, indique : « Comme suite à votre offre par courrier électronique du 10 mai 2009, adressée au directeur général de la santé, je vous confirme l'intention du Gouvernement français de procéder à la commande de 50 millions de doses adjuvant et antigène de vaccins adjuvantés contre le nouveau virus A H1N1 ».

M. Guy Fischer - Le Gouvernement vous a-t-il proposé de fragmenter sa commande ?

M. Hervé Gisserot - Je pense que le Gouvernement aurait souhaité fragmenter mais la France n'avait pas de contrat de préréservation. Nous avons permis à la France, qui était très intéressée par le vaccin de GSK, de se retrouver sur un pied d'égalité avec des pays qui avaient signé un contrat de préréservation deux ou trois ans auparavant et qui avaient payé pour cela. Il y a presque là une dimension éthique !

M. Jean-Jacques Jégou - Pensez-vous que la DGS a commandé une dose importante pour rattraper le retard de l'Etat français ?

M. Hervé Gisserot - Nous n'avions aucune information sur le statut des autres industriels, ni sur leur stratégie, qui n'était d'ailleurs pas déterminée. Elle l'aurait été que ceci aurait été fait avec trop de rapidité.

Le Gouvernement a souhaité se positionner. Le professeur Didier Houssin évoquait le fait que nous étions en situation de proposer des parts de production. C'est ce que nous avions fait avec les Anglais et les Allemands.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 10 mai, le Gouvernement répond donc à vos propositions ?

M. Hervé Gisserot - Nous-mêmes étions en négociation interne avec notre groupe, de manière à pouvoir garantir une certaine capacité de production et le Gouvernement répond en effet à notre offre du 10 mai.

La lettre comporte également le prix par dose.

M. Alain Milon, rapporteur - Comment a été déterminé le prix unitaire de dose proposé par votre laboratoire à l'Etat ? Ce prix a-t-il été différent de celui proposé à d'autres Etats européens et si oui, pourquoi ? Y-a-t-il eu des négociations sur le prix avec les autorités françaises ?

M. Hervé Gisserot - La première phase s'est terminée le 14 mai. A partir de cette date, nous sommes entrés dans une autre phase qui a été pilotée par l'EPRUS, tout particulièrement par le général Avaro, directeur général adjoint de l'EPRUS. De notre côté, c'est M. David Lechleiter qui a conduit les négociations avec l'EPRUS. Celles-ci ont fait l'objet de nombreuses réunions entre le 14 mai et le 10 juillet, date de la signature, réunion à laquelle nous étions un certain nombre à venir en toute fin de processus. J'y étais, M. Thierry Coudert, directeur général de l'EPRUS également, ainsi que MM. Jean Marimbert, directeur général de l'AFSSAPS, et Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé. C'est au cours de cette réunion que nous avons finalisé le contrat.

A partir de ce moment, nous avons eu deux types de relations, l'une très opérationnelle avec l'EPRUS, l'autre avec le cabinet de la ministre de manière à l'informer sur les éventuelles difficultés à anticiper, afin de mobiliser les autorités françaises vis-à-vis de l'Agence européenne des médicaments et d'avoir un parcours règlementaire aussi peu sinueux que possible.

M. Jean-Noël Bail - S'agissant des prix, la politique tarifaire a été, pour l'ensemble des pays européens avec lesquels nous avons contracté, de 7 euros par dose. Ce prix était cohérent avec nos pratiques, qui s'échelonnent entre 4 et 15 euros selon les pays, la France, pour son vaccin saisonnier, étant plutôt dans le bas de cette fourchette, avec 4,11 euros.

Le prix de 7 euros est un point médian, ce qui nous a permis de dire que pour le vaccin H1N1, nous pratiquions une politique cohérente avec nos prix pour les vaccins saisonniers.

M. Hervé Gisserot - Certains commentaires laissent penser que nous aurions utilisé une sorte de position de force pour fixer un tarif.

M. François Autain, président - C'est exact !

M. Hervé Gisserot - Le tarif dont nous parlons a été fixé dans les contrats de préréservation. Nous n'étions alors pas dans un contexte pandémique. Les gouvernements n'avaient pas le couteau sous la gorge. Ce prix n'a donc pas été déterminé le 14 mai mais dans ces contrats signés en amont !

Par ailleurs, la France, qui n'avait pas de contrat de préréservation avec GSK, en avait avec deux autres sociétés, à des tarifs plus élevés, au moins pour l'une d'elles.

Nous avons donc choisi au contraire la seule voie simple et responsable : trouver un prix moyen européen, ne pas négocier et s'assurer que toutes nos énergies aillent vers la mise à disposition du vaccin dans les meilleurs délais.

M. Alain Milon, rapporteur - C'était l'objet de ma question suivante : les interlocuteurs de la commission ont fait état du rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats. Avez-vous la même perception du contexte de ces négociations ? Vous y avez donc répondu.

Par ailleurs, ils ont également souligné que la France avait été contrainte de passer des commandes fermes pour la totalité de ses besoins, car les laboratoires avaient indiqué que les commandes optionnelles ne pourraient, si elles étaient confirmées, être livrées qu'en 2010.

GSK s'est-il opposé à l'inclusion d'une clause de révision dans le contrat passé avec la France ?

D'autres Etats ont-ils obtenu de passer des commandes révisables ?

M. Hervé Gisserot - On verse peut-être là dans un débat qui a une dimension sémantique.

Que signifie « rapport de force » ? Nous avons souvent eu le sentiment d'être nous-mêmes sous une pression extrême pour pouvoir satisfaire l'ensemble des autorités qui souhaitaient avoir accès à notre vaccin. Dans les premiers jours de mai, nous avons effectivement mis les autorités face à leurs responsabilités en leur disant que la France pouvait encore être traitée sur un pied d'égalité par rapport aux Allemands et aux Anglais.

Il ne s'agissait pas de faire usage d'une position de force mais de ne pas laisser espérer quelque chose qui ne se serait pas produit.

M. François Autain, président - Si une partie de la commande n'avait pas pu être livrée, cela n'aurait pas été dramatique !

M. Hervé Gisserot - On avait besoin d'un engagement clair, au-delà de la simple intention.

M. Alain Milon, rapporteur - Cela peut être compréhensible !

M. David Lechleiter - Pour mémoire, GSK a souhaité, dans ses relations avec les Etats européens, opérer de la façon la plus transparente et la plus consistante possible. Cela a pu être perçu comme une certaine intransigeance, GSK ayant souhaité que les conditions avec les différents Etats soient à peu près les mêmes, notamment pour ce qui relevait de la forme du contrat. On disposait donc de relativement peu de flexibilité mais nous agissions sur la base d'un contrat accepté par tous les Etats européens.

Par ailleurs, à l'époque de la négociation du contrat sur lequel la France a dû se positionner relativement rapidement pour confirmer les commandes, nous commencions la production des premiers lots. Il était très important, fin juin, que la France confirme sa position pour pouvoir réserver les premiers lots qui entraient en production et qui ont été livrés début octobre. On souhaitait, dans un souci d'éthique et de transparence, que tous les Etats européens reçoivent en même temps les premières doses.

La pression temporelle que l'Etat français a sans doute perçue venait de cette réalité industrielle, que d'autres Etats n'ont pas rencontrée parce qu'ils avaient réservé leurs doses en 2005 ou 2006.

M. Hervé Gisserot - Ceci laisse à penser qu'il serait sage de préparer les futures pandémies dans la sérénité !

M. François Autain, président - J'espère que l'on n'aura pas une pandémie par an ! Compte tenu des modalités de financement de l'OMS, qui compte assujettir les fabricants de vaccins à une taxe, il est possible que l'on ait d'autant plus de pandémies que les besoins de l'OMS sont importants mais si cette modalité de financement est remise en cause, le rythme des pandémies sera peut-être un peu plus normal !

On en a eu trois au cours du siècle dernier ; je ne vois pas pour quelle raison on en aurait une dizaine au cours de celui-ci ! Je sais que chacun attend avec impatience cette pandémie dévastatrice, qui hélas ne vient pas ! Elle n'a pas eu lieu avec le SRAS, ni avec le H5N1, pas plus qu'avec le H1N1. Il est vrai que tous les espoirs sont permis : il peut fort bien y avoir autre chose l'année prochaine, personne ne peut le savoir mais, personnellement, j'espère que nous n'aurons pas de pandémies tous les ans, d'autant qu'il faudra essayer de savoir ce qu'est une pandémie et comment on la définit. Mais ce n'est pas le problème du jour et je ferme donc la parenthèse.

M. Alain Milon, rapporteur - GSK s'est-il opposé à l'inclusion d'une clause de révision dans le contrat passé avec la France ? D'autres Etats ont-ils obtenu de passer des commandes révisables ?

Votre laboratoire avait souhaité dans les contrats l'inclusion d'une clause d'exonération totale de sa responsabilité de fabricant, y compris d'une éventuelle responsabilité du fait de produits défectueux.

Cette demande traduisait-elle une incertitude sur la qualité de votre processus de production de vaccins ?

M. Hervé Gisserot - S'agissant du premier point, nous avons souhaité un engagement ferme ; dès lors, il ne peut y avoir de tranches conditionnelles. Nous n'avons pas déterminé le montant de commande ferme que souhaitaient les autorités - c'était de leur pleine et entière responsabilité - mais une fois ce montant déterminé par les autorités, nous avons souhaité qu'il ne soit pas conditionnel. Si tel avait été le cas, cette partie aurait été produite après toutes les commandes fermes.

M. Alain Milon, rapporteur - L'avez-vous dit ?

M. Hervé Gisserot - Bien sûr. On savait à cette époque que cela nous plaçait dans une hypothèse où ces commandes conditionnelles seraient livrées courant 2010. De facto , cela ramenait à la commande ferme.

M. Alain Milon, rapporteur - Au départ, il s'agissait d'une commande pour une vaccination à deux doses ; puis on est passé à une dose. Pouvait-on réviser la commande à ce moment ?

M. Hervé Gisserot - Je ne suis pas au courant de la moindre clause d'un contrat qui anticipe cet aspect des choses. La réalité a montré qu'il n'y avait pas besoin d'une clause pour que les autorités le fassent.

M. Alain Milon, rapporteur - Uniquement en France !

M. Hervé Gisserot - En effet.

M. Jean-Jacques Jégou - Lors de leurs négociations avec les différents Etats, des représentants du groupe ont-ils pris en compte le risque de résiliation unilatérale ?

Le prix proposé permettait-il dès lors une couverture au moins partielle de ce risque ?

M. Hervé Gisserot - Il y a de nombreuses facettes dans la réponse à cette question.

Je ne suis pas un expert en droit des marchés publics à travers l'Europe mais je ne crois pas que l'ensemble des gouvernements européens puissent, selon leur droit national, résilier de commande unilatéralement comme le Gouvernement français l'a fait. Il y a là une spécificité française du code des marchés publics. Nous n'avons jamais contesté cette résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général. Nous avons simplement, sur un plan juridique, considéré que celle-ci devait être associée à une indemnisation du préjudice. Je crois savoir que, dans d'autres pays européens, notamment de droit anglo-saxon, les autorités n'ont pas cette marge de manoeuvre.

S'agissant du prix, celui-ci a été fixé en amont et ne tient en aucune façon compte de ce risque potentiel.

M. Jean-Jacques Jégou - Vous n'êtes pas couvert et vous n'avez pas envisagé la restitution ?

M. Hervé Gisserot - Non. Personnellement, j'ignorais, au moment de la discussion, qu'il pouvait exister une telle résiliation pour motif d'intérêt général. On était à des années lumière de ce type de considération. En mai, juin et juillet, on travaillait tous sous très forte pression ; en septembre et octobre, on avait encore des réunions pour savoir si on ne pouvait pas aller plus vite !

M. Jean-Jacques Jégou - La sincérité de M. Hervé Gisserot n'est pas pour moi en cause, mais je vais aller au bout de ma pensée et être quelque peu cruel : avez-vous dressé un bilan de l'opération financière qu'a constituée la livraison de 50 millions de doses ?

M. François Autain, président - Vous anticipez sur les questions du rapporteur !

M. Jean-Jacques Jégou - Je laisserai donc le rapporteur poser ma question !

M. François Autain, président - La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin - Pouvez-vous nous indiquer la ventilation des 50 millions de doses commandées ? Je ne dispose que du chiffre de 9 857 500 dans les stocks de Depolabo.

Certaines doses vous sont-elles revenues et existe-t-il des commandes non fabriquées ?

M. David Lechleiter - Je confirme qu'au moment de la négociation, on n'avait jamais envisagé que le contrat puisse être annulé en cours de livraison.

M. François Autain, président - Il n'y a pas que vous !

M. David Lechleiter - S'agissant des livraisons, GSK avait livré 12,3 millions de doses au 31 décembre ; à la mi-février, on avait livré 18 millions de doses. Aucune de ces doses n'a été retournée à GSK, qui a alors arrêté les livraisons, à l'exception d'un lot arrivé en France et qui ne lui était pas destiné, les étiquettes n'étant pas libellées dans la bonne langue.

Le processus complet de production devant s'étaler sur 22 semaines, la totalité de la production de vaccins en vrac était engagée. Pour les trois quarts environ, la quantité d'antigène avait déjà été dosée, pour la moitié, le remplissage des flacons était effectué, étape industrielle majeure, quasiment la dernière avant l'envoi au client.

Les 9,8 millions de doses que vous évoquez doivent constituer le stock restant à l'EPRUS sur les quantités livrées par GSK. Je ne connais pas les chiffres des stocks de l'EPRUS.

M. Jean-Jacques Jégou - Le retour est bien de 32 millions de doses ?

M. David Lechleiter - On n'a pas eu de retour de produits. La négociation sur l'annulation d'une partie de la commande porte sur 32 millions de doses.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous n'avez pas répondu à la question portant sur la clause d'exonération totale de la responsabilité du fabricant...

M. Hervé Gisserot - Il y a effectivement eu un certain nombre de discussions autour de ce sujet. La clause qui était proposée par GSK - la même que dans l'ensemble des pays européens - n'était peut-être pas aussi claire que l'auraient souhaité les autorités françaises. Nous n'avons, dans mon esprit du moins, jamais envisagé de ne pas assumer la totalité de nos responsabilités pharmaceutiques mais la formulation que nous avions proposée dans le contrat était ambiguë et nécessitait une révision. C'est ce qui a été fait dans le cadre de la réunion qui a eu lieu à l'EPRUS. C'est l'un des rares exemples où le contrat français a été assez nettement reformulé par rapport à la proposition de GSK, afin d'établir de la façon la plus claire qui était responsable de quoi.

M. David Lechleiter - Dans la première version du contrat, la réduction de la clause de responsabilité tenait compte du fait qu'il existait deux aspects des bonnes pratiques de fabrication que nous risquions de ne pouvoir respecter, la langue utilisée pour l'étiquetage, étant donné les délais de livraison très rapides, et le respect de la chaîne du froid : GSK demandait aux Etats de prendre livraison des produits en sortie d'usine et n'avait donc pas la possibilité de maintenir la chaîne du froid jusqu'à l'endroit de stockage.

Cela fait partie des négociations juridiques qui doivent avoir lieu ; l'Etat a pu mettre en avant les raisons pour lesquelles le problème d'étiquetage n'était pas acceptable ; on a donc mis en place une clause correspondant au souhait de l'Etat, indiquant que GSK prenait en charge la responsabilité pharmaceutique des bonnes pratiques de fabrication, l'Etat prenant à sa charge la responsabilité pouvant découler de la décision d'utiliser le vaccin. La discussion a duré quelque temps et a été difficile, car technique, mais a abouti à la satisfaction de l'Etat.

M. Alain Milon, rapporteur - Le contrat passé avec GSK exclut expressément toute garantie des délais de livraison et ne prévoit aucune pénalité de retard, pour quelque cause que ce soit. Cette stipulation a-t-elle également été imposée par GSK ?

Quelle était la justification des clauses de confidentialité très étendues prévues à l'annexe D du contrat et celle de la liste un peu surprenante des informations non soumises à confidentialité ?

Il semble que toutes les commandes de vaccins H1N1 aient été passées dans le cadre de contrats avec les autorités sanitaires ou leurs représentants. Etait-il exclu et pour quelle raison, que tout ou partie de l'approvisionnement en vaccins emprunte les circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits de santé ?

M. Hervé Gisserot - Il est exact que les autorités nous ont à plusieurs reprises demandé de nous engager au-delà de l'indicatif en termes de scénarios de livraison, ce à quoi nous avons répondu que nous n'étions pas en mesure de le faire. La souche n'était même pas encore à notre disposition ; le rendement était donc impossible à anticiper. Sur la base de notre expérience, nous avions proposé plusieurs scénarios en fonction du rendement de la souche.

La seconde grande incertitude était réglementaire. Il s'agissait de savoir à partir de quand on aurait un produit définitivement approuvé par les autorités. Bref, pour un certain nombre de raisons, nous avons jugé indispensable de ne pas nous engager fermement. Nous aurions probablement dû nous engager sur des points que nous n'étions pas sûrs de pouvoir tenir. Le fait que l'on ait souhaité s'en tenir à un calendrier indicatif montre avec quelle transparence nous avons discuté, ayant mis sur la table les difficultés que nous anticipions, qui étaient réelles.

M. David Lechleiter - C'est ce qui explique également l'absence de clauses de pénalité, puisque nous n'avions pas de calendrier ferme, ce qui empêchait d'avoir une base pour un calcul de pénalités. Un grand nombre de conditions pour pouvoir fixer un calendrier précis de livraison ne relevaient pas de notre pouvoir. Il s'agissait de la date à laquelle l'OMS déciderait de libérer une souche du laboratoire de référence et de la date à laquelle les autorités réglementaires décideraient d'accorder aux laboratoires des AMM. Il nous a donc semblé très difficile de nous engager sur un calendrier déterminé en majeure partie par des tiers.

M. François Autain, président - Disposiez-vous de la souche lorsque vous avez signé le contrat ?

M. David Lechleiter - Le contrat a été négocié pendant toute la durée du mois de juin ; la version initiale de la clause de responsabilité date du 3 juin. Plusieurs souches nous ont été envoyées le 22 juin mais on ignorait laquelle aurait le meilleur rendement et serait finalement utilisée dans la production. Cela a évolué un peu en parallèle mais nous avons connu un grand nombre d'incertitudes pendant la négociation. Le rendement final de la souche restait une incertitude majeure, ainsi que le timing des délivrances d'AMM par les autorités réglementaires.

M. François Autain, président - Il semble qu'on aurait pu distinguer dans le contrat les causes de retard relevant de votre responsabilité et celles qui n'en relevaient pas.

M. Hervé Gisserot - Je ne sais si l'on peut dire que le rendement de la souche relève de notre responsabilité ! Ce rendement peut aller du simple au double ! Le rendement des premiers lots, le 22 juin, s'élevait à 17 mg, ce qui est extrêmement faible.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Hervé Gisserot - Cela représente la production d'antigène par oeuf.

Grâce à l'expertise de sociétés comme GSK dans le domaine des vaccins, on arrive toutefois à doubler les rendements avec des optimisations de process qui nécessitent aussi des ajustements réglementaires. En passant de 17 à 35 mg, vous modifiez votre dossier d'AMM et créez un problème supplémentaire, maintes fois souligné dans nos courriers à l'AFSSAPS, à l'EPRUS et au cabinet de la ministre de la santé. Nous avons toujours mis les problèmes sur la table sans chercher à survendre.

Vous trouverez peu d'exemples d'un vaccin délivré aussi rapidement, à l'exception de celui de Baxter.

M. François Autain, président - Selon vous, il n'était donc pas nécessaire de prévoir des pénalités puisque vous avez respecté votre engagement...

M. Hervé Gisserot - Nous avons livré pratiquement dans les délais que nous nous étions fixés - même si on espérait le faire fin septembre. Cependant, du fait de la multitude des obstacles - variations réglementaires, etc. - la montée en puissance des livraisons n'a pas eu lieu au rythme que nous avions escompté. Nous pensions arriver plus rapidement à des livraisons de l'ordre de 2 millions de doses par semaine, ce qui n'a pas été le cas.

M. Jean-Jacques Jégou - Quelle est la date de délivrance de l'AMM ?

Mme Soizic Courcier - Le 29 septembre 2009.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous n'avez pas répondu aux questions sur les clauses de confidentialité, ni à celles portant sur les circuits habituels de commercialisation...

M. David Lechleiter - La mise en place de la clause de confidentialité, relativement normale en matière commerciale, nous a paru plus nécessaire encore dans le cadre d'une négociation d'un contrat avec les Etats européens, qui pouvait être sujet à toutes sortes de spéculations. Il s'agissait plus de protéger la confidentialité qu'auraient souhaitée les Etats que de raisons commerciales.

M. Hervé Gisserot - Le contrat a été conclu sous le fondement de l'article 3-7° du code des marchés publics. Je me souviens d'une réunion au ministère de l'intérieur portant sur la sécurisation de l'acheminement du vaccin, non seulement pour la France mais aussi pour les pays pour lesquels le vaccin transiterait par la France.

J'ai eu le sentiment d'une problématique traitée avec beaucoup d'attention sur le plan de la sécurité - ce qui me paraissait tout à fait justifié à l'époque.

M. Alain Milon, rapporteur - Pouvez-vous nous en dire plus à propos des circuits habituels de commercialisation ?

M. David Lechleiter - Ce vaccin est un vaccin prépandémique ; il dispose d'une AMM et a donc suivi une procédure réglementaire. Dans chaque pays, il n'a été commercialisé qu'avec des Etats et le commercialiser sur un marché privé ne me paraît adapté.

En tout état de cause, ce vaccin n'a pas fait l'objet de dépôts de dossiers de remboursement dans les différents Etats. Ce sont des procédures très encadrées, qui prennent un certain temps et qui n'étaient donc pas adaptées à ce type de produit.

M. Hervé Gisserot - GSK n'a jamais eu l'intention de commercialiser le vaccin par les canaux traditionnels. Sa forme multidoses le rend inadapté à ce type de distribution. Il a toujours été conçu pour être mis à la disposition des seuls Etats.

On a beaucoup débattu ces derniers mois de la problématique entre monodose et multidoses.

L'expérience démontre que disposer d'une partie des vaccins en monodose est pertinent mais nous ferions une lourde erreur en pensant que nous pourrions aborder une future pandémie - la plus tardive possible - avec une approche monodose. On sait que le principal goulet d'étranglement est le remplissage. C'est utopique à mes yeux !

Les autorités françaises nous ont beaucoup questionnés pour savoir si nous ne pouvions pas faire du monodose. Nous avions un dossier réglementaire multidoses ; cela nous enfermait donc dans une certaine logique mais je crois surtout que si l'on veut répondre de manière rapide et adaptée à un risque pandémique, il faudra toujours envisager une approche largement multidoses.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous réclamez une indemnité équivalente à 150 millions d'euros. L'EPRUS nous a dit qu'il proposait 36 millions d'euros. Où en sont vos négociations avec le ministère de la santé quant au montant de l'indemnisation ? Sont-elles terminées ? Si tel est le cas, quelle indemnisation avez-vous reçue ?

Enfin, quand avez-vous eu connaissance du fait qu'une seule dose suffisait à garantir l'immunogénicité de la majorité de la population et à quoi est dû le fait qu'une seule dose suffise ?

M. François Autain, président - N'aurait-on pas pu prévoir dans le contrat une clause de révision qui tienne compte du nombre d'injections ?

Mme Soizic Courcier - Les essais cliniques avec le vaccin H1N1 ont démarré au mois d'août 2009 ; nous avons obtenu les premiers résultats préliminaires sur un très faible nombre de volontaires le 14 septembre 2009.

Ils ont été échangés immédiatement avec l'EMA. Ces résultats démontraient que l'immunogénicité après la première dose était relativement élevée mais ces résultats ne permettaient pas aux autorités de conclure qu'une seule dose était suffisante. Il fallait attendre d'autres résultats ; ceux-ci sont venus au fur et à mesure. C'est pourquoi l'EMA a recommandé une seule dose fin novembre.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas répondu sur l'éventualité d'une clause optionnelle tenant compte du nombre de doses. Etait-ce envisageable ?

M. Hervé Gisserot - Je ne sais pas. Cette discussion n'a pas eu lieu.

M. François Autain, président - C'est dommage ! Ce n'est pas de votre fait : si le Gouvernement ne vous a pas posé cette question...

Mme Soizic Courcier - On est parti du dossier maquette H5N1, pour lequel il était nécessaire d'avoir deux doses pour obtenir une protection. Au moment où on a commencé à développer le vaccin H1N1, l'incertitude sur la virulence du H1N1 et sur le fait qu'il pouvait muter ne permettait pas d'envisager cette option.

M. François Autain, président - En septembre, on savait que le H5N1 n'avait rien à voir avec le H1N1.

M. Hervé Gisserot - Certes, mais le contrat a été signé le 10 juillet et je puis comprendre, en tant que citoyen, que les autorités françaises aient souhaité s'appuyer sur le dossier H5N1, qui était validé.

M. François Autain, président - Si les autorités vous avaient demandé une clause optionnelle de ce type, y auriez-vous été opposé ?

M. Hervé Gisserot - Je ferais preuve de spéculation en répondant à une telle question ! Je ne le sais pas. Nous n'avons pas été amenés à le faire, focalisés que nous étions sur l'obtention de l'AMM du H1N1 et la mise à disposition des vaccins. On peut penser a posteriori que cette discussion n'aurait peut-être pas été inutile mais nous étions mobilisés sur tout autre chose !

M. François Autain, président - Ce n'est pas de la lucidité a posteriori puisque dès juin, l'InVS disait bien que le H1N1 n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière. Par conséquent, on pouvait dès ce moment-là penser que les deux injections nécessaires pour le H5N1 avaient beaucoup moins de chances de l'être pour un virus qui n'était pas plus grave que le virus saisonnier qui n'exige qu'une injection - sauf pour les enfants. J'ai ici le compte rendu de l'audition de Mme Françoise Weber, qui dit que, dès juin, on savait que cette grippe n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière - même si elle développait certains aspects spécifiques concernant la gravité chez les jeunes, etc.

Ce n'est pas vous que je critique mais le fait que le Gouvernement aurait pu profiter de cette connaissance pour vous demander si cette possibilité de tranches optionnelles n'était pas envisageable.

Vous me répondez que vous n'avez jamais été soumis à une telle demande. J'en prends acte.

Mme Soizic Courcier - Le problème de la virulence ne permet pas de régler le problème de l'immunogénicité.

Or, à ce moment, nous n'avions pas de données sur l'immunogénicité générée par le virus H1N1. En outre, celle-ci peut être différente selon les populations, comme vous l'avez rappelé.

M. Hervé Gisserot - En tout état de cause, nous avons mené les études nécessaires pour clarifier cette question dans les meilleurs délais. Nous sommes allés jusqu'à réaliser une étude clinique avec des doses encore plus réduites d'antigène pour voir si le vaccin pouvait s'avérer suffisant. Nous avons vraiment essayé de bâtir un ensemble de données cliniques pour éclairer la décision publique.

Pour ce qui est de la compensation de la résiliation, je voudrais d'abord préciser, monsieur le rapporteur, que je parlais des deux tiers de la valeur du contrat initial et non de la valeur des doses dont la commande a été annulée. La valeur initiale du contrat était de 350 millions d'euros. Nous souhaiterions donc que l'indemnisation nous permette d'atteindre les deux tiers de ce montant. Son niveau devrait donc être plutôt de l'ordre de la centaine de millions.

M. François Autain, président - Et on vous en propose 36...

M. Hervé Gisserot - J'aimerais d'ailleurs que ces données restent confidentielles à ce stade.

M. François Autain, président - Cela ne figurera que dans le procès-verbal qui paraîtra au mois d'août. Je vous souhaite d'avoir terminé vos négociations d'ici là !

M. Hervé Gisserot - Je le souhaite également ! Les discussions se poursuivent. Notre volonté est d'aboutir à un accord transactionnel car nous souhaitons être partenaires en toutes circonstances, dans le respect du partenaire industriel que nous avons été tout au long de ce processus.

M. François Autain, président - Il y a un contrat !

M. Hervé Gisserot - Il y a aussi, au-delà du contrat, un certain nombre de points que nous avons soulignés dans les courriers adressés à l'EPRUS pour étayer notre demande d'indemnisation. Nous espérons que la raison saura l'emporter, comme cela a été le cas dans une vingtaine de pays, sur des principes strictement similaires à ceux proposés à la France et au Japon.

M. François Autain, président - Combien de pays sont-ils réfractaires ?

M. Hervé Gisserot - Fort peu, en dehors de ceux qui refusent la discussion. En Grèce et en Espagne, il n'y a pratiquement pas de discussions entre GSK et les autorités. Partout ailleurs, nous avons abouti ou sommes sur le point d'aboutir à des accords cohérents et homogènes. Nous souhaitons qu'il y ait une cohérence entre les pays ; les autorités françaises souhaitent une cohérence entre les laboratoires...

M. François Autain, président - Elles parlent plus de concurrence que de cohérence !

M. Hervé Gisserot - Mais nous, nous parlons de cohérence ! Nous souhaitons que chaque gouvernement, alors qu'il avait le sentiment d'avoir été traité de manière cohérente et équitable lors de la signature du contrat, puisse réviser ce contrat de manière cohérente.

C'est la démarche de GSK. Les arguments ont été entendus à travers l'Europe. Nous aimerions qu'ils puissent l'être également en France, où nous sommes de longue date un partenaire qui a toujours tenu ses engagements au sens large du terme, y compris à travers notre présence sur le territoire.

M. François Autain, président - Vous avez cité l'Espagne. Il m'est revenu que les contrats de GSK avec l'Espagne comportaient des clauses de révision. Vrai ou faux ?

M. Hervé Gisserot - Je ne sais pas.

M. David Lechleiter - Je ne connais pas la réponse.

M. François Autain, président - Pourriez-vous nous communiquer ultérieurement la réponse ?

M. Hervé Gisserot - Bien sûr.

M. Jean-Jacques Jégou - De telles commandes de l'Etat français et du monde entier donnent lieu à des mises en place industrielles, des investissements et des dépenses. Pouvez-vous nous en donner le niveau ? Quel pourcentage de vos collaborateurs a-t-il été impliqué dans la fabrication du vaccin H1N1 ?

En second lieu, si l'Etat vous mettait dans la situation qu'ont acceptée certains de vos confrères, subiriez-vous de lourdes pertes financières et les résultats de GSK s'en verraient-ils lourdement affectés et pourraient-ils être déficitaires ?

M. Hervé Gisserot - Le chiffre d'affaires que nous avons réalisé au quatrième trimestre s'élève à 942 millions d'euros, ce qui constitue un chiffre d'affaires significatif, mais qu'il faut mettre en perspective avec les investissements réalisés et avec la prise de risque que cela représente car, quoi qu'en pensent certains, l'industrie pharmaceutique n'a jamais souhaité qu'une pandémie puisse se déclarer, je souhaiterais le souligner devant la représentation nationale.

Il est très difficile d'anticiper exactement nos revenus 2010 puisque nous sommes dans la phase de finalisation des contrats révisés avec pratiquement l'ensemble des Etats. Je pense que l'on se dirige malgré tout vers le chiffre de deux tiers de la valeur des contrats initiaux que j'évoquais.

Je n'ai plus le chiffre exact que cela pourrait représenter pour 2010 mais ces chiffres doivent être communiqués avec beaucoup de précaution, notamment pour des entreprises cotées en bourse. Je ne voudrais donc pas que des chiffres prospectifs émanant de moi puissent être utilisés dans les médias, ceci pouvant avoir un impact non négligeable sur une société comme GSK.

M. Jean-Jacques Jégou - Est-ce un problème pour vous et quelle est son intensité ?

M. Hervé Gisserot - Un règlement qui ne nous satisferait pas mettrait-il la société financièrement en danger ? Non ! Nous devons cependant rester partenaires et chacun doit faire un effort. Nous devons faire un pas vers les autorités, y compris dans les pays où le droit ne permet pas de modifications unilatérales.

Dans un pays comme le nôtre, on ne peut pas non plus considérer qu'il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer ! Ce débat là est en cours ; j'ose espérer qu'il aboutira de manière satisfaisante. La vie de l'entreprise n'est pas en danger mais la qualité de la relation risque de s'en trouver impactée de part et d'autre.

Nous souhaitons montrer notre ouverture d'esprit sur de tels dossiers ; notre industrie étant amenée à travailler durablement avec les autorités, nous souhaitons vraiment que cet accord soit transactionnel, à la satisfaction des deux parties concernées.

M. Jean-Jacques Jégou - Et s'il ne l'était pas ?

M. Hervé Gisserot - Je préfère ne pas envisager cette hypothèse !

M. François Autain, président - Ne dites pas trop que vous ne souhaitez pas créer trop d'ennuis au Gouvernement car vous risquez alors de devoir en passer par ses fourches caudines !

M. Hervé Gisserot - Il me semble avoir donné une réponse plus étoffée ! J'ai aussi souligné qu'il est important que le Gouvernement comprenne qu'il a un partenaire industriel à ses côtés, au sens large du terme !

Mme Marie-Christine Blandin - Quel est le montant du crédit d'impôt recherche correspondant aux travaux de recherche-développement menés par GSK sur le vaccin H1N1 ?

Par ailleurs, quelles sont les conditions dans lesquelles sont organisés les contacts entre les représentants de GSK et l'OMS ?

Enfin, le vaccin pandémique H1N1 de GSK, qui est un vaccin adjuvanté, pourra-t-il être utilisé pour une vaccination saisonnière ?

M. Hervé Gisserot - Nous bénéficions en effet du crédit d'impôt recherche au titre des études réalisées dans le cadre de nos développements cliniques.

Mme Soizic Courcier - En France, deux études cliniques ont été réalisées, l'une totalement française et l'autre multinationale, en Allemagne et en France.

Je ne dispose pas du montant exact du crédit d'impôt recherche mais on pourra vous le communiquer.

Pour ce qui est de l'OMS, les collaborateurs de GSK ne sont jamais invités à leur demande mais participent à des réunions à l'initiative de l'OMS, pour échanger et confronter des données.

Quant à la fabrication du vaccin saisonnier, nous attendons toujours la recommandation de l'OMS.

M. François Autain, président - Est-elle connue ?

Mme Soizic Courcier - On la connaît aujourd'hui. L'OMS a recommandé un vaccin trivalent pour la prochaine saison, intégrant la souche pandémique H1N1.

M. Hervé Gisserot - L'adjuvant reste disponible ; tant que sa durée de péremption n'est pas écoulée, il représente un stock en prévision de la prochaine pandémie.

Mme Marie-Christine Blandin - Allez-vous le mettre dans le vaccin saisonnier trivalent ?

Mme Soizic Courcier - Non, mais nous développons un vaccin pour les personnes âgées qui utilise cet adjuvant de façon à obtenir une protection plus importante ; en effet, chez les patients âgés, la protection assurée par le vaccin saisonnier n'est pas totale. Il y a donc une marge de progression importante.

M. François Autain, président - Il y a beaucoup à dire sur l'efficacité du vaccin saisonnier !

M. Michel Guerry - Jusqu'à quand le ministère de la santé a-t-il exercé sur vous de très fortes pressions pour que vous fabriquiez ce vaccin ?

M. Hervé Gisserot - L'attitude du ministère a toujours été la même jusqu'en novembre-décembre. Je me rappelle d'une discussion, la première de cette nature - la date m'échappe mais elle se situait dans les premiers jours de décembre - au cours de laquelle le cabinet de la ministre nous a indiqué qu'il réfléchissait à des scénarios alternatifs de cession de vaccins, anticipant le fait que le Gouvernement pourrait se retrouver avec trop de vaccins.

Tout au long des semaines précédentes, on a eu des discussions sur un seul et unique sujet, la manière de tenir les délais et d'accélérer la mise à disposition des vaccins et ce, au moins jusqu'à fin novembre.

M. Guy Fischer - Pour la grippe saisonnière, quel est le pourcentage de la population de personnes âgées vaccinées par rapport à la population générale ?

Mme Soizic Courcier - Nous suivons les recommandations du Haut Conseil de la santé publique en la matière, qui recommande de vacciner préférentiellement les personnes âgées et les populations à risque.

Pour ce qui est du pourcentage de personnes âgées par rapport à la population générale, je ne saurais dire.

M. David Lechleiter - De mémoire, les objectifs de santé publique de la plupart des pays d'Europe de l'ouest correspondent à une couverture vaccinale de 70 % de la population de plus de 65 ans ; en France, je crois qu'on est légèrement en retrait. On n'a jamais atteint ce taux de couverture mais je crois que 60 % des plus de 65 ans sont vaccinés tous les ans.

M. François Autain, président - C'est en effet en France que l'on vaccine le plus contre la grippe saisonnière.

Il me reste une demande à vous adresser : la loi HPST impose désormais aux laboratoires - grâce à un amendement de M. le rapporteur - de faire connaître la liste des associations qu'ils subventionnent. Cette liste devra être communiquée à partir de juin prochain. Ne pourriez-vous - bien que la législation ne vous l'impose pas - nous indiquer la liste des contrats que vous avez passés avec certains experts qui vous conseillent et qui siègent, notamment, dans des instances, comme le Haut Conseil de la santé publique, le Comité technique des vaccinations ou le Comité de lutte contre la grippe ?

Nous comprendrions que vous puissiez ne pas répondre aujourd'hui mais, si cela ne vous pose pas de problèmes éthiques ou déontologiques, nous serions très heureux de pouvoir avoir connaissance de ces contrats de manière à les comparer avec les déclarations de ces mêmes experts qui, pour le coup, y sont tenus par la loi.

M. Hervé Gisserot - GSK est convaincu que, pour sortir de ce débat qui crée beaucoup de suspicion autour de la relation entre experts, autorités et industriels, la seule voie est celle de la transparence. Personne n'a rien à se reprocher ; nous devons travailler ensemble : il y va de l'intérêt général !

A une époque où l'on parle d'économie de l'innovation et où les pouvoirs publics - à fort juste titre à nos yeux - souhaitent renforcer les partenariats public-privé, il y aurait contradiction à ne pas soutenir ces relations de proximité entre l'expertise industrielle et l'expertise tout court. Comme me le rappelle souvent Mme Soizic Courcier, nous ne pourrions pas développer les médicaments, y apporter notre valeur ajoutée, sans pouvoir nous appuyer sur cette expertise qui ne se situe pas au sein de nos entreprises mais est extérieure.

Pour résoudre ce débat qui resurgit régulièrement en période de crise, il nous faut aller vers la transparence ; GSK est en tous points favorable à une transparence qui doit aller en s'accentuant. Nous sommes déjà parmi les entreprises les plus transparentes. L'ensemble de nos résultats cliniques sont publiés sur nos sites. Nous faisons de plus en plus état des relations que nous entretenons avec l'ensemble des partenaires de santé. Nous ne finançons jamais d'associations de patients au-delà du tiers de leur budget, de manière qu'on ne puisse supposer le moindre lien de dépendance.

Nos règles de comportement, d'éthique et de transparence sont déjà très avancées. Je pense que l'industrie est convaincue dans sa globalité que c'est la voie à suivre.

M. Christian Lajoux l'a rappelé dans un débat qu'il a eu avec vous dans un journal que vous connaissez bien. Nous souscrivons donc totalement à ce souhait et nous allons aller dans cette direction.

M. François Autain, président - Si vous pouvez le faire, la commission vous en sera reconnaissante.

Merci pour la façon dont vous avez répondu aux nombreuses questions qui vous ont été posées.

Audition de M. François ROUSSELOT,
président de la commission des relations médecins industrie,
et de M. Francisco JORNET, conseiller juridique,
du Conseil national de l'ordre des médecins
(mercredi 30 mars 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie, et M. Francisco Jornet, conseiller juridique du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. François Rousselot et Francisco Jornet prêtent serment.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission.

Monsieur le président, vous avez la parole.

M. François Rousselot - Merci.

La commission des relations médecins-industrie du CNOM fonctionne en respectant diverses obligations dans un cadre juridique et réglementaire.

Les premiers éléments sont fondés, en premier lieu, sur le code de déontologie médicale. L'article 5 dispose qu'un médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.

L'article 15 traite de la participation des médecins aux recherches biomédicales.

L'article 24 prévoit que les médecins ne peuvent accepter un avantage qui leur serait interdit.

L'article 83 quant à lui traite des obligations de soumettre au Conseil de l'ordre toute convention passée par un médecin dans le cadre de son exercice professionnel. Le conseil départemental vérifie la conformité de ce contrat avec les prescriptions du code de la santé publique (CSP) dont le code de déontologie médicale fait partie.

Par ailleurs, au fil des années, un cadre juridique s'est installé. L'article 4113-6 du code de la santé publique issu de la loi « anti-cadeaux » de 1993 interdit de recevoir des avantages des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale.

Toutefois, il existe des exceptions. Celles-ci ne s'appliquent pas aux conventions qui ont pour objet, notamment, l'évaluation scientifique. Les rémunérations ne sont pas calculées de manière proportionnelle au nombre de prestations ou aux produits.

L'article 4113-9 du code de la santé publique traite de la compétence ordinale quant aux contrats et aux conventions.

La loi de 2002, dite loi Kouchner, quant à elle, traite des conflits d'intérêts en particulier lors d'une communication lors de congrès. Dans ce cadre, les sanctions sont de l'ordre disciplinaire interne à l'Ordre.

Le décret 2007-454 du 25 mars 2007 relatif aux conventions et aux liens unissant certaines professions de santé aux entreprises modifie le code de la santé publique. C'est une disposition essentielle. La section 4 traite du dossier de demande d'avis. Il ne s'agit en aucune sorte d'une décision.

Des précisions ont été apportées sur les délais de réponse : deux mois pour les projets de convention de recherches et d'études, un mois seulement pour les dossiers d'hospitalité. A l'issue de cet avis, c'est l'entreprise qui doit informer les professionnels et non le CNOM.

La loi du 26 février 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire prévoit que les personnes, à l'occasion de leur nomination puis annuellement, doivent effectuer une déclaration mentionnant leurs liens avec les entreprises. Par ailleurs, les entreprises doivent rendre publique la liste des associations de patients auxquelles elles apportent des aides.

Le décret n° 2007-658 du 22 février 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires prévoit que les professeurs des universités praticiens hospitaliers doivent obtenir une autorisation de leur hiérarchie pour exercer une activité accessoire, notion difficile à cerner.

Un certain nombre d'autres textes traitent de la procédure d'urgence, etc.

S'agissant du fonctionnement du CNOM, avant 1989, date à laquelle la seule référence était le code de déontologie, le CNOM avait installé une commission des relations médecins industrie pharmaceutique (RMI) qui devait travailler et établir des contacts avec l'industrie pharmaceutique, ce qui n'était pas alors la règle.

Depuis la loi « anti-cadeaux », l'Ordre a installé un service. La commission comprend six élus du Conseil national, représentant chacun une région, qui s'adjoignent six membres choisis parmi les élus et anciens élus des conseils régionaux et des conseils départementaux. Le président, membre du Conseil national, est élu par ses pairs membres du Conseil national. Le service est constitué d'un conseil juridique, d'un responsable de service et de cinq secrétaires.

Il existe deux grandes familles de dossiers, les dossiers d'hospitalité et les dossiers d'études. Les dossiers d'hospitalité comprennent toutes les invitations de l'industrie du médicament et du matériel en faveur des enseignements post-universitaires ou des déplacements de groupes.

C'est la catégorie la moins compliquée à traiter car le CNOM a progressivement installé des règles de fonctionnement : 85 % des dossiers ne présentent pas de difficultés en termes de prise en charge raisonnable, de tarifs, de durée, le CNOM s'assurant aussi que seuls des médecins spécialistes participent à ces congrès.

Un des objectifs est d'interdire ce qu'on a pu appeler les « congrès cocotiers ». De tels dossiers ne sont plus proposés au CNOM.

M. François Autain, président - Pensez-vous que s'il n'y avait plus d'industrie pharmaceutique, il y aurait encore des congrès ?

M. François Rousselot - Mais qui fabriquerait les médicaments ?

M. François Autain, président - Imaginez qu'un jour ou l'autre, l'industrie pharmaceutique, en difficulté, ne puisse plus financer les congrès : y en aurait-il encore ?

M. François Rousselot - Il est évident que la location d'une salle de congrès pouvant réunir mille praticiens pendant trois jours Porte Maillot ne peut être assurée que grâce à la présence d'une exposition scientifique avec des stands.

M. François Autain, président - Il existe d'autres professions libérales, comme les avocats par exemple, qui n'ont pas la chance d'avoir une industrie pour financer leur congrès !

M. François Rousselot - Il faut croire qu'ils ont d'autres revenus !

Je vous rappelle qu'il existe cinq cents professions libérales et que l'on y trouve deux groupes qui assurent régulièrement des formations continues, les avocats et les médecins, les autres n'organisant pas de congrès.

Pour en revenir à mon propos, la deuxième famille est composée des dossiers d'études, qui constituent un travail beaucoup plus complexe.

Les industriels saisissent le CNOM en lui faisant parvenir un dossier. On est progressivement arrivé à le cadrer. L'article 4113-6 du code de la santé publique indique les pièces qui doivent y apparaître. A la différence des dossiers d'hospitalité, chacun de ces dossiers est traité par un élu. On compte 2 000 dossiers par an. Chaque dossier peut concerner un seul médecin ou plusieurs centaines de praticiens.

Le comité de pilotage, organisé à l'initiative du CNOM, regroupe également les entreprises du médicament (LEEM) et le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), il a abouti à divers aménagements comme la saisie informatique des dossiers sur un réseau Extranet, des procédures simplifiées pour des demandes d'avis très ciblées, des possibilités de saisie en urgence avec une réponse sous trois semaines et l'existence d'avis implicites favorables en l'absence de réponse du CNOM à l'issue d'un délai de deux mois pour les dossiers d'études.

On arrive presque à ne plus avoir d'accords implicites sur des dossiers qui n'auraient pas été examinés dans les délais, ce qui exige une organisation sérieuse.

Nos avis sont rendus éventuellement après demande de complément d'information ou de précision. Le délai est suspendu durant le temps de la demande. Les avis sont adressés aux industriels qui doivent les communiquer aux médecins contractants.

Pour sa part, le service RMI informe régulièrement l'ensemble des conseils départementaux des décisions rendues. En effet, les conseils départementaux reçoivent ensuite les contrats signés par les médecins, conformément à l'obligation de transmission prévue par la loi.

Un industriel reste libre de tenir compte ou non de l'avis. Il peut décider de poursuivre son projet malgré l'avis défavorable du CNOM ainsi que le cocontractant. Il s'expose donc à être poursuivi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La procédure à mettre en route est alors une procédure pénale.

Lorsqu'on interroge la DGCCRF pour savoir s'il existe une jurisprudence, celle-ci nous répond qu'il n'en existe pas. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de plaintes de leur part, que le parquet a classé sans suite ou que l'affaire n'a pas abouti à une condamnation ?

M. François Autain, président - Cela concerne-t-il un pourcentage élevé de dossiers ?

M. François Rousselot - Il faudra le leur demander !

La seule circulaire d'application date de la loi de 1993. Elle n'a jamais été réactualisée depuis, ni par la DGCCRF, ni par le ministère.

La loi HPST a quelque peu modifié les choses. Les dispositions de l'article 4113-6 du code de la santé publique permettent à l'Ordre d'enclencher des poursuites disciplinaires à l'encontre des praticiens.

Les dossiers d'hospitalité s'élèvent à environ 40 000 par an. Cela va de la pause café à 15 euros lors d'une réunion ou un repas à un déplacement de 80 urologues pour un congrès aux Etats-Unis.

Les dossiers d'études sont de l'ordre de 2 000 par an. Le nombre de demandes d'avis est stable depuis plusieurs années, de même que le nombre d'avis défavorables, de l'ordre de 10 à 15 %.

Quelles sont les raisons de ces avis défavorables ? Un certain nombre de procédures sont hors délai. Des documents peuvent manquer. Assez souvent, nous sommes amenés à revenir sur des dispositions insuffisantes concernant la confidentialité des études.

En effet, la loi prévoit que la confidentialité est absolue ; les cocontractants ne peuvent répondre qu'au ministère et à l'AFSSAPS. On exige que cet article soit reproduit dans son intégralité, ce qui pose souvent problème pour les dossiers internationaux, les juristes étrangers n'appréciant pas qu'on leur dise ce qu'il faut mettre dans les contrats.

S'agissant des experts, la convention de collaboration entre un industriel et un médecin suit un circuit différent.

En effet, ces travaux ne concernent pas des activités telles que la prescription de médicaments et la réalisation d'actes. Il ne s'agit pas non plus de recherches ou d'évaluations, qui n'entrent donc pas dans le cadre de l'article 4113-6 du code de la santé publique. Il n'y a donc pas lieu que le CNOM et sa commission aient à y voir quoi que ce soit.

Ces contrats sont adressés aux conseils départementaux et le CNOM n'a donc pas à en connaître. Nous n'avons que des renseignements à l'occasion d'une consultation des conseils départementaux et d'après les renseignements que l'on peut obtenir auprès du conseil départemental de Paris où sont inscrits la moitié des PUPH de l'AP-HP, on compte environ cinquante à soixante-dix dossiers de consultants par an à Paris soit, rapporté au nombre de PUPH, 10 % environ de l'ensemble. C'est une minorité de personnes. L'organisation actuelle ne nous permet pas d'avoir une gestion transparente du sujet. Le législateur pourrait proposer une modification législative sur ce point.

Le conseil départemental vérifie qu'il n'existe pas de clause anti-déontologie, que les honoraires sont en adéquation avec le travail fourni et que la convention est conforme aux usages.

S'agissant de la pandémie grippale, la commission RMI n'a eu à traiter que sept dossiers d'études qui lui ont été soumis, à compter de décembre 2008, concernant les problèmes de la grippe ou par les industriels concernés par les vaccins ou les médicaments. Nous avons cinq dossiers d'industriels.

M. François Autain, président - Je ne retrouve pas la typologie que vous utilisez dans le rapport de l'IGAS.

M. François Rousselot - Il est inexact sur beaucoup de points !

M. François Autain, président - Ce sont surtout les missions conseils des entreprises et celles que l'on confie à certains médecins dans les hôpitaux qui nous intéressent, les promoteurs étant la plupart du temps les laboratoires privés.

Vous évoquez sept dossiers d'étude à Paris : il s'agit bien de dossiers d'investigation sur un médicament qui a un rapport quelconque avec la grippe ?

M. François Rousselot - Un premier dossier a été traité à la demande de l'AFSSAPS à propos d'une étude de Sanofi Pasteur sur deux séries de 9 000 et de 5 000 vaccins.

Une autre étude, réalisée par les laboratoires Roche, était relative au Tamiflu chez le nourrisson. Il ne s'agit donc pas de convention d'experts.

M. François Autain, président - Ce sont des demandes de conseil des entreprises.

M. François Rousselot - En effet.

M. Alain Milon, rapporteur - Combien de médecins ces études concernent-elles ?

M. François Rousselot - C'est très variable. L'une concernait 450 patients, 23 investigateurs, une autre 300 patients, 5 investigateurs, une autre encore un coordinateur, 12 investigateurs.

M. François Autain, président - Pourrions-nous avoir communication de la convention concernant ces dossiers ?

Il serait également intéressant de connaître la nature du contrat passé entre les laboratoires, les experts de la grippe et les leaders d'opinion.

M. François Rousselot - Nous n'en disposons pas. Ce sont les conseils départementaux qui détiennent ces données.

M. François Autain, président - Il va donc falloir que nous fassions un travail considérable.

Il n'existe donc pas de leaders d'opinion qui conseillent les laboratoires ?

M. François Rousselot - Ce n'est pas exclu.

M. François Autain, président - Il faudrait donc que l'on auditionne tout le Conseil de l'Ordre de Paris. C'est là où l'on risque d'avoir la plus forte concentration.

M. François Rousselot - Ce n'est pas sûr. Pour l'étude concernant les nourrissons, on n'aura que des services de réanimation néonatale et d'urgence pédiatrique. Les investigateurs sont des universitaires de cette catégorie ; le coordonnateur est logiquement un universitaire de cette catégorie. Est-il ou non consultant du laboratoire en plus ou non ? On ne peut le savoir !

M. François Autain, président - Il faudrait pouvoir disposer d'un registre national.

M. François Rousselot - Il n'existe pas de statut d'expert sanitaire.

M. François Autain, président - C'est là aussi une lacune !

M. François Rousselot - De nombreux éléments sont simplement déclaratifs.

M. François Autain, président - Quelle preuve avons-nous que ces déclarations sont conformes à la réalité ?

M. Alain Milon, rapporteur - Etes-vous demandeur d'un tel statut ?

M. François Rousselot - Je ne crois pas mais si cela existait, vous pourriez piocher dans l'annuaire mais définir les critères ne sera guère aisé !

M. François Autain, président - C'est éventuellement l'affaire du législateur.

M. François Rousselot - S'agissant des conflits d'intérêts, le CNOM a largement communiqué auprès des médecins, dans son bulletin, par ses circulaires, par une information auprès des conseils départementaux et des échanges avec le syndicat national de la presse médicale. Nous avons donc joué notre rôle de relais.

Pour conclure, je voudrais vous informer du développement prochain d'un outil informatique au sein du service RMI. Le cahier des charges est validé, l'appel d'offres a reçu ses réponses, le choix du prestataire doit intervenir dans les jours à venir. On en attend une augmentation des capacités de traitement des dossiers, la création d'une base de données permettant des requêtes en utilisant le numéro de répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) qui s'installe progressivement.

Le CNOM disposera ainsi d'une liste de tous les médecins avec leurs spécialités, car il existe actuellement des différences troublantes entre le CNOM et d'autres professions, comme les assureurs. Des requêtes pourront aussi être opérées par laboratoire et type de recherche.

J'insiste sur le fait qu'à aucun moment de la pandémie, les autorités de tutelle ou les agences sanitaires ne nous ont sollicités pour connaître des experts et des expertises.

Enfin, le financement du service RMI et du travail effectué dans les conseils départementaux est interne. Ce sont les cotisations ordinales des médecins qui couvrent ces dépenses qui ne sont pas nulles : personnel, défraiement des élus, informatique, envoi de plusieurs milliers de lettres recommandées par an constituent une part importante du budget du Conseil national, totalement indépendant.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Merci.

Pouvez-vous dresser un bilan général de l'application de l'article 4113-6 du code de la santé publique ?

Quel est le nombre annuel, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2002, des conventions transmises aux conseils départementaux, au Conseil national par les conseils départementaux et directement au Conseil national ?

Constatez-vous une évolution ?

Peut-on établir une typologie de ces conventions ?

M. François Rousselot - Il y a un retour obligé des médecins vers les conseils départementaux, non vers le Conseil national. On en fait plus que ce que la loi nous demande !

Avec un guichet unique, ce service pourrait tout traiter, d'autant que certains départements, régulièrement sollicités et qui ont une masse de documents à traiter, disposent d'un conseil juridique et d'un secrétariat développé, ce qui n'est pas le cas de tous les départements.

Mon département, avec ses six cents médecins, n'a à l'évidence pas les mêmes problèmes que Paris, qui en compte 23 000, ou le Nord qui en a 14 000 ! Nous n'avions pas de conseiller juridique. Quand on ne savait pas, on écrivait à Paris.

A ce jour, nous n'avons pas de retour concernant les conventions que le médecin a l'obligation de déclarer. On peut imaginer qu'une convention ne devient applicable que lorsqu'elle est validée.

M. Alain Milon, rapporteur - Quels sont les critères sur lesquels les instances ordinales fondent leur avis sur les conventions entre médecins et entreprises qui leur sont soumises ?

M. François Rousselot - Toutes ces études parviennent avec un avis du comité de protection de la personne.

Qu'est-ce qu'une réponse de CPP ? « Compte tenu de la pertinence de la recherche, le caractère satisfaisant de l'évaluation des bénéfices et des risques attendus et le bien-fondé des conclusions, les objectifs poursuivis par cette étude sont en adéquation avec les moyens mis en oeuvre. Au vu de la liste des investigateurs transmise par le promoteur, les investigateurs sont qualifiés pour mener cette recherche. La recherche biomédicale est réalisée dans des lieux disposant de moyens humains, matériels, techniques adaptés à la recherche et compatibles avec les impératifs de sécurité des personnes. Il n'est pas prévu la constitution d'un comité de surveillance indépendant. Les modalités de recrutement des participants sont adaptées aux recherches. Le protocole prévoit l'interdiction de participer simultanément à une autre recherche. La période d'exclusion est précisée. Le délai de réflexion prévu est satisfaisant. Nous acceptons qu'aucune indemnisation ne soit prévue pour la participation des personnes à cette recherche. Compte tenu de tout cela, notre comité émet un avis favorable ».

M. François Autain, président - Ces dispositions sont en cours de réforme.

M. François Rousselot - Ce type de vérification représente un premier filtre très sérieux. Une étude que le CPP a refusée reçoit un avis défavorable. Le CNOM examine les modalités pratiques du contrat, notamment le respect du code de déontologie, de la confidentialité et la proportionnalité entre la charge de travail et les honoraires.

Une bonne partie de ces études sont internationales et les laboratoires nous répondent qu'il s'agit des tarifs internationaux. En cas de refus, le risque est qu'il n'y ait pas de recherche française. Que répondre ?

Personnellement, je tiens à la recherche française ! La première page du rapport de l'IGAS consacrée à la rémunération indique qu'aux Etats-Unis, le niveau des rémunérations des médecins et des chirurgiens est supérieur de 40 % à celui pratiqué en France, qui se classe avant-dernière, juste avant la Suisse.

Si les honoraires nous paraissent trop élevés, la recherche ne sera pas faite en France. Il s'agit donc d'une lourde responsabilité !

M. Alain Milon, rapporteur - La question suivante porte précisément sur le rapport de l'IGAS et la rémunération des médecins ainsi que sur vos moyens de contrôle.

M. François Rousselot - Nous parlons donc de la page 73 du rapport de l'IGAS.

L'IGAS s'est interrogée sur le montant de certains contrats entre les médecins et les laboratoires pharmaceutiques. Le rapport signale, page 72, que cela correspond pratiquement au relevé de trois années d'exercice. Lorsqu'on évoque les honoraires de 90 000 euros versés à un orateur formation, on ne précise pas s'il s'agit d'une ou de trois années, ni si la prestation concerne une ou vingt-cinq présentations.

Je connais le cas d'une personne très pointue que l'on envoie d'ici le mois de juin intervenir à Caracas, au Japon, en Russie et en Amérique du Nord. Compte tenu des heures de transport aérien, on arrive à une rémunération de l'ordre de 60 euros de l'heure. Etant missionnée sur quatre autres déplacements à l'autre bout du monde, cette personne va être absente quinze jours. C'est une somme mais je n'y trouve rien de choquant par comparaison avec la dernière facture de mon carrossier : 107 euros de l'heure hors taxes ! Que représentent donc ces 90 000 euros ?

M. François Autain, président - Nous poserons la question à l'un des rapporteurs de l'IGAS que nous allons auditionner.

M. François Rousselot - La moyenne des honoraires versés pour les activités de conseil est de 6 961 euros, le maximum versé s'élevant à 600 000 euros. Or, la médiane des honoraires est du tiers de la moyenne. Le contrat de 600 000 euros tire donc la moyenne vers le haut !

En soi, ce montant de 600 000 euros n'est pas choquant. Un de mes frères a été enseignant à Berkeley, où existe un parking réservé aux Prix Nobel. Etant donné le prix de leurs prestations horaires, l'université avait intérêt à ce qu'ils se garent vite !

Le rapport de l'IGAS ne précise pas qui a reçu ces honoraires !

M. François Autain, président - Il ne le peut pas : les informations sur les conventions fournies à l'IGAS sont anonymes.

M. François Rousselot - J'ai relevé d'autres erreurs dans le rapport de l'IGAS, en particulier page 75, premier alinéa, à propos du partenariat avec l'industrie pharmaceutique qui peut revêtir deux formes différentes selon le statut du médecin. Le partenariat n'a rien à voir avec le statut ! C'est faux ! Le statut correspond à la différence entre le public et le privé !

Dans le paragraphe 238, le rapport de l'IGAS dit que ce contrat doit être communiqué par le médecin au conseil départemental de l'Ordre dont il dépend mais aucune obligation de nature réglementaire ne lui est faite d'informer son employeur principal. C'est faux ! Le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires prévoit, au contraire, que le médecin doit obtenir l'autorisation de sa hiérarchie pour exercer une activité dite accessoire. Ce sont des agents des collectivités territoriales, à ce titre autorisés à cotiser à la Préfon, comme les fonctionnaires !

Il existe actuellement une commission de l'AP-HP qui va demander que tous les contrats comportent ce rappel et nous les soutiendrons en disant qu'un contrat qui ne comportera pas ce rappel recevra un avis défavorable.

M. François Autain, président - Avant l'obligation introduite par la loi HPST, certains directeurs d'hôpitaux n'étaient pas informés. Des chefs de service ne pouvaient pas se consacrer pleinement à leurs activités de recherche. Il n'y avait pas de compensation financière de ces absences pour l'hôpital.

M. Francisco Jornet - Il y a peut-être un problème d'application de la loi HPST mais surtout un problème antérieur d'application de la loi.

Dès 1993-1994, la loi dit en effet clairement que les conventions passées entre les médecins et les industriels doivent être notifiées aux directeurs d'établissements. Curieusement, à l'occasion d'enquêtes conduites par les Chambres Régionales des Comptes (CRC), certaines CRC ont sollicité les conseils départementaux pour obtenir ces contrats.

Les conseils départementaux ont répondu qu'ils s'efforceraient d'aider les CRC, tout en faisant part de leur étonnement puisque la loi a prévu que ces conventions soient notifiées aux directeurs d'établissement.

M. François Autain, président - Il y a manifestement là un problème. Nous essayerons de lever ces ambiguïtés lorsque nous auditionnerons l'un des auteurs de ce rapport.

M. François Rousselot - Notre souhait est que cela fasse vraiment l'objet d'une obligation.

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous les moyens de connaître l'ensemble des conventions ?

M. François Rousselot - L'informatisation doit nous y aider. Il est prévu que les conseils départementaux y insèrent les données qu'ils traitent ! Mais 90 % des dossiers sont interdépartementaux. Nous voulons recouper les données dans un souci de transparence.

M. Alain Milon, rapporteur - Peut-on faire à votre suite des propositions qui reprendraient les vôtres ?

M. François Rousselot - Nous souhaiterions pouvoir trouver un moyen que ce qui existe soit réellement appliqué, en particulier les déclarations aux établissements.

Par ailleurs, le guichet unique du CNOM simplifierait beaucoup de choses. Il n'y aurait plus d'éventuelles diversités d'appréciation sur les dossiers. Une seule commission renforcée, élargie, donnerait des avis cohérents, alors que la multiplication des intervenants augmente les risques de divergence.

M. François Autain, président - Ne craignez-vous pas que les conseils départementaux y soient hostiles ? On leur enlève quelques prérogatives.

M. François Rousselot - Certaines personnes le regretteront mais pas toutes ! S'il s'agit d'un problème d'enregistrement, ce n'est pas très palpitant ; si c'est un problème technique, certains sont moins à l'aise.

M. Francisco Jornet - La centralisation se situe à deux niveaux ; il s'agit de faire en sorte que toutes les études aillent vers le Conseil national et que la distinction entre des contrats d'investigateurs qui suivent un circuit et des contrats d'experts, d'orateurs ou de consultants qui en suivent un autre disparaisse.

M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.

Mme Marie-Christine Blandin - Sur les sept dossiers d'intervention soumis au CNOM, vous n'en avez cité que deux. Pouvez-vous nous indiquer le nom des autres laboratoires impliqués ?

Par ailleurs, connaissez-vous les sommes des rémunérations et des dédommagements correspondants, ainsi que les dates ?

M. François Autain, président - Vous avez bien dit que vous pouviez nous communiquer ces dossiers ?

M. François Rousselot - Oui. Le premier dossier remonte à novembre 2009 et concerne une étude pour le laboratoire Sanofi Pasteur à la demande de l'AFSSAPS. Il s'agit d'une étude post-AMM de la tolérance du vaccin chez les enfants âgés de plus de deux mois.

Mme Marie-Christine Blandin - Le sujet qui nous préoccupe concerne les dates, les laboratoires et les sommes...

M. François Rousselot - 5 000 sujets ont été vaccinés par Panenza. Le CPP a émis un avis favorable. Recrutement : 5 000 vaccinés par Humenza, 5 000 par Panenza. La rémunération du vaccinateur s'élève à 50 euros pour quatre heures -  moins cher qu'une femme de ménage.

Mme Marie-Christine Blandin - Avez-vous la somme globale ?

M. François Rousselot - Non, je ne la connais pas.

Mme Marie-Christine Blandin - On regardera les fiches.

M. François Rousselot - Vous ne trouverez rien dans la fiche ! On a demandé à mon service s'il donnait un avis favorable à l'étude : oui ! A-t-elle été réalisée ? Je n'en sais rien.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous nous confierez les dossiers et nous les étudierons.

M. François Rousselot - En appliquant rigoureusement toutes les dispositions, vous ne trouverez pas chez nous les renseignements que vous cherchez. Je ne sais pas où vous les trouverez !

M. François Autain, président - Il faut faire une commission d'enquête spécifique !

M. François Rousselot - La seconde étude concerne une demande de l'Ecole des hautes études en santé publique. Il s'agit d'une enquête épidémiologique. Le recrutement concerne les ménages et touche 2 000 individus. Les investigateurs sont des infirmiers et des médecins. Le coordinateur est un épidémiologiste de l'INSERM qui n'est pas rémunéré, tout comme le coordinateur précédent.

Le troisième dossier a trait à une demande du laboratoire Roche relative à la détection précoce des grippes résistantes aux antiviraux. Il s'agit de patients hospitalisés en urgences pédiatriques, dans le cadre d'une étude internationale qui remonte à décembre 2008, à l'occasion de l'épidémie de l'an dernier. Le coordinateur n'est pas rémunéré. Le montant de l'observation par malade hospitalisé durant dix jours est de 350 euros.

Le quatrième dossier concerne le laboratoire Hoffmann La Roche, la pharmacocinétique, le pharmaco-dynamisme et la sécurité du Tamiflu. Il concerne quinze patients en France, trois investigateurs et porte sur le traitement des nourrissons hors AMM. Théoriquement, ils n'avaient même pas à nous solliciter.

M. François Autain, président - A quelle date ?

M. François Rousselot - En décembre 2009. La rémunération par investigateur s'élevait à 2 500 euros et à 2 500 euros pour le coordinateur. Il y en a trois en France, deux fois des associations, une fois un praticien, dans trois CHU.

Le cinquième dossier concerne GSK, ainsi que le sixième, le septième étant Sanofi.

M. François Autain, président - Vous nous confiez donc ces documents ; nous les exploiterons et nous verrons ce que nous pouvons en faire.

M. François Autain, président - Y a-t-il d'autres questions ? Il n'y en a pas. Merci.

M. François Rousselot - Vous m'aviez demandé quels étaient mes souhaits. Ils portent sur la création d'un guichet unique et d'un instrument permettant de gérer le devenir des avis que nous rendons. Pour l'instant, rien n'existe et cela constitue une grave lacune.

Aujourd'hui, les conseils départementaux enregistrent seulement les demandes. L'avis que rend le CNOM est scientifique, éthique et déontologique.

M. François Autain, président - Nous allons essayer de proposer des recommandations qui permettront, si elles sont suivies d'effets, de combler ces lacunes.

Audition de M. Jean-Claude MANUGUERRA,
président du Comité de lutte contre la grippe
(mardi 30 mars 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean-Claude Manuguerra prête serment.

Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, après avoir satisfait aux obligations de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique. Vous avez la parole.

M. Jean-Claude Manuguerra - Dois-je commencer par mon exposé ou par les liens avec l'industrie pharmaceutique ?

M. François Autain, président - Je pense qu'il faut commencer par vos liens d'intérêts éventuels. Ceci est prévu par une loi qui n'est pas très connue mais qui remonte pourtant à sept à huit ans. Cette loi de 2002 n'a, il est vrai, fait l'objet d'un décret qu'en 2007. On entend parfois les experts s'exprimer dans les médias ; aucun ne fait jamais état de ses liens avec tel ou tel laboratoire. Ceci est pourtant intéressant, surtout s'il parle d'un produit fabriqué par le laboratoire avec lequel il a des liens d'intérêts, sans vouloir mettre en cause leur bonne foi ou leur honnêteté.

Il est donc préférable que vous commenciez par faire état de vos liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, si vous en avez.

M. Jean-Claude Manuguerra - Cela va être quelque peu compliqué : les déclarations publiques d'intérêts sont en effet des formulaires donnés par différents instituts, dont la présentation est assez variable d'un institut à l'autre. La difficulté est que le Comité de lutte contre la grippe a une histoire mouvementée et peu claire - j'y reviendrai.

La déclaration publique d'intérêts que j'ai faite, qui a été actualisée le 12 janvier, comporte, depuis la création du Comité, une invitation au deuxième ou troisième congrès européen sur la grippe, qui a lieu tous les deux ans à Vilamoura, au Portugal et qui est organisé par le laboratoire Roche.

M. François Autain, président - Quel médicament fabriquent-ils ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Ils fabriquent et distribuent l'oseltamivir.

Je ne suis resté que deux jours à ce congrès ; j'ai également été invité par le collège canadien des directeurs de services des hôpitaux publics du Canada à un séminaire sponsorisé par un des « corporated members » du laboratoire Roche dans lequel je suis intervenu pour une présentation et ai reçu, à ce titre, une rémunération personnelle ponctuelle en mars 2009.

M. François Autain, président - Etiez-vous déjà président du CLCG ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, c'était en mars dernier.

M. François Autain, président - Etes-vous président depuis le début ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Je vais y revenir.

J'ai repris toutes les notifications budgétaires de mon laboratoire, qui a été créé en 2002. Je n'ai perçu aucun crédit de recherche de la part de l'industrie du vaccin.

M. François Autain, président - De quel laboratoire parlez-vous ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Il s'agit de la cellule d'intervention biologique d'urgence dont je suis responsable à l'Institut Pasteur. Nous n'avons donc pas de contrat de recherche avec des laboratoires pharmaceutiques, qu'il s'agisse de médicaments, de vaccins ou de diagnostics.

J'ai voulu remonter avant la création officielle du Comité ; effectivement, j'ai retrouvé un don à mon laboratoire de la part des produits Roche datant de mars 2007. Il a été notifié le 28 mars 2007 pour un montant de 2 250 euros. J'ai ici la version papier. Ceci est donc ma déclaration d'intérêts et de lien avec le laboratoire Roche.

A combien de temps voulez-vous remonter ?

M. François Autain, président - Généralement, c'est entre trois et cinq ans.

M. Jean-Claude Manuguerra - En juillet 2007, je me suis rendu à un congrès mondial intitulé « Options pour le contrôle de la grippe  », qui a lieu tous les quatre ans, auquel les produits Roche m'avaient invité à participer, sans rémunération personnelle. Je n'y suis resté que deux ou trois jours. Venant d'une autre destination, je n'ai profité que du billet de retour de la part de Roche, en billet de groupe.

Je pense qu'il n'y a rien d'autre.

Vous m'avez demandé ma position sur les travaux de cette commission. J'ai deux points de vue, celui du citoyen ou du partisan de la démocratie parlementaire respectant les prérogatives des assemblées en matière de création d'une commission d'enquête, et celui du président du CLCG. En tant que tel, je m'efforcerai de répondre du mieux possible aux questions que se pose la commission.

Je saisirai cette occasion pour expliquer le fonctionnement du CLCG, dégager autant que possible le rationnel, faire comprendre les avis qui ont été émis et aussi dissiper la suspicion - si c'est possible - qui plane autour de l'expertise, qui nous blesse très profondément au sein du Comité.

Ainsi que je l'ai fait lors d'une table ronde organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, je déclare ma solidarité totale avec le Comité que je préside.

La grippe est un ennemi imprévisible ; c'est une maladie causée par des virus. Je suis virologiste ; c'est donc un angle qui m'intéresse particulièrement. Ces virus sont doués d'une grande plasticité génétique, source d'innovation naturelle permanente. La grippe frappe plus ou moins tous les ans lors d'épidémies saisonnières.

Elle marque aussi de manière plus spectaculaire les siècles par des pandémies dont l'ampleur et la sévérité varient grandement et sans qu'aucune ne ressemble jamais à une autre.

La grippe constitue donc un véritable fléau de santé publique, à tel point qu'un réseau mondial a été constitué deux ans avant que l'OMS elle-même ne soit créée, en 1948, pour surveiller cette maladie.

Depuis la création de ce réseau de surveillance mondiale, le monde a affronté deux pandémies, celle de 1957, avec deux à quatre millions de morts, puis celle de Hong Kong, en 1968, avec un à deux millions de victimes.

Dans les deux cas, le vaccin est arrivé trop tard et les morts ont laissé un souvenir amer s'agissant d'une maladie à prévention vaccinale.

L'idée qui est développée depuis plus d'une dizaine d'années est qu'il n'est pas inéluctable que nous subissions les épidémies sans les anticiper, sans essayer d'amoindrir leur impact, voire de les prévenir. C'est toute l'idée des plans de lutte dans la première version de l'OMS datant de 1999 et celle de l'ancêtre du plan français de 1995.

Les plans globaux ou nationaux ont bien sûr évolué pour tenir compte des nouvelles caractéristiques de la menace, des nouveaux moyens de lutte. L'influence de la grippe aviaire, avec son taux de létalité énorme de 60 %, a été prépondérante dans la préparation, notamment dans l'élaboration des stocks d'antiviraux et de masques - constitués largement avant le début de la pandémie de 2009 - dès 2007 me semble-t-il.

Les plans ont des boîtes à outils à utiliser en fonction de la situation. Tout d'abord, la pandémie a été asynchrone dans l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud mais aussi en Europe. La densité du phénomène n'a pas été la même partout et il faut, lorsqu'on compare les recommandations de l'OMS à celle des différents pays, comprendre que celles de l'OMS s'adressent de façon globale à l'ensemble de ses 193 Etats membres et doivent donc être adaptées en fonction de l'état sanitaire des pays et de leur développement.

En France, en 1995, une cellule de lutte contre la grippe a été mise en place ; elle s'est réunie pour la première fois en juillet 1995 suivant les recommandations d'un groupe de travail multidisciplinaire qui, à la demande du directeur général de la santé de l'époque, avait élaboré des stratégies de prévention et de contrôle des épidémies de grippe en France.

Cette cellule, depuis le départ, est coordonnée par la direction générale de la santé (DGS) et avait reçu pour mission de conseiller celle-ci sur les moyens à mettre en oeuvre face à une épidémie de grippe en France. Elle s'est réunie depuis 1995 à intervalles réguliers et a été mobilisée lors d'épisodes d'épidémies spécifiques : la « grippe du poulet » de 1997-1998, le virus saisonnier H3N2 en 2000 et le SRAS - Syndrome respiratoire aigu sévère -, de manière plutôt efficace et en bonne articulation avec l'OMS.

Depuis cette date, la cellule de lutte contre la grippe a continué à jouer son rôle d'expertise sur les mesures à mettre en oeuvre pour contrôler et réduire l'impact d'une épidémie de grippe ou d'une pandémie grippale. Il lui revenait, à partir des données scientifiques disponibles, d'aider à la définition des stratégies de prévention, de thérapeutique et de prophylaxie médicamenteuse.

La cellule était composée, depuis 2003, de membres représentant le Conseil supérieur d'hygiène publique de France - devenu en 2007 le Haut Conseil de la santé publique -, le Comité technique des vaccinations (CTV), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l'Institut de veille sanitaire (InVS), des directeurs des centres nationaux de référence des virus grippaux et des représentants de réseaux de médecins généralistes et pédiatres - le réseau « Sentinelles » et le réseau des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) - ainsi que de personnalités qualifiées.

Je suis devenu président de la cellule le 1 er janvier 2003 ; M. Lucien Abenhaïm était alors directeur général de la santé. La cellule fonctionnait comme un groupe de travail du Conseil supérieur d'hygiène publique de France non permanent. C'est ce qui explique en partie la raison pour laquelle nous n'avons pas continué à être un groupe de travail du Haut Conseil lorsqu'il a été créé.

Par ailleurs, en avril 2006, la DGS a mandaté un groupe d'experts composé de membres du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, du Comité technique des vaccinations et de la cellule de lutte contre la grippe afin d'assurer le développement des vaccins prépandémiques et pandémiques A (H5N1) par les différents laboratoires pharmaceutiques producteurs de vaccins contre la grippe.

L'OMS, comme l'Union européenne, insistaient dans leurs recommandations sur la nécessité que les Etats membres se dotent d'un groupe national d'experts dédiés à la pandémie grippale.

Tout n'a pas été linéaire. Jusqu'au début de l'année 2007, il n'existait aucun texte affirmant l'existence de la cellule de lutte contre la grippe ou du groupe d'experts chargés de l'audition des laboratoires pharmaceutiques producteurs de vaccins contre la grippe, d'où le décret procédant à la création du Comité.

Durant un an et demi, nous avons fonctionné en apesanteur. Nous nous sommes réunis une fois par mois, nous avons remis des documents à la DGS. Quand le Conseil supérieur d'hygiène publique de France existait, nous faisions valider nos travaux par le Haut Conseil. Dans le cas présent, nous n'avions pas à le faire. Il a donc fallu officialiser à nouveau le Comité.

Le décret du 25 juillet 2008 et sa version consolidée de septembre 2009 ont procédé à la création du CLCG dont les missions reprennent à la fois celles de la cellule de lutte contre la grippe et du groupe d'experts chargés de l'audition des laboratoires pharmaceutiques.

J'ai personnellement remis des déclarations publiques d'intérêts au Conseil supérieur de l'hygiène publique de France ; je l'ai fait à nouveau lorsque le Comité a été créé officiellement.

M. François Autain, président - Lorsque ce Comité a été constitué, vous avez donc immédiatement fait part de vos liens d'intérêts.

M. Jean-Claude Manuguerra - Personnellement, non...

M. François Autain, président - Le public n'en a eu connaissance qu'en novembre 2009. Que s'est-il passé entre juillet et novembre 2009 ?

Madame la ministre, que j'ai interrogée sur ce sujet, m'a indiqué avoir immédiatement demandé aux membres du Comité de se mettre en conformité avec la loi. Sa déposition étant sous serment, je la crois. Vous ne pouvez donc que me confirmer qu'elle vous a donc sollicité dès 2008 pour vous demander de rendre publiques vos déclarations d'intérêts. C'est bien la vérité ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Tout n'est pas aussi linéaire...

M. François Autain, président - Rien ne l'est dans cette affaire, je l'ai bien compris !

Je croyais que cela allait s'arrêter en 2008 mais l'absence de linéarité semble se poursuivre.

M. Jean-Claude Manuguerra - Le problème est qu'après 2008, on est entré dans la pandémie.

Je pense que les déclarations publiques d'intérêts ne constituaient alors pas la priorité des experts, ni du ministère.

M. François Autain, président - Les membres du Comité n'ont donc pas répondu à la sollicitation du ministre qui leur demandait de publier leurs liens d'intérêts.

M. Jean-Claude Manuguerra - Certaines personnes avaient déjà réalisé des déclarations publiques d'intérêts du fait de leur appartenance à d'autres instances.

Pour ce qui me concerne, la déclaration que j'avais faite en 2008 pour le Conseil supérieur ne nécessitait pas de modifications et celle-ci a été réutilisée. Il en a été de même pour la plupart des autres personnes faisant partie d'autres comités ou d'autres agences.

M. François Autain, président - Je comprends mais la loi oblige, dès qu'un comité est créé, que ses membres rendent publics leurs liens d'intérêts.

L'article L. 1451-1 du code de la santé publique dispose que les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, à l'occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonction, adressent aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale une déclaration mentionnant leurs liens directs ou indirects avec les entreprises, établissements ou organismes dont les dossiers pourraient être soumis à l'instance dans laquelle ils siègent, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs. Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu'une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués.

Il n'est pas indiqué que l'on est exempté de cette disposition en cas de pandémie. Il est évident que cela n'a pas été fait. Si tel avait été le cas, on aurait pu immédiatement savoir s'il existait ou non des liens d'intérêts entre tel et tel membre du Comité et tel ou tel laboratoire.

Or ce Comité a été créé en 2008 et la loi à laquelle je fais référence est de 2002. Elle s'appliquait donc en 2008 et vous n'avez pas répondu à la sollicitation de votre ministre, ce qui est encore plus grave.

M. Jean-Claude Manuguerra - On peut jouer sur les mots...

M. François Autain, président - Je ne joue pas sur les mots ! J'ai demandé à Madame la ministre si elle avait rappelé l'existence de ce texte aux différents intéressés. Elle m'a répondu par l'affirmative. Pourquoi sommes-nous donc restés plus d'un an sans que la loi soit appliquée ?

Vous invoquez la pandémie mais elle ne constitue pas pour moi une raison valable !

M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG s'est mis en place après les nominations de juillet 2008. Fin 2008, quinze déclarations publiques d'intérêts (DPI) sur dix-sept étaient déposées...

M. François Autain, président - Où étaient-elles déposées ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Devant les différentes instances.

M. François Autain, président - De quelles instances s'agit-il ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Le Haut Conseil de la santé publique pour certains, où les déclarations des membres du CTV ont été déposées.

Lorsque le décret est paru, nous n'avions pas de règlement intérieur ; or, l'article 5 du règlement intérieur du Comité signalait l'obligation de procéder à une DPI mais nous n'avions pas de formulaires. Nous avons donc adopté ceux du Haut conseil de la santé publique.

La relance de la procédure prévue au printemps a ensuite été retardée par l'arrivée de la pandémie grippale.

M. François Autain, président - Vous n'aviez pas besoin de règlement intérieur pour appliquer ce décret !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne suis pas spécialiste de la loi même si, en tant que citoyen, je suis censé ne pas l'ignorer...

M. François Autain, président - Le ministre vous l'avait rappelée !

M. Jean-Claude Manuguerra - Sur quel intervalle de temps déposer une DPI ?

M. François Autain, président - C'est codifié !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne connaissais personnellement que celle que j'ai faite pour l'AFSSAPS qui est très différente. On ne demande d'y indiquer que des liens répétés. Quel type de contrat doit-on donc déclarer, sur combien de temps ? Pour déclarer ses impôts, il existe un formulaire. S'agissant de la DPI, nous n'en avions pas !

M. François Autain, président - Avant de procéder à celle-ci, vous avez donc voulu établir un formulaire, est-ce bien cela ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui. Les premières déclarations ont donc utilisé les formulaires d'autres comités, notamment du Haut Comité de la santé publique ou du Comité technique des vaccinations.

M. François Autain, président - Pourquoi celui-ci ne vous convenait-il pas ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, car il n'était adapté qu'aux industries du vaccin et non à celles du médicament.

M. François Autain, président - Il existe des laboratoires qui ne fabriquent pas que des vaccins.

M. Jean-Claude Manuguerra - Nous sommes des experts et non des spécialistes de la loi. Nous l'appliquons...

M. François Autain, président - En l'occurrence, elle n'a pas été appliquée !

M. Jean-Claude Manuguerra - C'est à l'administration de faire appliquer la loi ! Or, l'administration fonctionne avec des dates limites et des formulaires. On ne peut remplir une DPI sans formulaire. Comment faire ?

M. François Autain, président - Vous avez cité l'exemple du Haut Conseil de la santé publique, du Comité technique des vaccinations, de l'AFSSAPS. Il y a des tas d'exemples. En une journée maximum, on établit un formulaire et en une semaine, tout le monde peut avoir déclaré ses liens d'intérêts. Or, il a fallu attendre novembre 2009...

M. Jean-Claude Manuguerra - Quinze DPI étaient déjà déposées au printemps 2009 !

Expert, ce n'est pas un métier à temps complet. Lorsqu'une institution est « formatée », les experts sont « formatés » et répondent comme il faut. Ce n'est pas aux experts d'organiser les DPI. Leur devoir est de remplir ce qu'on leur demande dans un format prédéfini.

M. François Autain, président - Vous reconnaissez donc que Mme la ministre a bien attiré votre attention, lorsque vous avez été nommé, sur l'existence de cette législation et sur le fait que vous deviez faire connaître vos liens d'intérêts le plus rapidement possible ? Vous ne le niez pas ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Absolument pas !

M. François Autain, président - Vous avez donc attendu pour le faire un certain nombre de mois, le temps nécessaire pour vous d'établir un formulaire qui vous permette enfin de pouvoir codifier ces liens d'intérêts ?

M. Jean-Claude Manuguerra - C'est cela sans l'être.

M. François Autain, président - Croyez-moi, je n'essaye pas de vous blesser mais de savoir pourquoi la loi n'est pas appliquée.

M. Jean-Claude Manuguerra - Les questions que vous posez ne sont pas blessantes. C'est la suspicion qui peut l'être.

M. François Autain, président - Si vous ne voulez pas que l'on vous suspecte, il faut être transparent ! Quelle honte y a-t-il à avoir des liens avec un laboratoire ? Au contraire !

M. Jean-Claude Manuguerra - Encore une fois, ce n'est pas à nous d'administrer la DPI, ni de juger s'il existe ou non un conflit d'intérêts.

M. François Autain, président - Lors de votre nomination, avez-vous adressé une lettre à votre ministre en lui indiquant vos liens d'intérêts, comme elle vous l'avait demandé ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Au moment de ma nomination, il n'y avait pas de liens d'intérêts supplémentaires par rapport à la déclaration que j'avais faite en tant que membre du groupe de travail du Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - Et pour les autres membres du Comité ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Les autres membres avaient des fonctions différentes.

M. François Autain, président - Leur avez-vous dit qu'il fallait qu'ils fassent état de leurs liens d'intérêts ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne pense pas que ce soit à moi de le faire mais à l'administration.

M. François Autain, président - C'est donc une défaillance de la DGS qui explique ce retard dans la publication des liens d'intérêts des membres du CLCG ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Ceci résulte effectivement d'une absence de gestion des DPI pour le CLCG.

M. François Autain, président - C'est donc le directeur et non la ministre !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne sais à quel niveau se situent les responsabilités. Je ne suis pas spécialiste des arcanes ministériels.

Les experts ne sont pas là pour organiser la gestion des DPI ; on ne peut les inventer. On a beaucoup travaillé après 2009. La rédaction de notre règlement intérieur et son approbation par l'ensemble du groupe ont pris un certain temps. Pour ce qui est des DPI, je ne puis en dire davantage. Si on nous demande quelque chose, nous l'appliquons.

En France, les missions du CLCG sont d'apporter au ministre, au travers de la DGS, l'expertise collective, médicale et scientifique sur l'ensemble des mesures à mettre en place pour contrôler et réduire l'impact d'une épidémie de grippe ou d'une pandémie grippale.

Même si les procédures ont évoluées au cours du temps, jusqu'à ce jour, les avis du CLCG ont toujours obtenu le consensus de ses membres.

L'expertise collective est atteinte après une discussion collégiale et franche d'où doit se dégager la meilleure solution. Elle n'est pas définie comme l'addition d'expertises mais a une dimension de plus.

Je dois également préciser que lorsque les avis du CLCG ont porté sur les vaccins et la vaccination, le CLCG a fonctionné en tant que groupe de travail du CTV qui a élaboré les recommandations à partir des avis du CLCG. Lorsque j'ai rapporté l'avis du CLCG au CTV, on m'a demandé de remplir une DIP.

Une fois les recommandations entérinées par le CTV, celles-ci sont reprises par la commission spécialisée « maladies transmissibles » du HCSP qui entérine définitivement ces avis.

Trois comités successifs sont donc nécessaires pour parvenir à l'avis du HCSP.

Ce fonctionnement est une indication selon laquelle les avis du CLCG ne sont pas le fruit d'influences extérieures de la part des laboratoires. Je rappelle que la moitié des membres du CLCG représentent des agences ou institutions publiques - InVS, AFSSAPS, DGS, service de santé des armées, centres nationaux de référence.

A aucun moment ces membres de droit n'ont fait part d'un quelconque désaccord. Je ne vois pas comment une influence aurait pu être exercée sur l'ensemble de ces experts aux origines différentes et qui ne sont pas nommés de la même façon.

M. François Autain, président - Je ne vous ai pas accusé d'une quelconque influence ni prétendu que tel ou tel organisme pouvait en avoir sur le Comité. J'ai simplement dit que la loi n'avait pas été appliquée.

M. Jean-Claude Manuguerra - J'ai d'ailleurs répondu que je pensais que la loi devait être appliquée avec rigueur.

Entre le 25 avril 2009, le lendemain de l'alerte pandémique lancée par l'OMS, et le 31 janvier 2010, le CLCG, l'AFSSAPS, le HCSP et l'InVS ont émis 114 avis ; 43 proviennent du CLCG. Le CLCG a rendu environ un avis écrit et validé par les membres tous les six jours et demi et, sur les 150 premiers jours entre mai et juin, week-ends et jours fériés compris, un avis tous les cinq jours.

Les réunions étaient téléphoniques ou physiques selon le cas et duraient entre une heure et demie et deux heures. C'est une charge de travail considérable pour des experts comme nous. Personnellement, je devais gérer un laboratoire recevant nuit et jour des prélèvements et travaillant en tandem avec le Centre de référence pour réaliser les premiers examens. On a dit que le virus n'était pas nouveau. Il l'était assez pour nous poser des problèmes de diagnostic assez importants !

Après avril 2009, l'intensité a été telle que nous avons été très occupés. J'insiste également pour dire que mes collègues ont été extrêmement disponibles.

L'épidémie de grippe A (H1N1)v était-elle une pandémie ? La réponse découle des définitions des phases du plan de l'OMS dans sa version 2009 ; cette version date de début avril, juste avant le début de la pandémie. La nouvelle version du plan de l'OMS a été adoptée après deux ans de travail qui ont impliqué environ 135 scientifiques et 48 pays, avec une phase de discussions sur Internet qui a recueilli 600 réponses.

L'OMS a fonctionné avec différents groupes de conseils et d'experts qui ont des finalités quelque peu différentes, d'une part le Comité d'urgence de pandémie grippale - pour ma part, je n'ai pas compris pourquoi la liste de ses membres n'était pas connue...

M. François Autain, président - Pourquoi n'a-t-on pas eu plus d'informations ?

M. Jean-Claude Manuguerra - On devrait en effet en avoir plus. On trouve, par ailleurs, parmi ces groupes d'experts, le SAGE, un groupe d'experts de la vaccination mais non de la grippe, le réseau global de surveillance de la grippe et les centres mondiaux de l'OMS. Depuis septembre, il existe un nouveau comité qui comprend 11 membres, dont je fais partie, le conseil scientifique et technique auprès du programme global « grippe ». Les membres en sont connus.

Ces comités d'experts pondèrent éventuellement les directions prises par l'OMS. Il y a là différents groupes et je ne vois pas comment les experts de l'OMS pourraient être manipulés.

Je pense que le flou de mes réponses à vos questions précises sur les DPI vient du fait que le CLCG a été dans l'expectative durant un certain temps, à la suite de la disparition du Conseil supérieur de l'hygiène publique de France.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourriez-vous nous expliquer le rôle du Comité de lutte contre la grippe que vous présidez dans la préparation de la stratégie gouvernementale de lutte contre la grippe A (H1N1)v ? Comment s'est articulé le travail du CLCG avec les travaux du Haut Conseil de la santé publique ? Quelles étaient les instances susceptibles de saisir le CLCG de questions concernant la grippe ? Un ou plusieurs des membres du CLCG ont-ils été amenés à participer aux travaux des autres instances d'expertise ou des agences sanitaires sur la grippe ? Quels sont les liens entre le CLCG et les groupes d'experts de l'OMS ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG, depuis sa création, a obligation de rédiger un rapport annuel. Nous en avons donc rédigé un pour 2008/2009.

M. François Autain, président - Pouvez-vous nous le communiquer ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Bien sûr, je vous le laisserai et vous enverrai même une version électronique.

Il présente la phase pré-pandémique et post-pandémique. On voit comment s'articule l'audition des laboratoires. A chaque fois, des recommandations sont émises. Généralement, une partie concernait directement les recommandations vaccinales. Par exemple, existe-t-il des populations plus vulnérables à vacciner en premier ? Quel est l'ordre de priorité de vaccination de ces populations d'un point de vue médical et scientifique ? Ce sont là des questions purement médicales que nous traitions en tant que groupe de travail du CTV, qui rapportait ensuite devant le HCSP. Nous avions dans le Comité même des membres du CTV et du HCSP, de manière à fluidifier l'information et à faire en sorte que tout puisse fonctionner normalement.

Cette partie s'achevait sous forme d'un avis public au HCSP qui pouvait servir de base aux décisions prises par les pouvoirs publics.

M. François Autain, président - Votre avis, lui, n'était pas public ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Non. Statutairement, nous sommes rattachés à la DGS. J'ai posé la question de savoir pourquoi nous ne constiturions pas un groupe de travail comme par le passé. Cela aurait résolu tous les problèmes. On nous avait dit au départ que le HCSP, au moment de sa constitution, ne souhaitait pas intégrer la cellule de lutte contre la grippe, dont le rythme d'expertise n'était pas compatible avec celui des réunions du HCSP.

Or, en matière de grippe, les choses évoluent de semaine en semaine et parfois de jour en jour.

Nous avons cependant essayé de garder une certaine cohérence. Tout ce qui touchait à la vaccination devenait public au travers des autres comités.

Par ailleurs, les questions portant sur la qualité des vaccins relevaient plutôt du CLCG ; c'est pourquoi nous avons fusionné le groupe auditionnant les firmes et les autres. Nous avons travaillé de manière confidentielle, certaines conclusions du Comité faisant notamment ressortir le fait que certains vaccins n'étaient pas bons.

M. François Autain, président - Pourquoi est-ce resté confidentiel ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Avant l'octroi de l'AMM, les dossiers n'étaient pas publics. Comme vous le savez, il est possible d'anticiper des commandes et des stratégies - ce qui a été fait dans différents pays, notamment aux Etats-Unis, avant que l'AMM ne soit donnée.

Nous avons dit clairement les choses mais cela n'a pu être officialisé, les laboratoires présentant des données qui n'étaient pas encore publiques. Un des laboratoires a ainsi eu de la chance qu'il s'agisse de H1N1 et non de H5N1, car il aurait été hors course.

On pouvait également nous poser la question de savoir, sur le plan médical, scientifique et éthique, par quel groupe commencer la vaccination et avec quels objectifs.

Il a toujours été clair pour le Comité que, s'il existait un vaccin efficace, il devait être proposé à tous ceux qui le souhaitaient mais, en cas de ressources limitées, on a parfois indiqué des priorités, qui ont été reprises par le HCSP.

Certaines personnes appartiennent effectivement à plusieurs comités. Dans le cadre du HCSP, nous constituions donc, pour ce qui est du seul vaccin, un groupe de travail du CTV.

M. François Autain, président - Qu'en est-il par rapport aux commissions sur les maladies transmissibles, la grippe étant une maladie transmissible ?

M. Jean-Claude Manuguerra - En effet, nous étions un groupe de travail et nous avions été mis de côté pour des questions liées davantage - je pense - au HCSP qu'au ministère au moment de la constitution de ce dernier.

Nous l'avons regretté car nous sommes restés dans l'expectative durant une bonne année.

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que cette complexité peut nuire à l'efficacité du dispositif ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, pas en ce qui concerne l'expertise. Je siège dans le Comité depuis 1995 ou 1996. Il existe peu de gens travaillant depuis longtemps sur le sujet. Le Comité reste donc le même depuis plusieurs années. Nous nous sommes toujours réunis, même lorsque nous n'existions pas - suivant en cela la recommandation de l'OMS - pour que l'expertise perdure et que le groupe soit opérationnel en cas de crise. On nous a ainsi sollicités même lorsque nous n'existions pas officiellement.

Qui saisit le CLCG ? Il peut être saisi par la DGS ou par le président du CTV. Le CLCG a aussi la capacité de s'autosaisir et nous avons utilisé cette possibilité plusieurs fois lorsque nous pensions que certaines questions qui ne nous étaient pas posées étaient importantes.

Les membres du CLCG participent-ils à d'autres agences ? Oui, plus ou moins bien et plus ou moins complètement. Le nombre de personnes travaillant sur la grippe en France est relativement limité. Les gens ayant des compétences dans différentes disciplines ne sont donc pas nombreux et les agences se tournent donc toujours un peu vers les mêmes. Un certain nombre de membres du CLCG sont, comme la directrice du centre de référence France Nord ou moi-même, également membres du groupe de travail sur l'influenza aviaire de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Nous travaillons dans ces groupes depuis le début sur la pandémie grippale et l'aspect zoonotique.

D'autres personnes sont experts pour le compte de l'AFSSAPS, qui est représentée en tant que telle dans le CLCG. Dans les agences, les DPI sont bien organisées.

M. Alain Milon, rapporteur - Quels sont les liens entre le CLCG et les groupes d'experts de l'OMS ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Il n'y a pas de lien organique. L'OMS essaye à la fois de rassembler des compétences dans des disciplines qu'elle veut voir représentées dans ses comités, et de réaliser un dosage géopolitique des différentes régions où elle est présente. Les gens sont le plus souvent nommés en tant que personne et non représentant d'un Etat. On peut trouver certains membres du CLCG - mais assez peu - dans des comités de l'OMS mais à ma connaissance aucun dans le comité d'urgence.

M. Alain Milon, rapporteur - Lors de sa réunion du 5 mai, le CLCG a contesté les fondements de la déclaration faite deux jours auparavant par Nancy Cox, chef du département grippe du Center for Disease Control (CDC) américain, sur l'absence de marqueurs de virulence de la grippe espagnole chez le virus A (H1N1)v. Pour quelles raisons ? Votre mission au Mexique du 5 au 10 mai vous a-t-elle donné l'occasion de vous faire une opinion sur la virulence du virus A (H1N1)v ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Mon rapport sur mon voyage au Mexique a en effet fait couler beaucoup d'encre...

M. François Autain, président - Nous avons été un peu déçus ! C'est un rapport « tiers mondiste » : vous alliez là-bas afin de voir si on ne pouvait pas les aider.

M. Jean-Claude Manuguerra - Vous avez une lecture qui n'est absolument pas celle de l'esprit dans lequel je l'ai écrit ! Le Mexique fait partie de l'initiative globale de sécurité sanitaire des pays du G7, plus Mexico. Les Etats-Unis, entourés du Canada et du Mexique, participent à un groupe de pays développés - même si le Mexique n'atteint pas le niveau des pays du G7 sur le plan de son développement.

L'intérêt du rapport ne réside pas dans la contradiction avec ce que dit Nancy Cox mais dans la préfiguration de ce que nous allions avoir en France, où nous avons été confrontés à peu près aux mêmes problèmes. Très vite, le nombre de cas augmente. On doit donc mettre en place un diagnostic dans des laboratoires extrêmement centralisés, comme le Laboratoire de diagnostic fédéral, et les capacités sont vite dépassées.

Lorsque le virus n'était pas encore arrivé aux Etats-Unis et au Canada, les Américains et les Canadiens ont apporté une grande aide. Quand le virus s'est développé chez eux, ils ont dû renoncer à traiter les échantillons mexicains. On ne savait pas non plus très bien ce qui se passait là-bas en termes de létalité du virus - et c'est d'ailleurs encore un mystère pour moi. Le virus n'était-il pas en train de se transformer ? L'OMS, à Genève, nous pressait d'analyser tous les virus. Or, il arrive un moment où l'on ne peut plus tous les analyser, ni quantifier le nombre de cas ou établir un diagnostic pour chaque cas.

On a connu le même problème en France ; c'est pourquoi on a arrêté les diagnostics systématiques et choisi de ne les réaliser que pour des raisons médicales - pour les femmes enceintes par exemple - ou de n'établir qu'une surveillance dans la population, comme le font les GROG en particulier, en prélevant des échantillons au hasard afin d'avoir une bonne représentativité de la situation.

Après le dépistage au cas par cas des premières infections suspectes, on a basculé dans une surveillance de population sur échantillons, comme pour la grippe saisonnière. Il ne s'agit pas bien entendu des mêmes outils. Pendant ce temps, nous avons connu une sorte d'angle mort durant lequel nous n'avons pas eu de données.

Le Mexique a connu de telles difficultés. Les Etats-Unis les ont abordées quand je m'y trouvais et il était clair qu'on allait connaître la même situation en France, ce qui n'a pas manqué de se produire.

M. François Autain, président - La grippe est prévisible !

M. Jean-Claude Manuguerra - Pas le virus ! Il ne s'agit pas de prévisions mais de scénarios probables. Les journaux ont affirmé qu'on ne savait pas déterminer le nombre de cas de grippes : on n'a jamais su le faire et c'est un important problème méthodologique pour la grippe saisonnière ! Ce n'est pas une maladie chronique. Cela dépend également beaucoup du système de santé ; c'est pourquoi on a aussi un certain nombre de données très disparates.

Il ne s'agit donc pas d'une mission « tiers mondiste », pour reprendre votre expression, car cela nous a également servi !

M. François Autain, président - Disons que j'ai été déçu !

M. Jean-Claude Manuguerra - J'ai en effet lu dans la presse que le rapport n'existait pas. Lorsqu'on me demande un rapport, c'est comme pour une analyse en laboratoire, le résultat s'adresse au patient et au prescripteur qui décident ensuite si le résultat doit être communiqué ou non à des tiers. Je ne pouvais donc le rendre public jusqu'à ce que le « prescripteur », pour poursuivre l'analogie, décide de le faire.

On a même prétendu que le rapport avait servi pour des commandes de vaccins : rien ne figure sur les vaccins. C'était beaucoup trop précoce.

M. Alain Milon, rapporteur - Lors de sa réunion du 10 mai, suite à une saisine urgente de la DGS, le Comité indique que la vaccination de l'ensemble de la population est recommandée uniquement pour la phase pré-pandémique. Il est fait mention de la possibilité d'une « mémoire éventuellement protectrice » chez les plus de 65 ans, en fonction de données publiées le 8 mai par le CDC et du fait qu'une vaccination partielle de la population est « suffisante pour obtenir une réduction très significative de l'impact de la grippe ». Ces données pouvaient-elles justifier l'idée d'une vaccination partielle de la population si les vaccins étaient livrés après le début de la pandémie et donc une commande réduite de vaccins ?

M. Jean-Claude Manuguerra - La date du 10 mai concerne la vaccination contre la grippe saisonnière 2009/2010.

On s'est posé la question de savoir si on devait la décaler.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous disiez pourtant qu'une vaccination partielle de la population était suffisante pour obtenir une réduction très significative de l'impact de la grippe...

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui. On connaît les populations à risques ; contrairement à la grippe pandémique, où chaque individu entre 5 et 60 ans était concerné, la grippe saisonnière concerne les plus de 65 ans et les personnes atteintes de certaines affections de longue durée (ALD). La stratégie concernant la vaccination antigrippale réside dans la prévention des cas graves et de la mortalité. Ce n'est pas forcément celle concernant la pandémie.

M. Alain Milon, rapporteur - Les laboratoires proposent d'incorporer l'antigène du H1N1 dans le futur vaccin saisonnier. Est-ce une bonne solution dans la mesure où ces vaccinations concernent essentiellement les populations de 65 ans et plus, elles-mêmes immunisées contre le H1N1 ?

M. Jean-Claude Manuguerra - La vaccination antigrippale lors de la saison prochaine avec ou sans antigène pandémique fait partie d'une saisine que nous avons reçue. Nous en avons traité une première partie autour de la question de savoir si l'on continuait la vaccination actuelle, jusqu'à quand et si l'on devait s'attendre à une seconde vague. La réponse est que tant que le virus circule, il existe un bénéfice individuel en faveur de la vaccination H1N1 pandémique ; dès que le virus aura cessé de circuler, il n'y en aura plus et cela ne pourra plus fonctionner.

M. François Autain, président - Il circule toujours.

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui mais à des niveaux négligeables.

M. François Autain, président - On ne vaccine donc plus ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, plus en France, c'est pratiquement terminé.

M. François Autain, président - Pourtant les médecins peuvent maintenant vacciner.

M. Jean-Claude Manuguerra - Le vaccin est utilisable quand ils le veulent. C'est à eux de décider. Il peut aussi y avoir des gens qui se rendent dans l'hémisphère Sud. Mais on a estimé qu'il n'y aurait pas de deuxième vague cette année.

La seconde partie de la saisine portait donc sur le fait de savoir quoi faire. On a décidé d'attendre la réunion de l'OMS pour savoir si le virus a beaucoup évolué ou non et si l'on pouvait garder le même vaccin pour l'année prochaine. Le virus n'ayant pas beaucoup changé, les antigènes pourraient être réutilisés la saison prochaine.

Par ailleurs, est-ce un vaccin bivalent associé à l'antigène pandémique ou incorpore-t-on les trois en même temps ? Cela pose un problème et constitue l'objet d'une saisine sur laquelle nous devons réfléchir dans le cadre du HCSP, qui a diligenté sur ce sujet un groupe de travail qui comprend une partie du CLCG.

M. François Autain, président - On vient d'apprendre que l'OMS avait décidé d'inclure dans le vaccin contre la grippe saisonnière le H1N1.

M. Jean-Claude Manuguerra - La réunion de février devait statuer sur l'antigène à incorporer dans le vaccin. Le H5N1 ne circulant plus, c'est le H1N1 pandémique 2009 qui doit être inclus comme valence H1N1 ; or, si l'on inclut le H1N1 pandémique, ce sera dans des vaccins sans adjuvant. Il s'agira de l'inclure comme un virus devenu saisonnier mais on ne peut avoir de bivalent plus un H1N1 pandémique avec adjuvant, le vaccin bivalent n'ayant pas d'AMM. Le vaccin est trivalent ou monovalent pandémique.

M. François Autain, président - Quelle est la différence entre un H1N1v pandémique - celui ci semblant ne plus beaucoup varier - et un H1N1 saisonnier ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Le virus A (H1N1)v est étonnamment stable.

M. François Autain, président - Il reste pandémique puisque l'on demeure toujours en phase 6 du plan « Pandémie grippale » de l'OMS.

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, pour l'instant.

M. François Autain, président - Vous allez cependant l'intégrer dans le vaccin saisonnier...

M. Jean-Claude Manuguerra - Le groupe de travail n'a pas encore travaillé sur ce sujet.

M. François Autain, président - C'est ce que l'OMS semble avoir dit...

M. Jean-Claude Manuguerra - L'OMS a dit que s'il existait un antigène à mettre dans un vaccin, ce serait celui du H1N1v.

M. François Autain, président - Les laboratoires y travaillent : ils sont en train de fabriquer les vaccins saisonniers avec cette souche ! Il perd donc automatiquement son caractère pandémique dès lors qu'on l'intègre dans le vaccin saisonnier !

M. Jean-Claude Manuguerra - Les vaccins sont pandémiques lors de l'introduction de ce nouveau virus dans l'espèce humaine.

M. François Autain, président - Ce nouveau virus H1N1v a pourtant frappé une population qui n'était pas naïve, les plus de 60 ans l'ayant déjà eu !

M. Jean-Claude Manuguerra - Les populations n'étaient pas complètement naïves ; l'immunité provenait d'un contact avec un lointain « parent » du H1N1 mais cette immunité n'était pas si forte. Les personnes âgées infectées mourraient autant que les jeunes.

M. François Autain, président - Mme Françoise Weber nous a confirmé que cette année nous ne craignions rien, étant donné la « clémence » du virus pour les personnes âgées.

M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne serai pas aussi catégorique ; cela étant, ce ne sont pas les plus de 65 ans qui ont été prioritairement désignés pour la vaccination contre la grippe H1N1.

M. François Autain, président - En tout état de cause, il perd son caractère pandémique dès lors qu'il est intégré dans le vaccin saisonnier.

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, le virus est pandémique lorsqu'il est nouveau pour la population humaine.

M. François Autain, président - Il n'était pas complètement nouveau !

M. Jean-Claude Manuguerra - Si ! Pasteur a bien montré que la génération spontanée n'existe pas. C'est le berceau de la microbiologie. Il ne peut y avoir de microbe qui naisse d'une génération spontanée. Il s'agit forcément de la « progéniture » d'un ou de plusieurs microbes. Mais il demeure nouveau en lui-même.

Pour ce qui est du virus auquel on a affaire, imaginez une équipe de huit gènes qui doivent collaborer, tout comme une équipe de football : certaines combinaisons peuvent donner des équipes de rêve en termes de coopération fonctionnelle ! C'est cette combinaison qui est nouvelle. On y trouve huit gènes dont un prépondérant pour l'antigène, le H1, composant que les personnes âgées ont déjà rencontré.

Mais tous les autres gènes du virus proviennent de virus animaux n'ayant pas circulé chez l'homme, mis à part un, peu important. Ce virus présentait donc les caractéristiques d'un virus nouveau. Un virus est généralement pandémique pendant les deux premières saisons, mais ayant connu un certain « succès », il devient ensuite saisonnier. Le H3N2 était ainsi pandémique en 1970 en France ; l'année d'après, il est devenu saisonnier. Depuis, il l'est resté.

M. François Autain, président - Pensez-vous, compte tenu du « succès » obtenu par le H1N1, que l'on ait des chances qu'il devienne saisonnier ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, car, comme les autres virus pandémiques, il a supplanté ses « compétiteurs ». Le virus H1N1 saisonnier ne circule plus.

M. François Autain, président - Va-t-il falloir vacciner tous les enfants dans ce cas ?

M. Jean-Claude Manuguerra - On ne sait pas tout ! La grippe apporte une grande leçon d'humilité...

M. François Autain, président - La commission d'enquête aussi !

M. Jean-Claude Manuguerra - Il s'agit d'une grande question. La physionomie des personnes atteintes de la grippe A et qui en sont mortes ne présentait pas la physionomie habituelle des décès dus à la grippe saisonnière. La saison à venir va-t-elle avoir un profil du type de celui de la grippe espagnole ou de celui de la grippe saisonnière ? La question reste ouverte.

C'est une des difficultés du groupe de travail qui doit statuer sur la stratégie à définir.

M. François Autain, président - Si jamais il devient saisonnier, la pandémie perdure donc ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, il faudra un nouveau virus. Cette pandémie sera finie. Soit le virus s'installe définitivement et deviendra comme les autres, soit il ne s'implante pas et disparaîtra. La question n'est pas encore résolue par l'OMS.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans sa réunion du 12 mai, le CLCG estime qu'un schéma vaccinal en deux doses ne serait pas aberrant. Pourquoi ?

M. Jean-Claude Manuguerra - L'idée du développement des vaccins et du suivi de celui-ci consistait à faire le constat qu'on allait être pris de cours quoi qu'il arrive. On n'espérait même pas avoir un vaccin pour lutter contre la pandémie ; le contraire aurait été miraculeux.

M. François Autain, président - Il n'a pas servi à grand chose !

M. Jean-Claude Manuguerra - On verra ! Toutes les études ne sont pas faites : il faudra revenir sur ce sujet.

M. François Autain, président - Vous allez peut-être me démontrer qu'il a servi à quelque chose - mais répondez déjà à la question du rapporteur...

M. Jean-Claude Manuguerra - L'idée était donc de développer des vaccins avec AMM sur le modèle du virus le plus probable, extrêmement dangereux, le H5N1.

La grosse difficulté résidait dans le fait que le H5N1 est un virus extrêmement peu immunogène ; le marqueur d'efficacité biologique que l'on utilise pour les vaccins ne satisfait absolument pas aux critères utilisés par l'Agence européenne du médicament. Il a donc fallu adopter une stratégie capable de développer assez d'anticorps. S'agissant du H5N1, seule l'utilisation d'adjuvants associés à deux vaccinations donnait une réponse suffisante pour l'obtention de l'AMM, l'avantage résidant dans le fait que l'adjuvant permettait d'élargir la palette de réponses au virus et de s'affranchir des variations qui perturbent beaucoup l'efficacité du vaccin classique.

Les vaccins ont obtenu leur AMM sur le schéma de deux doses avec adjuvant. Lorsque le H1N1 est apparu, on ne connaissait rien de ce virus et on était dans le schéma des vaccins « maquettes » dans lesquels on substitue l'antigène, toutes choses égales par ailleurs. On a testé l'efficacité de la séroconversion et les premiers essais utilisant le H1N1, avec ou sans adjuvant, ont commencé fin août 2009 - pour la plupart mi septembre. Les premiers résultats ont été connus entre mi-octobre et mi-novembre 2009.

Tant que l'on n'avait pas les résultats des essais cliniques sur l'efficacité du vaccin, on devait rester dans le cadre de l'AMM pour les vaccins « maquettes » avec adjuvants, soit deux doses. Lorsque les résultats sont arrivés, on a su qu'une dose suffisait dans la plupart des cas.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 16 juin, le modèle de stratégie vaccinale élaboré par le CLCG indique qu'une vaccination commencée trente jours après le début de la pandémie n'a aucun impact sur l'évolution de celle-ci.

Le 23 juin, dans le compte rendu de l'avis soumis au CTV, il est fait mention de l'intérêt individuel que conserve la vaccination même après ce délai de trente jours.

Etant donné les incertitudes sur la protection offerte par le vaccin et le recours curatif aux antiviraux, quelle est la justification médicale de la mise à disposition de vaccins pour l'ensemble de la population si l'intérêt de la vaccination est individuel ?

M. François Autain, président - Très bonne question !

M. Jean-Claude Manuguerra - Il existait deux approches concernant le vaccin.

Les modèles que l'on a fait tourner - peu d'équipes sont capables de le faire et on bute là sur une difficulté de ressources - étaient ceux demandés par le CLCG à l'InVS et à l'INSERM pour le H5N1.

On avait estimé qu'il ne fallait pas vacciner avant la phase 4. Dans les dossiers d'AMM relatifs au H5N1, les modèles réalisés à la demande des autorités françaises démontraient qu'une vaccination suffisamment précoce, avec une efficacité vaccinale telle que celle présentée dans les dossiers d'AMM, on pouvait espérer en vaccinant d'abord les enfants avoir un impact sur le déroulement de l'épidémie en France.

On pouvait même espérer, avec une couverture suffisante, en vaccinant suffisamment tôt, endiguer une vague épidémique en France. C'est ce que l'on appelle la stratégie collective : comment empêcher la diffusion d'un virus grippal par une immunité collective ?

M. Alain Milon, rapporteur - Ne pensez-vous pas que l'on a plus endigué l'épidémie en fermant les écoles lorsqu'un ou deux enfants étaient malades ou en les laissant chez eux le temps nécessaire ? Cela n'a-t-il pas davantage joué que la vaccination ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Cette stratégie ne peut fonctionner que si l'on vaccine avant le début de la pandémie - ce qui n'a pas été le cas.

M. François Autain, président - Je pense que l'on s'est trompé d'épidémie ! On a pris une grippe H1N1 pour une grippe H5N1 !

M. Jean-Claude Manuguerra - Le modèle existait déjà...

M. François Autain, président - On aurait peut-être pu faire preuve d'un peu d'imagination et revoir le plan ! Là, on a foncé...

M. Jean-Claude Manuguerra - Non, on n'a pas foncé : le 16 juin, on n'avait pas les éléments.

M. François Autain, président - Vous avez pourtant acheté 94 millions de vaccins !

M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG n'achète rien ! Il donne des éléments sur des faits médicaux.

M. François Autain, président - On vous a bien demandé votre avis !

M. Jean-Claude Manuguerra - Comme je l'ai dit, notre avis a été donné en fonction des stratégies envisagées.

M. François Autain, président - Vous avez acheté des vaccins sans avoir défini la stratégie ni savoir ce que vous alliez en faire ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Encore une fois, le CLCG n'achète pas de vaccins mais donne des pistes...

M. François Autain, président - Avez-vous donné un avis et conseillé d'acheter 94 millions de vaccins ? Aviez-vous alors une stratégie ?

J'ai l'impression - mais la commission d'enquête ne fait que débuter - que l'on a acheté ces vaccins sans savoir ce qu'on allait en faire !

M. Jean-Claude Manuguerra - Les avis du CLCG sur les vaccins ont été rendus publics par le HCSP. Pour ce qui est de la stratégie, la difficulté résidait dans la possibilité de cibler ceux qui avaient le plus de risques de développer un oedème aigu du poumon ou une détresse respiratoire aiguë.

M. François Autain, président - Les personnes âgées ne risquaient rien !

M. Jean-Claude Manuguerra - Il ne s'agit que de 20 % de la population.

M. François Autain, président - Ce n'est pas si mal !

M. Jean-Claude Manuguerra - Mais il reste 80 % à immuniser.

M. François Autain, président - C'est déjà moins que 100 % !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je suis d'accord avec vous. En outre, on n'avait pas anticipé le fait que l'on pouvait éventuellement n'administrer qu'une seule dose mais on ne peut inventer des données qui n'existent pas.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 5 mai, le CLCG avait décidé de créer un groupe de travail pour actualiser la fiche technique sur la stratégie et les modalités d'organisation de la vaccination. Ce groupe a-t-il rendu des travaux ? Quelles étaient ses conclusions ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Nous n'intervenons que sur les modalités d'ordre médical ou scientifique : qui vaccine-t-on en premier ? Donne-t-on un vaccin adjuvanté à tout le monde ? A partir de quel âge peut-on le donner ?

En revanche, les modalités pratiques et logistiques de la vaccination ou du circuit de délivrance des antiviraux nous échappent complètement. Nous n'avons pas d'avis à émettre, étant totalement incompétents sur ces questions.

Si votre question est de savoir s'il faut des centres de vaccination ou recourir à des généralistes, celle-ci ne fait pas partie des compétences du CLCG.

M. Alain Milon, rapporteur - La question était de savoir si vous aviez recommandé 94 millions de doses ou non.

M. Jean-Claude Manuguerra - Nos propositions étaient fonction des ressources et de ce que l'on voulait faire. Nous avons toujours dit que si la chose était possible et si l'on disposait des ressources, le vaccin devait pouvoir être proposé à tous ceux qui le souhaitaient.

M. François Autain, président - Même s'il ne servait à rien ?

M. Jean-Claude Manuguerra - En mai et juin, bien malin qui pouvait dire ce qu'allait donner un nouveau virus !

M. François Autain, président - En septembre, vous aviez des informations sur ce qui se passait dans l'hémisphère Sud. Vous auriez pu corriger le tir !

M. Jean-Claude Manuguerra - L'hémisphère Sud n'avait pas encore eu le temps de mettre la vaccination en oeuvre...

M. François Autain, président - Sans vaccin, le taux de mortalité n'était tout de même pas énorme !

M. Jean-Claude Manuguerra - Cela dépend. Ce qui s'est passé en Argentine était un peu à l'image de ce qui s'était passé au Mexique. 20 % de la population vit au Sud de l'équateur, où les hivers ne sont pas aussi rigoureux que dans l'hémisphère Nord. Or, on sait que la mortalité associée à la grippe saisonnière vient également du fait que la morbidité est accrue par les surinfections bactériennes, qui connaissent un pic en hiver lorsque la saison est rigoureuse.

Le terrain où le virus peut rencontrer un accident génétique et muter dépend de la taille des populations virales, qui dépend elle-même de la taille des populations humaines qui peuvent être infectées. Or, si dans l'hémisphère Sud nous avions des données fiables - les systèmes de santé étant pour certains à peu près comparables à ceux des pays développés - la situation en Nouvelle-Zélande par exemple, qui compte 4 à 5 millions d'habitants dans un environnement assez dispersé, n'a rien à voir avec la population de Grande-Bretagne et ne correspond donc pas à l'image de ce qui se passe dans l'hémisphère Nord.

M. François Autain, président - Pourtant, les choses se sont à peu près déroulées de la même manière dans l'hémisphère Nord et dans l'hémisphère Sud !

M. Jean-Claude Manuguerra - Pas comme au Mexique, ni comme en Argentine !

M. François Autain, président - Malgré le vaccin !

M. Jean-Claude Manuguerra - Oui.

M. François Autain, président - A quoi a-t-il donc servi ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Il faut faire des études. Je ne puis répondre à cette question.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez recommandé la réactivation du réseau GROG. Vous semble-t-il avoir fonctionné efficacement pour l'élaboration de vos avis ?

M. Jean-Claude Manuguerra - La réactivation des réseaux était automatique à partir du moment où on arrêtait le passage obligatoire par le centre 15. Dès lors qu'on a recours à la médecine générale, il faut disposer d'un outil de surveillance : les réseaux de surveillance de généralistes et de pédiatres, notamment les GROG.

Leur réactivation permettait également d'obtenir une information sur la circulation du virus dans la population générale de manière à ajuster les recommandations d'utilisation des antiviraux.

M. François Autain, président - La parole est à présent aux commissaires.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez dit que le débat sur le fait de savoir s'il valait mieux recourir à des centres de vaccination ou aux généralistes ne relevait pas des compétences du CLCG. Vous avez cependant indiqué que cela dépendait des ressources destinées à acquérir des vaccins. Vous avez donc une réflexion plus étendue que celle portant sur la stricte virologie.

Y a-t-il eu un débat au sein du CLCG sur la façon dont les Français recevaient les messages ? Aux Etats-Unis, on a assisté à un travail intense sur ce thème ; c'est pourquoi l'adjuvant n'a pas été ajouté. Les Etats-Unis ne sont pas opposés aux adjuvants. Ils savaient toutefois que la population n'en voulait pas et ont fait le choix de ne pas en ajouter. Or, les Etats-Unis comptent 15 % de vaccinés alors que nous n'en comptons que 8 % !

Avez-vous débattu de la façon dont les gens pouvaient accueillir le Thiomersal, par exemple ?

M. Jean-Claude Manuguerra - S'il existe des produits de santé dont on pense qu'ils puissent être utiles, on les recommande pour tout le monde si c'est possible. Si cela ne l'est pas, on procède par cercles concentriques. Nous ne sommes pas dans un monde virtuel et on sait bien qu'il peut exister des problèmes de ressources.

Pour ce qui est de l'aspect pratique, au départ, un plan d'experts a été présenté au Conseil supérieur de l'hygiène publique de France (CSHPF) le 27 juin 2003 malgré l'épidémie de SRAS. La date nous avait été imposée par la DGS de l'époque. Nous pensions alors que la grippe était avant tout une maladie de ville. C'est pourquoi ce plan était, dans cette version de 2003, beaucoup plus pragmatique et axé sur le recours à la médecine de ville.

Mais le plan était très conceptuel. Les autorités ayant besoin d'un plan plus opérationnel, il a été réécrit par le secrétariat général de la défense nationale et il a été décidé, pour des raisons d'organisation de l'Etat, de recourir aux centres 15. Les experts n'étaient pas d'accord avec cette décision. Nous avons donc ensuite dû travailler dans le cadre de cette organisation.

Par ailleurs, contrairement aux premières versions du plan, où le ministère de la santé assurait la manoeuvre jusqu'au moment où interviennent des questions de sécurité publique, le nouveau plan donne la priorité au ministère de l'intérieur. Cela a constitué un tournant considérable. Il faut donc également prendre en compte l'influence du ministère de l'intérieur sur les décisions de la logistique du plan pandémique et pas seulement celle du ministère de la santé.

Des débats ont effectivement pu avoir lieu entre nous. Certains médecins généralistes qui siègent dans le CLCG sont sensibilisés au problème. On a donc bien senti qu'il allait falloir basculer du centre 15 vers les médecins généralistes. On l'a évoqué mais on ne nous posait pas de questions sur l'organisation. On aurait pu s'en autosaisir, cela n'aurait rien changé !

M. Serge Lagauche - Avez-vous eu connaissance du moment à partir duquel les laboratoires ont été prêts à livrer les vaccins en nombre ?

D'après ce que nous a dit Madame la ministre, en juillet, au moment d'enclencher la commande ferme, les laboratoires ne prévoyaient pas une livraison avant mi-octobre ou fin octobre. Si la pandémie s'était développée entre temps, on aurait connu un certain retard. Je peux comprendre qu'on ait, pour commencer, prévu une double vaccination mais on connaît le comportement d'une population quant à sa volonté ou non de se faire vacciner. A-t-on porté à votre connaissance les chiffres de commandes éventuelles du nombre de vaccins, sachant qu'il existe un délai pour vacciner toute une population ? Vous a-t-on interrogés sur la fourchette qui vous paraissait plausible pour lutter contre la pandémie ? Pourquoi une telle quantité, sachant que l'on avait un fort pourcentage de chances de ne pouvoir matériellement les utiliser, faute de bras suffisants et de leur arrivée tardive en cas de pandémie ?

M. Jean-Claude Manuguerra - Une fois les décisions prises, il est difficile de les modifier car on ne peut aller dans un sens, puis dans l'autre. Les contrats ont été passés au début de l'été. En France, on a estimé pouvoir ralentir la pandémie par la fermeture des classes et autres mesures qui n'ont pas été prises ailleurs. Le démarrage a été plus tardif que dans d'autres pays. Je pense que ceci est dû aux mesures du plan français - mais on ne peut le prouver. Peut-être le pourra-t-on plus tard grâce à des études rétrospectives.

On pensait que la pandémie démarrerait de façon précoce et qu'on n'aurait pas de vaccins ; en revanche, on a constaté, lors de pandémies précédentes, notamment celle de la grippe espagnole, l'existence de deux vagues, la deuxième arrivant plusieurs semaines, voire plusieurs mois après.

On pouvait donc espérer que la première vague soit bénigne et peu importante et que cela nous laisserait le temps de vacciner la population en attendant une deuxième vague plus sévère. Il n'y avait toutefois aucun moyen de savoir si celle-ci aurait lieu. Comparaison n'est pas raison et on ne pouvait prévoir ce qui allait se passer réellement.

Pour ce qui est des capacités des laboratoires, tous les ans, pour la grippe saisonnière, des souches virales sont choisies à partir desquelles un vaccin est élaboré ; les variations de productivité, en fonction de la souche et des laboratoires, sont considérables.

Au début de la fabrication des vaccins, on a su indirectement, puis directement, que la production de la souche vaccinale utilisée par les grands laboratoires internationaux avait un rendement très peu élevé - entre un tiers et la moitié de ce qui était attendu. Sans augmentation de la productivité, le risque de ne pas honorer les délais prévus était réel.

On avait donc des doutes en juillet-août puis les choses se sont équilibrées mais on ne pouvait calibrer la réponse.

Jusqu'à ce que la vague - ou la vaguelette - pandémique diminue, on ne pouvait être sûr de rien. Le 25 novembre, on a détecté en Norvège un mutant qui avait des capacités de fixation dans les alvéoles et qui était associé aux cas les plus graves. Dès lors, on s'est dit qu'une mutation du virus était probable. Mais il s'est avéré qu'il s'agissait en fait de virus touchant des personnes immunodéprimées qui avaient développé ces mutations. Le virus n'avait pas eu le temps d'entamer une transmission d'homme à homme. Nous étions le 25 novembre : à n'importe quel moment, la situation pouvait donc déraper.

M. François Autain, président - Pourquoi a-t-on décidé, fin janvier, d'interrompre la vaccination dans les centres de vaccination alors qu'on n'était pas sûr qu'il n'y aurait pas de deuxième vague ?

L'un de vos collègues m'a dit que fin avril, il était impossible de savoir s'il n'y aurait pas de deuxième vague. Fin mars, il n'y en avait toujours pas !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je suis ravi que l'on me pose la question de savoir si l'on n'a pas fait trop de vaccins parce qu'il n'y a pas eu beaucoup de morts ! Tant mieux s'il n'y en a pas eu !

M. François Autain, président - Ce n'est pas non plus parce qu'on a de l'argent qu'il faut le dépenser !

Je suis convaincu que s'il n'y avait pas eu de vaccin, les choses se seraient déroulées de la même façon. Le HCSP indique clairement que commencer la vaccination plus d'un mois après le début de la circulation active du virus ne sert à rien en termes de mesure barrière.

La protection individuelle apparaît donc comme le grand argument éthique : il fallait que tout le monde puisse se protéger, même si on n'en avait pas besoin. Le 12 octobre était la date choisie pour la vaccination des médecins : le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'ont pas répondu en foule. Les taux ont été surévalués par Madame la ministre - sans doute au service de sa cause - mais ils sont de l'ordre de 4 à 10 %. C'est ridicule !

Le 12 novembre, on commence la vaccination générale mais on n'a commencé celle des enfants que le 25 novembre. Imaginons que l'on veuille protéger les enfants de moins de 9 ans : il faut deux doses à trois semaines d'intervalle. Ils seront immunisés biologiquement au mieux fin décembre, au moment où pratiquement la circulation active du virus est en train de faiblir au point qu'officiellement, le 14 janvier, l'InVS annonce la fin de la pandémie.

Quand on prend en compte ces considérations qui sont le résultat de la lecture attentive des avis du HCSP, ne peut-on estimer que cette vaccination n'a servi à rien ? La preuve en est que le taux de mortalité et le type de morbidité ne sont pas différents, malgré la vaccination, de ce que l'on a rencontré dans les pays de l'hémisphère Sud qui, eux, n'avaient pas accès - et pour cause - à la vaccination. C'est pourquoi on devrait tirer un certain nombre d'enseignements de cette situation !

Considérez-vous, comme Mme la ministre, n'avoir commis aucune erreur et, si c'était à refaire, le referiez-vous sans tirer aucun enseignement de la crise qui vient de se dérouler ?

On a actuellement affaire à des gens qui disent que c'est la faute du virus, qui a manipulé les experts et non la faute des experts ! Ne peut-on essayer de voir si les mesures qui ont été prises n'étaient pas disproportionnées par rapport à la menace ? La menace n'a-t-elle pas été surestimée ? N'était-il pas possible, en septembre, de la revoir à la baisse et d'en tirer les conséquences ?

La revente des vaccins aurait, par exemple, fort bien pu être envisagée avant, lorsqu'on a su qu'il ne fallait plus qu'une injection. Pourquoi conserver cette masse de vaccins qu'on a été obligé de chercher à revendre en vain ?

Toutes ces incohérences ne sont absolument pas mises en doute par ceux qui ont participé à l'élaboration de ces décisions. C'est ce qui me peine : je ne sens aucune trace de doute, sans même parler d'autocritique !

M. Jean-Claude Manuguerra - Avant de répondre, je voudrais dire que l'avis du HCSP sur cette question résulte de celui soumis par le CLCG au CTV, qui l'a transmis au HCSP. Tous ces avis ont été élaborés par nous-mêmes mais ne sont pas présentés comme tels puisque nous n'existons pas pour l'extérieur. Il n'y a donc pas d'opposition entre les comités sur ce sujet.

Je pense en effet qu'il va falloir en tirer des leçons mais de manière constructive, en évitant les excès. L'OMS a déjà entamé, avant les polémiques, toute une réflexion sur la question de savoir ce qui n'a pas fonctionné, ce qui n'a pas été bien fait.

L'hémisphère Sud n'a pas connu de vraie saison et, pour l'instant, cela ne change donc pas grand chose.

Pour ce qui concerne les leçons à en tirer, chacun va devoir faire son autocritique, sans flagellation excessive malgré tout. Je pense qu'il ne va pas falloir non plus se précipiter sur les conclusions. Il existe un certain nombre de données dont nous ne disposons pas encore qui vont nous y aider.

Une étude à l'échelle européenne portant sur l'efficacité vaccinale, pilotée par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, devrait nous permettre d'obtenir des informations.

Il va également falloir s'appuyer les uns sur les autres pour collecter ces données. Le groupe de sécurité sanitaire des pays du G7, plus Mexico, travaille déjà sur les leçons à tirer de la gestion de la grippe A (H1N1), comme la nécessité d'une gradation des réponses en fonction de la sévérité du virus.

M. François Autain, président - La grippe n'est pas le seul fléau de santé publique ! Il en existe d'autres et il faut essayer d'évaluer la menace le plus correctement possible. Lorsqu'on s'est trompé, il ne faut pas hésiter à la revoir à la baisse. Je pense qu'il était possible de le faire en septembre avec les données à notre disposition, sans prendre de risques extraordinaires vis-à-vis de la population. C'est ce que je reproche aux experts qui ont conseillé le ministère.

Certes, le ministère ne vous a sans doute pas incités à verser dans l'optimisme puisqu'on essayait de paniquer les Français - en vain d'ailleurs puisqu'ils se sont montrés très sages et se sont très peu fait vacciner. Finalement, ce sont eux qui ont apprécié correctement le risque en se transformant en experts citoyens.

J'admire les experts virologues, qui fabriquent les vaccins mais il y a aussi ceux qui sont sur le terrain - les généralistes, les cliniciens, les sociologues. On n'en a pas entendu parler. Or, je pense qu'ils ont un rôle à jouer dans ce domaine. J'espère que ce qui vient de se passer nous permettra d'adopter une position plus mesurée vis-à-vis d'une pandémie.

On a déploré trois pandémies au XX e siècle. Je reconnais que les choses sont mal parties pour qu'on n'en ait que trois au XXI e siècle mais elles sont de moins en moins meurtrières. C'est un sujet de satisfaction. La grippe de 1918 a été particulièrement meurtrière, la suivante beaucoup moins et la dernière encore moins - sans parler du SRAS, H5N1 et H1N1, qui relèvent plus des fantasmes que de véritables pandémies !

Ce sont là des considérations d'ordre philosophique ou sociologique mais il faut parfois redescendre sur terre et faire preuve de réalisme. Lorsqu'on se trompe, il ne faut pas avoir peur de le reconnaître. Tout le monde peut commettre des erreurs !

M. Jean-Claude Manuguerra - Les experts sont prêts à reconnaître lorsqu'ils se trompent mais il faut mesurer les mots. On ne peut parler d'« experts citoyens » ! En France, l'adhésion à la vaccination a varié en fonction de l'imminence du danger. Tant qu'il n'y a pas eu de morts en France, les centres de vaccination sont restés vides ; lorsqu'un jeune garçon de 6 ans ou un jeune adulte de 23 ans sont morts, les centres se sont remplis. On a même reproché aux préfets de ne pas en faire assez ! Si le risque s'était avéré, le Gouvernement ou l'administration auraient sans doute été critiqués pour ne pas avoir donné accès assez rapidement au vaccin.

Il est facile a posteriori de réécrire l'histoire. Le 25 novembre, un dérapage n'était pas impossible. Qu'aurait-on fait alors ? On aurait finalement réclamé les doses mais on n'aurait pas forcément eu gain de cause ! On ne peut changer sans arrêt de politique, ni dire que les gens qui se sont abstenus ont eu raison de le faire ou qu'il s'agissait d'« experts citoyens » !

M. François Autain, président - Vous n'avez pas idée des ravages que cette gestion de la crise a produits dans le jugement que porte la population sur la vaccination ! On a nourri les ligues anti-vaccinales et décrédibilisé la parole publique. Imaginez demain que le danger soit véritable : on ne vous croira plus ! C'est très grave à mon sens et c'est pourquoi il y a intérêt à reconnaître ses erreurs. On peut se demander pourquoi le scénario n'est pas celui prévu et reconnaître qu'on a peut-être eu tendance à exagérer. On doit se poser des questions et c'est pourquoi je vous demandais - il me semble que la réponse a été positive - si vous alliez tirer des enseignements de cette crise.

M. Jean-Claude Manuguerra - Un certain nombre d'enseignements relèvent de la communication. Il faut aussi que les citoyens acceptent des circonstances où l'Etat et la puissance publique ne seront pas à même de les protéger. Il faut en effet reconnaître que dans le cadre de scénario moyen, on ne pourra sauver tout le monde. C'est une question de balance bénéfices-risques. Je ne suis pas sûr que le message sur le fait que le danger zéro n'existe pas passe dans la population !

M. François Autain, président - Si vous criez au loup et que le loup n'est pas là, la fois suivante, on ne vous croira plus ! Avant de déclarer la prochaine pandémie, il faudra s'y prendre à deux fois et être sûr de son coup - d'autant que la pandémie dépend beaucoup de ce que veut en faire l'OMS, qui a la maîtrise de sa définition ! Elle en change d'ailleurs tous les deux ou trois ans, à tel point qu'on ne sait plus très bien où on en est aujourd'hui, ni la différence qui existe entre une pandémie ou une épidémie de grippe saisonnière. Il y a là des éclaircissements à apporter à la population car il existe actuellement une vague de scepticisme vis-à-vis de tout ce qui s'est passé, lourde de dangers pour l'avenir.

M. Jean-Claude Manuguerra - C'est aussi la première situation d'urgence sanitaire qui s'est appliquée depuis l'entrée en vigueur du Règlement sanitaire international, qui donne à la coordination internationale un aspect très important. Cela a également servi d'exercice international. Il faut donc apprivoiser ce nouveau règlement.

M. François Autain, président - Cela nous a coûté très cher !

M. Jean-Claude Manuguerra - Je pense qu'on pourra en tirer des leçons qui montreront que cela en valait la peine !

M. François Autain, président - Nous vous remercions infiniment de vous être livré à toutes nos questions. Vous y avez répondu avec beaucoup de franchise.

Audition de M. Bruno LINA,
directeur du Centre national de référence des virus de la grippe
pour le Sud de la France,
chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon
(mercredi 31 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Bruno Lina, directeur du centre des virus de la grippe pour le Sud de la France, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Bruno Lina prête serment.

M. François Autain, président - Avant de passer à votre déclaration liminaire, je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, que s'applique l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, selon lequel vous devez nous faire connaître, si vous en avez, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Cela vaut non seulement pour une commission d'enquête mais pour toute intervention dans la presse, à la radio, à la télévision, etc.

Vous vous êtes beaucoup exprimé. C'est l'intérêt d'ailleurs de cette audition, car nous avons de la matière, ce qui n'est pas toujours le cas. A aucun moment je n'ai constaté que vous faisiez référence à ces liens, soit en disant que vous n'en aviez pas, soit en disant que vous en aviez, conformément à la loi de 2002, qui a été complétée par un décret paru en 2007. Cette loi s'applique depuis 2007. Or, j'ai constaté qu'en ce qui vous concerne, mais vous n'êtes pas le seul - vous êtes à peu près tous dans ce cas -, vous ne l'appliquiez pas. Pourquoi ? Est-ce parce que vous ne la connaissiez pas ou est-ce parce que vous estimiez qu'elle était inutile ? J'aimerais vous entendre sur ce point et sur le sujet qui nous intéresse, à savoir la gestion de cette épidémie de grippe.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions de notre rapporteur M. Alain Milon, ici présent, ensuite à celles des commissaires, membres de la commission. Monsieur le professeur, vous avez la parole.

M. Bruno Lina - Je vais commencer par citer mes conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Il ne s'agit pas de conflits, mais de liens. Ce n'est pas la même chose.

M. Bruno Lina - Pour tout vous dire, j'étais ce matin à l'Institut de veille sanitaire (InVS) pour faire un exposé devant un certain nombre de personnes. Je viens de rallumer mon ordinateur parce que j'ai la liste. Elle a été affichée sur la première diapositive.

C'est, honnêtement, un changement de comportement, puisque je ne le faisais pas. Je le faisais sur demande, mais pas spontanément. Lors des discussions avec les médias, je ne le faisais pas, par méconnaissance de cette loi, ce qui n'est pas une réponse acceptable. Depuis qu'on me demande de le faire, je le fais. Sachez, monsieur le président, que les journalistes ne les donnent pas. J'ai gardé des mails et certains me répondent : « Je ne souhaite pas les mettre. »

Certains le font, d'autres disent qu'ils ne souhaitent pas le faire, parce qu'ils considèrent que le sujet n'est pas tout à fait en ligne avec ce qu'on pourrait imaginer comme étant des déclarations ou des conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Vous ne considérez pas cela comme blessant ou inquisitorial ? Un certain nombre de vos collègues se sont exprimés dans la presse, considérant qu'il y avait actuellement un acharnement, en raison sans doute d'un certain nombre de questions, du type de celles que je viens de vous poser ; que cela procédait d'un acharnement contre les experts.

M. Bruno Lina - Absolument pas, je n'ai pas le sentiment de recevoir des coups sur la tête parce qu'on me demande de citer les industriels avec lesquels j'ai des programmes de recherche.

M. François Autain, président - Ce n'est pas une honte, au contraire.

M. Bruno Lina - Il y a peut-être des clarifications à faire. Certains conflits d'intérêts sont liés au fait que des relations directes s'installent, qu'elles sont bipartites. D'autres relations sont plus compliquées : elles se font dans le cadre de programmes de recherche. Quand on fait un programme de recherche de type F8, on doit avoir un partenaire industriel. Ce partenaire apparaît-il comme faisant partie des conflits d'intérêts ou pas ?

M. François Autain, président - Nous n'allons pas prolonger le débat, mais j'estime qu'il est tout à fait normal qu'un chercheur travaille avec l'industrie pharmaceutique. Ce qui est plus contestable est que ce même chercheur soit celui qui conseille le Gouvernement sur les produits qui sont fabriqués par le laboratoire que ce chercheur conseille.

Je serais partisan qu'il existe une plus grande étanchéité entre le public et le privé. Ceci n'est pas votre faute. Comme vous le dites souvent : « Ce n'est pas moi qui ai demandé ». Ce n'est pas contre vous. Ces critiques sont beaucoup plus adressées contre le Gouvernement et les autorités sanitaires.

M. Bruno Lina - Je vais essayer de me présenter, car le panorama peut sembler complexe. Je suis PU-PH aux Hospices civils de Lyon en virologie. A ce titre, je dirige un laboratoire de virologie qui s'appelle le Laboratoire de virologie Est des Hospices civils de Lyon et emploie une trentaine de techniciens et une dizaine de biologistes. Dans ce service sont hébergés deux centres de référence : le Centre national de référence pour la grippe pour le Sud de la France et le Centre national de référence pour les entérovirus et les poliovirus. Ces deux centres nationaux de référence sont aussi des centres affiliés à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en tant que National Reference Centre et National Polio Laboratory. Ce qui m'amène, dans le cadre de ces activités de référence, et à l'OMS, à jouer un rôle au sein de l'OMS de Temporary Adviser pour des questions qui touchent à la grippe, aux entérovirus ou aux poliovirus.

A côté de cette activité hospitalière, j'ai une charge d'enseignement universitaire et je dirige aussi une unité de recherche CNRS (Centre national de la recherche scientifique), dont la thématique principale est la recherche sur la grippe et les pathogènes respiratoires. C'est une unité qui compte à peu près quarante-cinq à cinquante personnes, dont une dizaine de chercheurs statutaires.

Du fait de cette position, à la fois de chercheur, de référent grippe et de virologue, mes rôles d'expertise pour la fonction publique sont nombreux. Si on veut faire la liste des instituts français pour lesquels j'ai été amené à faire des expertises dans les cinq années passées, on peut citer l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut Pasteur, l'Agence nationale de la recherche (ANR), la Direction générale de la santé (DGS) et le ministère de la recherche.

Je joue le rôle d'expert aussi pour l'OMS, comme je vous l'ai expliqué, dans le cadre d'activités de référence : pour la National Institutes of Health (NIH) aux Etats-Unis pour toutes les questions qui touchent à la grippe ; pour les Pays-Bas, la Finlande, l'Allemagne qui m'envoient régulièrement des dossiers à évaluer sur les questions de grippe ; pour l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) à Stockholm ; pour la Commission européenne chargée d'instruire les programmes de recherche ; pour le G 7 plus Mexique, en lien avec la DGS. L'AFSSAPS m'a demandé de participer à un groupe de travail deux fois à l'European Medicines Agency (EMA).

Cela fait beaucoup de rôles d'expertise dans le cadre de ce que j'appelle la fonction publique, cadre qui échappe à l'industrie privée, vraiment ciblé sur des programmes de recherche, sur des informations à fournir dans le cadre de structures labellisées, dépendantes de l'Etat, des Etats étrangers, ou de l'Europe.

A côté de cela, j'ai des liens avec des industriels qui me demandent de participer à ce qu'ils appellent des Boards quand il s'agit de liens, de réunions qui se passent à l'étranger. Des réunions se tiennent de temps en temps. Je pourrai vous expliquer ce que signifient ces réunions, quel est leur contenu. Il s'agit de différentes sociétés comme Roche, Sanofi, Novartis, GSK ; dans d'autres domaines, la société BioCryst, la société Medimune, la société BioMérieux, la société Argene, et probablement dans un avenir proche, la société AstraZeneca.

M. François Autain, président - Vous arrivez à être présent dans votre service ?

M. Bruno Lina - Oui.

M. François Autain, président - Cela paraît extraordinaire. Je suis très admiratif. Vous ne devez pas avoir besoin de beaucoup de sommeil. C'est votre force.

M. Bruno Lina - Je dors peu. Ce sont des noms qui s'alignent, mais il ne s'agit pas forcément de réunions très fréquentes. Parmi ces interventions, j'ai oublié de citer Boiron.

M. François Autain, président - C'est l'homéopathie.

M. Bruno Lina - Je fais partie des gens qui considèrent qu'en tant qu'hospitalo-universitaire, j'ai une fonction d'enseignement, ce qui vous explique, en partie, pourquoi j'accepte de communiquer avec la presse. Je considère qu'il y a des messages d'enseignement à faire passer. L'éducation de chacun peut être aussi relayée par la presse. Je préfère que quelqu'un qui a la prétention de connaître la grippe mieux que d'autres personnes fasse passer des messages qui soient clairs dans la mesure du possible, non ambigus et étayés par une certaine connaissance de fond, en toute modestie.

Lorsqu'une société comme Boiron me demande de venir faire une intervention devant les gestionnaires de la société, j'accepte. En sachant que pour ces interventions, je suis en général face à un tableau noir ou à un écran et je leur fais trois ou quatre heures d'explication sur ce qu'est la grippe, sur ce que peut être une grippe pandémique, sur les tenants et les aboutissants d'une épidémie de grippe et de sa gestion. En général, je ne suis pas rémunéré pour ce genre d'intervention. Je ne demande pas de rémunération ; cela fait partie de mon travail.

M. François Autain, président - Vous avez déclaré le 4 mars 2010 à l'Agence France-Presse (AFP) que « donner des déclarations d'intérêts sans qu'il y ait des sommes derrière, cela ne sert à rien » .

M. Bruno Lina - Je le maintiens.

M. François Autain, président - Seriez-vous d'accord pour montrer l'exemple ?

M. Bruno Lina - Tout à fait. Cet après-midi, je vais vous donner des chiffres complets.

M. François Autain, président - Vous nous préparez cela et vous nous l'adressez.

M. Bruno Lina - Je peux vous l'adresser sans aucun problème. Je peux vous dire que sur ma déclaration d'impôts de l'année dernière, que vous pouvez allez voir, cela représente une somme inférieure à 5 000 euros sur la totalité de l'année.

M. François Autain, président - C'est presque du bénévolat.

M. Bruno Lina - Ce n'est pas du bénévolat.

M. François Autain, président - Presque.

M. Bruno Lina - Il y a 5 000 euros. En tant que professeur des universités - praticien hospitalier (PU-PH), j'ai signé une déclaration de services exclusifs publics ; je n'ai donc pas de consultation privée non plus. Je considère que je suis un fonctionnaire de l'Etat, qui obéit à des ordres donnés par mon employeur qui est l'Etat français.

M. François Autain, président - Nous passons au vif du sujet.

M. Bruno Lina - Concernant cette gestion de l'épidémie, sachez que je fais partie du Comité de lutte contre la grippe depuis maintenant de nombreuses années. Je suis membre de ce comité de lutte comme membre de droit, en tant que directeur d'un Centre national de référence. Le décret définit qu'il y a des membres qui sont nommés et des membres de droit. C'est à ce titre que j'y suis.

Entre parenthèses, le message qu'on nous a fait passer à l'époque était de dire que la déclaration publique d'intérêts des membres de droit n'était pas quelque chose d'obligatoire.

M. François Autain, président - En quelle année était-ce ?

M. Bruno Lina - C'était cette année. C'est à ma demande que cette déclaration a été mise en ligne sur le site du ministère.

M. François Autain, président - Mme la ministre nous a dit au contraire que c'est elle qui vous l'avait demandé.

M. Bruno Lina - Nous avons eu un échange et on a dit qu'il fallait la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Elle vous l'aurait demandé dès 2008. Il y en a un des deux qui ment.

M. Bruno Lina - Je n'ai pas le souvenir, mais...

M. François Autain, président - Ce ne peut pas être la ministre qui ment.

M. Bruno Lina - Je ne pense pas qu'on puisse dire des choses pareilles.

M. François Autain, président - On ne sait pas trop quand et comment s'est effectuée cette publication des liens d'intérêts. Elle a été tardive. Elle est intervenue en novembre 2009, alors que le comité a été créé en juin 2008 et que, de 2008 à fin 2009, il ne s'est rien passé. Il y a eu votre initiative. Quand est-elle intervenue ?

M. Bruno Lina - Durant l'été.

M. François Autain, président - Mme la ministre nous a dit qu'elle était intervenue auprès des comités dès juillet 2008.

M. Bruno Lina - Je vais essayer d'éclairer le problème. Il faut considérer deux choses pour la déclaration publique d'intérêts. Une déclaration publique d'intérêts avait été faite, mais elle n'était pas appliquée et, à l'époque, elle était incomplète. Ma déclaration publique d'intérêts a été faite tôt, mais elle était incomplète. On l'a remise à jour à l'occasion de discussions, et c'est à ma demande qu'elle a été mise en ligne. On m'a dit qu'on n'était pas obligé de la mettre en ligne, mais j'ai dit que j'étais d'accord pour le faire et que je le souhaitais.

M. François Autain, président - Qui vous a dit qu'on n'était pas obligé de la mettre en ligne ?

M. Bruno Lina - Quelqu'un de la DGS.

M. François Autain, président - Quelqu'un de la DGS vous a dit cela.

M. Bruno Lina - Il m'a dit qu'on n'était pas tenu de la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Il y a discussion. Je me tourne vers les juristes : il y a obligation de mettre en ligne à partir de 2008.

Il n'y avait pas d'autres moyens à ma connaissance. Qu'est-ce qui différencie une déclaration privée d'une déclaration publique ?

M. Alain Milon, rapporteur - La rendre publique ne veut pas nécessairement dire la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Alain Milon, rapporteur - M. Bruno Lina est simplement tenu de prévenir qu'il a des liens d'intérêts.

M. François Autain, président - Ce point étant provisoirement clarifié, vous avez la parole pour parler enfin de la gestion de la grippe.

M. Bruno Lina - Il y a eu plusieurs périodes sur la gestion de cette crise. Je participe au Comité de lutte contre la grippe. Je ne suis pas au Comité technique des vaccinations, je ne suis pas au Haut Conseil de la santé publique. Je ne suis que dans le Comité de lutte contre la grippe (CLCG). Le Comité a été sollicité à de multiples reprises pendant cette gestion de crise. Je pense que monsieur Jean-Claude Manuguerra a dû vous expliquer comment cela s'était passé. Il y a eu de très nombreuses sollicitations, parfois tous les deux jours, au début de la crise. L'objectif était de récupérer un maximum d'informations au CLCG sur la demande de saisines qui transitaient via le directeur général de la santé, de répondre à certaines questions qui se posaient au fur et à mesure des informations qui sortaient et de synthétiser les informations que nous pourrions avoir, du fait de nos relations avec les Etats étrangers qui avaient à faire face au début de l'épidémie, avant que le virus n'apparaisse en France.

Il y a eu beaucoup de travail au tout début, à la fin du mois d'avril. Progressivement, le travail de fond s'est installé sur les différents points qui ont pu être discutés au sein du Comité de lutte avec l'ensemble du groupe.

Le groupe, comme vous le savez, fonctionne de façon collégiale. Il n'y a pas de vote. Des avis sont émis et sont transmis ensuite au directeur général de la santé. Avant d'être réellement actés, ils passent soit par le Comité technique des vaccinations, soit par le Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - Que se passe-t-il s'il n'y a pas consensus ?

M. Bruno Lina - Je vais vous étonner, mais en pratique, nous n'avons jamais eu une absence de consensus dans les séances ou les conférences téléphoniques auxquelles j'ai assisté.

L'intérêt du fonctionnement de ce comité de lutte tient à la diversité des personnes qui y participent. On a des épidémiologistes, des virologues, des pneumologues, des pédiatres. Toutes les spécialités ne sont pas représentées.

Le groupe a une taille relativement importante. Lorsque nous sommes tous présents, nous sommes un peu moins de vingt personnes. Des représentants de la DGS sont physiquement présents pour assister aux débats, pour éventuellement nourrir la discussion et clarifier les questions qui sont posées. Le travail du Comité de lutte contre la grippe est extrêmement convivial, facile, sans langue de bois. Quand il y a une discussion, elle est menée à son terme, ce qui permet justement d'avoir des positions consensuelles.

M. Alain Milon, rapporteur - Sur la contribution du Comité de lutte, vous parlez d'un pneumologue. Il me semble que c'est assez intéressant, mais il paraîtrait que cela serait arrivé assez tard dans la constitution du comité, et semble-t-il, contre l'avis de certains virologues.

M. Bruno Lina - Non, ou alors ce sont des discussions qui ont eu lieu lorsque je n'étais pas là ; ou alors c'est une discussion qui a eu lieu en dehors du Comité de lutte contre la grippe. Je ne vois pas pourquoi on ne voudrait pas d'un pneumologue.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourquoi aussi tardivement ? C'est en août ou septembre 2009. C'est bien cela ?

M. Bruno Lina - Il aurait fallu que je sorte les compositions, car ma mémoire fait défaut de temps en temps. Il me semble qu'historiquement, avant 2005-2006, il y avait un pneumologue qui ne venait plus. Il était toujours officiellement listé, mais il n'en faisait pas partie. Lorsqu'il y a eu un phénomène de renouvellement, il a fallu attendre un certain temps et il est vrai qu'à un moment, il n'y avait pas de pneumologue qui assistait à nos discussions.

M. François Autain, président - Ce qui est toujours dommage.

M. Bruno Lina - Avoir des discussions enrichies par des compétences croisées est l'objectif de ce genre de groupe, car on ne peut pas tout savoir.

On a reçu dernièrement un courrier que le directeur général de la santé a fait passer à l'ensemble des membres du Comité de lutte contre la grippe nous remerciant de notre implication dans la gestion de cette crise et de notre disponibilité. Objectivement, sans faire d'angélisme, l'implication des membres du Comité est d'une vitalité extrêmement importante. Nous étions tous surpris car, lorsqu'on faisait une conférence téléphonique le 8 mai, tout le monde était là. Quand nous en faisions une à nouveau le 10 mai, tout le monde était encore là. Il y avait vraiment une volonté de conduire au mieux l'ensemble des réflexions et des questions et de répondre aux questions qui nous étaient posées le plus clairement possible. Je reste à votre disposition si jamais il y a des choses que je n'ai pas dites.

M. François Autain, président - Vous ne pouvez pas tout dire. Monsieur le rapporteur va sans doute combler les lacunes, si lacune il y a. Je lui passe la parole pour les questions.

M. Alain Milon, rapporteur - Il s'agit d'une série de questions. Je vais, si vous le voulez bien, les poser une par une, et vous y répondrez, ce qui permettra à nos collègues de rebondir s'ils le souhaitent.

Les mesures prises dans le cadre de la préparation à une éventuelle crise H5N1 ont certainement permis d'accélérer la mise au point de « réponses vaccinales » pour la grippe H1N1. Malgré cela, même dans les pays qui ont consenti de très importants efforts pour mettre en place la vaccination dans les plus brefs délais, le virus a été plus rapide que le vaccin. Cette constatation ne doit-elle pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la « réponse vaccinale » aux pandémies grippales, d'autant plus que l'efficacité clinique des vaccinations antigrippales est, on le sait, relative ? Dans quelles voies devrait, selon vous s'orienter, la recherche d'une réponse efficace aux pandémies grippales ?

M. Bruno Lina - Cela fait partie des avis que le Comité de lutte contre la grippe a donnés assez précocement. Nous considérions tous, de façon consensuelle, que la vaccination était un des piliers, voire le pilier de la lutte contre la pandémie. Quand on a affaire à une dynamique épidémique pandémique, il y a énormément d'incertitudes au début. Certaines sont relatives à la rapidité de diffusion du virus ; d'autres à la rapidité de son évolution et de son extension. L'évolution du virus lui-même peut changer au cours d'une épidémie. C'est ce qu'on a observé en 1968, où le virus a évolué dans une toute première phase de la pandémie.

La diffusion épidémique peut être plus ou moins rapide. On avait modélisé l'évolution qui montrait qu'en cas de retards de mise à disposition des vaccins, la stratégie d'utilisation des vaccins pouvait être modifiée selon un certain nombre de critères ; mais les modèles ne sont là que pour étayer un travail, pas pour prédire l'avenir.

Reprenons l'histoire. Le virus émerge, mais la vraie première vague d'épidémie ne commence qu'en janvier ou février. La vaccination prenait son sens à ce moment-là, en termes de répulsion d'un facteur collectif. Il s'est passé que ce virus a diffusé beaucoup plus vite. Le virus a été plus rapide que le vaccin, comme vous le disiez. L'épidémie est née en partie avant que le vaccin ne soit disponible. Finalement, la stratégie vaccinale n'est plus la même. Elle cesse de devenir collective, pour devenir individuelle.

Les vaccins contre la grippe ont une efficacité relative : ils ne protègent pas à 100 %. Il n'empêche que c'est une arme utile qui est co-efficace pour réduire à la fois la mortalité et la morbidité liées à la grippe. Un certain nombre de travaux qui évaluent la vaccination saisonnière, qui n'est pas la même chose qu'une vaccination pandémique, s'appuient sur des études d' effectiveness contre des études d' efficacy . C'est un peu technique, vous me direz si vous comprenez ou pas la nuance.

L' effectiveness , c'est mesurer un effet contre un syndrome clinique. L' efficacy , c'est mesurer un effet contre une infection virale prouvée. Quand on prend les études qui regardent les essais où on cherche à éviter une infection virale prouvée, le résultat de la vaccination contre la grippe est bien supérieur à celui qu'on mesure lorsqu'on fait un essai versus un syndrome grippal.

On sait que d'innombrables syndromes grippaux sont dus à d'autres choses que le virus de la grippe. Quand on est dans une perspective de pandémie, où on a un ennemi unique qui va donner une bouffée épidémique massive - ce n'est pas toujours le cas, mais c'est ce qui était modélisé -, avec une capacité de réponse rapide ciblée sur le virus qui n'aurait pas évolué, on s'attend à avoir des niveaux d'efficacité qui soient de l'ordre d'une population générale, tout en incluant les personnes âgées chez qui cela marche moins bien, et les plus jeunes chez qui cela marche bien, de l'ordre de 60 à 70 %. C'est considérable quand on est dans une épidémie maximale. Cela réduit la circulation du virus. C'est une protection en anneau, en quelque sorte, qui se répercute sur l'ensemble de la population.

C'est la raison pour laquelle le Comité de lutte contre la grippe n'a jamais été ambigu sur l'intérêt de la vaccination. On a toujours dit que c'était un des piliers ou le pilier principal de la lutte contre la grippe.

Lorsque la bouffée épidémique commence avant que le vaccin ne soit disponible, on ne peut pas rester les bras croisés. C'est la raison pour laquelle d'autres mesures pouvaient être potentiellement utilisées ; ce sont les mesures d'hygiène, pour lesquelles une énorme promotion a été faite. Je pense que cela a été un vrai succès. Il faut citer aussi l'utilisation des antiviraux. C'est la prise en charge des patients en termes de prévention et de traitement des cas. Dans les plans pandémiques qui ont été faits, il a toujours été dit qu'il fallait utiliser des antiviraux, de façon à réduire l'impact et la mortalité de la grippe pandémique.

Dans les états précoces de l'évolution pandémique, nous avions dit qu'il était très important de traiter systématiquement tous les cas, de façon à ralentir la progression de l'épidémie au maximum et à éviter les transmissions silencieuses pour gagner du temps, dans le but que cette course entre le virus et le vaccin soit gagnée par le vaccin. Il s'agit en tout cas de se donner les moyens, le plus possible, de gagner cette course.

Pour répondre spécifiquement à votre question, l'efficacité clinique des vaccins est relative même s'il est certain qu'elle présente malgré tout un bénéfice. La réponse vaccinale, telle qu'on a pu l'apporter au cours de cette pandémie, était décalée par rapport à ce qu'il aurait été souhaitable de faire pour avoir une protection collective. Elle était à peine en temps pour pouvoir avoir une réponse individuelle, puisque l'épidémie et la vaccination ont commencé à peu près en même temps.

On ne maîtrise absolument pas la fourniture de doses - c'est ce que j'ai compris - ni le début de l'épidémie.

M. François Autain, président - On maîtrise la commande, tout de même.

M. Bruno Lina - Oui, jusqu'à un certain point. Pour parler sans langue de bois, l'ensemble des pays ont passé des commandes.

M. François Autain, président - Il y avait quelques rares exceptions.

M. Bruno Lina - Il y a toujours des exceptions qui justifient la règle. On peut en parler, car c'est intéressant. Dans l'absolu, ceux qui n'ont pas pris de vaccin s'en sortent bien.

J'ai entendu aussi, de la part de l'OMS, qu'un certain nombre de pays qui n'avaient pas demandé le vaccin ont crié au secours à un moment donné, maintenant ils ont beau jeu de dire que...

Au cours d'une pandémie, la question des vaccins est une question extrêmement difficile, et on ne l'avait pas anticipée à la bonne mesure.

M. François Autain, président - C'est le moins qu'on puisse dire.

M. Bruno Lina - On a appris beaucoup de choses au cours de cette pandémie. C'est une expérience supplémentaire. On a beaucoup axé de données sur la pandémie de 1918 ; il y a eu beaucoup de relais sur 1918, qui fut une pandémie catastrophique. Tout le monde admet que cette dernière est une situation particulière exceptionnelle et que le risque qu'elle se reproduise est faible. Je considère, mais c'est un avis strictement personnel, que la pandémie 2009 est une pandémie particulièrement exceptionnelle par l'absence d'impacts cliniques. Les deux vraies pandémies qui se ressemblent, en termes d'impact, sont celles de 1957 et 1968 où il y a eu une dynamique épidémique qui a ressemblé à une pandémie, sans excès et sans défaut.

M. François Autain, président - Si je vous comprends bien, on a été beaucoup trop vite.

M. Bruno Lina - Oui, on le sait maintenant. Dans les travaux du Comité de lutte contre la grippe, on se réunissait à tour de bras, de façon à essayer d'intégrer et d'analyser au maximum les informations qui étaient disponibles. Les informations disponibles de début mai étaient très alarmantes.

M. Alain Milon, rapporteur - Quand vous parlez de l'épidémie de 1918 et les conditions exceptionnelles qu'on connaît, qui ont fait que cette épidémie était exceptionnelle, est-ce que, d'un point de vue géographique, pour celle de 2009, on n'aurait pas pu prendre cette exception géographique des pays de l'hémisphère Sud, dont l'état sanitaire est nettement moins élevé que les pays de l'hémisphère Nord par exemple ?

M. Bruno Lina - Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire.

M. Alain Milon, rapporteur - Les populations de l'hémisphère Nord sont plus protégées contre une pandémie grippale que les populations de l'hémisphère Sud. N'aurait-on pas pu prendre cela en considération dès le départ ?

M. Bruno Lina - Je pense que le différentiel de l'état sanitaire en Australie, en Nouvelle-Calédonie, même au Chili, par rapport à ce qu'on a en Europe, n'est pas si important que cela. Je ne crois pas.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est surtout l'Australie et le Chili, plus que le Mexique, qui ont influencé les décisions prises par l'OMS, et ensuite au niveau local par la France.

M. Bruno Lina - Au Chili, ils ont eu une épidémie un petit peu décalée. En Australie et en Nouvelle-Calédonie, ils ont très bien détaillé l'épidémie. Nous avons eu beaucoup d'informations, en termes d'impacts en particulier. Nous étions surpris de voir les taux d'attaque, le nombre d'infectés, qui était inférieur à ce qu'on avait imaginé : de l'ordre de 16 %, de mémoire, en Nouvelle-Calédonie. Je n'ai plus le chiffre pour l'Australie, mais cela devait être similaire.

Une réunion organisée par l'Institut de veille sanitaire s'est tenue en septembre en France à la Maison de la Chimie. C'était un retour d'expérience de l'hémisphère Sud. Plusieurs représentants de pays étaient venus parler. J'ai retenu schématiquement trois messages : l'épidémie semblait le fait d'un virus qui ne présentait aucun facteur de pathogénicité. Tout le monde était d'accord là-dessus.

M. François Autain - N'aurait-on pas pu réviser la menace ?

M. Bruno Lina - Je voudrais juste terminer ; ensuite on pourra reposer la question.

Deuxièmement, la mortalité de ce virus était inférieure à ce qu'on s'attendait. Toutefois, l'ensemble de ces pays ont dit que leurs services de réanimation ont été débordés. Quand on est un paranoïaque du virus grippal comme moi, on connaît la capacité de ce virus à se transformer pour devenir dangereux, sans aller dans les exemples de H5N1. On sait que ce virus a des capacités de transformation et de mutation qui peuvent lui conférer un facteur de virulence qui n'existe pas à l'instant t, mais qui existe à l'instant t + 1. On sait que la dimension de l'épidémie dans l'hémisphère Sud est forcément inférieure à ce qu'on pourrait observer dans l'hémisphère Nord, du fait de la faible densité de population : il y a vingt à 25 millions d'habitants en Australie, ce qui est à peine le double de ce qu'il y a en région parisienne ; la surface couverte n'est donc pas du tout pareille. On ne peut transposer ce qui se passe dans l'hémisphère Sud que sur certains points, mais pas sur tout.

M. François Autain, président - Vous pensez qu'il n'était pas possible de corriger la menace, de dire que c'était moins grave qu'on ne l'avait pensé ?

M. Bruno Lina - Je cite ce que dit M. Kejii Fukuda, le responsable de l'OMS pour la grippe.

M. François Autain, président - Je ne sais pas si c'est une référence.

M. Bruno Lina - Si, c'est quelqu'un de formidable.

M. François Autain, président - Oui, il est formidable, mais il a été contesté.

M. Bruno Lina - On peut le contester. Il faudra que nous regardions le côté positif de ce qu'il a fait aussi, car il y a des choses qui sont remarquables. Quand on connaît sur le fond les capacités de ce virus à évoluer, on se dit toujours que baisser la garde est extrêmement dangereux.

M. François Autain, président - On peut être paranoïaque de tous les fléaux. On ne va plus pouvoir vivre.

M. Bruno Lina - L'idée est d'avoir en tête, en permanence, les capacités du virus, de savoir ce qu'il peut devenir et d'être prudent, de savoir que le pire n'est pas le plus probable, mais que c'est quelque chose qui peut impacter. Dans ces conditions, si on est suiveur, et non en anticipation, on a beaucoup de « casse ». C'est ce que beaucoup d'entre nous avaient en tête. Méfions-nous de ce virus : il a des capacités d'évolution, il a un pouvoir pathogène qui était réel. Quand on dit que les services de réanimation étaient pleins, ils étaient pleins de gens qui, au cours de la grippe saisonnière, ne sont jamais en réanimation.

Quand on fait le bilan des hospitalisés en réanimation pour la grippe saisonnière, cela tend vers zéro. Il n'y en a pas ou très peu.

M. François Autain, président - Les personnes âgées n'ont pas le temps d'y arriver.

M. Bruno Lina - Non. Quand on a des pneumonies aiguës virales, telles qu'on a pu les observer, où il faut mettre des gens sous assistance ventilatoire extracorporelle pendant des semaines, cela ne se voit jamais au cours de la grippe saisonnière. On a vu que ce virus avait fait une mutation à un moment donné. On en a parlé dans les médias : il s'agissait d'une mutation à une position 222 de son hémagglutinine, qui donnait à ce virus la capacité d'infecter plus de cellules au sein du poumon lorsqu'il était en infection pulmonaire.

Les patients qui présentaient ces infections faisaient statistiquement plus de formes graves que les autres. Il y a toujours un potentiel de mutation. Comme on est avec un virus où le curseur de dangerosité est à zéro, si le curseur bouge, il bouge vers un. Il ne peut pas aller en dessous.

M. François Autain, président - Tout est imprévisible dans un cas de grippe. Il ne faut pas faire de prévisions et pourtant vous passez votre temps à en faire.

M. Bruno Lina - On me demande, à un moment donné, de prendre position.

M. François Autain, président - Vous ne devriez pas.

M. Bruno Lina - On essaie de montrer les incertitudes. On les a relayées. On a dit en permanence que nos avis étaient révisables en fonction de l'évolution de la situation. Je ne veux pas jouer l'oiseau de mauvais augure. Ceux qui pensent que le problème de la pandémie est terminé ont probablement tort, parce qu'on n'est qu'après la première vague, qu'il va y avoir une recirculation de ce virus l'hiver prochain, vraisemblablement.

M. François Autain, président - Il n'y a pas de raison.

M. Bruno Lina - Peut-être verra-t-on au cours du deuxième hiver ce qu'on n'a pas vu au cours du premier.

M. François Autain, président - En tout cas, pour le mois d'avril, on est tranquille.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous dites qu'on risque de voir le virus H1N1 revenir l'année prochaine. Les laboratoires que nous avons consultés parlent de mettre le virus H1N1 dans la vaccination saisonnière de l'année prochaine. Il semblerait que les cibles de la grippe saisonnière et celles du H1N1 ne sont pas les mêmes. Quel est l'intérêt de mettre du H1N1 dans la vaccination saisonnière ?

M. Bruno Lina - Regardons ce qui s'est passé au cours des pandémies précédentes. Chaque fois qu'un virus pandémique a émergé, les virus saisonniers précédents ont disparu. Quand le H2N2 est apparu en 1957, le H1N1 a disparu. Il n'affectait plus l'homme, ceci jusqu'en 1968, où le H2N2 a disparu et c'est le H3N2 qui est apparu. Ce n'est qu'à l'occasion de 1977 que le H1N1 est réapparu, avec vraisemblablement une intervention humaine. C'est en fait une conséquence de manipulations humaines de ce virus, qui a entraîné sa sortie et la recirculation de ce virus.

M. François Autain, président - Vous faites allusion aux manipulations de M. Albert Osterhaus qui a croisé un H5N1 avec un H1N1. Vous avez entendu parler de cela. Je suis un peu effrayé.

M. Bruno Lina - Vous ne devriez pas.

M. François Autain, président - Si jamais il s'échappe du laboratoire, vous vous rendez compte !

M. Bruno Lina - Il faut le faire dans de bonnes conditions. Les virologues, comme la plupart des scientifiques, ne sont pas des apprentis sorciers. Ce sont des gens raisonnables qui définissent les conditions dans lesquelles peuvent se faire telle ou telle manipulation. On essaie d'être raisonnable.

M. François Autain, président - Quand j'ai vu ce documentaire à la télévision l'autre soir, j'ai été effrayé. Ce M. Albert Osterhaus m'a profondément inquiété. C'est pourtant un très grand virologue.

M. Bruno Lina - C'est un ami. Je vous garantis que c'est quelqu'un de raisonnable. Sachez que ce qu'on voit à la télévision n'est pas forcément le reflet de ce qui a été dit par l'individu qui a été interviewé. Pour revenir à la question, il se passe aujourd'hui que le H1N1 saisonnier n'existe plus. Il n'y en a plus. Le dernier a été isolé au cours de l'année 2009.

Mme Christiane Kammermann - Mais il peut recirculer.

M. Bruno Lina - Il le peut potentiellement, mais pour l'instant il n'y a plus de réservoir humain.

Mme Christiane Kammermann - Il peut recirculer par la suite.

M. Bruno Lina - En revanche, celui dont on est sûr qu'il circulera l'année prochaine, est le H1N1 qui est né au Mexique.

M. François Autain, président - Le variant.

M. Bruno Lina - Le variant ou le PDM (pandémique). Je préfère l'appeler le mexicain, c'est plus clair. On a un virus H1N1 qui a disparu, et qui a été remplacé par l'autre.

M. François Autain, président - Pourquoi faire une vaccination H1N1 puisqu'il a disparu ?

M. Bruno Lina - Non, l'ancien a disparu. C'est le nouveau. La vraie question qui se pose est la suivante : que va-t-il arriver au H3N2 ? L'autre sous-type de virus Influenza A circulait, mais il n'y a que des détections extrêmement isolées de ce virus aujourd'hui. Quand on regarde sur l'inventaire que les centres de référence ont dans les virus isolés, le H3N2 représente moins de 1 % des viseurs. Il a lui aussi aujourd'hui tendance à disparaître.

Globalement, je ne sais pas ce qui va se passer. Il va falloir voir ce qui se passe dans l'hémisphère Sud. L'hémisphère Sud est un endroit où on va pouvoir de nouveau surveiller l'évolution de ce virus. Il peut y avoir plusieurs possibilités : la disparition du H3N2 et du H1N1 ; donc plus que le H1N1 pandémique qui résiste avec le virus de type B ; la circulation du H3N2 et du H1N1 pandémique et le virus B, ou les trois virus H1N1 saisonnier, H1N1 pandémique et H3N2.

Vous avez raison, la cible vaccinale n'est pas du tout la même entre le vaccin saisonnier et le vaccin pandémique, mais si le virus devient un virus saisonnier, ce qui est très hautement probable, il va changer de spectre. La pandémie est vraiment une situation très particulière en termes de patients atteints : les femmes enceintes ne sont touchées qu'au cours des pandémies. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas, mais c'est ainsi. Une fois que la vague pandémique est terminée, c'est fini. Les femmes enceintes sont à risques, mais comme les autres, alors qu'au cours d'une pandémie elles sont cinq à dix fois plus à risques. Tous les travaux le montrent, et cela a été retrouvé dans l'ensemble des situations.

La campagne vaccinale de l'hiver prochain est quelque chose d'extrêmement compliqué.

M. François Autain, président - Par rapport à la vaccination pour la pandémie, est-ce plus compliqué que ce que nous avons vécu ou est-ce plus simple ? Si c'est plus compliqué, c'est désespérant.

M. Bruno Lina - Ce n'est pas le même genre de complications. Là, nous aurons les vaccins avant que le phénomène épidémique ne commence, en unidoses et sans Thiomersal.

M. François Autain, président - Sans adjuvant ?

M. Bruno Lina - Il existe déjà des vaccins avec adjuvants dans le saisonnier.

M. François Autain, président - Oui, mais c'est l'exception. Je souhaiterais que cela reste l'exception.

M. Bruno Lina - Ils ont l'intérêt des adjuvants. On pourra éventuellement en reparler et je vous expliquerai pourquoi. On a une situation compliquée dans le sens où on sait qu'on va avoir une épidémie. On sait que cette épidémie respectera l'espace temporel d'une épidémie plus classique, mais on ne sait pas qui va être l'acteur.

M. François Autain, président - C'est comme tous les ans.

M. Bruno Lina - Sauf que, tous les ans, on a une grippe saisonnière. Comme je vous le disais tout à l'heure, je ne sais pas si on va avoir une grippe saisonnière ou une deuxième vague pandémique. Pour la deuxième vague pandémique, il ne s'agit pas de jouer les oiseaux de mauvais augure.

M. François Autain, président - Vous ne l'avez jamais été. Je vous le rappellerai tout à l'heure. Ce sera le florilège de vos déclarations, si vous le permettez.

M. Bruno Lina - Il faut imaginer que l'on pourrait avoir l'hiver prochain la dangerosité, la gravité du virus que nous n'avons pas eues cet hiver, mais il faut espérer que cela n'arrivera pas. Si c'est lié à un virus pandémique, il peut y avoir une dimension d'épidémie supérieure à ce qu'on voit avec une grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Rassurez-nous, monsieur, les personnes âgés seront toujours protégées ?

M. Bruno Lina - C'est une bonne question.

M. François Autain, président - Elle est totalement désintéressée, bien entendu.

M. Bruno Lina - Il semble aujourd'hui que les personnes âgées restent protégées.

M. François Autain, président - C'est une bonne nouvelle.

M. Bruno Lina - On en reparlera après l'épidémie dans l'hémisphère Sud. Si le virus change, je ne sais pas si vous serez encore protégé.

M. François Autain, président - On nous a dit qu'il était très stable.

M. Bruno Lina - Pour l'instant, oui. Il est très étonnant qu'après avoir donné deux vagues épidémiques, même si ces vagues épidémiques étaient moins importantes, que ce virus reste aussi stable. C'est en totale contradiction avec la présence d'une population immunisée avant. Au contraire, cela a tendance à pousser le virus vers une modification, mais il n'a pas bougé. Il y a une incohérence.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai encore une question sur le dispositif pandémique qui a été mis en place : vous semble-t-il suffisant ? Que faudrait-il mettre en plus sinon pour être sûr d'être bien préparé ?

M. Bruno Lina - On devrait rappeler objectivement que, dans le dispositif pandémique, certaines choses ont fonctionné. Je parlais des mesures d'hygiène...

M. François Autain, président - C'est sûr. Qu'en est-il des masques ?

M. Bruno Lina - C'est autre chose. On a surestimé le besoin de masques. Très clairement.

M. François Autain, président - Que va-t-on faire des stocks ? Vous ne savez pas, et moi non plus.

M. Bruno Lina - En termes d'équipement des hôpitaux, pour le renforcement des unités de réanimation, cela aussi est un succès. Globalement, les hôpitaux français ont été très sollicités, en particulier en pédiatrie. Concernant la mise en oeuvre - je parle pour ma boutique - aux Hospices civils de Lyon, il y a eu un accompagnement de la part de la direction générale pour que cela se passe le mieux possible.

L'échec a concerné globalement tout ce qui tournait autour de la prise en charge au niveau communautaire, médecine de ville, aussi bien lorsqu'il s'agit de la protection des individus dans la campagne de vaccination, où il y a manifestement des choses à modifier dans l'organisation.

Deuxièmement, dans le cadre des recommandations et des avis que le Comité de lutte avait été amené à donner, nous étions toujours en temps réel, par rapport à la réalité de l'épidémie et des informations qu'on avait sur ce virus et sur sa diffusion. Il est vrai que de temps en temps, il y avait un décalage entre les messages qu'on passait et le relais de ce message vers la population générale ou la mise en oeuvre d'actions qu'on essayait de mettre en place.

De temps en temps, il y avait un décalage, parfois de plusieurs jours, parfois plus long que cela. On était parfois inquiet car on avait l'impression que les messages qui étaient cohérents à un certain moment ne l'étaient plus à d'autres. Je pense notamment aux antiviraux et à leur utilisation. Le moment où on a dit qu'on pouvait commencer à utiliser de façon abondante les antiviraux a été en fin d'épidémie. Le problème était pratiquement réglé et le message a été perçu comme : « on veut utiliser le stock à tout prix » .

Nous avions des arguments pour expliquer pourquoi nous changions notre fusil d'épaule, pourquoi on avait dit qu'au début il fallait traiter tout le monde. Comme je vous l'ai expliqué, il fallait éviter la transmission. Puis du fait de l'absence de dangerosité du virus, nous avons dit qu'il n'était peut-être pas nécessaire de traiter tout le monde puisqu'il y a beaucoup de formes de virus.

Il y a eu une période où il y avait des virus « confondants » qui faisaient croire qu'il y avait une épidémie de grippe ; ce n'était pas la grippe mais l'autre virus qui circulait. Puis il y a eu le moment où l'épidémie de grippe est partie, alors que dans le même temps, on a eu des informations venant de pays étrangers qui disaient que la prise en charge thérapeutique systématique augmentait la survie, qu'il y avait moins de décès au sein de populations équivalentes lorsqu'on faisait un traitement systématique versus ceux qui ne recevaient pas le traitement. Il est donc très difficile d'être en phase en permanence entre nos avis qui étaient discutables, le relais et la mise en oeuvre de l'action consécutive à ces avis.

Je terminerai avec la vaccination qui s'est révélée extrêmement compliquée. Je ne veux pas discuter sur les aspects politiques de cette affaire mais sur l'aspect de sa mise en oeuvre. La difficulté que le Comité de lutte contre la grippe anticipait vis-à-vis de cette vaccination a été liée au fait qu'on pensait que la taille de l'épidémie serait plus importante que ce qui a été observé. De fait, on craignait que les généralistes soient très sollicités pour prendre en charge les patients et qu'ils n'aient pas le temps ou la possibilité de s'organiser sereinement pour avoir à gérer toute la logistique de la vaccination qui était très lourde, avec ces fiches à remplir de traçabilité liées aux deux doses et à la pharmacovigilance.

On avait l'impression qu'ils n'arriveraient pas à tenir le rythme à la fois de la vaccination pour le faire rapidement et de la prise en charge des patients qui devait être, dans la mesure du possible, en temps réel. Les patients ne devaient pas venir trois jours après le début des symptômes ; cela n'aurait servi à rien.

La logique d'utiliser d'autres structures que les cabinets médicaux pour la vaccination a été pilotée un peu par cela. On a vu ensuite qu'une machine s'était enclenchée et qu'il était impossible d'en modifier la structure. Est venue ensuite une contrainte d'organisation qui était le délai de livraison des vaccins et le type de vaccin livré, en sachant que c'étaient des vaccins multidoses, et qu'il fallait a priori que l'ensemble du flacon soit utilisé pour éviter le gaspillage.

Beaucoup de choses ont rendu cette vaccination extrêmement difficile. Il est clair - c'est un avis personnel - que c'est vraiment là que s'est situé le défaut de l'organisation à tous les échelons.

M. Alain Milon, rapporteur - Une dernière question encore et je laisserai mes collègues continuer. C'est un constat. Nous devons convenir que la chronique de la pandémie annoncée a donné l'impression d'être dominée par une « pensée scientifique unique » , privilégiant une vision plutôt catastrophiste. Une telle unanimité dans un sens ou dans l'autre correspond-elle à la réalité d'un débat scientifique ? Peut-elle favoriser la qualité du débat public et celle de l'information au public ?

M. Bruno Lina - Je vous remercie beaucoup de cette question. Très honnêtement, à un moment donné, on s'est interrogé. On est trop consensuel. Je ne me suis pas posé la question en juillet, mais plutôt en octobre ou novembre, lorsqu'on s'est dit que cela ne se passait pas comme on pensait.

Il est vrai qu'on a été très consensuel. Je vous l'ai dit tout à l'heure et tous les membres du comité vous le diront. Il n'y avait pas de voix dissonante, on n'a pas entendu quelqu'un qui nous a dit : vous surestimez complètement, si cela se trouve, cela ne va pas du tout se passer ainsi ; cela va très bien se passer.

M. François Autain, président - Je l'ai entendu.

M. Bruno Lina - Pas dans le Comité de lutte contre la grippe, et très peu des virologues.

M. François Autain, président - Je l'ai entendu dans la bouche du professeur Marc Gentilini.

M. Bruno Lina - J'ai eu l'occasion d'en discuter plusieurs fois avec le professeur Marc Gentilini. Ce qui le gêne, ce sont les coûts.

M. François Autain, président - Cela nous gêne aussi.

M. Bruno Lina - M. Marc Gentilini ne discute pas la réalité de la pandémie, ni le fait qu'une pandémie est un vrai problème de santé publique. Il n'est pas sur la même longueur d'onde. Sur l'aspect pensée unique et tester nos hypothèses - est-on sûr d'avoir une réponse à la mesure de l'événement ? -on a probablement eu le défaut d'avoir « le nez dans le guidon » , de ne pas avoir eu la possibilité de prendre du recul et de se dire : « Faisons une pause ; analysons et suggérons des mesures correctives. » Cela ne s'arrêtait jamais.

Tout d'abord, on ne nous a pas demandé de le faire ; ensuite on n'a pas eu l'initiative de le faire. On fait ce qu'on appelle dans notre jargon des autosaisines. Nous ne les avons pas faites. Ce serait clairement une modification de comportement si jamais - je ne l'espère pas - une nouvelle pandémie émerge. Je pense qu'on n'aurait pas du tout la même approche. C'est l'expérience qui fait dire cela. A la lumière des vraies pandémies du passé, le constat en santé publique et en décès est lourd à chaque fois.

M. Michel Guerry - Pas par rapport à une grippe saisonnière.

M. Bruno Lina - Je ne parle pas de la pandémie de cette année. Je parle de pandémies antérieures. En 1968, on estime qu'il y a eu 30 000 décès en France, ce qui est considérable. L'objectif était vraiment d'éviter cela.

M. François Autain, président - Concernant les pandémies, j'ai constaté que le nombre de décès au XX e siècle avait tendance à diminuer. D'une pandémie à l'autre, cela a tendance à diminuer. Pourquoi est-ce que cela ne continuerait pas ? Il faut quand même donner le moral aux gens. Ce n'est pas catastrophique, cet élément est plutôt générateur d'espoir. Cela a l'air de continuer car avec la pandémie H1N1 on a encore moins de morts qu'avec les précédentes pandémies.

M. Bruno Lina - C'est même caricatural. En termes de calcul de mortalité, on ne compare pas tout à fait les mêmes choses. On a plus de morts qu'au cours d'une grippe saisonnière avec cette pandémie, cinq à dix fois plus. En revanche, en termes de mortalité en absolu, quand on fait mortalité et surmortalité calculées, il y en a dix fois moins. C'est une réalité. Il y en a dix fois moins que ce qu'on observe au cours d'une grippe saisonnière, et il y en a cent fois moins que ce qu'on craignait.

M. François Autain, président - Alors qu'on en prévoyait deux cents fois plus selon l'article du Monde du 29 août 2009.

M. Bruno Lina - Est-ce moi qui ai donné ce chiffre ?

M. François Autain, président - Non, ce n'est pas vous. J'ai remarqué qu'il y avait un certain décalage entre le titre et le contenu de l'article. Avez-vous terminé votre réponse ?

M. Bruno Lina - Oui, si elle vous satisfait.

M. François Autain, président - Je passe la parole à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann - Vous avez parlé de l'épidémie de 2009. Il y avait une absence de sens clinique. Vous avez dit cela tout à l'heure. Il n'y avait pas beaucoup de sens clinique. Vous faisiez un diagnostic assez rapide, pour cette grippe A (H1N1)v.

Deuxièmement, concernant la vaccination de l'hiver prochain, vous avez dit qu'elle serait extrêmement compliquée. Comment et pourquoi ? Peut-être n'ai-je pas bien compris.

M. Bruno Lina - Sur le diagnostic de la grippe, en pratique, au cours de cette vague épidémique, les laboratoires de virologie ont fait un effort considérable pour essayer d'étayer au maximum le diagnostic, en particulier pour les adultes et les enfants qui venaient à l'hôpital, de façon à ce qu'on ait un diagnostic en temps réel pour pouvoir orienter les patients dans les zones dites à haute identité virale et les autres à basse identité virale. Tous les hôpitaux étaient organisés ainsi. Cela permettait de flécher les patients et, éventuellement, de faire sortir les patients de l'hôpital quand ils n'étaient pas dangereux.

Mme Christiane Kammermann - Dans le cas d'une grippe ordinaire.

M. Bruno Lina - Il y en a eu beaucoup heureusement. Pour ce qui est du diagnostic clinique, on a vu une surestimation du nombre de cas de grippe dans une période qui couvre le mois de septembre et début octobre. Ceci était lié au fait que ce n'était pas un virus de la grippe qui donnait les signes cliniques et qui était responsable de l'épidémie de viroses respiratoires, c'était un rhinovirus. Ceci a été communiqué à l'Institut de veille sanitaire et a été publié dans la revue du Center for Disease Control and Prevention (CDC) européen : on a très clairement vu qu'il y avait une séquence de circulation du virus respiratoire. Pendant les mois de septembre et octobre, on a eu un tout petit peu de grippe à la rentrée scolaire, mais c'est tombé très vite. Nous avons eu ensuite une énorme épidémie de rhinovirus.

Mme Christiane Kamermann - Ce n'était pas un signe clinique du H1N1.

M. Bruno Lina - A partir de fin octobre, le virus a vraiment commencé à circuler, d'abord en Ile-de-France, puis dans le reste de la France. On a vu apparaître de vraies grippes qui s'accompagnaient de signes cliniques, mais on ne peut pas s'appuyer sur le clinique pour faire du diagnostic.

Concernant l'explication de la vaccination de l'hiver prochain, la difficulté consiste à savoir quel va être le virus responsable de l'épidémie, en sachant que la grippe saisonnière a comme cible les personnes âgées, les asthmatiques, les insuffisants respiratoires, etc. On les connaît très bien, ce sont ceux que l'assurance maladie identifie et pour lesquels elle envoie un bon de prise en charge.

Si la grippe qui circule l'hiver prochain n'est pas la grippe saisonnière, mais la deuxième vague de la grippe pandémique, ceux qui font les formes graves ne sont pas les mêmes : ce sont les enfants, les femmes enceintes. En termes de recommandation d'utilisation du vaccin et de stratégie d'utilisation du vaccin, il va falloir dire vers qui la vaccination sera dirigée préférentiellement. Plusieurs options vont s'ouvrir. Aujourd'hui aucune décision n'est prise en termes de stratégie vaccinale.

M. François Autain, président - Au niveau de l'OMS, il n'y a aucune décision ?

M. Bruno Lina - Ils ont identifié les souches qui sont les candidats vaccins. Ils n'ont pas encore fait de recommandation de stratégie vaccinale. Dans les souches qui sont dans le candidat vaccin, il n'y a pas le H1N1 saisonnier, il a disparu ; il n'y a que le H1N1-PDM. La difficulté est de savoir vers qui va s'orienter cette vaccination. C'est la difficulté.

M. Michel Guerry - L'OMS a déclaré que c'était une pandémie de niveau 5, voire 6 à un certain moment. A quel moment et jusqu'à quand la pandémie de niveau 5 a-t-elle été déclarée ?

M. Bruno Lina - Je vous donne les dates très précisément. La pandémie niveau 5 a été déclarée, à ma connaissance, à la fin du mois de mai et le niveau 6 a été déclaré le 11 juin. Je crois que c'est le 29 mai et le 11 juin. Pour la phase 6, c'est le 11 juin ; pour la phase 5, je crois que c'est le 29 avril, excusez-moi, mais je vais vérifier pour ne pas faire d'erreurs. Actuellement, pour l'OMS, nous sommes toujours en niveau 6.

M. François Autain, président - Vous avez demandé avec insistance à ce que la France passe au niveau 6. C'est le Comité qui l'a demandé.

M. Bruno Lina - Oui, je l'ai demandé et j'étais convaincu. La raison pour laquelle j'ai demandé ce passage - ils n'ont d'ailleurs pas suivi ma demande - tient au fait que le sentiment ressenti était qu'il y avait une dynamique évolutive importante à l'étranger, des cas qui s'accumulaient en Angleterre et en Espagne, et une augmentation progressive du nombre de cas en France, ceux-ci restant toutefois limités. Quand on sait la lourdeur de mise en place d'un certain nombre d'outils liés à la pandémie, le message du passage au niveau 6 était pour anticiper la mise en place d'un certain nombre d'outils qui sont dans le plan pandémique au moment de la phase 6.

Le jeu de la direction générale de la santé a été relativement bon : ils ont décidé d'utiliser des outils théoriquement adaptés à la phase 6, tout en restant en phase 5. C'est la modélisation qui a été faite. Objectivement, en France, on est aujourd'hui en niveau 5, qui correspond à une dangerosité en même temps qu'à une diffusion épidémique, tandis que la définition-type de l'OMS est une définition purement d'extension géographique et pas de dangerosité. C'est la raison pour laquelle il y a une nuance entre les deux.

M. Michel Guerry - Ceci est difficile à faire comprendre aux populations. Selon l'OMS, on est toujours en niveau 6.

M. Bruno Lina - Oui, nous sommes actuellement toujours à ce niveau.

M. Michel Guerry - Dira-t-on un jour qu'on n'a plus de niveau 6 ? Le H1N1 a disparu pour le moment, mais peut-être reviendra-t-il. L'OMS va-t-elle dire un jour que c'est fini et qu'on est en niveau 0 ?

M. Bruno Lina - Dans les différentes phases épidémiques, il y a la phase 6, la phase 7 et la phase 1 qui correspond à ce que vous appeliez la phase 0. La phase 7 est la phase postpandémique. C'est une phase de consolidation.

M. Alain Milon, rapporteur - Le passage d'une phase 6 à une phase 7 est le plus important.

M. Bruno Lina - Il va y avoir un jeu sémantique. Cette phase 7 va s'appeler « post-pic ». Elle ne s'appellera pas 7.

M. François Autain, président - C'est beaucoup plus simple.

M. Michel Guerry - C'est difficile à faire comprendre à la population qui n'est pas avertie. La pandémie de 2009 est exceptionnelle. Elle a été déclarée exceptionnelle début mai. Elle était très alarmante. C'est ce que vous nous avez dit tout à l'heure. Puis, le virus a disparu plus vite que l'arrivée du vaccin. Le virus a disparu à quelle date ?

M. Bruno Lina - Le virus n'a pas disparu. Il y a une discordance entre ce que je peux entendre et ce que j'intègre. Selon moi, le problème n'est pas en France. C'est un problème international. Aujourd'hui en Uruguay, il y a une épidémie de H1N1.

Du fait des informations qu'on intègre des différentes régions du globe, le virus H1N1 disparaît à l'instant t d'un pays, mais à l'échelle planétaire, il est toujours là, et il est toujours en train de circuler. Il y a encore quinze jours il était responsable d'une épidémie en Afrique de l'Ouest.

Ce qui veut dire que l'OMS, lorsqu'elle établit un stade 6, c'est à la lumière de l'échelle planétaire. Je suis bien d'accord. En revanche, du point de vue franco-français, je peux vous dire qu'on n'isole aucun niveau de la grippe H1N1. Il n'y en a plus.

M. Michel Guerry - Nous sommes toujours en niveau 5.

M. Bruno Lina - Selon ce que j'ai compris, si on passe en post-pic, un certain nombre d'outils ne pourront plus être utilisés. C'est cadré pour n'être utilisé qu'en phases 5 ou 6. Si on change de stade, on ne peut plus utiliser les mêmes moyens que ceux qu'on avait si on ne changeait pas de stade.

M. Michel Guerry - Si on ne peut plus utiliser les mêmes moyens, puisque le virus avait disparu en France avant l'arrivée du vaccin, nous aurions dû, peut-être en restant en niveau 5, réfléchir, commander moins de vaccins et considérer qu'on n'en avait plus besoin si les choses continuaient à évoluer dans le bon sens. Allez-vous dans ce sens ?

M. Bruno Lina - Acheter des vaccins pour 47 millions de Français est un choix politique.

M. François Autain, président - Ce n'est pas scientifique, je l'ai bien compris.

M. Bruno Lina - C'est quelque chose qui a été décidé à l'instant t.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés. Cela n'a pas été décidé à l'instant t.

M. Bruno Lina - Il y a un moment donné où la décision a été prise.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés.

M. Bruno Lina - Sur le nombre ? Non. J'ai relu les travaux. Nous avons été questionnés le 10 mai sur la vaccination. Nous avons répondu que, conformément à ce qui est écrit dans le Plan pandémie, la vaccination restait un pilier de la lutte contre la grippe et qu'elle devait être proposée. C'était dans la réflexion du H5N1, dans les étapes très précoces. C'est très différent.

M. Michel Guerry - La lettre d'intention de pré-réservation a été passée mi-mai 2009 à GSK.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 15 mai.

M. Michel Guerry - A ce moment-là, on se disait que le virus avait disparu.

M. Bruno Lina - Entre le 15 mai et le 20 mai 2009, il y avait une dynamique épidémique extrêmement importante. C'est le moment, au contraire, où le virus s'étendait à toute vitesse. On avait des informations extrêmement fragmentaires qui venaient de différents pays qui ont des systèmes de santé moins performants que le nôtre pour le recueil d'informations, notamment le Mexique qui nous a passé des signaux très alarmants au début, avec des populations malades, avec 10 % de mortalité. J'ai encore ces messages. Jusqu'à fin mai, on était dans une situation qui, pour nous, était alarmante.

M. François Autain, président - Ces chiffres étaient erronés.

M. Bruno Lina - Ils étaient erronés, mais nous ne le savions pas.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés.

M. Bruno Lina - Non.

M. François Autain, président - C'est une décision politique. C'est une décision qui n'a pas de fondement scientifique.

M. Bruno Lina - On n'a pas eu de questions nous demandant combien il fallait acheter de doses. Ce n'est pas choquant qu'on ne nous ait pas posé la question.

M. Michel Guerry - Dernière question, monsieur le professeur. Peut-être ai-je mal compris. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il y avait un certain nombre de morts. On a enregistré en France 310 décès, alors que d'habitude, pour une grippe saisonnière, c'est entre 2 000 et 6 000. Dans le monde, les chiffres doivent être erronés avec le Mexique, il y a eu 7 000 décès pour H1N1 alors que pour une grippe saisonnière, c'est entre 250 000 et 600 000. Je viens de l'industrie. Je trouve que ces chiffres sont un peu surprenants. Ces chiffres pouvaient permettre de ne pas commander autant de vaccins. Autrement on n'en sort pas.

M. François Autain, président - On n'en est pas sorti.

M. Bruno Lina - Malheureusement, ces chiffres existent. Ils sont réels. Personne ne reniera ces chiffres, aussi bien pour la grippe saisonnière que pour la grippe pandémique. Il y a une énorme différence. Quand l'OMS parle de quelque 7 000 décès, ce sont tous des décès virologiquement prouvés, pour lesquels on a eu un prélèvement virologique positif en grippe. La surmortalité observée et enregistrée entre 250 000 et 500 000 décès chaque année à l'échelle planétaire du fait de la grippe correspond à des décès imputés. Ce ne sont pas des décès pour lesquels on a une information virologique. C'est la somme des pics de surmortalité observés dans les différents pays. C'est ainsi que c'est calculé.

En France comme dans les autres pays, nous n'avons pas eu ce pic de mortalité hivernale qu'on observe habituellement avec chaque épidémie. Lorsqu'on regarde les mortalités directes induites par la grippe de façon annuelle - l'Institut de veille sanitaire fait un recueil depuis deux à trois ans des mortalités - sur le bon bleu de décès, il est marqué grippe. Il y en a entre sept et vingt par an en France au cours des grippes saisonnières. Les bons de décès marqués grippe sont en nombre infime.

Tout le monde meurt d'abord d'une insuffisance cardio-respiratoire. Quand on compte les 300 000 décès, ce sont les personnes qui sont mortes très vite. Ce sont ces deux chiffres qu'il faut comparer, mais il faut aussi comparer la surmortalité qui est de 2 à 6 000 versus zéro.

M. François Autain, président - Donc la vraie grippe est peut-être moins meurtrière qu'on ne le pense.

Mme Patricia Schillinger - Je souhaiterais avoir quelques précisions. On a pu voir chacun autour de nous comment cela se passait. J'ai vu des arrêts maladie de trois jours pour grippe. On ne peut pas avoir la grippe juste trois jours et revenir travailler. J'ai eu une grippe. On est très malade pendant une semaine et il faut une semaine supplémentaire de convalescence. Comment avez-vous pu comptabiliser les cas ? Il est vrai que les tests sur la grippe ont été faits au début. Il y avait vraiment des tests réels de confirmation.

Ensuite, il y avait beaucoup de malades, comme tous les ans, en raison de refroidissements. Il y avait aussi ces grippes de trois jours qui n'étaient rien d'autre qu'un rhume. Je ne sais pas si les médecins sont vraiment formés à cela. Cela fait peut-être des années qu'on dit qu'il vaut mieux rester à la maison et avoir un arrêt pour grippe. Je ne sais pas. Je m'y perds un peu, j'avoue.

M. Bruno Lina - Au cours de cette pandémie, on a appris aussi que les formes bénignes de la grippe peuvent avoir des spectres très différents. Il existe des grippes graves et des grippes asymptomatiques. Quand je parle de grippe, je parle d'infection par le virus de la grippe. Certaines personnes font une infection brève avec le virus de la grippe et n'ont aucun symptôme. On estime que cet hiver une part importante de la population a fait des formes asymptomatiques. Elles sont documentées. Ce sont des personnes pour lesquelles on a trouvé le virus et qui n'avaient pas de symptôme.

Entre ces deux éventails qui sont les deux extrêmes, il y a un très grand nombre de formes cliniques de grippe assez frustres, qui correspondent à ce que vous expliquez : ce sont des grippes de deux ou trois jours. Une personne, un enfant n'était pas bien vingt-quatre heures, quarante-huit heures, allait mieux ensuite et n'avait plus de signe clinique, mais il excrétait toujours le virus puisque l'excrétion virale dure aussi de façon plus longue qu'au cours de la grippe saisonnière. C'est aussi ce que nous avons constaté.

La diversité clinique observée est donc extrêmement importante qui tirait plutôt vers des formes asymptomatiques, plus qu'avec la grippe saisonnière. Ceci est aussi une surprise.

M. François Autain, président - Avant de lever la séance, je voudrais faire une observation et poser une question. Au fil du temps, je me suis aperçu que l'appréciation que vous portez sur cette crise est évolutive. Le 15 mai 2009, on vous posait la question suivante dans le journal Le Progrès : « Dans l'Hexagone, sur combien de victimes les autorités et les chercheurs tablent-ils ? » Vous avez répondu : « 35 % de la population française devraient être infectés, soit environ 20 millions de personnes, la létalité - c'est-à-dire le taux de mortalité, tout le monde l'a compris - du virus étant de 1 %, il faut donc s'attendre de 20 à 30 000 morts sur notre territoire. »

Je passe tout de suite au 10 septembre 2009. En quelques mois, je pense que ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud n'était pas étranger à l'évolution qu'on enregistre. A la question : « Peut-on informer sans alarmer ? » , vous avez répondu avec beaucoup de sagesse : « J'ai tendance à penser que oui. Pour moi, la meilleure façon d'éviter la panique ou des réactions irrationnelles est d'expliquer les choses en veillant à tenir un discours logique et cohérent, et surtout en sachant rester à sa place. Par exemple, je me refuse à faire des prévisions sur le nombre de morts qui pourraient survenir dans notre pays. »

Je constate qu'une révolution s'est opérée chez vous en trois mois. Je regrette que vous n'ayez pas fait cette prise de conscience plus tôt.

Après l'observation, voici la question. Vous avez dit que le professeur Albert Osterhaus était un ami. Vous devez avoir beaucoup d'amis dans le domaine de la virologie. Nous allons probablement auditionner un autre professeur, M. Thomas Jefferson. Celui-ci n'a aucun lien d'intérêts avec les laboratoires. Dans, une étude réalisée avec son association Cochrane et publiée dans le British Medical Journal de novembre, il a indiqué que, pour la grippe saisonnière, l'oseltamivir avait des effets limités, voire nuls.

J'aimerais savoir si vous entretenez des relations avec ce genre de chercheurs et si vous avez des observations à faire en ce qui concerne cet article, car il m'a semblé, à vous entendre, que votre position concernant le Tamiflu, pour prendre le nom commercial, n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde.

M. Bruno Lina - Pas du tout.

M. François Autain, président - Pouvez-vous nous dire ce qui vous chiffonne ?

M. Bruno Lina - Je ne connais pas M. Thomas Jefferson personnellement. Je le connais de réputation. Je sais que les travaux de la Cochrane sont des travaux respectables, avec une volonté d'expliquer, de comprendre. Ces travaux sont très ambitieux et très compliqués à réaliser. Il y a des méta-analyses avec des bases de données souvent très hétérogènes. Une méta-analyse est une synthèse de plusieurs essais pour essayer de faire comme s'il n'y avait qu'un seul essai. Vous prenez un essai fait en Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie, en Afrique du Sud. Il y a une démarche scientifique logique à faire cela. Cela augmente la puissance statistique et permet théoriquement de mieux voir les nuances. C'est très difficile à faire. M. Thomas Jefferson le fait plutôt bien, en général.

Je pense qu'il faut prendre tous les mots qui sont employés : on parle de grippe saisonnière et non pas de grippe pandémique. Dans le cadre de la grippe saisonnière, il est clair que les essais cliniques réalisés, ceux qui sont disponibles, ne peuvent pas montrer d'intérêt vrai sur la grippe. L'outil utilisé pour évaluer l'efficacité n'est pas celui qui peut permettre de montrer quelque chose. Vous êtes médecin, je crois.

M. François Autain, président - Il y a très longtemps. Je n'étais pas « grippologue ».

M. Bruno Lina - Tout le monde connaît la grippe. Nous avons maintenant 65 millions d'experts. La maladie grippale comporte deux périodes : une période virologique et une période immunologique. Vous avez la phase de multiplication du virus ; vous avez ensuite la phase où vous avez la réponse immunitaire, celle de l'hôte qui lutte contre le virus, mais il n'y a plus de virus.

Que fait un antiviral ? Il lutte contre le virus. Si on veut voir un effet de l'antiviral, il faut mesurer la diminution de la charge virale des prélèvements faits chez des patients traités versus ceux qui sont non traités, et analyser la différence.

En revanche, si vous voulez faire une différence clinique sur les symptômes consécutifs à la réponse immunitaire post-infectieuse, votre antiviral n'est pas un anti-inflammatoire. Il ne lutte pas contre la réponse immunitaire. Il ne fait qu'être un antiviral. On doit positionner ce produit pour ce qu'il est, et pas pour plus que ce qu'il n'est pas.

L'intérêt des antiviraux est plus en termes de différence clinique, éventuellement de maîtrise de la réputation virale que de contrôle des symptômes. C'est ce qu'on a montré avec la grippe pandémique. Si on traite quelqu'un, l'objectif est d'empêcher qu'il fasse des formes graves, ce n'est pas tellement de réduire la durée de ses symptômes. Peu importe à la limite. Il faut qu'on arrive à casser sa réputation de virus pour que ce virus n'arrive pas au niveau pulmonaire et ne provoque pas une infection pulmonaire. Les antiviraux sont utiles pour ce positionnement et le Tamiflu fonctionne pour cela, mais il ne faut pas vouloir faire faire au Tamiflu ce qu'il ne peut pas.

M. François Autain, président - Je ne vous parlais que de la grippe saisonnière.

M. Bruno Lina - Ce que je viens de vous dire pour la grippe pandémique peut être transposé pour la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Vous avez l'air de dire que pour la grippe saisonnière le Tamiflu n'est pas indiqué.

M. Bruno Lina - Quand mes enfants sont malades, je leur donne du Tamiflu.

M. François Autain, président - Vous faites un diagnostic.

M. Bruno Lina - Je fais des tests à la maison. Je continue à faire tourner le laboratoire à la maison. Quand on donne ces traitements très tôt, on casse rapidement...

M. Alain Milon, rapporteur - La campagne qui avait été menée disait bien qu'il fallait donner le Tamiflu dans les premières heures, à symptomatologie réduite.

M. Bruno Lina - Exactement.

M. François Autain, président - A condition de faire un test avant. Il y a une grippe H1N1 pour 1 200 virus. Ce n'est pas pour autant une grippe.

M. Bruno Lina - Sauf que dans notre perception d'une pandémie, à un moment donné les personnes qui présentent des signes de grippe, si on est au cours du pic épidémique de pandémie, la « chance » qu'elles soient infectées par le virus est extrêmement élevée.

M. François Autain, président - On n'en sait rien s'il n'y a pas de test.

M. Bruno Lina - On en fait beaucoup. On est capable d'avoir le paysage des virus qui circulent. Même si on ne teste pas tout le monde, on sait qu'il y a du virus respiratoire Syncytial, s'il y a du rhinovirus ou s'il y a de la grippe. On le sait à peu près. L'enjeu, à un moment donné, a été de dire : on se fiche de savoir si c'est grippe ou pas grippe ; le plus important est d'être capable de donner le traitement le plus précocement possible à toute personne qui serait infectée par le virus de la grippe. Cela veut dire que c'est un traitement « en excès », qui peut être proposé à d'autres personnes qui n'ont pas la grippe.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, nous vous remercions infiniment d'avoir répondu à nos questions avec beaucoup de clarté et un sens pédagogique développé. Je ne m'étonne pas que vous soyez autant sollicité. Nous avons appris beaucoup et nous vous en remercions.

Audition de MM. Jean-Louis BENSOUSSAN,
président des groupes régions d'observation de la grippe (GROG),
et Jean-Marie COHEN, coordinateur national du réseau GROG
(mercredi 31 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons maintenant MM. Jean-Louis Bensoussan, président des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG), ce qui me paraît un acronyme tout à fait bien choisi, et Jean-Marie Cohen, coordinateur national de ce réseau.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Jean-Louis Bensoussan et Jean-Marie Cohen prêtent serment.

M. François Autain, président - Vous êtes médecins experts. Vous devez satisfaire aussi à une autre obligation. Cette audition est publique. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, nous vous demandons de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Cette disposition date de 2002 et le décret d'application a été publié en 2007. A chaque fois que vous intervenez à la radio, que vous signez des articles, vous ne devez pas oublier de donner vos liens d'intérêts.

M. Jean-Marie Cohen - Je suis le cofondateur avec MM. Claude Amine et William Dave du réseau GROG et j'en suis le coordinateur national depuis qu'il existe. Depuis 2007, je suis salarié à mi-temps, comme directeur de l'Association réseau des GROG. Dans le cadre de ce contrat, je n'ai aucune indemnisation autre que celle-là.

Par ailleurs, je suis salarié pour un autre mi-temps dans une infrastructure qui s'appelle Open Rome Organize and Promote Epidemiological Networks (Réseau d'Observation des Maladies et des Epidémies). Je suis salarié à mi-temps de cette structure qui n'est possédée que par des salariés ou des gens qui travaillent dans la fonction publique. Aucune personne morale n'est actionnaire de cette petite structure et les firmes privées à but lucratif représentent moins de 30 % de son budget.

Quand, pour des raisons administratives ou comptables, quelqu'un demande un conseil à titre personnel à cette structure, les sommes reçues sont intégralement reversées à la structure. Tout cela pour vous dire que je pense n'avoir aucun conflit d'intérêts.

M. François Autain, président - Il s'agit de liens d'intérêts.

M. Jean-Marie Cohen - De temps en temps, nous allons à des congrès en tant que scientifiques. Ce ne sont jamais des voyages d'agrément. C'est toujours dans les termes de la loi, c'est toujours déclaré et vérifié par le Conseil national de l'Ordre, et c'est public.

Concernant les financements du réseau des GROG, comme salarié, je pourrais avoir un lien indirect en disant qu'il y a des gros laboratoires qui paient les GROG et qu'on est sous influence indirecte. Le financement du réseau des GROG est assuré à 77 % par l'InVS, c'est le chiffre 2009 ; 23 % proviennent de l'Institut Pasteur de Paris sur un compte cogéré par l'Institut Pasteur et par le réseau des GROG.

Pour être certain qu'il n'y ait pas de difficultés, on cosigne tous les contrats que l'Institut Pasteur signe avec les financeurs pour alimenter ce compte. Parmi les financeurs, il y a des laboratoires pharmaceutiques. La liste est publique et se trouve sur le site des GROG, elle est sur tous les bulletins des GROG depuis leur création, c'est-à-dire 1984. Je peux vous donner les montants et les sommes si cela vous intéresse.

Vous pouvez peut-être vous demander pourquoi des laboratoires paient cela via l'Institut Pasteur. Ils le paient pour leur information interne. Dans les conventions, il leur est interdit d'influencer les contenus des activités menées par le réseau, mais surtout il leur est interdit d'utiliser les informations émises par les GROG dans des documents publicitaires. Nous avons refusé deux laboratoires pour cette raison : le premier était un laboratoire qui vendait du vaccin homéopathique. Nous l'avons refusé parce que nous étions persuadés qu'ils allaient utiliser l'image des GROG pour promouvoir leurs produits. Ils ne l'avaient pas fait, mais nous étions convaincus qu'ils allaient le faire. On a également refusé un autre laboratoire parce qu'il avait utilisé un bulletin du GROG pour vendre un des médicaments qu'il fabrique.

Tels sont mes liens d'intérêts. Si vous avez besoin de données chiffrées, de doubles de contrats, on vous les donnera, Il n'y a aucun problème.

M. François Autain, président - Votre déclaration nous satisfait.

M. Jean-Louis Bensoussan - Pour ma part, je n'ai pas de liens au sens de la loi. J'ai déclaré des conflits d'intérêts au moment où on me les a demandés, puisque je suis médecin généraliste en exercice libéral depuis 1983. J'interviens dans un certain nombre de structures. Je suis expert à la Haute Autorité de santé (HAS) de temps en temps pour certains dossiers. Je suis expert à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) aussi, à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES). Pour chacune de ces participations, j'ai procédé à une déclaration publique d'intérêts.

En ce qui concerne la grippe, en 2009, j'ai perçu, pour une réunion d'experts organisée par Roche, une indemnisation. Quand je vais dans ces réunions, je perds une journée de travail, étant en libéral. J'ai également perçu en 2009 des honoraires pour une étude épidémio-virologique que nous faisons avec une structure qui se trouve, je crois en Belgique. C'est une étude internationale, financée par Roche. Mon intermédiaire n'est pas Roche mais cette structure. Pour l'année 2008 qui m'a été rémunérée en 2009, j'ai réalisé dix dossiers qui sont des dossiers avec trois consultations chez ces patients avec des prélèvements virologiques. On suivait l'évolution et la présence du virus dans les sécrétions nasales chez les patients présentant une grippe clinique avec ou sans traitement.

M. Jean-Marie Cohen - Je crois que la loi n'y oblige pas, mais il est important que vous le sachiez, car cela peut avoir une influence par rapport à ce que je vais dire. J'ai personnellement deux liens d'intérêts majeurs : l'un avec l'Institut de veille sanitaire (InVS) et la Direction générale de la santé (DGS), puisqu'ils apportent quasiment 80 % du budget qui permet au réseau des GROG de me verser un salaire. Je ne peux donc pas en dire du mal de façon trop violente ; encore qu'il m'est arrivé de dire ce que je pense.

Deuxième point encore plus important : le réseau des GROG ne fonctionne que parce qu'il y a plusieurs milliers de vigies bénévoles. Si les médecins, les pharmaciens du réseau estiment quand je parle d'eux que je leur nuis, ou que je ne reflète pas ce qu'ils pensent, cela peut tuer notre réseau, car ils peuvent partir. Je suis en permanence très vigilant à bien exprimer ce que eux auraient envie de dire. Vous le verrez peut-être tout à l'heure, dans mes réponses, mais il faut que vous sachiez cela.

M. François Autain, président - Cela étant dit, quel est celui d'entre vous qui veut commencer ?

M. Jean-Louis Bensoussan - Je vais commencer car je voudrais vous expliquer comment fonctionne le réseau et quels sont les médecins libéraux dans ce réseau des GROG. J'ai intégré le réseau en 1990 et j'ai créé l'Association GROG Midi-Pyrénées en 1991. Comme je le dis souvent, je « baigne dans la grippe » depuis pas mal de temps, après avoir fait également des essais cliniques, puisque j'ai un diplôme spécialisé sur les essais thérapeutiques. Quand on a monté les GROG avec M. Jean-Marie Cohen et d'autres, on a mis en place un réseau de médecins libéraux, avec des pharmaciens et un certain nombre d'autres structures. Je vais parler de ce que je connais le mieux, de ce que je fais en tant que médecin-vigie du GROG et de ce que font mes confrères.

Du mois d'octobre au mois d'avril, pendant toutes ces semaines, ils recueillent un certain nombre de données épidémiologiques, à savoir le nombre d'actes, le nombre d'arrêts de travail, le nombre d'infections respiratoires aiguës par tranche d'âge. Ils réalisent, ce qui est notre spécificité, des prélèvements virologiques qui sont transmis aux centres nationaux de référence - vous avez eu M. Bruno Lina tout à l'heure - ou aux laboratoires de virologie.

C'est le seul élément en France qui permet aujourd'hui de savoir quand apparaissent les virus grippaux, quand ils se développent, quand on atteint le pic pandémique, quand le pic baisse, quand l'épidémie disparaît. Ensuite, en queue d'épidémie, on peut constater des variants ou des variations de virus.

C'est à la fois un système proche des patients et qui donne des éléments extrêmement précis. Ainsi, pendant la pandémie H1N1, alors qu'il y avait une augmentation considérable du nombre de consultations dans les cabinets de médecine générale et que la presse disait que c'était la grippe A (H1N1)v, le réseau des GROG a annoncé en septembre que ce n'était pas la grippe. Nous faisions des prélèvements et il n'y avait pas de virus H1N1. A contrario , pour novembre et décembre, nous avons dit que nous commencions à trouver du H1N1. Ensuite, nous en avons trouvé de plus en plus, jusqu'à en trouver 100 % sur les prélèvements que nous faisions au quotidien.

On a vu cette courbe croître de façon exponentielle. De la même façon, on a vu la courbe diminuer très vite, à partir du moment où la campagne de vaccination s'est accélérée et que les Français sont allés se faire vacciner, peut-être aussi par d'autres phénomènes que M. Bruno Lina a dû vous expliquer bien mieux que moi. Voilà en quoi le réseau des GROG est important.

Je suis médecin généraliste, mais je pense que mon rôle est aussi d'aller dans les structures privées afin de faire passer le message de ce que les médecins vivent au quotidien, comment ils perçoivent les messages à la fois transmis par les ministères, mais aussi ceux qui viennent de laboratoires. Il s'agit d'apprécier aussi la faisabilité et l'applicabilité des mesures qui sont prises.

J'ai été souvent le seul dans le Comité de lutte contre la grippe à dire : « Attention, ce que nous faisons, les médecins libéraux vont mal le vivre et mal le percevoir. »

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été entendu.

M. Jean-Louis Bensoussan - Je l'ai été un tout petit peu.

M. François Autain, président - On ne s'en est pas aperçu.

M. Jean-Louis Bensoussan - C'est un peu grâce à moi si on a pu entendre ce message sur toutes les chaînes de radio et de télévision : « Si vous avez de la fièvre, consultez votre médecin traitant, ou en cas de signes graves appelez le 15. » Je pense y avoir été pour quelque chose. Je vous l'accorde, c'est très insuffisant.

M. François Autain, président - Les médecins traitants ont été submergés par les appels téléphoniques. Il fallait qu'ils répondent. Ils n'ont pas tellement apprécié.

M. Jean-Louis Bensoussan - Je le vivais au quotidien. Dès les mois d'avril et mai, la quasi-totalité des patients examinés en consultation, puis ensuite la totalité, nous posaient des questions sur la grippe, la vaccination, le traitement : que faire si mon enfant a de la fièvre ? Dois-je venir ou pas ? Ceci a été systématique.

Ceci n'a pas été entendu ni reconnu. Je pense avoir rempli en partie mon rôle, que ce soit dans le GROG ou dans les différentes structures de formation ou syndicales auxquelles j'appartiens. Mes collègues ne m'ont pas tenu rigueur du peu de cas qui avait été fait des médecins libéraux. Ils m'accordent toujours leur confiance, mais je sais que je ne suis pas allé assez loin dans ma tâche.

M. François Autain, président - Les rapports de force vous étaient défavorables.

M. Jean-Louis Bensoussan - Je le pense aussi.

M. Jean-Marie Cohen - Je profite du fait que c'est une commission publique, que tout va être noté, qu'il va y avoir une trace, pour vous faire passer plusieurs messages.

La grippe est un bon révélateur du fossé qui sépare les soignants de ville, les autorités et les chercheurs. Je pensais que c'était un fossé mais c'est un gouffre dramatique pour les finances du pays.

Que s'est-il passé pour la campagne de vaccination ? Comme vous l'avez dit, les médecins ont été noyés par les questions posées par leurs patients sur le vaccin pandémique, ou plus généralement sur la pandémie pendant trois mois et demi. Malgré cela, ils n'ont pas été en mesure de faire en sorte qu'il y ait une opinion positive sur cette campagne. Cela a fait échouer la campagne. Tout ce que les parlementaires essaient de faire pour la sécurité sociale échoue ou va échouer à cause de cela. Peut-être y a-t-il d'autres causes, mais c'est un obstacle colossal. Il faut que les parlementaires français s'intéressent à cela de façon très forte. Ce sont des situations d'urgence dramatiques.

Je voudrais vous faire passer un deuxième message : il y a un système extrêmement pervers dans la façon dont l'Etat recourt à des experts. C'est extrêmement pervers pour la raison qu'il ne les paie jamais. Il considère qu'un fonctionnaire peut être convoqué quand on veut, comme on veut. Or, un chef de service hospitalier, quand il est à une commission au ministère, il n'est pas dans son service.

L'Etat fait payer les autres pour ses experts. La conséquence est que les soignants libéraux sont très rarement experts, parce que c'est un « luxe » pour eux de perdre une journée de travail. Cela leur coûte beaucoup trop cher. Il y en a très peu. Ne peuvent venir que des gens qui sont payés par ailleurs pour cela, c'est-à-dire qui sont un peu en situation de conflit d'intérêts. Je pense que le responsable numéro un est l'Etat.

Je voudrais vous faire passer un troisième message.

M. François Autain, président - C'est intéressant. Poursuivez.

M. Jean-Marie Cohen - Le budget de la recherche médicale française est limité. Je ne parle même plus du GROG. Je vous parle de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

M. François Autain, président - La recherche en général ou la recherche sur la grippe ?

M. Jean-Marie Cohen - Je parle de la recherche médicale. Dans les budgets de recherche, il est très rare qu'une part serve au financement de déplacements dans les congrès. Par exemple à l'InVS, il est très mal vu d'aller dans un congrès. Je ne suis pas à l'InVS. Je ne prêche donc pas pour moi, je prêche pour les autres. A l'InVS, quand quelqu'un veut se rendre à un congrès, on considère qu'« il part en vacances aux frais de la princesse ». C'est une erreur majeure car les chercheurs français en sciences médicales ne peuvent pas suffisamment montrer ce qu'ils font. Du coup, face aux budgets de recherche de l'Union européenne ou des firmes privées, ils apparaissent comme la « cinquième roue du carrosse ».

Je vous donne un exemple concret : la prochaine « grand-messe » sur la grippe qui a lieu une fois tous les quatre ans, Options for control of Influenza, se déroule cette année en septembre à Hong Kong. Qui va pouvoir aller à Hong Kong ? Au GROG, on a fait le tiers des prélèvements grippe en Europe en médecine ambulatoire. On n'a pas prévu un centime pour aller là-bas. Soit on fait appel aux laboratoires, soit on n'y va pas. Si on n'y va pas, que va-t-il se passer ? D'autres pays européens vont présenter nos données et vont récupérer les budgets de recherche.

J'ai donc un quatrième message. A aucun moment, personne, y compris moi, pendant les dix années de préparation au risque pandémique, - car nous avons commencé à travailler sur le plan pandémique depuis 1993 -, n'a dit qu'il faudrait que les médecins de ville et les pharmaciens s'organisent en liaison avec les préfets, avec le ministère de la défense, pour que puisse être mis en place rapidement un dispositif opérationnel de vaccination de masse.

C'est possible techniquement, mais cela demande une vraie préparation. Ce n'est pas simple à faire. Il faut du temps, il faut vraiment y réfléchir. En trois ans, on aurait pu l'organiser, ce qui aurait probablement évité beaucoup d'erreurs. J'évoquerai d'autres points par la suite.

M. François Autain, président - Vous croyez que cela suffit ?

M. Jean-Marie Cohen - J'ai d'autres propositions dont je souhaite vous faire part. Il m'intéresserait que vous alliez questionner l'éditeur qui, il y a quelques années, a mentionné sur la couverture d'un livre que la grippe aviaire causerait 500 000 morts.

M. François Autain, président - Il s'agit de MM. Jean-Philippe Derenne et François Bricaire.

M. Jean-Marie Cohen - Je pense que ce n'est ni M. Jean-Philippe Derenne ni M. François Bricaire qui ont mis ce titre. C'est l'éditeur. Le livre ne « cassait pas trois pattes à un canard », au contraire de la couverture. Il a fallu oeuvrer pendant deux ans pour faire comprendre que la grippe aviaire est une maladie animale et que les 500 000 morts étaient un chiffre tiré de l'imagination de l'éditeur.

M. Alain Milon, rapporteur - Ne pensez-vous pas que c'est justement parce que l'éditeur s'est aperçu qu'il n'y avait rien dans le livre qu'il a choisi ce titre, car il voulait quand même le vendre ?

M. Jean-Marie Cohen - Nous avons dû beaucoup travailler avec Mme Jeanne Brugère-Picoux pour contrecarrer ce message. C'était vraiment dur. On est passé d'un extrême à l'autre en disant : « On va tous mourir » à « C'est rien du tout » .

M. François Autain, président - Au début, on était sur la base du H5N1.

M. Jean-Marie Cohen - Personne n'a jamais évalué le nombre de morts à 500 000.

M. François Autain, président - Fin août, dans un journal de référence qui paraît le soir, on titrait : « La mortalité de grippe H1N1 sera 200 fois supérieure à celle de la grippe saisonnière » . Là encore, le titre ne correspondait pas forcément au contenu de l'article. C'est un peu comme le livre, mais qu'y pouvons-nous ? Pas grand-chose.

M. Jean-Marie Cohen - C'est ce qui me frappe aujourd'hui. Les blogs, ou d'autres supports, diffusent un discours qui tient en quatre points : premièrement, la pandémie n'existe pas, c'est une invention, c'est une vague épidémie saisonnière, un peu différente ; deuxièmement, tout ce qui a été proposé, vaccins et antiviraux, ne sert à rien et est dangereux ; troisièmement, les experts ont menti parce qu'ils étaient « achetés » par les laboratoires pharmaceutiques ; quatrièmement, c'était pour faire gagner de l'argent à l'industrie pharmaceutique.

Sur l'ampleur de la pandémie qui n'existe pas, je pense qu'on ne sait pas encore tout et que de nombreux travaux sont en cours pour essayer d'évaluer l'inefficacité et la dangerosité des antiviraux. J'ai néanmoins l'impression que les cas de syndromes de Guillain-Barré annoncés sont limités et que les antiviraux, pour l'instant, n'ont pas causé d'effets secondaires graves. Sur la dangerosité, des mensonges éhontés ont été diffusés.

M. François Autain, président - Vous reconnaissez la dangerosité pour l'oseltamivir. Il y a une controverse.

M. Jean-Marie Cohen - Il y a une controverse non seulement sur l'oseltamivir, mais sur beaucoup d'autres choses. C'est une proposition que je voulais vous faire à la fin de mon intervention. Il serait intéressant que les sociétés savantes qui sont concernées par la pandémie, les sociétés de réanimateurs, de pneumologues, d'infectiologues, d'épidémiologistes, organisent des journées scientifiques et confrontent leurs travaux.

Pour tout vous dire, on est en train d'essayer d'organiser un tel colloque : plusieurs sociétés savantes ont répondu par l'affirmative. On ne sait pas si on est capable de le faire début juillet ou en septembre, compte tenu de l'ampleur du travail que cela représente. La proposition que je voulais vous faire est peut-être de le faire au Sénat.

M. François Autain, président - Personnellement, je n'y vois que des avantages. Je pense que le Sénat sera sans doute très honoré d'accueillir un tel colloque.

M. Jean-Marie Cohen - Il faut qu'on le structure et qu'on vous annonce ce que c'est. En ce moment, on est en train de se dire qu'on peut éclairer ces controverses à partir de communications scientifiques faites sérieusement.

M. François Autain, président - Ce problème est technique, c'est une question de logistique. Monsieur le rapporteur, vous avez des questions à poser.

M. Alain Milon, rapporteur - Mes questions vont porter sur ce que vous avez dit, monsieur Jean-Marie Cohen, plutôt que sur ce que j'avais préparé. Vous avez déclaré avoir des liens d'intérêts avec l'InVS, la DGS. Dans ce cas, M. François Autain et moi-même avons des liens d'intérêts avec le Sénat. Ce que je veux dire, c'est que nous ne pouvons pas considérer que ce sont des liens d'intérêts. Je ne considère pas cela comme étant des liens d'intérêts. C'est un employeur. Quelque part, c'est l'employeur qui vous permet de vivre et de travailler.

M. Jean-Marie Cohen - Cela a une influence certaine. Il est évident que nous avons un certain nombre d'idées qui sont modifiées par le fait qu'on travaille étroitement avec l'InVS.

M. Jean-Louis Bensoussan - J'ai un exemple par rapport à cela. Je faisais référence tout à l'heure au mois de septembre pendant lequel on pensait qu'il y avait une épidémie de grippe. L'InVS, écoutant d'autres réseaux de médecins, titrait alors : « C'est la grippe » . J'ai eu, je ne sais combien d'appels de radios, de télévisions, de médias, pour me demander de confirmer ces données. J'ai appelé M. Jean-Marie Cohen pour lui demander son opinion. Il m'a dit qu'il n'y avait pas de virus de la grippe en circulation, que c'était un rhinovirus. Quelque part, on a eu du mal à aller à l'encontre de ce que l'InVS disait à ce moment-là, pendant deux semaines.

On se disait que si on l'annonçait, on sortait peut-être de notre rôle mais que, pourtant, il fallait bien dire que ce n'était pas de la grippe.

M. Alain Milon, rapporteur - M. Bruno Lina a bien parlé tout à l'heure de rhinovirus. La première partie de l'épidémie n'était pas une épidémie de H1N1. Il a dit que le H1N1 est arrivé et qu'il est monté en puissance extrêmement rapidement. Ce qui veut dire qu'au départ, si nous avions considéré - c'est une interprétation personnelle - qu'il n'y avait plus de rhinovirus et que nous ne devions pas nous affoler, nous n'aurions pas été prêts au moment du pic de H1N1. Le H1N1 est arrivé tout de même. Combien de temps a-t-il mis pour arriver au plus haut ? Etions-nous prêts à ce moment-là au niveau du plan pandémique pour répondre à la pandémie grippale ? Je mets à part le problème des généralistes et des pharmaciens d'officine dont je vous reparlerai après.

M. Jean-Marie Cohen - Le virus grippal circule en France depuis bien avant septembre 2009. On a commencé à avoir du H1N1 dès le mois de mai ou de juin.

M. François Autain, président - Vous parlez du virus qui a été découvert au Mexique.

M. Jean-Marie Cohen - Oui. Il était responsable d'une part très minime des infections respiratoires aiguës, mais il y a eu par contre une crainte collective face au risque pandémique ; Google Trends reflète très bien l'angoisse de la population. Google Trends Grippe est monté en flèche à partir du 10 septembre à peu près.

Par ailleurs, nous avons mis au point un autre système pour recenser les publicités relatives aux ventes de médicaments sur Internet. On a vu les offres de Tamiflu flamber. On sait que ce sont quasiment toujours des contrefaçons. Il y avait un risque majeur. L'autre risque était que les gens achètent du Tamiflu pour rien en pharmacie.

J'ai oublié de le dire précédemment, je le dis maintenant. Le laboratoire Roche faisait une conférence mondiale à Bâle. Ils avaient prévu de faire un point de presse France. Ils avaient invité quelques journalistes dont je pourrai vous donner la liste si vous le voulez. Je leur ai demandé si je pouvais venir à cette conférence pour présenter la vision des GROG de l'épidémie de grippe en France. Ils ont accepté.

C'est un lien d'intérêts ou un conflit d'intérêts, je ne sais pas comment on peut le qualifier. Cela a été important. Il y avait l'Agence France-Presse (AFP) et la radio RTL. Cela a été repris et cela a eu un effet de désamorçage.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans votre analyse, vous avez parlé de la non-implication ou de l'absence d'implication suffisamment forte des généralistes et des pharmaciens d'officine. C'est ce que tout le monde constate un petit peu maintenant. Il y a eu une mauvaise volonté de la part du Gouvernement d'impliquer les généralistes dans l'activité vaccinale. Il y a eu ensuite peut-être également une certaine mauvaise volonté de la part des généralistes, qui n'avaient pas été impliqués, de faire leur travail de médecin et d'orienter leurs malades vers des centres de vaccination. Pensez-vous qu'il y a des leçons à tirer de cette pandémie ?

M. Jean-Marie Cohen - Je fais une analyse un petit peu différente. C'est presque pareil, mais il y a des petites nuances qui sont de vraies différences. Je pense que le Gouvernement n'avait pas d'autre choix que de ne pas passer par les généralistes, parce qu'ils n'étaient pas prêts.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est le constat que vous faites.

M. Jean-Marie Cohen - C'est mon constat qui est peut-être influencé par le fait que je parle beaucoup avec eux. Le deuxième point que je constate est que le message n'est jamais passé. En période pandémique, pendant une première vague, un vaccin contre la grippe pandémique est un privilège. C'est une denrée rare.

M. François Autain - 94 millions de doses !

M. Jean-Marie Cohen - Il s'agit de 94 millions de doses annoncées. En octobre-novembre, il n'y en avait pas 94 millions sous le coude. Une donnée clé a joué un rôle très important, sans que personne ne puisse le relever officiellement : en cas de vague pandémique, il n'y a pas de vaccin pandémique pour tout le monde ; il y en a même peu.

M. François Autain, président - Les virologues avaient plus peur que la population.

M. Jean-Marie Cohen - C'est vrai, mais si la ministre avait dit qu'il n'y en aurait pas pour tout le monde, elle aurait déclenché une panique. Elle ne pouvait pas le dire. Par ailleurs, elle ne savait pas quand et combien elle allait avoir de doses. Peut-être allez-vous entendre les industriels.

M. François Autain, président - C'est fait, mais un seul.

M. Jean-Marie Cohen - J'ai compris que cela allait être une denrée rare. Gérer une denrée rare qui devait être donnée à des groupes particuliers, par exemple les femmes enceintes, est une tâche compliquée. Il est compliqué pour un généraliste de n'organiser une séance de vaccination que pour des femmes enceintes. Il aurait fallu avoir un système très organisé. Du côté des préfets et du Gouvernement, ils se sont attachés à la logistique et se sont dit que les généralistes n'y arriveraient jamais.

M. François Autain, président - On voit le résultat.

M. Jean-Marie Cohen - J'ai demandé à des médecins généralistes et syndiqués s'ils voulaient que je me batte pour que la vaccination se fasse en ville. M. Jean-Louis Bensoussan s'était déjà bagarré avant. J'ai été invité un soir à dîner avec quelques « experts » par la ministre de la santé. Je savais qu'on allait parler de cela. Je leur ai demandé avant s'ils voulaient que je me batte pour cela. Ils m'ont dit que ce n'était pas la peine, que cela allait échouer et qu'après ils pourraient montrer qu'ils sont indispensables. De toute façon, le choix était fait. Lors de ce dîner, nous en avons parlé. J'ai dit qu'il était dommage de ne pas associer les généralistes, qui vaccinent contre la grippe saisonnière et qui n'allaient pas le faire pour la grippe pandémique, que personne n'allait rien y comprendre.

M. François Autain, président - Une grippe pandémique qui a réussi devient une grippe saisonnière. Donc tous les espoirs sont permis.

M. Jean-Marie Cohen - Certains médecins du GROG sont capitaines des pompiers. Ils vaccinent en tant que capitaines des pompiers et ensuite, quand ils sont dans leur cabinet, à cinq cents mètres, ils ne peuvent plus le faire. Comment expliquer cela ?

M. François Autain, président - Ils n'ont pas compris.

M. Jean-Marie Cohen - La réponse qui m'a été faite avait au moins le mérite d'être claire : on vaccine contre la grippe saisonnière chez le médecin de ville et contre la grippe pandémique, on le fait dans un cadre spécial.

M. François Autain, président - Il y aura donc une pandémie tous les deux ans.

M. Jean-Louis Bensoussan - Je vais apporter des éléments et M. Jean-Marie Cohen le sait, je ne vais pas être en accord complet avec ce qu'il vient de dire. Quand on dit que les médecins généralistes n'étaient pas prêts, ils n'étaient pas préparés à faire face à une pandémie de type H5N1 où les gens étaient gravement malades, à passer leur journée avec un masque FFP2 - à changer toutes les quatre heures -, à porter une combinaison, à avoir deux salles d'attente. Ils n'étaient pas prêts pour une pandémie de type H5N1.

En revanche, je me souviens encore de la conversation que j'ai eue le 12 juin aux Journées nationales d'infectiologie à Lyon avec le professeur Bruno Marchou, chef des maladies infectieuses de Toulouse. A Toulouse, on venait d'avoir le premier cas groupé dans un collège, le collège de Quint-Fonsegrives. M. Bruno Marchou a eu tous les enfants de ce collège hospitalisés. Le 12 juin, je l'ai croisé dans les couloirs du Palais des congrès de Lyon. Il m'a dit : « J'en ai assez d'avoir des rhumes qui m'empêchent de soigner les vrais malades. Il faut que vous, les généralistes, vous les preniez. Maintenant, on est sûr que cette grippe n'est pas du H5N1, elle ne va pas être aussi mortelle, aussi grave. Ce sont des patients pour vous. Vous nous envoyez les cas qui s'aggravent, mais c'est à vous à les suivre. »

On a eu une réunion du Comité de lutte contre la grippe quelques jours après et j'ai dit que cela suffisait. On était le 12, le 13 ou le 14 juin. Il a fallu attendre le 24 juillet avant que la ministre décide que les généralistes pouvaient prendre en charge les patients. Ce sont des délais énormes.

Les médecins généralistes étaient « dépités » et ils se sont dit : tout le monde est en train de dire que c'est un rhume, une banale grippe, même s'il y a quelques morts chez les enfants et chez les jeunes que l'on n'a pas l'habitude de voir pendant les épidémies de grippe saisonnière. Nous généralistes, nous sommes capables de diagnostiquer ces cas, de les voir s'aggraver avec des difficultés respiratoires ou autres. On peut les hospitaliser. Hospitaliser systématiquement un enfant avec une moindre fièvre - comme on continuait à nous dire de le faire ! - on ne l'a pas fait, heureusement, sinon les hôpitaux auraient « explosé ».

Le monde libéral était perdu à la cause. Ensuite, sont survenus quelques cas graves, notamment celui de ce jeune homme de Saint-Etienne mort en trente-six heures, qui s'est effondré en arrivant à la porte de l'hôpital. Cette information, reprise par les médias, a déclenché l'affluence dans les centres de vaccination. Là, les médecins se sont dit que c'était peut-être un peu plus grave qu'on ne l'avait dit. Il s'est passé quelque chose, la vaccination a démarré. C'était au mois de novembre. Durant quatre ou cinq semaines, les centres de vaccination ont été bien remplis. La télévision montrait les files d'attente.

Ensuite, il y a eu une nouvelle fois un décalage. Nous savions qu'il y avait suffisamment de vaccins. Il commençait notamment à y avoir des monodoses. On aurait très bien pu être associés à la campagne ; garder les centres de vaccination et dire aux médecins qui le souhaitaient de vacciner les personnes âgées qui ne pouvaient pas se déplacer. On avait des monodoses. Certes dans de faibles quantités, mais il y en avait. On aurait pu en distribuer aux médecins généralistes volontaires. Là encore, je l'ai proposé. On nous a dit que ce n'était pas possible. Il a fallu attendre. Ce sont de tels décalages qui ont jeté le discrédit.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, avez-vous des questions ?

M. Alain Milon, rapporteur - Les réponses qui ont été données recouvrent les questions posées. Je voudrais revenir une fois encore sur la vaccination. Les monodoses ne sont pas arrivées tout de suite. Sur les 16 millions de doses qui avaient été commandées à Novartis, il n'y avait que 6 millions d'unidoses. Le Pandemrix GSK (GlaxoSmithKline) était en multidoses uniquement. Il y a eu 50 millions de multidoses. Pour Sanofi Pasteur, 19 millions de doses étaient commandées et il n'y avait que des multidoses essentiellement. Les unidoses sont arrivées tardivement.

Je le regrette moi aussi, comme vous. J'ai été médecin généraliste. J'aurais bien aimé pouvoir, si j'avais exercé, être un acteur de la vaccination. Honnêtement, il n'y avait pas beaucoup d'unidoses. Les laboratoires et les scientifiques ont dit que c'était une des raisons qui ont fait que la ministre a eu des mots malheureux en disant que les médecins généralistes n'avaient pas de réfrigérateur, donc qu'ils ne pouvaient conserver les produits. En dehors de cela, il y a des raisons techniques de non-distribution des vaccins chez les médecins.

M. Jean-Marie Cohen - Je vous donne une impression. Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est juste une impression. J'ai l'impression que le Gouvernement a voulu faire bien et qu'il s'est dit que cela allait être très compliqué d'avoir des vaccins rapidement, ce qui était vrai. A cela s'ajoutait la difficulté de définir un ordre de priorité de vaccination. Le Gouvernement a dû se dire : qui peut le plus peut le moins.

M. François Autain, président - Le mieux est quelquefois l'ennemi du bien.

M. Jean-Marie Cohen - C'est clair. Je pense qu'ils ont essayé en permanence de faire le mieux et le plus possible, mais la grippe est imprévisible. Beaucoup d'experts nous l'ont dit.

M. François Autain, président - Pourtant, ils n'arrêtent pas de faire des prévisions.

M. Jean-Marie Cohen - Ils les font avec plus ou moins de nuances. Je vois comment cela se passait en mai, juin, juillet. Il était extrêmement compliqué de savoir combien il fallait de doses. Il y a un point sur lequel je me dis que cela aurait pu être mieux. Je veux parler de la façon de libeller les contrats avec les producteurs de vaccins. Je pense que c'est un problème de juristes. Les juristes sont très forts pour rendre compliqué ce qui est simple et ils oublient parfois une évidence.

Vous avez dit que vous aviez été médecin, donc je suis rassuré. Il aurait été probablement possible d'insérer dans les contrats une clause disant : « on prend 94 millions de doses ou x millions de doses sous réserve qu'il faille deux injections, sinon on en prend la moitié. »

J'ai demandé à Sanofi Pasteur et à GSK pourquoi une telle clause n'a pas été prévue. Ils nous ont répondu : « De notre côté, nous n'y avons pas pensé et les autres ne nous l'ont pas demandé » . Il faudrait vérifier ce point.

M. François Autain - Il faudra vérifier cela en effet.

M. Jean-Marie Cohen - Dès le mois de mai, on trouvait qu'il était bizarre qu'avec un virus humain de sous-type connu, même s'il est extrêmement différent, on ait besoin d'injecter deux doses.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai une question à vous poser encore. Je voudrais savoir comment s'articule votre champ de compétences avec l'Institut de veille sanitaire, avec les réseaux Sentinelles, les Réseaux « Oscour ». Qui joue le rôle d'« ensemblier » épidémiologique de ces réseaux ?

M. Jean-Marie Cohen - En clair, on fournit une masse importante d'informations à l'Institut de veille sanitaire qui les intègre avec celles qu'il a en sa possession. Avec le réseau Sentinelles, depuis maintenant deux ans, on essaie de bâtir un certain nombre d'indicateurs communs pour que l'InVS puisse avoir un indicateur commun aux deux réseaux.

Je pense que l'indicateur choisi n'est pas le meilleur, mais c'était le seul faisable tout de suite.

M. Jean-Louis Bensoussan - Notre spécificité est, comme je l'ai dit, les prélèvements, ce que ne font pas les membres du réseau Sentinelles. Ils ne font que du recueil de données épidémiologiques. On a donc harmonisé cette année la définition de ce qu'on a appelé la « grippe clinique » pour avoir une notion commune.

Juste un mot sur la vaccination. Pour compléter ce qu'a dit M. Jean-Marie Cohen, il faudrait qu'on profite de cette « erreur » pour bâtir un véritable réseau de santé publique autour de la médecine de premier recours. Nous avons maintenant une loi que vous avez votée qui place le médecin généraliste en premier recours. Je ne sais pas si vous l'avez votée.

M. François Autain, président - Je ne l'ai pas votée ; il l'a votée.

M. Jean-Louis Bensoussan - Elle place le médecin généraliste de premier recours comme acteur de santé publique. Apprenons à mettre en oeuvre ce dispositif dorénavant. Presque tous les médecins généralistes sont aujourd'hui informatisés, ce qui peut faciliter le recensement des populations à risques.

Quand on me disait qu'on allait envoyer des convocations à l'entourage des enfants de moins de deux ans, cela m'a surpris. Comment la sécurité sociale peut-elle avoir le fichier de l'entourage des enfants de moins de deux ans ? Qu'on m'explique comment ils ont fait ! A part les parents, et encore ! Il y a des parents séparés, les grands-parents, les nounous, les voisins. Concernant un enfant de moins de deux ans, on peut vous donner la liste des dix, quinze ou vingt personnes qu'il fallait vacciner. On ne s'est pas servi de nous pour cela. Je ne suis pas en train de dire qu'il fallait qu'on fasse toute la vaccination, mais on aurait pu harmoniser les deux façons de procéder. Les médecins généralistes exercent aussi en groupes. Des flacons multidoses dans les cabinets de groupe n'auraient pas posé beaucoup de problèmes. On en aurait peut-être gaspillé un peu. C'était tout à fait possible.

Si on avait voulu impliquer les médecins généralistes, je crois qu'on aurait pu le faire. Je pense que par méconnaissance du milieu du monde libéral, notamment de la médecine générale par nos gouvernants, on est passé à côté de quelque chose. Il ne faudrait pas passer une nouvelle fois à côté. Il faut que nous travaillions ensemble. Cela nous sert de leçon et nous y travaillons.

M. Jean-Marie Cohen - J'ai encore un message très court. Je pense que, politiquement, il faut d'urgence se pencher sur les conditions de travail actuelles des médecins généralistes.

M. François Autain, président - Ce n'est pas véritablement l'objet de la commission.

M. Jean-Marie Cohen - Je peux vous dire qu'« on est en train de creuser notre tombe ».

M. François Autain, président - Oui, c'est la disparition du médecin généraliste. Nous sommes d'accord, hélas !

Merci messieurs de terminer cette audition un peu brutalement, mais nous n'avons pas le choix, malheureusement.

Audition de M. Daniel FLORET,
professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon,
président du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP)
(mercredi 31 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Daniel Floret, professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon, président du Comité technique des vaccinations (CTV) rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Daniel Floret prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître si vous avez des liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.

M. Daniel Floret - Mes liens sont publics. Je suis président du Comité technique des vaccinations et tous les membres du Comité technique des vaccinations font une déclaration de leurs liens d'intérêts. Je n'ai actuellement aucun lien avec l'industrie pharmaceutique. Je ne perçois pas d'argent de l'industrie pharmaceutique, mais j'ai travaillé avec l'industrie pharmaceutique, je ne le cache pas.

M. François Autain, président - Il y a combien d'années ?

M. Daniel Floret - Je suis président du Comité technique des vaccinations depuis 2007. J'avais déjà arrêté avant, puisque j'étais membre du Conseil supérieur d'hygiène publique de France. J'étais par ailleurs expert à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). Depuis très longtemps, je ne percevais pas d'argent de l'industrie parce que j'estimais que depuis 2000, ma déontologie, étant à l'AFSSAPS, puis au Haut Conseil de la santé publique (HCSP), m'interdisait de percevoir de l'argent.

M. François Autain, président - Depuis dix ans, vous n'avez plus de liens d'intérêts.

M. Daniel Floret - Je n'ai pas de conflits d'intérêts, c'est-à-dire que je n'ai pas de lien qui me crée des situations de dépendance. Je ne perçois pas d'argent de l'industrie, je ne fais pas de conseils, je n'interviens absolument pas avec l'industrie.

M. François Autain, président - Vous savez qu'il y a une nuance entre lien d'intérêts et conflit d'intérêts.

M. Daniel Floret - Je vais le développer.

M. François Autain, président - Dans la déclaration que vous avez faite, déclaration qui remonte au 30 octobre 2009, vous faites état d'un certain nombre de liens. Vous reconnaissez avoir eu des liens, mais le conflit d'intérêts, c'est autre chose. Nous ne vous posons des questions que sur les liens uniquement.

M. Daniel Floret - C'est ce que j'ai déclaré. Comme vous pouvez le voir, ces liens, notamment tout ce qui est travaux scientifiques, se sont arrêtés.

M. François Autain, président - Comme nous sommes pressés, nous les avons là. Ils sont publics. Si on avait eu le temps, on aurait pu demander pourquoi ils sont venus si tard.

M. Daniel Floret - Ils ne sont pas venus très tard, monsieur le président. Ma déclaration d'intérêts a été faite lors de ma prise de fonctions au CTV, et même avant. J'ai été au Conseil supérieur d'hygiène publique de France, je faisais une déclaration d'intérêts. J'étais à l'AFSSAPS, je faisais une déclaration d'intérêts.

M. François Autain, président - Je parle des membres du Comité technique des vaccinations.

M. Daniel Floret - Les membres du Comité technique des vaccinations ont fait leur déclaration d'intérêts à leur prise de fonctions.

M. François Autain, président - Je ne comprends pas pourquoi cela n'a été rendu public qu'en novembre 2009, qu'il ait fallu attendre fin 2009.

M. Daniel Floret - Il faut poser la question à qui de droit.

M. François Autain, président - A qui ?

M. Daniel Floret - A l'administration. Au secrétariat général du Haut Conseil de la santé publique. Tous les membres du CTV ont fait une déclaration d'intérêts à leur prise de fonctions. Je suis tout à fait formel là-dessus.

M. François Autain, président - Cela correspond à ce qui nous a été dit précédemment. C'est l'administration qui, semble-t-il, n'a pas fait son travail. Vous avez la parole, monsieur le président.

M. Daniel Floret - L'expertise sur la vaccination contre la grippe A (H1N1)v a été effectuée par le Comité technique des vaccinations et par la commission spécialisée des maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique.

Entre le 25 avril 2009 et le 31 janvier 2010, le CTV a émis douze avis en réponse à des saisines du directeur général de la santé. Ces saisines comportaient pour la plupart des questions multiples et complexes. Durant cette période, le CTV a tenu dix réunions plénières, la plupart exceptionnelles, c'est-à-dire non programmées auparavant. Ces réunions ont été suivies d'autant de réunions de la commission spécialisée des maladies transmissibles.

Devant l'évolutivité de la situation, la nécessité de répondre à des saisines en urgence et la disponibilité limitée des experts, le CTV a décidé de s'appuyer sur une structure qui existait auparavant : le Comité de lutte contre la grippe (CLCG), lequel assurait une veille sur la grippe, en regroupant de nombreux experts, dont six appartenaient au CTV et quatre appartenaient également à la commission spécialisée des maladies transmissibles. Les présidents de ces deux commissions, notamment, sont des membres de droit du Comité de lutte contre la grippe.

Ainsi il a été demandé au Comité de lutte contre la grippe de fonctionner comme un groupe de travail du CTV, dès lors qu'il examinait les problématiques des vaccins. De ce fait, les avis les plus importants ont été élaborés sur un système à trois niveaux avec une réflexion initiale au niveau du Comité de lutte contre la grippe : la discussion, la formalisation d'un projet d'avis par le CTV sur la base des travaux initiaux du Comité de lutte contre la grippe et la validation par la commission spécialisée de l'Assistance publique.

Je peux dire qu'à tous les niveaux, l'expertise a été collégiale et pluridisciplinaire. Cette expertise s'est appuyée à chaque étape sur les données épidémiologiques nationales et internationales, collectées par l'Institut de veille sanitaire (InVS) qui est membre de droit du CTV et qui est présent à chacune des étapes de l'expertise. L'AFSSAPS a également été présente en permanence à chacune des étapes, apportant des informations sur la progression des connaissances des vaccins pandémiques en développement, sur l'évolution de leur statut réglementaire au niveau européen, comme au niveau national.

Les structures ayant participé à l'expertise comportent des experts venant de tout bord, représentant toutes les spécialités intéressées au problème de la vaccination, avec notamment une balance recherche, qui a été concernée à travers des travaux de modélisations réalisés par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Quelles ont été les recommandations du CTV ? Elles ont été de cibler les sujets les plus exposés et les plus à risques de développer une forme grave, ceci en fonction des données épidémiologiques qui nous arrivaient au compte-gouttes des autres pays, et ensuite au niveau national.

La recommandation de pouvoir proposer la vaccination à tous ceux qui la souhaiteraient relevait du principe d'égalité, d'ailleurs avancé également par les comités d'éthique. L'hypothèse d'une vaccination obligatoire a été écartée d'emblée. Compte tenu de la mise à disposition progressive des vaccins, le CTV a dû se prononcer sur des ordres de priorité. Il a par ailleurs déterminé les populations à qui il devrait proposer un vaccin sans adjuvant et adapter les schémas vaccinaux au fur et à mesure de la connaissance des résultats des essais cliniques.

Les avis du CTV ont été élaborés au sein de réunions longues, difficiles, animées, au cours desquelles chacun a pu s'exprimer. Ces réunions ont terminé l'élaboration de textes quasi consensuels, puisque sur les votes au niveau du CTV il n'y a jamais eu un seul avis contre. Il y a eu au maximum deux abstentions. Les avis de la commission spécialisée des maladies transmissibles ont été pratiquement tous votés à l'unanimité.

Depuis les alertes pandémiques au virus H5N1, le Comité de lutte contre la grippe a auditionné périodiquement les quatre firmes pharmaceutiques engagées dans le développement des vaccins pandémiques. Ces auditions ont été organisées de manière tout à fait officielle, à l'initiative du Comité de lutte contre la grippe, et ceci dans le but de connaître, de la manière la plus actualisée possible, le stade d'avancement du développement des vaccins, les études en cours, les études programmées et le calendrier de disponibilité des résultats.

En tant que président du CTV, j'ai participé à certaines de ces auditions. Lorsque j'ai posé ma candidature à l'élection pour la présidence du CTV, j'ai proposé un plan d'action. Le point numéro un de ce plan d'action était la mise à plat de la problématique des conflits d'intérêts. Mon premier chantier au niveau de la présidence du CTV a été l'élaboration d'une charte de déontologie, une charte des conflits d'intérêts et la rédaction d'une grille d'analyse des déclarations d'intérêts, grille qui a été élaborée en s'inspirant largement de celle en vigueur à l'AFSSAPS, que nous avons plutôt durcie.

L'esprit de cette grille est de dire, comme vous l'avez dit monsieur le président, qu'il y a des liens et qu'il y a des conflits d'intérêts. Les experts ne sont pas devenus experts par l'opération du Saint-Esprit. Ils le sont devenus en travaillant sur le vaccin. En tout cas, pour ma génération, je ne vois pas comment on pouvait se former, devenir expert en vaccinologie, sans rencontrer l'industrie.

M. François Autain, président - Comment font ceux qui, dans votre comité, n'ont pas de liens ?

M. Daniel Floret - Ceux qui n'ont pas de liens ne sont pas nombreux. C'est un sociologue.

M. François Autain, président - Il y a au moins un vaccinologue. J'ai oublié son nom, mais je crois qu'il travaille à la revue Prescrire.

M. Daniel Floret - Je pense que c'est par ce biais qu'il est devenu expert en vaccinologie. C'est d'ailleurs un des membres très utiles et très écoutés du CTV, d'autant qu'il n'a pas de liens avec l'industrie.

M. François Autain, président - Il peut être expert quand même ?

M. Daniel Floret - C'est un des exemples.

M. François Autain, président - On peut être expert sur un vaccin sans forcément avoir des liens avec une entreprise ?

M. Daniel Floret - Tout le monde ne peut pas travailler dans la revue Prescrire.

M. François Autain, président - Je ne parle pas seulement de la revue Prescrire. 45 % des experts travaillant avec l'AFSSAPS n'ont pas de liens d'intérêts et ils ne travaillent pas tous à Prescrire. Sur la totalité, cela représente quelque 350 à 400 experts qui, aujourd'hui, peuvent être experts sans avoir aucun lien avec les laboratoires. On est confondu. Comment font-ils ? Comment peut-on être expert aujourd'hui, surtout un expert compétent, reconnu, sans avoir de liens avec l'entreprise ?

M. Daniel Floret - Monsieur le président, c'est tout à fait mon analyse.

M. François Autain, président - Excusez-moi, j'ai mal compris. Je pensais qu'il était difficile d'être expert, si on n'avait pas travaillé dans un laboratoire et si on n'avait pas des liens avec un laboratoire. Vous pensez que c'est possible ?

M. Daniel Floret - Encore une fois, M. Jérôme Sclafer en est un exemple, mais la plupart des cliniciens sont devenus experts en vaccinologie à travers des essais cliniques, des travaux scientifiques, des études épidémiologiques qui ont été financés par l'industrie.

L'avoir été est une chose, l'être encore alors qu'on est en expertise en est une autre. Je suis d'accord avec cela. Le travail que nous avons fait au niveau du Comité technique des vaccinations pour régler cette problématique des conflits d'intérêts était justement de dire : nous tenons compte du fait que beaucoup ont travaillé antérieurement avec l'industrie. Dès lors qu'ils sont au CTV, ils ne doivent plus travailler avec l'industrie. C'est ma position et c'est celle que j'ai toujours défendue au niveau du CTV. C'est la position que je me suis imposée à moi-même.

Je pense que le fait d'avoir des liens ou d'avoir travaillé antérieurement avec l'industrie, ne constitue pas en soi un conflit d'intérêts. Un conflit d'intérêts est un lien qui crée une situation de dépendance. Ce n'est pas parce qu'on a fait une étude épidémiologique, il y a cinq ans, avec une firme pour laquelle on n'a pas touché d'argent, qu'on est dépendant vis-à-vis de cette firme.

M. François Autain, président - Ce n'est pas seulement un problème d'argent.

M. Daniel Floret - Je suis d'accord, ce n'est pas seulement un problème d'argent, mais c'est quand même aussi un problème d'argent.

Chaque membre du CTV est astreint à déclarer annuellement ses conflits d'intérêts. Je répète qu'à la mise en place du CTV, tous les membres ont rempli cette fiche qui, effectivement, n'a été mise que très tardivement sur le site. C'est le fait de l'administration, mais nous avons rempli nos fiches.

M. François Autain, président - Il va falloir faire quelque chose, poser des questions. Pourquoi a-t-elle attendu ?

M. Daniel Floret - En outre, chaque séance plénière du CTV débute par un appel à déclarer ses éventuels conflits d'intérêts sur des sujets qui vont être mis au vote. Les sujets qui déclarent ce qui est estimé, selon la grille d'analyse, être majeur, ne peuvent participer aux discussions et aux votes. Ces procédures ont été respectées au CTV et à la commission maladies transmissibles lors de l'élaboration des avis sur la grippe A (H1N1)v. Si vous avez eu le temps de lire ces avis, vous avez pu voir que depuis septembre 2009, tous les avis votés par le CTV et la commission spécialisée des maladies transmissibles mentionnaient le nom de l'expert qui n'avait pas pris part au vote pour cause de conflit d'intérêts.

M. François Autain, président - C'est exact, je le confirme.

M. Daniel Floret - Je ne prétends pas avoir résolu la problématique des conflits d'intérêts. C'est une problématique extrêmement complexe et qui dépasse très largement le monde médical.

M. François Autain, président - Espérons que cela ne nous dépasse pas. Nous allons essayer en tout cas.

M. Daniel Floret - Je persiste à dire que vouloir exclure tout lien entre l'expertise et l'industrie n'est pas réaliste et nuirait à la qualité même de l'expertise ; en revanche, certains problèmes devraient trouver une solution, notamment celui qui est un vrai souci pour nous, la participation aux congrès médicaux.

Nous avons l'obligation d'assurer une veille sur les vaccins. Or, assurer une veille sur les vaccins signifie aller dans les grands congrès où on présente les vaccins, le congrès de l'ICAC (International Congress of Acarology) aux Etats-Unis, le congrès de l'ASIP (Agence des systèmes d'information partagés de santé) en Europe, etc. Je n'ai pas d'autres moyens, sauf à payer de mes propres deniers, que d'aller à ces congrès si je ne suis pas invité par l'industrie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez pu voir que, depuis un an et demi, je n'ai assisté à aucun congrès, tout simplement pour ne pas me mettre, en tant que président du CTV, en conflits d'intérêts. Je ne veux pas dire que ceci ait amélioré mes connaissances.

M. François Autain, président - Je disais sous forme de boutade que s'il n'y avait pas l'industrie pharmaceutique, il n'y aurait pas de congrès.

M. Daniel Floret - Absolument. Ce n'est pas qu'une boutade. C'est la réalité. Comment croyez-vous que les organisateurs financent les congrès ? C'est l'industrie. C'est une réalité. Pour ce qui nous concerne, nous demandons depuis très longtemps à ce que les frais de déplacement des experts se rendant aux congrès soient pris en charge autrement. Par exemple, mes homologues des Etats-Unis, de l'ASIP, lorsqu'ils vont au congrès de l'ICAC, sont en mission du CDC, et sont payés.

M. François Autain, président - Cela me paraît normal. Je suis étonné de ce que vous me dites, qu'on ne prenne pas en charge vos déplacements à un congrès.

M. Daniel Floret - C'est une réalité.

M. François Autain, président - Nous l'avons bien notée.

M. Daniel Floret - La problématique des conflits d'intérêts a été prise sérieusement en considération au niveau de la structure que j'ai l'honneur de présider. Vous avez cité M. Jérôme Sclafer qui est effectivement un « pur et dur ». Si vous lui demandez si les choses ont changé depuis quelques années, il vous dira que oui.

M. François Autain, président - Nous avons l'intention de l'auditionner.

M. Daniel Floret - Posez lui cette question. Nous avons été audités par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ; l'IGAS a reconnu que le CTV avait oeuvré dans le sens d'une plus grande transparence.

Je terminerai en me faisant l'interprète de quelques experts qui se sont investis d'une façon massive, qui ont travaillé sans relâche durant les six mois de cette crise sanitaire, et, j'ajouterai, bénévolement, qui ont beaucoup donné, et qui sont assez mortifiés des suspicions qui ont été jetées sur leurs produits.

M. François Autain, président - Ce sont des suspicions qui n'auraient pas lieu si on jouait la transparence et si on jouait carte sur table.

M. Daniel Floret - Je pense que nous l'avons fait.

M. François Autain, président - Vous avez été victimes d'un dysfonctionnement administratif. Normalement, l'administration aurait dû faire connaître publiquement ces liens d'intérêts bien avant novembre 2009. On a même l'impression que, sans la presse, on attendrait encore que ces liens d'intérêts soient publiés. Quel intérêt l'administration avait-elle à faire traîner cette publication ? Je ne comprends pas.

A l'Organisation mondiale de la santé (OMS), on s'aperçoit qu'il y a encore beaucoup d'opacité. Pourquoi pas au sein de nos administrations ? C'est une question qu'on posera au directeur général de la santé. Nous aurons sans doute l'occasion de le réauditionner. Je suis très étonné par ce que vous me dites. Je crois que les chercheurs doivent s'en prendre beaucoup à leur administration pour cette carence qui a été à l'origine de ces articles de presse qui n'étaient pas malveillants à l'égard de ces chercheurs, dont je suis le premier à reconnaître le mérite, mais qui étaient certainement suspicieux par rapport à cette opacité, ces silences qui pouvaient être mal interprétés. Si on veut que toutes les choses soient claires, jouons la transparence ; là, il n'y aura pas de problème.

M. Daniel Floret - D'emblée, il était dit que ces déclarations d'intérêts seraient publiques. Cela a été dit dès le départ. Que s'est-il passé entre temps ?

M. François Autain, président - Nous essaierons d'éclaircir ce mystère.

M. Daniel Floret - Je pense que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a eu beaucoup de difficultés à mettre en place son site Internet.

M. François Autain, président - Si c'est Internet !

M. Daniel Floret - La déclaration n'est publique que sur le site du Haut Conseil. Je pense qu'ils ont beaucoup de difficultés. Ce peut être une explication du retard.

M. François Autain, président - C'est une explication technique. Les chercheurs seraient victimes de la technique.

M. Daniel Floret - Je pense que la technique est sûrement une des causes, mais ce n'est pas moi qui vais répondre à cela. Il a été dit d'emblée que ces déclarations seraient publiques.

M. François Autain, président - Elles le sont maintenant. Avez-vous terminé ?

M. Daniel Floret - Oui, j'ai terminé.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le professeur, je vais vous poser quelques questions. S'il y a des problèmes techniques dans la mise en place du site Internet, Internet a joué un rôle considérable également dans la pandémie et dans la perception de la pandémie de la part de la population. Peut-être pas toujours dans le bon sens.

M. Daniel Floret - C'est quelque chose que nous n'avions pas du tout envisagé.

M. François Autain, président - Vous l'avez sous-estimé.

M. Daniel Floret - Complètement.

M. Alain Milon, rapporteur - Il était difficile de faire autrement. J'ai deux questions sur l'expertise. L'intervention de très nombreuses instances d'expertise a-t-elle permis, dans un contexte d'urgence, d'optimiser les conditions de prise de décisions ? Les compétences de chacun de ces organismes et leur composition sont-elles de nature à apporter une information plurielle et collégiale au décideur politique ou entraînent-elles un brouillage dans l'information ?

Dans le cadre de son audition devant la commission d'enquête, le directeur général de la santé a indiqué que pourrait être envisagé un repositionnement du Comité de lutte contre la grippe, notamment son intégration au HCSP. Partagez-vous cette analyse ?

M. Daniel Floret - Le Comité de lutte contre la grippe aurait pu être un comité d'éthique permanent du HCSP. Pourquoi cela ne s'est-il pas fait ainsi ? Je ne sais pas. En tout cas, l'IGAS a dit la même chose. C'est effectivement notre analyse.

Le fait d'avoir une expertise plurielle était sûrement le meilleur garant de la protection contre les conflits d'intérêts et aussi d'une vision assez large. Il est normal que les spécialistes de la grippe assurent une veille. Chacun a ses missions. Dès lors que l'on parle de vaccination, c'est la mission du CTV. Il fallait forcément que ces deux structures travaillent, mais qu'elles travaillent ensemble. Ce que nous avons fait puisque, encore une fois, nous avons décidé que le Comité de lutte contre la grippe, bien que crime de lèse-majesté, n'étant pas rattaché au Haut Conseil de la santé publique, pourrait travailler comme groupe de travail. C'était une décision pragmatique. En disant : nous travaillons dans l'urgence, nous ne pouvions pas nous permettre de demander à des experts qui siègent au Comité de lutte contre la grippe de venir après donner leur avis au CTV.

C'est une décision pragmatique et je pense que c'était une bonne chose. Cela aurait été mieux si le Comité de lutte contre la grippe avait été dans le Haut Conseil de la santé publique. C'est clair.

Par ailleurs, une pandémie vient d'une maladie transmissible. Il est assez normal de restituer cela dans un contexte plus vaste qui est la problématique des maladies transmissibles. Je pense que cette expertise en trois niveaux était une bonne chose. Il est vrai que cela a compliqué les choses. L'avis du CTV ne devient valide que lorsqu'il a été validé par le Haut Conseil de la santé publique. Il a fallu chaque fois organiser, dans les suites d'une réunion exceptionnelle du CTV, une réunion exceptionnelle du Haut Conseil, de façon à le faire valider dans des délais courts. Nous avons mobilisé les membres de façon très importante. Vous avez vu qu'ils sont venus.

Je suis très admiratif. Au mois de septembre, nous étions dix-neuf sur vingt dans les réunions exceptionnelles du CTV. Il y a eu une grande mobilisation des experts. S'il n'y avait pas eu cette motivation, cela se serait moins bien passé. En tout cas, cela ne s'est pas mal passé. A mon avis, il faut sûrement prévoir une organisation de la gestion des pandémies au niveau de l'expertise et une articulation entre l'expertise et le ministère. Les experts donnent un avis à la ministre qu'elle suit ou ne suit pas.

Quand elle le suit, pas de souci. Quand elle ne le suit pas...

M. François Autain, président - Il n'y a pas de souci non plus.

M. Daniel Floret - Sauf que cela fait dissonance car nos avis sont publiés. Si nous publions un avis et que la ministre dit le contraire derrière, cela fait désordre.

M. Alain Milon, rapporteur - Quel bilan peut-on dresser aujourd'hui de la pandémie H1N1, de son évolution dans les différents pays, de sa gravité ? Dès le mois de juin, le Haut Conseil de la santé publique soulignait que la morbidité et la létalité de la grippe H1N1 étaient modérées et proches de celles de la grippe saisonnière. Peut-on affiner cette comparaison entre la grippe H1N1 et les grippes dites saisonnières, dont la sévérité est d'ailleurs très variable ?

M. Daniel Floret - Le virus de la grippe est un virus complètement imprévisible. Actuellement, la grippe H1N1 a fait moins de morts qu'une grippe saisonnière, pour une raison très simple qui est que cette grippe n'a quasiment pas touché les personnes âgées qui sont les victimes habituelles de la grippe.

M. François Autain, président - Nous n'en sommes pas mécontents !

M. Daniel Floret - Ceci était totalement imprévisible et ceci peut changer. Personne ne sait ce que ce sera à l'automne prochain.

M. François Autain, président - Vous êtes cohérent. Vous dites que le virus est imprévisible et vous ne faites pas de prévision. Ce qui n'est pas le cas de tous vos collègues.

M. Daniel Floret - Il est vrai que c'est complexe. Il faut se dire que nous avons été amenés à donner des avis sur une grippe dont on ne savait pas ce qu'elle serait et sur des vaccins qu'on n'avait pas. Franchement, nous n'avons pas été à l'aise. Quand on regarde ce qui s'est passé, ce n'était pas vraiment ce que nous attendions. Qu'est-ce qui nous aurait permis de faire autrement ? Je ne sais pas bien, franchement.

M. Alain Milon, rapporteur - Au 18 janvier 2010, le Haut Conseil de la santé publique disait qu'il y avait 5 740 000 personnes qui avaient été vaccinées contre la grippe H1N1, soit 9 % de la population. En même temps, au 31 janvier 2010, 5,5 millions de personnes avaient répondu à une campagne vaccinale contre la grippe saisonnière organisée comme tous les ans par l'assurance maladie en direction de certaines populations à risques.

La comparaison entre les deux chiffres ne doit-elle pas conclure à s'interroger sur l'efficacité du dispositif de vaccination pandémique qui a été mis en place ? Une efficacité dont nous avons déjà parlé avec vos prédécesseurs.

M. Daniel Floret - Très honnêtement, nous n'avons pas été impliqués dans les modalités d'organisation de la vaccination.

M. François Autain, président - Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Floret - Il est clair que les malades ont confiance en leur médecin.

M. François Autain, président - Ceci est rassurant.

M. Daniel Floret - C'est vrai, mais d'un autre côté il faut reconnaître qu'il y avait de sérieuses difficultés pour dire que cette vaccination pouvait être faite comme les vaccinations habituelles. Il y avait des vaccins présentés en flacons multidoses. Ceci était compliqué pour des médecins généralistes. Au début, on disait qu'on pouvait garder le produit douze heures, entre le moment où on ouvrait le flacon et le moment où on utilisait le produit. Ce qui voulait dire que le médecin qui vaccinait deux clients dans la journée avait gaspillé plusieurs doses de vaccin.

Etant donné que les vaccins sont arrivés de manière progressive, nous avons dû donner des ordres de priorité. Si on disait que la vaccination s'appliquait aux enfants de deux à cinq ans, cela voulait dire qu'on ne vaccinait pas les enfants de sept ans. Il était difficile à un médecin de dire cela.

Organiser les campagnes de vaccination est compliqué. Cela a été mal vécu. Les médecins généralistes ont réagi parce qu'ils se sont sentis exclus. Je pense qu'ils auraient été en difficulté si on leur avait demandé de vacciner. En Belgique, les médecins généralistes ont demandé à faire cette vaccination. Au bout d'un mois, ils ne pouvaient plus.

Il est vrai que cette campagne de vaccination ne s'est pas très bien passée, mais je ne suis pas sûr que, compte tenu de ces contraintes, cela aurait été très facile. Il aurait fallu qu'ils s'organisent. Des cabinets de groupe étaient prêts à le faire. Nous aurions pu prendre ceci en considération. Dire que le médecin généraliste, dans son cabinet, pouvait vacciner, c'est une question. De la manière dont a été présenté le vaccin et compte tenu des ordres de priorité, cela me paraissait compliqué.

M. Serge Lagauche - Vous avez dit que les décisions étaient prises quasiment à l'unanimité. Cela peut être un consensus dans les mots. Je veux dire par là : on discute entre nous et on va se mettre d'accord sur les termes qui sont acceptables par les uns et les autres. Sur le plan scientifique, ce n'est pas valable. Il y a des avis pour, des avis contre, différentes positions. Il me paraît essentiel que les positions données par les experts, qui peuvent être contradictoires, doivent être communiquées. Le débat est plus important que la conclusion, selon moi, en matière d'expertise. C'est le débat qui fait avancer la science.

Si les experts n'exposent pas les débats à la ministre, il y a une conclusion derrière laquelle tout le monde s'abrite. Vous faites souvent référence à l'IGAS. Pour avoir pratiqué l'IGAS, je peux vous dire que les termes sont toujours choisis. On ne se trompe pas. On a des écoutes et on sait ce que veut le ministère. On se trompe rarement dans les termes qu'on choisit ou dans les rapports qu'on élabore.

Quant au problème des écrits que l'on peut faire sur un produit ou vis-à-vis de tel ou tel virus, les médicaments que l'on retire à l'heure actuelle, tout ceci montre qu'une publicité a été faite de façon un peu abusive. Au-delà, les laboratoires savent choisir ou faire choisir les termes adéquats pour rendre acceptable un certain nombre de choses.

Vous connaissez bien le problème des visiteurs médicaux. Ils sont en réduction, c'est vrai. Vous connaissez le problème des associations qui ont existé dans tous les hôpitaux et qui servent à effectuer des déplacements dans les congrès, entre autres. Je ne suis pas certain qu'elles soient toutes parties.

Vous citez le système américain. Ce n'est pas pareil. Les universités touchent de l'argent privé. Elles sont financées en partie par l'argent privé. On peut donner ensuite des missions avec l'argent qu'on a eu de l'autre côté. Les universités américaines ne se trompent jamais non plus sur la façon dont elles travaillent et avec qui elles travaillent.

Je pense que vous avez raison. Le système d'expertise qui existe à l'heure actuelle n'est pas un bon système. Il faut qu'on trouve un système qui permette qu'à l'arrivée, le débat soit exposé par les experts. Ensuite, les politiques entourés de gens sûrs, c'est-à-dire qui sont au ministère, etc., qui ont une responsabilité politique, tranchent les débats et prennent les décisions.

On nous renvoie sur vous, mais en réalité vous êtes une des chaînes qui a essayé de s'y retrouver. Je pense que le travail que vous faites, vous le faites de bonne foi, vous le faites au mieux de l'intérêt public, je n'en doute pas, mais le système par lui-même ne fonctionne pas. Cela fait déjà fort longtemps qu'il ne fonctionne pas. Les réformes qui ont été faites doivent continuer dans ce domaine, en particulier dans celui des nouvelles pandémies, afin que nous ne nous retrouvions pas dans cette situation complètement absurde : 94 millions de doses pour lesquelles il faut renégocier une reprise par les laboratoires. Franchement, ils ont raison de nous faire payer la note. Au moins, cela nous fait réagir.

M. François Autain, président - Ce n'est pas une question, c'est une considération.

M. Daniel Floret - Vous êtes les représentants de la Nation, c'est à vous de proposer la modification du système. Je suis dans un système que j'ai essayé d'appliquer au mieux, mais dans des conditions difficiles, c'est vrai.

M. François Autain, président - J'ai essayé de trouver des fondements scientifiques à la commande des 94 millions de vaccins. J'ai lu attentivement vos avis, qui sont très intéressants. Je n'y ai pas trouvé d'explication qui satisfasse à l'achat de ces 94 millions de vaccins. Il est vrai que ces avis sont postérieurs à la décision de l'achat de ces vaccins. Je ne sais pas si vous avez servi à grand-chose pour la décision prise par la ministre, en émettant des avis postérieurement. Il n'empêche que, lors de son intervention, le directeur général de la santé s'est prévalu de ces avis pour expliquer ces commandes immodérées de vaccins, à partir du moment où il considérait que vous n'étiez pas opposés à une vaccination de masse.

Si j'ai bien compris, c'était à condition que cela puisse venir suffisamment précocement pour qu'on puisse faire barrière à l'épidémie. Il s'avère que dans les conditions où celle-ci est intervenue, ce n'était pas possible. Il restait le bénéfice individuel, la protection. Là encore, on peut s'interroger. Combien de personnes ont pu bénéficier de cette protection individuelle pour cette vague pandémique ? Si nous en avons une prochaine, ce sera différent.

On nous en a promis une en février, en mars, en avril. Il y en a qui savaient, qui ne savent plus, qui ont oublié. Peu importe. Toujours est-il que je n'ai pas retrouvé dans vos avis les fondements scientifiques dans les décisions prises par la ministre C'est à moitié étonnant, puisque les avis sont intervenus après, ce qui veut dire que les décisions sont fondées sur des raisons d'une autre nature, soit des raisons politiques, de principes de précaution, soit des préoccupations éthiques, d'opportunité. Cela ne m'apparaît pas. Peut-être avez-vous des éléments qui vous permettent de dire qu'il y a des raisons scientifiques qui fondent l'achat de ces 94 millions de doses ?

M. Daniel Floret - Ces 94 millions de doses relèvent d'un choix politique, c'est clair. Il est vrai que nous n'avons jamais dit et jamais pensé que ceci allait à l'encontre de notre avis. Il faut repartir en arrière et considérer tout le travail qui a été fait sur la grippe H5N1. Effectivement, des travaux ont été faits au moment où il s'agissait de H5N1. La terreur était de dire qu'on n'aurait pas de vaccin. Cette maladie entraînait une mortalité de 60 %.

M. François Autain, président - Elle n'est pas transmissible d'homme à homme.

M. Daniel Floret - Pour l'instant. On n'a pas eu du H5N1, mais les réflexions sur la vaccination pour protéger la population sont parties de là. Si vous prenez les avis antérieurs, si vous regardez notamment le rapport de juin, cela fait référence à des travaux antérieurs de modélisation, où les calculs avaient été faits. On parlait encore une fois de H5N1. Dire que l'objectif était d'avoir des vaccins pour protéger la population ne me choque pas.

A posteriori , il s'avérait que ce n'était pas du tout ce qui était prévu. Bien sûr que cette grippe a tué beaucoup moins qu'on ne le craignait, et heureusement, mais elle a tué aussi des personnes que l'on n'attendait pas du tout. Je me mets à la place d'un médecin qui aurait dit à son patient : « Vous n'avez pas de facteur de risque, vous êtes jeune, vous êtes en bonne santé, ce n'est pas un problème si vous faites la grippe. » Ce patient a pu faire la grippe, se retrouver en réanimation et en mourir. On a vu cela pour les antiviraux.

M. François Autain, président - Ce n'est pas le vaccin qui l'aurait tiré d'affaire.

M. Daniel Floret - S'il avait été vacciné avant, il n'aurait pas eu la grippe.

M. François Autain, président - La première vaccination date du 12 novembre.

M. Daniel Floret - Il y a eu des grippes bien après le 12 novembre.

M. François Autain, président - Il faut compter trois semaines pour avoir une protection biologique. C'est ce qui est écrit dans vos rapports. Le groupe rappelle que le degré d'efficacité clinique de la vaccination pandémique est incertain.

M. Daniel Floret - On ne le connaît toujours pas.

M. François Autain, président - Il faut peut-être relativiser tout cela.

M. Daniel Floret - On connaît la protection qui est conférée par le vaccin contre la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - On m'a dit que cela n'avait rien à voir.

M. Daniel Floret - Sauf que ce virus s'est beaucoup plus comporté comme un saisonnier que comme un autre.

M. François Autain, président - C'est donc plutôt une grippe saisonnière.

M. Daniel Floret - Ceci n'était pas prévisible. Ce n'était pas une grippe saisonnière. Encore une fois, la grippe saisonnière touche et tue les personnes âgées.

M. François Autain, président - Nous sommes très heureux pour cette année qu'elle n'ait pas pensé à nous !

M. Daniel Floret - Cette grippe a entraîné des complications avec les fameux syndromes de détresse respiratoire aigus, etc., ce qui ne se voit pas avec la grippe saisonnière. On ne peut pas dire que c'est une grippe saisonnière, mais on ne peut pas dire non plus qu'aujourd'hui ce virus se soit comporté comme les virus pandémiques de la pandémie de 1918 ou les suivantes.

M. François Autain, président - Nous allons trouver un nouveau terme. Ce n'est ni une pandémie ni une grippe saisonnière.

M. Daniel Floret - Sauf si une vague intervient dans quelques mois.

M. François Autain, président - On attend la deuxième vague, mais elle ne vient pas.

M. Daniel Floret - Je n'ai pas dit qu'elle allait arriver, j'ai dit qu'elle pouvait arriver.

M. François Autain, président - Je crois savoir que, contrairement au tsunami, la seconde vague n'est pas forcément plus importante que la première. Dans un tsunami, la deuxième vague est toujours plus grave que la première. Alors que dans la grippe, ce n'est pas toujours le cas.

M. Daniel Floret - C'est la raison pour laquelle le virus de la grippe est un virus imprévisible.

M. François Autain, président - Donc, nous ne faisons pas de prévisions.

M. Daniel Floret - Il faut rester humble.

M. Alain Milon, rapporteur - Si le tsunami est imprévisible, la deuxième vague est prévisible.

M. François Autain, président - Sur la question des tsunamis, on est en train de faire beaucoup de progrès. Merci.

Audition de MM. Jacques BERGER, directeur général délégué,
et François VERDIER, directeur des affaires réglementaires,
de Sanofi Pasteur
(mercredi 6 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous poursuivons nos auditions en accueillant les représentants du laboratoire Sanofi Pasteur, MM. Jacques Berger, directeur général délégué, et François Verdier, directeur des affaires réglementaires.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Jacques Berger et François Verdier prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions de notre rapporteur et à celles des commissaires ici présents.

M. Jacques Berger - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'opportunité de présenter ce que Sanofi Pasteur a réalisé dans le cadre de cette pandémie et l'esprit dans lequel cela a été fait.

Nous sommes des industriels, des producteurs de vaccins. Notre métier est d'être prêts à répondre à des besoins de santé publique, dans le cadre d'une éventuelle pandémie. Cela veut dire être capable de fournir le plus rapidement possible le plus de doses possibles d'un vaccin qui satisfait aux exigences réglementaires et qui est bien toléré.

Pourquoi ? Parce qu'un tel vaccin est considéré par l'ensemble de la communauté scientifique comme la solution la plus efficace pour éventuellement enrayer la progression d'une pandémie. Le groupe Sanofi-Aventis auquel nous appartenons est l'un des leaders mondiaux dans le domaine de la santé. Il emploie plus de 100 000 personnes dans le monde et 26 000 en France.

Sanofi Pasteur, qui est la division des vaccins de Sanofi Aventis, est un des leaders mondiaux dans son propre métier, celui des vaccins. Tous vaccins confondus, nous développons, produisons et distribuons chaque année 1,6 milliard de doses dans plus de cent cinquante pays. Nous employons 12 000 personnes dans le monde et près de 6 000 en France.

A partir de deux de nos sites, l'un qui est en France à Val-de-Reuil, près de Rouen, et l'autre aux Etats-Unis, Sanofi Pasteur couvre environ 40 % des besoins mondiaux en vaccins contre la grippe saisonnière, ce qui le place au premier rang des producteurs mondiaux.

Sensibilisé par la situation que le monde a connue avec le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), puis avec la grippe H5N1 en 2004, Sanofi Pasteur s'est, comme quelques autres producteurs, mobilisé pour se préparer à une éventuelle pandémie. Tous les efforts que nous avons déployés dans ce domaine, depuis cette période, ont été orientés dans ce sens.

Sur un plan industriel, nous avons adapté nos unités de production, nous avons fabriqué des lots pilotes, d'abord, puis industriels. Bien sûr, nous avons optimisé l'ensemble des processus de production. Sur le plan du développement, nous avons porté nos efforts sur l'amélioration de la productivité des souches, sur la diminution des quantités d'antigène nécessaires et sur la réalisation des lots cliniques et des études cliniques correspondants.

Parallèlement, nous avons eu un certain nombre de discussions avec les autorités réglementaires pour réfléchir avec elles aux voies d'obtention d'autorisations de mise sur le marché les mieux adaptées à la situation potentielle.

Enfin, nous avons mis en place dans l'ensemble de Sanofi Pasteur un « plan de continuité », pour pouvoir assurer au mieux, même en situation de pandémie, la poursuite de notre activité, non seulement la production du vaccin contre la grippe pandémique, mais aussi celle de tous les autres vaccins.

Ce processus de préparation s'est bien entendu déroulé en collaboration avec la communauté scientifique et avec les autorités de santé publique - l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les autorités réglementaires comme la Food and Drug Administration (FDA), l'European Medicines Agency (EMA) et les autorités de santé des pays impliqués dans la préparation à une éventuelle pandémie.

A partir de la fin du mois d'avril 2009, c'est-à-dire après l'apparition des premiers cas au Mexique et la décision de l'OMS, le 25 avril, de déclarer « une urgence de santé publique de portée internationale », Sanofi Pasteur a décidé de mettre en place un mode de fonctionnement spécifique pour mieux répondre à cette situation de pandémie qui se développait.

Trois équipes de crise ont alors été constituées : une équipe aux Etats-Unis pour coordonner nos efforts mis en place à partir de nos unités en Amérique du Nord ; une équipe en France pour les actions réalisées à partir de notre site de Val-de-Reuil ; une équipe globale pour assurer la cohérence de nos actions et pour optimiser le partage d'expériences entre les deux équipes française et américaine.

Depuis le mois de mai 2009, sur la base des informations alors disponibles, nous avons décidé d'appliquer trois grands principes qui ont servi ensuite de schéma directeur à l'ensemble de notre action : un principe de santé publique, un principe de responsabilité, et un principe de transparence et de dialogue.

Une pandémie est un énorme défi de santé publique. Lorsque la pandémie apparaît au Mexique en avril 2009, le défi était non seulement de poursuivre la production de vaccins saisonniers, puisque nous assurions 40 % des besoins mondiaux, mais aussi de développer et produire deux formes de vaccin H1N1, l'un avec adjuvant et l'autre sans adjuvant, de façon à répondre aux besoins exprimés par certaines autorités de santé.

L'application du principe de responsabilité nous a amenés à refuser de « surpromettre », en termes de quantité comme de délais. Elle nous a aussi amenés à avoir une attitude raisonnable et cohérente en matière de prix et à apporter une attention particulière aux pays les plus pauvres, en particulier par le biais d'une donation de 100 millions de doses faite à l'OMS.

Nous avons décidé d'appliquer le principe de transparence et de dialogue dans toutes nos interactions avec les autorités de santé, en veillant à rester strictement dans notre rôle et notre compétence de producteur de vaccins.

C'est sur la base de ces principes que nos processus de production, nos démarches règlementaires, nos programmes d'études cliniques ont été lancés. Toutes ces actions ont été entreprises conformément aux bonnes règles pharmaceutiques, en utilisant l'expérience acquise depuis de nombreuses années dans la production du vaccin contre la grippe, et les enseignements acquis depuis 2004 dans notre plan de préparation à une éventuelle pandémie. Durant toute cette période, nos contacts avec les différentes autorités de santé ont été renforcés afin d'assurer la cohérence de toutes ces actions.

Le processus de production lui-même n'a pu démarrer que début juin 2009, c'est-à-dire une fois la souche reçue de l'OMS, et après son adaptation à l'environnement industriel.

En France, nous avons alors décidé d'interrompre brièvement notre production de vaccins saisonniers destinés aux pays de l'hémisphère Nord, pour produire les premiers lots de vaccins H1N1 nécessaires à nos études cliniques, afin de ne pas retarder leur démarrage. Une fois ces lots cliniques terminés, la production de vaccins saisonniers a repris jusqu'au terme initialement prévu, et nous avons ensuite immédiatement démarré la production industrielle de vaccins H1N1.

A cette même période, c'est-à-dire début juillet 2009, les contacts avec les autorités françaises ont abouti à la signature d'un avenant au contrat initial que nous avions signé en 2005, dans le cadre de la préparation à une éventuelle pandémie. Par cet avenant, 28 millions de doses ont été commandées à Sanofi Pasteur, le 13 juillet.

Nos études cliniques effectuées en Europe ont démarré le 18 août. Elles se sont déroulées en France, en Finlande ainsi qu'en Inde. D'autres études ont été lancées simultanément aux Etats-Unis avec le vaccin produit sur notre site américain.

Fin août, des réunions avec l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) et avec d'autres agences européennes ont montré que, puisque nous ne disposions pas de dossier prototype dit « mock-up », il serait possible d'utiliser pour le vaccin non adjuvanté Panenza la voie réglementaire appelée procédure décentralisée (DCP). L'intérêt de celle-ci était de nous permettre d'espérer une autorisation de mise sur le marché mi-novembre, c'est-à-dire plus tôt qu'avec l'autre voie réglementaire européenne dite centralisée, que nous avions initialement choisie pour nos deux vaccins.

L'autorisation a été obtenue le 13 novembre, et la vaccination avec Panenza a pu commencer, en France, quelques jours plus tard avec les premières quantités de vaccins que nous avions livrées. Nos livraisons se sont poursuivies : les premières en novembre, et principalement en décembre. Au 1 er janvier, nous étions, sauf erreur, le laboratoire qui avait livré le plus de doses à la France, c'est-à-dire 14 380 000 doses.

Le métier de Sanofi Pasteur, développer et produire des vaccins, est un métier difficile : être le mieux préparé possible et répondre de façon efficace à l'apparition d'une pandémie représentaient pour Sanofi Pasteur, et pour tous ceux qui font ce métier, un défi considérable. Ce défi, ou plutôt ce triple défi, puisqu'il s'agissait pour nous de répondre non seulement aux besoins en H1N1, mais aussi en vaccins saisonniers pour l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud, nous avons pu y répondre grâce à une mobilisation sans précédent de nos collaborateurs. Je suis très fier de pouvoir dire que cette société, dans laquelle je travaille depuis maintenant quarante ans, a mis toutes ses forces dans la bataille, et en le faisant avec transparence et avec un comportement parfaitement responsable.

M. François Autain, président - Merci, monsieur le directeur général délégué. Je vais sans transition passer la parole à M. Alain Milon, rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le directeur général délégué, j'ai des questions concernant les investissements que vous avez faits, la négociation des contrats, les quantités de vaccins commandées, et enfin les indemnisations.

En ce qui concerne les investissements, pouvez-vous me dire quand le groupe Sanofi a fait le choix stratégique d'investir dans la fabrication de vaccins contre les grippes pandémiques ? Quels ont été la nature et le montant de ces investissements ?

Lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur général de la santé a relevé que « l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins ». Cette affirmation s'applique-t-elle à votre entreprise ? Sanofi a-t-il accepté des commandes de vaccins H1N1 qu'il n'était pas en mesure d'honorer ?

Pouvez-vous également communiquer à la commission d'enquête le texte original du marché signé le 27 octobre 2005 pour la fourniture à l'Etat de vaccins contre la grippe aviaire H5N1 ? Enfin, pouvez-vous préciser les prestations réalisées en application de ce marché antérieurement aux avenants signés pour la fourniture de vaccins H1N1 ?

M. Jacques Berger - Une société comme la nôtre doit investir plus de 400 à 450 millions d'euros par an actuellement. Je pense pouvoir dire que, dans les cinq dernières années, nous avons investi, sur le plan mondial - je parle uniquement des investissements physiques - plus de 1,6 milliard d'euros, dont la moitié en France. Ce sont des sommes considérables, pour des raisons très simples : dans notre métier, l'ordre de grandeur pour une unité de fabrication est d'environ 150 millions d'euros. Il faut le savoir. Ceci prend beaucoup de temps : pour un investissement dans le domaine de la production des vaccins, il faut compter environ cinq ans entre le moment où vous le décidez et le moment où il est véritablement opérationnel. Bien entendu, plus rien ne peut être fait quand une pandémie se déclare. Tout le problème d'une société de vaccins est d'anticiper et de se mettre en situation « comme si ».

Nous avons des capacités de production importantes puisque, comme je vous le disais tout à l'heure, nous assurons 40 % des vaccins saisonniers sur le plan mondial. Nous voulions pouvoir augmenter ces capacités, afin d'être en meilleure situation de répondre à une pandémie, si celle-ci devait se déclarer.

C'est ce qui a été fait. Dans le domaine spécifique de la grippe, nous sommes montés en puissance à partir de 2004. Le phénomène du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), plus le phénomène du H5N1, ont mis tous les producteurs de vaccins en alerte. Nous avons considéré au niveau de Sanofi Pasteur, et je sais que cela a été le cas ailleurs, qu'il était de notre devoir de nous mettre en situation d'être en ordre de bataille, « pour le cas où ».

Des investissements ont été lancés sur toute cette période. Il fallait essayer d'éliminer tous les goulets d'étranglement. Il ne suffit pas d'augmenter les investissements dans un domaine, par exemple la production en vrac, il faut les augmenter sur toute la chaîne de production. C'est ce qui s'est passé, et c'est ce qui fait que nous avons chaque année des montants d'investissements considérables, que ce soit pour la grippe ou pour d'autres produits.

Certains investissements sont particulièrement ciblés sur un produit, mais d'autres pourront contribuer à la production de vaccins contre la grippe et à la production d'autres produits. Nous avions déjà un niveau d'investissements extrêmement important, mais nous avons renforcé ces investissements dans le domaine de la grippe à partir de 2004.

Vous avez ensuite évoqué une autre question.

M. Alain Milon, rapporteur - Celle relative aux capacités de répondre à la demande des laboratoires.

M. Jacques Berger - Face à une pandémie, je pense qu'on pourra toujours souhaiter qu'elle arrive plus tard. En même temps, d'énormes travaux ont été faits depuis six ans, entre 2004 et 2010. Certes, en 2004, nous aurions été pris davantage par surprise. Mais, dès 2004, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le processus s'est mis en place. Le laboratoire Sanofi Pasteur s'est posé les questions importantes concernant l'investissement pour pouvoir, le jour venu, être en situation de répondre. Cela passe par des capacités de production et par un travail sur l'amélioration du rendement de la souche. Cela passe, par ailleurs, par la possibilité d'améliorer les rendements, d'avoir des études cliniques fiables et réalisées dans un délai rapide, de mettre en place des processus de pharmacovigilance. C'est véritablement une réflexion globale qui s'est échelonnée sur toute cette période. La situation a montré que l'industrie a pu jouer son rôle, Sanofi Pasteur aussi, et fournir des vaccins.

Certains éléments pourront paraître surprenants, en particulier l'arrivée d'un vaccin à partir d'octobre-novembre. Ceci s'explique par le fait que nous sommes dans un domaine où un délai est absolument incompressible pour la production d'un vaccin.

M. Alain Milon, rapporteur - Pouvez-vous nous communiquer le contrat H5N1 ?

M. François Autain, président - Ce contrat ne comportait pas de clause spéciale concernant une aide de l'Etat en dehors du crédit impôt-recherche ? Il n'y avait aucune aide, ni de l'Etat ni de la Commission européenne ?

M. Jacques Berger - Non, il n'y avait aucune aide de l'Etat particulière. Nous avons été aidés par les autorités américaines mais, en France, il n'y avait rien de prévu à ce niveau. Le contrat prévoyait simplement la fourniture de vaccins H5N1 et des clauses conditionnelles pour des affermissements éventuels, si une nouvelle souche pandémique apparaissait, ce qui s'est produit. C'est pour cela que le contrat de 2009 a été un affermissement du contrat de 2005.

M. François Autain, président - A partir de 2005, vous avez investi des sommes importantes.

M. Jacques Berger - Ce sont des sommes à hauteur de centaines de millions d'euros qui ont été dépensées. Certaines étaient spécifiques, d'autres étaient partagées avec d'autres productions pour, le jour venu, pouvoir répondre à toute situation.

M. François Autain, président - Avez-vous fait des vaccins prépandémiques ?

M. Jacques Berger - Oui, nous avons fait du vaccin H5N1. La France nous en avait commandé. C'était l'objet du premier contrat. Nous avons travaillé ensuite en utilisant la souche H5N1 comme élément de souche potentiellement pandémique. Un certain nombre d'études ont été réalisées durant ces années sur la souche H5N1.

M. Jean-Jacques Jégou - Est-il exact que vous avez livré encore 1,5 million de doses de vaccin H5N1 en janvier 2010 ?

M. Jacques Berger - Non, je ne crois pas.

M. François Autain, président - Je crois que c'est plutôt Novartis. Nous leur demanderons.

M. Alain Milon, rapporteur - Avec quels Etats avez-vous signé des contrats de préachat ? Pour quelles quantités de vaccins ? Comment a été déterminé en 2005 et en 2009 le prix unitaire des doses proposées par votre laboratoire à l'Etat ? Ce prix a-t-il été différent de celui proposé à d'autres Etats européens. Ei si c'est le cas, pourquoi ? Y a-t-il eu des négociations sur les prix avec les autorités françaises ?

Les interlocuteurs de la commission ont fait état du rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats. Avez-vous, en ce qui vous concerne, la même perception du contexte de ces négociations ?

M. Jacques Berger - Nous avons signé des contrats avec vingt-deux Etats. Le prix que nous avons établi en 2005 était de 6,5 euros par dose. Comme vous le savez, le prix en 2009 a été de 6,25 euros. Il n'y avait rien de surprenant dans notre prix de 2009, par rapport au prix de 2005. Nous avons souhaité rester raisonnables en matière de prix, comme je vous l'ai dit tout à l'heure.

Le plus simple était d'avoir le même prix, c'est-à-dire que tout le monde a eu le même prix, hormis trois pays avec lesquels nous avions des accords de production de la partie aval, de mise sous forme pharmaceutique. Le prix était à ce moment-là un petit peu moins élevé. Tous les pays, comme la France, qui ont acheté notre produit, l'ont acheté au même prix. C'est un choix que nous avions fait, quelles que soient les quantités achetées, c'est-à-dire que nous n'avons pas voulu jouer sur la taille ou la rareté.

La discussion sur les prix est intervenue au cours de différentes réunions que nous avons eues. Elles ont commencé avec la DGS puis avec l'EPRUS. C'est là que nous avons finalisé le prix de 6,25 euros. Il y a eu au total une dizaine de réunions, entre celles que nous avons eues avec la DGS, l'AFSSAPS et l'EPRUS.

Vous faisiez allusion à un éventuel rapport de force...

M. François Autain, président - Ce terme a été utilisé par le directeur général de la santé.

M. Jacques Berger - Il y avait bien sûr une situation qui laissait supposer que la demande était supérieure à l'offre. Ceci est un fait lié à la situation de pandémie. Mais je peux vous dire que c'est nous qui étions sous pression. Nous avons subi une pression considérable, non pas de la part de nos interlocuteurs, mais du simple fait que nous souhaitions faire notre métier, c'est-à-dire, comme je le disais tout à l'heure, fournir le plus rapidement possible le plus grand nombre de doses d'un vaccin réellement efficace.

Je pense pouvoir dire qu'à aucun moment, nous n'avons souhaité abuser d'une position qui pouvait apparaître comme dominante. Bien au contraire, nous avons essayé de tenir le cap, en application des principes auxquels je faisais allusion tout à l'heure, avec une pression considérable sur nos collaborateurs. De plus, cela tombait aussi pendant une période de vacances et il a fallu continuer d'assurer cette mission de santé publique, quelles que soient les conditions. Nous avons donc eu l'impression d'être sous une très forte pression.

M. Alain Milon, rapporteur - Tout le monde a eu cette impression, non ? Des deux côtés.

M. Jacques Berger - Absolument, elle était énorme.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourriez-vous nous dire aussi dans quelles conditions était prévue la livraison des 28 millions supplémentaires de doses de vaccins ? C'est l'article 2 de l'avenant n° 3.

M. Jacques Berger - En termes de livraison, il faut savoir que nos discussions ont eu lieu au mois de juin et ont été confirmées début juillet, mais nous n'avions pas encore la souche. Il faut bien comprendre que nous avions reçu la souche dans les premiers jours de juin, mais que nous ne pouvions pas « étalonner » la souche, avec les rendements que nous étions capables d'obtenir avant de disposer, beaucoup plus tard, de ce qu'on appelle les « réassortants ». C'est un deuxième élément qui nous arrive de l'OMS.

Lorsque nous avons signé ces contrats, nous avions une imprécision énorme sur les rendements que nous allions avoir et sur la date à laquelle nous espérions obtenir des vaccins. Nous avons indiqué aux autorités que nous espérions pouvoir livrer la totalité des 28 millions de doses sur le mois de décembre. En fait, nous avons livré une partie de la commande plus tôt que prévu, au milieu du mois de novembre ; c'est celle qui accompagnait l'enregistrement du vaccin non adjuvé. Nous avons ensuite livré environ 13 millions de doses sur le mois de décembre, et le solde, en accord avec l'EPRUS, sur la première semaine du mois de février.

M. Alain Milon, rapporteur - L'avenant n° 3 comporte une nouvelle rédaction de la clause de responsabilité en particulier. Quelles sont les modifications qu'apporte ce texte à la rédaction de 2005 ? Quelles sont les justifications de ces modifications ? Comment s'explique la similarité entre cette clause et celles prévues par les contrats passés avec d'autres laboratoires ?

M. Jacques Berger - Pour nous, il n'y a eu aucune modification de l'esprit de la clause de responsabilité entre le contrat de 2005 et celui de 2009. Dans le contrat de 2005, il y avait déjà cette répartition de la responsabilité, entre ce qui est lié à la production d'un vaccin qui correspond aux standards de l'industrie pharmaceutique et au code de la santé publique et ce qui relève du fait que nous étions en situation de pandémie dans l'utilisation du vaccin, avec une campagne de masse.

Cette dernière responsabilité revenait à l'Etat. C'était déjà prévu en 2005, c'était ce que prévoyaient nos propositions initiales de 2009.

Il y a eu une inquiétude, qui a provoqué une réunion à laquelle j'ai personnellement participé, lors de laquelle étaient présents des représentants de l'EPRUS, MM. Jean Marimbert et Noël Renaudin. Nous avons clarifié les choses. Je pense que tout le monde est sorti de cette réunion en disant : « Ce qu'on a compris était bien ce qu'on souhaitait comprendre ». La clause a été légèrement modifiée à la suite de cette réunion. Bien entendu, les juristes de part et d'autre souhaitaient trouver la formulation qui convienne aux deux parties ; c'est ce qui a été fait.

Je crois pouvoir dire que cette réunion a été une réunion simple et nous sommes tous tombés d'accord : ce que voulaient dire les laboratoires était ce que souhaitaient comprendre les gens que nous avions en face de nous. Les discussions se sont passées relativement simplement.

M. François Autain, président - Madame la ministre a qualifié cette clause de « scélérate ». En ce qui vous concerne, elle apparaît comme normale, n'est-ce pas ?

M. Jacques Berger - Je ne pense pas que le terme « scélérat » soit le mot à utiliser. Encore une fois, une clause similaire de partage de la responsabilité figurait déjà dans le contrat de 2005. Je reconnais bien volontiers que la formulation est différente, mais je ne pense pas que le fond ait changé entre la clause de 2009 et celle de 2005.

M. François Autain, président - Tout à fait.

M. Jacques Berger - La responsabilité pharmaceutique du produit paraît tout à fait normale.

M. François Autain, président - Cela nous a été rapporté comme une victoire considérable remportée par le Gouvernement sur les laboratoires. En ce qui vous concerne, cela semble une clause tout à fait naturelle qu'il vous semble tout à fait légitime d'assumer.

M. Jacques Berger - Le partage des responsabilités, selon lequel nous assumons la responsabilité pharmaceutique du produit, semble être tout à fait logique. C'est la raison pour laquelle c'était déjà le cas en 2005. Encore une fois, une modification du texte est intervenue à la suite de cette réunion, de façon à satisfaire les conseils des deux parties...

M. François Autain, président - ... Mais il s'agit plus, pour vous, d'une modification formelle que d'une modification sur le fond.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vais maintenant aborder le calendrier des livraisons. Je vais vous demander de nous détailler les modifications qui ont été apportées au calendrier des livraisons par rapport à celles prévues par le marché initial. Le calendrier était-il « indicatif » à ce moment-là ? Est-il usuel qu'un marché de fournitures ne comporte pas de calendrier de livraison ferme assorti de pénalités ? Le calendrier indicatif des livraisons a-t-il été respecté ? Quand et en quelles quantités les premières doses de vaccins ont-elles été livrées ? Vous en avez parlé un peu tout à l'heure mais je souhaiterais y revenir.

Dernière question : il semble que toutes les commandes de vaccins H1N1 aient été passées dans le cadre de contrats avec les autorités sanitaires ou leurs représentants. Vous avez parlé de l'EPRUS tout à l'heure. Etait-il exclu, et pour quelles raisons, que tout ou partie de l'approvisionnement en vaccins emprunte des circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits de santé, à savoir les grossistes, les pharmaciens, etc. ?

M. Jacques Berger - Le calendrier de livraison était indicatif parce qu'il faut bien comprendre que, dans une situation comme celle-ci, il y a un niveau élevé d'imprécision et beaucoup d'inconnues. Il y a d'abord celle du rendement de la souche. Il faut savoir qu'avec le H5N1, on s'était aperçu qu'on avait des rendements faibles. On sait très bien, pour produire des vaccins antigrippaux depuis une cinquantaine d'années, que les rendements peuvent être extrêmement variables d'une souche à l'autre.

Lorsqu'il s'agissait de préciser les calendriers, nous savions très bien quel était le délai minimum avant de pouvoir livrer les premières doses. En revanche, nous ne savions pas quel pouvait être notre calendrier de livraison pour la totalité des 28 millions de doses qui nous avaient été commandées à l'époque. C'est la raison pour laquelle nous avons donné un calendrier indicatif. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons pu livrer une petite partie plus tôt que nous ne l'avions annoncé. Nous avons livré le gros de la commande au mois de décembre, comme c'était prévu, et nous avons soldé la commande un peu plus tard que ce que nous avions indiqué.

En ce qui concerne votre deuxième question, à savoir si notre contrat prévoyait qu'une quantité de vaccins puisse suivre un circuit pharmaceutique différent, cela n'a jamais été envisagé. Cela n'est pas du tout de notre ressort. A notre connaissance, pendant la période où était produit le vaccin, avant que le problème de distribution ne se pose, nous avions demandé à qui nous devions livrer le vaccin. C'était à l'EPRUS, plus exactement à une entreprise que l'EPRUS utilisait pour distribuer le vaccin.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aborde maintenant les quantités de vaccins commandées. Même en recourant à la technique des vaccins prototypes qui permet de raccourcir les procédures d'AMM, vous paraît-il vraisemblable qu'un vaccin antipandémique puisse être élaboré et produit dans des délais et dans des quantités permettant de faire barrière à une pandémie grippale ?

Que pensez-vous de la suggestion faite l'an dernier par un représentant du Royaume-Uni à l'OMS, qui souhaitait orienter la recherche vers la production de vaccins à large spectre ?

M. Jacques Berger - La première question concerne les délais. Il y a un délai de production absolument incompressible qui est de quatre à six mois, selon la manière dont on compte ce délai. Il est absolument incompressible car si on le réduisait, on pourrait dire qu'on a « bâclé » notre production. Il suit un protocole qui fait partie du dossier d'enregistrement et qui est le seul qui nous garantit un produit de qualité à la fin. Il n'est pas question de réduire ce délai, sauf si des moyens techniques permettaient de le faire, ce qui n'est pas le cas. Aujourd'hui, nous savons qu'entre le moment où nous disposons de la souche et le moment où les premières doses peuvent être disponibles, il s'écoule entre cinq et six mois. Ce sera toujours le cas, tant que les mêmes techniques seront utilisées.

M. François Autain, président - Comment se fait-il que ce délai soit incompressible ? Vous avez pu fournir aux Etats-Unis un vaccin qui est très proche du Panenza et qu'on appelle le Fluzone, si ma mémoire est bonne. La FDA a donné son autorisation en septembre. Ce qui veut dire que vous avez pu produire le même vaccin sous un autre nom et le mettre sur le marché aux Etats-Unis en septembre. En France, on ne sait pas pourquoi, mais peut-être allez-vous nous l'expliquer, vous n'avez pu le mettre sur le marché qu'en novembre. Il y a une différence de date et de traitement qui mériterait quelques explications.

M. Jacques Berger - Vous avez tout à fait raison. C'est absolument vrai.

M. François Autain, président - Cela m'a intrigué.

M. Jacques Berger - Cela tient en fait à deux raisons. Tout à l'heure, dans mon intervention préliminaire, je vous ai précisé qu'en France, il était de notre responsabilité de finir les productions de vaccins saisonniers. Il fallait absolument qu'elles soient disponibles car la grippe saisonnière pouvait aussi être importante. J'ai indiqué que nous avions interrompu la production pour fabriquer les lots cliniques H1N1. Nous avons ensuite repris la production de vaccins saisonniers, que nous avons terminée avant d'attaquer la production de vaccins H1N1.

Nous avons été obligés de procéder de cette façon pour une raison très simple. En France, nous n'avons qu'un seul bâtiment de production de vaccin vrac. Aux Etats-Unis, nous avons deux unités de production de vaccins antigrippaux vrac. Nous avons pu tout simplement décider d'arrêter immédiatement la production de vaccin saisonnier dans un des deux bâtiments pour démarrer la production de vaccins H1N1, ce qui nous a fait gagner quelques semaines par rapport à la solution française.

M. François Autain, président - Je comprends.

M. Jacques Berger - Le deuxième élément significatif dans la question que vous soulevez est le fait que les autorités américaines ont choisi une autre voie d'enregistrement. C'est celle qu'ils utilisent toutes les années pour le nouveau vaccin saisonnier. C'est une simple variation aux Etats-Unis, qui ne nécessite pas d'étude clinique, alors qu'en France il s'agit d'un nouvel enregistrement, pour lequel il faut faire une étude clinique et disposer des résultats. L'association de ces deux éléments a fait, qu'au final, les doses de notre vaccin grippe H1N1 fabriquées et utilisées aux Etats-Unis ont été disponibles quatre semaines plus tôt.

M. François Autain - Largement. Aux Etats-Unis, c'était courant septembre, et, en France, en novembre.

M. Jacques Berger - Fin septembre aux Etats-Unis.

M. François Autain, président - Cela fait six semaines.

M. Jacques Berger - Compte tenu des quelques semaines de délai pour les deux raisons que je vous ai données, c'est exactement cela.

M. François Autain, président - Vous auriez dû, dans ces conditions, construire une autre usine en France, au lieu de la construire au Mexique. Apparemment, nous manquons d'usines en France. Si mon information est bonne, je crois que le Président de la République a participé à l'inauguration de cette magnifique usine au Mexique. En somme, vous avez presque trop d'usines aux Etats-Unis et pas assez en France.

M. Jacques Berger - Je n'ai jamais dit que nous avions trop d'usines aux Etats-Unis. Je vous ai dit que nous avions la chance, dans ce cas précis, de disposer de deux unités qui nous permettaient techniquement de continuer le vaccin saisonnier dans l'une et d'attaquer le vaccin H1N1 dans l'autre. L'usine au Mexique n'est pas encore terminée. Quand elle le sera, elle contribuera à accroître nos capacités de production.

M. François Autain, président - Compte tenu des difficultés que vous avez rencontrées à propos de cette pandémie en France, cela ne vous a-t-il pas donné l'idée de construire une autre unité en France ou en Europe, pour répondre plus rapidement à la demande ?

M. Jacques Berger - Nous avons d'autres unités. Vous parlez de celle du Mexique. Nous en avons une autre qui est en cours de construction en Chine.

M. Alain Milon, rapporteur - Sont-elles destinées à produire un vaccin ?

M. Jacques Berger - Les usines aux Etats-Unis étaient là pour approvisionner un certain nombre de marchés dans ce genre de situation. Je pense que globalement nous avons beaucoup augmenté notre production. Bien entendu, le vaccin grippe n'est pas seulement nécessaire en France.

M. François Autain, président - Bien entendu, mais il n'est pas seulement nécessaire aux Etats-Unis non plus. Mettez-vous tout en oeuvre pour que, la prochaine fois, s'il y en a une, il n'y ait pas ce décalage entre les Etats-Unis et la France, qui me semble préjudiciable ?

M. Jacques Berger - La société Sanofi Pasteur est particulièrement motivée pour tirer les leçons de ce que nous avons vécu dans cette période et les conclusions les plus utiles, pour essayer d'être encore plus efficaces la prochaine fois. Encore une fois, compte tenu de la situation, les vaccins ont été mis à disposition dans des délais globalement conformes à ce que nous avions annoncé.

M. François Autain, président - Pourquoi n'êtes-vous pas passé - rien ne vous l'interdisait - par la procédure centralisée ? Les autres vaccins qui étaient fabriqués par vos concurrents ont eu une autorisation plus rapidement.

Pourquoi, donc, n'avez-vous pas emprunté cette procédure ? Cela vous aurait permis de gagner du temps et de mettre sur le marché plus rapidement un vaccin, à la disposition des femmes enceintes en particulier. Votre vaccin ne comportant pas d'adjuvant était particulièrement indiqué pour certains publics. Pourquoi ne pas avoir emprunté cette procédure qui apparaît en tout cas plus rapide que celle que vous avez employée ?

M. François Verdier - La procédure européenne à laquelle vous faites référence est la procédure de vaccin mock-up. Les autres fabricants de vaccins disposaient d'un vaccin adjuvé enregistré dans le cadre d'un dossier mock-up : c'est un dossier de vaccin contre une souche pandémique, qu'elle soit H5N1 ou autre, et qui doit être activé avec la souche circulante. Nos collègues de GSK ont pu activer leur dossier mock-up qui avait été construit avec la souche H5N1, dès que la souche H1N1 est arrivée.

Sanofi Pasteur ne disposait pas d'un tel dossier mock-up, que ce soit pour sa présentation adjuvée ou pour sa présentation non adjuvée. Dès le mois de juin, nous avons déposé auprès de l'Agence européenne du médicament deux demandes d'enregistrement : une pour le vaccin adjuvé et une pour le vaccin non adjuvé. Nous avons commencé une procédure d'enregistrement. L'Agence européenne, compte tenu des circonstances, a examiné nos dossiers selon une procédure accélérée

Au cours de la pandémie, quand nous avons vu que la procédure centralisée était relativement longue, nous avons décidé de retirer notre dossier pour la formulation non adjuvée, c'est-à-dire le Panenza, et de redéposer ce dossier auprès de l'Agence française dans le cadre d'une procédure décentralisée.

Nous avons vraiment essayé de faire au plus vite compte tenu des circonstances qui s'imposaient à nous. On ne peut pas comparer l'environnement de Sanofi Pasteur, en termes d'enregistrement, à l'environnement qu'avait Novartis ou GSK.

M. François Autain, président - Pourquoi n'avez-vous pas déposé un dossier mock-up ?

M. François Verdier - Nous avions déposé un dossier mock-up, mais c'était pour un vaccin qui consommait beaucoup plus d'antigène. C'était un vaccin qui utilisait un adjuvant alunique, à base d'aluminium. Ce dossier n'a pas reçu d'avis favorable de l'Agence européenne. Nous étions en discussion avec l'Agence européenne. On peut dire que ce vaccin était un vaccin « ancienne génération », qui aurait pu permettre d'intervenir sur une petite zone et de vacciner un groupe réduit de personnes ; il n'était pas du tout adapté à une pandémie qui nécessitait des millions de vaccinations. Nous avons donc interrompu le développement de ce vaccin, qui s'appelait Emerflu, pour nous consacrer à un vaccin utilisant un adjuvant à base de squalène, qui permet d'utiliser beaucoup moins d'antigène et de produire rapidement une quantité beaucoup plus importante.

M. François Autain, président - C'est l'Humenza.

M. François Verdier - Le vaccin deuxième génération est bien l'Humenza. Le vaccin première génération que nous avons abandonné est Emerflu.

Je voudrais apporter des précisions sur les essais cliniques. On parlait tout à l'heure de la durée de mise à disposition d'un vaccin. Ce qu'a dit M. Jacques Berger est très important. En France, contrairement aux Etats-Unis, nous devons faire un essai clinique pour confirmer l'immunogénicité induite par le vaccin.

Nous avons commencé cet essai clinique en août. On a pris les premiers échantillons de sang sur les personnes vaccinées au bout de vingt et un jours. De toute façon, en plus des délais de production qui sont non compressibles, on a, dans le cadre de la réglementation européenne, l'obligation de faire un essai clinique qui dure vingt et un jours, plus le temps d'analyser les échantillons de sang. C'est la raison pour laquelle nous n'avons eu les premiers résultats de ces essais cliniques que tout début octobre.

Même si nous avions eu un dossier prêt, je ne pense pas que les autorités européennes ou françaises nous auraient autorisés à utiliser ce vaccin plut tôt, étant donné qu'on n'avait pas les résultats de l'essai clinique, élément que ne demande pas la Food and Drug Aministration (FDA) pour utiliser une variation du vaccin saisonnier.

M. François Autain, président - Je comprends quand il s'agit d'une variation d'un vaccin qui a fait ses preuves depuis vingt ou trente ans qu'il existe.

M. Jacques Berger - Les vaccins ont fait leur preuve des deux côtés de l'Atlantique.

M. François Autain, président - Je parle des vaccins saisonniers.

M. François Verdier - Il s'agit de deux politiques différentes. On continue pour le vaccin saisonnier à faire en Europe, tous les ans, des essais cliniques. On fait actuellement un essai clinique pour le prochain vaccin saisonnier de l'hiver 2010/2011, alors qu'aux Etats-Unis on ne fera pas d'essai clinique.

M. Alain Milon, rapporteur - J'avais une question sur les raisons qui ont retardé l'AMM du vaccin Humenza, mais vous avez répondu. L'AMM est arrivée le 18 février 2010. Est-ce pour cela que vous avez annulé directement une commande d'Humenza de 9 millions de doses.

M. Jacques Berger - Il faut savoir que notre contrat prévoyait la fourniture de vaccins avec ou sans adjuvant. Vous faites allusion à la proposition que j'ai faite à l'EPRUS de réduire la quantité de vaccins commandée. C'est le résultat d'une discussion que j'ai eue avec le directeur de cabinet de Mme Roselyne Bachelot au mois de novembre.

Dans la discussion, il m'avait dit : « Si un jour vous avez la conviction de pouvoir vendre ailleurs une partie des doses qui font l'objet de la commande, n'hésitez pas à me le dire. » J'avais compris que cela l'arrangerait. En d'autres termes : si vous manquez de doses par rapport à vos doses produites, et si vous avez des possibilités de vendre ces doses à d'autres pays que la France, n'hésitez pas à nous le dire, nous sommes prêts à réduire la commande. Je lui avais répondu : « Je vous promets que si cette situation se présente, je viendrai vers vous » . Fin décembre, j'avais la conviction que nous étions dans cette situation. Conformément à l'engagement que j'avais pris auprès de lui, j'ai repris contact en disant : « On a la conviction que l'on pourrait avoir besoin de 9 millions de doses ailleurs, si cela vous intéresse » . C'est dans ce cadre que j'ai fait une proposition volontaire de réduire les quantités commandées.

M. Alain Milon, rapporteur - Quel a été, au dernier décompte, le nombre de vaccins livrés par votre laboratoire ? Selon quel échéancier ?

M. Jacques Berger - Très exactement, 17 millions de doses ont été livrées. Cela correspond aux 28 millions initialement commandées, moins les 9 millions que nous avions proposé de supprimer et moins les 2 millions qui ont été annulées une heure après que j'ai signé les papiers proposant volontairement une réduction de 9 millions des livraisons.

M. François Autain, président - Puis-je savoir les dates auxquelles vous avez livré les doses données à l'OMS ?

M. Jacques Berger - Nous avons à peu près 7 millions de doses disponibles à l'OMS. Il faut savoir que nous n'avons pas pu livrer les premières quantités, que ce soit à partir des Etats-Unis ou de la France, avant de passer par une procédure d'enregistrement de l'OMS, qui correspond à ce qu'on appelle la préqualification. Celle-ci est intervenue fin janvier - début février. C'est à partir de ce moment que les premières doses ont pu être livrées.

M. Alain Milon, rapporteur - Pouvez-vous faire le point de vos négociations avec le ministère de la santé sur le montant de l'indemnisation due au titre de la résiliation partielle des commandes ? Quand cette résiliation a-t-elle été signifiée ? Dans quelles conditions s'est déroulée la renégociation de vos contrats avec d'autres pays ?

M. Jacques Berger - Nous sommes toujours en discussion avec l'EPRUS. J'ai été informé qu'une notification était arrivée quand j'ai quitté mon bureau ce matin. Elle était adressée par l'EPRUS aux laboratoires producteurs avec lesquels il n'y avait pas d'accord. La presse s'en est fait l'écho.

L'EPRUS, par cette notification, nous attribue - je n'ai pas le document sous les yeux et je ne l'ai pas lu en détail, je sais simplement qu'il est arrivé ce matin - une compensation estimée à 2 millions d'euros pour les 2 millions de doses résiliées.

Je n'ai pas encore pris connaissance de ce document. Nous allons en discuter, toujours dans le même esprit qui préside aux rapports que nous souhaitons avoir avec les autorités. Nous allons examiner cela très attentivement. Je regrette que nous n'ayons pas trouvé d'autres solutions. Nous allons voir ce qui est encore possible.

M. François Autain, président - Cette proposition vous satisfait-elle ?

M. Jacques Berger - Non. Je ne peux pas dire qu'elle me satisfait.

M. François Autain, président - Jusqu'où avez-vous l'intention d'aller ? Iriez-vous éventuellement jusqu'au contentieux ?

M. Jacques Berger - Nous souhaitons l'éviter et nous ferons tout pour ne pas y arriver. Nous avons vécu cette dernière année avec une pression importante, mais avec le souci d'avoir avec les autorités de tutelle, en particulier françaises, avec lesquelles nous discutions, des rapports étroits de partenariat. Dans une situation comme celle-là, on essaie d'être efficace ensemble en comprenant qu'on a, de part et d'autre, des problèmes importants à régler. Je souhaite vivement continuer dans cet esprit. Nous allons tout faire en ce sens.

M. Jean-Jacques Jégou - Je reviens sur les questions de notre rapporteur. Sur les 9 millions que vous avez spontanément proposé de ne pas livrer et sur les 2 millions qu'on vous a rajoutés une heure après...

M. Jacques Berger - J'ai un petit peu exagéré. C'était quatre heures après.

M. Jean-Jacques Jégou - Première question : aviez-vous conscience, lorsque vous avez signé le contrat, que vous aviez affaire à la puissance publique et qu'elle était en mesure de résilier les commandes dont elle n'avait pas l'utilité ?

M. Jacques Berger - Très honnêtement, non. Personnellement, je ne m'étais pas posé cette question. C'était tellement peu l'esprit de ces discussions qu'on n'était pas du tout sur ce niveau. J'aurais dû le savoir, mais, de toute façon, cela n'aurait rien changé.

M. Jean-Jacques Jégou - Apparemment, vos collègues sont dans la même situation. C'est juridiquement un peu curieux. Il semble qu'on n'ait pas la même législation par rapport aux pays anglo-saxons.

Sur les 9 millions que vous avez proposé spontanément de ne pas livrer, aviez-vous preneur ?

M. Jacques Berger - J'ai utilisé le mot « conviction » tout à l'heure. Il faut savoir qu'à cette période nous étions dans une situation où la demande était encore importante. Il faut que vous sachiez que les résiliations qui ont eu lieu en France ont eu un impact bien en dehors de la France. Cela a produit une onde de choc. Nous n'avons qu'une seule autre annulation. Nous avons deux autres catégories de pays sur lesquels il y a eu des changements importants. Certains pays ont considérablement revu à la baisse les quantités commandées. D'autres pays n'ont pas commandé du tout, en tout cas pas chez nous, ce qui fait que nous n'avons pas revendu...

M. Jean-Jacques Jégou - Donc vous n'avez pas trouvé preneur. Vous avez 9 millions de doses plus 2 millions de doses, soit 11 millions de doses, qui vous restent sur les bras ?

M. Jacques Berger - Une petite partie des 9 millions a été vendue, mais pas la totalité, c'est très clair.

M. François Autain, président - Vous admettez qu'un certain nombre de pays ont pu revoir leurs commandes à la baisse. Vous venez de l'indiquer à l'instant.

M. Jacques Berger - Je peux constater qu'ils l'ont fait.

M. François Autain, président - Ils l'ont fait, mais ce n'était pas prévu dans leurs contrats.

M. Jacques Berger - J'ai dit que nous n'avions qu'un seul pays dans lequel il s'est agi d'une véritable résiliation, au même titre que la France. Pour les autres, nous étions en discussion. Soit les discussions ne se sont pas poursuivies, soit les quantités commandées ont été réduites. L'impact de la résiliation en France a été évident.

M. François Autain, président - Ce sont des résiliations qui vous ont été demandées ou qui ont été effectuées dans un seul pays ? Elles ont été effectuées dans les mêmes conditions qu'en France, même si la législation n'est pas la même ?

M. Jacques Berger - Absolument, l'annulation nous a été signifiée de la même façon.

M. François Autain, président - Le contrat ne prévoyait pas cette annulation ?

M. Jacques Berger - Non.

M. Claude Domeizel - Ces doses ont été fabriquées et vous les avez en stock ?

M. Jacques Berger - Oui, nous pourrons en intégrer une partie dans les productions destinées à l'hémisphère Sud, puisque, comme vous le savez, la souche H1N1sera présente dans le vaccin saisonnier. Mais seulement une petite partie. C'est une perte sèche, c'est très évident.

M. Jean-Jacques Jégou - Vous parlez d'intégrer une partie des doses qui vous restent sur les bras dans un nouveau vaccin pour le prochain hiver austral. Il n'en constituerait pas l'intégralité. De quel vaccin s'agit-il, d'un vaccin saisonnier ?

M. Jacques Berger - Oui. Dans tous les vaccins saisonniers, de l'hémisphère Nord ou de l'hémisphère Sud, vous avez systématiquement trois souches. Les souches qui rentrent dans le vaccin qui est fabriqué pour l'hémisphère Sud sont décidées en général vers le mois de septembre - cette année, cela a été un peu plus tard, au mois d'octobre - et les productions interviennent tout de suite après.

Cette année, l'OMS a décidé, dans les deux cas, pour les souches de l'hémisphère Sud et maintenant pour les souches de l'hémisphère Nord, d'intégrer la souche H1N1 dans les vaccins saisonniers.

M. Jean-Jacques Jégou - Pourriez-vous donner aujourd'hui votre manque à gagner ? Votre chiffre d'affaires est conséquent. Cette affaire des 9 millions de doses plus 2 millions de doses impacte-t-elle fortement vos résultats ?

M. Jacques Berger - Si votre calcul est fait sur les 11 millions multipliés par 6,25.

M. Jean-Jacques Jégou - Je veux parler de l'impact sur vos résultats.

M. Jacques Berger - L'impact est forcément important. Comme vous le dites, la société a un chiffre d'affaires important. Elle n'est pas mise en péril mais c'est un manque à gagner important. Cette opération est une mauvaise nouvelle pour nous.

M. Claude Domeizel - Les quantités annulées restent cependant commercialisables.

M. Jacques Berger - Pour le produit qui est mis dans le flacon final, il se peut très bien qu'il n'y ait pas du tout d'utilisation. Il y a peu de raisons qu'il y en ait, sauf s'il y avait une deuxième vague de la pandémie et que le vaccin soit nécessaire en grandes quantités à nouveau. A priori , nous allons avoir une perte qui correspond à ces doses, c'est évident.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourquoi avoir choisi de faire le vaccin avec et sans adjuvant ? Pourquoi avoir fait les deux et vous être mis en péril vis-à-vis d'une AMM qui n'arrivait pas ?

M. François Verdier - Quand la nouvelle souche H1N1 est apparue, nous ne connaissions pas son comportement. Nous ne savions pas si elle aurait un comportement plutôt comparable à une souche H5N1 pandémique ou plutôt comparable à une souche saisonnière. Nous savions que pour une souche H5N1 pandémique, il était nécessaire d'avoir un adjuvant, cette souche étant peu immunogène.

Quand on a lancé les effets cliniques et déposé les demandes d'enregistrement à l'Agence européenne, on a tout fait en parallèle. Dans les essais cliniques, on avait des groupes de personnes qui recevaient le vaccin adjuvé et des groupes de personnes qui recevaient le vaccin non adjuvé. On a déposé aussi auprès de l'Agence européenne deux lettres d'intention pour enregistrer les deux vaccins.

Lors d'une réunion avec l'AFSSAPS, la DGS et le Comité technique des vaccinations (CTV), ces instances ont exprimé l'utilité d'avoir un vaccin non adjuvé pour vacciner des populations à risque pour lesquelles on avait un recul plus limité face à un nouvel adjuvant. Le CTV a clairement dit que pour les très jeunes enfants, pour les femmes enceintes ou pour les personnes ayant des troubles du système immunitaire, il préférait avoir un vaccin non adjuvé.

Parallèlement, les premiers résultats des essais cliniques sont tombés. Il est apparu que le vaccin non adjuvé donnait une réponse immunogène suffisante. On était très satisfait d'avoir mené les deux vaccins en parallèle, puisqu'on se retrouvait avec la possibilité d'avoir un vaccin non adjuvé, qui consommait plus d'antigènes mais qui pouvait être intéressant pour des populations pour lesquelles on avait un recul plus limité.

L'existence d'un vaccin adjuvé permettait de produire plus rapidement du vaccin, mais avec moins de recul sur certaines populations.

M. Jacques Berger - C'est un choix que nous avions fait depuis le début.

M. François Autain, président - C'est la conséquence du fait que vous n'avez pas fait de mock-up.

M. François Verdier - Non, ce n'est pas la conséquence. C'est une opportunité. On pensait qu'il y avait deux types de besoins.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez été les seuls sur les trois fabricants de vaccins à vous être orientés vers deux types de vaccins.

M. François Verdier - Cela tient au fait que nous étions dans l'ignorance ! Nous ne savions pas comment allait se comporter cette souche. La pandémie nous a révélé des surprises. On pensait qu'elle allait être beaucoup plus pathogène. On pensait qu'un vaccin devait obligatoirement être développé avec un adjuvant, comme pour le H5N1. Toutes ces hypothèses se sont effondrées. Nous avons donc été très satisfaits d'avoir mené de front les deux options.

M. François Autain, président - On croyait avoir à faire à du H5N1 et c'était un banal virus saisonnier.

M. François Verdier - Pas tout à fait, tout de même.

M. François Autain, président - Je le dis toujours un peu par optimisme, mais j'ai tort.

Mme Marie-Christine Blandin - Une précision sur l'un de ces deux vaccins que vous avez abandonnés, l'Emerflu, sur lequel nous avons entendu des propos un peu hâtifs dans des auditions précédentes. L'avez-vous abandonné ou avez-vous eu un refus d'AMM ?

M. François Verdier - Pour Emerflu, nous avons déposé le dossier auprès de l'Agence européenne. Nous avons eu un avis négatif de la part du CHMP (Committee for Medicinal Products for Human Use), qui est le groupe d'experts statuant sur les dossiers déposés par l'industrie. La Commission européenne a ensuite demandé à l'Agence européenne de réexaminer son avis. Ce dossier n'a donc jamais été clos.

Il est toujours en suspens auprès de l'Agence européenne, sachant que nous avons parallèlement, comme je le disais tout à l'heure, évolué sur un vaccin avec un adjuvant plus moderne. Si on dépose demain un nouveau dossier mock-up, on le déposera avec cet adjuvant qui s'appelle AF03, et non plus avec l'adjuvant utilisé dans le cadre d'Emerflu.

M. Alain Milon, rapporteur - AF03 est celui qui est utilisé par GSK ?

M. François Verdier - Non c'est l'AS03 qui est utilisé par GSK. Nous utilisons un adjuvant qui a presque le même nom, qui s'appelle AF03. Pour information, le vaccin Emerflu a été enregistré dans d'autres pays que l'Europe. Je vous disais qu'en Europe, nous étions dans une situation d'attente. Emerflu a été enregistré notamment en Australie. C'est un vaccin qui présentait certains avantages, notamment pour lutter contre une poussée épidémique dans un environnement relativement limité.

M. François Autain, président - A-t-il été utilisé en Australie ?

M. François Verdier - Non, car il n'y a pas eu véritablement de pandémie H5N1. Ils ne nous ont pas demandé de transformer l'Emerflu, qui avait été développé avec un virus H5N1, avec un virus H1N1.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez eu un avis négatif d'une commission d'experts de rang européen. Les autorités européennes demandent qu'il soit réexaminé. Qui sont ces autorités européennes qui demandent ce réexamen ?

M. François Verdier - Quand un avis est donné par l'Agence du médicament à Londres, il est soumis ensuite à la Commission européenne à Bruxelles, qui confirme et transforme cet avis en un enregistrement européen, valable dans les vingt-sept pays européens.

Mme Marie-Christine Blandin - Les personnes de la Commission de Bruxelles qui prennent la décision sont-elles des autorités de santé publique ou administratives, ou sont-elles des experts en biologie ?

M. François Verdier - Je ne pense pas qu'on puisse les qualifier d'experts en biologie. Ils ont cependant des compétences en santé publique.

Mme Marie-Christine Blandin - Sont-ils légitimes pour demander à des experts de remettre leur travail sur le métier ?

M. François Verdier - D'autant plus qu'on parle d'un vaccin pour lutter contre une pandémie. Il y a des notions de santé publique peut-être légèrement différentes par rapport à d'autres médicaments.

M. Jean-Jacques Jégou - Je voudrais revenir sur l'étude du comportement de la souche en parallèle à ce qui a été décidé par l'OMS. Puisque le H5N1 nécessite une double vaccination à trois semaines d'intervalle, ils en ont déduit que le H1N1 se comporterait de la même façon. Que pensez-vous de cette façon de voir ?

M. Jacques Berger - Ce n'est pas de notre domaine de compétence.

M. Jean-Jacques Jégou - Non, mais à partir du moment où vous dites vous-même qu'on ne connaissait pas le comportement de la souche... Il s'est révélé d'ailleurs dans les examens cliniques qu'il suffisait d'une seule injection, comme pour le vaccin de la grippe saisonnière. Cela a été, je ne dirais pas que c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais c'est un élément qui provoque un certain nombre de réactions : non seulement la pandémie n'a pas été aussi importante qu'on l'imaginait, mais en même temps on a d'emblée indiqué qu'il fallait deux injections alors qu'une suffisait.

M. François Autain, président - Je vais compléter la question de M. Jean-Jacques Jégou. A-t-il existé, depuis que la vaccination grippale existe, une grippe saisonnière ou une pandémie qui a nécessité deux injections ? J'écarte les enfants de moins de neuf ans et les personnes immunodéprimées. Historiquement, existe-t-il un exemple de grippe pour laquelle on a préconisé une vaccination comportant deux injections ?

M. Jacques Berger - Nous ne sommes pas les meilleurs spécialistes pour vous répondre. Ce n'est pas à l'industrie d'avoir ce type de compétences. Pour la grippe saisonnière, cela a toujours été une dose. Je crois que l'épisode de 1976 avait nécessité deux doses. Ce qui s'est passé en 1976, plus le H5N1, a amené la communauté scientifique à être largement convaincue que, pour le H1N1, c'était vraisemblablement deux doses qu'il fallait.

M. François Autain, président - C'est une information intéressante que nous vérifierons. Il y aurait un précédent.

M. François Verdier - Quand la nouvelle souche H1N1 est apparue au Mexique, on était face à une souche que l'on considérait comme étant totalement nouvelle. Sur le plan immunitaire, quand un virus est totalement nouveau, on pense qu'une seule immunisation n'est pas suffisante pour établir une protection forte.

Dans le cas de la grippe saisonnière, même si le virus mute, on a quand même un résidu de réponse par rapport aux souches précédentes des années antérieures.

M. Jean-Jacques Jégou - C'est aux scientifiques que je pose la question : le H5N1 est-il vraiment une nouvelle souche ou un dérivé d'une souche ?

M. François Verdier - On va dire que c'est les deux ! On a observé que dans la population des personnes de plus de 60 ans, un tiers avait déjà été au contact soit d'une souche très comparable, soit d'une souche qui présentait des composants identiques. Elle est donc nouvelle, mais pas totalement, puisque chez les personnes de plus de 60 ans, on a un tiers des personnes qui la reconnaissent.

M. Alain Milon, rapporteur - La question a été posée l'autre jour aux virologues qui ont bien dit que le H1N1 était une nouvelle souche. C'était une variante, mais c'était une nouvelle souche. Ceux qu'on considère comme étant vaccinés par rapport au H1N1 ont été en contact avec des souches voisines. Cela leur permettait d'avoir quelques défenses contre le H1N1, qui est selon eux une nouvelle souche.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, permettez-moi d'avoir une petite divergence sur cette question...

M. Alain Milon, rapporteur - Nous en aurons d'autres certainement !

M. François Autain, président - ... Mais nous aurons l'occasion d'y revenir. Nous aurons l'occasion de rencontrer d'autres virologues et d'autres experts.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vais revenir sur l'indemnisation, question à laquelle vous n'avez pas complètement répondu. Je vais la poser plus directement, comme nous l'avons posée à GSK qui nous a répondu. Quelle est la somme que vous pouvez obtenir dans le cadre de l'indemnisation pour clore le débat, dans les meilleures conditions possibles, pour les uns et les autres ?

M. Jacques Berger - Je souhaite que la réponse ne soit pas inscrite au compte rendu.

M. François Autain, président - Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je lève la séance en vous remerciant, Messieurs, d'avoir répondu avec beaucoup de précision à nos questions.

Audition de Mmes Sophie KORNOWSKI-BONNET, présidente,
Monelle MUNTLAK, directeur de l'unité de virologie,
et M. Jean-François CHAMBON,
directeur de la communication et des affaires publiques
du laboratoire Roche Pharma France
(mercredi 6 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons Mmes Sophie Kornowski-Bonnet, présidente, Monelle Muntlak, directeur de l'unité de virologie, et M. Jean-François Chambon, directeur de la communication et des affaires publiques du laboratoire Roche Pharma France.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mmes Sophie Kornowski-Bonnet, Monelle Muntlak et M. Jean-François Chambon prêtent serment.

Je vous remercie et je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions que vous poseront le rapporteur, M. Alain Milon, et les commissaires ici présents.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Roche a un engagement de plus de quarante ans en infectiologie. Nous avons travaillé dans la lutte contre la tuberculose, le paludisme, dans les antibiotiques, et maintenant la grippe. Nous avons eu un premier antiviral Roflual avant le Tamiflu. Puis est arrivé le Tamiflu.

La prise de conscience par les institutions d'un risque pandémique s'est développée en 2003 avec la grippe aviaire H5N1. Dès lors, l'émergence d'un risque pandémique dans l'esprit du grand public est apparue, et il y a eu une très forte médiatisation. A l'époque, l'OMS a demandé aux Etats du monde entier de se préparer à une éventuelle pandémie de grippe, d'établir des plans pandémiques, dont un point était la constitution de stocks d'antiviraux de Tamiflu.

On sait pourquoi on parle de pandémie. Il y a eu pas mal de débats dans la presse récemment. Il s'agissait d'un nouveau virus, la grippe A (H1N1) était la combinaison d'un virus porcin, aviaire et humain. Il se transmet d'homme à homme et il a envahi tout le globe. Le caractère de gravité n'était pas du tout présent dans la classification qui a été faite à l'époque. L'OMS a classé la grippe en phase 6, le 11 juin 2009. Dès avril, cela a commencé au Mexique où on s'est mis en état d'alerte, en se disant que la situation allait probablement évoluer.

Je vais vous parler plus précisément du Tamiflu. Il est commercialisé en France depuis 2002. C'est un antiviral spécifique de la grippe. Il agit en inhibant la neuraminidase, qui est un enzyme présent dans tous les virus de la grippe. Il inhibe la multiplication virale et la diffusion du virus dans l'organisme.

Il faut qu'il soit pris selon les modalités recommandées, c'est-à-dire au plus tard dans les quarante-huit heures. Le Tamiflu réduit d'un tiers les symptômes en durée et en intensité. Le patient gagne en moyenne un jour à un jour et demi sur les cinq jours de sa maladie. C'est une moyenne, mais certains patients bénéficient beaucoup plus de son action.

Il y a une réduction de 30 à 70 % des complications secondaires, telles pneumopathie et sinusites entre autres, selon le type de patients. Il y a une efficacité protectrice globale contre une grippe clinique qui peut aller jusqu'à 90 % chez les adultes et les adolescents ayant un étroit contact avec une personne infectée par le virus.

Pendant la pandémie, les patients ont été suivis très largement, et 90 % ont pu bénéficier des médicaments. Il y a eu très peu d'hospitalisations et aucun décès. Une vraie barrière antivirale s'est opposée au virus.

Le 23 octobre 2009, sur décision de la Commission européenne, Tamiflu a été aussi indiqué dans le traitement curatif et en prophylaxie post-exposition de la grippe du nourrisson âgé de moins de douze mois lors d'une pandémie grippale. L'EMA a aussi recommandé l'utilisation de Tamiflu chez la femme enceinte ou allaitante en cas de pandémie, le bénéfice pour la mère justifiant le risque théorique encouru par le nouveau-né.

Je vais revenir en arrière sur les relations entre Roche et les autorités françaises. Dès 2003, comme je vous le disais tout à l'heure, c'était le virus SARS. Puis, en 2005, avec la grippe H5N1, la menace d'une pandémie de grippe a mobilisé les autorités françaises qui ont pris la décision de doter la France d'un stock stratégique d'antiviraux. La quasi-totalité du stock français a été constituée entre les années 2004 et 2007.

A l'époque, le cabinet du ministre de la santé, M. Philippe Douste-Blazy, a été en contact avec Roche, par l'intermédiaire de la DGS, pour une première commande de Tamiflu. Le premier stock de gélules de 75 milligrammes a été conservé dans nos entrepôts de distribution jusqu'en 2009. Le stock a été progressivement augmenté, avec de la poudre de substance active. La dernière livraison de cette poudre a eu lieu en 2007. Le gouvernement français ayant décidé de constituer un stock à même de couvrir une population en cas de pandémie, avec un taux d'attaque estimé entre 30 et 50 %. Ce taux d'attaque est celui qu'on a entendu circuler au début de la pandémie. On a eu l'impression que la contagiosité du virus était vraiment similaire aux simulations qui avaient été faites à l'époque.

Le stock gouvernemental de 23 millions de doses a fait l'objet de discussions, puis de contrats sur la période 2004 à 2006. Les interlocuteurs de Roche ont été successivement le cabinet du ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, la direction générale de la santé, l'Agence du médicament, et la Pharmacie centrale des armées, cette dernière particulièrement pour la présentation de la poudre dite ATI, destinée à être transformée en comprimés par la Pharmacie centrale des armées. L'intérêt de la poudre est qu'elle peut être gardée très longtemps. Elle peut être réanalysée. C'était une manière économique de faire un stock tout de suite disponible.

A cette époque, Roche avait, par contrat, autorisé la production de comprimés d'oseltamivir, et fourni les éléments techniques à cette production industrielle, en cas de pandémie. La France a été le premier pays à se doter de cette possibilité de fournir de la poudre au gouvernement. D'autres pays ont suivi, la Belgique me semble-t-il.

En 2009, les comprimés d'oseltamivir PG ont été fabriqués par la Pharmacie centrale des armées. Roche s'est mobilisé pour fournir toutes les aides techniques pour que l'AMM puisse être disponible très rapidement. Les réunions ont eu lieu au mois de septembre pour une AMM le plus vite possible. Après 2007, le stock est demeuré inchangé, à l'exception de 2009 où il y a eu un complément limité pour des dosages pédiatriques qui manquaient au tout début de l'alerte.

M. François Autain , président - Avez-vous eu une commande en 2010 ?

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Non.

M. François Autain , président - Il n'y a pas de projet.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Dès le 21 décembre 2009, une fois que les comprimés ont été mis en circulation, nous sommes complètement hors du jeu. Il ne peut pas y avoir de double circulation.

M. François Autain , président - Le gouvernement n'a pas décidé de compléter le stock en 2010 ? En 2010, on ne touche à rien.

Mme Monelle Muntlak - Non.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - On ne touche à rien pour un bon moment.

M. François Autain , président - On attend la prochaine pandémie.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Roche, dans sa mission au niveau mondial, a mis tout en oeuvre pour disposer de quantités suffisantes pour le monde entier. Dès 2003, il y avait eu le souci d'augmenter fortement la production. En quatre ans, Roche a multiplié par vingt sa capacité de production au niveau mondial. Elle a fait un don à l'OMS de 10 millions de traitements déblocables très rapidement pour les urgences. Quand cela démarre, cela démarre partout, et dans l'urgence la plus totale. On a mis en place beaucoup de contrôles pour maîtriser la qualité et la sécurité de la production.

Dans cette pandémie, nous avons eu le risque de contrefaçons circulant sur Internet. Tout ce qui est contrôle qualité doit être à un niveau encore plus fort en période de risque de pandémie. Il faut baser toutes les décisions sur l'information médicale et scientifique disponible, car il faut un monitoring permanent du virus pour savoir s'il est toujours sensible au traitement. C'est vraiment l'idée d'une cellule de crise quasiment au jour le jour.

En résumé, il s'agit de tout mettre en oeuvre pour répondre aux besoins en matière de production, d'information et de suivi. On parle de la pharmacovigilance, car il faut regarder de très près les effets secondaires.

Pour la France, la situation était très inquiétante depuis le mois d'avril, et elle l'est restée jusque tard dans l'année. Nous avions encore des discussions au mois de septembre dans la cellule de crise. A l'époque, il y avait énormément de patients dans les services d'urgence. On se disait que si la tendance se poursuivait, les prévisions étaient vraiment très inquiétantes. Maintenant, on dit que la grippe n'était pas si grave.

En interne, nous avions des discussions sur le patient de Saint-Etienne et son poumon. Nous en avions pour chaque patient, et nous traquions le risque d'une résistance. Il fallait que nous soyons au courant de ce qui se passait. C'est seulement en fin d'année que nous avons commencé à dire que ce n'était pas aussi grave que cela aurait pu l'être.

Au niveau de Roche France, en relation très étroite avec la maison-mère, nous nous sommes assurés que les professionnels de santé avaient la bonne information pour l'usage de Tamiflu. Nous nous sommes toujours mis en ligne avec les autorités de santé. Celles-ci ont plutôt limité les indications. Nous avons toujours voulu être en écho de ce qu'elles disaient de façon à ce que les médecins, en bout de chaîne, n'aient pas à se demander comment prescrire. Nous avons toujours été en écho des recommandations du ministère de la santé.

Nous avons organisé des commandes de produits en prévision d'une nécessité d'ajustement. C'est arrivé pour le produit pédiatrique. Nous avons mobilisé les ressources de notre maison mère pour être capables de répondre si nécessaire. Nous avons mis en place la pharmacovigilance et assuré la veille virologique. Nous étions vraiment au cas par cas. Si un patient était mort, il fallait savoir s'il avait été sous Tamiflu et dans quelles circonstances.

Nous travaillons beaucoup avec les cancérologues et les néphrologues. Ces professionnels de santé avaient beaucoup de questions sur les populations les plus à risques : les patients immunodéprimés, les patients en chimiothérapie. Que faire s'ils contractent une grippe ou si leurs proches l'ont ?

On a mis en place une cellule d'information médicale pour répondre aux questions des médecins. Il me semblait nécessaire que nous, laboratoire, qui commercialisons le Tamiflu, nous soyons capables de dire ce qu'il faut faire si un patient est en insuffisance rénale ou autre. Il y a eu beaucoup de recherches et de discussions entre nous pour savoir la bonne recommandation.

Roche a des relations avec les experts qui sont régies par un guide de DMOS. On a une grille tarifaire et une grille d'organisation de nos relations avec les experts. Notre grille tarifaire est validée par le Conseil national de l'Ordre. Nous ne sommes pas obligés de le faire, mais nous avons souhaité le faire, car nous souhaitons être complètement transparents. Quand on travaille avec des experts, on suit exactement cette grille.

Personnellement, j'ai assisté à deux ou trois réunions pendant la pandémie pour discuter sur la manière dont cela pouvait se passer, sur la manière dont cela pouvait évoluer, de façon à pouvoir être mobilisé et répondre aux besoins.

Il faut avoir à l'esprit que les informations étaient multiples. Elles venaient de différents canaux. On n'avait pas de ligne directe avec les autorités de santé. Chacun essayait de gérer comme il le pouvait. Nous étions obligés de nous dire : il faut que nous soyons présents avec des médicaments, de l'information s'ils en ont besoin, de manière à gérer l'envoi en urgence de médicaments dans des endroits où il n'y en avait pas. Il faut savoir que ce n'était pas si évident pour un patient de se procurer un médicament à prendre dans les quarante-huit heures, en pleine panique. Nous répondions aux urgences, aux cas pédiatriques.

Nous avons eu, à un moment, une discussion sur la manière de reconstituer des solutions pour les enfants. Nous avions peu de formes pédiatriques ; nous avions surtout des formes en gélules. La suspension prend vingt-cinq étapes de fabrication de plus. Roche avait privilégié la gélule, plus facile à réaliser et de péremption plus longue. Tous les patients ne peuvent pas avaler des gélules. Nous avons été confrontés à beaucoup de questions techniques sur la manière de reconstituer, comment faire pour un enfant en bas âge, quelle dose, etc.

Je voulais vous parler de quelque chose qui a été assez controversé dans la presse : la publication du British Médical Journal . Roche a été approché non pas par le BMJ , mais par la télévision anglaise qui voulait des informations sur les dossiers de développement de Tamiflu pour la Cochrane. Nous voulons bien parler aux chercheurs mais parler à la télévision nous intéresse moins.

Nous sommes remontés de nous-mêmes vers la Cochrane en disant : « Nous voulons bien, mais il est nécessaire de signer un contrat de confidentialité, car ce sont des données patients individuelles et nominatives dans les essais cliniques. Nous nous engageons auprès des patients à ne pas diffuser ces informations partout, et en particulier sur Internet ou dans la presse. Vous, la Cochrane Review, vous devez signer que vous allez respecter cette confidentialité ». Ces gens-là ont refusé.

C'est la raison pour laquelle ils ont fait leur travail sans insérer des données qui sont toutes incluses dans les AMM, toutes prises en compte par l'EMA. Toutes les publications de Roche et tous les effets cliniques sont disponibles sur roche.tride.com depuis décembre. N'ayant rien à cacher, nous avons vraiment voulu que toutes ces informations soient vérifiables par tout le monde.

Toutes les données relatives au fait qu'il y a une diminution des syndromes bronchiques, des infections, de l'utilisation des antibiotiques, ont été intégrées dans les AMM européennes et sont bien présentes.

On a aussi beaucoup parlé des résistances. Nous avons entendu l'inquiétude au début de la pandémie, à savoir : si on utilise trop de Tamiflu, des patients vont développer une résistance. Quand un patient n'a pas de virus, il ne peut pas développer une résistance, puisque le virus n'est pas présent chez lui. Il y a effectivement des cas de résistance qui sont de 0,4 % pour les adultes, et de 5,4 % chez l'enfant. Il faut savoir qu'il n'y a pas plus de résistance dans les pays qui utilisent énormément de Tamiflu, comme au Japon, où jamais aucune souche résistante n'a été développée dans ce pays. Treize souches résistantes ont été identifiées pendant la pandémie. En général, les patients qui ont des résistances, c'est un virus qui ne peut pas se propager, et nous avons constaté que c'était bien le cas.

Nous avons été inquiets et nous nous sommes posé des questions pour chaque patient. La bonne nouvelle à laquelle nous pensions s'est confirmée : le virus clinique, qui n'est pas résistant au début de la pandémie, ne l'est pas devenu au cours de celle-ci. Le médicament a été utilisé pendant la pandémie, à pleine dose et en dose curative. L'Agence a recommandé une utilisation préemptive, c'est-à-dire à pleine dose dans un souci d'éviter des résistances. En revanche, il y a un risque pour un patient malade qui prendrait une dose insuffisante, mais cela ne s'est pas produit pendant cette pandémie.

Il y a un élément important sur ce virus de la grippe par rapport à ceux auxquels on est familier. En général, la grippe vient plus violemment et dure assez peu longtemps. Nous avons eu le cas pour le patient de Saint-Etienne. Des patients ont été atteints au début, puis c'est devenu de plus en plus grave au cours du temps. C'était un vrai danger : les patients n'avaient pas forcément le réflexe d'aller voir tout de suite le médecin. On se demande si la contagiosité n'a pas duré plus longtemps que ce qui est traditionnel dans la grippe. Je vous parle d'un aspect scientifique dont nous discutions, car nous nous demandions ce qu'il allait se passer.

Au cours des mois de décembre et janvier, on s'est rendu compte que le pic était derrière nous. Nous sommes encore en phase pandémique. Je pense qu'à un moment ou à un autre, la prochaine étape sera déclarée.

M. François Autain , président - Je voulais vous indiquer à propos de la publication du Groupe Cochrane dirigée par M. Thomas Jefferson qu'il s'agit d'une méta-analyse. Vous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous avez cru bon ne pas devoir communiquer les essais auxquels vous aviez procédé concernant ce médicament.

Je respecte tout à fait les raisons que vous avez invoquées. Vous avouerez, malgré tout, que cela porte peut-être un certain ombrage sur les résultats de cette étude parue dans le British Medical Journal . Cela pose tout de même un certain nombre de questions en ce qui nous concerne. Pourquoi le laboratoire Roche n'a-t-il pas voulu communiquer ces essais ? Vous avez tout à l'heure indiqué la volonté de préserver l'anonymat. A mon sens, on peut le préserver assez facilement. Cela ne me paraît pas être une cause valable.

Les plus malveillants pourront dire qu'ils n'ont pas voulu communiquer ces essais, parce que ces essais n'étaient pas favorables au médicament. Vous voyez ce que je veux dire. C'est peut-être faux, mais cela prête en tout cas à une telle interprétation.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - J'entends le point. Deux éléments me semblent importants. Les entreprises de médicaments sont là pour proposer des médicaments qui doivent être efficaces. A chaque fois qu'on a un soupçon et encore plus une évidence qu'un médicament n'est pas efficace, on doit être les premiers à signaler la situation, pandémie ou pas pandémie. Cela paraîtrait complètement non éthique, cela paraîtrait même remettre en jeu notre raison d'exister, que de défendre un médicament pour lequel les essais cliniques montreraient qu'il n'est pas efficace. Cela va contre la mission que nous avons. Nous prêtons serment quand nous travaillons dans l'industrie. Nous nous engageons pour l'efficacité et la tolérance de nos médicaments.

Un autre élément me paraît important : il y a eu d'autres discussions sur l'identité et l'anonymat des patients. Même en situation de crise, on doit faire en sorte de ne pas exposer des gens qui n'ont pas souhaité l'être. Quand nous faisons des essais cliniques, les patients nous font confiance. Ils signent un consentement. Nous nous engageons à préserver l'anonymat. Surtout que nous n'avons pas été contactés par Cochrane mais par la télévision. Je pense qu'il faut se réjouir qu'un laboratoire mette une barrière, surtout que nous avons donné et publié les informations. Nous avons nous-mêmes contacté Cochrane, ce n'est pas l'établissement qui nous a contactés.

M. François Autain , président - Ce n'est pas Cochrane qui vous a contactés. Cochrane n'a pas demandé ces essais.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Roche est venu volontairement proposer la confidentialité pour que ces essais puissent être analysés.

M. François Autain , président - Roche n'a pas refusé de communiquer ces essais à Tom Jefferson.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Face à un refus de confidentialité, Roche n'a pas souhaité communiquer.

M. François Autain , président - Nous allons auditionner M. Thomas Jefferson. Il est intéressant que nous sachions exactement comment cela s'est passé, pour que nous puissions l'interroger.

Mme Monelle Muntlak - Pour avoir des données, le groupe Cochrane avait à demander directement à Roche comment les obtenir pour les essais qui n'étaient pas publiés. La discussion porte sur ces essais qui font partie du dossier de l'AMM, mais qui ne sont pas publiés.

Il suffisait que le Groupe Cochrane demande directement à Roche comment les obtenir. M. Thomas Jefferson était, dans un temps un peu antérieur, investigateur pour Roche. Il connaissait très bien les gens avec qui il avait travaillé. Il aurait très bien pu le demander. Comme ils ne les ont pas eus facilement et directement, ils sont allés sur une chaîne télévisée anglaise. C'est à se demander pourquoi.

Au lieu de s'adresser à Roche directement, ils sont allés sur une chaîne de télévision pour dire que Roche ne voulait pas donner ces essais. En réalité, toutes les données sont accessibles aux groupes de recherche. On les a toujours données. Une autre donnée est intéressante. Dans le même BMJ , la réponse de Roche a été publiée et elle explique tout cela. Nous pouvons vous la communiquer.

M. François Autain , président - Vous comprenez que nous soyons assez curieux sur tous ces problèmes car l'efficacité de ce médicament fait l'objet d'une controverse, même chez les experts. Il est important que nous soyons informés sur tous ces éléments d'autant plus - c'est une autre question concernant le niveau de preuves qui est produit par votre laboratoire concernant l'efficacité du Tamiflu, non plus dans la grippe saisonnière mais dans la grippe H1N1 - qu'il semblerait que les preuves que nous avons ne sont pas d'un niveau très élevé, susceptibles en tout cas de satisfaire les plus exigeants. Qu'en est-il exactement ?

Mme Monelle Muntlak - Le dossier a été développé sur la grippe saisonnière, car pour faire des dossiers, il faut des essais cliniques. La grippe H1N1 ayant fait son apparition au mois de mai, il était hors de question d'avoir des preuves et des essais cliniques sur ceux de la grippe saisonnière.

L'éventualité de l'efficacité des produits est une extrapolation liée au fait que, comme le produit agit en inhibant la neuraminidase du virus, il est extrapolable qu'il va fonctionner sur tous les virus comme sur ceux qui ont été testés, c'est-à-dire ceux de la grippe saisonnière. Il n'y avait, au moment où la crise a commencé, aucun essai qui puisse permettre de le prouver formellement.

En revanche, des publications sont intervenues depuis, que ce soit sur la femme enceinte aux USA, au Mexique, en Argentine ou au Chili. L'InVS même a publié des essais montrant que, lorsque les patients sont traités suffisamment tôt par le Tamiflu, ils avaient plus de chance soit de ne pas être hospitalisés, soit d'avoir une mortalité inférieure.

M. Alain Milon , rapporteur - Vous avez parlé du Tamiflu en poudre acheté par la Pharmacie centrale des armées. Pourriez-vous nous dire ce que représentent les stocks de l'État dans le montant total des ventes de Tamiflu en France ? D'autres Etats ont-ils constitué des stocks de cette spécialité ? Y a-t-il eu un moment d'inquiétude chez vous sur la capacité de production et donc d'approvisionnement des antiviraux contre la grippe ?

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Les stocks de l'État étaient constitués dès 2003.

M. Alain Milon , rapporteur - Il ne les a pas gardés.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Si, ils les ont gardés.

Mme Monelle Muntlak - Vous parlez de 2009 ?

M. Alain Milon , rapporteur - Oui.

Mme Monelle Muntlak - Ils ont envoyé une partie des quantités qu'ils avaient en stock au début de la crise au Mexique. Ils ont également fait partir certaines quantités de produits dans les ambassades des pays les premiers touchés par le virus H1N1. Ensuite, pendant la pandémie, en France, pour des raisons qu'il faudra peut-être discuter avec eux, ils ont considéré qu'il fallait donner plutôt la priorité à la vaccination, c'est-à-dire que la vaccination constituerait probablement une mesure barrière plus intéressante que de traiter tous les patients.

L'idée était de surveiller les patients à risques. Le produit n'était prescrit que chez les patients à risques. Au moment où le pic s'est développé, on s'est aperçu qu'il y avait un bénéfice populationnel en traitant les patients très précocement. A ce moment-là, ils ont eu leur AMM pour leurs comprimés, et ils ont libéré le stock sous forme de comprimé à 30 milligrammes PG, fabriqués à partir de la poudre en question.

M. Alain Milon , rapporteur - Le directeur général de la santé, lors d'une de ses auditions, a affirmé que les indications pour l'usage du Tamiflu sont plus réduites en France que dans d'autres pays. Est-ce exact, selon vous ? Quelles indications retenues dans d'autres pays ne l`ont pas été en France ? Pourquoi ?

Mme Monelle Muntlak - Je lis le compte rendu de l'audition de M. Didier Houssin. Je pense qu'il y a une erreur en termes d'indication. En France, le produit est indiqué en curatif dans la grippe saisonnière et en prophylaxie. Je pense qu'il s'agit d'un lapsus et qu'il a voulu parler de remboursement. Ce n'est pas remboursé dans toutes les indications mais, en revanche, les indications sont extrêmement larges sur des populations adultes et l'enfant à partir d'un an, en grippe saisonnière. L'enfant plus petit a été considéré uniquement pour la pandémie. Je ne pense pas qu'il y ait moins d'indications en France qu'ailleurs.

L'AMM du produit est pour tous les patients. En revanche, au début de la pandémie, il y avait de nombreuses discussions quant à l'opportunité et au bien-fondé de l'utiliser de manière extrêmement large. Effectivement, les experts avec qui nous étions en relation étaient hésitants. Au début, on ne connaissait ni la clinique exacte de cette forme de grippe ni le virus. Ils ne voulaient pas inonder le territoire avec le Tamiflu. Ils ont préféré le réserver au début aux sujets à risques. Par la suite, on s'est aperçu que la situation pouvait s'aggraver au cours du temps, que si on ne prévoyait pas de le prescrire dès le début des symptômes, il serait trop tard, et qu'il y avait un bénéfice probable.

M. Alain Milon , rapporteur - L'exemple de la pratique suivie au Chili a incité le Comité de lutte contre la grippe à recommander une extension de l'indication du Tamiflu à titre préventif, qui a été validée par l'AFSSAPS. Les Laboratoires Roche ont-ils été consultés sur l'exemple et ses conséquences en termes d'indications ?

La pratique suivie au Chili résulte-t-elle d'un dialogue entre les autorités chiliennes et Roche ?

Mme Monelle Muntlak - Plutôt que préventif, je dirai préemption. Le problème qui s'est posé avec les experts et dans les discussions est le suivant : on a une indication prophylactique. Cela signifie la prise de traitement dès que vous croisez quelqu'un qui a la grippe. Si vous le prenez, dans le dossier de l'AMM, en grippe saisonnière, vous êtes protégé à 95 %. Sur ce virus qu'on connaissait mal, les experts étaient hésitants sur cette question de demi-dose.

Il s'agit en fait de demi-dose dix jours, au lieu de pleine dose cinq jours. Pour les femmes enceintes, ils pensaient que l'enfant n'avait pas de défenses immunitaires suffisantes, et ils trouvaient que la demi-dose en prophylaxie n'était pas forcément une bonne idée. Ils ont émis la recommandation que vous avez vue. Chez le petit bébé, il fallait donner une dose préemptive, c'est-à-dire une pleine dose pendant cinq jours pour éviter d'avoir une résistance.

J'ai discuté par la suite avec les virologues. Ils vous diront qu'ils étaient étonnés de voir le temps pendant lequel le virus restait présent dans l'organisme, chez un certain nombre de malades même traités précocement. C'est un virus qui n'a pas encore tout dit.

M. François Autain , président - Toutes ces prescriptions préemptives devraient faire l'objet d'une extension de l'AMM. Dans ces cas-là, la démarche pour un laboratoire comme le vôtre est de déposer une demande d'extension d'AMM auprès de la Commission d'AMM. Or, il semble bien que cette procédure n'ait pas été respectée. Je voudrais savoir pour quelles raisons.

Mme Monelle Muntlak - Pas pendant la pandémie. Pour déposer une demande d'AMM, il faut des essais cliniques. En ce moment, une étude internationale est faite chez le nourrisson. La France a des investigateurs français, ce qui probablement amènera à une extension d'AMM. L'AMM a été considérée comme exceptionnelle dans la pandémie pour le bébé.

M. François Autain , président - Une extension d'AMM n'a pas été donnée par la Commission d'AMM, mais elle a été donnée par l'AFSSAPS. Elle a ensuite été transmise aux médecins par la direction générale de la Santé, comme s'il s'agissait d'une extension d'AMM, fondée sur des essais cliniques dignes de ce nom.

Mme Monelle Muntlak - L'AFSSAPS et la commission d'AMM, c'est la même chose.

M. François Autain , président - On ne peut pas réduire l'AFSSAPS à la commission d'AMM.

Mme Monelle Muntlak - Nous étions observateurs. Nous discutions avec les experts pour comprendre.

M. François Autain , président - Vous étiez acteurs, vous n'avez pas déposé de dossier.

Mme Monelle Muntlak - Ce n'était pas la discussion, en revanche on suivait les affaires, on discutait avec les experts pour comprendre notre produit, comprendre ce qui se passait et comprendre les recommandations. Nous avons des visiteurs médicaux qui vont voir les médecins. Il faut qu'ils soient capables d'expliquer le bon usage des produits en fonction des recommandations. Nous avions convenu avec l'AFSSAPS qu'on pouvait remettre la fiche de recommandation.

M. François Autain , président - De toute façon, vous n'aviez pas à communiquer. Le directeur général de la santé avait communiqué directement avec les médecins. Il avait fait votre travail. Vous n'aviez aucune inquiétude sur ce plan. Je voulais simplement avoir confirmation qu'il n'y avait pas eu de dépôt de dossier. C'est en cours, il faudra donc une extension d'AMM.

M. Alain Milon , rapporteur - Je voudrais revenir sur les liens d'intérêts. Quelle est la nature des relations entre Roche Pharma, les autorités publiques françaises, s'il y en a, et les différentes instances d'expertise publiques que vous avez, en particulier pour le Tamiflu ? Quels liens votre laboratoire entretient-il avec l'OMS ?

Mme Monelle Muntlak - Nous avons les relations habituelles avec l'Agence du médicament, l'EPRUS parce qu'on leur a vendu du produit. Nous avons des relations avec la DGS à partir de 2003.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - En période de pandémie, il n'y a pas beaucoup de contacts entre les laboratoires et les autorités de santé. Les réseaux de santé sont très mobilisés entre les ministères de la santé et de l'intérieur, etc. Il n'y avait donc pas de dialogue. Nous avons essayé de donner de l'information ou de connaître les questions sur le médicament. Nos interlocuteurs privilégiés étaient l'AFFSAPS, car cela passe par la pharmacovigilance. Les cellules de crises étaient internes.

Mme Monelle Muntlak - Nous n'avions pas de ligne directe avec les autorités. Nous étions parfois même ennuyés de ne pas pouvoir leur demander leur avis.

Au niveau de l'OMS, pour répondre à votre dernière question, nous n'avons pas en France de liens d'intérêts quels qu'ils soient. En revanche, au niveau international, on a mentionné tout à l'heure les liens avec l'OMS qui sont liés à la production et à la fourniture du produit aux pays défavorisés. On a donné 10 millions de traitements à l'OMS pendant la pandémie. Sinon, nous sommes extrêmement proches d'eux pour essayer de surveiller, au niveau international, les résistances. Il y a un observatoire international des résistances.

M. François Autain , président - Une question se greffe sur celles du rapporteur. Vous avez montré que vous étiez en avance par rapport à d'autres laboratoires concernant les liens que vous pouviez avoir avec les experts. Je n'ai pas pris connaissance de ce document, mais je le ferai. Verriez-vous un inconvénient à ce qu'on prévoie que les laboratoires, comme ils le font pour les associations qu'ils subventionnent, soient dans l'obligation de publier la liste d'experts qu'ils rémunèrent et la hauteur de leur rémunération ? C'est une question d'actualité.

Dans une interview récente, le président du LEEM a indiqué qu'il était hostile à cette éventualité, au motif que cela pourrait nuire à la concurrence entre les laboratoires. Je n'ai pas l'interview sous les yeux. Celle-ci a été publiée dans le dernier numéro de L'Express . La question est simple : verriez-vous un inconvénient à une telle disposition qui apporterait plus de transparence dans les liens qui peuvent exister entre les laboratoires et les experts et qui permettrait aux citoyens d'interpréter les jugements qui peuvent être portés par ces experts quand ils sont sollicités par les pouvoirs publics ?

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Les experts sont supposés faire les déclarations de liens d'intérêts. C'est dans leur mission. Si nous avons des listes avec des barèmes officiels et que les CNO approuvent systématiquement les barèmes des entreprises, on peut arriver au même résultat.

Je rejoins la position du président du LEEM qui dit que si on dit tout ce qu'on fait, à un moment on fait tous la même chose, et les sociétés qui sont un peu plus créatives ne gagneront plus rien. Je crois qu'il faut préserver la compétitivité de l'industrie pharmaceutique.

La France en a besoin aussi en termes d'investissement et de développement de sa recherche et de sa science. Il ne faut pas « casser » une industrie dans un pays, au nom de la transparence. Faire que ce que nous faisons soit obligatoire pour tout le monde est vraiment la bonne méthode. Je pense d'ailleurs qu'on va de plus en plus dans cette direction, car la transparence est valorisée. Les experts préfèrent aussi travailler avec des sociétés qui mettent les choses sur la table et qui n'ont pas de liens à cacher.

Mme Marie-Christine Blandin - Les stocks gérés par l'EPRUS se sont empilés année après année. Nous avons plusieurs dizaines de tonnes arrivant à leur stade de péremption. L'AFSSAPS a diligenté une étude qui a reclassé la péremption. Le 2008 est devenu périmé en 2010, le 2010 en 2012, et ainsi de suite.

Quelle est la réaction du fabricant sur le fait que l'on remet deux ans de plus à quelque chose qui est périmé ? Par rapport à l'argent public, notre réaction est de dire que c'est bien, car cela évite de vous en recommander.

En revanche, cela ne peut qu'interroger par rapport à la sécurité des patients. Cela peut aussi interroger notre comportement individuel : nous jetons des médicaments que nous pourrions peut-être conserver deux ans de plus. Quelle est la réaction du fabricant ? Avez-vous été associés à cette expertise sur la pérennité supplémentaire ? Cela engage ou désengage-t-il votre responsabilité ?

Mme Monelle Muntlak - Je ne dirai pas qu'on a été associés. Nous sommes à l'origine de la prolongation de l'extension de la péremption. Vous savez bien comment se détermine la péremption des produits : on mesure la stabilité du premier comprimé qui existe. Au bout d'un an, il a un an. Au bout de deux ans, il a deux ans, etc.

En ce qui concerne les gélules de Tamiflu, il a été démontré grâce aux études relatives à la stabilité, qu'elles étaient toujours stables au bout de sept ans. C'est la raison pour laquelle il a été dit à tous les gens qui en avaient acheté que, dans la mesure où le produit a été conservé dans les conditions standardisées de conservation, la péremption pouvait être prolongée.

Concernant la poudre, il suffit de la réanalyser, cette dernière n'ayant pas les mêmes contraintes que les gélules. Ce qui rend la gélule périmée est la cohabitation de la poudre dans l'enveloppe. Alors que la poudre seule, l'API, comme elle est appelée par les techniciens, nécessite seulement d'être réanalysée et de la requalifier en termes de péremption. En théorie, il n'y a eu aucune décision qui n'ait pas été directement inspirée par le fabricant.

Une fois emballées, les boîtes ont une date de péremption. Commercialement parlant, on ne va pas désétiqueter et réétiqueter sur la péremption, puisqu'on calcule nos stocks, de façon à pouvoir les renouveler régulièrement sans avoir à changer d'étiquettes. Nos blisters indiquent eux-mêmes la date de péremption. Il serait très compliqué de changer. En revanche pour les stocks gouvernementaux, il me semble que s'ils ont été conservés dans les conditions... Je n'ai pas regardé exactement ce qui a été réévalué par l'AFSSAPS, mais il y a de quoi, à mon avis, rallonger la péremption.

M. Bruno Gilles - Je voudrais revenir d'un mot sur le cas du Chili. Il paraît intéressant de constater, comme vous l'avez dit, Madame, dans votre introduction, qu'il n'y ait eu aucun décès. Pourrait-on savoir combien de personnes ont été traitées et ce qu'elles représentent en termes de pourcentage par rapport à la population globale du Chili ?

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Je n'ai pas le taux d'attaque au Chili, mais j'ai la publication, je pourrai vous la laisser.

Mme Monelle Muntlak - Voici des chiffres : 27 308 patients ont consulté ; 10 048 cas de grippe ; 67 % des patients ont consulté aux urgences. Le délai d'apparition entre les symptômes et le diagnostic était de un jour ; 99,7 % des personnes ont reçu un traitement antiviral ; 2 % des cas ont été hospitalisés, 32 % des patients avaient des facteurs de risques ; 11 patients ont été en soins intensifs ; aucun décès.

M. Claude Domeizel - Le président a ouvert une parenthèse, et je ne savais pas quand elle allait être fermée. Vous avez répondu que vous ne vouliez pas donner de renseignements, car il s'agissait de données personnelles. Les données personnelles ne devraient pas exister, si vous avez l'autorisation de la CNIL.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Ce n'est pas une autorisation en France. Ce n'est pas la filiale France. Ce ne sont pas les gens qui sont ici qui ont été impliqués dans le dialogue sur le BMJ . La CNIL relève du droit français.

Mme Monelle Muntlak - Dans les données qui sont nécessaires à l'établissement du dossier, certaines ont été publiées et d'autres pas. Ce qui a servi de base est une méta-analyse d'une dizaine d'études. Chaque étude, prise séparément, n'a pas été publiée de façon séparée. En revanche, pour avoir accès à cette base de données, il faut avoir une autorisation. Aujourd'hui, il y a un mot de passe. Quand on demande le mot de passe à Roche, on l'a. Pourquoi n'ont-ils pas eu accès aux données ? Les données ne sont pas anonymisées.

M. Claude Domeizel - Pourquoi ?

Mme Monelle Muntlak - Elles ne sont pas exploitées. Au niveau international, vous avez toutes les données dans une base de données. Elles ne sont pas retraitées pour être publiées. Au départ, quand ils viennent chercher des données pour retravailler sur cette base, il faut une autorisation spéciale. Celle-ci est facile à obtenir quand on est un groupe de recherche comme le groupe Cochrane.

M. François Autain , président - Le danger de refuser de communiquer des essais est que les esprits malveillants, dont je ne fais pas partie, vous reprocheront de ne pas les fournir, parce qu'ils ne sont pas favorables à votre médicament. C'est arrivé par le passé, dans d'autres firmes.

Mme Monelle Muntlak - Il y a beaucoup de produits pour lesquels vous avez dans le dossier d'AMM des données référencées dossiers d'AMM. Elles ne sont pas publiées. Un dossier d'AMM, quand il arrive, ne serait-ce qu'à l'Agence française, représente des tonnes de données. Une partie des essais est publiée. Une autre n'est pas publiée. C'est le cas de tous les produits.

M. François Autain , président - Je parle des essais qui ne sont pas dans le dossier AMM.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Ce ne sont pas ceux dont on parle. Ceux qu'il n'a pas réussi à avoir sont ceux qui ont contribué aux dossiers, mais qui n'ont pas fait l'objet de publication.

M. François Autain , président - Ils étaient dans le dossier.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - L'EMA a pris la décision d'enregistrer le produit sur la base de l'ensemble des données.

Mme Monelle Muntlak - C'est pourquoi j'étais revenue sur le fait que toutes les données avaient été intégrées.

M. François Autain , président - Ce sont des dossiers auxquels on peut avoir accès. Nous essaierons d'y voir plus clair.

Mme Monelle Muntlak - Je vous recommande de lire la réponse de Roche dans le BMJ , car cela permet de clarifier ce point.

M. Claude Domeizel - Ces données ont été utilisées par des institutions françaises.

Mme Monelle Muntlak - Non, nous sommes sur le dossier international. Ce n'était pas en France.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet - Nous parlons d'un dossier international, nous ne parlons pas d'un dossier français. C'est l'Europe qui donne l'AMM et la France applique l'AMM.

Mme Monelle Muntlak - La France n'exploite pas ses données.

M. François Autain , président - N'ayant plus de question, il nous reste à vous remercier beaucoup d'avoir répondu aux questions que nous vous avons posées.

Audition de M. Alexandre SUDARSKIS, directeur général,
de Mme Véronique AMEYE, directrice des Affaires publiques,
et de M. Cyrille MARQUETTE, pharmacien responsable,
de Novartis Vaccines and Diagnostics
(mercredi 6 avril 2010)

M. François Autain , président - Nous accueillons les représentants du laboratoire Novartis Vaccins et diagnostics : M. Alexandre Sudarskis, directeur général, Mme Véronique Ameye, directrice des affaires publiques, et M. Cyrille Marquette, pharmacien responsable.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Alexandre Sudarskis, Mme Véronique Ameye et M. Cyrille Marquette prêtent serment.

M. François Autain , président - Je vous remercie et je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions que vous poseront le rapporteur, M. Alain Milon, et les commissaires ici présents.

M. Alexandre Sudarskis - Monsieur le président, messieurs les sénateurs, depuis la déclaration de l'état de pandémie, et plus particulièrement le passage, le 11 juin 2009, à la phase 6 du plan pandémique, nous avons assisté à une mobilisation sans précédent, à une collaboration de multiples acteurs, notamment l'OMS, les différents gouvernements touchés par le virus, les autorités sanitaires et règlementaires, les professionnels de santé et le secteur privé, afin d'assurer une réponse adéquate et rapide à une menace globale de santé publique.

Au titre d'entreprise responsable, et afin d'être en mesure de répondre aux risques épidémiologiques depuis 2006, la division Vaccins et diagnostics du laboratoire Novartis a investi globalement plus de 2 milliards de dollars en modernisation de son outil de production (augmentation de ses capacités et développement de ses nouvelles technologies, telles que la culture sur cellules).

C'est par l'engagement total de ses équipes, renforcées par plusieurs centaines de collaborateurs venus d'autres divisions du groupe, que nous avons pu être en mesure de livrer de l'ordre d'une centaine de millions de doses de vaccins H1N1. C'est par le respect de ses engagements contractuels passés en 2005, dans le cadre d'un marché public, que Novartis aura livré à la France 9 millions de doses de vaccins Focetria produit sur oeuf et adjuvanté au MF-59.

Pour vous faire un bref rappel de la chronologie, Novartis, ou plutôt la société Chiron à l'époque, a répondu à un appel d'offres de marché public en février 2005, qui portait à l'époque sur un vaccin prépandémique, de type « aviaire ». A la suite de cet appel, un acte d'engagement a été signé en avril 2005. C'est en mai 2007 que Novartis obtiendra un avis favorable de l'Agence européenne des médicaments (EMA) pour un vaccin adjuvanté contre le virus H5N1.

En mai 2009, ont démarré les discussions avec la Direction générale de la santé (DGS) sur le planning de l'affermissement des tranches conditionnelles prévu dans le cadre de ce marché public. En juin 2009, nous avons démarré les premiers lots de production dits « pilotes ». En juillet et août, nous avons procédé aux travaux d'adaptation de nos productions en fonction des souches transmises par l'OMS et nous avons démarré les essais cliniques dès la fin du mois d'août.

Fin septembre, nous avons obtenu l'avis favorable de l'EMA et procédé aux premières livraisons de vaccins Focetria dès le début novembre. Nous avons fait tout notre possible, nuits et week-ends inclus pour nos équipes industrielles, afin de répondre aux demandes pressantes des autorités sanitaires et de produire, contrôler et livrer aussi rapidement que possible les vaccins.

Nous n'avons, en aucune manière, cherché à influencer la position de l'OMS, notamment sa décision de passer à la phase 6 du plan pandémique. Nous n'avons exercé aucune pression sur la Haute Autorité de santé (HAS), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou la DGS et nous avons veillé simplement à répondre au mieux à leurs demandes.

Un plan d'action efficace requiert que les autorités sanitaires, les fabricants, les partenaires du monde de la santé et de la communication travaillent en étroite collaboration. Nous pouvons être fiers de notre rôle durant toutes ces années et nous vous remercions de l'opportunité que cette audition nous apporte d'exposer notre contribution et de pouvoir tirer tous les enseignements de cette pandémie.

M. François Autain , président - La parole est à M. Alain Milon, rapporteur.

M. Alain Milon , rapporteur - La première question concerne les investissements que le groupe Novartis a pu faire. Votre groupe Novartis a répondu à un marché lancé sous forme d'appel d'offres par le gouvernement français en février 2005. En janvier dernier, vous avez indiqué devant la commission des affaires sociales du Sénat que ce marché portait sur une tranche ferme de 600 000 traitements vaccinaux contre la grippe H5N1 et sur une tranche conditionnelle de 12 millions de traitements vaccinaux contre la même grippe ou tout autre virus grippal pandémique.

Pouvez-vous rappeler le contexte de négociation de ces « contrats dormants » en 2005 ? Avec quels autres Etats avez-vous signé des contrats de préachat ? Pour quelle quantité de vaccins ? Pouvez-vous préciser les prestations réalisées en application de ce marché antérieurement aux avenants signés pour la fourniture de vaccins H1N1 ?

M. François Autain , président - Il me semble que vous aviez indiqué que vous aviez livré des vaccins H5N1 ? Pas seulement commandés.

M. Alexandre Sudarskis - Je le confirme. Les conditions de passation du contrat de 2005 se sont faites dans le cadre normal d'une procédure d'appel d'offres, à laquelle je crois savoir que deux laboratoires, dont le nôtre, ont répondu à l'époque. Ce contrat nous donnait obligation de réaliser une tranche ferme et contenait également un certain nombre de tranches optionnelles.

Ce contrat portait sur le H5N1 et sur le virus pandémique qui serait identifié au moment de la pandémie éventuelle. C'était donc bien un contrat prépandémique. Celui-ci nous obligeait à développer un vaccin contre le virus de la grippe aviaire H5N1, ce que nous avons réalisé. Il permettait aux autorités, dans le cadre de l'affermissement de la première tranche, de commander l'équivalent de 600 000 traitements. Sur le H5N1, deux doses avaient été identifiées comme étant nécessaires pour atteindre le niveau d'immunité requis par les critères du Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP). Les 600 000 traitements H5N1 ont été livrés sous forme de seringues préremplies monodoses entre fin juillet et début août 2009.

M. François Autain , président - On n'en avait pas énormément besoin.

M. Alexandre Sudarskis - Il y a encore aujourd'hui du H5N1 circulant, notamment en Asie.

M. François Autain , président - Pas d'homme à homme.

M. Alexandre Sudarskis - Il y a eu un cas en Indonésie d'homme à homme, mais pour l'instant effectivement cela reste minime.

M. François Autain , président - Il ne faut pas dramatiser.

M. Alexandre Sudarskis - Je ne dramatise aucunement. Nous avons rempli nos obligations contractuelles. Tel est l'aspect réalisation de ce contrat pour la tranche H5N1.

M. Alain Milon , rapporteur - Lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur général de la santé a relevé que « l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins ». Évoquant plus particulièrement votre entreprise, il a indiqué que le nombre de doses préréservées était « assez théorique, Novartis pouvant ne pas disposer de capacités de production suffisantes » . A quel type de difficultés s'est heurté le groupe Novartis ?

M. Alexandre Sudarskis - Le groupe Novartis a une capacité définie dans le cadre de sa production de grippe dite saisonnière. La difficulté à laquelle nous devions faire face au moment des négociations pour l'affermissement des tranches résidait dans le fait que nous n'avions pas entre les mains, à ce moment-là, la souche de l'OMS. Il s'est avéré d'ailleurs que la première souche fournie ne répondait pas au rendement habituel, tout au moins au rendement espéré. Les premiers tests pilotes ont démontré qu'il y avait un rendement de l'ordre de 30 %.

C'était déjà un paramètre que nous ne contrôlions pas. A partir de là, plus que sur les questions de capacité, les demandes qui nous étaient faites portaient surtout sur les délais de livraison. Il fallait répondre à deux types de demandes : nos engagements contractuels passés dans le cadre de contrats de pré-achat et les demandes d'autres Etats qui n'avaient pas conclu ce type de contrats.

C'est en ce sens que notre capacité était limitée. Nous avons tenu à être très transparents avec les autorités. Dès les mois de mai et juin, nous avons indiqué que nos volumes seraient de l'ordre de 10 à 15 millions de doses pour des livraisons s'échelonnant jusqu'à la fin du mois de décembre.

M. Alain Milon , rapporteur - Je passe maintenant à la négociation des contrats. Quand Novartis a-t-il été contacté par le gouvernement français en vue de « transformer » ces précontrats en commandes de vaccins contre la grippe A (H1N1) ? Qui étaient vos interlocuteurs du côté de l'Etat ? Quel a été le calendrier de ces négociations ?

Quelle était, au moment où se sont engagées les négociations, la capacité totale de production de vaccins dont vous pensiez disposer ? Vous en avez un peu parlé. Nous avons des chiffres un peu différents. Il semble que Novartis ait dû réduire son offre de 24 à 16 millions de doses. Quand cette décision est-elle intervenue ?

M. Alexandre Sudarskis - Les toutes premières discussions portant sur l'affermissement des tranches conditionnelles ont démarré dans le courant du mois de mai, avec la DGS, directement avec les services de M. Didier Houssin. Ces discussions ont porté essentiellement sur le calendrier de mise à disposition des vaccins et sur leur conditionnement : vaccin multidoses ou vaccin monodose. Très rapidement, le contrat a été transféré à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) par un avenant en date du 29 juillet 2009.

Dès cette date, les négociations se sont faites directement avec les services de M. Thierry Coudert. Elles ont continué à porter sur les aspects logistiques essentiellement, puisque les termes du contrat étaient déjà acquis depuis fort longtemps. Pour ce qui est de la quantité, les 24 millions de doses qui étaient initialement dans le contrat de 2005 portaient sur du H5N1.

Les circonstances étant bien différentes durant les mois de juillet et août, et la connaissance du faible rendement des souches a fait que nous avons immédiatement informé les autorités que nous serions plutôt dans une fourchette entre 15 et 20 millions de doses que dans l'option à 24 millions de doses.

M. Alain Milon , rapporteur - Comment a été déterminé le prix unitaire d'une dose de vaccin proposé par votre laboratoire à l'Etat en 2005 et 2009 ? Ce prix a-t-il été différent de celui proposé à d'autres Etats européens et, si oui, pourquoi ? Y a-t-il eu des négociations sur le prix avec les autorités françaises ?

M. Alexandre Sudarskis - Le prix a été établi dans le cadre de cet appel d'offres. Les services demandés dans cet appel d'offres couvraient la fourniture pure et simple d'un produit, mais également le développement d'une souche H5N1, la possibilité de développer une souche différente dans le cas où la souche pandémique serait une variante de la souche prépandémique. C'était un contrat global qui portait sur un ensemble de fourniture de services.

Par ailleurs, 60 % des doses de vaccin Focetria ont été livrées sous forme de seringues pré-remplies unidoses. Ceci peut expliquer des différences de prix avec d'autres fournisseurs, mais encore une fois, il n'y a pas eu vraiment de négociation avec les autorités. Il y a eu réponse à un appel d'offres passé en 2005 et un engagement pris à ce moment-là, sur la base d'une offre considérée comme étant raisonnable.

Les prix pratiqués par rapport aux prix de la grille sur les marchés européens indiquent que nos prix restent dans des fourchettes équivalentes à ce qui se pratique en dehors du marché français, pour les vaccins antigrippaux.

M. Alain Milon , rapporteur - C'est 9,34 euros pour les unidoses, pas pour les multidoses. Les autres coûtent 7 euros et 6,25 euros, mais c'est pour les multidoses.

M. Alexandre Sudarskis - C'est exact, mais il est difficile de comparer une négociation qui a eu lieu en 2009 sur un produit bien défini tel que le H1N1, et une offre faite en 2005 sur un ensemble de services et comportant des obligations supplémentaires par rapport à la simple offre de produits finis. Les négociations ont porté sur des délais de livraison et des volumes différents. Il est difficile de commenter les prix des autres laboratoires.

M. Alain Milon , rapporteur - Je ne vous le demande pas non plus.

Nous avons reçu des interlocuteurs qui ont fait état du rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats. Avez-vous la même perception du contexte de ces négociations ?

Ils ont également souligné que la France avait été contrainte de passer des commandes fermes pour la totalité de ses besoins, car les laboratoires avaient indiqué que les commandes optionnelles ne pourraient, si elles étaient confirmées, être livrées qu'en 2010. Novartis s'est-il opposé à l'inclusion d'une clause de révision dans le contrat passé avec la France ? D'autres Etats ont-ils obtenu de passer des commandes « révisables » ?

M. Alexandre Sudarskis - Pour être tout à fait transparent, je pense que le rapport de force était plutôt favorable aux autorités sanitaires qu'aux laboratoires. Du fait que nous ayons ce précontrat, Novartis n'a pas eu de négociation avec les autorités sanitaires. Les discussions ont eu lieu sur l'aspect logistique et sur des délais de livraison. Il n'y avait pas à renégocier des termes particuliers.

En ce sens, je ne considère pas qu'il y ait eu rapport de force et volonté de part et d'autre de mettre une des parties en difficulté ou d'imposer une vision particulière. Il s'agissait de répondre au mieux à ce qui était perçu comme étant un danger imminent. Pour ce qui est des commandes, il est exact, au moment de l'affermissement, que nous avons demandé à ce que ces commandes soient fermes, ce qui me semble logique. Si les autorités souhaitaient que nous démarrions la production, il fallait nous assurer que cela déboucherait sur des livraisons rapides.

M. François Autain , président - Vous le confirmez. Si vous aviez accepté des clauses optionnelles, vous n'auriez pu effectuer des livraisons pour 2010 ?

M. Alexandre Sudarskis - Nous nous étions engagés sur un calendrier de commandes fermes. Nous n'aurions pas pu livrer les doses optionnelles avant 2010. C'est la raison pour laquelle nous avons clairement indiqué que nous ne pourrions pas livrer plus de 16 millions de doses.

Pour ce qui est de l'annulation, le contrat lui-même donnait la possibilité à l'État de résilier, ce que les autorités ont fait dans les premières semaines du mois de janvier. Il n'y avait pas besoin d'avoir une clause supplémentaire. Elle était incluse dans le cadre des clauses du marché public.

M. François Autain , président - Cette résiliation est intervenue relativement tardivement. La raison invoquée a été le passage à une seule injection mais on avait connaissance de cette unique injection depuis déjà plusieurs mois. Je ne m'explique pas ce délai de réflexion de la part des autorités. Je voulais savoir si vous n'estimez pas, de votre côté que cette résiliation, fondée sur ces éléments, aurait pu et aurait dû intervenir plus tôt ?

M. Alexandre Sudarskis - Pour ce qui est du passage de deux doses à une dose, je rappellerai d'abord qu'à ce jour, les recommandations de l'AFSSAPS...

M. Cyrille Marquette - Et du Haut Conseil de la santé publique qui précise, dans son avis du 29 janvier 2010, que deux doses sont nécessaires pour les enfants âgés de 24 à 35 mois et les personnes âgées de plus de 60 ans.

M. Alexandre Sudarskis - L'annulation nous a été notifiée au mois de janvier. Certes, elle était tardive pour nous, parce que les productions avaient déjà été engagées. Je ne vais pas me prononcer sur le fait qu'elles aient été tardives de façon plus générale.

M. François Autain , président - Vous êtes sûr de ce que vous indiquez. Prescrit-on encore deux doses pour les plus de 60 ans ?

M. Cyrille Marquette - Je reprends l'avis du Haut Conseil de la santé publique de janvier 2010. Il est clairement indiqué que la vaccination nécessite deux doses dans certains cas pour certaines populations.

M. François Autain , président - Pour le vôtre, pour Focetria.

M. Alain Milon , rapporteur - Votre laboratoire a-t-il souhaité dans les contrats l'inclusion d'une clause d'exonération totale de sa responsabilité de fabricant, y compris d'une éventuelle responsabilité du fait de produits défectueux ? Cette demande traduisait-elle une incertitude sur la qualité de votre processus de production de vaccins ?

M. Alexandre Sudarskis - Si on reprend le contrat initial, si on étudie la clause qui nous a été proposée dans le cadre de l'amendement du mois de juillet, il n'y a quasiment aucune différence entre ces clauses de responsabilité. Là encore, nous n'avons pas eu de négociation, et nous n'avons pas eu à imposer une volonté particulière aux autorités. Nous avons répondu favorablement à la clause initiale et à la nouvelle demande faite au mois de juillet. Nous n'avons absolument pas imposé de clause particulière en matière de responsabilité. Je peux vous lire la clause initiale et la clause finale si vous le souhaitez.

M. François Autain , président - Oui.

M. Alain Milon , rapporteur - Oui.

M. Alexandre Sudarskis - Voici le premier paragraphe de la clause initiale : « Pour chacun des vaccins, le titulaire s'engage à demander l'autorisation de mise sur le marché et à accomplir toute démarche de droit en vue de l'obtenir. Lorsque le fabricant a obtenu l'autorisation de mise sur le marché du vaccin, sa responsabilité est la même que pour tout autre producteur de vaccin bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché, y compris les obligations de pharmacovigilance. »

Je vous lis la clause qui nous a été imposée : « Pour chacun des vaccins, le titulaire s'engage à demander l'autorisation de mise sur le marché et à accomplir toute démarche de droit en vue de l'obtenir. Une fois l'autorisation sur le marché obtenue, le titulaire s'acquittera de toutes les obligations du titulaire d'une telle autorisation telle que prévue dans le code de la santé publique, y compris les obligations de pharmacovigilance. » C'est la même chose.

Deuxième paragraphe : « L'administration déclare que l'utilisation des vaccins du titulaire, objet du présent marché (2005) ne se fera qu'en cas d'une situation épidémiologique le nécessitant. Dans ces conditions, les opérations de vaccination de la population seront décidées par la seule administration et seront placées sous la seule responsabilité de l'Etat. (2005) En conséquence, l'administration s'engage à garantir le titulaire contre les conséquences de toute réclamation ou action judiciaire qui pourrait être élevée à l'encontre de ce dernier dans le cadre de ces opérations de vaccination, sauf en cas de faute établie du titulaire » (2005).

Je vous lis la clause qui nous a été imposée :

« L'administration déclare que l'utilisation des vaccins, objet du présent marché (2005) ne se fera qu'en cas d'une situation épidémiologique le nécessitant. Dans ces conditions, les opérations de vaccination de la population seront décidées par la seule administration et seront placées sous la seule responsabilité de l'Etat. Dans ce cadre, le titulaire est en principe responsable du fait des produits défectueux. »

M. François Autain , président - C'est la même chose. Vous êtes le seul laboratoire à avoir le contrat primaire et l'affermissement.

M. Alexandre Sudarskis - Encore une fois, il n'y a pas eu de négociation, ni de rapport de force. C'était déjà négocié en 2005 dans des clauses qui ont satisfait les autorités.

M. François Autain , président - Ce n'était pas une clause « scélérate ». On nous a présenté cela comme une clause « scélérate ».

M. Alain Milon , rapporteur - Pas pour Novartis.

M. François Autain , président - Si cette clause est bonne pour Novartis, elle n'est pas scélérate pour les autres.

M. Alain Milon , rapporteur - Il semble que toutes les commandes de vaccins H1N1 aient été passées dans le cadre de contrats avec les autorités sanitaires ou leurs représentants. Était-il exclu, et pour quelle raison, que tout ou partie de l'approvisionnement en vaccins emprunte les circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits de santé ? En gros, les médecins généralistes, les officines, etc.

M. Alexandre Sudarskis - Non, ils n'étaient pas exclus.

M. Alain Milon , rapporteur - Ne vous l'a-t-on pas imposé au départ ? Je ne comprends plus. La vaccination a été faite dans des centres de vaccination. Le vaccin n'a jamais été distribué en officines. A partir de janvier, moment où l'épidémie n'était plus en cause, on a autorisé les médecins à commencer à vacciner. La question se pose pour vous, peut-être pas dans le cadre des multidoses, mais dans le cadre des 6 millions de monodoses que vous avez données. Quel était le circuit de distribution ?

M. Alexandre Sudarskis - Nous n'avions pas à nous prononcer sur le mode de distribution des vaccins. Le choix n'a pas été laissé au laboratoire. Notre obligation consistait à livrer les sites gérés par l'EPRUS.

M. Alain Milon , rapporteur - Donc, la même obligation pour tout le monde.

M. François Autain , président - Pour quelles raisons vous a-t-on demandé des monodoses, ce qui n'est pas le cas pour les autres laboratoires ? Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui peut expliquer cela ? Est-ce vous qui l'avez demandé ou vous l'a-t-on demandé ?

M. Alexandre Sudarskis - C'est peut-être une possibilité qui avait été offerte même dans le contrat initial. Dans le cadre des négociations, il y a eu des demandes des autorités sur nos capacités de fournitures de monodoses. Nous avons essayé d'y répondre, dans le cadre du calendrier prévisionnel de livraison. En ce sens, je crois me souvenir qu'un des soucis des autorités était de pouvoir répondre notamment à des demandes pour des Français de l'étranger. C'était la possibilité de fournir des monodoses dans des situations particulières à des populations spécifiques.

M. François Autain , président - Vous avez répondu à une demande des autorités sanitaires.

M. Alain Milon , rapporteur - Pouvez-vous faire le point de vos négociations avec le ministère de la santé sur le montant de l'indemnisation due au titre de la résiliation partielle des commandes ? Quand cette résiliation a-t-elle été signifiée ? Quel a été, au dernier décompte, le nombre de vaccins livrés par le laboratoire Novartis à la France ? Dans quelles conditions s'est déroulée la renégociation de vos contrats avec d'autres pays ?

Quand on vous dit montant de l'indemnisation, cela veut dire : combien réclamez-vous ? Combien vous propose-t-on, sachant que, si vous ne souhaitez pas que la réponse soit inscrite, nous l'écouterons, mais nous ne l'inscrirons pas. Vos autres collègues ont répondu oui.

M. Alexandre Sudarskis - L'affaire est close. Le taux a été communiqué dans la presse. Mme Roselyne Bachelot, lors de son audition, l'a indiqué. Le taux d'indemnisation est de l'ordre de 16 % du montant des doses annulées.

M. François Autain , président - Concernant l'efficacité de la vaccination, nombreux sont ceux qui disent que c'est le moyen le plus efficace pour enrayer une épidémie, et à plus forte raison une pandémie. Compte tenu des délais qui s'écoulent entre le moment où on identifie la souche et le moment où commence la circulation active du virus et qu'il faut, selon le HCSP, un délai relativement court entre le début de la circulation du virus et celui où on commence à vacciner, les conditions sont rarement réunies pour que cette vaccination ait l'effet « barrière » escompté.

Face à une pandémie, la vaccination constitue-t-elle la mesure la plus efficace qu'on puisse utiliser pour la ralentir ? Dans le cas présent, on peut dire que pour que la vaccination ait été efficace, qu'elle ait pu produire cet effet « barrière », il aurait fallu qu'elle commence au mois de septembre ou d'octobre. Elle a commencé, pour la population le 12 novembre. Pour les professionnels de santé, certes, le 15 octobre.

Je me demande si c'est véritablement cette mesure idéale et efficace qu'on veut nous présenter, compte tenu des conditions dans lesquelles on se trouve. Nous avons eu la chance que l'épidémie commence dans les pays comme le Mexique, et passe par la sphère australe pour venir ensuite chez nous. Cela nous a donné un délai supplémentaire.

Imaginez que cela commence chez nous. Nous sommes pris de court. Nous n'avons pas le temps de fabriquer un vaccin. Je crois que tout le monde doit se poser la question concernant ce problème. C'est peut-être une question qu'il vaudrait mieux poser à des experts. Vous êtes en relation constante avec les experts. Peut-être êtes-vous expert vous-même. C'est une question à laquelle vous êtes certainement capable de m'apporter une réponse.

M. Alexandre Sudarskis - Je ne suis pas un expert en pandémie. C'est la première que je vis professionnellement.

M. François Autain , président - Ne le regrettez pas.

M. Alexandre Sudarskis - J'espère que c'est la dernière pandémie.

M. François Autain , président - Les experts sont un peu frustrés. C'est une fausse pandémie, ce n'est pas une vraie.

M. Alexandre Sudarskis - La vaccination est-elle la meilleure réponse et le meilleur outil pour combattre la pandémie ? Il est très difficile de répondre à cette question. La vaccination doit-elle faire partie d'un ensemble de mesures à mettre en place ? Je pense que la vaccination a...

M. François Autain , président - J'ai dit comme effet « barrière ». La protection individuelle est autre chose.

M. Alexandre Sudarskis - Egalement comme effet « barrière ». Etant donné qu'on n'a pas connaissance de l'arrivée du pic épidémique, ni de l'existence de vagues successives, l'arme de la vaccination est un outil à prendre en compte dans une politique de santé publique. Après, il y a des choix à faire en fonction des circonstances, de l'environnement, de l'épidémiologie. C'est aux experts et aux politiques de faire leur choix. Notre métier est de mettre un produit de qualité à disposition des autorités et des populations.

M. François Autain , président - Avant d'en terminer, je voudrais poser une question que j'ai pratiquement posée à tous vos collègues. Vous savez que vous devrez, avant fin juin de cette année, publier la liste des associations que vous subventionnez, c'est-à-dire la transmettre à la HAS qui la publiera.

Actuellement, on ne connaît pas les experts qui travaillent pour vous, qui vous conseillent. Les contrats que vous passez avec eux sont transmis au Conseil national de l'Ordre, mais nous n'avons pas la possibilité d'y accéder ni de les connaître. Ces contrats ne sont pas communiqués par le Conseil de l'Ordre. C'est même d'une très grande complexité, puisque seuls les conseils départementaux les détiennent. Pour en avoir une synthèse nationale, il faudrait faire le tour de tous les conseils de l'Ordre départementaux, ce qui constitue évidemment un travail auquel la commission ne peut pas se livrer.

Seriez-vous par principe opposé, à l'image de ce qui a été adopté pour les associations, qu'une disposition prévoie l'obligation de publier la liste des experts auxquels vous demandez le concours ? Sans porter atteinte à certaines informations : le montant des rémunérations, par exemple.

Il faut y réfléchir, car cela peut avoir des conséquences non seulement sur l'expert lui-même, mais aussi sur la concurrence avec les autres laboratoires. Il est important malgré tout, pour les citoyens, de connaître les liens d'intérêts que peuvent avoir certains experts avec les laboratoires, surtout quand ils s'expriment. Pour qu'un citoyen puisse porter un jugement impartial sur la qualité de l'intervention qui est faite par l'expert au sujet d'un médicament produit par le laboratoire qui le rémunère, il est important de le savoir. Cela va dans le sens de la transparence, mais aussi de l'impartialité des avis qui peuvent être émis par tel ou tel laboratoire sur tel ou tel médicament. Cette disposition qui rendrait cette publication obligatoire de la part des laboratoires vous semble-t-elle envisageable ou à exclure ?

M. Alexandre Sudarskis - Je vais faire une réponse rapide : oui. Je rappelle que Novartis a ses propres règles internes de transparence, de citoyenneté d'entreprise, de responsabilité et d'éthique. A ce titre, nous publions la liste de nos essais cliniques - je parle du groupe - et la liste de tous les experts qui ont collaboré dans le cadre de ces essais cliniques. Votre souhait de demande de transparence sur les rapports que peut avoir Novartis avec les experts est une demande tout à fait recevable. Nous n'avons aucune opposition à ce que ces rapports soient publiés. La France est déjà très en avance en matière...

M. François Autain , président - Après les Etats-Unis, je crois.

M. Alexandre Sudarskis - Je pense que c'est équivalent. Sur les rapports cliniques oui, mais pour tout ce qui concerne les relations, les liens d'intérêts...

M. François Autain , président - Ce qui diffère des conflits d'intérêts.

M. Alexandre Sudarskis - Concernant les liens d'intérêts que peut avoir l'entreprise avec les professions médicales, je pense qu'on est bien contrôlé. Tout ce qui peut améliorer la transparence, la confiance entre l'industrie, le corps médical, les patients et les medias est une approche à laquelle nous sommes tout à fait favorables. Nous avons assisté à un manque de communication, qui a permis à des informations aberrantes de circuler sur les réseaux.

M. François Autain , président - Madame, messieurs, il me reste à vous remercier de vous être prêtés aux questions nombreuses que nous vous avons posées.

M. Alexandre Sudarskis - C'est une préparation pour le prochain round de l'autre côté.

M. François Autain , président - Vous voulez parler de l'Assemblée nationale.

Il semble que ce soit l'organisation de la campagne qui les intéresse, beaucoup plus que les liens, les experts, les laboratoires, la gestion.

M. Alexandre Sudarskis - La grande « manipulation ».

M. François Autain , président - Je vois que vous avez lu attentivement ce projet de résolution. Nous progressons sur le chemin qui nous conduit à la vérité. La vérité n'est pas forcément celle que nous croyons qu'elle est. Elle peut nous surprendre. Grâce à cette commission, nous progressons et nous ne devons pas rejeter des hypothèses sans en avoir, au préalable, examiné les tenants et les aboutissants. Merci.

Audition de M. Philippe FOUCRAS, médecin généraliste,
président du FORMINDEP
(mercredi 7 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous poursuivons nos auditions en accueillant aujourd'hui le docteur Philippe Foucras, médecin généraliste, président du FORMINDEP - collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes au service des seuls professionnels de santé et des patients ».

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe Foucras prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions de monsieur le rapporteur et ensuite à celles des commissaires ici présents.

Je vous demanderai également, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Philippe Foucras - Je n'ai pas de lien d'intérêts avec les entreprises fabriquant ou commercialisant des produits de santé.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Vous avez la parole pour nous présenter votre intervention en vous aidant de cette vidéo-projection.

M. Philippe Foucras - Je suis médecin généraliste et responsable de FORMINDEP, association qui a pour objectif de promouvoir une formation et une information médicales indépendantes.

Vous m'avez demandé de vous présenter le point de vue du FORMINDEP sur ces questions. Je voudrais illustrer notre vision des choses à travers l'exemple concret de la grippe A (H1N1)v.

J'introduirai mon propos en citant M. Christian Vigouroux, conseiller d'Etat, président de la commission « déontologie et expertise » de la Haute Autorité de santé (HAS), qui s'est exprimé lors des rencontre de la HAS le 10 décembre dernier : « La puissance d'influence de l'industrie pharmaceutique en fait un des lobbies les plus efficaces et parfois les plus impérieux dans les rapports avec les pouvoirs publics et les caisses de sécurité sociale. Ceci en France comme en Europe. Tel est le constat que trente ans d'administration dans plusieurs domaines de l'action publique m'ont amené à formuler » .

J'illustrerai, à travers un exemple, un instrument d'influence utilisé par l'industrie pharmaceutique, celui des leaders d'opinion. Il s'agit d'un exemple concret et significatif de leur façon de procéder.

Une entreprise spécialisée dans la lutte contre le cancer précise ainsi sur son site Internet que le groupe a recours à des « KOL » (Key Opinion Leaders) qu'il estime indispensables pour faire connaître et imposer ses tests de diagnostic auprès des oncologues et des pathologistes.

Toujours selon ce document, les leaders d'opinion sont des scientifiques référents dont le comportement est susceptible d'exercer une influence sur la pratique et les prescriptions médicales des oncologues et des pathologistes. Ils constituent un outil très important pour faire passer certains messages aux professionnels de santé et aux autorités.

Des sociétés de communication mettent également leurs compétences au service de l'industrie pharmaceutique. On peut citer l'exemple d'une société de communication qui, en la matière, a fait la promotion de produits utilisés dans l'instabilité vésicale.

Sa méthode a consisté à développer des relations avec des enseignants, leaders d'opinion, en urologie, gynécologie et gériatrie, à crédibiliser l'engagement à long terme de l'entreprise développant le produit et, enfin, à initier un débat médical sur la prise en charge de l'instabilité vésicale.

Les résultats obtenus sont mesurés par le nombre d'articles publiés à ce sujet. Une recherche sur Internet permet de sélectionner pas moins de 249 occurrences de ce médicament. Par ailleurs, grâce aux actions menées par l'entreprise de communication, des universitaires ont été contactés pour faire des conférences ou présider des congrès internationaux et promouvoir, à ces occasions, le produit en question, dont la part de marché a ainsi atteint 30 % dans les deux premières années de son lancement.

Ces « leaders d'opinion » peuvent aussi être amenés à apporter leur expertise aux décideurs politiques. Ainsi un des leaders d'opinion recrutés par l'entreprise de communication pour le médicament précité a participé à l'élaboration d'un rapport remis à M. Philippe Bas, alors ministre de la santé, qui mentionnait, pour le regretter, le non-remboursement de certains médicaments, dont le produit en question.

La commission de la transparence de la HAS s'est réunie en octobre 2009 pour étudier, à la demande du laboratoire, l'inscription de ce médicament à la liste des médicaments remboursés.

Le remboursement a donc été obtenu alors que les connaissances sur ce médicament montrent qu'il s'agit tout au plus d'un médicament de même niveau que les autres, dont l'efficacité clinique est controversée.

Le leader d'opinion français s'est exprimé en 2007 dans une revue scientifique sur la question des conflits d'intérêts et la présomption d'honnêteté. Il propose, à la fin de son éditorial, d'établir une nouvelle organisation de la collaboration entre experts et instances basée sur le principe d'honnêteté. Sa conclusion prête à réflexion puisqu'il demande si l'expert lui-même n'est pas en définitive le mieux placé pour juger si ses relations avec l'industrie influencent son comportement individuel, ses prescriptions, ses indications et la teneur de ses écrits scientifiques.

Il ne s'agit pas ici de mettre en doute la bonne foi et l'honnêteté du leader d'opinion mais de voir comment s'exercent ces mécanismes à tous les niveaux de prescription.

Beaucoup d'experts indiquent être persuadés que les liens qui les unissent aux entreprises pharmaceutiques ne nuisent pas à leur indépendance.

A ce stade, je voudrais insister sur certaines notions de sociopsychologie décrites depuis de nombreuses années dans la littérature, qui mettent en évidence les influences conscientes, mais surtout inconscientes, les plus efficaces pour influencer les comportements, comme cela a été décrit dans un rapport de l'Institut of medecine de 2009, équivalent de l'Académie de médecine aux Etats-Unis.

Il convient de ne pas perdre de vue que tout expert peut être considéré comme un leader d'opinion potentiel, qu'il le veuille ou non, qu'il en soit conscient ou non.

Ce mécanisme a-t-il fonctionné pendant l'épidémie de grippe ? Le FORMINDEP s'est beaucoup intéressé à la recommandation prise par la Direction générale de la santé (DGS) le 9 décembre 2009 tendant à généraliser la prescription d'oseltamivir à l'ensemble des patients atteints par la grippe et à leur entourage. Tout cela a été décrit dans notre dossier publié sur Internet que je tiens à votre disposition et qui permet de mettre ce mécanisme en évidence.

Compte tenu de la discordance existant entre cette recommandation et les données scientifiques actuelles sur le Tamiflu, le FORMINDEP a interpellé la DGS le 15 décembre dans une lettre ouverte recommandée qui a été signée par plus de mille médecins en trois semaines. C'est, je crois, la première fois que la communauté médicale se mobilise pour demander à la DGS de lui fournir les données scientifiques sur lesquelles elle se basait pour établir cette recommandation, alors que celles qui sont portées à la connaissance des médecins n'y correspondaient pas.

C'est le 26 janvier, à la fin de l'épidémie, que la DGS a répondu à la lettre du FORMINDEP et aux mille médecins signataires, toutefois sans apporter de preuves de niveau satisfaisant pour appuyer cette recommandation.

Pour le FORMINDEP, cet exemple est révélateur de la façon dont l'épidémie de grippe a été gérée mais aussi concernant la vaccination, avec des avis d'experts qui ne se sont pas fondés sur les données scientifiques. On peut donc légitimement s'interroger sur la nature des données sur lesquelles les experts se sont appuyés et replacer la question dans le contexte que j'ai voulu illustrer par mon premier exemple.

M. François Autain, président - Merci de cette présentation illustrée qui a aidé à la compréhension d'un sujet simple mais malgré tout relativement complexe.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant le dispositif de gestion de la crise, dans une interview accordée au journal L'Humanité du 27 novembre 2009, vous indiquez, en évoquant la gestion de la grippe A (H1N1)v : « Le niveau de précaution est délirant par rapport à la gravité de la maladie » . Pour développer ce point de vue, vous évoquez notamment l'évolution du virus A (H1N1)v dans l'hémisphère Sud qui aurait pu inciter le Gouvernement à infléchir plus rapidement son dispositif de gestion de crise.

Pourtant, les interlocuteurs de la commission ont indiqué qu'il était délicat d'extrapoler les données disponibles dans l'hémisphère Sud, le virus pouvant notamment muter lors de sa migration vers l'hémisphère Nord. Quelle est votre appréciation de cette observation ?

M. François Autain, président - Je me permets de préciser que, malgré tout, l'Institut de veille sanitaire (InVS) a fait état, à sa grande surprise, de la remarquable stabilité de ce virus depuis son apparition, ce qui n'est peut-être pas contradictoire...

M. Alain Milon, rapporteur - Mais qui donne raison a posteriori .

M. François Autain, président - C'est une information qu'il est nécessaire d'apporter.

M. Philippe Foucras - Fin novembre, je pense que l'on avait suffisamment d'éléments pour estimer que le virus présent dans l'hémisphère Nord était le même que celui présent dans l'hémisphère Sud et que les éléments d'appréciation mis en avant dans l'hémisphère Sud pouvaient, sans risque, être extrapolés à la situation dans l'hémisphère Nord.

J'étais en août à la Réunion à l'invitation des généralistes, en pleine épidémie de grippe dans l'hémisphère Sud. Mes rencontres avec les généralistes montraient déjà le faible impact de ce virus en termes de santé.

Les généralistes étaient donc confrontés à des demandes liées à un contexte grippal mais n'étaient pas débordés et les situations, dans leur immense majorité, n'étaient pas graves.

Les données accessibles en Australie et en Nouvelle-Zélande montraient qu'avec des précautions différentes de celles prises en France, le niveau de mortalité et de gravité de l'épidémie était relativement modéré par rapport aux craintes de départ.

Fin novembre, aucune indication ne permettait donc de dire que le virus avait muté ou était sur le point de le faire en changeant d'hémisphère.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est bien fin novembre que vous avez accordé cette interview et c'est fin novembre que vous vous rendez compte que, chez les généralistes, l'épidémie n'était pas pire que dans l'hémisphère Sud ou dans d'autres pays ?

M. Philippe Foucras - Je l'ai vu dès septembre en tant que médecin.

M. Alain Milon, rapporteur - Les décisions de la DGS arrivent fin décembre, quelques semaines après seulement ; à la même époque, les services d'urgence des hôpitaux se rendent compte que certains patients présentent des syndromes respiratoires graves.

M. Philippe Foucras - C'est une question d'incidence et de gravité. J'étais de garde en septembre, novembre et décembre. Il y a eu en effet plus de consultations que d'habitude dans un contexte hivernal mais selon mon expérience, confirmée par les généralistes avec lesquels nous sommes en contact à travers l'association et d'autres organismes, les consultations étaient davantage motivées par la peur de la grippe que par des syndromes grippaux réels.

Cela ne retire rien à la réalité des complications graves qui touchaient des populations qui ne sont habituellement pas concernées, mais le segment de population qui relève de la consultation des généralistes montrait que les cas graves n'étaient pas significatifs.

M. Alain Milon, rapporteur - De nombreux interlocuteurs de la commission ont indiqué que si le taux de mortalité lié au virus A (H1N1)v est certes plus faible que celui lié à la grippe saisonnière, il n'en demeure pas moins que certaines populations ont été touchées par des formes beaucoup plus sévères que la grippe saisonnière.

Dans l'entretien précité, vous indiquez qu'il y a des différences épidémiologiques du virus « que se plaisent à relever les experts » mais que celles-ci demeurent « marginales » et que « cela n'a pas de pertinence en matière de santé publique » . Pouvez-vous développer ce point de vue ?

M. Philippe Foucras - Lorsqu'on est acteur de soins primaires et que l'on voit la population dans sa globalité, on s'interroge toujours pour savoir comment des décisions de santé publique impliquant l'ensemble de la population peuvent avoir une pertinence pour gérer des cas qui se chiffrent à quelques dizaines de personnes.

Il ne faut pas me faire dire ce que je ne veux pas dire à propos de la situation personnelle des gens qui ont été atteints mais il faut mesurer la pertinence des outils par rapport aux objectifs. Dans le cas de la vaccination avec un vaccin, dont l'efficacité reste très modérée, ou de l'oseltamivir, et qui n'est pas démontrée pour le virus actuel, ce que nous remettons en question, c'est la pertinence des décisions de généralisation de la prescription de certains produits avec le risque d'augmentation des effets indésirables, même si les effets graves sont rares. Quand on propose un produit à plusieurs millions de personnes, des effets indésirables graves finissent par apparaître ! C'est une question de balance bénéfice-risque.

S'agissant de l'oseltamivir, que l'on a particulièrement étudié, aucune donnée fiable - celles qui existent sont en tout cas contradictoires - ne montre qu'il pourrait prévenir les complications liées à la grippe et les formes graves.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans ce même article, vous faites référence à une étude montrant que la quasi-totalité des médecins vaccinés qui ont été interrogés dans ce cadre ont connu des effets secondaires. Vous ajoutez : « Nous n'avons pas de recul nécessaire pour évaluer d'éventuels risques plus graves à plus long terme ».

Faut-il en déduire que les procédures accélérées d'autorisation de mise sur le marché dont ont bénéficié les vaccins contre le virus A (H1N1)v n'apportent pas une garantie suffisante de leur innocuité ? Si oui, pouvez-vous préciser pourquoi ?

Je me suis fais vacciner et je n'ai pas eu d'effets secondaires - et je suis médecin.

M. François Autain, président - Je ne me suis pas fait vacciner et par conséquent je n'ai pas eu d'effets secondaires.

M. Philippe Foucras - Il s'agit d'une enquête réalisée à partir de la liste, publiée sur Internet, de médecins qui s'étaient fait vacciner. Elle représentait quelques centaines de médecins, qui décrivaient tous une grande proportion d'effets indésirables graves à ce moment-là.

M. Jean-Jacques Jégou - De quel type ?

M. Philippe Foucras - Douleurs, fébricules, des effets indésirables mineurs.

M. Jean-Jacques Jégou - Vous parlez d'effets secondaires graves et vous dites qu'il s'agit de fébricules...

M. Philippe Foucras - Si j'ai déclaré cela, je me suis trompé.

M. François Autain, président - Vous pensiez peut-être au syndrome de Guillain-Barré...

M. Philippe Foucras - Fin novembre, il existait encore une incertitude sur la sécurité vaccinale, compte tenu de la vitesse à laquelle le vaccin avait été développé - mais je reconnais volontiers que je ne reprendrai pas ces propos aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Jégou - Un seul cas de syndrome de Guillain-Barré a-t-il été attribué à ce jour à la vaccination ?

M. Philippe Foucras - Je n'en ai pas eu connaissance.

M. François Autain, président - Nous auditionnerons le président de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), qui pourra nous répondre sur cette question.

Je puis vous dire - l'intéressé m'en ayant directement fait part - qu'un médecin qui a été vacciné une première fois contre l'hépatique B a subi, à la suite de cette vaccination, des manifestations qui pouvaient rappeler celles d'un début de sclérose en plaques, il y a maintenant seize ans de cela. Il ne s'en est pas soucié. Il s'est fait vacciner contre la grippe A (H1N1)v et il est aujourd'hui manifeste qu'il a développé une poussée de sclérose en plaques.

Il est évidemment actuellement impossible - les experts sont d'accord sur ce point - d'établir une relation de cause à effet entre la vaccination anti-hépatique B ou la vaccination contre la grippe et ces maladies que l'on appelle auto-immunes que sont la sclérose en plaques, la sclérose latérale amyotrophique, mais il n'empêche qu'un certain nombre de ces maladies surviennent postérieurement à la vaccination et alimentent - au moins dans l'opinion - une controverse par rapport à la vaccination.

Une vaccination, quelle qu'elle soit, qui peut faire l'objet dans l'opinion d'une controverse n'est pas une bonne vaccination. On a tout intérêt à éviter que de telles controverses surviennent car elles risquent de porter atteinte au principe même de la vaccination et de nourrir les ligues antivaccinales. Or, ce n'est pas le but que nous recherchons, bien au contraire.

M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais compléter l'information du président en disant que lorsque nous avons auditionné M. Jean Marimbert sur un cas de ce type, il nous a répondu qu'il fallait faire les études nécessaires pour savoir s'il existe ou non une relation entre la vaccination et l'évolution de la maladie.

M. François Autain, président - Ce médecin n'établit pas de relation entre la vaccination et cette sclérose en plaques mais reproche à l'AFSSAPS de ne pas avoir fait état de son cas et de ne pas jouer la transparence.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant la modification des conditions de prescription de l'oseltamivir, dans un document de FORMINDEP, « L'affaire Tamiflu : un scandale révélateur, fonder une expertise sanitaire indépendante » , vous faites état d'une lettre du directeur général de la santé recommandant la prescription à titre préemptif du Tamiflu avec des doses curatives pour l'ensemble des patients présentant des symptômes grippaux et leur entourage.

Vous indiquez : « La direction générale de la santé, cautionnée par l'AFSSAPS, a pris ainsi le risque d'expérimenter à grande échelle un produit de santé, en l'absence de gravité de la situation, sans bien connaître les conséquences potentielles et en confiant à la firme fabriquante le soin d'en surveiller les effets » .

Selon vous, l'exemple de la pratique suivie au Chili - où la prescription de Tamiflu semble avoir réduit le nombre d'hospitalisations et de décès - ne permettait-elle pas de justifier cette extension de l'indication du Tamiflu ?

M. Philippe Foucras - J'attends toujours l'étude demandée par courrier à la DGS. Nous avons en effet réclamé des éléments de preuve afin de pouvoir décider dans l'intérêt des patients.

En réponse, la DGS nous a communiqué une copie d'un document issu d'un blog Internet qui présentait les opinions d'experts de Harvard, qui échangeaient leurs sentiments mais sans pouvoir vérifier la fiabilité de ces données. La seule information que l'on ait retrouvée sur cette question à travers notre propre recherche documentaire est un document de l'InVS daté de juin, qui compare l'épidémie de grippe en Argentine et au Chili. Nous le tenons à votre disposition. Cette étude ne mettait pas en évidence d'autres disparités que géographiques.

Les soignants sont des professionnels de santé qui sont à même de pouvoir évaluer en fonction des données scientifiques ; pour l'instant, nous n'avons pas reçu ces données, bien qu'on ait fait l'effort de les demander de façon forte.

M. François Autain, président - Lors de l'audition des laboratoires Roche à laquelle nous avons procédé hier, ceux-ci nous ont remis un document relatif à la pratique suivie au Chili.

Peut-être n'en avez-vous pas eu connaissance. Personnellement, je n'ai pas eu le temps de lire cet article, mais nous sommes prêts, si cela vous intéresse, à vous en remettre photocopie.

M. Philippe Foucras - Bien sûr, mais l'épidémie est terminée. Nous devons soigner selon ces données scientifiques fiables. Si les données évoluent, il faut qu'on nous les communique afin d'évaluer leur niveau de preuve. Dans notre document sur cette question, nous citons un certain nombre de publications qui montrent exactement l'inverse. Il s'agit d'études et d'essais faits au Japon qui démontrent que l'administration d'oseltamivir chez des patients à risques augmente les symptômes.

On est dans des situations d'incertitude et de non-connaissance des faits et les éléments pour décider ne sont pas communiqués !

M. Alain Milon, rapporteur - On a parlé aussi du Japon avec les laboratoires Roche. Ils disaient que le Tamiflu était énormément prescrit et qu'ils n'avaient pas constaté de problèmes de résistance du virus par rapport à une prescription en forte augmentation.

M. Philippe Foucras - C'est pourquoi au Japon, du fait de sa très grande prescription, ont été signalés des cas de défenestration d'adolescents suite à la prise de Tamiflu. Les Etats-Unis ont mis en place des mécanismes d'avertissement forts sur les effets indésirables du Tamiflu : la mention de ces effets secondaires doit apparaître sur les boîtes de médicaments.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est une information que nous n'avions pas.

M. François Autain, président - En effet.

M. Alain Milon, rapporteur - Nous avons également interrogé le directeur général de l'AFSSAPS qui a indiqué que les nouvelles conditions de prescription de l'oseltamivir se justifiaient par deux principaux éléments : d'une part, un traitement prophylactique avec des doses curatives d'oseltamivir peut présenter l'avantage d'un risque moindre d'émergence de mutants résistants ; d'autre part, les traitements préemptifs utilisent en règle générale des posologies curatives.

En ce qui concerne la pharmacovigilance, il a rappelé qu'il existe une responsabilité de base, en la matière, du fabricant, mais que celle-ci ne peut reposer uniquement sur les travaux des laboratoires. Quel regard portez-vous sur ces observations du directeur général de l'AFSSAPS ?

M. Philippe Foucras - J'ai sous les yeux la note du 7 décembre signée par le directeur général de l'AFSSAPS à l'intention du DGS, en réponse à la demande d'avis du 3 décembre sur les modalités d'utilisation de l'oseltamivir.

Elle précise : « Toutefois, il faut noter que l'incidence des cas d'émergence de ces résistances dans le contexte d'une prophylaxie et non d'un traitement curatif n'est pas ou très mal connue à ce jour. Il n'y a pas non plus de données in vitro disponibles. Les données disponibles avec le Tamiflu utilisé à dose prophylactique en cas de grippe sont très limitées et non nécessairement extrapolables au contexte épidémique pandémique actuel. Concernant le risque de toxicité relatif, il a été considéré que celui-ci pourrait être lié non pas à la dose mais à sa durée. A cet égard, il n'existe pas de données soumises par la firme ou émergeant des rapports de pharmacovigilance au niveau mondial » .

En conclusion, la note affirme : « Une recherche bibliographique à l'échelle mondiale, aussi bien du côté des autres autorités de santé et du côté des sociétés savantes, n'a pas permis de mettre en évidence de telles recommandations à ce jour » .

Il est donc difficile de pouvoir dire autre chose que le fait qu'il n'existe pas de données fiables sur l'efficacité de l'extension de l'indication de ce médicament.

En conclusion, l'AFSSAPS souhaite demander à la firme Roche de fournir les données dont elle pourrait disposer ainsi qu'un suivi détaillé de pharmacovigilance pour ce type de traitement.

Pour nous, il s'agit d'un document pour le moins étonnant qui énumère sur deux pages le fait que l'on n'a pas de données fiables ni de données extrapolables ; on va demander à la firme de surveiller l'évolution de ce qui va se passer pour établir à la fin un avis favorable. C'est en ce sens que l'on parlait d'expérimentation.

M. François Autain, président - La firme, hier, nous a indiqué qu'elle était en cours d'expérimentation et qu'elle était en train de constituer un dossier qu'elle déposerait, je pense, en vue d'obtenir cette extension d'AMM (autorisation de mise sur le marché) que la France a réussi à obtenir d'une façon tout à fait originale, à la limite même de la légalité. Je sais que l'on était en période d'épidémie et que, devant le danger ou la menace, il faut parfois savoir faire quelques entorses à la légalité mais je considère qu'il n'y avait pas matière à le faire. Cela a pourtant été fait.

M. Philippe Foucras - Cela aurait pu être acceptable si l'épidémie avait présenté, au 10 décembre, un risque majeur, et si on pouvait attendre des effets positifs importants de ce médicament, mais aucune de ces conditions n'était remplie.

M. Jean-Jacques Jégou - Je voudrais que l'on se rende bien compte de la situation dans laquelle on se trouve au regard de l'oseltamivir. Le Tamiflu n'est pas un médicament qui est apparu au moment de la pandémie.

J'ai réalisé, comme vous le savez, un rapport sur l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Lorsque j'en ai vérifié les stocks, j'ai trouvé plusieurs dizaines de millions de doses de Tamiflu achetées en 2004. Je m'étonne donc - et ma question s'adresse aussi bien au docteur Foucras qu'à la commission - qu'un médicament sorti depuis presque huit ans n'ait pas fait l'objet de vérification de son efficacité, alors qu'il est stocké sur les sites de l'EPRUS depuis six ans !

On peut aussi s'étonner que l'on n'ait pas donné beaucoup de Tamiflu aux patients susceptibles d'être atteints du virus A (H1N1)v.

M. Alain Milon, rapporteur - Il n'existe pas d'études sur l'efficacité du médicament à titre préventif ; par contre, des études sur l'efficacité du Tamiflu à titre curatif existent.

M. François Autain, président - La Commission de la transparence a été saisie par le laboratoire et a émis un avis qui remonte à 2006. Celui-ci n'était pas très favorable à l'efficacité de l'oseltamivir, à tel point qu'elle avait estimé qu'il n'était pas suffisamment efficace pour être pris en charge à 65 % ; à l'époque, il n'a été pris en charge qu'à 35 %. C'est un médicament qui n'a jamais été considéré comme très efficace et dont l'efficacité a, depuis de nombreuses années, été sujet à controverse. Encore aujourd'hui, à propos d'une indication différente, il n'existe pas de consensus chez les experts.

M. Philippe Foucras - L'oseltamivir a été testé dans la grippe saisonnière avec des résultats moyens, comme le rappelle la méta-analyse de M. Thomas Jefferson, parue dans le British Medical Journal du 8 décembre 2009, mais il n'a jamais été testé dans le cadre d'une grippe pandémique. En août 2009, dans ce même journal, des experts indépendants de la fondation Cochrane demandaient la mise en place d'études destinées à évaluer l'efficacité du Tamiflu en période de pandémie. Ces études n'ont pas encore été réalisées. On ne savait pas et on ne sait toujours pas.

M. Alain Milon, rapporteur - On a questionné le laboratoire Roche sur ses relations avec M. Thomas Jefferson ; il nous a été répondu qu'il existait quelques problèmes relationnels actuels mais que M. Thomas Jefferson avait travaillé pour Roche à une certaine époque.

J'en arrive aux problèmes de liens d'intérêts.

Le recours à des experts sans aucun lien avec l'industrie pharmaceutique vous semble-t-il être une solution réaliste et souhaitable pour la qualité de l'expertise elle-même ?

La DGS a indiqué que certaines pistes d'amélioration des dispositifs de prévention de conflits d'intérêts sont peut-être à rechercher dans la reconnaissance et la valorisation de l'expertise. Quel regard portez-vous sur ces propositions que nous allons peut-être reprendre dans le cadre du rapport ?

Quelles sont les propositions de votre collectif pour repenser l'organisation et les conditions d'application des dispositifs de prévention des conflits d'intérêts ?

M. Philippe Foucras - Il ne s'agit pas de se priver de l'expertise des experts hospitalo-universitaires qui ont des liens d'intérêts mais de la considérer pour ce qu'elle vaut, à sa juste valeur, en intégrant les dimensions que j'ai présentées sur les leaders d'opinion.

On s'aperçoit que des décisions ont été prises, comme dans le cas du Tamiflu, en l'absence de données et avec un certain déni d'influence de la part des experts qui va à l'encontre des connaissances sociopsychologiques. Le fonctionnement interne de l'expertise hospitalo-universitaire n'est plus adapté à de telles situations.

L'expertise indépendante existe. Depuis 2008, un quart des experts de l'AFSSAPS sont indépendants. En juin, un article paru dans le British Medical Journal a dressé la liste de 200 experts anglo-saxons indépendants, de différentes spécialités, auxquels on pouvait faire appel.

Enfin, les médecins de soins primaires ont pu mettre en évidence une certaine qualité d'expertise à travers l'affaire du Tamiflu, aussi acceptable - sinon meilleure pour l'analyse des données - que l'expertise à partir de laquelle les décisions, dans le cadre de la gestion de la grippe A (H1N1)v, ont été prises.

Notre idée n'est pas de se passer des compétences sans doute indiscutables des experts actuels mais de ne pas en faire une mono-expertise, de pouvoir mettre en place des instances collégiales d'expertise indépendantes de tout lien avec l'industrie et élargies aux professionnels de santé de proximité.

Il est sans doute nécessaire de repenser l'expertise actuelle, comme l'indique le rapport de Mme Marie-Dominique Furet, et de développer une expertise interne rémunérée au sein des agences sanitaires, exemptes de tout lien avec l'industrie pharmaceutique. Ceci nécessite des moyens et une certaine volonté.

Ce sont ces différents niveaux de qualité d'expertise qui, pris ensemble, augmenteraient les chances de prendre des décisions réellement fondées sur des données scientifiques et donc dans l'intérêt de la population, à l'abri d'autres influences, quelles qu'elles soient.

M. François Autain, président - Nous auditionnerons Mme Marie-Dominique Furet, auteur du rapport auquel s'est référé M. Philippe Foucras.

Y a-t-il des questions ? Il ne semble pas qu'il y en ait.

Nous vous avons entendu et compris. J'espère que nous saurons en tirer les conséquences en ce qui concerne les recommandations que nous serons amenés à faire à l'issue de notre travail et en conclusion de notre rapport.

Audition de MM. Christophe LANNELONGUE,
inspecteur général des affaires sociales,
auteur d'un rapport de l'IGAS sur la rémunération des médecins
et des chirurgiens hospitaliers,
et Etienne DUSEHU, ancien conseiller général
des établissements de santé,
ancien conseiller national de l'Ordre des médecins
(mercredi 7 avril 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, auteur d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la rémunération des médecins et des chirurgiens hospitaliers, et le docteur Etienne Dusehu, ancien conseiller général des établissements de santé, ancien conseiller national de l'Ordre des médecins, qui a apporté son concours à l'élaboration de ce rapport.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Christophe Lannelongue et Etienne Dusehu prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission.

Monsieur Lannelongue, vous avez la parole.

M. Christophe Lannelongue - A l' occasion de notre rapport sur la rémunération des médecins et chirurgiens hospitaliers, en 2008, nous avons établi de fortes disparités dans les rémunérations des médecins libéraux ambulatoires ou hospitaliers et hospitaliers publics.

Pour les premiers, ces disparités traduisaient d'abord les différences de rémunérations entre spécialités et l'impact du développement des dépassements sur les rémunérations.

Pour les hospitaliers publics et PSPH (participant au service public hospitalier), les disparités traduisaient d'abord l'impact des rémunérations indemnitaires, notamment liées à la permanence des soins, l'impact des activités libérales à l'hôpital public et l'impact de rémunérations complémentaires apportées à ces médecins par des entreprises, entre autres au titre de leurs travaux de formation et recherche.

Compte tenu des travaux de cette commission, c'est cet aspect du rapport que nous évoquerons plus précisément.

Nous avons donc essayé d'analyser ce qu'étaient les rémunérations apportées à des médecins, en dehors de leur rémunération principale et accessoire versée par leur employeur - hôpital public ou PSPH.

Nous allons donc vous présenter les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, notre analyse à partir des dossiers de l'Ordre des médecins, les conclusions que nous en avons tirées, notamment sur la manière dont sont mis en oeuvre les essais cliniques, et les propositions que nous avions faites pour améliorer ce système de rémunération.

Je passe la parole au docteur Etienne Dusehu pour qu'il vous donne un aperçu de ce qu'ont été la méthode d'enquête de la mission et nos principaux constats.

M. Etienne Dusehu - La partie du rapport sur le volet des rémunérations qui vous concerne n'était pas au coeur de la problématique originale de la mission puisqu'il ne s'agit pas de la rémunération principale et que le contenu de cette activité est diversifié, tout autant que les modalités de rémunération et le contenu de celle-ci. Nous cherchions malgré tout à avoir une appréhension indirecte, aussi grossière fut-elle, du financement des rémunérations versées.

En fait, nous étions dans notre champ de mission, puisque la lettre de mission de la ministre stipulait bien que l'on devait embrasser l'ensemble des rémunérations des médecins.

L'expertise en milieu hospitalier est essentiellement publique et encadrée par les règles reprises principalement par le code de la santé publique ; elle donne lieu à des extensions d'activité, essentiellement en termes de conseils aux industriels, et fournit un ensemble diversifié dont les rémunérations ne sont pas, elles, encadrées.

C'est au terme de l'audition du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) que nous avons obtenu de celui-ci le fichier de l'enregistrement des contrats qui lui parviennent ; il s'agit d'un fichier récapitulatif mais qui n'a pour but que d'enregistrer leur arrivée et qui ne comporte d'informations sur chacun des contrats que de façon littérale. Cela dépend donc manifestement beaucoup de celui ou de celle qui l'enregistre sur le tableur. En revanche, la somme prévue au contrat y figure ; c'est aussi ce qui nous intéressait.

Ce fichier est constitué, d'une part, des contrats que les médecins adressent directement au CNOM quand ceux-ci concernent plusieurs départements ou l'ensemble du territoire national, d'autre part, des fichiers que les conseils départementaux adressent au CNOM lorsqu'ils ont besoin d'une expertise technique dont ils ne disposent pas. Ils ne sont toutefois pas identifiés. Ce fichier est donc très hétérogène et l'interprétation doit être faite avec prudence.

Ce fichier a été abandonné puis repris ; nous avons obtenu environ deux années de déclarations au CNOM. J'ai exploité 6 675 lignes du tableur dont la synthèse est reprise dans les tableaux 31 et 32 du rapport (page 73), la dispersion des honoraires faisant l'objet du graphique 7 (page 74).

L'analyse que l'on peut en faire doit être prudente compte tenu du caractère restreint des informations et de la typologie. Après avoir étudié le contenu des lignes, j'ai essayé de dresser une typologie aussi systématique que possible en scindant les activités de formation et de conseils aux entreprises, les contributions scientifiques et les expertises.

Le profil de distribution des courbes de rémunération de l'activité d'expertise et celle de contributeur scientifique se superposent grossièrement et la rémunération est significativement plus élevée que celle des activités d'enseignement.

Toutefois, on ne sait ce qu'elles comportent. On ne connaît pas non plus la durée ni la valeur ajoutée en termes de production personnelle que cela implique. On n'a donc pas moyen de rattacher la somme versée à une somme de travail.

La dispersion est d'ailleurs beaucoup plus grande pour ce pic de rémunération, même si elle concerne beaucoup plus de monde. La rémunération par dossier, en moyenne et en médiane, est beaucoup moins élevée.

La moyenne et la médiane de la rémunération sont significativement différentes pour les quatre thèmes et j'avoue n'avoir pas les compétences statistiques pour exploiter cette différence.

Selon l'analyse du président de la Commission des relations médecins-industrie, « certains confrères hospitaliers cumulent les contrats en tant que coordinateurs d'études, experts ou conseillers scientifiques consultants auprès de plusieurs industriels. Ces cumuls de contrats peuvent représenter une masse d'honoraires dépassant leur rémunération hospitalière ou hospitalo-universitaire et occuper une part de leur temps de travail très supérieure à ce qui est raisonnable et autorisé ».

L'organisation actuelle du recueil ne permet donc pas d'identifier le complément de rémunération, ni la somme de travail à laquelle il correspond, pas plus que de voir si l'un et l'autre sont bien compatibles. Seule la déclaration fiscale individuelle de chaque praticien pourrait l'autoriser. Cette pratique de conseil et d'expertise recouvre manifestement des situations dont le contenu est aussi hétérogène que la rémunération qui y est attachée. Le contenu n'est actuellement connu que des intéressés et par ceux qui les emploient.

M. Christophe Lannelongue - Nous avons tenté de mieux comprendre les mécanismes qui permettent le versement de ces rémunérations et plus particulièrement étudié les fonctions qu'exercent les médecins dans le cadre des essais de recherche clinique, notamment les fonctions des « médecins investigateurs » qui recrutent les patients, les informent, recueillent leur consentement, suivent, dirigent et contrôlent la réalisation des essais en respectant une réglementation protectrice des droits et des intérêts des personnes.

Nous avons constaté que ces essais cliniques s'organisent à travers deux types de conventions. L'une d'elles est une convention de droit privé passée entre l'industrie et le médecin investigateur qui fixe la rémunération de ce dernier. Cette rémunération est calculée à partir d'une somme fixe pour chacun des patients, incluse dans l'essai ; cette convention doit être communiquée à l'Ordre départemental des médecins du lieu d'exercice du praticien s'il s'agit d'un essai monocentrique ou au CNOM si l'essai associe des investigateurs de centres différents.

Cette convention doit être également communiquée aux directeurs d'établissement, ce qui nous a semblé inégalement respecté. Pour prendre l'exemple des hospices civils de Lyon, seuls 10 % des conventions concernées étaient adressés à la direction de l'hôpital.

Ces conventions prévoient des rémunérations de l'ordre de 1 500 à 2 500 euros par patient et peuvent aller jusqu'à 5 000 euros en cardiologie ou en réanimation. Ce sont donc des sources de revenus conséquents pour les professionnels.

La rémunération du médecin investigateur est personnelle. Elle peut donc lui être versée directement, sans transiter par la direction de l'hôpital, qui est l'employeur ; elle est souvent versée en tout ou partie sur le compte d'associations de loi de 1901 constituées pour améliorer le fonctionnement des services dans lesquels exerce le médecin investigateur.

Il existe une très forte opacité des conditions de partage des sommes versées directement aux médecins et à l'association. De même, on constate une très forte opacité quant à l'emploi des fonds tel qu'il est effectué par les associations. Celles-ci étant régies par la loi de 1901, elles sont donc soumises à des contrôles des commissaires aux comptes et à des contrôles fiscaux mais on ne dispose que de peu d'informations, d'autant que ces associations sont nombreuses et spécialisées sur un service, des praticiens ou des essais.

La mission a ainsi relevé qu'au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, pour 500 protocoles de recherche, 128 associations étaient domiciliées au sein de ce même établissement ; parmi elles, 70 avaient pour objet explicite le financement de la recherche.

Un rapport assez ancien de l'IGAS - mais qui reste malheureusement toujours d'actualité - avait constaté que ces associations devaient permettre le financement de dépenses jugées difficiles à réaliser dans le cadre de la gestion classique de l'hôpital mais que la très forte opacité qui règne sur leur fonctionnement pouvait donner lieu à des dérives et notamment à l'utilisation par certains praticiens de ce support associatif pour des dépenses personnelles de quasi-rémunération.

Autre point mis en exergue : ce système offre un risque que l'établissement qui accueille le médecin investigateur et les patients intéressés à cet essai soit défavorisé. En effet, une convention hospitalière est passée entre le laboratoire et l'établissement, visant à compenser les surcoûts engendrés par l'essai clinique pour l'établissement. Ces surcoûts tiennent aux soins supplémentaires, au temps passé, à la logistique mise en oeuvre ou aux examens biologiques nécessaires au suivi des patients concernés.

Le système est assez critiquable en ce qu'il organise un conflit d'intérêts entre la rémunération du médecin investigateur et le financement des surcoûts de l'établissement. Dans la pratique, le montant consacré par le laboratoire au financement de l'essai clinique est une donnée exogène, la répartition entre ce qui va à la rémunération du médecin et ce qui va à la compensation des surcoûts de l'établissement étant décidée au cas par cas, de fait avec une forte influence du médecin investigateur.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Par qui cette répartition est-elle décidée ? Par l'hôpital ?

M. Christophe Lannelongue - Elle est décidée dans une négociation entre le laboratoire et l'hôpital mais celle-ci résulte d'une certaine manière d'une négociation entre le laboratoire et le médecin pour sa propre rémunération.

La part de la rémunération consacrée à la compensation des surcoûts de l'hôpital est davantage un solde qu'une véritable appréciation objective des surcoûts de l'hôpital, d'autant qu'il est malaisé de les établir. Ceci est lié à l'absence de comptabilité analytique dans beaucoup d'hôpitaux mais aussi à la difficulté même d'appréhender les surcoûts ; en effet, il faut pouvoir isoler ce que serait des soins « normaux » et ce qui constitue le supplément de coût logistique lié à l'intégration du patient dans l'essai clinique.

Ces constats ont été à nouveau validés par un rapport récent de l'IGAS dont je me permets de vous suggérer de prendre connaissance. Il s'agit d'un rapport public concernant le financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé. Ce rapport a été établi par M. Pierre-Louis Bras et le docteur Gilles Duhamel ; il date de novembre 2009.

La mission a validé les constats majeurs que nous avions faits et en a conclu que ce système n'est pas favorable à un financement transparent et dynamique de la recherche. Outre le fait qu'il induit un conflit d'intérêts entre le médecin investigateur et l'hôpital, il peut aussi induire un biais en faveur de la recherche clinique aux dépens de la recherche fondamentale parce qu'il induit une sur-rémunération pour des activités de recherche clinique alors que les activités de recherche fondamentale sont considérées comme rémunérées à l'intérieur de la rémunération principale du praticien hospitalo-universitaire.

Je passe sur les questions qui se posent pour d'autres expertises. Aux termes de ces constats, nous avions établi un certain nombre de préconisations sur l'ensemble de la politique de rémunération des médecins, dont une partie concernait directement les constats faits sur le financement de la recherche et notamment des essais cliniques.

Il était proposé - recommandation n° 15 - de mettre l'Ordre des médecins en situation de connaître toutes les rémunérations versées aux médecins inscrits à l'Ordre. Comme cela a été dit par le docteur Etienne Dusehu, il n'existe pas actuellement de fichier national, ce qui rend impossible une visibilité réelle des rémunérations versées aux praticiens dans le cadre qui a été rappelé, que ce soit celui de la formation, de l'enseignement, de la consultation ou de l'expertise.

On ne peut repérer d'éventuels « cumuls » de rémunération, ce qui est embarrassant à la fois du point de vue de l'employeur - car cela interdit, pour l'hôpital concerné, de connaître la rémunération des collaborateurs de cet hôpital et les activités qu'ils mettent en oeuvre - mais constitue également un problème en matière d'orientation de la politique de recherche et d'allocation des ressources publiques.

La mission avait préconisé une modification des dispositions législatives sur la transmission d'informations à l'Ordre. Il s'agissait de lui permettre de constituer un fichier national et d'obliger les échelons locaux à transmettre au niveau national les données qu'il recueille, ces informations ayant vocation à être transmises à l'établissement employeur du médecin et à donner lieu à des études permettant une meilleure gestion de la politique de recherche et de rémunération des médecins, non seulement dans l'intérêt général mais également dans celui de l'industrie pharmaceutique.

En effet, en matière d'essais cliniques, la France est fortement concurrencée par de nombreux pays, notamment les pays de l'Est. Le coût des essais cliniques est un des facteurs qui oriente les choix géographiques de mise en oeuvre.

C'est dans ce cadre qu'a été constitué, à l'initiative des pouvoirs publics et de l'industrie, un groupement d'intérêts, le CENGEPS (Centre national de gestion des essais de produits de santé) qui doit permettre de rationaliser et de standardiser les coûts de ces essais cliniques afin de garantir leur compétitivité en France.

La seconde préconisation était d'organiser l'information systématique des établissements publics employeurs sur les rémunérations de leurs collaborateurs. Il s'agissait d'un des points majeurs de notre rapport visant à plus de transparence sur l'activité et les rémunérations des médecins dans le cadre de l'hôpital public afin d'aboutir à plus d'équité et de reconnaissance de la contribution réelle de ces médecins à la performance de l'hôpital.

Dans un contexte de financement à l'activité, il convient que les hôpitaux publics soient en mesure de gérer l'activité des praticiens au mieux des missions qu'ils mettent en oeuvre, qui sont des missions de soins, d'enseignement et de recherche. Ceci suppose que chaque équipe, chaque pôle, ait la capacité d'équilibrer et d'organiser l'activité des médecins de façon à assurer toutes les missions et que chaque praticien contribue du mieux possible à l'ensemble de ces missions.

Le statut des praticiens hospitaliers leur interdit de recevoir quelque émolument que ce soit au titre d'activités exercées en dehors de l'établissement d'affectation ; cette disposition ne s'applique toutefois pas aux consultations et aux expertises demandées par une autorité administrative ou judiciaire ou des organismes privés. Cette règle doit s'appliquer dans des conditions fixées par un arrêté ministériel mais ce dernier n'est jamais paru.

Les praticiens hospitaliers sont tenus de déclarer à leur directeur d'établissement leurs activités de recherche mais il n'est pas précisé si cette déclaration doit concerner également les conventions financières.

Face au flou de la situation, la mission préconisait l'élaboration d'un arrêté ministériel prévoyant qu'en dehors de toute activité libérale, les activités rémunérées effectuées par un médecin à temps plein fassent l'objet d'une déclaration à la direction de l'établissement. Nous avions également proposé que cette obligation d'information s'applique aussi aux organismes publics de recherche employant des médecins qui seraient amenés à en informer la direction de l'hôpital concerné.

La troisième préconisation consistait à mettre en place dans chaque CHU une fondation hospitalo-universitaire de recherche pour mieux organiser les flux financiers entre l'industrie, les établissements et les praticiens. L'idée était d'améliorer la transparence, la fondation étant cogérée par l'hôpital et les médecins et faisant en sorte de rendre transparentes les conditions de financement des médecins par les laboratoires. Elle permettrait aussi de bien partager ce que doit être la rémunération additionnelle d'un médecin et ce que doit être le financement de l'équipe dans laquelle il travaille, ce financement devant autoriser de développer la recherche, la formation ou l'évaluation des médecins concernés.

Nous avions proposé que cette fondation soit mise en place dans le cadre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 qui a prévu la possibilité de créer des fondations universitaires.

Une mission a été confiée au professeur Jacques Marescaux qui a suggéré la mise en place d'instituts hospitalo-universitaires. Le professeur Jacques Marescaux a proposé hier à la ministre la création de cinq fondations hospitalo-universitaires dans le cadre du grand emprunt.

Ce cadre pourrait permettre d'organiser la transparence des relations entre les laboratoires et les médecins. On pourrait en effet confier à ces instituts le soin de passer les conventions avec les laboratoires et les structures hospitalières concernées.

Il ne s'agit que d'une partie des propositions de la mission de l'IGAS. Notre objectif principal était d'améliorer le lien entre management des services, management des médecins et rémunération afin d'aboutir, dans chaque service, à un plan d'activité permettant de fixer pour six mois ou un an la répartition des activités d'un médecin entre les soins, l'enseignement et la recherche. Il s'agit de garantir que chaque médecin contribue de manière équilibrée aux missions de son service et de déclencher des rémunérations additionnelles, le dispositif étant encadré par ce que l'IGAS a appelé des « valences », c'est-à-dire des choix de spécialisation sur une période de trois à cinq ans, visant à permettre aux médecins hospitaliers de se spécialiser dans la recherche et de voir reconnaître leur spécialisation dans leur parcours de carrière et dans leur rémunération.

M. François Autain, président - Je vous remercie d'avoir centré votre propos sur le sujet qui concerne directement notre commission. Certaines de vos recommandations, dont certaines sont très intéressantes, pourront être éventuellement reprises dans notre rapport.

Je pense en particulier au fichier national. La question est de savoir si ce fichier peut ou doit être rendu public.

M. Christophe Lannelongue - Nous avons accédé à un fichier anonymisé mais on a manqué de temps et peut-être de données pour réaliser des analyses par spécialité qui auraient été extrêmement intéressantes. On aurait pu les faire avec un fichier anonymisé. Il suffisait que l'on connaisse la spécialité du médecin concerné. Il me semble que l'on pourrait avoir un fichier national qui respecte l'anonymat des praticiens mais qui permette un certain nombre d'études. Il faut cependant, comme je l'ai dit, prévoir une transmission à l'autorité d'emploi du médecin.

M. François Autain, président - Je me plaçais dans la perspective du contrôle de l'application d'une disposition de la loi de 2002 sur le droit des malades, qui indique qu'un médecin qui a des liens d'intérêts avec un laboratoire doit les faire connaître lorsqu'il s'exprime en public ou qu'il écrit un article. Or, cette disposition, qui a reçu son décret de façon tardive, cinq ans après, n'est ni connue, ni appliquée !

Il me semble que l'existence d'un fichier national public faisant figurer les liens d'intérêts de l'expert avec l'entreprise faciliterait grandement l'application de ce texte et peut-être aussi son contrôle. C'est pourquoi je me permettais de vous poser cette question.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez répondu par avance, dans votre exposé, à un certain nombre de questions que je désirais vous poser ; je me bornerai donc à certaines d'entre elles que vous n'avez pas abordées.

Tout d'abord, la création d'une instance spécifique chargée du contrôle des liens d'intérêts et des procédures de gestion des conflits d'intérêts vous semblerait-elle une bonne solution ?

Toutes les catégories de conventions soumises au dispositif de la loi de 2002 - conventions « d'hospitalité », activités de conseil, activités de formation, collaboration scientifique, expertises et études - comportent-elles les mêmes risques vis-à-vis de l'indépendance des experts ?

M. Etienne Dusehu - L'ensemble des rapports d'un médecin avec l'industrie pharmaceutique pose problème quelle que soit la nature de cette collaboration. Qu'il s'agisse d'une collaboration reposant sur l'enseignement ou sur un exercice clinique, il existe un lien de dépendance directe ou indirecte qui se traduit par une rémunération.

Je ne vois pas de différence fondamentale - mais c'est une impression qui peut ne pas être partagée.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous paraît-il souhaitable d'obliger les entreprises industrielles à publier la liste des experts qu'elles rémunèrent, au moins pour certaines fonctions, en particulier les fonctions de conseil ?

Faut-il interdire aux personnes qui conseillent une entreprise privée de siéger dans une instance d'expertise publique et de jouer un rôle, à quelque titre que ce soit, auprès des autorités politiques et administratives ?

Il est parfois avancé que le fait que tant les entreprises privées que les autorités administratives consultent les mêmes experts tient à la qualité de ces derniers. Or, la préparation de la pandémie annoncée a donné l'impression d'être dominée par une « pensée scientifique unique » privilégiant une vision plutôt catastrophiste et qui s'est révélée erronée. Doit-on en conclure que le recours à un « vivier » unique et commun d'experts n'est pas, comme on le pense, une garantie de la qualité de l'expertise ?

M. Christophe Lannelongue - Nous avions travaillé sur la base d'un rapport qu'avait commandé la DGS à Mme Marie-Dominique Furet sur les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics au sens large - administrations centrales, grandes agences - faisaient appel à l'expertise médicale.

Ce rapport, que nous avons pris comme tel, n'ayant pas travaillé sur le fond, montrait l'apport considérable des praticiens à la qualité de la décision publique.

A partir de là, nous avions travaillé sur les conditions dans lesquelles ces praticiens étaient rémunérés et sur le fait de savoir comment s'articulaient leurs responsabilités en tant qu'experts pour les pouvoirs publics et leurs activités au sein de l'hôpital public.

Nous avions constaté que les conditions de rémunération étaient assez peu définies et homogènes, au sens où un même travail pouvait être apprécié et valorisé très différemment.

Nous n'avons pas, par ailleurs, constaté de rémunérations excessives mais plutôt que les rémunérations de ce type d'expertises par les pouvoirs publics, en France, étaient comparables voire inférieures à celles pratiquées dans les autres pays européens ou par la Commission.

Nous avions, en revanche, remarqué l'absence d'échange d'informations entre les autorités publiques recourant aux expertises et les hôpitaux publics employant ces praticiens. Ceci posait un problème pour les hôpitaux publics dont une partie de l'activité des médecins était consacrée à d'autres employeurs, sans valorisation pour les hôpitaux publics.

Nous avions travaillé avec la direction générale de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris qui avait attiré l'attention de la Direction générale de la santé (DGS) sur le fait que beaucoup de praticiens étaient chargés d'expertises pour le compte des pouvoirs publics. Les vérifications ont été fort peu concluantes ; nous n'avons trouvé que quelques équivalents temps plein, ce qui ne correspondait pas à l'appréhension que chacun peut avoir

Ce point n'a donc pas été approfondi et le rapport suggérait simplement une rationalisation des rémunérations et un meilleur partage de l'information entre le ministère, les agences et les hôpitaux publics. Je ne peux donc pas en dire davantage.

En ce qui concerne votre première question, le plus important pour nous était de pouvoir disposer d'un endroit unique pour avoir une vision globale de l'emploi des ressources de l'hôpital et de son engagement dans la recherche, une approche du financement de la recherche par projet et une vision précise de la répartition de l'activité des praticiens entre soins, enseignement et recherche mais aussi formation permanente, évaluation des pratiques, etc.

Notre souci était plutôt de mettre les hôpitaux universitaires en situation de bien piloter l'effort de recherche, de le développer le mieux possible et de bien gérer la ressource précieuse que représentent ces médecins universitaires en essayant de trouver un équilibre entre le fait que les hôpitaux universitaires sont aussi des lieux de production de soins et d'excellence, de formation et de recherche. C'est cet équilibre qui est très important à trouver. Sans celui-ci, les hôpitaux universitaires sont en déficit parce qu'ils ne font pas assez de soins tarifés comme tels ou n'ont d'universitaires que le nom, ne faisant ni recherche, ni enseignement.

Ce sont ces questions-là qui nous ont animés et l'idée d'avoir une politique de relations qui permette cet équilibre et cette motivation sur de bonnes bases plutôt que d'établir la transparence sur le lien global entre les laboratoires et les médecins.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la création d'une instance spécifique chargée du contrôle des liens d'intérêts.

M. Christophe Lannelongue - Nous pensons qu'il faut redonner au CNOM la capacité de faire son travail.

M. Alain Milon, rapporteur - On a reçu le CNOM qui prétend, en l'état de la loi de 2002, qu'il ne peut faire son travail, les choses ne suivant pas au niveau départemental.

M. Christophe Lannelongue - Les 5 000 conventions paraissent un volume d'informations relativement maîtrisable. Avec un système d'information permettant de travailler sur la base des coûts standardisés établis grâce au CENGEPS, on peut selon nous repérer les comportements anormaux.

Notre conviction était que, comme pour les activités libérales dans le cadre de l'hôpital public, les comportements anormaux sont peu nombreux. Les comportements que nous jugions critiquables sont ceux de praticiens cumulant un très haut volume de rémunérations en provenance de l'industrie, pour lesquels on peut se demander s'ils sont à même d'assurer complètement les missions pour lesquelles ils sont par ailleurs rémunérés par l'hôpital public.

Nous avons enquêté dans un petit nombre de CHU dont certains, très prestigieux, comme le CHU Pitié-Salpêtrière, concentrent des équipes de renommée internationale. Les comportements « extrêmes » y sont très peu nombreux. Sil existait un système d'information et que l'on puisse utiliser les standards mis au point par l'industrie, on pourrait tout à fait détecter ces comportements aberrants et intervenir.

M. François Autain, président - Merci.

La parole est aux commissaires.

M. Jean-Jacques Jégou - Pourriez-vous nous en dire plus du lien que vous faites avec les MIGAC (missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation) - bien que cette question ne soit pas directement liée avec notre sujet ?

M. Christophe Lannelongue - Il ne s'agit pas de nos travaux mais d'un rapport établi par M. Pierre-Louis Bras et Gilles Duhamel dont l'intitulé est « Financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé » .

Ce rapport établit un constat critique sur les modes de financement de la recherche et autres missions d'intérêt général.

S'agissant de la recherche, selon le rapport, le mode de financement actuel introduit une forme de concurrence entre les activités de soins et de recherche. Cela signifie que les médecins sont intéressés à certaines formes de recherche et non à d'autres, à certains actes de soins et non à d'autres. La répartition de leurs activités peut donc être biaisée par des modes de rémunération qui ne sont pas conformes à un bon équilibre entre le soin et la recherche.

Dans ce contexte, on a toutes les raisons de penser que le financement apporté à l'hôpital en tant que structure porteuse du projet, n'est pas adapté aux charges de celui-ci. La conclusion est qu'il faut sortir du mode de gestion et de financement de la recherche par les missions d'intérêt général, trop forfaitaire et trop déconnecté de la réalité des projets, en l'accompagnant d'une forme d'intégration de tous les coûts des projets de recherche, y compris la rémunération additionnelle des médecins pour la conduite de ces recherches.

Cela rejoint un des points que nous avions soulevés à propos de la transparence et d'une meilleure prise en compte de la réalité des activités de recherche, qui doivent être rémunérées en plus de la rémunération principale des médecins.

Je n'en dis pas plus s'agissant d'un travail que nous n'avons pas conduit et qu'il est par ailleurs malaisé d'expliquer en quelques mots.

Le point important réside dans le fait que ce rapport a conforté les interrogations et les critiques que nous soulevions à propos des impacts défavorables des modes de rémunération et de financement des essais cliniques dans la mise en oeuvre des missions d'intérêt général à l'hôpital.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Votre travail concerne-t-il certaines spécialités en particulier ?

En second lieu, dans le fichier national que vous proposez - idée à laquelle j'adhère totalement - ne faut-il pas prévoir les publications de référence ?

Par ailleurs, votre étude porte-t-elle également sur les équipes de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui ne sont pas hospitalières mais qui sont quelquefois installées dans l'hôpital ? Des comparaisons ont-elles pu être établies avec d'autres pays européens afin de savoir notamment si la mise en place d'un système ne pénaliserait pas les équipes françaises ?

Enfin, avez-vous le sentiment que tous les directeurs d'hôpitaux ont connaissance des activités associatives à l'intérieur de leur hôpital ?

M. Christophe Lannelongue - Non, sûrement pas ! D'ailleurs, les directeurs d'hôpitaux que nous avons rencontrés ont été les premiers surpris par le nombre d'associations et par leurs activités, dont ils ne pouvaient connaître que le volume financier. Certaines se sont même « délocalisées » et se sont domiciliées hors de l'hôpital pour échapper aux contrôles fiscaux ou à l'intérêt du directeur.

Nous n'avons pas mené de travail sur les autres pays européens et c'est fort dommage. L'enquête a été accompagnée de travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les rémunérations des médecins dans l'ensemble des pays de l'OCDE mais celle-ci n'a pas travaillé cet aspect de la rémunération des médecins. On a donc publié des chiffres de rémunérations globales par spécialité dans les différents pays de l'OCDE, sans isoler ce qui était lié aux activités de recherche.

C'est d'autant plus crucial que l'on a toutes les raisons de penser que ces activités sont correctement rémunérées dans les pays directement en compétition avec les équipes de recherche françaises. On a ainsi pu noter une forte pression de centres de recherche étrangers pour débaucher des praticiens, notamment à l'AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris). En Angleterre, les conditions financières offertes par l'Imperial College de Londres étaient incroyablement plus favorables que les conditions financières dont bénéficiait un praticien qui exerçait à Henri Mondor.

En ce qui concerne les équipes INSERM, la participation des médecins universitaires à ces équipes n'entraîne pas de supplément de rémunération. On a considéré que le temps passé s'inscrit dans le fait que le statut hospitalo-universitaire vaut rémunération pour les activités d'enseignement et de recherche. Le problème est que ce statut ne constitue pas un vrai cadre d'emploi pour le développement des activités de recherche. De fait, il ne permet pas de rémunérer l'activité des jeunes chercheurs, ni d'isoler la recherche d'autres activités - enseignement ou gestion.

Par ailleurs, des publications de référence seraient en effet très importantes.

S'agissant du fichier national, nous n'avons pu travailler par spécialité ; or, chacun sait qu'il existe une très forte différenciation entre spécialités. Pour dire franchement les choses, nous étions fort heureux d'avoir accès au fichier du CNOM. C'est un début mais il faut sûrement approfondir ces travaux en distinguant les spécialités, point majeur du système de rémunération des médecins en France.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Pouvez-vous revenir sur la proposition des fondations ? Car il existe actuellement une mode dans les CHU qui consiste à faire en sorte, lorsqu'un médecin part à la retraite, de mettre en place un système d'institut à l'intérieur même de l'hôpital, avec des fonds publics et privés.

Je crains que cette idée de fondation ne parvienne un jour à créer des instituts plus lourds et plus complexes.

M. François Autain, président - Nous avons quand même voté cette idée de fondation dans la loi HPST !

M. Christophe Lannelongue - L'idée était d'avoir, au lieu des 128 associations du CHU de Nice, une structure unique qui serait l'interface obligatoire entre l'industrie et les médecins, une structure dont la vocation serait d'organiser les flux financiers entre l'industrie, l'hôpital et les praticiens.

Cela ne signifie pas qu'il faut supprimer tout intéressement des équipes ni toute rémunération des médecins mais cela doit être fait dans la transparence et avec un minimum de contrôles conjoints par l'hôpital et les médecins sur la répartition des rémunérations.

Ce qui est critiquable dans le système actuel, c'est que les choses se fassent dans un contexte d'opacité qui peut laisser penser qu'une des parties prenantes va être défavorisée ou qu'on organise des financements sans contrepartie réelle d'activités ou de résultats.

M. Jean-Jacques Jégou - Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur la proposition de créer cinq instituts hospitalo-universitaires dans le contexte du grand emprunt ?

M. Christophe Lannelongue - Cela sort du cadre de notre mission. Je ne peux donc pas vous répondre.

M. Jean-Jacques Jégou - C'est vous qui avez abordé le sujet !

M. Christophe Lannelongue - Il nous semble que l'on pourrait appliquer le dispositif des fondations dans le cadre des instituts hospitalo-universitaires qui vont être mis en place suite aux propositions de la commission Marescaux et du grand emprunt. On disposera au fond dans ces cinq instituts hospitalo-universitaires d'une structure destinée à organiser le travail de recherche de nombreux praticiens en associant l'hôpital, l'université et l'industrie.

On pourrait donc avoir, par le biais de ces structures, une forme de transparence des flux financiers qui vont de l'industrie vers les praticiens.

M. Jean-Jacques Jégou - Le grand emprunt porte sur des projets bien identifiés et dûment connus.

M. Christophe Lannelongue - C'est aussi un facteur de transparence. Dans une logique de financement de projets de recherche, il est possible d'identifier des coûts complets qui permettront d'établir des comparaisons et de rationaliser la rémunération des intervenants.

Il nous semble donc possible d'inscrire une partie de nos propositions dans la démarche de constitution des pôles hospitalo-universitaires mais nous n'avons pas travaillé sur ce sujet.

M. Marc Laménie - Avez-vous une idée du nombre d'associations loi 1901 qui existent dans les hôpitaux et de leur budget moyen ?

M. Christophe Lannelongue - Il n'existe pas de recensement ; le seul travail que l'on ait fait portait sur le CHU de Nice, où on les a recensées une à une. C'était très impressionnant car on a trouvé là 500 protocoles de recherche et 128 associations structurées de manière extrêmement différente. Certaines recouvraient un domaine, d'autres l'action d'un praticien, d'autres encore celle d'un groupe de praticiens, mais il était impossible d'identifier une correspondance entre le champ de la recherche et ce groupe.

Les montants financiers allaient de quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d'euros à quelques centaines de milliers, voire de millions d'euros, sans que l'on puisse comprendre la logique de dépense de l'association.

En réalité, la plupart du temps, selon les chefs de service que l'on a rencontrés, ces structures sont utilisées pour faciliter la gestion des congrès, de la formation, de l'équipement - déplacements, micro-ordinateurs, accès à des bases de données, etc.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez cité le CHU de Nice. Lors d'un stage que j'y ai fait, j'y ai rencontré des praticiens assez exemplaires, d'autant qu'ils exercent leur métier à côté de Monaco, sachant que les hôpitaux monégasques qui offrent des rémunérations supérieures vont rechercher les talents à Nice.

M. Christophe Lannelongue - Je regrette d'avoir donné l'impression de me focaliser sur le CHU de Nice mais l'enquête a porté sur sept CHU, dont deux de l'AP - La Pitié-Salpêtrière et Henri Mondor - Amiens, Poitiers, etc. Il s'agissait d'un échantillon jugé représentatif des quelques dizaines de CHU. Les données du rapport traduisent donc la réalité commune à tous ces CHU. Le CHU de Nice n'est donc pas une exception !

M. Alain Milon, rapporteur - Par contre, c'en est une par rapport à son voisinage !

M. Christophe Lannelongue - C'est sûrement une contrainte très importante pour le CHU de Nice que d'avoir à proximité un hôpital - celui de Monaco - où les rémunérations des praticiens sont sensiblement plus élevées.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Une observation à propos des instituts : ce n'est pas parce qu'un institut est fondé sur un projet que le projet est pérenne. Quelquefois, le projet est élaboré à partir de la carrière d'un médecin ; lorsque le médecin part, parfois à l'étranger, il n'y a plus d'institut et on reste avec l'établissement à l'intérieur de l'hôpital ! Vous avez des exemples à La Salpêtrière.

M. François Autain, président - Le professeur émérite ne peut il créer une association pour gérer cet institut ?

Mme Marie-Thérèse Hermange - C'est ce qu'ils font !

M. François Autain, président - Merci pour la qualité de vos interventions.

Audition de M. Didier TABUTEAU, conseiller d'Etat,
directeur de la chaire « Santé » à l'Institut d'études politiques de Paris,
directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santé à l'Ecole des hautes études de santé publique
(mercredi 7 avril 21010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, directeur de la chaire « santé » à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santé à l'Ecole des hautes études de santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Tabuteau prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire puis de répondre aux questions de M. Alain Milon, rapporteur, et des membres de la commission.

Vous avez la parole.

M. Didier Tabuteau - Je suis très honoré d'être devant vous. Je travaille sur des aspects universitaires à travers l'examen des politiques de santé de manière générale ; les événements que nous avons connus sont donc particulièrement intéressants de ce point de vue.

Avant de centrer mon exposé sur la déontologie de l'expertise, sujet sur lequel j'ai eu l'occasion de travailler et sur lequel je continue à travailler, je voudrais préciser que je suis en disponibilité du Conseil d'Etat et que je ne suis ni professionnel de santé, ni membre de commission ou de groupe de travail ministériel.

Je souhaite cependant préciser que l'IEP de Paris, pour le fonctionnement des chaires d'enseignement, a des partenariats avec diverses entreprises parmi lesquelles le groupe IPSEN et Sanofi-Aventis et, jusqu'à une date récente, le Groupe Caisse des dépôts, ainsi que l'Association française contre les myopathies (AFM).

La question de la déontologie de l'expertise a émergé en France au début des années 1990, au moment de la création de l'Agence du médicament.

La création de cette Agence visait, non sans témérité, à atteindre trois objectifs : l'excellence scientifique, l'efficacité administrative, la déontologie de l'expertise.

Cette dernière préoccupation nous a conduits à constater qu'il n'existait pas de système de règles de déport en cas de délibération sur un sujet, que les dispositifs déontologiques n'étaient pas écrits et qu'il n'existait pas de déclaration d'intérêts... Nous avons donc, sans texte - mais le directeur général de l'Agence pouvait le prévoir dans le cadre du règlement intérieur - imposé des déclarations d'intérêts aux experts membres des groupes de travail et des commissions. Je suis allé personnellement devant chaque commission pour indiquer qu'il s'agissait d'une « règle du jeu » souhaitable pour tous. L'immense majorité des experts m'ont semblé soulagés par cette démarche.

D'ailleurs, les articles qui figurent aujourd'hui dans le code de la santé publique depuis la loi du 4 mars 2002, soit dans les dispositions relatives à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), soit dans celles relatives aux groupes de travail et commissions du ministère, sont des reprises des textes établis par circulaire au sein de l'Agence du médicament.

La question de la déontologie de l'expertise a donc émergé dans le champ de la santé publique en France dans des conditions difficiles, dans le contexte qui a suivi l'affaire du sang contaminé ; nous avons pris en marche le train de la déontologie, traditionnel dans le monde anglo-saxon. Il a fallu l'acclimater au système français.

La construction réglementaire prévue pour l'Agence du médicament a été élargie en 1998 à toutes les agences sanitaires avant d'être généralisée, en tout cas dans la sphère de la santé et de la sécurité sociale, par la loi de 2002.

Cette première étape a constitué en quelque sorte la sortie de la préhistoire, les seules règles existant à l'époque relevant de l'article du code pénal interdisant de prendre partie dans une affaire dans laquelle on a un intérêt.

Ce nouveau droit s'est progressivement disséminé et, d'une certaine manière, peut-être plus vite que les mécanismes d'application, de contrôle et de vérification. On est donc aujourd'hui dans la phase où l'application de ces règles reste à parfaire.

C'est le sujet sur lequel s'est concentrée l'attention. Pour ma part, la déontologie de l'expertise me paraît reposer sur deux dispositifs, que j'appellerai l'impartialité objective et l'impartialité subjective.

L'impartialité subjective, c'est celle qui doit garantir que l'expert se prononce en son âme et conscience, qu'il rend, en toute indépendance d'esprit, l'avis que l'on est en droit d'attendre de lui compte tenu de ses connaissances. Mais il faut aussi veiller à garantir l'impartialité objective, qui dépend de la façon dont le système permet à l'expert d'exprimer son expertise.

C'est pour cela que l'efficacité administrative est importante : le bon fonctionnement des règles déontologiques dépend aussi du bon fonctionnement des structures et c'est vrai pour l'ensemble des structures de santé publique.

Si les délais fixés par la loi ou par les textes réglementaires ne sont pas respectés, la tentation de faire avancer un dossier un peu plus vite peut exister. Si on respecte strictement les délais, la tentation n'existe plus.

La dualité de l'expertise contribue aussi à l'impartialité objective.

A l'expertise interne par des agents de l'administration - médecins, pharmaciens dédiés à temps plein aux activités administratives - qui était un des enjeux de la création des agences de sécurité sanitaire, doit s'ajouter l'expertise externe et le recours à des praticiens dont ce n'est pas la mission principale mais qui sont également chercheurs hospitaliers, dans des industries ou dans d'autres systèmes.

Troisième élément d'impartialité objective : la diversité et le renouvellement des expertises, le fait de ne pas avoir de commissions composées de praticiens du même champ. Cette diversité est extrêmement importante, même si elle n'est pas toujours aisée à organiser. Je crains autant la corruption intellectuelle que la corruption financière. Le fait de ne pas oser contredire quelqu'un du fait de son statut ou parce qu'il a été un maître à penser durant une période de sa carrière peut avoir des effets importants sur l'expertise. Oser contredire une expertise sur laquelle on a des doutes est aussi important que les tentations liées à des liens financiers.

De même, la transparence de l'expertise, les procédures contradictoires, l'introduction dans les procédures d'expertise de représentants d'autres disciplines scientifiques - sociologues, représentants d'associations de patients, y compris dans les champs très scientifiques - me paraissent toujours une bonne chose. Cela organise la diversité des points de vue ainsi qu'un contrôle social au sein des instances.

Les règles déontologiques que j'ai rappelées, comme la disposition dont je crois être à l'origine sur l'obligation de déclarer ses liens d'intérêt lorsqu'on s'exprime publiquement sur un produit de santé, sont importantes...

M. François Autain, président - Le décret d'application de cette disposition n'est paru qu'en 2007 !

M. Didier Tabuteau - Il a fallu cinq ans en effet. Mais je ne suis pas sûr que le décret ait été indispensable ! Il apporte très peu de choses - mais c'est une question qu'il ne m'appartient pas de résoudre.

Ces dispositions sont, en tout état de cause, importantes. L'attention qu'on doit y porter est grande mais je crois qu'on ne doit pas se focaliser sur cette impartialité subjective ; il faut également que le système fonctionne sur des bases favorisant la déontologie de l'expertise.

J'ajoute qu'il existe sans doute aujourd'hui de nouvelles étapes à franchir. Je suis dans une situation d'observateur de ces questions ; j'ai bien compris et j'ai suivi les travaux du Sénat sur une partie d'un « Sunshine Act » à la française à travers une disposition prévoyant que les laboratoires pourraient déclarer les sommes, les contrats, les interventions et les liens d'intérêts qui peuvent exister. Je suis personnellement convaincu que c'est une disposition nécessaire. Il est d'ailleurs intéressant de voir que cette disposition a été intégrée dans la réforme de la santé aux Etats-Unis, qui constitue une réforme majeure. Elle s'appliquera en mars 2013 mais le dispositif a été repris avec une ampleur qui montre l'intérêt que l'on peut y attacher.

M. François Autain, président - Vous avez remarqué que le président du LEEM (les entreprises du médicament) était opposé à cette mesure ; il l'a fait savoir dans une interview récente dans l'Express.

M. Didier Tabuteau - Aux Etats-Unis, sauf erreur de ma part, les instances professionnelles se sont prononcées favorablement sur cette mesure. Je crois que certains ont même commencé à l'appliquer par anticipation.

Ce type de dispositif est extrêmement intéressant parce qu'il dédramatise la relation qui peut exister - et qui peut être légitime dans bien des cas - entre les experts et les laboratoires.

Une autre amélioration que l'on peut envisager serait de consolider le statut juridique de toutes les instances d'expertise. Je redoute beaucoup les instances informelles et les groupes, même s'ils se constituent avec bonne volonté. Quand on compose un groupe, il faut immédiatement l'institutionnaliser, lui donner des règles. C'est la meilleure façon d'assurer la transparence de ses travaux.

Par ailleurs - mais c'est une banalité que de le dire - je crois que la valorisation des fonctions d'expertise dans les carrières universitaires et la recherche est importante. Sinon, on ne rend pas justice à des experts qui se dévouent pour la collectivité et qui le font remarquablement bien.

Je crois également qu'il faut très simplement envisager un dispositif qui permette aux experts de se déplacer, de se rendre dans des congrès, de participer à un certain nombre de manifestations. Si la puissance publique a besoin d'experts pour des décisions extrêmement lourdes en matière de santé publique, il faut qu'elle s'organise pour qu'ils soient au meilleur niveau scientifique. C'est une réflexion qu'il faut avoir. Il est vrai qu'il existe d'autres façons de le faire mais je ne suis pas sûr que ce soient les meilleures.

Je m'étais également interrogé, lors de la réunion de travail à laquelle la Direction générale de la santé (DGS) m'avait invité dans le cadre du rapport de Mme Marie-Dominique Furet, sur l'idée - que j'avais également proposée - que le non-respect des règles de déclaration d'intérêts puisse donner lieu à des sanctions administratives pour les professionnels de santé. Les membres des commissions non professionnels sont, de mémoire, soumis à la même règle mais la sanction ne prévoit que l'exclusion de la commission.

M. François Autain, président - Y a-t-il eu de telles sanctions ?

M. Didier Tabuteau - Je l'ignore mais celles-ci devraient être également applicables à l'entreprise qui détient un lien d'intérêts avec l'expert, comme dans les cas de corruption. Les choses ne sont évidemment pas de même nature mais il existe dans ce domaine une corruption active et passive, les deux étant sanctionnées.

Cela aurait pour vertu de faire en sorte que tous les contrats que les entreprises concluent avec les experts comporteraient cette obligation. Cela pourrait être efficace, car les entreprises ne prendraient pas le risque d'être sanctionnées si la règle n'est pas respectée. Ce parallélisme ne me paraît pas choquant en soi.

Enfin, je suis convaincu que cette règle doit s'appliquer comme prévu dans le texte mais que l'on pourrait élargir ce champ. S'il existait un « Sunshine Act » à la française, il devrait, selon moi, s'appliquer à tous les professionnels de santé et à tous les experts s'exprimant sur le même sujet. Il n'existe aucune raison de ne stigmatiser que les professions de santé. Ceci n'est pas évident. Je me souviens de la disposition ajoutée pour les membres des commissions non professionnels de santé. C'est le minimum que l'on pouvait faire, sauf à considérer que les professionnels de santé présentent un risque particulier - ce qui n'est évidemment pas le cas.

Un certain nombre de sujets peuvent donc encore être pris en charge. Je crois également - mais cela tient sans doute au fait que nous sommes dans une phase d'application d'un droit relativement récent dans le domaine de la santé - que nous sommes dans un schéma dans lequel il est nécessaire, pour en contrôler l'application et en débattre, de former les professions de santé en matière de règles déontologiques.

La loi du 4 mars 2002 prévoit que les experts médicaux intervenant dans les procédures d'indemnisation ont l'obligation de recevoir une formation juridique et médico-légale afin de répondre pleinement aux questions qui leur sont posées. En matière de déontologie, c'est la même chose. L'expertise s'apprend. Lorsque qu'on entre dans la « carrière d'expert », quand on est nommé pour la première fois dans une commission, il paraîtrait légitime de recevoir une formation portant sur les règles juridiques et les dispositifs applicables.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - M. Tabuteau a été fort complet sur le sujet de l'expertise. Mes questions vont donc certainement recouper ce que vous avez déjà dit. Il serait toutefois intéressant que vous puissiez compléter vos propos si vous l'estimez nécessaire.

Quels enseignements vous paraissent pouvoir être tirés de la gestion de la grippe pandémique en matière de liens entre les agences sanitaires, les experts et les décideurs politiques ? Quelles sont les conditions d'une expertise publique efficace et socialement reconnue ? Notre système d'agences sanitaires et d'instances de conseil doit-il être réformé, en dehors de ce que vous avez déjà indiqué ? Faut-il interdire aux experts qui conseillent les entreprises de siéger dans les instances publiques nationales et internationales, en particulier l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

M. Didier Tabuteau - Sur les liens entre agences sanitaires, experts et décideurs, je serai extrêmement prudent, ayant acquis la conviction, de par les fonctions que j'ai pu exercer, que lorsqu'on n'est pas à l'intérieur d'un dispositif, on le perçoit de façon très déformée. Il est donc difficile de porter des jugements sur un sujet aussi grave.

Lorsqu'il n'existait pas ou peu d'instances de santé publique - à la fin des années quatre-vingt ou au début des années quatre-vingt-dix - la question se posait différemment. Il fallait alors, à chaque fois qu'une question se posait, constituer un dispositif d'expertise.

On dispose aujourd'hui d'un réseau d'expertise et d'instances assez complet. Il est sans doute nécessaire de le réorganiser à la marge, encore que, lorsqu'on regarde les exemples internationaux, il n'est pas évident qu'il y ait encore beaucoup de transformations à réaliser. Le plus important est de l'utiliser pour les compétences qui lui ont été dévolues par les textes.

Je suis pour ma part favorable à une sorte de « main courante » de la sécurité sanitaire, de façon à avoir quelque chose de très clair, de bien encadré et de visible de l'extérieur. L'expertise comporte bien entendu une part de « scientificité » et d'apport de connaissances mais sa crédibilité ne découle pas strictement de sa « scientificité ». Elle peut être excellente et ne pas être crédible ou très mauvaise et crédible, on l'a déjà vu.

Cette procédure de « main courante » permettrait de suivre, de l'extérieur et à chaque instant, la gestion du processus.

Ce n'est pas facile à faire dans l'urgence car on peut être tenté, sous la pression ou dans l'urgence, d'agir de façon informelle. Cela nuit à la crédibilité du processus de décision et cela présente surtout l'inconvénient de ne pas permettre, au bon moment, aux contradicteurs de s'exprimer.

Or, la leçon que l'on peut retenir de l'expérience des crises, c'est que la contradiction est indispensable. Les meilleurs systèmes d'expertise peuvent se tromper, on le sait, et les réactions d'associations, de chercheurs dissidents ou d'autres organisations peuvent apporter un élément qui va transformer la vision que l'on a des choses.

Plus on affiche le processus de décision, plus on explicite les motifs pour lesquels on fait ce que l'on fait, plus on a de chances que les opinions divergentes puissent s'exprimer. Elles seront prises en compte ou non - c'est à l'Etat de gérer la crise - mais il est important de permettre, à chaque étape, à l'ensemble du corps social de réagir.

J'ai d'ailleurs - et je ne le regrette pas - signé l'appel publié par un journal en septembre, non pour remettre en cause le dispositif mais pour demander un débat public et des explications sur les décisions prises. C'est un aspect de la gestion des crises que l'on peut améliorer, qui se trouve au coeur du lien entre les agences, les experts et les décideurs.

M. François Autain, président - Cette pétition a-t-elle servi à quelque chose ?

M. Didier Tabuteau - Je n'ai pas entendu parler de ses effets mais je ne regrette pas de l'avoir signée !

Faut-il interdire aux experts de siéger dans les instances internationales ? Je connais très mal le droit de l'OMS et serai donc en peine de répondre à votre question. Sur le principe, il est impossible d'interdire à des experts qui ont des liens avec des entreprises de siéger dans ces instances. Ce lien peut exister pour certains sans créer de problème insurmontable. J'ai connu des situations complexes où, même pour des raisons déontologiques, il était difficile d'envisager que les experts compétents dans le domaine n'aient pas, dans le cadre d'une nouvelle thérapie, fait participer leurs patients à des essais cliniques. Dans ce cas, on peut élargir l'évaluation à des méthodologistes et à d'autres scientifiques qui n'auront pas de liens et qui siègeront dans le pool évaluateurs. C'est une façon de ne pas se priver des compétences des experts de haut niveau qui interviennent sur le champ, et néanmoins de disposer de personnes entièrement neutres en la matière.

Une réflexion complémentaire à propos des consultants ou des conseils des entreprises : tous les liens d'intérêts ne sont pas de même nature. Faire des essais cliniques, de la formation ou être conseil stratégique de l'entreprise, cela n'a rien à voir. L'expert conseil ou le consultant largement engagé, ou quasi-salarié de l'entreprise, me paraît poser un véritable problème en cas de participation à des travaux d'expertise pour les pouvoirs publics.

M. Alain Milon, rapporteur - Y a-t-il eu, à votre sens, une application excessive du principe de précaution dans la gestion de la pandémie ? Quelle différence faites-vous entre principe de précaution et principe de prévention ? Quelle aurait dû être, selon vous, la méthode d'évaluation du risque pandémique ?

M. François Autain, président - La prévention est-elle un principe, celui-ci n'étant pas inscrit dans la Constitution ?

M. Didier Tabuteau - Je ne sais pas répondre à votre question ; je ne suis pas épidémiologiste et je suis incapable d'apprécier si les éléments de l'alerte ont été correctement évalués.

En ce qui concerne le principe de précaution, j'en distinguerai deux. Le premier est le principe de précaution au sens environnemental, inscrit dans le préambule de la Constitution. En matière de santé publique, il faut plutôt parler de ce que j'appellerai l'« obligation de précaution ». C'est une notion près ancienne : la loi confiait déjà aux corps municipaux, en 1790, le soin de prendre des précautions convenables pour prévoir certains évènements et y porter remède. La loi de 1884 a confirmé les obligations sanitaires de l'autorité municipale.

La notion de précaution est ainsi incluse dans la santé publique depuis l'origine. Cette obligation de précaution en matière de santé est liée à l'appréciation du rapport bénéfice-risque : il incombe au décideur d'évaluer la situation et de chercher à prendre la décision permettant d'optimiser ce rapport.

Cette « obligation » impose aussi que les moyens soient proportionnés au risque identifié. Est-ce que l'on identifie correctement le risque ? C'est une autre question - que l'on s'est posée à propos de nombreux problèmes de santé publique, par exemple la vache folle.

C'est pourquoi la question que vous m'avez posée - à laquelle je ne sais répondre - est déterminante. C'est l'évaluation du risque qui permet de savoir si on en a trop fait ou non. Cela demeure pour moi une interrogation.

Quant à la distinction entre précaution et prévention, je comprends la démarche qui veut que, lorsqu'un risque est certain, on est dans le domaine de la prévention et lorsqu'il est incertain, dans celui de la précaution. Le problème est qu'en matière de santé publique, on n'est jamais dans une situation de certitude absolue dans tous les domaines. J'ai donc tendance à penser que « l'obligation de précaution », qui impose d'essayer d'évaluer le mieux possible les bénéfices-risques, est l'attitude la plus efficace en matière de santé publique - mais c'est une appréciation extrêmement difficile. Dans certains cas, la décision doit se faire en âme et conscience.

M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec cette interprétation du professeur Marc Gentilini, qui considère que, dans le cas de l'épidémie de grippe, le principe de précaution a été utilisé beaucoup plus pour protéger les décideurs que la population ?

Je m'en suis ouvert auprès de la ministre de la santé, qui a considéré cette affirmation comme une insulte. Je me garde donc bien de faire mienne cette appréciation, me contentant de citer le professeur Marc Gentilini.

Il est vrai qu'il fait partie de ces experts dissidents qui sont allés à l'encontre des avis exprimés par l'ensemble de la communauté scientifique. Il a eu le tort d'avoir raison ! Je ne sais si on lui en tient rigueur mais peut-on reprocher aux autorités sanitaires de ne pas avoir suffisamment pris en compte la voix de ceux qui, très tôt, se sont émus de la dramatisation et de l'importance que l'on donnait à cette épidémie qui, finalement, s'est révélée moins grave que prévu ? N'a-t-on pas cherché à les marginaliser ou à les décrédibiliser plutôt que de les intégrer à la réflexion ?

Au début, on s'est référé au principe de précaution ; on s'y réfère aujourd'hui beaucoup moins. Selon moi, il y a toujours une certaine confusion entre la précaution et la prévention. La précaution consiste en un certain nombre de mesures que l'on prend face à un danger ou à une menace dont on ne connaît ni la nature, ni la gravité, ni l'échéance, alors que la prévention correspond, au contraire, à l'ensemble des mesures que l'on peut prendre parce qu'on connaît la nature, la gravité de la menace et qu'on a une idée sur la date de sa survenue. On doit alors tenir compte du rapport bénéfice-risque mais aussi du rapport coût-efficacité.

Or, il me semble que l'on est plus, dans le cas de la grippe, dans une situation de prévention que dans une situation de précaution. Mais le résultat est là ! On a acheté 94 millions de doses de vaccins et on n'en a utilisé que 6 ! C'est pour le moins, quoi qu'on en dise, une erreur de prévision.

Vous parlez dans un de vos écrits de « pusillanimité » d'un pouvoir traumatisé par le sang contaminé, la canicule, ou tétanisé par des mesures de réorganisation du système de soins ou d'équilibrage des comptes de l'assurance maladie.

En l'occurrence, l'équilibrage des comptes ne peut constituer un traumatisme puisqu'on n'a pas hésité à dépenser des sommes colossales qui équivalent - on l'a dit - au déficit annuel de nos hôpitaux publics !

On a évoqué l'éthique. Lorsqu'on achète des vaccins simplement parce que l'on veut que tous ceux qui le désirent se fassent vacciner, je n'ai plus d'arguments - encore qu'on aurait pu vacciner tout le monde en en commandant moins. Les références utilisées - méningite, vaccination obligatoire - ne sont peut-être pas les bonnes. Peut-être eût-il suffi de procéder à un sondage pour ajuster les commandes afin que tous ceux qui le souhaitaient puissent être vaccinés, quelles qu'en soient les conséquences. Aujourd'hui, on n'est pas sûr que ceux qui ont été vaccinés puissent bénéficier, le moment venu, de la protection ainsi conférée.

C'est finalement le professeur Daniel Floret qui a eu la bonne réponse en reconnaissant que cette décision d'achat, intervenue bien avant que les avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ne soient connus, était de nature politique. C'est peut-être pour cette raison qu'on a du mal à la situer dans le cadre d'une réflexion de santé publique.

Il s'agit là moins d'une question que d'une réflexion que je tenais à vous livrer.

M. Alain Milon, rapporteur - La préparation à des risques de grande ampleur qui est mise en place empêche-t-elle de voir des risques de moindre ampleur ?

M. Didier Tabuteau - Les questions que vous posez - qui sont celles que tous les analystes de santé publique se posent afin de savoir comment notre pays peut s'adapter à des politiques de santé publique modernes les fois prochaines - sont centrales.

Aujourd'hui, je ne puis faire que l'analyse rétrospective des éléments dont je dispose, c'est-à-dire essentiellement ceux parus dans la presse, n'étant pas dans les circuits de décision.

Quand je reprends l'information sur le risque dont on disposait dans la presse, j'ai le sentiment que, jusqu'en juillet, août et pratiquement septembre, on était sur une menace sérieuse.

Certaines informations étaient plus alarmistes que d'autres mais on pouvait se poser des questions sur la mortalité indirecte ou sur la virulence du virus. Il existe également des dépêches sur le recours aux soins intensifs en Australie ou en Nouvelle-Zélande, plus important que dans le cadre d'une grippe saisonnière.

Il ne s'agit pas de la grippe espagnole, mais le sujet est sérieux, au moins autant sinon plus que la grippe saisonnière.

Selon les éléments publiés dans la presse, dont je suis un lecteur assidu, aux dates auxquelles ont été passées les commandes de vaccins, je ne puis personnellement dire que l'on ait été dans une démarche excessive a priori ou complètement délirante.

Peut-être existe-t-il des informations que je n'ai pas et qui permettraient de dire autre chose, mais il m'est impossible de le dire !

En revanche, je réagirais beaucoup plus à propos de l'organisation du dispositif de vaccination car je pense qu'on a raté là une occasion importante, dans un système de santé moderne, de mobiliser les associations et le corps médical sur des missions de santé publique nouvelles, ce qui aurait peut-être pu changer l'appréciation portée après coup sur la vaccination - même si la gravité de la grippe n'en aurait pas été modifiée.

Je suis obligé de dire, parce que c'est ma conviction aujourd'hui au vu des éléments dont je dispose, que jusqu'à l'été, je ne considère pas qu'il était fantaisiste de prendre cette décision. Je ne connais pas les avis éclairés des experts sur ce qui se passe en cas de méningite, de vaccination obligatoire, de nombre de doses mais je suis convaincu que, jusqu'à l'été, il était normal de se dire que toute personne souhaitant être vaccinée devait pouvoir l'être.

M. François Autain, président - Ils n'ont pas été très nombreux !

M. Didier Tabuteau - Le dispositif de vaccination est un élément majeur de l'acceptabilité de celle-ci. En tout état de cause, je serai très intéressé par les études qui seront faites sur ce thème.

Quant aux décisions politiques, je reste convaincu qu'en situation d'incertitude - sous réserve qu'elle n'ait pu être levée par d'autres moyens - seul le politique est légitime pour prendre les décisions. C'est le seul qui puisse prendre une décision de risque - qu'il soit sanitaire ou financier - basée sur la légitimité du suffrage universel.

Dans les champs où la décision est difficile à prendre, l'expert et le décideur administratif cèdent nécessairement la place aux décideurs politiques. Je ne vois pas qui d'autre pourrait le faire. Lorsqu'on a des éléments de certitude plus grands, il me semble également revenir aux politiques de décider, même en situation de prévention, au vu de l'avis des experts.

Cela ne signifie pas pour autant, en fonction des données, que je partage la décision mais je m'en félicite car je redoute toujours beaucoup, dans notre système de santé publique renforcé - auquel j'ai contribué autant que j'ai pu - que l'expert devienne le paravent du politique et que celui-ci prenne ses décisions en se retranchant derrière les avis des experts. Il y a une responsabilité incessible de l'Etat et du pouvoir politique dans ce genre de situation.

M. François Autain, président - A partir de septembre, vous avez donc eu, en lisant les journaux, le sentiment que le risque était moins grave qu'on l'avait imaginé. Le nombre de vaccins commandés apparaissait peut-être plus disproportionné qu'au début. On peut se demander pourquoi on n'a pas fait à ce moment ce qu'on a fait en janvier...

M. Didier Tabuteau - Il me semble qu'en septembre, octobre et novembre, beaucoup de gens souhaitaient être vaccinés. Ce que je regrette le plus, c'est le fait que les gens qui ont voulu se faire vacciner - à tort ou à raison, c'est un autre problème - n'aient pu le faire avant janvier ou février, le dispositif ne l'ayant pas permis ! En termes de santé publique, si on décide de vacciner tous ceux qui le souhaitent, il faut se mettre en état d'y parvenir ! Sur ce plan, cela a constitué un échec.

M. François Autain, président - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous : ce n'est pas seulement un problème d'organisation. On a disposé d'une petite partie des premiers vaccins début octobre. La vaccination des professionnels de santé a commencé immédiatement et le succès n'a sans doute pas été à la hauteur des espérances - pour des raisons que je ne connais pas mais qu'il serait peut-être intéressant de connaître.

En outre, on n'a pu commencer à vacciner les enfants qu'à partir du 25 novembre du fait du manque de vaccins adéquats. Cela tient aussi à des délais incompressibles, entre le moment où l'on connaît la souche du virus et le temps qu'il faut pour réaliser les vaccins. Cela signifie que la vaccination ne constitue peut-être pas le moyen le plus efficace et le plus rapide pour s'opposer ou enrayer une épidémie. Les autres moyens auxquels le Gouvernement a recouru - hygiène, lavage des mains, etc. - sont sans doute aussi importants, sinon plus, que la vaccination.

Je n'ai pas le sentiment que cela ait été ressenti comme tel dans l'opinion publique Le virus est arrivé trop tôt et il est parti trop tôt ! Pour qu'une vaccination soit réellement efficace pour enrayer l'épidémie, il ne faut pas qu'elle intervienne trop tard. Je m'interroge donc sur l'efficacité de cette vaccination en termes de mesure barrière et de protection individuelle. Si elle avait été organisée différemment, compte tenu de ces délais incompressibles, je ne suis pas sûr que l'on ait obtenu un résultat supérieur, d'autant que ce virus est parti très vite - mais pas plus que dans les pays australs, où il est resté environ dix-sept semaines. On avait là la chance d'avoir cette référence, qu'on n'aura peut-être pas une prochaine fois !

Il existe donc un certain nombre d'interrogations concernant la vaccination et les achats de vaccins, qui me semblent être sans doute une mesure de précaution mais qui m'apparaissent complètement disproportionnés par rapport à la menace.

M. Didier Tabuteau - Je vous rejoins sur le fait que la riposte de santé publique ne faisait du vaccin qu'un élément parmi d'autres. Le dispositif était global.

Je ne suis pas convaincu, en tant qu'observateur extérieur - cela n'a donc pas grande valeur - que si le dispositif de vaccination avait été construit avec les médecins, les associations, l'ensemble des professionnels, en juillet août, la vaccination n'aurait pas pu être plus massive et rapide.

A posteriori , cela n'aurait peut-être pas changé grand chose en matière de morts directs ou de victimes - c'est aux épidémiologistes de le dire - mais en termes d'organisation de santé publique, pour se préparer à la prochaine épidémie, s'il y en a une, je pense qu'on a raté une occasion de mettre tout le monde autour de la table et de construire un dispositif. J'ai dit qu'il était dommage d'avoir inventé le médecin généraliste de premier recours le 21 juillet, et le médecin généraliste de dernier recours le 21 août par la circulaire d'organisation administrative de la vaccination !

Les effets de ce choix, compte tenu d'un virus moins dramatique que prévu, n'ont pas été majeurs, mais cela mérite une réflexion pour savoir comment on fait de la santé publique moderne dans un pays doté d'un système de santé étoffé.

Quand on est face à une épidémie qui se déroule presque comme prévu, on a les moyens de s'organiser, lorsqu'on se trouve dans un système de santé développé et dense ! On doit réfléchir aujourd'hui différemment à la prise en charge de la population dans ce type de situation. C'est ce débat que j'appelle de mes voeux. Je préfère en tirer les conséquences plutôt que me demander ce que j'aurais fait dans cette situation. Ce n'est pas sur ce point que je fais porter ma critique.

M. François Autain, président - L'un n'exclut pas l'autre !

M. Didier Tabuteau - Certes, mais, pour ma part, je ne dispose pas d'éléments déterminants pour affirmer que l'incertitude était levée et qu'on aurait pu faire différemment. En revanche, j'ai plus de critiques à formuler sur la gestion.

La question sur les risques de petite et de grande ampleur est une des vraies difficultés. Je me souviens d'avoir proposé à M. Joël Ménard, pour la revue « Tribune Santé », de revenir sur son expérience de DGS en lui demandant ce qui l'avait marqué et les réflexions qu'il en tirait.

Il a estimé qu'il faudrait pratiquement une direction de la santé publique et une direction de la sécurité sanitaire. Il ne s'agissait pas pour lui de scinder la DGS en deux mais cela montre que la pression de la menace ponctuelle, grave ou de grande ampleur, a des conséquences majeures sur la gestion des politiques de santé publique de petite mais aussi de grande ampleur, sur les politiques au long cours, comme l'obésité ou le dépistage du cancer.

Majeures, ces conséquences le sont en termes d'impact non seulement financier mais également en termes de focalisation des priorités de politique de santé en faveur de sujets d'urgence, par rapport à des sujets tout aussi importants, voire beaucoup plus, en termes d'impact sanitaire et qu'on a du mal à gérer parce qu'ils s'inscrivent dans la durée.

C'est aussi une réflexion qu'il faut avoir. Il fallait rééquilibrer les choses parce que le système de santé n'avait pas de dispositif de sécurité sanitaire il y a 25 ans et qu'il fallait le construire mais il faut trouver un équilibre entre les politiques de santé publique du quotidien, de long terme - obésité, cancer, réduction des inégalités sociales, qui sont des priorités majeures - et la sécurité sanitaire.

J'ai essayé de contribuer à ce dispositif mais il ne faut pas qu'il devienne envahissant par rapport aux politiques de fond, où les grands enjeux de santé publique se traitent pour l'avenir.

L'équilibre, aujourd'hui, est très difficile à tenir et on peut dire que ces événements - mais on peut le dire aussi pour d'autres - ont pour effet de polariser l'attention sur des sujets d'urgence sanitaire. Il ne s'agit pas de faire oublier le reste mais il existe une question d'équilibre politique dans la gestion de la politique de santé qui n'est pas évidente dans ce type de situation. C'est un sujet majeur pour la suite.

M. Alain Milon, rapporteur - On le ressent bien actuellement.

J'ajoute que la directrice de l'Institut de veille sanitaire (InVS) nous a bien dit que si le virus H1N1 était présent de manière isolée, les autres virus ou germes n'étaient pas là au même moment. Au bout du compte, l'épidémie n'est pas apparue aussi importante qu'elle pouvait l'être parce que le virus H1N1 n'était pas ce qu'on pensait qu'il était et parce que les autres virus n'étaient pas présents en même temps, en particulier du fait des conditions climatiques.

M. Didier Tabuteau - Il sera extrêmement intéressant de comparer la façon dont les choses se passent en cas de méningite ou de grippe saisonnière ainsi que les bilans sanitaires et économiques. Il est utile pour notre système d'engager cette démarche comparative, qui reste encore aujourd'hui difficile à mettre en oeuvre.

M. François Autain, président - Pensez-vous que la gestion de cette crise a fait progresser dans l'opinion la cause de la vaccination ou a, au contraire, plutôt alimenté les ligues anti-vaccinales ?

M. Didier Tabuteau - La vaccination, dans ce domaine, a manifestement été malmenée mais cela va bien au-delà : la santé publique a surtout perdu une occasion de franchir une étape dans sa maturité.

M. François Autain, président - Si je vous comprends bien et pour paraphraser un livre sur le sang contaminé qui a eu beaucoup de succès à l'époque, « La défaite de la santé publique » , on pourrait qualifier la façon dont cette crise a été gérée d'« occasion manquée pour la santé publique »...

M. Didier Tabuteau - En effet, mais ceci n'a pas de lien avec « La défaite de la santé publique » de M. Aquilino Morelle à laquelle vous faites référence !

M. François Autain, président - C'est un titre qui n'est pas inintéressant.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est le rapporteur qui choisira le titre !

Au moment du sang contaminé, Internet n'existait pas. Or, les informations non scientifiques qui sont arrivées sur Internet à propos de la grippe A étaient bien plus nombreuses et crédibles que les informations scientifiques ! C'est un aspect des choses qu'il faudra essayer de régler concernant les informations à faire passer à propos des dangers sanitaires à venir.

M. Marc Laménie - Vous avez évoqué la formation des experts. Qui pourrait assurer cette formation ?

M. Didier Tabuteau - Il faut distinguer au moins deux types de formation. La première concerne la formation à la méthodologie de l'expertise dans les domaines où les experts vont oeuvrer. Il existe en général une méthodologie particulière à chaque secteur - environnement, alimentation, médicaments, etc. La méthodologie peut être développée avec les agences par le biais des universités afin d'acquérir la compétence propre à ces métiers.

La formation que je m'étais permis d'évoquer est la formation déontologique, au droit de l'expertise et aux missions de service public.

A l'Agence du médicament, nous avions monté une formation au service public pour les agents contractuels afin que les personnes recrutées par l'établissement puissent avoir de grandes notions sur les principes du service public et la déontologie de la fonction publique.

Ces éléments généraux sont applicables aussi bien aux experts de l'environnement, des produits de santé, de l'alimentation, que de la vaccination. Les éléments de droit, de déontologie, de fonctionnement du service public pourraient être dispensés par de grands établissements universitaires comme l'Ecole des hautes études en santé publique, qui a un rôle naturel dans ce sujet. Ce sont des modèles très généraux qui sont applicables, me semble-t-il, à des experts qui interviennent dans des instances régionales, nationales, très scientifiques ou moins scientifiques mais pour lesquelles il est tout aussi nécessaire de connaître les principes fondamentaux du service public, l'intérêt général, le fonctionnement de l'Etat, la déontologie de l'expertise. Ces formations pourraient être facilement mises en place.

M. François Autain, président - Trois pays ont refusé la vaccination : la Pologne, la Lettonie et la Slovaquie. Je tire cette information de l'intervention de Mme la ministre, il y a quinze jours.

En tant que spécialiste de la sécurité sanitaire et de santé publique, quelle réflexion vous inspire cette décision qui se situe dans des pays qui font partie de l'Union européenne ? On peut se poser des questions surtout lorsqu'on s'aperçoit que ce choix risqué n'a pas eu des conséquences plus dommageables sur l'état de santé de la population que les décisions différentes prises par les autres pays.

Il est trop tôt, me direz-vous, pour se prononcer mais je m'interroge. On m'a expliqué qu'ils avaient agi ainsi parce qu'ils n'avaient pas d'argent ; est-ce à dire que ceux qui en ont peuvent le gaspiller, comme je serais tenté de le dire pour un pays comme le nôtre ?

Je n'ai pas de réponse, d'autant que nous avons l'intention de nous déplacer dans ces pays pour voir comment cela se passe mais il y a là un vrai sujet, qui suscite un certain nombre de questions.

M. Didier Tabuteau - Je vais sans doute beaucoup vous décevoir - et je lirai les conclusions de la commission avec beaucoup d'intérêt, notamment sur ce point - mais je ne connais pas les données dont disposaient les gens qui ont pris cette décision. Disposaient-ils des mêmes informations sur le risque que celles que j'ai évoquées tout à l'heure ? Je ne sais pas et je ne puis donc pas apprécier la décision qu'ils ont prise.

J'ai répondu avec la plus grande honnêteté possible sur la décision française, compte tenu du contexte français et des données qui m'ont été accessibles - ce qui ne signifie pas que d'autres données n'existaient pas et qu'elles n'auraient pas pu changer mon jugement. J'essaye de me placer en situation.

Je ne sais de quelles données disposaient ces trois pays. Je ne m'estimerai pas dans mon rôle si je répondais.

M. François Autain, président - Je ne sais si nous serons dans le nôtre pour tenter d'y répondre mais nous essaierons !

Je vous remercie pour la qualité de votre intervention et des réponses - ou de l'absence de réponse - que vous avez apportées à nos questions, une absence de réponse valant parfois une réponse !

Audition de M. Antoine FLAHAULT,
directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique
(mercredi 28 avril 2010)

M. François Autain, président - La séance est ouverte.

Après cette interruption de nos travaux parlementaires, nous reprenons la suite de nos auditions avec M. Antoine Flahault, directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Antoine Flahault prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous aurais posé des questions peut-être concernant les conflits d'intérêts, mais je vois que sur le premier document que vous aviez l'intention de projeter, vous avez indiqué que vous n'aviez aucun conflit d'intérêts. Je vous laisse répondre sur cette question de conflit d'intérêts.

M. Antoine Flahault - Merci, monsieur le président. Je n'ai aucun conflit d'intérêts direct ; j'ai un conflit d'intérêts indirect : un membre de ma famille est salarié du syndicat des entreprises du médicament (LEEM), depuis 1994.

M. François Autain, président - Je souhaite vous poser une question avant que vous ne vous exprimiez, concernant votre présence, si cela est exact, comme membre du conseil d'administration de l'Alliance pour la recherche et l'innovation des industries de santé (ARIIS), qui est l'ancien conseil scientifique du syndicat de l'industrie pharmaceutique. Cela n'est peut-être pas un lien d'intérêts, mais ne peut pas être considéré non plus comme un lien de désintérêt. Comme vous ne l'avez jamais signalé et que je l'ai trouvé sur Internet, je voulais savoir si c'était exact et si on pouvait en parler : dans quelles conditions exercez-vous ces fonctions, à quel titre avez-vous été nommé, etc. ?

M. Antoine Flahault - Je ne suis pas membre du conseil d'administration de l'ARIIS. Je n'ai jamais siégé à un conseil d'administration de cet organisme. Donc c'est faux. La chose qui est exacte, c'est que j'ai été membre du conseil d'administration du LEEM Recherche, ce qui ne représente pas, pour moi, un conflit d'intérêts. Pour qu'il y ait conflit d'intérêts, il faut qu'il y ait intérêts et je n'ai jamais obtenu le moindre intérêt financier, ni direct, ni indirect du LEEM Recherche.

J'ai été membre du LEEM Recherche, aux côtés d'ailleurs de la présidente de l'Institut Pasteur, du directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), au titre de ma fonction de directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique. En revanche, ce LEEM Recherche s'est dissous et doit se transformer en un autre établissement. Je serai peut-être contacté et ouvert pour y participer mais, aujourd'hui, je n'ai jamais siégé à un conseil d'administration de cet établissement.

M. François Autain, président - Il faudra vous rapprocher du LEEM. J'ai sous les yeux la liste des membres experts du sous-collège, qui s'appelle maintenant l'ARIIS. Votre nom figure aux côtés d'un certain nombre d'autres. Il faudrait que vous fassiez passer une rectification, parce qu'il est dommage que votre nom y figure alors que vous n'en faites pas partie. Vous n'en faites donc pas partie ?

M. Antoine Flahault - Je n'en fais pas partie. Je n'ai jamais donné mon accord, ni écrit ni verbal, pour en faire partie.

M. François Autain, président - Les industries pharmaceutiques ont l'air de ne pas en tenir compte. Ils ne vous ont rien demandé ?

M. Antoine Flahault - Encore une fois, je n'ai jamais donné mon avis, ni oral ni écrit, pour en faire partie.

M. François Autain, président - C'est curieux. Il faut que vous vérifiiez absolument ça.

M. Antoine Flahault - Ce n'est pas très étonnant, parce que c'est pour eux la succession du LEEM Recherche.

M. François Autain, président - Dont vous faisiez partie.

M. Antoine Flahault - C'est ce que j'ai dit.

M. François Autain, président - Jusqu'à quelle date ?

M. Antoine Flahault - J'étais au conseil d'administration du LEEM Recherche jusqu'à la fin de son existence légale. Je crois que cela a été supprimé il y a quelques mois.

M. François Autain, président - Je l'ai sous les yeux. C'est très récent, c'est le 26 février 2010. Donc, jusqu'au 26 février 2010, vous avez fait partie du LEEM Recherche.

M. Antoine Flahault - J'étais un expert dans le conseil d'administration du LEEM Recherche.

M. François Autain, président - Ils n'ont fait que transférer ce qui existait avant. Donc, maintenant, c'est fini.

M. Antoine Flahault - Je n'ai pas dit que c'était fini, j'ai dit que cela n'avait pas commencé.

M. François Autain, président - Mais cela peut commencer.

M. Antoine Flahault - Cela peut tout à fait commencer. Les partenariats public/privé sont importants à maintenir et il est clair que, aux côtés du directeur général de l'INSERM ou du directeur de l'Institut Pasteur, j'étudierai une éventuelle adhésion à cet organisme.

M. François Autain, président - A propos de ce partenariat public/privé, nous avons auditionné M. Didier Tabuteau, qui est directeur de la chaire santé de l'Institut d'études politiques de Paris et directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santé à l'école dont vous assurez la direction. Il nous a indiqué qu'il existait un partenariat entre l'Institut d'études politiques, la chaire santé, le groupe IPSEN et Sanofi Aventis, pour le fonctionnement de la chaire santé.

Dans le cadre de la réforme qui est en cours à l'Ecole des hautes études en santé publique à Rennes, il y a des projets de partenariat avec l'Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC). Vous cherchez à vous rapprocher de la Générale de santé. Je voulais savoir s'il existait des projets de partenariat avec l'industrie pharmaceutique.

M. Antoine Flahault - Nous avons divers types de partenariat pour les formations que nous conduisons à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) : nous avons des formations initiales, des formations continues et des formations à la recherche et pour la recherche (par exemple, dans le cadre de doctorats). Pour cela, nous avons mis en place des partenariats avec des organismes de formation, qu'ils soient publics, privés ou universitaires, ou avec des grandes écoles, c'est-à-dire tout l'éventail des formations qui sont disponibles dans notre pays.

Je ne fais pas de séparation particulière entre les formations qui sont publiques et les formations privées. Ainsi, nous avons construit déjà un partenariat avec l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) Europe, « Sup de Co Europe », pour la formation continue, dans le cadre d'un executive health MBA (c'est une formation qui est entièrement dispensée en langue anglaise). Nous avons également construit un partenariat avec HEC, l'école des Hautes études commerciales, qui est la seule école qui dispose d'une école doctorale dans le domaine du management. Donc, notre réseau doctoral appuie ses formations doctorales sur ce partenariat avec HEC.

Puis nous envisageons un partenariat avec l'ESSEC, une école de commerce à Cergy, en région parisienne, pour le management dans les formations initiales. Vous me parlez d'un autre type de partenariat ?

M. François Autain, président - Avec l'industrie pharmaceutique.

M. Antoine Flahault - Aujourd'hui, nous n'avons pas de partenariat direct avec l'industrie pharmaceutique, mais nous serions tout à fait ouverts à cette idée pour certains projets. Par ailleurs, nous avons des chercheurs qui peuvent répondre à des appels d'offres ou essayer d'obtenir des contrats de recherche avec l'industrie pharmaceutique.

La notion de conflit d'intérêts est une notion qui, dans le domaine scientifique, est clairement gérée et exige qu'elle soit rendue transparente. Par exemple, M. Didier Tabuteau, à Sciences Po, a construit un partenariat avec des industriels pour le financement de sa chaire. L'Institut d'études politiques de Paris est également un organisme de droit public, grand établissement, comme l'EHESP (d'ailleurs, on fait partie du même pôle de recherche et d'enseignement supérieur public). Donc nous pourrions envisager des partenariats public/privé. Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) mentionne d'ailleurs l'EHESP parmi les acteurs publics avec lesquels le secteur privé pourrait envisager un partenariat.

Il est du devoir du directeur, de la politique de l'école, du conseil d'administration, d'essayer de trouver des modes de financement transparents, reposant sur une convention juridique expliquant clairement l'indépendance des enseignants-chercheurs qui viendraient travailler dans le cadre de ces chaires. Même si elles n'existent pas aujourd'hui, qu'il y ait dans l'avenir ce type de partenariat nous semble souhaitable.

M. François Autain, président - Vous pensez donc que le financement de certaines études par l'industrie pharmaceutique ne porte pas atteinte à l'indépendance de l'enseignement qui pourrait être dispensé à cette occasion ?

M. Antoine Flahault - Les choses sont toujours plus compliquées.

M. François Autain, président - Il s'agit d'enseignement.

M. Antoine Flahault - Aujourd'hui, je n'ai pas directement l'expérience de la participation du secteur pharmaceutique dans l'enseignement. En revanche, j'en ai l'expérience dans la recherche. Dans la recherche, elle est assez clairement codifiée, y compris dans les règles de publication. Je ne dis pas qu'elle ne pose pas de problème, elle peut en poser. Il peut y avoir un certain nombre d'intérêts divergents entre les intérêts industriels et les intérêts de santé publique. Cela doit être posé sur la table clairement.

Maintenant, le laboratoire qui fournit des médicaments, des vaccins ou des tests biologiques aux patients ou aux personnes qui en sont bénéficiaires est un partenaire avec lequel il convient de travailler et d'entretenir des liens. Par ailleurs, le fait que soient proposés des enseignements, par exemple sur le secteur des industries de santé, me semble important. C'est ce que fait l'ESSEC notamment.

Ce sont des enseignements qu'il est peut-être tout à fait intéressant de dispenser à nos élèves, car ils vont travailler dans des centres hospitalo-universitaires (CHU), où ils vont être eux-mêmes à l'origine de partenariats public/privé, notamment avec l'industrie pharmaceutique. Le fait de leur donner une connaissance et une culture du milieu de l'industrie pharmaceutique me paraît faire partie de leur formation.

M. François Autain, président - Je comprends que vous ne recherchiez pas la participation des CHU, puisqu'ils n'ont pas d'argent. Mais on aurait pu considérer que ces structures auraient apporté beaucoup aux élèves de ces écoles.

M. Antoine Flahault - Elles apportent beaucoup.

M. François Autain, président - Pas sous cette forme.

M. Antoine Flahault - Elles apportent beaucoup. Je ne pense pas que le secteur public ou l'hôpital universitaire soient les mieux placés pour expliquer comment fonctionnent les industries de santé dans notre pays. Je préfère que ce soit des professionnels des industries de santé qui viennent expliquer eux-mêmes leur métier. En revanche, tous nos élèves font des stages dans le secteur hospitalier.

M. François Autain, président - C'est évident, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'il est obligatoire que ce soit les industries de santé qui financent elles-mêmes cet enseignement.

M. Antoine Flahault - Je n'ai pas envie de financer des enseignements dispensés par les industriels du médicament. Ils peuvent en effet financer ces enseignements.

M. François Autain, président - Cela peut avoir une conséquence sur l'indépendance de l'enseignement qui est dispensé. Cela étant dit, nous allons aborder le véritable sujet de notre entretien, à savoir la grippe. Vous avez la parole pour votre exposé liminaire. Ensuite, je passerai la parole à monsieur le rapporteur et aux commissaires.

M. Antoine Flahault - Je vous remercie.

La première diapositive montre une carte que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a produite le 27 avril 2009, à une période où émergeait un nouveau virus, appelé H1N1, avec des caractéristiques différentes du virus H1N1 saisonnier qui circulait jusqu'à présent. Très vite, aux Etats-Unis et au Canada, ce virus a pu être identifié et des décès ont été enregistrés au Mexique. Le 27 avril, l'Espagne était déjà atteinte.

Il s'est répandu extrêmement rapidement, beaucoup plus rapidement que le dernier épisode en date, qui était le SRAS - syndrome respiratoire aigu sévère -, qui avait émergé dans le sud-est asiatique, notamment en Chine et au Vietnam et qui avait fait le tour de la planète en quelques semaines, mais dont il avait fallu attendre la fin complète pour avoir les premières publications scientifiques sur ce sujet. Avec la grippe A (H1N1)v, ça n'a pas été le cas.

L'alerte a été donnée extrêmement rapidement par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui n'a pas failli dans ce domaine, ce qui est assez exceptionnel, parce qu'au Mexique (qui est un pays plutôt développé, mais qui n'a pas le développement des Etats-Unis), on pouvait craindre que des virus de la grippe auraient pu ne pas être isolés aussi rapidement. L'alerte a donc été donnée très rapidement. Les publications scientifiques sont également apparues rapidement.

A partir de la courbe épidémique initiale enregistrée au Mexique et transmise à l'OMS, nous avons pu rapidement calculer le R0, le taux de reproduction de base de l'épidémie. C'est une estimation épidémiologique un peu technique : c'est le nombre de cas secondaires qui sont générés par un cas initial. C'est une signature du virus en question. On avait besoin de cela pour savoir d'emblée si on avait affaire à un virus de la grippe normal ou extrêmement contagieux, comme on a pu l'entendre à cette époque.

Les virus ont des potentiels épidémiologiques différents. L'un des plus forts, c'est celui de la rougeole, son R0 est de vingt. Vous mettez un enfant dans une crèche où personne ne serait vacciné, il contaminerait vingt autres personnes à lui seul. Pour la grippe, c'est toujours inférieur à deux. Dans le cas de la grippe A (H1N1)v, il est de 1,4. Autrement dit, dès le début du mois de mai, on pouvait dire que l'on avait affaire à une grippe normale. C'était une grippe qui n'était pas extrêmement contagieuse.

Le 18 mai, nous avons fait état d'un article de l'INSERM et de l'INRA, qui était une simulation théorique, réalisée sur ordinateur, des scenarii possibles de cette pandémie. L'OMS n'avait alors pas encore dit qu'il s'agissait d'une pandémie, nous étions dans la simulation de scénarii de ce que pourrait donner la future pandémie si elle se développait et de ce que pourrait être son impact.

Nous avons ainsi simulé différents scenarii à partir desquels on pouvait mesurer l'impact de telle ou telle mesure : par exemple, si on vaccinait la population à partir de tel moment, si on utilisait des masques, si on utilisait des mesures de restriction de transports aériens. Tout cela pouvait être simulé facilement sur ordinateur.

Evidemment, ces simulations ne doivent pas être prises pour argent comptant, on est sur de la prévision. En plus, en épidémiologie, le facteur humain peut être important et nous pouvons tout à fait faillir dans nos prévisions. Ce ne sont pas des prédictions comme le lever de la lune ou l'horaire des marées.

Dans le scénario moyen, la couverture immunitaire (pas vaccinale, parce qu'il y a aussi l'immunité naturelle) est de l'ordre de 15 %. Il faut se replacer en septembre 2009, c'est-à-dire à partir du moment où nous pensions que seraient disponibles les premières doses de vaccin. Pour l'hémisphère Sud, on estimait qu'entre juillet et octobre 2009, il allait y avoir une première vague (nous sommes en mai), qui sera suivie par une deuxième vague en mai-juin 2010. Cela restait encore de la prévision, mais nous pensions que l'hémisphère Sud allait connaître deux demi-vagues : une première petite demi-vague, suivie d'une deuxième demi-vague, d'à peu près la même ampleur.

En ce qui concerne l'hémisphère Nord, nous disions, dès le mois de mai, qu'il y aurait une vague à peu près d'ampleur analogue, mais un peu supérieure à celle connue dans l'hémisphère Sud, qui allait arriver entre novembre et décembre et être totalement terminée avant la fin du mois de janvier, et ne recommencerait plus. Notre modèle ne prévoyait qu'une seule vague, qui allait être précoce pendant l'automne et qui se terminerait au tout début de l'année.

Ces prévisions, en termes de dynamique épidémique, ont à peu près été celles observées. Nous avons, pour simuler cela, utilisé des données relatives aux transports aériens réguliers entre cinquante-deux grandes métropoles du monde.

Dans deux interviews publiées, l'une le 6 mai dans le journal Le Monde , l'autre le 2 mai dans le journal Libération , nous avons, avec M. Eric Favreau, présenté au grand public, ce qui est le devoir des professeurs de santé publique, nos travaux scientifiques sur ces scenarii. A ce moment-là, nous pouvions tabler sur trois scenarii potentiels. Le premier est un scénario de type pandémie du SRAS, quelque chose qui tournerait en « eau de boudin », qui s'étiolerait de lui-même. Ce scénario était arrivé pour le SRAS et pouvait donc se produire pour ce nouveau virus.

Nous ne favorisions pas ce scénario, parce que le SRAS est une maladie très « bruyante », provoquant des pneumopathies qui imposent des hospitalisations dans l'immense majorité des cas. Aucun cas asymptomatique n'est généralement décelé. Le SRAS est donc facilement identifiable sur un tarmac d'aéroport ; on est capable d'identifier des malades très fébriles et on peut éviter ainsi sa propagation. Au contraire, le virus de la grippe, qui est un virus normal, avec une vitesse de propagation normale, est difficilement identifiable compte tenu de nombreux cas asymptomatiques. Les contrôles sanitaires aux frontières sont inefficaces et le virus se répand dans la population. Donc nous ne pensons pas que ce scénario se déroulera.

Le scénario dont on entend beaucoup parler à cette époque (où l'on veut annuler les vols à destination et en provenance du Mexique, etc.) est le scénario de la grippe espagnole de 1918, un scénario catastrophiste prévoyant des millions de morts. Nous ne pensions pas que ce scénario devait être retenu.

Nous évoquions plutôt le troisième scénario : « une pandémie des temps modernes ». Nous le privilégiions, parce que les deux dernières pandémies que nous avons connues, celle de 1957 et celle de 1968 relevaient de cette catégorie : une grande partie de la population sera affectée ; aucune mesure barrière ne sera véritablement efficace et la mortalité sera assez voisine de celle des épidémies de grippe saisonnière, pour lesquelles on paie un assez lourd tribut, elle sera amplifiée mécaniquement par le fait que plus de personnes seront atteintes.

Nous évoquions l'idée qu'il pourrait y avoir, mécaniquement, - comme il y a 6 millions de cas de grippe saisonnière et 6 000 décès -, 30 millions de cas et 30 000 décès. Nous évoquions cela parmi les scenarii possibles.

Tout le problème de la virulence restera en revanche intact jusqu'au mois d'août. Pour ne pas faire d'anachronisme, il convient de se rappeler qu'à ce moment, nous disposions à peine des premières données sur l'hémisphère Sud.

Nous nous rendons compte alors que cette grippe H1N1 présente des caractéristiques habituelles dans sa propagation, mais qu'elle a une spécificité : elle tue des personnes jeunes, adultes, sans aucun facteur de risque.

En outre, si, dans le cas de la grippe saisonnière, un décès pour un million de malades est dû à un syndrome de détresse respiratoire aiguë - soit en France, 5 à 6 cas pour 6 millions de malades chaque année - on a constaté que ce taux s'élevait, dans le cas du virus A (H1N1)v, à un décès pour 10 000 cas, soit un taux de mortalité directement due au virus lui-même cent fois plus élevé que celui de la grippe saisonnière -, comme je l'indiquai dans un entretien accordé au journal Le Monde .

M. François Autain, président - Vous parlez bien de l'interview du Monde du 29 août, avec un titre...

M. Antoine Flahault - Je ne suis pas responsable du titre. Le titre n'est pas faux, mais il parle de la mortalité directe. Et je maintiens que la mortalité directe était cent fois supérieure.

M. François Autain, président - Vous avez jeté la panique, non ?

M. Antoine Flahault - La grande difficulté - je le reconnais - est peut-être la compréhension des phénomènes. De quoi meurt-on de la grippe et comment meurt-on de la grippe ? On meurt de mortalité directe, c'est le virus qui vous tue, c'est exceptionnel, une fois par million (c'est écrit dans l'article). Pour le virus H1N1, ce n'est pas un par million, c'est un par dix mille, c'est bien cent fois plus. C'est un virus qui a une mortalité directe très supérieure au virus de la grippe saisonnière. En revanche, la mortalité indirecte semble très inférieure et cela, personne ne pouvait, au mois d'août, le dire et semble même inférieure à celle de la grippe saisonnière. Qu'est-ce que la mortalité indirecte ? C'est très important, je me permettrai d'insister dessus.

Aucune série n'avait été publiée, avant la grippe A (H1N1)v, sur la mortalité directe liée à la grippe. Les premières séries vont être publiées par les Néo-zélandais et les Australiens en novembre 2009.

Ces études statistiques montrent que le nombre de décès rapporté au nombre de cas d'hospitalisations en réanimation est de l'ordre de 10 % chez les sujets âgés de 18 ans à 70 ans et plus. Ce taux varie peu selon l'âge dans cette population, mais est inférieur chez les enfants.

La grande difficulté va toujours être d'évaluer la virulence. On n'a pas beaucoup de difficulté pour détecter, ni pour montrer la propagation dans le monde d'un virus, mais on en a en revanche pour évaluer sa virulence. Dans le fond, qu'entend-on par mortalité, quel est le risque lié à cette grippe H1N1 ? Des études montrent des corrélations très claires entre les isolements de virus saisonniers, H3N2 par exemple, et les décès ou les hospitalisations, enregistrés au moment du pic épidémique de grippe saisonnière. Il s'agit de la mortalité indirecte.

Pourquoi je parle de mortalité indirecte ? Il y a en France, statistiquement, 6 000 décès en moyenne chaque année à cause de la grippe saisonnière. Qu'est-ce que ça veut dire « à cause » ? Est-ce que ça veut dire que les médecins repèrent 6 000 personnes qui décèdent à cause de la grippe saisonnière ? La réponse est non. Les médecins ne repèrent, en moyenne, que 600 décès par grippe saisonnière, qui sont mentionnés dans les registres de décès.

Autrement dit, vous avez une mortalité que l'on observe statistiquement sur les courbes de décès car, à chaque fois que passe une épidémie de grippe dans le pays, vous avez un excès de mortalité, toutes causes confondues, qui est de 6 000 décès par rapport aux années précédentes où, pendant les mêmes périodes, il n'y avait pas d'épidémie de grippe. Les médecins ne voient que 10 % de cette mortalité, puisqu'il n'y a que 600 certificats de décès qui sont rapportés.

Il y a donc énormément de décès qui ne sont jamais vus par les médecins, qui ne sont jamais rapportés dans les bases de données et qui sont cette mortalité en excès, qui est en fait très semblable à celle enregistrée pendant la canicule ou le chikungunya à l'île de la Réunion et qui ne correspond pas exactement aux certificats de décès, mais à ce que l'on appelle cet excès de mortalité dû à la grippe. Elle est extrêmement corrélée à la grippe, elle est corrélée dans tous les pays où elle est observée et elle est totalement corrélée à l'intensité de la grippe saisonnière.

Nous n'avions donc aucune raison de penser raisonnablement, en septembre 2009, que cette mortalité indirecte ne surviendrait pas. Ça n'avait rien de catastrophiste de penser qu'elle surviendrait avec le même taux que pour la grippe saisonnière. Nous n'avions donc pas de raison de penser que la grippe H1N1 donnerait moins de mortalité en excès que la grippe saisonnière. Nous n'avions que cette base-là pour raisonner. Nous disions uniquement : il y aura le même taux de mortalité, un cas pour mille de décès par grippe H1N1. Nous ne voyions pas à cette époque comment nous pouvions dire cela différemment. L'Institut de veille sanitaire (InVS) disait d'ailleurs : « Il y aura entre 3 000 et 96 000 décès, selon les différentes hypothèses de virulence ou de taux d'impact. »

Voici peut-être une clé qui nous permet de comprendre aujourd'hui pourquoi la mortalité en excès a été, en nombre absolu, inférieure à la grippe saisonnière. Finalement, le résultat et la grande surprise de cette grippe ont été que la mortalité a été très inférieure, même à celle de la grippe saisonnière, ce qui peut s'expliquer par le fait que les personnes âgées bénéficiaient d'une immunité naturelle contre le virus A (H1N1)v qui, en revanche, a frappé de façon plus importante des personnes jeunes.

Or, la mortalité dite indirecte de la grippe saisonnière, ce sont essentiellement, comme le montrent certaines études sur le virus H3N2 saisonnier, des personnes très âgées, très malades qui, à l'occasion d'une infection par le virus de la grippe, décompensent une maladie préexistante (une maladie de Parkinson, une insuffisance cardiaque, une insuffisance respiratoire) à laquelle est imputé leur décès. Le médecin ne va très souvent pas mentionner l'affection par la grippe, soit parce qu'il ne l'aura même pas constatée, soit parce qu'elle sera passée au second plan de la maladie connue, très grave, du patient en fin de vie. Vous n'avez pas ce phénomène avec le virus H1N1, car une grande partie des personnes très âgées ont été protégées par leur immunité naturelle contre ce virus pandémique.

Les résultats d'une étude réalisée aux Etats-Unis, à partir de données issues de 122 villes nord-américaines sur cette fameuse mortalité par pneumonie et par grippe, illustrent le concept de mortalité indirecte et de mortalité en excès. En 2008, où il y a une forte épidémie de grippe H3N2, il y a une mortalité en excès qui crève le seuil saisonnier habituel. En 2009-2010, à partir du mois de septembre, alors même qu'on est au creux de la courbe, c'est-à-dire à la sortie de l'été, il y a une mortalité en excès. Il y a donc bien eu aussi, avec le H1N1, une mortalité en excès.

Un article important, paru dans Nature , présente trois façons qu'ont les Etats-Unis aujourd'hui d'évaluer la mortalité liée à la grippe H1N1, au cours de l'automne-hiver derniers. La première, ce sont les décès tels qu'ils ont été rapportés à l'OMS, l'équivalent de nos 300 décès français environ, ce qui est assez peu par rapport à la mortalité associée aux épidémies causées par les virus H1N1 ou H3N2 saisonniers ou par les pandémies de grippe de 1968 ou 1957.

Une autre estimation prend en compte certains décès qui n'avaient pas été répertoriés.

La troisième est l'application nouvelle du concept d'excès de mortalité. La mortalité en excès a été évaluée à 44 100 décès pour les Etats-Unis, pour cette pandémie de H1N1.

Ce panel montre un réajustement de la notion de mortalité. De quoi parle-t-on quand on parle de la mortalité H1N1 pandémique et de la mortalité saisonnière ou liée au virus H3N2 de 1968 ? On ne parle pas de la même chose, parce que les décès ne sont pas survenus à la même période. En 1968, comme dans les dernières saisons, il s'agit d'une mortalité de personnes extrêmement âgées, de plus de 90 ans, qui ont une espérance de vie extrêmement faible. Si vous calculez le nombre d'années de vie perdues par cette pandémie 1968 et que vous le comparez avec le nombre d'années de vie perdues dans le cadre de la grippe A (H1N1)v qui a souvent touché des adultes jeunes, vous vous apercevez que le nombre d'années de vie perdues en 2009-2010 est à peu près équivalent à celui de 1968, un peu supérieur, et un peu inférieur à celui de 1957.

On a bien eu affaire à une pandémie des temps modernes dont l'impact sanitaire n'a pas été en réalité très différent de celui de 1968.

Ce sont les premières estimations qui sont fournies aujourd'hui par les Etats-Unis. Je ne serais pas surpris (même si elles ne sont pas parues encore en Europe) que nous ayons affaire en Europe à un phénomène similaire.

En termes de coûts, les économistes chiffrent entre 0,4 et 0,7 % du PIB du Mexique l'impact de la pandémie. Rapporté au PIB français, cela représenterait 12 milliards d'euros perdus, sans les mesures qui ont été prises.

Un autre élément démontre qu'il y a eu une « signature de pandémie » et que l'on n'a pas eu affaire à une souche virale « ordinaire » : la disparition des virus saisonniers. En effet, après chaque pandémie, il est constaté que le virus pandémique fait disparaître la circulation des virus saisonniers. Par exemple, en 1957, le virus H2N2 a fait disparaître le H1N1 de la circulation. Quand H3N2 est arrivé en 1968, il a fait disparaître H2N2 de la circulation. C'est ce qui se passe également aujourd'hui : il n'y a plus de virus circulant H3N2 saisonnier ou H1N1 saisonnier. C'est une signature pandémique qui montre que nous n'avons pas affaire à une souche qui est une simple petite souche de grippe et qui aurait eu juste une petite existence en 2009. On a affaire à une pandémie qui déplace complètement l'écologie virale des virus de la grippe de type A.

« Penser que les vaccins sont arrivés trop tard » , c'est le titre d'un des numéros de la revue Nature . Les vaccins arrivent le 22 septembre, alors que toute l'histoire est passée, mais c'est l'histoire de l'Australie. Personne, en effet, ne pensait qu'un vaccin aurait pu être disponible en Australie pour le début de leur première vague. Nous pensons qu'ils auront affaire à une deuxième vague l'hiver prochain, c'est-à-dire en mai ou juin prochain.

Le vaccin est arrivé, il a été plus ou moins utilisé par la population des différents pays, pratiquement avec insuccès dans tous les pays, sauf le Canada, la Hongrie et la Suède, où les taux de vaccination sont très supérieurs à ceux de la France. Cette pandémie des temps modernes ressemble beaucoup à celle de 1968, puisque pratiquement l'ensemble des pays de la planète ont été contaminés par le virus. Le virus a presque complètement remplacé le précédent.

L'impact sur la mortalité est différent, le visage de cette pandémie est différent, on a affaire à du H1N1 qui s'attaque plus aux jeunes, à des jeunes adultes, des femmes enceintes, des gens qui ont des facteurs de risque comme le diabète, l'asthme et les insuffisances cardiaques. Elle entraîne, en termes de nombre d'années de vie perdues, quelque chose qui est assez proche de ce que l'on a connu en 1968 et 1957.

Je vous remercie de votre attention.

M. François Autain, président - Je vous remercie de cet exposé argumenté et je passe la parole à monsieur le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vais revenir sur l'évaluation du risque et la décision publique. Vous avez écrit sur votre site Internet : « l'improbable vaccin pour tous » . Vous dites : « Nous attendions un virus H5N1 si différent, si dangereux, que l'analogie avec la grippe saisonnière semblait presque hors sujet, voire sans intérêt. Aujourd'hui, nous mesurons à quel point s'être préparé au pire H5N1 n'était pas d'une grande utilité pour affronter le moindre H1N1 qui, qui plus est, ne sera peut-être pas si moindre que cela. »

Selon vous, la préparation à des risques de grande ampleur a-t-elle empêché de prendre en compte le caractère moins grave de cette pandémie ? Y a-t-il eu, à votre sens, une application excessive du principe de précaution dans la gestion de la pandémie ? Quelle différence faites-vous entre principe de précaution et principe de prévention ? Quelle aurait dû être, selon vous, le mode d'évaluation du risque pandémique ? C'est ma première question, j'en ai six qui suivent.

M. Antoine Flahault - J'ai longtemps cru que « qui pouvait le plus pouvait le moins ». Je pensais, pendant longtemps, que se préparer au pire (parce que H5N1 aurait été le pire, avec une mortalité de l'ordre de 60 %) pourrait nous aider à nous préparer à une pandémie plus habituelle, comme celle de 1968 ou celle survenue en 2009-2010.

Je l'ai longtemps cru, pourquoi ? Parce que c'était le virus de la grippe, qu'il était sensible au Tamiflu, parce que la préparation, le financement de ces « usines d'armement » que sont les laboratoires pharmaceutiques (usine d'armement pour la vie, pour préparer des vaccins) allaient être utiles quel que soit le virus. J'ai longtemps cru aussi que les mesures de prévention et de précaution (fermeture des écoles et des usines, port des masques) pourraient être adaptées en fonction du type de virus, qu'il s'agissait juste d'une question de curseur.

En réalité, pour poursuivre les analogies guerrières (toute l'épidémiologie est d'ailleurs empreinte d'images guerrières : la « lutte » contre les épidémies, les « campagnes » de vaccination, les « Sentinelles », etc.), on est un peu dans la même situation que lors de la guerre en Irak : on envoie des chars pour lutter contre le H5N1, alors qu'on est face à une guérilla urbaine contre laquelle il faudrait lutter avec des armes plus affûtées et une stratégie militaire très différente.

M. François Autain, président - Les armes de destruction massive.

M. Antoine Flahault - En effet, on va être extrêmement pénalisé par une « artillerie » lourde, qui ne sera pas très utile, avec une très grande difficulté à adapter au jour le jour notre stratégie en fonction des informations qui arrivent. Au fond, nous ne savons pas bien encore nous préparer à faire face à ce genre de pandémie qui n'est pas gravissime alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir. Nous ne savons pas bien lutter de façon souple contre ces petites « guérillas urbaines », qui imposent cependant de doper des outils sophistiqués, par exemple dans le domaine des moyens de réanimation. Il faudrait aussi une certaine « plasticité » du plateau médical.

Finalement, les pays qui ont été probablement les plus performants sont ceux qui ont été les plus souples (nous publions des études sur cette question), et ceux dont la population (on parlait de la Suède et de la Hongrie) n'est pas trop importante.

M. François Autain, président - Vous ne citez pas la Pologne.

M. Antoine Flahault - La Pologne n'a pas utilisé du tout de vaccin. Je cite la Hongrie, parce qu'elle est voisine de la Pologne, mais elle a un taux de vaccination très élevé. La Pologne n'a pas du tout appliqué le principe de précaution. Quelle est la différence entre principe de précaution et principe de prévention ? Le principe de précaution s'applique lorsque vous manquez de connaissance. Le politique doit gérer la situation d'incertitude. Vous n'avez pas de connaissance de la part de vos chercheurs ou pas suffisamment, pour déployer des mesures de prévention. Vous ne pouvez déployer des mesures de prévention que lorsque vous voulez prévenir un risque avéré. Lorsque le risque est hypothétique, vous allez éventuellement mettre en marche un dispositif de précaution.

M. François Autain, président - Il n'est pas hypothétique.

M. Antoine Flahault - Le risque est hypothétique au mois de mai.

M. François Autain, président - De moins en moins hypothétique.

M. Antoine Flahault - Toute la progression des connaissances va faire que le risque va devenir de moins en moins hypothétique et que certaines mesures de prévention vont s'avérer inefficaces ou ne seront pas prises (les masques ne seront pas déployés).

M. François Autain, président - Il aurait peut-être fallu réviser le plan.

M. Antoine Flahault - Il fallait réviser le plan, il a été révisé successivement. Je ne suis pas en charge de la gestion du risque, donc je répondrai moins bien sur ces questions. Il relevait, par exemple, de l'application du principe de précaution, de commander deux doses pour tous les citoyens : les dossiers d'autorisation de mise sur le marché déposés auprès de l'Agence européenne du médicament (EMA) prévoyaient deux doses.

A partir du moment où l'EMA préconise une utilisation de deux doses (car la seule autorisation de mise sur le marché n'a été donnée que pour deux doses), je ne vois pas comment le pouvoir politique peut se permettre de dire : « Vous ne donnez qu'une dose ». Jusqu'en septembre, l'EMA considère qu'il faut garder deux doses.

M. François Autain, président - Vous avez dit que si on avait voulu injecter toutes ces doses à la population, il aurait fallu un an. On est en train de commander des doses, alors que l'on sait pertinemment qu'on ne pourra pas les administrer, donc il y a un véritable problème.

M. Antoine Flahault - Sur le plan de la stratégie immunitaire, comme l'a indiqué monsieur le rapporteur, j'ai toujours pensé que les connaissances scientifiques actuelles son insuffisantes pour préconiser une vaccination de masse. Si nous voulions nous préparer à la vaccination de masse, nous aurions pu, pendant toutes les grippes saisonnières.

Mais on n'a jamais tenté de lutter de façon massive contre les épidémies de grippe saisonnière, malgré les 6 000 décès par an. La seule chose que l'on ait tentée, c'est de le faire en protégeant les personnes à risque. La stratégie de lutte contre la grippe n'a toujours été qu'une protection des personnes à risque, d'ailleurs mal évaluée. Il y a une très forte controverse dans la littérature scientifique à ce sujet : il n'y a pas d'essais organisés de façon suffisante qui montrent que vacciner les personnes âgées contre la grippe saisonnière est quelque chose de totalement efficace.

On peut donc dire que, pour la grippe A (H1N1)v, il n'existait pas de connaissances solides permettant d'apprécier l'efficacité d'une stratégie vaccinale de masse. Seuls nos modèles mathématiques le montraient. Le modèle que j'ai publié indique que l'immunisation de 30 % de la population (et pas 100 %), est suffisante pour enrayer une pandémie. Mais c'est un travail théorique reposant uniquement sur de la modélisation, dont on sait qu'elle est sujette à caution.

Or, aucune mesure de stratégie de prévention ne peut reposer uniquement sur des travaux théoriques ; je le dis, alors que c'est moi qui ai produit ces travaux. Il faut absolument associer à ces travaux théoriques des travaux de recherche clinique montrant que, en effet, la vaccination de 30 % de la population d'une région française permettrait de réduire le pic épidémique observé dans cette région par rapport à celui des régions voisines, par exemple.

M. Alain Milon, rapporteur - L'idée de proposer un vaccin à toute personne désireuse de se faire vacciner a été présentée comme un choix éthique par le ministre de la santé. Il a cependant été indiqué à notre commission d'enquête par M. Bruno Lina, que la vaccination avait commencé si tard qu'elle s'était effectuée « à la limite de l'intérêt individuel ». Vous l'avez d'ailleurs constaté aussi dans vos schémas.

La même situation ne risque-t-elle pas de se retrouver pour toute pandémie grippale, compte tenu des délais incompressibles d'élaboration et de mise à disposition des vaccins ? Quelle est, dès lors, la justification d'une politique de vaccination massive ? Quelle politique alternative pourrait-on envisager ?

M. Antoine Flahault - On est extrêmement gâté et parfois extrêmement injuste dans nos évaluations, lorsqu'il s'agit de la mise sur le marché d'un nouveau vaccin. Je ne connais pas d'exemple, en-dehors de celui de la grippe, où les fabricants sont capables de produire en un temps si court de telles quantités de vaccins pour de telles quantités de population, en plus, avec certainement beaucoup de profits (les industries d'armement s'enrichissent également quand il y a des guerres). Ce sont des armes pour protéger des vies. Je ne connais pas d'exemple autre, que ce soit le Sida, la dingue. Aujourd'hui, nous sommes en butte à des verrous technologiques, scientifiques qui nous empêchent de trouver, puis de produire des vaccins en quantité suffisante.

M. François Autain, président - Quand on dit en quantité suffisante, j'ai vu que l'on avait fabriqué un milliard de doses de vaccin et il y en a eu 200 millions qui ont été utilisés. C'est bizarre, non ?

M. Antoine Flahault - L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé aux industriels du médicament de fabriquer un milliard de doses. On a tous dit à l'époque que cela serait scandaleux que les plus pauvres ne puissent pas bénéficier de ces vaccins. Vous trouvez une industrie qui a été calibrée pour fabriquer des vaccins pour toute la planète et, après, vous allez le reprocher.

M. François Autain, président - Je ne le reproche pas, je le constate.

M. Antoine Flahault - Pas vous, monsieur le président, mais on va l'entendre, voire le reprocher, dans la littérature, aux fabricants de vaccins (que je n'ai pas à défendre par ailleurs, je dis juste que ce sont des bons auxiliaires de santé publique). Ces fabricants de vaccin, s'ils sont capables de mettre à disposition sur le marché, en quelques mois, des quantités extrêmement importantes pouvant couvrir 20 ou 30 % de la planète, je dis que c'est un saut quantitatif extrêmement appréciable dans la perspective d'une nouvelle pandémie. On a eu une sorte de répétition. Peut-être que les fabricants seront échaudés à la prochaine campagne.

Le génie biologique a montré qu'il avait aussi ses limites et que, parfois, la production ne suivait pas la cadence que nous aurions espérée. Les vaccins ne sont pas arrivés à la vitesse que l'on a souhaitée au début. Malgré tout, on a à disposition un stock de vaccins, qui sera d'ailleurs utile pour la vague de l'hémisphère Sud et pour la vague qui reviendra dans l'hémisphère Nord.

M. François Autain, président - Vous faites encore des prévisions. Vous n'avez pas peur de vous tromper ?

M. Antoine Flahault - Si, j'ai toujours peur de me tromper. Simplement, il n'y a jamais eu d'année sans épidémie de grippe dans tout un pays, depuis 25 ans que nous surveillons les virus grippaux. Donc cela m'étonnerait qu'il n'y ait plus d'épidémie de grippe, mais vous pouvez faire la prévision qu'il n'y aura plus jamais d'épidémie de grippe sur la terre. Je ne fais pas cette prévision.

M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec le professeur Bruno Lina, pour dire que cette vaccination n'a pas été utile, à titre de protection individuelle, pour ceux qui l'ont reçue ?

M. Antoine Flahault - Je ne suis pas d'accord avec lui.

M. Alain Milon, rapporteur - Je ne pense pas que M. Bruno Lina ait dit que c'était complètement inutile. Il a dit que c'était à la limite de la protection individuelle.

M. François Autain, président - Est-ce que vous êtes d'accord avec ce terme, qui est évidemment différent de celui d'inutile ?

M. Antoine Flahault - A la différence d'un politique (domaine dans lequel je n'ai aucune expertise), l'opinion d'un scientifique sur cette question n'a pas un intérêt énorme. Ce qui serait intéressant, ce serait d'avoir une évaluation scientifique de l'efficacité de la vaccination. Je n'ai pas vu, à ce jour, de travaux montrant ou démontrant l'efficacité de cette vaccination.

Je suis presque sûr que des publications vont sortir et vont nous permettre de quantifier l'impact que cette vaccination a pu avoir à un niveau individuel et sur quelle partie de la population. Si cette vaccination a permis d'éviter des syndromes de détresse respiratoire aigüe chez certaines femmes enceintes par exemple (on dit que, en France, il y a très peu de femmes enceintes qui ont été atteintes par rapport à l'hémisphère Sud), on aura un gain que l'on pourra mesurer. C'est pour cela que je ne suis pas d'accord sur ce point avec le professeur Bruno Lina, s'il l'a dit. Je ne suis pas d'accord, parce que je n'ai pas vu les études disant que cette stratégie est inefficace.

M. François Autain, président - Vous pensez qu'il anticipe ou, en tout cas, qu'il risque de se tromper.

M. Alain Milon, rapporteur - En dehors même des questions que peut poser l'évolution de la définition des pandémies donnée par l'OMS, ne doit-on pas s'interroger, en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, sur le caractère opérationnel d'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité ?

M. Antoine Flahault - Merci, monsieur le rapporteur. Ce débat me fait penser à une question de M. le président sur le titre de mon article publié par le journal Le Monde et sur ma propre responsabilité. Il est sain que le public et les politiques s'emparent de ces questions, notamment questionnent les scientifiques sur leur communication. Cette question que vous me posez sur le mot pandémie m'évoque la même chose.

Le mot pandémie vient du grec « pan », qui signifie « ensemble » et c'est une contraction de l'épidémie. Donc c'est une épidémie dans le monde. Ce que nous avons vu, c'est la signature d'une pandémie H1N1. L'idée qu'une pandémie était en route, nos modèles l'ont montrée dès le début du mois de mai, avant même que l'OMS ne déclare le passage au niveau 6 du plan pandémique.

Le mot pandémie véhicule des frayeurs et des craintes. Lorsque j'étais responsable du réseau Sentinelles à l'INSERM, mes homologues britanniques me disaient : « Tu as de la chance, en France, de pouvoir dire à la télévision qu'il y a une épidémie de grippe. » En Angleterre, c'est interdit de dire : « There is an influenza epidemic. » On doit dire : « An influenza outbreak. » On doit dire « outbreak » ; je ne sais pas traduire ça en français. En France, on dit « épidémie », on n'a pas peur de ce mot. En Angleterre, on ne dit pas « épidémie ». On ne doit pas prononcer ce mot.

Donc l'épidémiologiste anglais se restreint : il ne va pas dire à la presse un mot qui est effrayant. Peut-être que vous avez raison. Moi, le mot pandémie ne me gêne pas, parce qu'il s'applique véritablement à la situation épidémiologique que l'on voit. Mais vous avez peut-être raison, la perception qu'ont pu avoir les Français autour du mot pandémie a sans doute été différente. Je n'ai pas de difficulté à dire que, dès le mois de mai ou juin, on était face à une pandémie.

M. François Autain, président - La prochaine fois, il effrayera moins. Ils se rappelleront de la dernière pandémie et se diront que, finalement, ce n'était pas si grave. Mais, à ce moment-là, cela sera peut-être grave.

M. Alain Milon, rapporteur - Dernière question en ce qui me concerne : quel regard portez-vous sur l'organisation de la campagne de vaccination sur notre territoire ? Les médecins généralistes ont-ils été, selon vous, suffisamment associés à l'organisation de la campagne de vaccination ?

M. Antoine Flahault - Ils n'y ont pas été associés. On est presque en inclusion, par rapport à votre première question. Dans le fond, on se trouve face à un plan qui avait été conçu - et que j'aurais tout à fait soutenu dans le cas d'une pandémie grave - pour une menace tellement grave que les médecins devaient se consacrer aux soins de leurs patients et les salles d'attente ne devaient pas mélanger des gens en quête de vaccination et des gens potentiellement atteints d'un virus extrêmement mortel ou extrêmement fréquemment mortel.

M. François Autain, président - Dans les gymnases, vous pensez qu'il n'y avait pas ce risque de contagion ? Cela n'avait rien à voir avec la salle de consultation. La différence pour moi n'était pas absolument évidente, mais maintenant que vous me l'indiquez, je la comprends mieux. Il fallait qu'un expert me le dise, sinon j'aurais eu du mal à comprendre cette subtilité.

M. Antoine Flahault - Si vous prenez une maladie comme le SRAS ou la grippe H5N1, elle est tellement « bruyante » qu'il n'y a pas de personnes asymptomatiques. Donc, dans un gymnase, si vous mettez des gens qui viennent pour une vaccination et qui n'ont pas de signes cliniques, vous n'avez pas de risque de contamination.

En revanche, la grippe H1N1 est asymptomatique dans au moins la moitié des cas. Donc, dans un gymnase, il y a des risques de contamination avec la grippe H1N1, parce que vous avez des gens qui demandent la vaccination mais qui, sans le savoir, sont déjà porteurs du virus. Avec le plan H5N1, il était logique de penser aux gymnases. Dans le cas de la grippe H1N1, tout cela aurait pu être repensé.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Je vous avais parlé, à plusieurs reprises, du politique confronté à un risque hypothétique et qui doit le gérer avec le principe de précaution. Il est sain que le politique s'intéresse à la question. Mais ce risque hypothétique est élaboré à partir de données et de modèles mathématiques, totalement normés, qui circulent entre les experts, mais qui ne sont pas de compréhension aisée pour l'opinion publique. Parmi vos modèles mathématiques, faites-vous plusieurs hypothèses de modélisation ?

Je suis toujours frappée d'une analyse que j'ai lue récemment, qui précise que l'on a des normes qui sont élaborées par des experts et qui fonctionnent en cercle restreint. La norme fonctionne en cercle restreint, mais après, le politique et la population doivent gérer une situation donnée, à partir de votre modèle, que vous seul comprenez. Et quand le modèle explose, parce que la population s'interroge (comme nous ici), on se dit qu'on aurait pu mettre en place un autre modèle.

Je m'interroge sur ces paradigmes qui fonctionnent uniquement entre experts, et qui nous arrivent pour nous dire que, par exemple, la grippe H1N1 constitue une pandémie, alors que le paludisme n'en est pas une, alors que l'on peut considérer qu'il en est une. Je suis très gênée par le fait qu'il y ait un modèle qui circule, sans savoir selon quelles hypothèses il a été construit.

M. Antoine Flahault - Je pense qu'il y a trois grands types de champs qui sont schématiquement couverts par les modèles mathématiques. Il y a les champs d'astrophysique, qui vous disent l'heure de la marée, que la lune se lèvera à 20 heures 02 et 34 secondes en 2050 à Paris, par exemple. Ces modèles ont une précision prédictive tout à fait acceptée, acceptable. Les expériences que nous en avons montrent que l'on peut s'y reporter, même sans comprendre l'ensemble des données astrophysiques et des théories qui sont sous-jacentes.

Le deuxième type de modèle, c'est le modèle météorologique : modèle de prévision des cyclones, avec une prévision de l'ordre de la dizaine de kilomètres, qui indique exactement, jour après jour, à plusieurs jours d'avance, la trajectoire présumée du cyclone. Vous pouvez être un paysan sans connaissance de la dynamique des fluides et être capable de comprendre qu'il faut évacuer la ferme que vous habitez pour vous mettre à l'abri en cas d'alerte. Ces modèles se trompent assez peu, mais on a vu malgré tout qu'ils peuvent se tromper de quelques kilomètres ou ne pas convaincre les politiques en charge de la gestion du risque ou les populations.

La troisième catégorie est la catégorie des modèles du secteur économique et du secteur épidémiologique. Ces modèles reposent, d'une part, sur des théories (comme tous les modèles, c'est leur objectif) simplificatrices, d'autre part, sur une compréhension des phénomènes largement imparfaite. Il n'y a pas d'épidémiologiste ou d'économiste qui dirait le contraire. En troisième lieu, ils font intervenir une donnée totalement incontrôlable (fort heureusement) : le facteur humain. Ce qui n'est pas le cas des deux autres catégories.

Autrement dit, ces modèles ne sont pas là pour dire la vérité. Quel est l'épidémiologiste ou l'économiste qui pourrait prétendre qu'il va dire la vérité ? Il ne prédit pas l'avenir. L'astrophysicien prédit l'avenir. Le météorologue prédit l'avenir, avec plus ou moins de succès.

M. François Autain, président - Je ferai une petite différence entre l'économiste et l'expert de santé publique. L'économiste ne voit pas venir les crises, alors que l'expert en santé publique a tendance à les inventer. Mais vous avez raison de le rapprocher de ces sciences humaines que sont l'économie et la médecine.

Mme Marie-Christine Blandin - Est-ce que vous n'avez pas l'impression que virologues et épidémiologistes étaient dans les starting - blocks depuis plus de dix ans, qu'ils étaient un peu comme le Président Bush qui voulait faire la guerre et qui a fini par dire : « Il y a des armes de destruction massive » . Ils voulaient lancer le plan pandémique, enfin cela allait arriver et ils ont fini par identifier un réassortiment somme toute banal comme le virus très dangereux.

Je suis interpellée par les travaux actuels de M. Bruno Lina, qui essaye de marier les souches H5N1 et A (H1N1)v. On lui a posé la question : qu'est-ce que cela va vous apporter ? N'y a-t-il pas eu finalement un certain « désir de pandémie » parmi les scientifiques et les chercheurs ?

Ma deuxième question est la suivante : dans votre exposé, j'ai découvert l'émergence d'une nouvelle unité, le nombre d'années de vie perdues. Cette unité est passionnante, parce que toutes les modélisations, tous les comptages, toutes les observations montrent que ce n'était pas si grave que ça. Si on raisonne à partir des quelques jeunes qui sont décédés, on a des chiffres importants, avec le nombre d'années de vie perdues. Du coup, est-ce que la rédaction du plan pandémie de départ n'était pas calée sur le risque de rupture de la continuité de la vie économique ? Est-ce que ce n'est pas ça qui a motivé « le calibrage » de ce plan pandémie, la peur de la rupture d'activité en France, de la perte économique bien plus que la perte de vie ?

M. Antoine Flahault - Il y a eu une pandémie en 1968-1969. Cette pandémie a causé 30 000 décès. Personne ne s'en souvient. Cela n'a laissé aucune trace, ni dans les médias de l'époque, ni dans l'imaginaire collectif. Donc l'idée qu'une pandémie revienne était très attendue par les virologues et les épidémiologistes.

Est-ce qu'on la désirait ? Je vous comprends, mais chacun fait son métier. Est-ce que les politiques désirent des troubles pour venir les sauver ? On peut tout instrumentaliser de cette façon. C'est une façon très cynique de voir les choses. Chacun peu avoir son interprétation des choses. Est-ce que les laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à avoir des malades pour faire des bénéfices ?

M. François Autain, président - Oui.

M. Antoine Flahault - Sans pouvoir me prononcer sur le désir de pandémie, je peux me prononcer sur le fait que tous les virologues et les épidémiologistes savaient qu'une pandémie allait survenir. J'ai dit qu'il y avait une signature pandémique. Vous pouvez l'appeler comme vous voulez, c'est une pandémie, le paludisme est une forme de pandémie, mais qui ne couvre pas l'ensemble de l'humanité, parce que les pays du Nord, actuellement, sont protégés contre le paludisme par le développement. Le paludisme n'atteint pas les pays développés du Nord ou du Sud. La dingue n'est pas une pandémie car elle ne concerne que la bande intertropicale.

La pandémie, c'est un terme épidémiologique et « pan » veut dire tout, le monde entier. Le monde entier est concerné par le virus H1N1. Il y a un article qui est paru, il y a deux ans, qui a montré que la mortalité liée à la grippe, comme pour toutes les maladies infectieuses, n'a fait que baisser depuis le début du XX e siècle.

M. François Autain, président - C'est une bonne nouvelle, il faut le dire. Essayez de nous donner le moral. A force d'entendre des experts nous dire que le ciel va nous tomber sur la tête.

M. Antoine Flahault - Pourquoi baisse-t-elle ? Elle baisse grâce aux gens qui prennent des mesures pour qu'elle baisse. Elle ne baisse pas pour rien. Elle ne baisse pas parce qu'on n'applique pas le principe de précaution. Elle baisse parce qu'un système de santé permet de soigner les malades. Elle baisse parce qu'on a des vaccins, des médicaments.

M. François Autain, président - Bien sûr. Je suis d'accord.

M. Antoine Flahault - On peut toujours penser qu'il ne sert à rien d'essayer de prévoir. On peut penser que nos modèles ne servent à rien. Les modèles n'étaient pas si faux, mais ils ont prévu quelque chose qui n'était pas simplement décelable en 1968. Ce n'est pas très vieux, 1968, et pourtant, en 1968, on n'a pas Internet, on n'a pas de réseau de surveillance, ni d'Institut de veille sanitaire ou autres instituts qui permettent de mesurer en temps réel.

Quand a-t-on vu qu'il y avait eu 30 000 morts en 1968 ? Après 2003. Après l'événement de la canicule, des chercheurs de l'INSERM ont revisité les courbes de mortalité. Ils se sont aperçus qu'il y avait eu des surmortalités à certaines périodes de l'année, notamment en 1968-1969. C'était passé complètement inaperçu. Aujourd'hui, cette pandémie a été extrêmement médiatisée, elle a été mise en lumière parce que l'on dispose d'instruments de mesure beaucoup plus efficaces qu'en 1968.

M. François Autain, président - Quel jugement portez-vous sur ces personnes, qui ne sont pas des experts, qui ont porté un jugement sur cette pandémie, totalement différent de celui qui a été porté par vous notamment et d'autres de vos confrères et qui s'est révélé, avec le temps, être finalement la vérité ? Est-ce qu'ils ne se sont pas trompés parce qu'ils avaient peu de connaissances ou qu'ils connaissaient mal le sujet ? Peut-être que vous considérez que vous ne vous êtes pas trompé ?

M. Antoine Flahault - Je pensais qu'il y aurait eu 30 000 morts et il y en a eu 300. Donc je me suis trompé.

M. François Autain, président - Pour quelle raison est-ce que vous vous êtes trompé ? Ces gens-là, un urologue, comme dirait Mme la ministre de la santé, et un professeur en retraite spécialisé dans les maladies tropicales, ce sont les deux qui ne se sont pas trompés. C'est assez étrange qu'ils ne se soient pas trompés et que ceux qui sont là pour ne pas se tromper se soient tous trompés. Je ne vous demande pas une réponse, mais peut-être que vous avez un début de réponse. En tout cas, il y a quelque chose de totalement étrange. Est-ce qu'on a perdu de vue les réalités ? Est-ce que les experts ne sont pas suffisamment en contact avec la réalité ?

Ma deuxième question est la suivante : est-ce que, à un moment ou à un autre, vous avez été consulté à titre officiel ou officieux par le Gouvernement, à quelque niveau que ce soit, étant donné que vous ne faites pas partie, à ma connaissance, des structures du Haut Conseil de la santé publique, des comités, etc. ?

M. Alain Milon, rapporteur - Etes-vous sûr de ne pas vous tromper en disant que le H1N1 va prendre la place des autres ?

M. Antoine Flahault - Je ne suis pas sûr de ne pas me tromper en faisant des prévisions. La prévision, par essence, est une science extrêmement compliquée et complexe. Le fait que la prévision soit erronée est, à mon avis, très utile, au contraire. C'est utile, parce que cela permet de regarder pourquoi nous nous sommes trompés.

J'ai essayé de vous montrer que la grande erreur qui avait fait penser que la mortalité absolue serait identique à celle de la grippe saisonnière était due au fait que nous avions mélangé les virus H1N1 saisonnier et H3N2 saisonnier dans notre interprétation. Pour nous, le fait de nous tromper est quelque chose qui est attendu. Les scientifiques ne sont pas là pour prédire l'avenir. Nous ne sommes pas des devins. Je l'ai toujours dit, depuis le début de mes prévisions. Je n'ai pas donné de prévisions avec autre chose que des conditionnels et des marges d'incertitude et d'erreur. Je les ai toujours accompagnées de trois scenarii.

M. François Autain, président - Ce n'est pas ce qui est apparu à la lecture des articles.

M. Antoine Flahault - Je n'ai pas dit ou écrit une seule fois qu'il y aurait 30 000 morts sans mettre un conditionnel.

M. François Autain, président - L'article du Monde m'a traumatisé.

M. Antoine Flahault - Il n'y a pas un mot de l'article du Monde que je renie aujourd'hui. En revanche, le point que je trouve particulièrement intéressant, c'est que nous sommes dans un sujet où la liberté d'expression scientifique est extrêmement importante et je trouve ça très bien. Que des gens non scientifiques puissent s'exprimer sur un débat comme celui-ci montre que notre débat est ouvert. Certaines communautés scientifiques sont beaucoup plus fermées. Il y a une voix beaucoup plus officielle et fermée pour certains débats scientifiques.

Nous sommes dans un débat scientifique ouvert, ce qui a été plutôt quelque chose de bien. Les gens ont pu dire que l'événement n'était rien, certains ont même pu dire qu'il n'y avait pas de pandémie et ils ont le droit et la possibilité de s'exprimer, sans qu'on les mette sur un bûcher.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas répondu à ma deuxième question.

M. Antoine Flahault - Je n'ai pas eu de contact officiel avec les milieux gouvernementaux.

M. François Autain, président - Merci, monsieur le directeur, d'avoir répondu avec autant de précision aux questions qui vous ont été posées.

Audition de Mme Sylvie VAN DER WERF,
membre du Comité de lutte contre la grippe,
directeur de l'unité de recherche « génétique moléculaire
des virus respiratoires » à l'Institut Pasteur
(mercredi 28 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui madame le professeur Sylvie Van Der Werf, directeur de l'unité de recherche « génétique moléculaire des virus respiratoires » à l'Institut Pasteur, membre du Comité de lutte contre la grippe.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Sylvie Van Der Werf prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Cette audition étant publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique et du décret s'y rapportant, je vous demanderai de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

Mme Sylvie Van Der Werf - De par la nature de nos activités, qui impliquent un travail sur les antiviraux et les vaccins, ainsi que dans le domaine du diagnostic, nous avons forcément des relations avec des industriels. Nous sommes sollicités en tant qu'experts ou pour réaliser des travaux spécialisés. Ces sources de financement sont, pour l'unité de recherche que je dirige, complémentaires par rapport aux financements institutionnels ou aux contrats de recherche publique. Il y a donc des appels d'offres auxquels nous répondons.

Je souhaiterais également préciser que c'est toujours, dans le choix des contrats que nous passons avec les industriels, l'intérêt scientifique que nous y voyons, au-delà de l'intérêt financier. Je ne perçois pas, dans le cadre de ces contrats, de rémunération personnelle. Les liens que j'ai avec des industriels concernent, d'une part, des contrats de recherche, notamment un contrat avec GlaxoSmithKline, qui est un contrat de recherche et développement que nous avons depuis 2003, qui porte sur le développement et les relations de nouvelles approches vaccinales contre le virus du SRAS. Ce sont des recherches que nous avons entamées suite à la très forte implication du Centre national de référence et de l'unité de recherche, lors de l'épisode du SRAS en 2003.

Une première partie de ces travaux ont été publiés, d'autres publications sont attendues. Je préciserai, pour souligner l'intérêt de ce type de contrat qui a permis d'initier des travaux de recherche, que certaines des approches qui ont été développées dans le cadre du SRAS servent aujourd'hui de base pour l'évaluation préclinique de l'approche vaccinale contre les virus H5N1, mais cette fois-ci avec un financement de l'Institut Pasteur et un financement institutionnel.

D'autre part, nous avons un autre contrat de recherche et développement, faisant suite à l'épisode du SRAS, avec Bio-Rad pour la période 2003-2005, qui portait sur les méthodes de diagnostic. Ce travail a abouti à un test commercialisé pour la recherche qui a servi pour les enquêtes sérologiques qui ont été menées par d'autres sur le SRAS.

Nous sommes également impliqués dans des essais cliniques qui visent à évaluer la combinaison d'antiviraux sur l'expression virale ou sur la virologie ou la clinique lors de l'infection grippale. Un de ces essais est financé par Roche. Le deuxième a fait l'objet d'un financement dans le cadre d'un PHRC (programme hospitalier de recherche clinique), donc d'un financement public, mais les médicaments ont été fournis par les sociétés Roche et GSK.

Nous avons également un contrat avec la société Danone : il s'agissait d'un contrat que j'ai été amenée à gérer en tant que consultante sur une étude visant à étudier l'effet de probiotiques sur la réponse à la vaccination grippale. Ce travail a été publié. Même en intervenant en tant que consultante, j'avais le choix soit de percevoir une rémunération personnelle, soit de reverser l'argent correspondant à cette activité consultante à l'unité de recherche et c'est cela que j'ai choisi. L'argent a donc été intégralement reversé à l'unité de recherche.

Globalement, ces contrats ont représenté grosso modo 2 % du budget de l'unité. Par ailleurs, en-dehors de ces contrats spécifiques, j'ai été amenée à participer à différents groupes scientifiques, participations pour lesquelles je n'ai perçu aucune rémunération. Ces implications concernent, d'une part, le réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG), dont je suis vice-présidente (le réseau étant financé à 77 % par l'InVS et, pour le reste, par l'Institut Pasteur, via un ensemble de laboratoires), et d'autre part, le conseil scientifique du Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG), dont je fais également partie, qui est financé par un ensemble de laboratoires producteurs de vaccins.

Je suis également membre de l'European Scientific Working group on Influenza (ESWI), un groupe européen comparable au GEIG, qui est financé non seulement par des producteurs de vaccins, mais également par des producteurs d'antiviraux et des sociétés impliquées dans le diagnostic.

A la demande de Mme Alice Dautry, directrice générale de l'Institut Pasteur, je suis membre du Scientific Advisory Group, du Wellcome Trust, un groupe de réflexion qui travaille notamment sur les approches de recherche à mener sur la grippe. Enfin, je suis membre suppléante du docteur Gérard Orth, au conseil scientifique du LEEM (les entreprises du médicament). Gérard Orth étant quelqu'un d'extrêmement assidu, je n'y ai jamais siégé.

M. François Autain, président - Il a été modifié, ce n'est plus le conseil scientifique. Il porte un autre nom.

Mme Sylvie Van Der Werf - C'est vrai que j'ai vu passer cela, mais je n'ai pas noté le nouveau nom.

M. François Autain, président - M. Antoine Flahault ne s'était pas aperçu non plus de ce changement. Si par extraordinaire, vous ne vouliez plus faire partie de cette instance, cela serait le moment de le signaler.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je mentionnerai enfin des invitations à des congrès par la société GlaxoSmithKline, aux deux congrès majeurs sur la grippe : le sixième congrès « Options for the control of influenza » à Toronto, en juin 2007, et le troisième congrès européen qui a eu lieu à Vilamoura en septembre 2008. Ces invitations à des congrès sont la possibilité pour moi d'y envoyer des personnes de mon laboratoire. Par exemple, pour le congrès au Portugal, en 2008, cela m'a permis, ce que je n'aurais pas pu faire sans cela, d'y envoyer une maître de conférences très récemment recrutée dans mon unité.

M. François Autain, président - Le Professeur Daniel Floret nous a dit que, sans les laboratoires, il n'y aurait pas de congrès. C'est assez extraordinaire, l'industrie pharmaceutique devient une industrie absolument indispensable, sans laquelle les scientifiques ne pourraient plus se réunir. C'est dramatique d'en être arrivé là. Je comprends votre démarche, parce qu'elle est commune à tous les scientifiques que nous avons interrogés.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je ne démarche jamais les laboratoires pharmaceutiques pour me faire inviter à des congrès. Quand on me le propose, en effet...

M. François Autain, président - Les laboratoires, de ce côté-là, sont généreux, généralement.

M. Alain Milon , rapporteur - Vous ne disposez d'aucun fonds publics pour financer une participation à des congrès ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Pour certains congrès, c'est payé sur la dotation du laboratoire. Cela peut être dans le cadre de contrats européens ou de contrats de l'Agence nationale de la recherche. Bien évidemment, c'est dans la limite des crédits que nous sommes en mesure de consacrer à de telles missions, par rapport à ce que l'on doit consacrer au fonctionnement du laboratoire et pour faire avancer les recherches.

M. Alain Milon , rapporteur - Les fonds privés complètent donc des fonds publics ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Cela représente une toute petite part des fonds publics. Les contrats de recherche et de développement avec des entreprises privées représentent 2 % du budget du laboratoire. Pour ce qui est des congrès, je n'ai pas fait de calculs spécifiques.

M. François Autain, président - Au niveau des congrès, il y a un vrai problème.

Je vous engage maintenant à vous exprimer dans une intervention liminaire de dix minutes, voire un quart d'heure. Ensuite, notre rapporteur vous posera des questions, ainsi que les commissaires ici présents.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je vais, tout d'abord, vous faire un bref résumé des activités que nous avons eues dans le cadre de la pandémie de grippe H1N1. Mon unité travaille sur les virus respiratoires et comprend également le Centre national de référence pour la France nord pour les virus influenza. C'est aussi un laboratoire de référence de l'OMS pour les virus H5N1 et pour le SRAS. Cela nous a amenés à être impliqués très fortement dans cette pandémie.

Notre mission principale est la surveillance de la circulation des virus grippaux et des autres virus respiratoires et plus particulièrement, pour ce qui concerne les virus grippaux, le suivi de l'évolution du virus, l'évaluation des variations en termes de virulence, de sensibilité aux antiviraux. Parallèlement à cela, notre mission porte aussi sur le développement et l'évaluation de méthodologies en articulation avec les développements de la recherche.

Si on reprend l'historique de nos activités, suite à la détection de cas et à l'annonce de la présence d'un nouveau virus qui se diffusait au Mexique et aux Etats-Unis - en Amérique du Nord de manière générale - en collaboration avec la cellule d'intervention biologique d'urgence, dirigée par M. Jean-Claude Manuguerra et la contribution de la plateforme de séquençage à l'Institut Pasteur, nous avons pu confirmer les premiers cas sur le territoire français, le 1 er mai, en mettant en oeuvre les méthodologies dont nous disposions à l'époque, tout en travaillant au développement d'un test de diagnostic en temps réel. Ce test a été mis au point le 5 mai et nous l'avons diffusé aux laboratoires du réseau de détection du virus H1N1 2009, aussi bien en métropole que dans les territoires d'outre-mer.

Dans la phase initiale, nous avons été amenés à faire du diagnostic de première intention, ce qui n'est pas normalement notre rôle, mais s'agissant d'une méthodologie nouvelle, non éprouvée, et d'un virus nouveau, nous avons pris en charge ce travail. Il a ensuite été relayé par les différents laboratoires de virologie du réseau grippe, pour lesquels nous avons systématiquement confirmé les résultats et transmis en temps réel à l'Institut de veille sanitaire.

Avec la survenue de cas groupés, l'augmentation des cas autochtones, les confirmations n'ont plus eu cours, mais nous avons continué à recevoir tous les prélèvements positifs pour des analyses complémentaires : l'isolement du virus, leur caractérisation antigénique, leur sensibilité aux antiviraux, etc.

Au mois de juillet, la surveillance a été reprise par le réseau des GROG, en médecine de ville, ce qui a provoqué à nouveau un afflux important de prélèvements, pour pouvoir avoir une idée de la circulation virale dans la population générale.

Avec le début de la circulation épidémique du virus, fin octobre, début novembre, alors que nous continuions à assurer la surveillance par le biais du réseau des GROG, en ville, pour ce qui est des prélèvements en provenance des laboratoires hospitaliers, nous nous sommes concentrés sur les formes graves.

Pour vous donner une idée du volume d'activité que cela a représenté, entre mai et décembre, nous avons été amenés à traiter environ 5 400 prélèvements, ce qui correspond à deux à trois fois l'activité d'une saison normale. 61 % de ces prélèvements ont concerné en fait des diagnostics de première intention. C'est une situation pour laquelle nous ne sommes pas particulièrement organisés, comme les laboratoires hospitaliers. Il a donc fallu faire face.

Pour renforcer le volume d'activité auquel nous avons eu à faire face, ceci représente plus de 40 000 réactions, Polymerose Chain reaction (PCR), qui ont été réalisées pendant cette période. Je ne détaillerai pas tout ce que nous avons fait en termes d'isolement, de séquençage, d'évaluation de la résistance, qui nous a permis de détecter, pour ce qui est de la France nord, cinq cas de résistance au Tamiflu, dont un cas sans lien avec aucun traitement. Très rapidement, après l'annonce faite par les Norvégiens, cela nous a aussi permis de détecter la présence d'une mutation potentiellement associée à la virulence, la mutation D222G. Dans notre cas, il s'est avéré que cette souche était aussi, en même temps, résistante à l'oseltamivir.

Ces virus particuliers ont fait l'objet de notes d'information qui ont été transmises à la DGS, à l'InVS et également, après information des autorités nationales, à l'Organisation mondiale de la santé. Aujourd'hui, nous poursuivons l'analyse de ces virus, notamment au niveau des cas graves, pour essayer d'identifier les déterminants de virulence, qui permettent de comprendre ce qui a fait que ce virus s'est adapté à l'homme et a fait l'objet d'une transmission aussi efficace, ainsi que pour déterminer si d'éventuelles évolutions génétiques pourraient modifier la sensibilité actuelle des virus aux antiviraux.

Actuellement, l'accent est mis aussi sur les études sérologiques et le développement de nouveaux outils, parallèlement aux activités de recherche.

Outre ces missions de surveillance, de développement de méthodologie et de recherche, nous avons eu une activité de conseil. Vous avez rappelé que je faisais partie du Comité de lutte contre la grippe (CLCG). Nous avons eu une quarantaine de réunions entre la fin avril et la fin décembre. J'ai également été consultée par l'AFSSAPS, soit pour apporter un éclairage virologique sur certains dossiers, soit pour participer à des réunions de réflexion sur la conduite à tenir vis-à-vis de formes graves, notamment en matière d'antiviraux.

J'ai également fait partie du groupe d'expertise collective d'urgence de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Je faisais partie précédemment du même groupe, qui avait été créé pour la grippe aviaire et qui a donc été étendu à la problématique du H1N1 2009. Et puis, au niveau national, j'ai participé à de nombreuses réunions de réflexion pour la mise en place d'activités de recherche, dans le cadre de l'Institut de microbiologie et de maladies infectieuses (l'IMMI), mais également à la demande de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a mené une réflexion sur les axes de recherche, à la demande de la Direction générale de l'alimentation (DGAL).

J'aimerais également parler brièvement des relations avec la presse et notamment évoquer avec vous la question d'un article paru dans Le Figaro du 4 juin 2009.

M. François Autain, président - Nous allions vous en parler.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je prends les devants, si vous le permettez. Il s'agit d'un article dont le chapeau était « H1N1 : il va falloir vacciner tout le monde ». J'aimerais rappeler le contexte de début juin, qui était un contexte de forte incertitude sur l'évolution du virus, avec des données encore parcellaires sur l'impact en termes de mortalité et de létalité. Il y avait beaucoup de confusions sur la distinction entre vaccin saisonnier, vaccin pré-pandémique et vaccin pandémique. A cette époque, nous n'avions aucune information sur l'immunogénicité des vaccins, puisque les essais cliniques sont arrivés beaucoup plus tard.

Le service de presse de l'Institut Pasteur avait été contacté par une journaliste, qui demandait si je pouvais répondre à des questions concernant les vaccins et les aspects virologiques, pour avoir des explications sur les différentes formes de vaccin, dans le cadre d'un article qu'elle préparait. J'ai accepté d'apporter mon éclairage de virologiste à cette journaliste et j'avais demandé à pouvoir relire cet article.

Il m'est en fait parvenu par mail et devait être finalisé dans l'heure, alors que je devais me rendre à une réunion de l'Institut de microbiologie et de maladies infectieuses. Je n'ai eu que cinq minutes pour relire cet article. C'est là que j'ai découvert que l'article s'était transformé en interview, ce qui n'était absolument pas prévu initialement.

M. François Autain, président - Il faut se méfier des journalistes !

Mme Sylvie Van Der Werf - J'ai effectué quelques corrections d'ordre scientifique, mais je n'ai pas eu le temps de faire plus. Je n'ai pas pris le recul nécessaire par rapport au poids des mots. Selon moi, la recommandation de proposer un vaccin à tout le monde, et pas seulement aux sujets à risque, était une solution idéale, dans la mesure des moyens. Mais elle ne correspond pas à la façon dont cet article a été interprété, comme on a pu le lire, surtout avec le chapeau qui ne m'a pas été soumis lors de la relecture. Il a été interprété à l'extrême comme une recommandation de vaccination obligatoire, ce qui n'est certainement pas ce qui est écrit.

M. François Autain, président - Ce n'est quand même pas pour cela que l'on a acheté 94 millions de doses. Je l'espère en tout cas.

Mme Sylvie Van Der Werf - J'étais extrêmement embarrassée quand j'ai vu les réactions à cet article. Il est certain que j'ai manqué de prudence dans mes propos, ce qui me servira de leçon pour le futur. D'ailleurs, cet article m'a valu des réactions assez violentes, pour ne pas dire blessantes. Mes propos, par rapport à l'intérêt d'une vaccination au-delà des groupes classiques à risque pour la vaccination saisonnière, n'ont pas été dictés par un quelconque lien avec les producteurs. Je suis tout à fait convaincue que la vaccination reste un moyen de prévention contre la grippe et que, s'agissant du virus H1N1, elle présente un intérêt au-delà des groupes à risque habituels pour la grippe saisonnière. Je vous remercie.

M. François Autain, président - Merci madame le professeur.

M. Alain Milon , rapporteur - La commande des 94 millions de doses avait été faite le 10 mai. L'article datant de juin, cela n'a eu aucune influence sur la commande.

Dans cet article, vous affirmez qu'il faudrait vacciner tout le monde, au nord comme au sud, tout en soulignant à juste raison que la mise au point du vaccin nécessitera un certain délai. De fait, dans l'hémisphère Nord, les vaccins sont arrivés trop tard pour faire barrage à la pandémie et même, comme nous l'a indiqué le professeur Bruno Lina, « à la limite de l'intérêt individuel ». Quelle était donc la justification de la politique de vaccination massive que vous préconisiez ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Il faut se replacer dans le contexte. Cet article correspond à un entretien du 3 juin 2009. Nous n'avions pas du tout les mêmes données qu'au mois de septembre, avec beaucoup d'incertitudes sur l'impact de cette grippe en termes de mortalité, et encore plus d'incertitudes sur l'évolution possible de ce virus, lors de sa circulation dans l'hémisphère Sud puis de son arrivée, attendue à l'automne, dans l'hémisphère Nord.

La circulation du virus H1N1 s'est produite de façon précoce par rapport à la circulation habituelle des virus grippaux saisonniers, surtout par rapport à ce que nous avons pu connaître ces dernières années. Compte tenu des délais de production et de mise à disposition, le vaccin est arrivé de façon tout à fait tardive par rapport à un bénéfice d'effet barrière. En termes de bénéfice individuel, étant donné le calendrier et compte tenu des groupes prioritaires, certaines personnes n'ont pas pu en bénéficier, et certainement pas avant la circulation épidémique du virus.

Même si, au mois de juin, nous avions une idée des délais de production et de possibilité de mise à disposition, nous ne pouvions pas prédire à quel moment le virus allait circuler de façon épidémique, et certainement pas que la circulation allait être aussi précoce. Nous ne pouvions pas non plus prédire qu'il y aurait un certain retard lié à la difficulté de production du vaccin. Les producteurs en ont fait l'expérience lors de la production des vaccins saisonniers, mais nous ne pouvions pas l'anticiper. Il reste des recherches à faire pour comprendre pourquoi une souche a des rendements plus ou moins bons. Les producteurs et ceux qui préparent les souches vaccinales se sont heurtés à un problème de mauvais rendement des multiplications virales sur oeuf.

M. François Autain, président - Pourtant, les Etats-Unis ont obtenu le vaccin bien avant nous et c'était aussi une culture sur oeuf. Peut-être que la culture sur oeuf aux Etats-Unis est plus rapide qu'en France. Le 22 septembre, ils avaient tout et nous n'avions encore rien. Il a fallu attendre le 16 novembre pour avoir le Panenza.

Mme  Sylvie Van Der Werf - C'est une question qu'il faut poser aux producteurs, à laquelle je ne peux pas répondre. Je n'ai pas de responsabilité dans la mise à disposition des vaccins.

M. François Autain, président - Absolument, mais ce n'est pas seulement un problème de culture.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je peux vous garantir que cela a introduit un certain retard dans la production, dans tous les cas. Peut-être les Etats-Unis auraient-ils eu leur vaccin encore plus tôt s'il n'y avait pas eu ce retard.

M. Alain Milon , rapporteur - On dit beaucoup que le virus H1N1 supplante le virus de la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Le vrai H1N1.

M. Alain Milon , rapporteur - Le H3N2. Nous allons donc mettre en place une campagne de vaccination, alors que nous savons que ce virus n'a pas les mêmes cibles que celles du virus saisonnier. Cette campagne de vaccination doit-elle changer de cible ou allons-nous vacciner des gens qui n'ont pas besoin d'être vaccinés ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Concernant le fait que le virus H1N1 pandémique remplace les virus grippaux saisonniers, je pense qu'aujourd'hui, nous avons pu constater que le virus H1N1 saisonnier peut encore circuler, mais de moins en moins. Si vous lisez le dernier rapport de l'OMS, il y a encore eu quelques détections sporadiques récentes en Europe de l'Est. Je ne pense pas que nous puissions dire aujourd'hui que le virus H1N1 saisonnier ait définitivement disparu. Je ne suis pas en train de dire qu'il va recirculer, mais nous ne pouvons pas dire qu'il a complètement disparu. S'agissant des virus de type H1N1, le virus H1N1 pandémique est devenu extrêmement majoritaire.

Pour ce qui est des virus saisonniers H3N2, ils ont été détectés de façon plus fréquente lors de la dernière période écoulée. Ils ont même circulé de manière épidémique dans certains pays : en Afrique du Sud, lors de l'été dernier ; en Chine, avant la vague épidémique liée au virus H1N1 pandémique. De plus, un variant antigénique récent est apparu avec les virus H3N2 qui, lui, expose un nombre plus important de personnes sensibles à ce virus. Il faut rester prudent quant à la possibilité que ce virus disparaisse ou qu'il continue à circuler aux côtés du virus H1N1 pandémique.

Il y a aussi les virus de type B qui continuent à circuler. D'ailleurs, ils circulent activement dans un certain nombre de régions à l'heure actuelle, notamment en Asie. C'est sur cette base que les trois souches qui ont été recommandées pour la vaccination par l'OMS concernent un virus de type B, un virus saisonnier H3N2 et le virus H1N1 pandémique.

Après, il y a le vaccin antigrippal saisonnier, qui est recommandé pour les personnes à risque. Il n'y a pas de raison de revenir sur ces recommandations. Concernant les populations plus spécifiquement à risque, vis-à-vis du virus H1N1 pandémique, il paraît assez probable que ce virus va continuer à circuler et qu'il fera l'objet d'une nouvelle épidémie l'hiver prochain.

M. François Autain, président - Ce ne sera plus une pandémie alors.

Mme Sylvie Van Der Werf - Nous sommes toujours en pandémie, aujourd'hui.

M. François Autain, président - Mais vous parlez d'épidémie l'hiver prochain.

Mme Sylvie Van Der Werf - De vagues épidémiques.

M. François Autain, président - Je suis un peu perdu. Pandémie, épidémie, il y a une confusion dans mon esprit.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je peux comprendre qu'il y ait une confusion. Une pandémie concerne une longue période de temps, avant qu'un virus ne redevienne rythmé, saisonnier, avec des caractéristiques, notamment en termes d'impact pour la population, qui sont celles d'un virus grippal saisonnier. Ce qui s'est passé aujourd'hui dans l'hémisphère Nord et le type de population touchée par ce virus ne permet pas, à l'heure actuelle, de considérer que ce virus est devenu un virus saisonnier.

M. François Autain, président - Donc c'est encore un virus pandémique. L'hiver prochain, sera-t-il toujours pandémique ou bien épidémique ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Il faudra voir ce qui se passe dans l'hémisphère Sud. Il conviendra de réévaluer ses caractéristiques et son impact au fil des mois prochains. Aujourd'hui, nous sommes toujours en phase pandémique. L'OMS n'a pas encore déclaré la phase de post-pic.

M. François Autain, président - C'est la phase 7, nous a-t-on dit.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je n'ai jamais vu cela s'appeler phase 7.

M. François Autain, président - Le professeur Bruno Lina nous a dit que c'était la phase 7.

Mme Sylvie Van Der Werf - Non. Je parle de phase de post-pic, qui est définie dans les documents de l'OMS.

M. Alain Milon , rapporteur - Je voudrais revenir sur ce que j'ai dit car, lorsque nous avons auditionné le professeur Bruno Lina, il nous a bien dit qu'un virus pandémique éliminait le virus épidémique et devenait à son tour le virus épidémique. A priori , cela veut dire que les virus épidémiques vont disparaître et que le virus pandémique devient épidémique. Cela nous a été redit par M. Antoine Flahault.

Mme Sylvie Van Der Werf - Si on se base sur ce qui s'est passé au cours des pandémies du XX e siècle, en 1957, les virus H2N2 ont remplacé les virus H1N1. Là, il y a eu effectivement remplacement. Ensuite, nous avons eu la pandémie de 1968 - de Hong Kong - où les virus H3N2 ont remplacé les virus H2N2. Effectivement, les descendants de ces virus sont ceux saisonniers qui continuent à circuler aujourd'hui dans la population.

En 1977, il y a eu la grande épidémie de grippe russe, qui a concerné la réintroduction des virus H1N1, présents dans les années 50 et qui ont circulé aux côtés des virus H3N2 saisonniers, selon un mode saisonnier. Nous pouvons nous poser la question : dans combien de temps le virus H1N1 pandémique actuel remplacera-t-il les virus H1N1 ? Cela paraît assez probable, compte tenu du très faible nombre de détections, mais nous avons encore détecté des virus H1N1 saisonniers. Ceux-ci n'ont pas totalement disparu.

Par ailleurs, pour les virus H3N2, les choses sont un peu moins certaines. Peut-être cela prendra-t-il plus de temps ou y aura-t-il une recirculation de ces deux virus, comme on l'a vu pour les H3N2 saisonniers et les H1N1 issus de la grande épidémie de grippe russe.

Le virus H1N1 pandémique actuel, qui a donc été récemment introduit dans les populations humaines est, à ce titre, un virus nouveau pour l'homme, même s'il a certaines parentés avec les virus H1N1 de la grippe espagnole qui ont circulé après leur introduction chez l'homme en 1918. Mais, par sa composition et l'essentiel de ses propriétés, c'est un virus nouveau. C'est aujourd'hui un virus pandémique.

Combien de temps va-t-il falloir, au fur et à mesure de sa transmission dans la population humaine, de son adaptation par le biais des pressions de sélection qui s'exercent par l'homme lors de sa multiplication, pour qu'il devienne un virus saisonnier, mieux adapté qu'il ne l'est aujourd'hui ? Nous savons qu'il est déjà très bien adapté, ce que nous devons bien comprendre. Qu'est-ce que ce virus a de particulier, qui fait qu'il a été d'emblée aussi bien adapté à l'homme ?

Même les virus H3N2 saisonniers continuent de s'adapter, au fur et à mesure. Nous avons assisté à des variations d'affinité de ces virus pour leurs récepteurs, par exemple, au fil des années. C'est précisément le rôle des Centres nationaux de référence de suivre ces évolutions et d'essayer de les comprendre. Peut-être que le virus H1N1 pandémique d'aujourd'hui, au fur et à mesure de son adaptation, va devenir un virus saisonnier, mais combien de temps cela prendra, je suis incapable de vous le dire aujourd'hui. Aura-t-il la vitalité suffisante pour remplacer complètement les virus H3N2 ? C'est possible, mais il n'y a pas de certitude.

M. François Autain, président - Si le virus revient l'hiver prochain (ce que tout le monde nous dit), qu'est-ce qui permettra de dire qu'il s'agit d'un virus pandémique ou d'un virus épidémique ? Sur quoi pouvons-nous nous fonder pour dire qu'il s'agit toujours d'une pandémie ou non ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Ce n'est pas une question simple.

M. François Autain, président - Il sera dans le vaccin antigrippe saisonnier, mais ce n'est pas suffisant pour le rendre saisonnier !

Mme Sylvie Van Der Werf - Je ne sais pas s'il faut encore parler de vaccin contre la grippe saisonnière. C'est un vaccin trivalent qui associe trois souches de virus grippaux.

M. François Autain, président - Il semble que le H1N1 en fasse partie.

Mme Sylvie Van Der Werf - Le H1N1 est dedans, mais cela n'en fait pas pour autant un virus saisonnier. Il est dedans parce qu'on a choisi d'associer ces trois souches. Les souches qui sont recommandées sont celles des virus qui ont la plus forte probabilité de circuler lorsque la recommandation de l'OMS a été faite, au mois de février, sur la base de l'ensemble des données collectées dans le monde, de l'évolution des tendances, d'analyses sérologiques, etc. Un ensemble d'éléments ont été pris en compte pour déterminer, parmi les différents types et sous-types - un virus de type B, un virus H3N2, un virus H1N1 -, quelle était la souche qui avait la plus forte probabilité de continuer à circuler l'hiver prochain.

C'est ainsi que, au fil des années, la composition vaccinale est définie deux fois par an. Il est arrivé que nous soyons pris de vitesse, par exemple en 1996-1997, avec un variant antigénique différent, dit Sydney, du virus H3N2, apparu lors de sa circulation dans l'hémisphère Sud. Nous avons eu une inadéquation entre la composition du vaccin de l'hémisphère Nord et le virus qui circulait ensuite dans cet hémisphère.

M. François Autain, président - C'était un virus nouveau ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Non, il était antigéniquement légèrement différent, suffisamment pour que les anticorps vis-à-vis du virus précédent soient moins efficaces. C'est une situation distincte de celle du virus H1N1 pandémique qui est très différent.

M. Alain Milon , rapporteur - Quels patients vont recevoir le vaccin trivalent ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Le Haut Conseil de la santé publique rendra un avis par rapport à cette question.

M. Alain Milon , rapporteur - La sécurité sociale et les conseils généraux font maintenant un peu partout des campagnes de vaccination gratuite pour les personnes de plus de 65 ans pour la sécurité sociale et de plus de 60 ans pour les conseils généraux. Cela se fait un peu partout. Là, nous allons avoir un vaccin trivalent dont une partie concerne plus spécifiquement les jeunes et les femmes enceintes. Alors, comment va-t-on faire ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Pourquoi dire que ce vaccin concerne plus spécifiquement les jeunes et les femmes enceintes ?

M. Alain Milon , rapporteur - C'est ce que nous disent tous les experts.

Mme Sylvie Van Der Werf - Je suis d'accord, mais pourquoi exclure du bénéfice que peut apporter ce vaccin les personnes de plus de 60 ou 65 ans, les personnes atteintes d'un certain nombre de pathologies chroniques et qui risquent des infections rares ?

M. Alain Milon , rapporteur - Je n'ai pas dit vouloir les exclure.

M. François Autain, président - Il nous a été dit qu'ils avaient une mémoire immunitaire sur ce virus. C'est faux ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Je vais essayer de vous expliquer. En effet, nous avons observé dans la tranche de la population la plus âgée une certaine mémoire immunitaire, probablement liée à une primo-infection et à certaines parentés antigéniques entre le virus pandémique et les virus qui ont circulé après l'introduction du virus H1N1 lors de la pandémie de grippe espagnole.

Tout d'abord, cette mémoire immunitaire, en tout cas la présence d'anticorps qui présentent une réactivité croisée, n'a pu être détectée que chez une partie de cette population. Nous soupçonnons, compte tenu du faible impact qu'a eu le virus H1N1 pandémique chez les sujets les plus âgés, qu'il y a pu avoir, lors d'une infection, un effet rappel qui les aurait protégés vis-à-vis de ce virus.

Néanmoins, il a aussi été clairement observé chez les personnes les plus âgées infectées, pour lesquelles la protection par réactivité croisée n'a pas été suffisamment efficace, des formes graves. Ceci justifie par conséquent que nous continuions à considérer également les personnes les plus âgées comme des sujets à risque d'infection grippale, quelle qu'elle soit.

De ce point de vue, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas continuer à recommander la vaccination chez ces personnes. Cette remarque est vraie aussi pour les personnes atteintes d'un certain nombre de pathologies chroniques, pour lesquelles il y a une prise en charge du vaccin saisonnier. Ensuite, concernant des populations particulières, les jeunes et les femmes enceintes, nous avons envie d'inciter ces personnes à se protéger spécifiquement du virus H1N1 pandémique.

M. François Autain, président - Cela serait alors en monodose.

Mme Sylvie Van Der Werf - C'est une possibilité.

M. François Autain, président - Ceux qui se sont fait vacciner en janvier, par exemple, seront-ils protégés pour l'hiver prochain ou faudra-t-il qu'ils recommencent ? Combien de temps la protection dure-t-elle ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Malheureusement, nous n'avons pas la réponse à ces questions pour l'instant. Des études sont en cours pour tenter d'y répondre. Je pense que l'on aura des éléments avant le mois de septembre. C'est une question importante, mais nous n'avons pas les éléments de réponse aujourd'hui.

M. François Autain, président - Cela dit, nous avons des réserves de vaccins considérables. De ce côté-là, nous n'avons pas d'inquiétudes à nous faire, pour peu que le vaccin ne soit pas périmé trop vite.

M. Alain Milon , rapporteur - Ce n'est pas le même.

M. François Autain, président - Nous parlions tout à l'heure de vaccination monodose. Nous avons en réserve des vaccins anti H1N1 monovalents.

M. Alain Milon , rapporteur - Le Haut Conseil va recommander la vaccination du vaccin trivalent à certains types de population. Donc ceux qui avaient retenu le principe de la vaccination gratuite pour tel type de population vont peut-être devoir l'étendre à ces populations qui risquent d'être victimes de ce virus, ou leur en faire payer une partie. Nous allons nous retrouver avec un problème majeur d'un point de vue financier.

Mme Sylvie Van Der Werf - Ce sont des questions qui ne sont pas de mon ressort, en tant que virologiste. Le Haut Conseil est tout à fait compétent pour prendre en compte l'ensemble des dimensions. Je vous ai expliqué en quoi je considère que le virus H1N1 pandémique est encore différent d'un virus saisonnier et justifie par conséquent que nous continuons à prendre en compte des populations que nous n'avons pas forcément l'habitude de considérer comme les plus à risque, dans le cadre d'un virus saisonnier. Je ne pense pas être compétente pour répondre à la question que vous posez.

M. François Autain, président - Je voudrais revenir sur votre conception de la vaccination. Vous avez remis en cause la vaccination massive, universelle, d'une population. Je ne sais pas sur quelle base scientifique elle était fondée mais, en tout cas, sur le plan logistique, elle a soulevé un grand nombre de problèmes. La campagne de vaccination du H1N1 en démontre la difficulté.

En ce qui vous concerne, si on doit vacciner contre une pandémie, quels groupes de personnes devons-nous vacciner ? Devons-nous vacciner tout le monde ou une part de population (par exemple 30 % ou 70 %, ou ceux qui sont fragilisés par une maladie, les femmes enceintes) ? Est-ce qu'il y a un ordre de priorité, tel qu'il a été défini d'ailleurs par le Haut Conseil de la santé publique ?

L'autre question concerne l'efficacité d'une vaccination en période pandémique. La vaccination actuelle est arrivée beaucoup trop tard. Il n'y a pas eu d'effet barrière, ce n'était plus possible. Il aurait fallu que la vaccination intervienne beaucoup plus tôt. L'effet individuel est, à l'heure actuelle, difficile à évaluer, mais il semble qu'il ne soit pas extraordinairement répandu. Peu de personnes ont pu bénéficier, à titre individuel, de cette protection. Nous nous demandons si, pour toute pandémie, nous aurons le temps de préparer le vaccin, pour pouvoir l'injecter au moment où il sera efficace et pertinent.

En cas de pandémie, la vaccination est-elle le moyen le plus efficace et celui dont nous pouvons disposer immédiatement pour y parer ? Cette fois-ci, nous avons eu la « chance » de bénéficier de l'expérience des pays de l'hémisphère Sud. Nous avons donc disposé de temps pour mettre au point le vaccin.

Nous pouvons imaginer que la pandémie prenne naissance en Europe, par exemple. Dans ce cas, nous n'avons pas le temps de fabriquer un vaccin et nous sommes donc obligés de recourir à d'autres mesures. C'est pourquoi je me demande si les mesures à caractère physique, comme l'hygiène corporelle, ne sont pas finalement beaucoup plus efficaces que la perspective d'un vaccin dont nous avons vu qu'elle était aléatoire. Je me pose cette question.

Mme Sylvie Van Der Werf - Nous ne pouvons négliger aucune des mesures vis-à-vis de la situation pandémique. L'ensemble des mesures ont été prises en compte, en passant par les mesures barrières, comme le lavage des mains qui a eu un écho important. Nous nous sommes même interrogés sur la diminution d'autres infections, notamment les gastro-entérites, qui pourrait être la conséquence de l'application des mesures barrières. Les mesures barrières ont plutôt bien marché.

Les antiviraux correspondent à une autre possibilité en l'absence de vaccin, avec des difficultés dans leur utilisation puisque nous savons que l'efficacité va être optimale à partir du moment où ils auront été administrés de façon précoce vis-à-vis des symptômes. Cela ne doit pas remettre en cause tous les efforts pour mettre à disposition et produire un vaccin adapté dans les meilleurs délais.

Compte tenu de la circulation précoce du virus, nous pouvons regretter la mise à disposition tardive du vaccin, mais nous savons aussi que certaines pandémies, puisque vous posez la question de façon générale, ont eu lieu en plusieurs vagues. Parfois, la deuxième vague a été plus meurtrière que la première. Si nous n'avons pas pu protéger contre la première vague, avoir fait tous les efforts pour protéger d'une deuxième vague doit être considéré comme positif. Cela n'empêche pas de mettre en oeuvre l'ensemble de l'arsenal à disposition, des mesures barrières aux antiviraux.

M. François Autain, président - Mais il faut peut-être en tenir compte quand nous faisons la commande de vaccins, de façon à être plus modéré dans les niveaux de commande.

Mme Sylvie Van Der Werf - La commande des vaccins est une décision politique, et non de virologiste.

M. François Autain, président - J'avais lu les comptes rendus du Comité de lutte contre la grippe. Pour la réunion du 12 mai, il est dit en note que « le texte de recommandation du Comité accompagnait une note de proposition d'achat de vaccins, transmise à la ministre en charge de la santé » . Vous dites que c'est une position politique. Or, une note de proposition d'achat de vaccins émanait du Comité. Vous avez donc parlé d'une façon ou d'une autre de ces achats de vaccins. Est-ce qu'il s'agissait de la quantité ou de la qualité ?

Je vous en parle car vous avez dit que c'était une décision politique. Il semblerait que vous avez émis un texte. Cette note, je ne l'ai pas, mais elle doit exister puisqu'elle est citée. Vous vous en souvenez ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Je me souviens que l'on nous avait informés d'un projet d'achat de vaccins, mais pas sur la quantité. Il s'agissait plutôt du type de vaccin envisagé à l'époque, en aucun cas des quantités. C'était bien tout l'objet des réflexions par rapport à différents scénarios et priorités, de permettre d'avoir des éléments sur le nombre de personnes pour lesquelles la vaccination devait être envisagée. En aucun cas, si ma mémoire est bonne, nous n'avons eu connaissance du nombre de doses qu'il était envisagé d'acheter.

M. François Autain, président - Comment nous procurer cette note ? En nous adressant au président du Comité, M. Jean-Claude Manuguerra ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Plutôt à la direction générale de la santé.

M. François Autain, président - C'est ce que nous ferons. Une dernière question : l'an dernier, les représentants du Royaume-Uni à l'OMS avaient suggéré que la recherche s'oriente vers la mise au point de vaccins antigrippaux à large spectre. Que pensez-vous de cette suggestion, si vous en avez entendu parler ?

Mme Sylvie Van Der Werf - Ce n'est pas nouveau pour les chercheurs sur la grippe. Idéalement, nous aimerions pouvoir disposer de vaccins qui soient efficaces vis-à-vis de l'ensemble des variants à l'intérieur d'un sous-type et, idéalement, des sous-types de virus grippaux que nous connaissons pour les avoir observés en circulation chez l'homme. Nous parlons notamment de vaccin antigrippal universel. Des recherches sont menées dans cette perspective, mais c'est quelque chose de compliqué. Pour l'instant, nous sommes très loin d'avoir abouti, mais il est clair que ce serait l'idéal.

M. François Autain, président - C'est une voie de recherche.

Mme Sylvie Van Der Werf - C'est une voie de recherche explorée par différents groupes de recherche.

M. François Autain, président - Merci infiniment, madame le professeur.

Audition de M. Yves CHARPAK,
médecin, consultant en évaluation et conseil stratégique pour la santé publique, membre du Haut Conseil de la santé publique
(mardi 28 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons M. Yves Charpak, consultant en évaluation et conseil stratégique pour la santé publique, membre du Haut Conseil de la santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Yves Charpak prête serment.

M. François Autain, président - Puisque cette audition est publique, selon l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demanderai de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec les entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Yves Charpak - Depuis le 1 er avril, je suis directeur des études et de la prospective de l'Etablissement français du sang.

M. François Autain, président - C'est récent.

M. Yves Charpak - Quels sont mes liens avec des entreprises du médicament ? Je vais être un petit peu provocateur, mais depuis le début de ma carrière d'expert en santé publique, j'en ai eu beaucoup, beaucoup, beaucoup, comme avec la plupart des acteurs du secteur de la santé. J'ai été consultant, j'ai dirigé pendant douze ans une structure de conseil, j'ai travaillé à la fois pour des industriels, des hôpitaux, des patients, des associations.

Il se trouve qu'aujourd'hui encore, j'ai quelques activités de conseil, de très loin, avec par exemple le LIR (laboratoires internationaux de recherche), qui est l'association des gros industriels internationaux. Il m'arrive d'être conseiller du monde de l'industrie du médicament, comme d'autres structures dans le secteur de la santé. Je ne peux pas vous en dire plus que ça.

M. François Autain, président - Nous ne vous en demandons pas plus. Nous vous demandons maintenant de faire votre exposé liminaire, à la suite duquel M. le rapporteur posera ses questions, ainsi que les commissaires ici présents.

M. Yves Charpak - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce sujet, qui a agité et divisé très largement le milieu de la santé publique, dans lequel je suis inséré. Sur le thème précis des relations entre les firmes pharmaceutiques et le Gouvernement, je n'ai été qu'un spectateur extérieur, mais très attentif.

Je vais évoquer très vite quelques contextes de mes activités présentes et passées qui peuvent se rapporter au sujet. Vous avez évoqué le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dont je suis membre. Il y a aussi l'Institut Pasteur, dont j'ai été le directeur des affaires internationales jusqu'à septembre 2009 ; l'Organisation mondiale de la santé (OMS) Europe, où j'ai passé sept ans, de 2000 à 2007 ; la Société française de santé publique, dont je suis membre du bureau. J'évoquerai aussi une ou deux de mes activités de recherche passées qui ont un lien avec le sujet.

Pour revenir au Haut Conseil de la santé publique, je fais partie des cent et quelques membres nommés à titre personnel dans cet organisme, qui a été créé par la loi de santé publique de 2004, pour servir de groupe d'expertise pérenne, à la disposition du ministre de la santé. Je suis membre d'une commission intitulée évaluation et prospective.

Un peu curieusement, nous n'avons pas eu, dans cette commission (même à titre d'information générale) la moindre sollicitation dans le cadre de la crise H1N1. Nous avons eu accès aux avis émis par nos collègues de la commission des maladies infectieuses, une fois qu'ils ont été rendus publics. Entre les lignes, puisque cette mission est une mission d'évaluation et prospective, on a un peu l'impression que le Haut Conseil de la santé publique a plutôt servi de chambre d'enregistrement d'avis émis par un autre comité d'experts, qui est le Comité grippe, constitué d'experts ad hoc , créé au moment de la crise, mais qui existait déjà depuis plusieurs années, pour la grippe aviaire.

En tant qu'évaluateur, j'aurais suggéré l'inverse : il existe une chambre d'experts constituée par la loi auprès de la ministre. On aurait pu créer une cellule de crise au sein de ce Haut Conseil, qui aurait auditionné les experts spécialisés sur la grippe. C'est un peu l'inverse qui a été fait. Je trouve que l'on aurait pu éviter de se poser des questions de conflits d'intérêts des experts de la grippe, si on avait procédé en sens inverse, puisque le Haut Conseil a déjà un traitement de ces conflits d'intérêts, de façon permanente.

De toute façon, cela n'aurait probablement pas changé grand-chose. Si on reprend les avis du Haut Conseil de la santé publique, à partir de juin 2009, ils sont très réservés, par exemple sur l'intérêt de la vaccination généralisée à toute la population. Les priorités sont les mêmes que celles de l'Europe, de l'OMS, du Centre de prévention et de contrôle des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC), qui disent aussi que, si vraiment on a ce qu'il faut, on pourra aller plus loin. On peut dire que ce n'est pas de l'expertise du Haut Conseil, quand on reprend les avis les uns après les autres, qu'est venue l'idée qu'il fallait proposer d'emblée la vaccination à toute la population.

Comme point d'entrée pour des interactions industrielles, ça ne s'est probablement pas fait là, puisque l'avis lui-même est plutôt modéré sur cet aspect. Je suis aussi au bureau de la Société française de santé publique et, du 1 er au 3 octobre 2009 à Nantes, s'est tenu le colloque annuel de cette société ; j'y ai animé un débat sur la grippe.

Il en est ressorti une grande méfiance des professionnels de santé publique vis-à-vis de la vaccination, bien au-delà de ce que j'attendais, comme animateur de ce débat. C'est surprenant, car exprimée par des professionnels des administrations publiques en charge de la mise en oeuvre de la vaccination, qui sont membres de cette Société française de santé publique. On a l'impression qu'ils n'ont pas été convaincus, qu'ils n'ont pas eu d'information suffisante. En tout cas, l'interaction s'est mal faite avec leur tutelle de ce point de vue.

M. François Autain, président - Quelles sont les raisons qu'ils invoquent pour refuser cette vaccination ?

M. Yves Charpak - Ils n'y croyaient pas. Ils n'étaient pas persuadés que cela soit utile. Les avis étaient très partagés.

M. François Autain, président - Ce n'étaient pas les effets secondaires, ils n'y croyaient pas.

M. Yves Charpak - Ils n'y croyaient pas. Ils avaient aussi quelques inquiétudes sur les effets secondaires, mais ce n'était pas, en général, le sujet principal.

M. François Autain, président - Ils considéraient que la menace n'était pas suffisamment importante pour justifier cette vaccination.

M. Yves Charpak - Cela m'a surpris, parce que j'étais personnellement très en faveur de cette vaccination. J'étais donc plutôt dans une position de minorité. Ce n'est donc pas là non plus que l'entrée d'une pression industrielle s'est faite. La majorité était plutôt contre cette vaccination.

M. François Autain, président - Ils n'ont pas été sensibles à la pression, si pression il y avait. C'est le moins que l'on puisse dire. Cela ne veut pas dire pour autant que vous étiez sensible à cette pression, mais vous étiez favorable à la vaccination.

M. Yves Charpak - Exactement. Professionnellement, au moment de l'alerte à la grippe porcine puis H1N1, j'étais directeur des affaires internationales de l'Institut Pasteur, membre de l'équipe de direction et directement rattaché à la direction générale. J'étais en charge, en particulier, du réseau international des instituts Pasteur, répartis dans le monde entier qui, dans un certain nombre de pays en développement, constituent des îlots de compétences pour la surveillance des maladies infectieuses. Ils fournissent beaucoup de travail en lien direct avec l'OMS, comme centre de référence pour l'OMS, en particulier sur la grippe.

Une négociation était en cours, depuis plus d'un an, pour que l'Institut Pasteur soit nommé comme centre de référence mondial de l'OMS sur la grippe, au même titre que les Etats-Unis, le Japon, l'Australie et le Royaume-Uni. C'est-à-dire être le centralisateur de l'ensemble des virus qui viennent du monde entier et redistribuer ces virus pour utilisation de recherche ou de vaccination, etc. Un des pré-requis posés par l'OMS était de fournir la preuve que l'Institut Pasteur était bien indépendant du producteur de vaccin du même nom, Sanofi Pasteur.

Evidemment, s'il y avait un lien organique, c'était absolument incompatible avec la position de centre de référence de l'OMS. Cela illustre bien la sensibilité de l'OMS sur ce genre de sujet. C'était avant la crise et la remise en cause actuelles. Il y a une sensibilité très forte à l'OMS vis-à-vis de conflits d'intérêts par rapport aux industriels. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, mais il y a une sensibilité très forte.

M. François Autain, président - Cette sensibilité ne s'exprime pas forcément très bruyamment. On ne la perçoit pas.

M. Yves Charpak - Non, mais en interne, elle est très forte.

M. François Autain, président - Extérieurement, on ne la perçoit pas du tout.

M. Yves Charpak - Entre 2000 et 2007, j'ai été conseiller principal du directeur de l'OMS Europe, j'ai aussi été son représentant auprès de l'Union européenne. J'ai vu se construire une très grande inquiétude à partir de la crise du SRAS, qui n'a pas touché directement l'Europe, mais qui a mis le doigt sur le fait qu'il y avait des risques imprévus, qui étaient en train d'arriver, qu'on ne pouvait pas maîtriser et qui pouvaient affecter les pays développés sans qu'ils s'y attendent.

J'ai aussi vu l'inquiétude, deux ans après, créée par l'arrivée du virus H5N1, la grippe aviaire qui, dans la région européenne de l'OMS (même si ce n'est pas l'Union européenne), en Turquie et en Azerbaïdjan, a tué quelques personnes. L'Europe s'est alors mobilisée très fortement, la France en tête, pour se préparer au pire, pour travailler sur le Règlement sanitaire international, qui est une loi internationale faite pour gérer les situations de crise épidémique transfrontalières, les pandémies.

A l'origine de cette mobilisation, il y a aussi le fait que les experts de la grippe, dans leur ensemble, les virologues, annonçaient depuis plus de vingt ans : « on vous l'a toujours dit, ça va arriver, il y aura une crise dramatique, il faut s'y préparer ».

M. François Autain, président - Ils le disent encore d'ailleurs et ils finiront par avoir raison.

M. Yves Charpak - En même temps, il y a eu la création d'un organisme européen à Stockholm, le CDC européen, avec mandat de coordonner les Etats membres pour la surveillance et l'alerte sur les risques infectieux. Je suis d'ailleurs très surpris que l'on ait si peu parlé d'eux en France au cours de cette crise de la grippe H1N1, alors qu'ils ont été assez actifs. On n'a pas entendu parler d'eux, c'est très surprenant. Cet organisme a mandat officiellement de coordonner les Etats membres sur le sujet.

Sur les plans pandémiques qui étaient recommandés par l'OMS après la grippe aviaire, le contenu était laissé libre aux Etats. L'OMS disait : « il faut qu'il y ait des plans « pandémie » partout, mais vous faites ce que vous voulez dans vos plans « pandémie », et on les évaluera éventuellement avec vous. » La Commission européenne a lancé ses évaluations pour les pays européens à partir de 2005.

La France était un des pays qui s'est illustré et qui s'est enorgueilli d'être très bien classé en termes de plan « pandémie » et de contenu de plan « pandémie » mais déjà, avec un investissement massif, beaucoup plus important que dans d'autres pays, sur les moyens pharmaceutiques en antiviraux, qui ont un peu surpris parfois les observateurs extérieurs.

M. François Autain, président - Surpris, en quoi ?

M. Yves Charpak - Par l'ampleur des choix qui avaient été faits.

M. François Autain, président - Vous pensez que l'on en a commandé trop ?

M. Yves Charpak - Là-dessus, je n'ai pas d'avis, mais il y en a eu clairement plus qu'ailleurs.

M. François Autain, président - Là aussi, on est les meilleurs !

M. Yves Charpak - De l'extérieur, on avait bien l'impression que c'était un choix plutôt gouvernemental et pas une grande opération de lobbying industriel. Je donne mon impression de l'extérieur.

Ensuite, il y a eu la conjonction du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), de la grippe aviaire et des nouvelles épidémies un peu partout dans le monde. La directrice générale de l'OMS, Mme Margaret Chan, en 2007, a lancé le rapport mondial de la santé sur les maladies infectieuses. Elle a dit : « depuis plus de trente ans, il y a plus d'une nouvelle maladie infectieuse par an qui se déclare dans le monde ». Cela crée une vraie paranoïa de l'arrivée de maladies infectieuses nouvelles, toujours attisée par des chercheurs spécialisés qui répètent : « ça va venir et ça nous touchera aussi. »

Je voudrais faire un petit retour en arrière sur ma carrière, pour les besoins de cette présentation. J'ai commencé ma carrière médicale en faisant très peu de médecine générale ; j'ai été surtout chercheur en épidémiologie clinique, dans une antenne Inserm ou universitaire. Ma principale contribution, qui a été largement publiée (comme il se doit pour un chercheur), était l'évaluation des examens diagnostics prescrits systématiquement avant les interventions chirurgicales par les anesthésistes.

Je parle de ça parce qu'il y a un lien avec notre sujet. Le résultat était que plus on est capable techniquement de chercher des anomalies, plus on en trouve, qui éventuellement n'ont pas de signification. Ce qui a changé dans les dernières années, avec la grippe, c'est que chaque bout du virus qui circule est séquencé, identifié à la source, suivi dans le monde entier à travers des réseaux de laboratoires qui n'existaient pas avant. Les chercheurs ont récemment modifié la capacité à percevoir la circulation mondiale de pathogènes.

Avant, l'alerte commençait à la diffusion de groupes de cas cliniques significatifs dans le monde. On attendait qu'il y ait des cas, on comptait, on disait quand ça devenait important et on essayait d'identifier l'origine du pathogène. Aujourd'hui, on est dans une situation où on prédit l'épidémie et sa dangerosité avant qu'elle ne se manifeste cliniquement et ne se confirme avec la détection d'un nouveau variant. Il y a un nouveau variant, il va se mettre à circuler, on va le suivre.

Autrement dit, malheureusement, plus on a de laboratoires de recherche, de surveillance en réseaux dans le monde, ce qui est une bonne chose (parce que l'on est capable d'alerter plus précocement et de se protéger mieux), plus on aura des alertes, éventuellement peu significatives. Il faut apprendre à gérer cette situation de bruit de fond exponentiel. Malheureusement, et je vais dire une méchanceté pour mes collègues très spécialisés, ce ne sont probablement pas les plus spécialisés et les plus compétents dans un domaine spécifique qui auront le recul suffisant pour pouvoir dire que ce n'est pas très important. Aujourd'hui, il faut apprendre à vivre avec cela, en organisant l'expertise un petit peu différemment, probablement de façon un peu moins spécialisée.

Un point sur la recherche. J'ai vécu ça à l'Institut Pasteur mais cela concerne toutes les institutions de recherche aujourd'hui : c'est un monde de compétition extrêmement féroce. Au sein même de chaque institution, dès qu'arrive quelque chose comme une menace de pandémie (mais ça peut être autre chose, un nouveau pathogène), tout le monde se bat pour être le premier, pour faire son test diagnostic, parce qu'à la clé, il y a des publications, la reconnaissance professionnelle et la pérennité de l'activité.

A la clé, il y a aussi des brevets, puisque les institutions de recherche aujourd'hui font de la valorisation de leur recherche. Bien évidemment, ils ont intérêt à ce que ces brevets soient utilisés industriellement, en particulier pour les méthodes diagnostiques. Une pandémie, c'est l'utilisation de méthodes diagnostiques inventées par les chercheurs sur le virus de la grippe. Il y a un intérêt à espérer, même inconsciemment, que les maladies arrivent. Ce n'est pas bien de dire ça, personne ne le souhaite mais, en même temps, je reprends l'exemple du test du Sida qui produit des revenus très importants pour les institutions qui l'ont élaboré.

Ces mêmes experts très spécialisés se retrouvent dans les groupes d'expertise qui sont sollicités pour donner des avis aux décideurs et, en même temps, leurs intérêts, sans se concerter avec le monde industriel, vont un peu dans le même sens. Il n'y a même pas besoin qu'il y ait de relation, puisque l'intérêt est le même, d'une certaine façon. Encore une fois, c'est un peu machiavélique de le dire, mais je crois que c'est important de mettre le doigt sur le fait que les conflits d'intérêts ne sont pas que des conflits de rémunération par un industriel d'un expert, ils sont plus largement installés dans nos sociétés. Il faut apprendre à les gérer et ne pas espérer qu'il n'y en ait plus.

Alors, pression de l'industrie pharmaceutique ? Ce que j'ai vécu à l'OMS et ce qui existe, c'est que c'est l'un des rares lieux où se négocie la solidarité internationale en termes de disponibilité des produits, des vaccins pour le monde entier, c'est-à-dire pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'en procurer. Pour cette négociation au niveau mondial, il faut être en contact avec les industries. On ne peut pas discuter avec eux de la disponibilité, de la réduction de prix, etc. si on n'est pas en contact avec eux.

C'est un peu nouveau pour des institutions internationales comme l'OMS, cela a quelques années, mais c'est aujourd'hui un des points essentiels de l'activité, dans le programme comme le Fonds mondial, Unitaid et tous les programmes hébergés par l'OMS. Donc l'industrie y est présente au quotidien, mais l'ambiance n'est pas à la collusion. En interne, ce qui prévaut dans une institution comme l'OMS, c'est une énorme méfiance vis-à-vis de l'industrie. Cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien et que cela ne fonctionne pas de temps en temps.

Mme Margaret Chan, en 2007 (mais elle l'a refait récemment), avait réuni tous les industriels potentiellement producteurs de vaccins et antiviraux, en disant : « si une crise arrive, quelles sont les conditions de mise à disposition des vaccins, combien de temps ça prendra ? Combien est-ce que ça coûtera ? Est-ce que vous pourrez en mettre à disposition pour pas cher pour les pays en développement ? » Il y avait donc une vraie connaissance de l'OMS, antérieure à H1N1, de ce que ça prendrait comme temps et comme conditions, de mettre à disposition des vaccins.

Cette fois-ci, l'OMS n'a toujours rien fait auprès de ses Etats membres pour dire : « il en faut tant, voilà le niveau des commandes ». C'était laissé entièrement libre. Il n'y a pas eu de recommandations, l'OMS s'y est refusée. L'OMS n'est qu'un organisme multi-gouvernemental qui est piloté par les Etats membres. En tout cas, la pression industrielle, si elle a eu lieu auprès de l'OMS, n'a pas porté sur les modalités de contractualisation avec les industriels, ce à quoi elle s'est refusé à entrer dans le détail.

En conclusion, les décisions négociées entre les industriels et les gouvernements, dont le gouvernement français, autant que je puisse en juger (parce que je n'ai pas été associé à ces négociations) l'ont été en toute connaissance de cause de part et d'autre. Mon impression, c'est qu'aucun des deux partis n'a été trompé. Chacun savait ce qu'il était en train de négocier.

M. François Autain, président - Je l'espère. Ce serait le comble.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans un entretien publié dans Politis le 3 septembre 2009, vous avez relativisé le coût des mesures de lutte contre la pandémie grippale en soulignant que « la protection de la santé est une priorité sans doute plus légitime que d'autres pour l'action gouvernementale. » Effectivement, ce sont des arguments éthiques et non scientifiques qui, selon la ministre, ont fondé le choix de commander les vaccins, pour permettre à tous ceux qui le souhaitaient d'être vaccinés.

Plusieurs membres de l'Assemblée du Conseil de l'Europe ont cependant contesté le caractère éthique de ces achats massifs, en affirmant que le coût privait d'autres projets de santé de financement et que les politiques nationales s'étaient effectuées en dehors de toute solidarité avec les pays les plus pauvres. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les dépenses engagées par la France pour l'achat de vaccins ?

M. Yves Charpak - Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit, la protection de la santé par une mesure comme celle qui a été prise est du même ordre que la protection de la sécurité du territoire. On n'est pas sûr que l'on aura besoin de s'en servir, mais cela ne soulève pas de questions majeures, pour des niveaux d'investissement qui sont éventuellement beaucoup plus importants.

M. François Autain, président - Vous ne pensez pas à la ligne Maginot.

M. Yves Charpak - Non, je pense à la sécurité en général qui ne devrait pas être pensée secteur par secteur, mais de façon plus générale. D'ailleurs, c'est ce qui se passe au niveau de l'Europe aujourd'hui, il y a ce genre de réflexion aussi. Rien ne devrait interdire de commencer à le penser dans ce sens. Il y a peut-être des moments où on peut réduire certaines dépenses et en augmenter d'autres, parce que le risque paraît plus important sur un aspect que sur un autre. Mon propos était de cet ordre-là. La sécurité, on est prêt à y mettre un prix et ça ne devrait pas être plus différent dans un secteur que dans l'autre, dans la façon de raisonner.

Ensuite, sur le montant de l'investissement de protection qui a été fait, je n'étais pas un des experts sollicités là-dessus, mais quand je relis les avis d'expertise du Haut Conseil de la santé publique, je lis très clairement, entre les lignes, que la protection de toute la population d'emblée n'était pas une recommandation de l'expertise. Probablement qu'en tant qu'expert, j'avais envie de dire que l'on pouvait dimensionner de façon moins importante qu'au départ, quitte à revenir dessus secondairement. Je le fais avec tous les bémols, du fait que je n'étais pas engagé. C'est facile à dire après coup.

En tout cas, il y avait une vraie inquiétude mondiale. J'ai joué à faire un diaporama de la couverture du Monde, sur ce virus, du 27 avril au 27 mai 2009. C'est très impressionnant et il y a de quoi s'inquiéter, à partir du moment où les experts disent que c'est un virus dont on ne sait pas s'il est très dangereux, mais potentiellement très dangereux, qu'il peut muter et devenir dramatiquement dangereux. Quand on voit la progression dans Le Monde , en un mois, de ce virus, il y a de quoi être très inquiet, à la fin du mois de mai 2009. Cela a motivé ma position d'être très en faveur de la vaccination, pas forcément de l'ensemble de la population mais, en tout cas, d'une bonne partie.

M. François Autain, président - Est-ce que cet avis a évolué ?

M. Yves Charpak - L'avis a évolué avec le temps. De juin à septembre-octobre, on colle de plus en plus à une position plus officielle des choix qui ont été faits, dans les avis successifs du Haut Conseil de la santé publique. Il faut les reprendre à partir du 26 juin, en sachant qu'à chaque fois d'autres avis sont rappelés, en particulier les positions de l'Agence européenne du médicament, sur le nombre de doses, etc. Assez tôt, on avait aussi l'impression que l'on pouvait faire des choses qui étaient un tout petit peu moins dimensionnées.

Mais je ne reviens pas sur ma considération qu'il y avait de quoi être inquiet, ni sur ma position d'être en faveur de la vaccination. Le risque est très minime ; si on avait ce niveau d'exigence pour tout ce qui est en circulation aujourd'hui en matière de produits de santé, il n'en resterait pas beaucoup sur le marché. Je considérais donc que ce n'était pas un risque très élevé et que cela méritait de prendre ce risque pour un hypothétique bénéfice.

M. François Autain, président - Vous parlez d'un vaccin avec ou sans adjuvant ?

M. Yves Charpak - L'adjuvant est présent dans nombre de vaccins que l'on utilise tous les jours. J'ai aussi vacciné ma famille.

M. Alain Milon, rapporteur - En septembre 2009, vous déclariez que, pour l'évaluation du risque posée par le virus, « on apprend en marchant » et que « si cette grippe est au moins aussi grave que la grippe saisonnière, on va de toute façon la sentir passer ».

M. François Autain, président - A l'époque, ce n'était pas en termes d'argent.

M. Alain MILON, rapporteur - Non, je ne pense pas. Ces deux éléments plaident pour le maintien du niveau de protection le plus élevé possible. Pensez-vous qu'il puisse en aller différemment face à d'autres virus pandémiques ?

M. Yves Charpak - Je ne suis pas sûr que ce que j'ai dit plaide pour le niveau d'alerte et de protection le plus élevé possible. On vit avec la grippe saisonnière sans que cela fasse couler beaucoup d'encre au quotidien. Ce que l'on a appris avec cette grippe H1N1, c'est que l'on avait très peu d'informations, en réalité, sur l'impact de la grippe saisonnière. On a découvert que l'on fait des estimations à la louche sur la mortalité liée à la grippe saisonnière. On fait des estimations à partir de surmortalité pendant la période de la grippe.

On fait de l'estimation très grossière de ce qu'est la mortalité de la grippe dans le monde entier. On a très peu travaillé sur ce sujet, ce qui est étonnant, étant donné que cela arrive tous les ans, sans que l'on se pose plus de questions que cela, ni sur l'efficacité de la vaccination, ni sur une évaluation sérieuse de la mortalité. Cela a au moins mis le doigt là-dessus.

En fait, on ne sait rien et on découvre, avec la grippe H1N1, que l'on n'a pas assez travaillé en amont sur l'évaluation des risques et des méthodes utilisées pour les réduire, c'est-à-dire la vaccination des personnes âgées. Je vais vous surprendre, mais j'ai entendu des Africains me faire une très grande critique en me disant : « vous avez décidé que l'on ne vaccinait, pour la grippe saisonnière, que les personnes âgées, qui sont plus fragiles. Chez nous, les personnes les plus fragiles sont les enfants de moins de cinq ans. Il n'y a pas un essai, pas une étude qui ait été faite là-dessus et on serait curieux de savoir si on ne pourrait pas vacciner les enfants les plus fragiles contre la grippe saisonnière. »

Il y a plein de questions qui ont été soulevées par l'arrivée d'un nouveau virus. Le virus H5N1 est toujours là, il est toujours aviaire, il y a toujours des flambées épidémiques de grippe aviaire, chez les volailles et quelques cas humains régulièrement. Il y en a en Egypte, au Vietnam. Régulièrement, on voit ces cas de grippe aviaire humaine, avec ces décès. La question posée est légitime, les experts sur la grippe sont assez formels en disant : « la recombinaison, ça peut arriver. » On espère que ça n'arrivera pas en jouant aux apprentis sorciers, parce qu'il existe un certain nombre de manipulations possibles dans les laboratoires. On essaie pour voir si cela pourrait fonctionner. Personnellement, je suis un peu inquiet.

M. François Autain, président - On partage votre inquiétude.

M. Alain Milon, rapporteur - Pour revenir à ce que vous disiez par rapport à l'Afrique, en France (en Europe, je ne sais pas), la vaccination saisonnière est faite aussi aux enfants à risque de moins de cinq ans.

M. Yves Charpak - Je ne savais pas, mais je ne sais pas si on l'a évalué de façon très précise.

M. Alain Milon, rapporteur - Je ne sais pas si c'est évalué, mais des médecins que je connais la font régulièrement chez les enfants à risque de moins de cinq ans.

M. Yves Charpak - Les Japonais vaccinent les enfants.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 9 octobre 2009, vous avez déclaré au Figaro , à propos de la vaccination « aujourd'hui, il y a suffisamment d'arguments pour dire qu'une dose suffit et est protectrice. Il faut avoir une attitude pragmatique et rendre les choses plus faciles et plus compréhensibles pour tout le monde. » Sur quels éléments se fondait votre appréciation, contestée à l'époque par le directeur général de la santé et, plus largement, pensez-vous que la stratégie vaccinale adoptée pour lutter contre la pandémie grippale a été pragmatique et compréhensible ?

M. Yves Charpak - Sur le fait d'utiliser une dose, ce sont des résultats d'études qui ont été faites et analysées à l'Agence européenne du médicament et qui sont sorties à ce moment-là. Ce n'est pas un avis personnel, parce que je n'en ai pas, donc c'était un avis sur la base de l'Agence européenne du médicament.

M. Alain Milon, rapporteur - L'Agence européenne s'est prononcée fin novembre.

M. Yves Charpak - Mais ils ont publié des choses assez vite. Par ailleurs, sur l'organisation en général de la campagne, je crois que ne pas associer les professionnels de santé à une campagne de vaccination, c'est une vraie erreur. J'ai beaucoup travaillé avec le monde des médecins généralistes comme évaluateur. Alors qu'on a mis en place des logiques de médecins référents qui sont le point d'entrée obligatoire dans le système de santé, les en exclure dès qu'il y a une crise, ce n'est pas très cohérent.

Le message que j'ai entendu au colloque de la Société française de santé publique en octobre, où on avait invité des représentants des médecins généralistes était celui-ci : « de toute façon, ça s'est fait sans nous et ça se fera sans nous. »

M. Alain Milon, rapporteur - Le 16 février dernier, vous avez, dans le quotidien Libération , estimé que la passion des experts pour leur sujet (c'est ce que vous avez dit) avait pu les conduire à ne pas prendre en compte les données minimisant le risque lié à la pandémie. Vous préconisez donc une expertise pluridisciplinaire. Mais en dehors du biais qui peut découler de l'expertise elle-même, vous considérez que les conflits d'intérêts sont bien gérés. Est-ce à dire qu'il n'y a pas lieu de compléter les dispositions actuelles, dans le cadre des liens d'intérêts ?

M. Yves Charpak - A mon avis, il y a lieu de les compléter. Ce que je veux dire, c'est que ce n'est rien comparé à ce que cela a été. J'ai été consultant pour le Conseil de l'Ordre des médecins dans les années quatre-vingt-dix, au moment de la loi DMOS dite « anti-cadeaux ». Ce que nous voyions arriver à l'époque, en termes de collusion entre monde de la santé et industrie, était très surprenant. Les choses ont beaucoup évolué. C'était une situation qui s'était installée, pour en même temps pallier des insuffisances de financement de la formation.

Je vais vous en donner un exemple. J'étais consultant de la direction des hôpitaux. En travaillant sur les bilans sociaux des établissements publics, je m'étais étonné du niveau de dépenses sur la formation des médecins. Elles n'étaient que de 0,5 % de la masse salariale, au lieu de 2,5 % pour le reste du personnel. On m'a dit : « ils se débrouillent avec l'industrie ». Les médecins se débrouillaient avec l'industrie et l'industrie palliait les insuffisances de financement.

M. François Autain, président - Je ne sais pas si on peut dire que cela a beaucoup changé.

M. Yves Charpak - J'ai l'impression que cela a quand même beaucoup changé. Dans des agences comme l'AFSSAPS, il y a une culture de l'examen de conflits d'intérêts dans le cadre des dossiers examinés. Je pense que cela s'est amélioré. Personne n'a résolu le problème, mais beaucoup de choses sont faites, puisque des revues refusent de publier des articles pour des raisons de conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Notamment dans les pays anglo-saxons.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez été, de 2000 à 2007, étroitement associé aux activités de l'OMS Europe et, dans votre blog, vous dénoncez la tendance à faire de l'OMS un « bouc-émissaire » en renvoyant les Etats à leurs responsabilités. Vous soulignez notamment que les experts sont nommés par les Etats. Or, tel n'est pas le cas pour tous. Il semble que c'est la pluralité des rôles assurés par certains experts, conseillers des Etats, mais aussi de l'OMS et des firmes pharmaceutiques, qui pose problème. Le système de décision au sein de l'OMS, notamment les débats scientifiques qui ont amené à la définition actuelle de ce qu'est une pandémie, vous paraissent-ils, dans ces conditions, adaptés ou doivent-ils évoluer ?

M. Yves Charpak - Etre adaptés et améliorés, sûrement. L'OMS, de l'intérieur, c'est une organisation pilotée par les Etats membres. La pression quotidienne des Etats membres y est très forte. Tous n'ont pas le même poids, tous ne sont pas aussi présents auprès des instances de l'OMS et la France n'est probablement pas un des pays les plus présents et les plus actifs au sein de l'OMS. Des pays sont extrêmement présents et actifs au sein de l'OMS et la gouvernance de l'OMS, ce sont les Etats membres qui la font.

Après, il y a les staffs de l'OMS qui travaillent. L'essentiel du travail d'un professionnel de l'OMS, c'est de faire travailler des experts. Au-delà du conseil aux Etats membres les plus pauvres, aux ministres de la santé, à leurs collaborateurs, il y a ce rôle de mettre ensemble de l'expertise du monde entier. Encore une fois, concernant la gestion des conflits d'intérêts, on m'a demandé des dizaines de fois de remplir des papiers de conflits d'intérêts, je ne sais pas si quelqu'un, un jour, les a lus ; on ne m'a jamais posé de question.

M. François Autain, président - Oui, c'est très compliqué, ça, je le sais. Il y a même des sigles et des acronymes qu'il faut bien connaître et maîtriser.

M. Yves Charpak - Ce n'est pas forcément très facile et ça n'est pas fait de façon systématique, ni à l'OMS, ni ailleurs en général. Ces conflits sont déclarés, donc on peut les ressortir le jour où quelque chose arrive. L'OMS a été assez échaudée, en particulier avec l'industrie du tabac et le monde agro-alimentaire. Au moment où l'OMS a fait voter la convention-cadre du tabac, il y a eu de vraies tentatives de collusion au sein de l'OMS. Ils sont donc échaudés par ces situations de conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Est-ce que vous pensez que c'est normal que la commission d'urgence, par exemple, qui a joué un rôle considérable dans l'élaboration de la gestion de cette crise pandémique, soit composée de quinze experts au total, dont on ignore l'identité, à l'exception d'un seul et, par voie de conséquence, les liens d'intérêts qu'il pourrait y avoir avec l'industrie pharmaceutique ? Est-ce que vous trouvez cela normal ?

M. Yves Charpak - Non, je ne trouve pas cela normal. Je suis surpris de cette procédure et je ne suis pas le seul. Je ne suis plus à l'OMS, mais j'ai interrogé d'anciens collègues, en leur demandant s'ils pouvaient se procurer la liste de ces experts. Normalement, une liste d'experts n'est pas secrète. La règle est qu'il n'y a aucun secret de ce genre. J'ai eu du mal à comprendre pourquoi il y avait un secret. J'ai posé la question à d'anciens collègues, qui occupent des bonnes positions à l'OMS, qui se sont fait « envoyer sur les roses ». Eux non plus ne comprennent pas.

Il y a quelque chose de particulier avec ce groupe d'experts. La question que je me pose est que jamais l'OMS ne ferait cela sans la bénédiction des Etats membres. Donc, quelle a été la négociation et avec qui, comment ? Il suffirait qu'un Etat membre dise que c'est tout à fait inacceptable pour que cela saute. Ma question est vis-à-vis des Etats membres, dont le nôtre : comment se fait-il qu'il y ait une liste d'experts qui soit secrète ? Au moins dire : « la connaissez-vous ? » J'aurais envie de demander au ministre : « au moins, est-ce que vous, vous avez cette information ? »

M. François Autain, président - On en connaît un.

M. Yves Charpak - Cela paraît peu crédible que cela se soit fait simplement à l'initiative de Mme Margaret Chan.

M. François Autain, président - Je vous signale que ce n'est pas le gouvernement français qui va demander la publication de cette liste puisque la ministre, lors de son audition, a essayé de nous convaincre que c'était absolument indispensable, pour éviter que certains membres de cette commission subissent des pressions des pays dont ils sont membres. Je résume, mais c'était à peu près cela.

M. Yves Charpak - Pour revenir au Règlement sanitaire international, je voudrais aborder un point dont on a très peu parlé dans cette crise. Dans un contexte de gestion de crise au niveau mondial, le Règlement sanitaire international prévoit qu'il y ait des experts de chaque Etat membre nommés par les Etats membres auprès de l'OMS. Dans ce pool d'experts nommés par les Etats membres (il y a forcément des Français d'ailleurs), comment se fait-il que ce ne soient pas ces experts-là qui aient servi d'experts ? C'est vrai qu'il y a des questions.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous êtes très favorable au Règlement sanitaire international. On a cependant critiqué l'aspect autoritaire du RSI, qui aurait causé une sur-réaction des Etats face à la pandémie. Une évolution du Règlement sanitaire international vous paraît-elle souhaitable ?

M. Yves Charpak - Ce n'est pas le règlement lui-même qui a fait la sur-réaction, ce sont des composants du règlement qui disent qu'il faut être prêt à répondre. Dans « être prêt à répondre », il y a, par exemple, la notion de plan « pandémie ». Ces plans « pandémie », encore une fois, l'OMS prescrit le fait qu'il y en ait, mais pas leur contenu. Il y a donc des fusées à plusieurs étages. La révision du Règlement sanitaire international a été très soutenue par l'Union européenne et très poussée par la France, qui était en première ligne. C'est l'Europe qui l'a fait adopter, contre l'avis des Etats-Unis et de la Chine, qui y étaient opposés.

C'est vrai qu'il est surprenant, maintenant qu'il est en place, qu'on soit négatif par rapport à son application. Il y a un élément difficile à comprendre. A l'époque, j'étais dans une position d'être présent à l'OMS et de suivre ce qui s'y passait, c'est d'ailleurs un Français de l'OMS qui était à la tête de la négociation sur le Règlement sanitaire international. Il se battait pour que les autres pays que les Européens qui y étaient très favorables, acceptent le Règlement sanitaire international. On a donc contribué très largement à la rédaction de tous les articles. C'est difficile de critiquer un article de loi, alors que l'on a été probablement parmi les plus moteurs à le mettre en place et à le faire voter.

M. François Autain, président - On peut changer d'avis. Il n'y a pas que les experts qui peuvent changer d'avis, les politiques aussi.

M. Alain Milon, rapporteur - J'arrive à ma dernière question, monsieur le professeur. Le post du 30 mars sur votre blog est consacré aux manipulations de virus dans les laboratoires de recherche de niveau P3 et P4 et aux faiblesses de sécurité des installations françaises. Vous en avez déjà parlé tout à l'heure, mais les manipulations en cause vous semblent-elles légitimes dans le cadre des recherches sur le virus grippal ? Faut-il mieux les encadrer et, si oui, comment ?

M. Yves Charpak - Encore une fois, ce n'est pas sorti d'un chapeau. Il se trouve que c'est une grosse interrogation aux Etats-Unis en ce moment. Les laboratoires de haute sécurité, et je ne parle pas de la plus haute sécurité, qui sont des laboratoires P4, très encadrés, sont, en général, plutôt militaires. Alors qu'en France, on a un laboratoire P4 à Lyon, géré par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) avec l'Institut Pasteur, mais la sécurité est probablement plus garantie.

Les laboratoires P3, ça devient de la routine, c'est-à-dire qu'il y en a de plus en plus. On est en train d'en construire dans tous les CHU. Les Américains se posent la question très sérieusement de savoir s'il ne faudrait pas, non pas encadrer les activités de recherche (ce n'est pas cela la question, sauf à imaginer des savants fous, ce qui peut arriver), mais plutôt garantir l'accès à ces laboratoires, c'est-à-dire être plus sécuritaire sur l'accès à ces laboratoires. Il y a une surveillance vidéo, mais ça ne garantit pas contre une effraction. Une fois qu'elle est arrivée, il est trop tard.

Les Américains sont en train de réfléchir à des campus de laboratoires P3 mieux gardés, qui ne permettent pas l'approche, qui soient surveillés par un gardien, etc. Parce que l'entrée dans un de ces laboratoires, où on a des moustiques infectés par des maladies particulières, - on teste cinquante variétés de moustiques pour savoir s'ils sont potentiellement infectants de telle ou telle maladie - crée potentiellement des nouveaux vecteurs.

Sur la grippe, je reprenais en fait le blog de M. Antoine Flahault, qui évoquait des recherches menées par des chercheurs japonais (je crois) qui ont réussi à faire des variants de virus de la grippe, en sachant qu'il y a eu beaucoup de tentatives de mélanger des virus qui se diffusent très facilement avec des virus qui sont très graves mais qui ne se diffusent pas bien.

M. François Autain, président - H5N1 et H1N1, par exemple.

M. Yves Charpak - Par exemple. Je préfère attendre le risque hypothétique que cela se fasse tout seul, plutôt que d'avoir des gens qui essaient de le faire. Naturellement, c'est un peu inquiétant. Ma recommandation, c'est que cela mérite au moins que dans les institutions, que ce soit des CHU, des centres de recherche, où on fait de la recherche dans les laboratoires P3, que l'on soit un petit peu plus attentif aux types de manipulations qui sont faites, qu'elles soient discutées et que l'accès soit un peu plus sécurisé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il y a de la vidéo et des portes blindées, mais cela n'a jamais arrêté un cambrioleur dans un appartement. Donc il n'y a pas de raison que cela l'arrête dans un laboratoire de recherche.

M. François Autain, président - Cela me paraît plein de bon sens. Vous avez été exhaustif et vous avez répondu à toutes les questions. Je vous remercie beaucoup pour cette audition très intéressante, monsieur Yves Charpak, et d'avoir répondu avec beaucoup d'attention à toutes les questions qui vous ont été posées.

Audition de M. Marc GENTILINI,
professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales
à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière,
président honoraire et membre de l'Académie de médecine,
membre du Conseil économique, social et environnemental
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales, président honoraire et membre de l'Académie de médecine, membre du Conseil économique, social et environnemental (CES).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Marc Gentilini prête serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de nous faire part, dans un exposé liminaire, de votre regard sur la façon dont cette pandémie a été gérée par le Gouvernement. Le rapporteur vous posera ensuite des questions ainsi que les commissaires ici présents.

Vous avez la parole.

M. Marc Gentilini - Je vous remercie ; je suis ému et honoré par votre invitation. Je vais essayer de vous donner le sentiment que j'ai éprouvé durant les mois qui se sont écoulés depuis le 25 avril 2009.

Il y a pratiquement un an que ce drame - avec ou sans guillemets - a été annoncé et se serait déroulé.

J'ai été frappé par la répétition des annonces, fin avril et durant tout les mois de mai et juin, de l'imminence de la catastrophe.

Certains disaient que le ciel allait nous tomber sur la tête, d'autres parlaient d'apocalypse. L'impression qui était la mienne était que l'on en faisait beaucoup trop par rapport à ce qu'il était normal d'envisager et j'ai commencé à être un peu « en rébellion » dès le mois de juin.

Courant juillet, n'y tenant plus, après quelques émissions de radio - sur France Inter en particulier, le « Téléphone sonne », une excellente émission - j'ai fini par dire mon agacement à l'une des animatrices qui m'a piégé en me disant que, si j'avais quelque chose à dire, c'était le moment de m'exprimer. J'ai finalement cédé à cette pression et mon message a été enregistré. C'est à ce moment, le 22 juillet 2009, que j'ai dit que, pour des raisons éthiques et surtout sanitaires, ce qui se passait ne me paraissait pas convenable.

Pour des raisons sanitaires : tout portait à penser dès cette époque que la catastrophe annoncée ne se produirait pas. Nous avions connaissance de ce qui s'était déroulé dans l'hémisphère Sud. On avait comptabilisé les morts, les grands malades - les petits malades un peu moins - avec les malades français en faisant, entre ce qui se passait outre-mer et ce qui se passait dans l'hexagone, un amalgame extrêmement désagréable parce qu'il ne correspondait pas à la réalité. L'impression était que l'on voulait gonfler l'importance de cette maladie.

J'ai dit clairement que l'on en faisait probablement trop et qu'il serait souhaitable que le Premier ministre et le Président de la République reprennent les choses en mains afin que l'on en revienne à une analyse plus réaliste et plus modeste de la situation.

Je l'ai dit également pour des raisons éthiques : j'ai été frappé de cette agitation - onéreuse déjà - à propos de quelque chose qui « ne se passait pas » en France, par rapport à la situation sanitaire mondiale, et par rapport à ce qui se passait plus largement et tragiquement ailleurs et dont on ne parlait pas !

J'ai rappelé qu'il existait un milliard d'affamés dans le monde, 800 millions à un milliard - d'autres disent 3 milliards - de gens qui n'avaient pas accès à l'eau potable ou à l'eau tout court et qu'on commençait à distribuer des papiers expliquant comment se laver les mains, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) décrivant, sur un texte affiché dans tous les collectivités, les onze opérations auxquelles il fallait se livrer pour bien se laver les mains - pour ceux qui ont accès à l'eau et qui ont un essuie-mains propre !

Il y a un million annuel de morts par paludisme en toute indifférence, 150 000 accidents cérébraux vasculaires en France, et 350 décès anonymes sur la voie publique. Prévoir de consacrer cette année 1,5 milliard d'euros, chiffre avoué mais plus élevé sans doute, pour une grippe qui n'a fait qu'un peu plus de 350 décès - même s'ils sont bien sûr tous regrettables - semblait disproportionné.

Ces disparités, cette approche qui se voulait une approche de santé publique et qui ne l'était pas, me choquaient personnellement profondément. Le combat de ma modeste vie a été de faire comprendre que la pathologie des autres est une pathologie également importante, et parfois plus importante, que la pathologie qui, dans nos régions, fixe notre attention.

Je sais que l'on a traduit cela en disant, de manière assez méprisante : « C'est l'expression de son tiers mondisme ». Non ! C'est l'évidence. Quand on voyage un peu, comme beaucoup de Français, on voit bien que ce qui se passe ailleurs est autrement plus important que ce qui se passe chez nous, même quand on a tendance à dramatiser la situation.

J'ai pris cette position et je m'y suis tenu car je crois que c'est la vérité et qu'il faut la rappeler régulièrement à nos concitoyens.

Progressivement, le phénomène s'est emballé ; il suffit que quelques médias reprennent ce que vous dites pour qu'immédiatement il y ait une demande d'interview sur chaque chaîne télévisée. C'est ce qui s'est produit. J'ai été confronté plusieurs fois à des représentants des partis politiques. Il y avait là le porte-parole du Parti socialiste, celui de l'UMP pour ne parler que des plus grands partis. Au fond, ils étaient d'accord entre eux. Peut-être, comme je l'ai rappelé ailleurs, parce qu'ils ont connu dans le passé des épisodes douloureux de santé publique - dont certains portent, pas toujours légitimement, le poids.

J'ai été frappé de constater qu'on trouvait que l'application du principe de précaution était ce que l'on pouvait faire de mieux, que cela ne se discutait pas et qu'il fallait en faire trop plutôt que pas assez, ceux qui n'avaient pas fait assez en temps voulu l'ayant payé très cher.

Je pense que l'erreur par défaut est une faute grave, mais l'erreur par excès est aussi une faute. Dans la situation de notre pays et de l'ensemble du monde, où « un sou est un sou » - on le rappelle régulièrement, aux médecins en particulier, et avec raison - je pense que les responsables doivent bien mesurer le coût des décisions qu'ils prennent.

J'ai été professeur de santé publique quelque temps. On nous a appris, et c'est normal, à considérer que la santé, si elle n'a pas de prix, a un coût. Il est difficile, dans le même temps que l'on demande aux médecins de faire des économies, d'avoir l'air de ne pas se préoccuper du prix d'une opération qui n'est pas, aux yeux de beaucoup, justifiée.

On peut objecter que peu de gens ont pris cette position. M. Bernard Debré l'a fait quelques jours après moi, sur le même ton - mais c'est tout ! La presse était même réticente à relayer ce que l'on pouvait dire. J'ai fait reproche à une publication médicale spécialisée, le Quotidien du médecin, de ne guère avoir repris mes propos. C'est pourtant un journal que je connais bien, tout comme son directeur, qui fut l'un de mes collaborateurs, M. Gérard Kouchner. J'ai demandé pourquoi. Un grand journal du matin, que je ne lis plus depuis, a, pendant toute la période de montée en puissance de la grippe A (H1N1)v, exposé les faits d'une façon alarmiste, les présentant comme un calvaire qu'allaient vivre tous les Français, affirmant qu'il fallait se préparer au pire.

Quand on parle de santé publique, faire peur est une mauvaise démarche ; la démarche fondamentale en santé publique est au contraire de ramener les problèmes de santé à leur juste niveau pour pouvoir les appréhender correctement, et les maîtriser avec le concours des populations.

Or, cette grippe a été la grippe de l'indécence et de la démesure au cours des tout premiers mois, durant lesquels il n'y a pas eu de discussion possible.

Je pense que la présentation faite au public l'a finalement démotivé : il a fini par ne plus croire en l'imminence de l'apocalypse. Il est heureux que l'opinion publique française, en dépit du martèlement dont elle a été l'objet, n'ait pas cédé sous le poids des responsables de la collectivité et des médias, qui ne faisaient que relayer ce qu'on leur disait.

Le mal, au début, n'est pas français. Ce n'est pas la ministre de la santé de notre pays qu'il faut accuser au premier chef. Je me suis bien gardé de le faire au demeurant, tout en étant critique à l'égard d'un certain nombre de décisions - ce que je maintiens ! L'erreur majeure provient, nous le savons, de ce qui devait être le phare sanitaire de l'humanité, c'est-à-dire l'OMS. Or, vous savez comment celle-ci fonctionne. Cela m'a toujours frappé, en particulier depuis l'émergence du Sida, en 1980-1981 : il s'agit d'une organisation politique ! C'est l'ensemble des Etats qui en sont membres qui prennent les décisions.

J'ai rapporté à plusieurs reprises une expérience qui m'a marqué. Je me trouvais, un jour de 1983, dans la délégation française, à Genève, à côté du représentant du Cambodge. Cet homme, qui parlait couramment français, était très courtois avec le représentant français que j'étais. Je l'ai vu monter à la tribune et faire un discours d'une violence extraordinaire contre l'impérialisme, le colonialisme, la France, etc. Je n'en revenais pas ! L'OMS, alors que le génocide remontait à 1975, continuait à accueillir dans ses rangs un génocidaire qui représentait le Cambodge ! Il faut comprendre en effet ce qu'est l'OMS, qui est obligée de représenter les gouvernements tels qu'ils sont. Elle est politique et, de ce fait, peut être amenée à faire des erreurs techniques.

L'exemple du Sida est patent. C'est une épidémie qui éclate, un virus nouveau. Personne ne le connaît. Il tue réellement et l'OMS affirme : « Il tue aux Etats-Unis, il tue des homosexuels, des toxicomanes, des malades transfusés : ce n'est pas le problème numéro un du Tiers monde ! » . Le déni de l'OMS face au Sida, dans les premières années, a été tragique car il a amplifié le phénomène en Afrique, qui était l'épicentre de l'infection et qui paye depuis un très lourd tribut à cette infection.

L'OMS, qui devrait être le phare sanitaire de l'humanité, se trompe soit par défaut ou retard - comme dans le cas du Sida - soit par précipitation - comme pour la grippe. Pourquoi s'est-elle trompée dans le cas présent ? Elle s'est trompée parce que la direction générale est actuellement entre les mains de Mme Margaret Chan, une personne certes respectable et de très grande qualité technique, mais qui vient de Hong Kong, d'Asie, avec cette charge vis-à-vis des virus grippaux qui caractérise un peu ce continent, et avec son expérience des virus de la grippe, du SRAS, du virus de la grippe aviaire et de tout ce qui a suivi.

Mme Margaret Chan, pour lutter contre la grippe aviaire, a fait tuer près de 20 millions d'oiseaux en Asie, et pour peu de chose ! On peut penser que ce n'est pas très important mais c'est un peu triste. Rappelez-vous l'histoire de ce chat de Hambourg, mort pour avoir mangé un cadavre d'oiseau probablement porteur - disait-on - de la grippe aviaire. A l'époque, ce chat a défrayé la chronique !

La grippe aviaire, en 2005 et en 2006, avait beaucoup inquiété les pouvoirs publics. Je me souviens que le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, avait pris à juste titre des mesures pour lutter contre ce danger. On avait acheté des vaccins et de nombreux masques. Plus tard, lorsque j'ai vu ces masques stockés dans les réserves de la Croix-Rouge française, que j'ai présidée durant sept ans et demi, j'ai demandé aux secouristes : « Qu'allez-vous en faire ? », on m'a dit : « On ne sait pas ! ». Le nombre de masques était alors très inférieur aux 2 milliards commandés cette fois-ci dont on ne sait toujours pas quoi faire. Certains disaient que si la fumée du volcan islandais arrivait sur Paris, on se servirait des masques en réserve ! Pas de chance, la fumée s'est dissipée avant et nous gardons nos masques.

Cette erreur par excès, un peu partout, que ce soit pour les masques, pour les médicaments - le Tamiflu, etc. - tout cela est démesuré, incontestablement, et c'est l'OMS qui est la première responsable.

Je comprends bien l'attitude de la ministre de la santé, à laquelle un de ses conseillers - je ne dirais pas lequel, peut-être l'avez vous entendu - parle de 30 000 à 60 000 morts. C'est terrible ! La canicule n'en a fait « que » 15 000 et c'était déjà beaucoup. Elle se demande ce qu'elle va devenir si 30 000 Français meurent...

Ce conseiller est crédible, par définition...

M. François Autain, président - Il paraît qu'il n'était pas conseiller du ministre !

M. Marc Gentilini - Mais il y a quand même bien des conseillers autour du ministre ! Je voudrais en être certain ! Nous ne désignerons personne - c'est vous qui l'avez désigné, pas moi...

M. François Autain, président - Je ne l'ai pas désigné non plus !

M. Marc Gentilini - Nous sommes donc d'accord !

Par ailleurs, la directrice générale de l'OMS change son levier de vitesse et passe du stade 3, en avril, au stade 4 puis au stade 5 et au stade 6. C'est de la folie !

Heureusement, Mme Roselyne Bachelot a du bon sens : elle n'est pas passée au stade 6. Dans le cas contraire, je ne crois pas que l'on aurait pu tenir une séance comme celle-là !

M. François Autain, président - Nous sommes toujours au stade 6.

M. Marc Gentilini - Pas en France, mais l'OMS est encore au stade 6, c'est vrai.

On a donc encore chez nous des politiques de bons sens, il faut le souligner, en dépit des démarches des organisations sanitaires qui exercent sur eux une pression. Il faut voir comment on s'agite à Genève, dans un immeuble que je connais bien !

Mise en avant du principe de précaution, bouclier que vous qualifierez de sanitaire, d'une part, et pression de l'OMS, d'autre part : on peut comprendre que des politiques soient un peu déstabilisés ou déstabilisables et qu'ils soient amenés à prendre des décisions extrêmes.

Je ne pense pas que les premiers coupables, dans toute cette mésaventure, soient les politiques - je l'ai dit à plusieurs reprises - mais les experts sanitaires.

Ce n'est guère aimable de le dire quand on a fait partie du milieu mais je suis heureusement plus vieux qu'eux, qui sont en exercice direct et j'ai donc le droit de m'exprimer sous le feu des critiques. C'est plus facile pour moi que pour eux.

Il va falloir certainement, si l'erreur relève de l'appréciation des experts - à condition que l'on sache ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont dit et ce qu'ils ont transmis - que l'on change l'expertise. Une expertise sans la société civile, dans le milieu qui est le nôtre, sera amputée et en grande partie vouée à l'échec lorsqu'elle recommandera des décisions concernant l'ensemble de la collectivité.

Enfin, je voudrais achever mon propos en disant que l'erreur qui a été commise et que je m'étais efforcé de dénoncer à temps est la mise à l'écart du tissu sanitaire de la République. Les médecins généralistes ont été mis de côté au moment où on appelait à la mobilisation générale. Tous ceux qui connaissent les vaccinations de masse et les très grandes difficultés et les très grands risques qu'elles comportent, en Afrique, au Brésil ou ailleurs, savent que c'est avec le tissu sanitaire qu'on les réussit ou qu'on les rate.

Dans le cas présent, on l'a ratée et c'est bien dommage, pour deux raisons. La première est qu'il nous reste des vaccins, et l'on a appris ce matin, je crois, que certains laboratoires ne veulent pas revenir sur leurs prix, ni sur les termes de leurs contrats.

La deuxième est que cela va jeter le discrédit sur le concept même de vaccination qui est un concept très respectable, indispensable et qui risque d'être mis à mal à cause de ce ratage.

M. François Autain, président - Merci pour ce propos liminaire très complet, très instructif et très intéressant.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Comment peut-on expliquer que le discours sur la pandémie ait été dominé par l'expression d'une « pensée scientifique unique » privilégiant une vision catastrophiste de la grippe et de ses conséquences ?

Comment expliquer que si peu d'opinions divergentes se soient exprimées, notamment parmi les experts ?

Ce quasi-unanimisme était-il réel ou était-il fabriqué par les médias ?

On nous a fait observer qu'en dehors des problèmes de liens d'intérêts entre chercheurs et industrie, le climat de compétition féroce qui règne dans le monde de la recherche, la course pour l'identification de chaque pathogène, l'élaboration de tests, la valorisation de brevets, peuvent conduire les chercheurs à espérer - même inconsciemment - qu'une maladie arrive et faire qu'objectivement leurs intérêts aillent dans le même sens que ceux de l'industrie.

Que pensez-vous de cette observation et peut-on lutter contre ces convergences d'intérêts ?

En dehors même des questions que peut poser l'évolution de la définition de la pandémie par l'OMS, ne doit-on pas s'interroger, en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, sur le caractère opérationnel d'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité ?

Comment améliorer le fonctionnement de l'OMS qui, comme vous l'avez observé, a, selon les cas, soit sous-estimé soit surestimé les risques sanitaires ?

M. Marc Gentilini - Je vais vous dire les choses telles qu'elles se sont passées. J'ai un successeur que j'aime beaucoup, qui est très connu et qui est de grande qualité. J'en ai parlé avec lui et je lui ai dit : « Prenez position, dites que ce n'est pas tout à fait comme cela que cela va se passer, freinez un peu cette ardeur juvénile des décideurs ! ».

Il m'a répondu : « Je ne peux pas le dire car je suis solidaire des autres membres du comité d'experts ». Je comprends un peu sa position : ce n'est pas élégant. Il a ajouté : « Mais vous, vous êtes libre. Vous pouvez le dire ». C'est pourquoi je me suis exprimé.

Pour répondre à votre question, ce n'est pas de la couardise mais une sorte de position solidaire de groupe qui fait que l'on ne parle pas ; la pensée qui aurait pu être modifiée se fige alors en une pensée unique. C'est grave ! Il va falloir étudier cela de près car si les experts n'ont pas individuellement une certaine liberté d'expression - sans toutefois tout remettre en cause - l'expertise sera forcément biaisée.

Pourquoi si peu de gens ont-ils réagi au début ? Cela n'intéressait pas énormément de monde en cette fin de juillet. En juillet, la France est déjà en vacances. Cependant, quand un journal du soir m'a interviewé, alors que je me trouvais en vacances pour quarante-huit heures, j'ai répondu et j'ai été frappé de voir que le baigneur français moyen prenait le temps de lire le journal sur la plage, car cela a eu un retentissement important dans certains journaux où on était quand même entendu.

Quand on interrogeait les médecins, que l'on écoutait son répondeur ou que l'on regardait son courrier, on recevait des messages de félicitations bien peu mérités car il n'y avait là rien d'extraordinaire, mais les voix se multipliaient et beaucoup de gens, de tous bords, disaient déjà : « Vous avez bien fait de le dire ! ». Il y avait donc, dès cette époque, des réticences dans l'opinion publique française moyenne et dans l'opinion médicale. Beaucoup de médecins protestaient. Les généralistes disaient en particulier qu'ils ne voyaient rien de tout ce qu'on annonçait dans leur cabinet !

Pour ce qui est de la recherche, la réflexion que vous faites est dure mais juste. J'ai été directeur d'une unité de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à côté de mes fonctions hospitalo-universitaires, et j'ai pu mesurer le type d'hommes ou de femmes qui deviennent chercheurs et celui de ceux qui deviennent cliniciens. Je suis clinicien avant tout et le malade m'intéresse encore plus que l'éprouvette ou que les résultats de la recherche - bien qu'il faille de bons résultats en recherche pour faire de bons médicaments - mais j'ai le sentiment que le chercheur est, par démarche, plus égoïste. C'est sa recherche, il n'a pas le malade au bout de la chaîne pour lui demander une explication, ni une famille à rassurer. Toute cette charge émotionnelle, il ne la connaît pas. Heureusement pour son métier, il est plus dur que le clinicien et un peu féroce.

Le chercheur, s'il veut réussir, doit être un battant. Il ne peut pas être tendre, sous peine de se faire dépasser. Si vous trouvez la même chose que quelqu'un d'autre en même temps sur le même thème, c'est le premier qui publiera qui sera reconnu comme étant l'auteur de cette découverte.

Ce que l'on a vécu autour du Sida est fort démonstratif à cet égard. C'est un combat que je connais très bien ; tous les livres qui ont été écrits sur ce sujet ne disent pas toute la vérité. Le jour où je serai appelé à une retraite réellement définitive, si j'ai encore le courage d'écrire, je dirai peut-être ma vérité sur l'épidémie. Mais cela n'intéressera sûrement plus personne et je devrais donc plutôt me garder de le faire !

Cette course à la découverte me paraît quelque peu pathologique et dangereuse pour le malade in fine .

Vous m'avez questionné sur l'OMS et sur la définition de la pandémie. Elle est scandaleuse ! J'appartiens à la veille école mais c'est encore une bonne école et je sais ce que pandémie veut dire ! Une pandémie, étymologiquement, c'est une maladie qui touche tous les peuples. Il est important qu'il y ait dissémination pour parler de pandémie, mais dans le concept de pandémie, il y avait également celui de drame, de virulence de l'agent pathogène.

En enlevant la virulence pour ne garder que la dissémination, l'OMS s'est fait une définition de la pandémie à sa mesure. Elle a décidé pour elle-même, par elle-même et contre tout l'enseignement dispensé dans le monde, ce que devait être une pandémie. Or, une pandémie, c'est la fièvre jaune du corps expéditionnaire de Leclerc en Haïti décimant les petits Auvergnats envoyés à Port-au-Prince, c'est le choléra, la peste, le typhus exanthématique. Ce sont là des pandémies dont la mortalité était de l'ordre de 30 à 70 %.

On nous dit que la grippe A (H1N1)v est une maladie qui va très vite. Tant mieux, madame la directrice générale, si la maladie se dissémine très vite, tant qu'elle ne fait pas plus de morts que ce que nous constatons ! Car cela veut dire que la maladie se répand, vaccine au passage un nombre important de gens et qu'on n'a pas besoin du vaccin pour autant !

Je ne comprends donc pas cette attitude et cette remise en cause des concepts fondamentaux du monde sanitaire.

M. François Autain, président - Si cette définition de la pandémie n'avait pas été modifiée, aurait-il été nécessaire de déclarer l'état de pandémie pour le H1N1 ?

M. Marc Gentilini - Il faut s'entendre sur la définition de la pandémie. Si on dit qu'il s'agit d'une maladie qui se dissémine partout très vite et qui a une mortalité très lourde, il faut sonner l'alarme ! Je suis toutefois persuadé que le jour où il y aura une véritable pandémie, avec des morts en grand nombre, tous les moyens mis en place par le plan élaboré pour la grippe aviaire en 2005-2006 seront dépassés. Il ne faut pas se faire d'illusions : imaginons que la mortalité ait été celle annoncée, la panique aurait envahi les rues de Paris, les centres de vaccination auraient été emportés, etc.

Il faut donc être très critique à l'égard de la stratégie que l'on affiche. Elle ne correspond pas, en règle générale, à la réalité. Dans le cas présent, elle était trop importante pour la situation réelle et elle aurait peut-être été complètement inutile, parce que dépassée, si l'épidémie avait été dramatique.

Je pense que tous ces généraux, stratèges en chambre derrière leur ordinateur, établissant des modèles, sont respectables mais ils sont à côté du problème ! Ils connaissent très bien leur métier, je les respecte mais ils se trompent. Le drame, lorsqu'ils se trompent, c'est qu'ils ne le reconnaissent pas et ne s'en excusent pas ! Je voudrais pourtant les entendre !

M. François Autain, président - Ils reconnaissent de plus en plus s'être trompés !

M. Marc Gentilini - Mais ils ne s'excusent pas !

M. François Autain, président - Pas encore !

M. Marc Gentilini - Ils reconnaissent qu'ils se sont trompés mais cela ne leur coûte rien et cela nous coûte à nous !

Savez-vous, monsieur le président, de combien les ambassades de France disposent, dans le monde entier, pour leur action sur le terrain ? 82 millions d'euros au total ! Ce 1,5 milliard d'euros environ aurait pu servir à des choses plus pertinentes.

M. Alain Milon, rapporteur - Le professeur Antoine Flahault, que nous avons entendu la semaine dernière, a observé que l'on n'était pas préparé à faire face à une pandémie comme la grippe A (H1N1)v qui, sauf dans un nombre de cas limité, n'est pas grave, alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir.

Selon vous, comment faudrait-il donc organiser la réponse à une nouvelle pandémie grippale ?

Enfin, vous l'avez regretté - et je pense que les membres de la commission le regrettent aussi - les médecins généralistes n'ont pas été associés à la vaccination ; nous pensons que l'échec de celle-ci est lié à ce fait. Vous savez également que l'organisation de la médecine en France est différente de l'organisation de la médecine en Suède ou au Royaume-Uni. En Angleterre, la vaccination est passée par les médecins généralistes mais, au bout du compte, le succès n'est pas plus grand qu'en France.

Comment, si nous devions avoir affaire à une nouvelle pandémie, organiser la vaccination avec des généralistes dispersés, en particulier avec le système des multidoses ?

M. Marc Gentilini - Je connais les prises de position du directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique. C'est un homme brillant mais je crois qu'il faudrait qu'il rappelle le nombre de morts probables qu'il avait annoncé en même temps qu'il dit que la maladie n'est pas aussi grave que prévu. Elle a été prévue comme devant être grave, je ne sais plus par qui, mais je sais qu'un ministre de la santé ne peut imaginer seul la gravité d'une épidémie de grippe ! Il a bien fallu autour de lui des gens qui attisent le drame ! Vous avez remarqué, comme moi, que le directeur de cabinet de la ministre de la santé a disparu, subitement, en février. On n'a pas eu d'explications mais on peut la fournir : chacun sait très bien qu'il soufflait sur les braises et cela ne devait pas être facile pour la ministre !

Il faut que le directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique aille plus loin dans l'analyse de l'échec de cette grippe, heureusement avortée, et qu'il dise pourquoi il n'a pas reconnu plus tôt l'erreur qu'il reconnaît maintenant. Cela aurait peut-être permis de freiner un certain nombre d'achats ou de tempérer un certain nombre de décisions. Il faudrait aussi qu'il dise qu'il ne recommencera pas. Or, ce n'est pas du tout ce que j'entends. J'entends - et vous venez presque de le rappeler - qu'il faudrait tout de suite remettre le plan pour la grippe d'automne.

Comme l'ont fait remarquer certains virologues, il existe deux types de virus, les grands - Sida, Ebola, fièvre de Lassa, Chikungunya - qui ont fait parler d'eux largement et les petits, ceux de la grippe saisonnière, annuelle, à répétition, qui ne font pas de bruit : 5 000 morts par an en France, cela paraissait peu bien que ce soit beaucoup plus que la grippe A (H1N1)v. On n'en parlait pas. C'étaient plutôt des vieux qui mouraient et c'était dans la nature des choses. Je pense que monsieur le directeur ferait bien de dire les choses comme elles sont et non de courir vers la répétition de la mise en scène pour l'automne 2010 ! Je ne pardonnerai pas aux pouvoirs publics de ne pas tenir compte de ces deux ratés. Je vous rappelle que certains annonçaient 500 000 morts en France en 2006 pour la grippe aviaire, qui avait mobilisé tout le monde sans qu'il y ait un mort.

M. François Autain, président - Le livre s'est très bien vendu !

M. Marc Gentilini - Oui, mais les titres sont faits pour cela !

C'est triste ! Dans une société assaillie par des problèmes quotidiens - économiques, sociaux, familiaux, éthiques - matraquer les gens avec des drames sanitaires et leur dire que leur vie est menacée n'est pas loyal. C'est ce contre quoi je lutte.

Quant aux médecins généralistes, le 12 octobre 2009, j'avais accompagné le Président Jacques Chirac à Cotonou, où il lançait son appel contre le trafic des faux médicaments en Afrique. Le succès de cette opération, qui exige un lourd suivi, a été important. Ce qui se passe est terrible : le commerce des faux médicaments croît considérablement.

Le 13 au matin, je suis rentré à Paris pour présider, à l'Académie nationale de médecine, la séance consacrée à la grippe A (H1N1)v. J'ai eu le plaisir de me trouver aux côtés du directeur dont nous avons parlé et du directeur général de la santé - à qui on ne reproche pas d'être chirurgien quand il parle de la grippe comme on reproche à d'autres d'être urologues.

Je lui ai posé la question de savoir pourquoi il n'autorisait pas les médecins généralistes à vacciner. J'entends encore sa réponse - et je pensais qu'elle serait suivie de décisions : « Pourquoi pas ? ». C'est tout. Il ne s'est rien passé ! Nous étions le 13 octobre.

Or, les présentations que l'on a dit ne pas pouvoir correspondre à la vie des médecins dans leur cabinet - dix doses - étaient, d'une part, parfaitement compatibles, le plus souvent, avec un cabinet bien organisé ; d'autre part, même si on avait jeté cinq des dix doses, on aurait eu une couverture vaccinale supérieure à celle obtenue par la fermeture des gymnases par la ministre des sports pour servir la ministre de la santé !

M. François Autain, président - Et sans doute à un moindre coût !

M. Marc Gentilini - Bien sûr ! Tout cela est quelque peu incohérent. Le bon sens français n'a pas été présent pendant un an. Une année sans bon sens !

M. François Autain, président - Espérons que nous allons le recouvrer en 2011.

M. Gilbert Barbier - Vous êtes professeur de maladies infectieuses. Vous nous avez dit que l'on n'aurait pas dû s'affoler. Pensez-vous - c'est l'idée qui court - que les personnes nées avant 1957 avaient une immunité voisine et que la propagation de l'épidémie a été bloquée par cette immunité d'un certain nombre de personnes ?

En second lieu, combien de vaccins fallait-il commander ? Et fallait-il vacciner ? Vous regrettez que les médecins n'aient pas été associés à une plus large vaccination de la population. Je suis d'accord avec vous mais fallait-il vacciner tout le monde ou personne ?

M. Marc Gentilini - Je réponds clairement à votre première question : cette thèse ne me convient pas !

Combien fallait-il commander de vaccins ? La question préalable est de savoir s'il fallait en commander ! Vous posez là une question très importante. A 60 ou 65 ans, on propose tous les ans automatiquement une vaccination gratuite contre la grippe. A l'armée, on vaccine tous les trois ans contre la grippe saisonnière. Cette vaccination à répétition est-elle vraiment utile ? Cette question là devrait être posée à l'occasion de cet épisode de grippe A (H1N1)v ! Personne ne paraît discuter la vaccination saisonnière, mais elle a bien un coût ! Il y a un peu de H1N1 dans les composants du vaccin saisonnier. Peut-être ces gens là ont-ils été protégés par cette vaccination à répétition mais je ne crois pas que ce soit par le contact avec une souche antérieure à 1957.

Nous nous habituons à des décisions que l'on nous impose. Personnellement, je ne suis pas vacciné contre la grippe saisonnière. J'ai 80 ans. Je n'en vois pas la nécessité absolue. En revanche, si un vieillard de mon âge me demandait conseil, je lui dirai de se faire vacciner contre les pneumocoques. On ne meurt pas facilement de grippe : on meurt de complications pulmonaires grippales, de complications infectieuses. La mortalité due à la grippe espagnole ne tient pas au virus grippal lui-même mais aux complications pulmonaires que l'on n'a pu traiter faute d'antibiothérapie.

La question que vous soulevez est importante car elle permettrait d'ouvrir un nouveau dossier. C'est un des effets bénéfiques de l'épidémie de grippe !

M. Alain Milon, rapporteur - Dans ma ville, les généralistes qui ne pouvaient pas vacciner contre la grippe H1N1 se sont mobilisés pour vacciner contre les complications pulmonaires de celle-ci. Le Pneumo 23 a été beaucoup prescrit.

M. François Autain, président - Il me semble que vous n'avez pas totalement répondu à M. Gilbert Barbier...

M. Marc Gentilini - Combien fallait-il commander de vaccins ? Heureusement pour la France, je ne suis pas ministre de la santé, mais je n'aurais certainement pas commandé 94 millions de doses ! Une couverture vaccinale avec deux injections représentait deux fois la moitié de 94 millions, soit 47 millions. On a basé la commande sur deux injections systématiques, alors qu'on n'en savait rien !

M. François Autain, président - Avec une option à 130 millions. Je ne sais si la vaccination de toute la population était possible sur le plan logistique - mais c'est une autre question.

M. Marc Gentilini - Il faut bien voir les pressions qui existent. Souvenez-vous de l'audition de la ministre de la santé de Pologne devant le Conseil de l'Europe - nous étions ensemble. Elle a fait front ! Je me tourne vers Mme Marie-Thérèse Hermange : heureusement qu'il existe des femmes dans le domaine de la santé publique ! C'est la ministre polonaise qui a dit : « Non, je n'achèterai pas vos vaccins sous la pression ! Vous baisserez vos prix ou je n'achèterai rien ! ».

M. François Autain, président - Toutes les femmes ne se ressemblent pas !

M. Claude Domeizel - Vous avez dit avoir écrit un article qu'un journal spécialisé n'a pas voulu publier...

M. Marc Gentilini - Je me suis mal exprimé. J'ai répondu à Mme Hélène Cardin, pour ne pas la citer, sur France Inter, qui m'a tendu son micro le 22 juillet. Les autres sont venus à moi pour me demander mon opinion. Le Monde.fr a une diffusion extraordinaire. Si Le Monde n'est pas acheté outre-mer, Le Monde.fr est accessible partout. De même, un article dans Le Parisien , c'est mieux qu'un article dans The Lancet ! Au moins, il a une répercussion. Si vous voulez faire passer un message de santé publique, il vaut mieux passer par Le Parisien .

J'ai lu dans un journal du matin - celui auquel je faisais allusion tout à l'heure et que je ne lis plus, ou en cachette seulement - le témoignage d'une jeune fille intitulé : « Le calvaire de ma grippe », où elle était interviewée. Je connais la famille : c'est faux !

On a voulu orchestrer la peur des Français, on l'a organisée. Il fallait absolument que le drame qui se jouait au ministère de la santé soit perçu par tout le monde. C'est un mauvais message de santé publique ! Je ne suis pas là pour défendre des idées de droite ou de gauche et je pense que la démarche de chacun d'entre nous est du reste la même : savoir comment mieux faire.

M. Claude Domeizel - Vous avez pourtant dit qu'un journal avait refusé de publier l'un de vos articles.

M. Marc Gentilini - Quand on parle, on devient vite excessif. J'ai dit que je regrettais qu'un journal médical comme le Quotidien du médecin - avec qui j'ai les meilleures relations ainsi qu'avec M. Gérard Kouchner, qui est homme de qualité - n'ait pas ouvert un vrai débat sur la grippe en rapportant les positions de M. Bernard Debré, les miennes et celles des autres ! Je l'ai dit à son directeur après la fin de la période aiguë de la pseudo-grippe.

M. Claude Domeizel - Voyez vous un lien entre le fait qu'un journal médical n'ait pas eu l'idée d'ouvrir un débat sur ce sujet et les firmes pharmaceutiques ?

M. Marc Gentilini - Je peux répondre très fermement et avec conviction : dans ce domaine, absolument pas ! Je ne puis imaginer qu'un journal destiné au corps médical puisse se trouver ligoté par des accords dont je ne vois pas très bien ce qu'ils pourraient lui rapporter. C'est mon intime conviction.

Je ne dirai pas la même chose d'un certain nombre d'experts. Vous avez entendu sur ce sujet des voix plus autorisées que la mienne, mais je suis persuadé que le vrai problème de l'expertise est que l'Etat ne consacre pas assez d'argent à la recherche dans le domaine thérapeutique ; tant que celle-ci sera dans les mains des seules firmes pharmaceutiques, il faudra redouter ces dérives. C'est là que le bât blesse.

Si les firmes pharmaceutiques n'existaient pas, il n'y aurait pas de découvertes thérapeutiques en France ni ailleurs. On ne peut diaboliser les firmes pharmaceutiques. On peut reprocher à des experts d'avoir des accords peu clairs et dénoncer ces accords mais sans les firmes pharmaceutiques, le Sida ne bénéficierait pas de ces éléments de résurrection que sont les antirétroviraux, qui ont été découverts dans des conditions de rapidité extraordinaires.

Votre question me trouble néanmoins...

M. Claude Domeizel - Qui finance les journaux médicaux ?

M. Marc Gentilini - Je ne puis répondre car je ne connais pas le financement du Quotidien du médecin mais je ne pense pas qu'il ait besoin d'un financement extérieur important pour survivre. Il est le seul vrai journal qui subsiste. Il n'y en a pas beaucoup d'autres dans le domaine de l'information quotidienne des médecins.

M. François Autain, président - Qu'entendez-vous par « financement extérieur » ?

M. Marc Gentilini - Je parlais du financement par les laboratoires pharmaceutiques.

M. François Autain, président - Selon vous, ce n'est donc pas l'industrie pharmaceutique qui financerait le Quotidien du médecin ?

M. Marc Gentilini - Je ne me suis jamais posé la question. Je ne le sais pas mais je pense que le Quotidien du médecin est financé par les abonnements.

M. François Autain, président - Tant que j'ai été médecin, je l'ai toujours reçu sans être abonné - tout comme les autres journaux.

M. Marc Gentilini - J'ai été obligé de m'abonner. L'abonnement est maintenant obligatoire.

M. François Autain, président - Pour le recevoir actuellement, il faut être en effet être abonné.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Vous posiez la question de savoir comment mieux faire par rapport au phénomène des modélisations réalisées par des personnes comme M. Antoine Flahault et autres, et qui peuvent être source d'erreurs, et par rapport au phénomène de peur.

Personnellement, avez-vous décidé de mettre en place une stratégie afin que les phénomènes ne se reproduisent pas l'année prochaine ? Des gens comme M. Bernard Debré et vous-même ont-ils réfléchi à la façon de contrer les problèmes posés par les « modélisations » - qui sont sources d'erreurs, dont on ne connaît pas très bien les hypothèses sur lesquelles elles se fondent - ou les phénomènes de peur qui s'amplifient dans les médias ?

M. Marc Gentilini - Je ne suis plus aux affaires : je n'ai donc pas de propositions concrètes à avancer mais je suis dans mon rôle en incitant à la réflexion et à la tempérance lorsque je vois que les choses vont trop vite et trop fort !

Aucune épidémie ne ressemblera exactement à la précédente. S'il y a une épidémie un jour - pas forcément en octobre 2010 mais peut-être au moment où on ne l'attendra plus, en 2012 par exemple - il ne faudra pas répéter les erreurs de 2009 et avoir prévu un mécanisme de réponse mieux adapté.

Je ne puis répondre à votre question : on ne sait pas comment une épidémie peut se dérouler. C'est pourquoi il est légitime de sonner l'alerte mais non de sonner l'alarme trop vite !

Mme Marie-Thérèse Hermange - Avez-vous eu des contacts avec le cabinet du ministre de la santé ?

Mme Patricia Schillinger - Je ne vous ai pas entendu parler des personnes à risque - femmes enceintes ou jeunes enfants - à qui on a imposé ce vaccin. Or, au cours de la première année, un enfant reçoit plusieurs vaccins différents. On n'a pas non plus évoqué de suivi de contrôle. Qu'en pensez-vous ?

M. Marc Gentilini - J'ai toujours été pour la vaccination des groupes à risque. J'ai toujours dit que si l'on s'était contenté de viser 15 millions de personnes à vacciner, on aurait réussi l'opération. En visant la vaccination de tous, on s'est trompé. En vaccinant 12 à 15 millions de personnes, on aurait commandé la quantité nécessaire pour vacciner ces groupes à risque et on aurait eu des résultats. Les dernières publications prouvent bien que les femmes enceintes étaient plus exposées que les autres. Il y a là, à l'occasion de cette épidémie de grippe, une prise de conscience importante.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, je vous remercie pour la contribution très importante que vous avez apportée à notre réflexion.

Audition de Mme Marie-Dominique FURET,
chargée de mission auprès du directeur général de la santé
au ministère de la santé et des sports,
auteur d'un rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise venant à l'appui des décisions en santé publique
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons Mme Marie-Dominique Furet, chargée de mission auprès du directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports, auteur d'un rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise venant à l'appui des décisions en santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Marie-Dominique Furet prête serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

Mme Marie-Dominique Furet - Au préalable, je crois qu'il est d'usage d'indiquer ses liens d'intérêts. Il y a plus de dix ans, j'ai travaillé dans l'industrie pharmaceutique. J'avais en outre pour témoin à mon mariage, il y a sept ans, Philippe Beaufour, qui n'est plus dans l'industrie pharmaceutique.

Je ferai d'abord quelques observations sur le contexte dans lequel l'expert rend son avis. L'autorité publique a une obligation en fonction de la gravité du risque. Si le risque est grave, l'autorité publique a une obligation de résultat. Si le risque est moyen, l'autorité compétente a une obligation de moyens.

En matière de vaccination, l'autorité publique peut rendre la vaccination obligatoire si le risque est grave ; dans le cas d'un risque moins grave comme la rougeole, l'autorité publique doit mettre en oeuvre un dispositif qui permet de répondre à une obligation de moyens en incitant les citoyens à se faire vacciner et en informant le plus possible les professionnels médicaux.

Peut-être y a-t-il eu une contradiction dans la pandémie grippale entre l'annonce du nombre de morts et la mise en oeuvre de ce qui était plutôt une obligation de moyens qui a peut-être incité certains - au vu des blogs ou de la presse - à se détourner de la vaccination.

Il existe par ailleurs un devoir de transparence depuis Tchernobyl, une exigence de la société de déclarer les liens que les experts peuvent avoir. Selon les blogs et la presse, le fait que les experts, dans le cadre de la pandémie grippale, n'aient pas déclaré leurs liens, a contribué à une certaine méfiance de la part du citoyen. L'exigence de transparence est une exigence de société qui n'est pas simplement juridique, comme celle qui s'exerce dans le cadre de l'expertise.

Enfin, quand on parle d'indépendance de l'expert, on doit aborder la question de son objectivité. On peut craindre soit une dépendance, soit une influence que pourrait avoir l'expert quand il rend son avis, donc une certaine subjectivité.

On parle de dépendance lorsque l'expert est atteint dans sa situation personnelle. Les déclarations qu'il va faire ou les avis qu'il va émettre peuvent avoir des conséquences graves sur sa situation personnelle : il pourrait être privé d'une étude, une entreprise pourrait être privée d'un marché. Il a des actions dans une entreprise, dans une firme. Il peut aussi se retrouver - c'est là la question des lanceurs d'alerte ou des avis dissidents - au banc de la communauté scientifique à laquelle il appartient.

Tout cela peut générer une crainte et faire que l'expert n'est pas aussi libre dans l'avis qu'il va rendre.

Dépendance mais aussi influence. L'influence concerne un peu tout ce qui relève de la relation amicale, de la relation familiale, de la relation professionnelle, le « lobbying soft » parce que l'on veut faire adopter des normes, l'appartenance à un monde culturel : par exemple, une personne de la famille de l'expert travaillerait dans le domaine du nucléaire et l'on fait une expertise sur ce thème - ou dans l'industrie pharmaceutique et l'évaluation a lieu sur des produits pharmaceutiques.

Je vais à présent passer à mon rapport. Le plus simple est que je vous donne lecture de la note qui, en février 2008, avait été adressée au directeur de cabinet de madame la ministre de la santé pour proposer les options de mise en oeuvre de ce rapport.

« La question de l'indépendance des experts dans le domaine de la santé publique a été l'objet de rapports récents :

« - Rapport sur la politique du médicament de la mission d'information du Parlement en juin 2006 ;

« - Rapport sur l'expertise scientifique de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques en décembre 2006 ;

« - Rapport sur les comptes de la sécurité sociale par la Cour des Comptes en septembre 2007.

« De fait, en raison d'une approche de plus en plus extensive de la notion de lien d'intérêts, le rapport d'expertise qui a vocation à éclairer l'autorité publique afin de renforcer le caractère scientifique de sa décision peut se trouver contesté non seulement s'il est avéré que l'expert entretient un lien direct, mais aussi désormais s'il entretient un lien indirect avec l'une des parties concernées par l'objet du rapport.

« Afin de consolider la position des experts et d'éviter un désengagement de leur part, il paraît opportun de hiérarchiser les différents types de liens d'intérêts dans un souci de transparence et de rationalité. In fine, il revient à l'autorité publique le soin de retenir un expert au vu des éléments dont elle a connaissance lors de la commande de l'expertise.

« Cependant, la question de l'intégrité morale de l'expert recouvre en réalité deux questions :

« - la participation des associations à l'expertise ;

« - le renforcement du cadre de l'expertise.

« Propositions du rapport de la Direction générale de la santé (DGS)

« Sur le premier point, il serait souhaitable que les associations concernées par l'objet de l'expertise puissent interroger par écrit l'expert lors de la remise du rapport d'étape et que les réponses figurent en annexe ou sur un site web. Cette proposition d'approfondissement de la démocratie sanitaire pourrait réduire à la portion congrue la suspicion des représentants des milieux associatifs.

« Afin d'éviter une trop grande profusion de questions, ce droit pourrait être limité à des associations agréées en raison de leur représentativité dans leur domaine de compétences.

« La disposition législative introduisant ce droit dans le code de la santé pourrait figurer dans la loi de modernisation de la santé.

« Sur le second point, la DGS formule trois propositions :

« 1. Elaborer un code de déontologie des experts venant en appui des décisions en santé publique. Ce code reprendrait les principes applicables, les définitions des grandes typologies de liens d'intérêts, traiterait de la question de l'intervention des experts dans les colloques et prévoirait des sanctions spécifiques en cas de non-respect des règles de déontologie. A terme, ce code pourrait être proposé au niveau de l'Union européenne.

« L'organisation d'un séminaire avec les meilleurs spécialistes intéressés par cette initiative, avec comme objectif la rédaction d'un projet de code serait particulièrement appropriée.

« La coordination des groupes de travail lors de ce séminaire pourrait être confiée, le cas échéant, à Mme Isabelle Durand-Zaleski (PUPH, qui a coordonné l'organisation d'un colloque sur l'expertise en 2004), à Mme Anne Laude (professeur de droit, membre du collège du Haut Conseil de santé publique) ou à M. Didier Tabuteau (Conseiller d'Etat, professeur en politique de santé à l'IEP de Paris) qui ont tous travaillé sur l'expertise en santé publique.

« 2. Poursuivre avec les CNU (Conseil national des universités), la CPU (conférence des présidents d'universités), la DHOS (direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins), et le CNG (Centre national de gestion) la réflexion sur la prise en compte de l'expertise venant en appui des décisions publiques dans les carrières des professionnels, au même titre que les publications ou les brevets. C'est notamment le sens de la proposition visant à inscrire la valorisation de l'expertise dans la lettre de mission du président de l'Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche (AERES).

« 3. Mettre en oeuvre une mission de contrôle des liens d'intérêts confiée à une entité indépendante, qui pourrait être l'AERES en lien avec le service central de prévention de la corruption (voir annexe II). Cette entité serait un outil au service des responsables de comités d'experts ; elle pourrait assurer la formation des experts sur les liens d'intérêts et sur la responsabilité des experts.

« Le point 1 suscite un véritable consensus des Agences. Il reste à définir le périmètre du code de déontologie, spécifique à la santé et intégré dans le Code de la santé, ou code spécifique destiné aux experts qui participent à des expertises demandées par une autorité publique.

« Le point 2 peut se décliner selon quatre axes :

« 1. Politique de soutien à la publication ;

« 2. Mise à disposition de moyens pour compenser le temps passé à l'expertise ;

« 3. Contrats d'interface ;

« 4. Etude comparative sur la rémunération des experts venant en appui des décisions en santé publique.

« Le point 3 suscite un consensus plus limité mais permet de répondre à la question de la situation objective de l'expert au regard des liens d'intérêts. Cette proposition complèterait le dispositif visant à encadrer et professionnaliser le cadre de l'expertise, mais nécessite un travail de pédagogie auprès des acteurs concernés.

« (2) Diffusion du rapport de la DGS

« La remise officielle du rapport de la DGS sur l'expertise pourrait intervenir dans des délais très brefs. Une communication de la Ministre pourrait être envisagée à cette occasion.

« Il serait opportun de souligner que la ministre de la santé a un souci, partagé par l'ensemble des participants au Grenelle de l'environnement - et notamment par Mme Lepage qui a rendu un rapport sur l'expertise -, de garantir auprès de l'opinion publique l'impartialité de l'expertise et sa rigueur scientifique. L'objectif est de donner ses lettres de noblesse à l'expert venant en appui des décisions publiques car les charges sont lourdes et les lauriers peu nombreux. En ce sens, la création d'un code de déontologie de l'expertise en santé publique paraît une solution plus opportune que la création d'une Haute autorité aux pouvoirs d'investigation et de surveillance particulièrement étendus. »

M. François Autain, président - Vous avez reçu une lettre de mission en 2006 du cabinet du ministre de l'époque, M. Xavier Bertrand, et vous avez remis ce rapport deux ans après, en 2008, alors que le titulaire avait changé.

Force est de constater que ce rapport n'a eu aucune suite ! Avez-vous des informations concernant les raisons pour lesquelles ce rapport n'a pas eu de suite ? Votre hiérarchie vous a-t-elle été reconnaissante d'avoir effectué ce travail et d'avoir réalisé un rapport particulièrement intéressant ?

Mme Marie Dominique Furet - En effet, le ministre de la santé, au moment où j'ai été affecté à la mission relative à l'indépendance et à la valorisation de l'expertise, était M. Xavier Bertrand. En décembre 2007, une version intermédiaire du rapport, après consultation de l'ensemble des établissements publics dans le domaine sanitaire de la direction générale de la santé (DGS) ou de commissions indépendantes, comme le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ou la Conférence nationale de santé (CNS), ont rendu des avis sur le rapport et ont eu - y compris les représentants d'experts que nous avions entendus - la possibilité de demander des corrections qui ont toutes été intégrées.

Nous avions l'impression d'un consensus et c'est le fruit de ce consensus qui a été transmis au directeur de cabinet de la ministre, le 6 décembre 2007.

M. François Autain, président - Qui était-il à l'époque ?

Mme Marie-Dominique Furet - M. Georges-François Leclerc. C'est également lui qui était destinataire de la note de février 2008.

Nous avons attendu l'avis du cabinet avant de demander si nous pourrions diffuser le rapport. La diffusion a été accordée. Le rapport est d'ailleurs sur le site de la Documentation française et sur celui du ministère de la santé.

Quant aux suites données au rapport, je n'en ai malheureusement pas eu mais, si c'était à refaire, je pense que je proposerais la même chose. On a bien vu que le doute s'est instillé dans le cadre de la pandémie grippale du fait de l'absence de déclaration des experts, que le citoyen a pu percevoir comme un manque de transparence. Il ne faut pas confondre volonté de ne pas être transparent et situation qui laisse l'impression qu'il n'y a pas de transparence.

Personnellement, je n'ai eu connaissance d'aucune suite. Je ne suis plus en charge de l'expertise et on ne m'a pas confié d'autres missions. Je le regrette beaucoup.

On m'a dit que le cabinet avait plutôt pris l'option d'une charte ; c'est le secrétariat général de la DGS qui est en charge de piloter ce travail avec l'ensemble des agences.

M. Alain Milon, rapporteur - Quelles sont, selon vous, les principales faiblesses du système actuel de gestion des liens d'intérêts entre experts publics et industrie ?

Est-il possible et souhaitable d'interdire aux scientifiques ayant des liens d'intérêts directs ou indirects avec les industries de la santé d'exercer des fonctions d'expert auprès des institutions publiques ?

Mme Marie-Dominique Furet - Nous avons répondu dans le rapport à la question relative à la faiblesse du système actuel. On a parlé de professionnaliser le cadre de l'expertise et non les experts. Qu'est-ce qu'un expert ? Un expert, c'est un homme de l'art, une personne que l'on recherche pour sa connaissance de l'état de la technique, de la science et des pratiques mais cela peut être aussi, dans le domaine de la santé, un professionnel ou un patient. A l'Institut de veille sanitaire (InVS), on trouve dans les commissions des représentants des consommateurs.

Le terme d'expert recouvre une sphère extrêmement large ; l'expertise peut être très variable. Le besoin est donc différent. Actuellement, on a une mosaïque d'expertises et de déclarations d'intérêts. Il faut donc professionnaliser ce cadre en simplifiant les démarches administratives pour les experts qui le souhaitent.

Dans le rapport, j'ai distingué trois concepts : le fait de déclarer ces liens et de les lister, le fait de gérer les liens d'intérêts, de s'assurer qu'il y a eu des déclarations d'intérêts et qu'il n'y a pas d'incompatibilité au moment où l'on va étudier un dossier ; enfin, le troisième concept, qui était confondu avec la gestion, est celui du contrôle.

Quand la ressource est rare - médecine légale, radioprotection, toxicologie, téléphonie mobile, où les plus jeunes ont aujourd'hui 45 ans - les meilleurs experts sont souvent des personnes qui ont des liens avec le privé ou qui travaillent dans le privé. On ne peut se passer de ces personnes quand on est un décideur public. Lorsqu'on a une multitude d'experts, on peut avoir le choix parmi les leaders d'opinion et faire en sorte de faire travailler ceux qui ont le plus faible conflit d'intérêts mais, suivant le domaine d'expertise, le lien peut devenir un conflit.

A l'avenir, quand certains domaines vont se développer - nanotechnologies, OGM - on ne pourra se passer de ces experts si l'on veut un avis scientifique.

Ce dont on a besoin, c'est d'un outil qui permette de ne pas remettre en cause la transparence des experts. La dénonciation se fait parfois par les pairs. Un ancien directeur d'agence m'a dit qu'il estimait à neuf cas sur dix le nombre de fois où les dénonciations étaient infondées ; les directeurs d'agence, les présidents de comité d'experts, les experts eux-mêmes sont démunis pour lutter contre la rumeur.

Nous préconisions donc de pouvoir contrôler les liens d'intérêts. Cela va dans le sens de la transparence mais aussi de l'aura que peut avoir l'institution et les experts.

Il ne s'agit pas de mettre en cause l'honnêteté des experts. Autrefois, peut-être ne mettait-on pas en cause l'expert parce qu'il s'agissait d'une sommité scientifique. Aujourd'hui, l'intrusion de la démocratie sanitaire dans la réflexion publique fait que l'on est parfois démuni en termes d'analyse scientifique devant l'avis des experts sur des dossiers extrêmement techniques. Le réflexe que peuvent avoir les associations qui ne disposent pas de conseillers scientifiques est de vérifier si les experts sont indépendants.

Comment faire autrement qu'en contrôlant les liens en toute transparence, avec une possibilité pour l'expert de le savoir et de pouvoir répondre ?

M. Alain Milon, rapporteur - La mise en place d'une institution chargée de garantir la transparence et la déontologie de l'expertise, prévue par l'article 52 de la loi Grenelle I, répond-elle à la deuxième proposition de votre rapport ?

Comment expliquez-vous les réserves de la quasi-totalité des organismes publics consultés sur votre proposition ?

Le service central de prévention de la corruption, créé par la loi du 29 janvier 1993, s'est saisi de la question de l'indépendance de l'expertise dans son rapport 2008. Pensez-vous que son rôle doive être développé ?

Mme Marie-Dominique Furet - La loi Grenelle I répond sans répondre à la deuxième proposition du rapport.

Elle y répond en partie parce que l'on a une institution indépendante - encore qu'une autorité n'était pas vraiment nécessaire, le fonds devant guider la forme.

Elle n'y répond pas complètement si l'on se réfère à ce qui se fait à l'étranger dans d'autres domaines, comme celui des marchés financiers par exemple, où il existe une directive européenne instituant des principes déontologiques pour les commissaires aux comptes et une possibilité de contrôler leurs liens d'intérêts. Un juge, gardien des libertés, peut procéder au contrôle et a tous pouvoirs. Or, le pouvoir de contrôle ne figure pas dans la loi Grenelle I.

On trouve à la fin du rapport un tableau où nous avons établi, point par point, une synthèse validée par les autorités des positions sur les différentes propositions.

Les réserves venaient du fait que la proposition de loi du sénateur Claude Saunier avait pour but d'externaliser le recrutement des experts. Or, on trouve une mosaïque de dispositifs d'expertise ; qui mieux que les agences elles-mêmes peut procéder au recrutement et à la gestion des liens d'intérêts ? Il nous semblait donc que l'on ne pouvait pas le proposer. Il existait bien une crainte de voir les moyens externalisés ; nous avons essayé d'y répondre en suggérant qu'ils restent sous l'autorité du président des commissions d'experts ou des agences.

J'avais essayé, en 2007, de déterminer la quantité d'experts dont disposait le ministère de la santé en partant du jaune budgétaire. Nous avons réalisé que deux tiers se trouvaient dans les agences et un tiers à la DGS, soit plus de 10 000 déclarations d'intérêts, certains experts travaillant pour plusieurs agences. Il ne peut donc y avoir de contrôle systématique

Quant à confier aux services de prévention de la corruption le contrôle des liens d'intérêts, la proposition a déjà été faite dans la loi relative au droit des malades. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette autorité ne comptait pas la mission de contrôle parmi ses missions mais simplement une mission de formation sur la corruption. Ceci n'avait donc pu être maintenu dans la loi.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez proposé d'organiser le débat sur les conclusions de l'expert et de généraliser la norme AFNOR relative à la présentation du rapport d'expertise. Comment mettre en place ce débat quand l'expertise ne se présente pas sous la forme d'un rapport mais de délibérations successives d'un organisme ad hoc ou d'une agence ?

Mme Marie-Dominique Furet - Au moment de la préparation du rapport, nous réfléchissions à la manière d'introduire la démocratie sanitaire. Il se trouve que la réforme de l'expertise judiciaire, suite à l'affaire d'Outreau, avait été mise en oeuvre. Il était proposé que les parties puissent connaître le nom de l'expert et poser des questions, les réponses devant être annexées au rapport, de façon à éviter des contre-expertises et afin qu'aucune question ne puisse être occultée. Comment introduire le contradictoire ?

Nous trouvions qu'il s'agissait d'une bonne idée d'autant que l'InVS m'avait dit avoir cette habitude. Au début du rapport, je suis allée voir chaque directeur d'agence avec un guide d'entretien et les mêmes questions ont été posées à tout le monde sur les pratiques et les usages. On ne s'est pas contenté des chartes internes aux différentes structures mais on a regardé la pratique et interrogé les experts.

Dans l'ensemble, les directeurs d'agence pensaient qu'il s'agissait-là d'une possibilité. Demeure la question de la mosaïque de l'expertise. Nous sommes parvenus à la conclusion qu'en fonction du domaine d'expertise, il faudrait que des associations suffisamment pertinentes puissent être agréées. N'oublions pas que la convention d'Aarhus a permis aux associations d'ester en justice sur le fondement de la protection de la santé. L'expert devrait répondre à toutes les questions de l'association. Il convient ensuite de savoir s'il est préférable ou non de publier les réponses sur un site Internet.

Les parlementaires pourraient aussi poser des questions. L'Agence européenne du médicament (EMA), à la mise en place de laquelle j'ai participé, a, dans son conseil d'administration, des représentants du Parlement européen. Des parlementaires siègent dans des comités d'experts ou dans des conseils du fait de l'introduction de la démocratie sanitaire.

M. François Autain, président - Vous évoquez la création d'associations : il ne s'agit pas d'associations de malades qui reçoivent un agrément ? Vous pensez bien à des associations d'un autre type ?

Mme Marie-Dominique Furet - En effet, mais cela peut être dans certains cas des associations de malades. On ne voit pas comment on pourrait éviter de faire participer des représentants d'associations de patients atteints de maladies rares.

M. François Autain, président - Ce ne serait donc pas systématique mais au cas par cas ?

Mme Marie-Dominique Furet - Il faudrait un agrément. Si nous avions poursuivi les groupes de travail, sans doute aurions-nous déterminé comment envisager ces agréments. Faut-il, comme pour la Commission nationale des accidents médicaux, une liste d'associations agréées pouvant intervenir pour poser des questions ou faut-il un agrément des associations pour chaque type d'expertise ? Il faut étudier le champ de l'expertise dans sa diversité et y répondre ensuite.

M. Alain Milon, rapporteur - Faut-il diversifier les profils recrutés au titre de l'expertise ?

Faut-il inclure systématiquement des généralistes ou des cliniciens dans les comités d'experts ?

L'élaboration d'un code des nominations sur le modèle de celui qui existe au Royaume-Uni vous paraît-elle souhaitable ?

Mme Marie Dominique Furet - Je ne connais pas le code de nomination. Je n'ai pas travaillé sur le recrutement des experts mais sur la seule question du lien d'intérêts - même si les choses sont liées.

Certaines agences - l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) en particulier ou l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) - font des appels d'offres. Un comité est mis en place pour sélectionner les experts.

Ceci est lié au coeur de métier des agences. Le code de nomination dépend du type d'expertise. Tout dépend si l'on veut aller jusqu'au profil que l'on doit recruter. On ne recrutera pas les mêmes personnes à l'Institut de veille sanitaire (InVS), à l'AFSSAPS ou à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET).

Cela paraît évident mais peut-on faire un code ayant cette étendue, plus pratique pour les experts et allant dans le sens de la simplification administrative ?

S'agissant du fait d'inclure des généralistes, j'ai déjà à moitié répondu : c'est le fond qui guide la forme. Cela pose un problème de compensation du temps passé. Les praticiens des hôpitaux, les chercheurs, les enseignants-chercheurs ont besoin que l'expertise puisse être incluse dans leur carrière. Pour les généralistes, comment compenser leur manque à gagner en termes de revenus ?

Quant à la diversification des profils, là encore, le fond appelle la forme : qui mieux que les agences elles-mêmes, les bureaux de la DGS, lorsqu'il s'agit de groupes de travail, ou les comités d'experts peuvent définir les profils dont ils ont besoin ?

M. Alain Milon, rapporteur - Faut-il, comme vous le proposez, élaborer un code de déontologie de l'expertise venant à l'appui des décisions de santé publique ou généraliser et compléter les normes AFNOR, plus contraignantes ?

La déontologie permet-elle d'encadrer ce qui ne peut être standardisé, comme l'affirme l'Institut national du cancer (INCa) ?

Disposez-vous d'exemples de mise en oeuvre par les agences britanniques des règles du code de pratique adopté au Royaume-Uni en décembre 2007 ?

Une politique de transparence du type de la « Sunshine policy » américaine peut-elle être suffisante pour répondre au problème des conflits d'intérêts ?

Mme Marie-Dominique Furet - S'agissant de votre question sur la déontologie, elle revient à me demander la différence entre un code et une charte. Une charte ne comporte pas de sanction et revient à définir simplement des principes communs ; elle n'est pas opposable.

Il ne suffit pas de prendre un texte réglementaire et d'y placer une charte : encore faut-il un fondement législatif afin que l'on puisse avancer. A-t-on besoin de sanctions spéciales ? Peut-être le fait qu'il y ait rarement eu de sanctions pénales mises en oeuvre est-il un début de réponse. Le système a besoin d'une plus grande souplesse et de sanctions plus légères, plus dissuasives et plus faciles à prendre en compte.

S'agissant de la norme AFNOR, l'AFFSA et l'AFSSET la mettent déjà en oeuvre. Des représentants de ces deux agences ont participé à l'élaboration de cette norme mais, quand l'AFSSET a demandé que l'on généralise cette norme, on s'est heurté à plusieurs problèmes. L'AFSSA a fait valoir que la norme AFNOR ne pouvait répondre à certaines procédures d'urgence et qu'elle comportait certaines lacunes. Ainsi, elle ne prévoit pas de procédure de saisine et le commissionneur et le commissionné ne sont sûrs d'évoluer dans la même sphère de travail.

Selon mon expérience, les experts estiment qu'il s'agit d'un guide de bonnes pratiques mais il existe un certain nombre de lacunes par rapport au besoin de la sphère publique. La norme AFNOR utilise le terme de « client », celle-ci ayant été faite au départ pour et avec l'industrie.

Enfin, s'agissant du « Sunshine Act », c'est le fait de publier les liens d'intérêts qui est dissuasif. Cette pratique existe déjà. Je n'ai pas vu un seul des rapports publics qui ne posaient la question. Chaque fois que cela se vérifie, on n'a pas 100 % des déclarations d'intérêts.

En outre, certains experts et responsables d'agence auraient souhaité être davantage guidés ou que les démarches soient plus simples. M. Didier Tabuteau m'avait indiqué que les deux seules réactions efficientes du « Sunshine Act » touchaient la presse et les entreprises concurrentes.

Les associations le feront peut-être aujourd'hui davantage grâce à Internet. Deux éléments peuvent selon moi participer au « Sunshine Act ». Le premier réside dans la publication des liens d'intérêts sur Internet ou dans les rapports - encore que l'on reste dans cette culture du bénévolat et que si un lien n'est pas déclaré, personne ne le sait.

Bien souvent, ce n'est pas dans une mauvaise intention que les experts ne déclarent pas un lien mais plutôt parce qu'ils n'ont pas réalisé qu'il pouvait s'agir d'un conflit.

On rejoint là la question de la formation des experts à la responsabilité et à la définition du lien d'intérêts. Là encore, c'est vraiment une question de transparence.

En second lieu, lorsqu'on a affaire à une AMM européenne, comme pour les médicaments de haute technologie ou innovants, qui peuvent être distribués dans l'ensemble des Etats membres, pour des questions de brevet ou de concurrence, une négociation s'engage sur la publication du rapport d'évaluation - même s'il s'agit d'une certaine façon d'un accès à l'information. L'industriel doit largement justifier sa demande de retirer certains éléments du projet de rapport public d'évaluation. On n'a donc pas accès à tout. C'est en cela qu'il peut être intéressant que des associations agrées puissent poser des questions.

M. Alain Milon, rapporteur - Le réseau des experts européens en santé que préconise votre cinquième proposition n'existe-t-il pas de fait au travers des instances d'expertise européenne en matière de santé publique ?

Que pensez-vous de la quasi-obligation du recours au financement privé pour la participation des experts aux colloques ?

La multiplication des contraintes de nature déontologique et administrative est-elle, comme le suggère l'InVS dans sa réaction à l'une de vos propositions, de nature à décourager les experts ?

Enfin, pour la bonne information de nos collègues, l'AFSSA et l'AFSSET ont fusionné au 1 er juillet de cette année en une seule agence, dirigée par M. Marc Mortureux.

Mme Marie-Dominique Furet - Quand on travaille sur les questions européennes, on a le sentiment que le réseau d'experts européens existe ; il permet de développer aussi bien les pratiques que les échanges. L'Agence européenne du médicament dispose d'un pool d'experts parmi lesquels elle peut choisir. Ce pool est désigné par les Etats membres. On est là dans ce qu'on appelle la « comitologie » au sens européen du terme.

Par ailleurs, les autorités communautaires peuvent procéder à des appels d'offres et recruter de façon indépendante des experts en fonction de leur CV (curriculum vitae) . Les règles de la fonction publique européenne font que les déclarations publiques d'intérêts sont obligatoires.

Je ne suis pas certaine que, vu du niveau national, on ait ce sentiment. On se retrouve avec deux étages. C'est pourquoi je pensais qu'il fallait porter le code au niveau européen, comme on l'avait fait pour les certificateurs de bateaux et de navires ou les commissaires aux comptes. Si nous nous retrouvons, dans le domaine de la santé, dans un système où nous contrôlons les déclarations d'intérêts de nos experts, on aura certes un certain prestige en termes de fiabilité de la décision publique et un rayonnement important mais nos entreprises ne seront-elles pas pénalisées par rapport à celles des autres Etats ? Il ne faut donc pas perdre de vue qu'on évolue dans la sphère européenne. Tous les experts n'auront pas le sentiment que ce réseau existe. Le développement d'une déontologie harmonisée peut seul y contribuer.

Quant à la participation des experts au colloque - question récurrente s'il en est - à l'occasion d'une réunion avec l'ensemble des agences et les représentants d'experts pour établir une trame de code de déontologie, Mme Isabelle Durand-Zaleski a rapporté que lorsqu'elle intervenait dans des colloques à l'étranger, les liens d'intérêts passaient sur un écran pendant que l'intervenant prenait la parole. C'est effectivement utile pour la transparence.

Pour autant, les experts ont-ils la possibilité de financer leur participation à ces colloques autrement qu'en acceptant des invitations de l'industrie ? La question va au-delà de la réflexion contenue dans mon rapport.

L'InVS remarque qu'un trop grand nombre de démarches administratives peut décourager les experts. L'ensemble des experts que j'ai rencontrés m'ont fait cette remarque. Lorsqu'ils sont experts pour quatre instances différentes, on leur demande à chaque fois le même type de déclaration, les agences s'étant toutes inspirées les unes des autres pour établir leur formulaire de déclaration.

Une entité de contrôle qui serait aussi une instance de consultation en cas de doute et qui participerait à la formation des experts ferait forcément évoluer les choses ; à mon sens, il faut que les agences conservent le recrutement des experts et la gestion des liens d'intérêts.

Enfin, s'agissant de l'AFSSA et de l'AFSSET, au moment du rapport, les deux directeurs m'avaient donné chacun une réponse.

Je vais vous laisser un certain nombre de documents, dont la note que je vous ai lue, la note de transmission de mon rapport, en 2006, au directeur de cabinet de Mme la ministre de la santé, ma lettre de mission, l'analyse qui m'avait été demandée sur le projet de charte de la direction générale de la santé (DGS) et des agences ainsi que la présentation faite lors de la première réunion sur la déontologie de l'expertise au comité d'animation du système d'agences, qui indique les nouvelles orientations du cabinet.

M. François Autain, président - Merci.

Audition de M. Bernard BÉGAUD,
professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux,
directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations »
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux, directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations ».

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Bernard Bégaud prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Bernard Bégaud - Je n'ai pas de liens - j'allais dire malheureusement - mais je le retire. Parfois, je le regrette !

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Bernard Bégaud - C'est un honneur pour moi d'être auditionné dans le cadre de cette commission d'enquête.

Je serai assez bref, mes propos risquant d'être décevants et d'ouvrir des débats qui sont déjà clos sans apporter grand chose de plus.

Je voudrais quand même dire en introduction quelques mots sur mon ressenti de la campagne et son contexte. Je le fais en tant que médecin et spécialiste des problèmes d'impact des produits de santé - et les vaccins en sont - sur les populations, à la lumière d'une affaire qui m'a personnellement beaucoup marqué, celle de la vaccination contre l'hépatite B, sur laquelle j'ai beaucoup travaillé, alors que j'ai peu travaillé sur la présente campagne.

Les pays développés, l'Europe notamment, se sont trouvés confrontés à un risque pandémique ; l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont c'est le rôle, a fourni des indications sur ce risque, sur son niveau et sur la ou les stratégies à adopter. Il est évidemment revenu aux Etats d'adapter les moyens de prévention en fonction de leur système de santé, qui varie d'un pays à l'autre.

Dans le domaine de la politique de santé publique, on peut s'étonner de disparités aussi grandes entre des pays assez proches - je pense en particulier à l'Union européenne.

Second commentaire : il est difficile de reprocher aux Etats d'avoir mis en oeuvre des moyens même si, a posteriori , ceux-ci peuvent paraître excessifs, de manière à protéger au mieux la population. On est, en effet, là dans un principe d'incertitude et de scénario du pire.

Cela étant, il est vrai que le dispositif français paraît quelque peu disproportionné mais il est évidemment assez facile à un expert bureaucrate comme moi de le dire, surtout après coup.

Cette affirmation doit cependant être atténuée par les informations assez peu alarmistes qui provenaient des pays touchés avant nous et ayant un système de santé comparable au nôtre.

Troisième commentaire : la mise en place d'un système de vaccination de masse impose des délais très longs, compte tenu de la phase de modélisation des risques et des stratégies, de la mise au point et de l'évolution des vaccins, de leur fabrication, des négociations d'achat, des stockages, de la répartition des stocks, etc. Ceci peut expliquer qu'au terme de ces nombreux mois, on se trouve en décalage avec la réalité.

Pour entrer dans le vif du sujet - et sans vouloir « aboyer avec les loups » car je connais pour les avoir vécues ce genre de difficultés - je voudrais faire quelques commentaires.

En premier lieu, vous me permettrez de ne pas suivre une ligne d'autosatisfaction que j'ai pu voir dans la presse ou lors des débats retransmis par la chaîne parlementaire, qui consiste à dire que, dans cette affaire, tout a fonctionné pour le mieux et que, si c'était à refaire, on ne changerait rien et ceci pour deux raisons.

La première, c'est qu'il existe de sérieuses interrogations sur la campagne passée ; en second lieu, du fait de la frénésie des déplacements et de la mondialisation qui caractérise notre planète, nos pays seront de plus en plus menacés par des pandémies de ce type, parfois par des virus plus agressifs. Il convient donc d'être certain que la stratégie qui s'est développée pour le H1N1 est une réponse à la hauteur des menaces.

Ces deux interrogations se résument en fait à une seule question : le dispositif mis en place par le Gouvernement français aurait-il efficacement protégé la population si le virus H1N1 avait eu la dangerosité qu'on lui prêtait au début et s'il avait été associé à une mortalité d'au moins 10 % ?

En santé publique, quels que soient les débats, on est obligé de juger par rapport à ce qui a été fait ; si on juge ce dispositif par rapport à ce qui a été réalisé au cours de l'automne-hiver 2009-2010, la réponse est évidemment non : quand l'alerte a été levée, un peu plus de 5 millions de personnes avaient été vaccinées, soit 8 à 10 % de l'objectif initial, qui était de 47 millions. A cela, certains experts ont rétorqué qu'on avait atteint le seuil de 30 % de la population immunisée, seuil présenté à tort comme une fin en soi, du fait qu'à ces 10 % de vaccinés se surajoutaient 20 % de la population immunisée par comptage.

Cet argument est irrecevable car il reconnaît implicitement que 20 % de la population ont été atteints par le virus malgré la campagne, ce qui représente 12 millions de personnes. Si 10 % de ces 12 millions avaient développé une forme clinique et étaient décédés, cela aurait représenté 120 000 morts.

Soit le Gouvernement a su très tôt que le virus H1N1 n'avait pas la dangerosité redoutée et n'a pas fait fonctionner le dispositif à plein tout en maintenant une pression dramatique, soit le dispositif a été ou aurait été incapable de faire beaucoup mieux et c'est réellement inquiétant a posteriori mais surtout pour l'avenir. C'est la question majeure. Je n'ai pas la réponse mais cela me paraît le point essentiel de l'affaire.

Pour conclure, deux autres aspects méritaient d'être signalés. Il s'agit des aspects idoines de la campagne d'information et le fait que la campagne vaccinale H1N1, au lieu de solder l'échec de celle de l'hépatite B - qui, pour moi, est une honte républicaine - a aggravé encore la crise de confiance de la population française, en particulier des plus jeunes et du corps médical, vis-à-vis du vaccin.

S'agissant de la « cacophonie » de la campagne, un certain nombre de messages ont été inadaptés : on a dénombré probablement trop d'intervenants et trop d'organismes. Peut-être les egos se sont-ils étalés. On a présenté les vaccins avec adjuvant comme sans risque alors que l'on affirmait dans le même temps qu'on avait préparé des lots sans adjuvant pour les personnes à risque !

De la même façon, le fait d'annoncer pratiquement tous les jours le nombre de morts ne pouvait qu'induire la question de savoir combien la grippe saisonnière tue habituellement de personnes. Les chiffres étant beaucoup plus forts, certaines personnes - à tort selon moi - ont estimé que cette pandémie n'était pas si grave et qu'ils n'iraient donc pas se faire vacciner.

Ce sont des erreurs que l'on connaît dans le domaine de la gestion de la santé publique ; je ne comprends donc pas pourquoi elles ont été commises.

Pour en revenir à la campagne vaccinale, la France n'a pas, contrairement à ce qu'elle croit, inventé le vaccin - c'est plus Jenner que Pasteur - mais demeure extrêmement attachée à la vaccination. Il y a eu, ces dernières années, une non-adhésion de la population qui s'est développée avec la gestion catastrophique du lancement de la campagne contre l'hépatite B ; la décision - qui pouvait peut-être se justifier - de ne pas recourir au corps médical généraliste pour la vaccination a creusé un fossé, la campagne ayant presque été menée contre le corps sanitaire, ce qui laissera malheureusement peut-être des séquelles !

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vous poserai une série de trois questions concernant la vaccination.

Tout d'abord, on a constaté que, dans l'hémisphère Nord, les vaccins sont arrivés trop tard pour faire barrage à la pandémie et même, comme nous l'a indiqué le professeur Bruno Lina, « à la limite de l'intérêt individuel ». Doit-on en conclure que la réponse vaccinale n'est pas adaptée à la lutte contre une pandémie grippale ? Quel jugement portez-vous sur les différentes stratégies vaccinales nationales ?

En second lieu, vous aviez établi, dans une interview au journal Libération , le 1 er février 2010, une distinction entre la campagne vaccinale contre l'hépatite B, dont vous aviez jugé qu'elle avait été « prise en mains » par les fabricants, et la vaccination antipandémique. Pourriez-vous développer cette distinction ?

Que pensez-vous des différences entre les procédures américaine et européenne d'autorisation des vaccins pandémiques ? Quels peuvent être leurs avantages et inconvénients respectifs en termes de délais de mise à disposition des vaccins et de sécurité des produits ?

M. Bernard Bégaud - Je ne suis pas sûr d'être bien placé pour répondre à la première et à la troisième questions. Je serai donc assez court car j'estime ne pas être la personne idéale.

Quant au jugement sur les stratégies différentes entre les Etats-Unis et l'Europe, je ne suis pas sûr également d'être bien placé pour y répondre.

Il a été dit très vite que c'était une affaire d'experts ou de corruption, mettant en scène l'OMS, etc.

Il est très difficile de ne pas avoir de conflits d'intérêts dans des décisions de ce type ; les agences et les Etats ne sont pas allés jusqu'au bout pour s'en protéger. On peut le regretter pour certains, qui font beaucoup trop reposer les décisions sur les experts en oubliant l'évaluation.

L'expert, même s'il est très attaché à un groupe pharmaceutique, exprime son idée qui est ensuite à nouveau analysée par des évaluateurs internes indépendants, qui pondèrent les éventuels excès.

Il est regrettable de constater qu'il existe parfois une véritable dictature des experts, que l'on suit, faute de moyens pour développer une capacité d'évaluation interne capable de déceler une contradiction évidente. Je citais l'exemple, dans Le Monde , d'un expert lié à un laboratoire qui, pour défendre les hypocholestérolémiants, a remis à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) une estimation du nombre de cas d'infarctus évités qui dépassait le nombre total d'infarctus survenus en une année en France ! Un évaluateur peut voir que cela ne tient pas debout !

Il existe donc des conflits d'intérêts, c'est inévitable. Dans le cas du H1N1, cela ne m'a pas paru le point principal. Dans le cas de l'hépatite B, on a vu un fabricant prendre en main la campagne vaccinale avec des messages ahurissants. Il affirmait, à l'époque, sur les ondes et dans la presse qu'en France, l'hépatite B tuait plus en un jour que le Sida en un an ! C'était un message scandaleux de santé publique qui a cependant servi à promouvoir cette campagne qui, au lieu de cibler les nourrissons et les 10-11 ans, a ciblé pour les deux tiers les adultes, ce qui explique le fait qu'on a observé un nombre de scléroses en plaque assez important qui n'existe pas chez les nourrissons.

La France avait acheté et payé au prix fort 90 millions de doses de vaccins - une dose et demie par habitant - pour avoir la plus mauvaise couverture vaccinale d'Europe contre l'hépatite B.

M. François Autain, président - Avec le H1N1, on n'est pas loin de cette situation !

M. Bernard Bégaud - Sauf si on les revend ; dans le cas de l'hépatite B, les doses ont été injectées à des adultes qui n'en avaient pas besoin. Pour la grippe H1N1, on a des stocks non utilisés ; je ne sais ce qu'ils deviendront mais c'est un peu différent.

Les gens ont eu en permanence le spectre de l'hépatite B quand ils ont conçu le plan contre la grippe H1N1 mais je m'étonne que l'on n'ait pas expié cette erreur et qu'on ne s'en soit pas davantage servi dans l'anamnèse, en particulier dans la communication et dans la gestion avec ou contre le corps médical.

En revanche, alors qu'aucun plan de gestion des risques n'avait été mis en place pour l'hépatite B, le plan de pharmacovigilance a très bien fonctionné.

M. François Autain, président - Etablissez-vous un lien de cause à effet entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaque ?

M. Bernard Bégaud - Non.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Après combien de temps se manifeste-t-elle ?

M. Bernard Bégaud - On expliquait qu'il s'agissait alors d'une protection à vie - chose que l'on ne savait pas à l'époque puisqu'on ne disposait pas des données des cohortes de Taiwan - et que l'hépatite B se transmettait par rapport sexuel. Les mères des nourrissons préféraient alors généralement attendre que leur enfant ait 15 ou 16 ans pour qu'il décide librement.

Paradoxalement, dans le même temps, les mêmes parents, s'ils travaillaient dans l'administration, étaient incités à se vacciner tous les quatre ou cinq ans. Certains adultes ont reçu huit à dix doses. Sachant que la sclérose en plaque est assez fréquente chez l'adulte entre 16 et 45 ans - et deux fois plus chez la femme - on peut déduire par un simple calcul de probabilité plusieurs centaines de coïncidences entre vaccination et sclérose en plaque dans les quatre ou huit semaines.

M. François Autain, président - Il s'agit donc bien d'une coïncidence.

M. Bernard Bégaud - C'est difficile à affirmer. M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé, avait demandé que l'on mène des études. Notre département a montré qu'il existait un peu trop de cas mais non significatifs. On ne sait s'il s'agit de cas totalement fortuits - ce qui paraît le plus probable - ou de cas induits par le vaccin mais qui seraient survenus plus tard à l'occasion d'une grippe ou d'un stimulus immunitaire. En somme, le vaccin aurait accéléré leur révélation.

Toujours est-il que cette affaire n'a eu lieu qu'en France, seul pays où on a vacciné aussi massivement les adultes en âge de développer la maladie, les autres pays d'Europe du Nord, comme l'Italie, ayant continué à vacciner les adultes à risque : les transfusés, les personnels de santé et les gens ayant de multiples partenaires sexuels.

M. François Autain, président - Vous indiquez qu'il y a eu conflit d'intérêts pour la vaccination contre l'hépatite B ; vous avez tendance à l'exclure pour la vaccination H1N1. Savez-vous comment sont gérés les liens d'intérêts pour ce qui est de l'OMS ? En France, la transparence n'est peut-être pas encore ce qu'elle devrait être mais elle existe, alors qu'à l'OMS, la commission d'urgence qui a pris les décisions les plus importantes concernant cette pandémie, est constituée d'experts dont on ne connaît ni l'identité ni les liens d'intérêts. On ne connaît que le professeur John Mackenzie, qui est australien.

Cette opacité ne risque-t-elle pas d'entretenir une certaine suspicion à l'égard de ces experts qui ont joué un rôle déterminant dans cette grippe - d'autant que l'on sait que le niveau 6 a été décrété à un moment où l'on savait que cette grippe n'était pas aussi grave que l'on aurait pu le craindre ? On a, nous dit-on, décrété cette pandémie après en avoir modifié sa définition, comme si cela était nécessaire pour pouvoir enfin utiliser un certain nombre de vaccins en attente.

M. Bernard Bégaud - C'est bien la question qui est posée. Je ne puis répondre, n'ayant pas fait d'investigations moi-même.

A l'époque, j'avais été assez surpris par les évaluations ou même certaine prises de position de l'OMS. Du reste, je travaille à l'heure actuelle à l'écriture d'un ouvrage sur cette affaire : il y a beaucoup de choses à dire et il faudra un jour en sortir.

Certes, l'OMS dit que les noms des experts sont tenus secrets pour les protéger. Je ne sais si c'est vrai ou non. Pour éviter toute ambiguïté, il conviendrait que l'OMS réponde clairement à cette question ou que le système soit plus respectueux de la séparation de l'expertise et de l'évaluation.

Tout système, public, privé ou supranational, s'il ne respecte pas le principe de séparation de l'expertise et de l'évaluation, ne peut fonctionner ou connaîtra des crises.

M. François Autain, président - Le système français fonctionne et s'est amélioré...

M. Bernard Bégaud - Il faut encore renforcer l'évaluation.

M. François Autain, président - Quelles seraient vos recommandations pour améliorer son efficacité et en contrôler le respect ? J'ai lu dans l'une de vos interviews que vous affirmiez que l'on faisait confiance aux experts pour déclarer leurs liens mais que s'ils ne les déclaraient pas, ils ne risquaient pas grand chose. Je pense que vous avez raison. Cela ne veut pas dire qu'on ne doive pas faire confiance aux experts pour faire leur déclaration mais il serait peut-être nécessaire de mettre en place une structure qui puisse effectuer ce contrôle qui n'existe pas.

M. Bernard Bégaud - Le contrôle existe à l'AFSSAPS ou à la Haute Autorité de santé (HAS)...

M. François Autain, président - Parlons de sanctions dans ce cas...

M. Bernard Bégaud - Je ne sais pas si c'est ce qu'il faut ou s'il ne faut pas exiger que la décision soit entièrement fondée sur les opinions des experts.

Il faudrait en France et dans les autres pays des règles plus claires sur l'expertise. Un expert qui n'aurait pas déclaré ses liens devrait, selon moi, être exclu et ne plus faire partie de la liste.

Cela ne résoudra pas le problème de la nécessité absolue d'une expertise interne par des gens compétents. C'est là où le bât blesse. Cela signifie aussi des moyens mais on peut les trouver.

Je suis toujours très inquiet lorsque je vois qu'il n'existe presque pas d'échelon intermédiaire dans une décision. C'est un péché originel qui est difficile à rattraper.

Je suis d'accord sur le fait qu'il faut une charte de l'expertise en matière de rémunérations et de bonne conduite ainsi que des sanctions mais il y a aussi le problème de l'évaluation.

M. François Autain, président - Seriez-vous favorable à un guichet unique et que, dans les conseils départementaux, nous puissions créer une liste de tous les experts qui ont des liens avec les laboratoires ?

Actuellement, ces liens sont tenus secrets par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM). Pensez-vous qu'il serait souhaitable de les porter à la connaissance du public ?

M. Bernard Bégaud - Oui, les experts sont souvent libéraux. Ce que vous proposez me paraît une bonne solution à l'échelon départemental. Ce sont aussi souvent des hospitaliers ou des hospitalo-universitaires.

J'ai été président d'université. Très souvent, l'employeur - le ministère de la santé et par délégation l'université ou le CHU (centre hospitalier universitaire) - n'est pas au courant des liens qui existent, ni même des activités « dévoyées ».

M. François Autain, président - Il me semble que figure dans la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST) une disposition qui doit remédier à cette situation.

M. Bernard Bégaud - Absolument. C'est récent et ne concerne que le volet hospitalier. Je pense que l'industrie pharmaceutique serait d'accord. Cela devrait faire l'objet d'un contrat dont l'employeur ne peut être exclu.

Cette transparence règlerait aussi le problème de l'employeur. Personnellement, je suis conscient qu'une partie du temps rétribué de ces personnes est consacrée à des expertises, de la consultation ou des travaux dont on n'a pas toujours connaissance. Certains entrent dans le cadre de contrats connus mais, très souvent, on n'est pas au courant.

M. François Autain, président - En ce qui concerne l'insuffisante rémunération des experts, j'ai cru comprendre en vous lisant que vous estimiez avec raison que les experts n'étaient pas suffisamment rémunérés par les organismes publics. Vous avez fait référence à des anecdotes qui vous ont choqué.

Comment établir une tarification juste, selon quels critères, et à quel niveau normatif ? Par exemple, la charte mise en place par la Haute Autorité de santé vous semble-t-elle un modèle pertinent ?

M. Bernard Bégaud - La charte de la Haute Autorité me paraît être un net progrès bien que je ne crois pas que cela réponde à tout.

Pour ce qui est de la rémunération des experts, il existe un contraste considérable. On peut citer des chiffres : pour un expert de ligne 1, les Américains payent un minimum de 1 500 dollars par jour alors qu'à l'AFSSAPS, il arrive que l'on ne vous rembourse même pas votre taxi !

Ce n'est pas très sain. Toute différence, quand elle persiste, est contre nature et cela m'inquiète. Je me demande pourquoi les gens continuent, soit parce qu'ils ne peuvent faire autrement soit parce que le fait d'être expert auprès d'agences les met en position d'être courtisés. Cela entretient le conflit d'intérêts.

Je pense que les experts eux-mêmes ne demandent pas à être rétribués par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), l'AFSSAPS ou autres agences à telle ou telle hauteur mais il y a un chemin symbolique à parcourir.

Quand j'allais à l'OMS ou au CIOMS (Council for International Organisations of Medical Sciences), à l'époque, nous percevions 50 dollars de per diem par jour, ce qui nous permettaient soit de payer le taxi, soit le déjeuner mais on n'en était pas de sa poche et cela changeait tout.

Il faut également regarder à qui appartient le temps de l'expertise. Si c'est un libéral, c'est pour lui ; si c'est un salarié de l'hôpital ou de la fonction publique, je pense que c'est l'employeur qui devrait contracter, quitte à avoir une faible incitation. C'est dévoyer le système que de rétribuer l'expert.

J'avais proposé que l'équipe que je dirigeais puisse avoir un contrat annuel avec l'Agence et s'engage à ne pas avoir de contacts autres. Il s'agit là d'un contrat d'organisme à université ou d'organisme à CHU.

M. François Autain, président - Aux Etats-Unis, la proposition de deux sénateurs - le Physician Payments Sunshine Act - a été intégrée dans la loi de réforme du secteur de la santé : les entreprises devront déclarer aux autorités publiques toutes leurs relations financières avec les médecins et les établissements de santé, sous peine d'amende. Ces déclarations, centralisées au niveau fédéral, seront publiées sur Internet. Que pensez-vous de ce dispositif ?

M. Bernard Bégaud - Je pense que c'est un système auquel nous arriverons forcément. Je ne vois pas l'intérêt de cacher ce genre de relations. Il est normal que l'industrie pharmaceutique fasse appel à des experts ; il est normal qu'ils acceptent. Je ne vois pas l'inconvénient qu'il y a à le faire connaître et je me permets de dire que je suis très inquiet quand je vois que l'on ne veut pas le dire ou le faire connaître. On se demande toujours pourquoi.

Je ne vois pas la honte qu'il y a à travailler pour l'industrie pharmaceutique - au contraire ! Je vois donc cela d'un très bon oeil.

Quand je lis la prise de position de tel ou tel professeur sur tel ou tel médicament, j'ai envie de savoir s'il est d'un côté ou de l'autre. Cela me paraît une très bonne chose. Je pense que l'on y arrivera forcément en Europe.

M. François Autain, président - Auditionné par la commission d'enquête, le docteur Yves Charpak a observé que la course aux brevets, dans un contexte de concurrence, conduisait à une convergence d'intérêts entre les laboratoires et le experts.

Assiste-t-on à une transformation des conflits d'intérêts, et comment pourrait-on alors les traiter ? Conviendrait-il d'élargir le cercle de l'expertise, par exemple, dans le cas de la grippe, en ne s'adressant pas aux seuls spécialistes des virus grippaux de manière à tempérer les risques que peuvent engendrer ces conflits d'intérêts ?

M. Bernard Bégaud - C'est une remarque intelligente qui ne m'étonne pas de la part d'Yves Charpak.

Je pense que, de la même manière, un bon ministre de la santé n'est pas forcément médecin ou un bon ministre des sports n'a pas forcément couru le 400 mètres.

M. François Autain, président - Médecin ou pharmacien !

M. Bernard Bégaud - J'ai employé le terme volontairement, par rapport à la ministre actuelle.

Je ne vois pas en quoi les experts et les présidents de commissions idoines doivent être forcément issus de la spécialité. Une bonne façon de diluer les conflits d'intérêts est de faire appel à des gens extérieurs ; cela offre un autre intérêt, celui d'éviter l'endogamie. Il existe parfois des monomanies transitoires et des courants de mode où les experts ne font que répéter les choses, même tout conflit d'intérêts écarté.

M. François Autain, président - Ce sont là des liens d'intérêts intellectuels.

M. Bernard Bégaud - Je crois que le président de la HAS y pense.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Bien souvent, les conflits d'intérêts intellectuels partent de la même norme de pensée.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, merci.

M. Bernard Bégaud - Pardon de ne pas vous avoir apporté beaucoup.

M. François Autain, président - Au contraire ! Vous avez parfaitement répondu aux questions.

M. Bernard Bégaud - J'ai les mêmes incertitudes que votre commission.

M. François Autain, président - Nous ne devons pas en avoir, surtout à la fin de notre commission. Nous devrons apporter des réponses aux questions que nous nous posons encore. C'est toute la difficulté de notre tâche.

Audition de MM. Christian LAJOUX, président,
Philippe LAMOUREUX, directeur général,
Mme Aline BESSIS, directeur en charge des affaires publiques,
et M. Fabrice MEILLIER, responsable des affaires réglementaires, du LEEM
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons les représentants des entreprises du médicament, le LEEM : MM. Christian Lajoux, président, Philippe Lamoureux, directeur général, Mme Aline Bessis, directeur en charge des affaires publiques et M. Fabrice Meillier, responsable des affaires réglementaires.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Christian Lajoux, Philippe Lamoureux, Mme Aline Bessis et M. Fabrice Meillier prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire ; je vous poserai ensuite les questions que le rapporteur aurait dû vous poser, en y ajoutant bien entendu les miennes.

Vous avez la parole.

M. Christian Lajoux - Pour la première fois dans l'histoire, le monde s'est préparé à une pandémie de grippe.

Les pandémies font partie de l'histoire naturelle de la grippe. Elles se sont produites régulièrement par le passé. Les virus grippaux sont nombreux et mutent constamment. Ils peuvent même se combiner entre eux pour générer de nouveaux virus contre lesquels la plupart d'entre nous auront peu ou pas d'immunité, ce qui peut être à l'origine de maladies graves.

Depuis les premiers alertes sur une possible pandémie causée par le virus de la grippe aviaire H5N1 en 2004, le monde s'est préparé à une pandémie.

Cette préparation s'est intensifiée et accélérée dès la détection, au Mexique, en avril dernier, du virus grippal.

Si la gravité de la maladie s'est avérée comparable à celle des virus saisonniers qui affectent plusieurs millions de personnes tous les ans et sont responsables de plusieurs milliers de décès annuellement en France, il n'était pas alors possible de prévoir que le virus muterait ou ne se combinerait avec un autre virus grippal qui le rendrait encore plus dangereux.

En tout état de cause, la vaccination reste et restera le meilleur outil de prévention face aux virus circulants et face à ces mutations potentielles.

Les entreprises du médicament ont soutenu les autorités et les professionnels de santé dans la lutte contre la pandémie A (H1N1)v.

Sur les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et des experts nationaux et internationaux, les pouvoirs publics ont décidé d'organiser des programmes de vaccination à large échelle afin de protéger leurs populations. Les entreprises du médicament, contribuant depuis des années à la préparation pandémique et au développement du vaccin nécessaire, se sont efforcées de répondre présent.

Dès l'identification du virus H1N1 en avril 2009 et la mise à disposition de sa souche par l'OMS, elles ont tout mis en oeuvre pour produire les vaccins en moins de six mois.

Les entreprises du médicament n'ont pas attendu l'apparition du virus en avril 2009 pour se préparer à faire face à cette pandémie. Elles se sont investies depuis plusieurs années dans une stratégie d'anticipation afin de pouvoir, le moment venu, mettre à la disposition des populations et des gouvernements des moyens de diagnostic, de prévention et de lutte contre un nouveau virus émergent.

Elles ont optimisé leur niveau de recherche et développement dans l'objectif de prévenir ou de combattre ces nouveaux risques sans connaître en amont la solvabilité des marchés existants et, par conséquent, sans être certaines d'un éventuel retour sur investissement à plus ou moins long terme.

Elles ont ainsi fait face à des enjeux et des investissements importants en termes de recherche et de développement, ont adapté, renforcé et développé leurs outils de production et leur système d'approvisionnement et de distribution. Elles ont augmenté leurs stocks et leurs capacités de stockage, notamment d'antiviraux mais aussi d'antibiotiques.

Parallèlement, nous avons investi dans des moyens de prévention afin de maintenir leur activité économique tout en assurant la sécurité et la protection de nos salariés.

Au même titre que de nombreux secteurs d'activité, nous avons investi dans l'achat massif de moyens de protections individuelles - masques, gants, solutions désinfectantes, etc. - et afin de pouvoir mettre à la disposition de nos salariés des méthodes alternatives de travail - notamment le télétravail - et de plans de continuité de leurs activités de façon à permettre la conduite de nos activités, y compris dans l'hypothèse d'une épidémie importante.

Il nous faut préciser que le vaccin n'est pas le seul domaine dans lequel les entreprises du médicament doivent jouer leur rôle d'acteur de santé et assurer la continuité de notre activité.

Dans la préparation et dans la lutte contre une crise sanitaire, nous avons été globalement confrontés à trois problématiques : assurer la production du vaccin, la production et le stockage des médicaments antiviraux, largement anticipés, notamment pour ce qui concerne les capacités de production que Sanofi Pasteur et GSK ont augmenté depuis plusieurs années.

Il ne faut pas oublier non plus que les entreprises du médicament doivent assurer la continuité dans l'approvisionnement en médicament pour le traitement de pathologies aiguës ou chroniques des patients. Notre rôle consistait à répondre présent face aux risques du virus H1N1 mais il fallait également, dans l'hypothèse d'une pandémie, continuer à fournir les médicaments contre l'hypertension, le diabète, l'épilepsie, etc.

La production de nos médicaments est souvent une production internationale qui dépend de fournisseurs de matières premières, de fabricants et de sous-traitants localisés aux quatre coins du monde. Par ailleurs, c'est un système de distribution efficace pendant la crise qui permettra de faire en sorte que les médicaments soient disponibles en pharmacie ou à l'hôpital.

Les entreprises ont particulièrement veillé à se coordonner avec l'ensemble des acteurs de la chaîne du médicament : les grossistes répartiteurs, les transporteurs et les pharmaciens d'officine.

Grâce au travail d'anticipation et de suivi, l'industrie pharmaceutique figure aujourd'hui parmi les secteurs économiques et stratégiques les mieux préparés à une crise majeure. Nous avons été en mesure de mettre à la disposition de la population des vaccins contre la grippe H1N1 en moins de six mois et de produire en quantité très importante les médicaments antiviraux tout en restant capables de maintenir l'approvisionnement de l'ensemble des médicaments indispensables.

Pour répondre présent aux demandes qui étaient formulées, le LEEM, qui est le collectif des entreprises du médicament qui agit sur le champ collectif et non sur le champ individuel, s'est préparé en amont à une telle pandémie. Dès 2005, au moment des craintes concernant la grippe aviaire, les entreprises du médicament et le LEEM se sont préparés, en relation avec les pouvoirs publics, à faire face à une pandémie grippale et à mettre en place des plans de continuité des activités.

En relation avec le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et la cellule de crise de la Direction générale de la santé (DGS), le LEEM émet des recommandations dès 2005 et des orientations régulièrement actualisées à destination de ses adhérents, et prend des mesures avec les autres acteurs de la chaîne du médicament et des dispositifs médicaux.

Les principales mesures prises par notre organisation concernent la production et la distribution.

Concernant la production, il s'agit de :

- la publication en 2006 d'un guide pratique pour aider ses entreprises adhérentes à construire leur plan de continuité. Ce document a été complété le 8 septembre 2009 par des recommandations précisant les indicateurs devant permettre d'adapter les activités des entreprises selon le niveau de la pandémie en France ;

- l'identification en 2008 en partenariat avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), des médicaments dont l'approvisionnement doit être maintenu en cas de pandémie ;

- la sensibilisation et l'aide aux entreprises pour l'organisation d'exercices. Le LEEM a participé aux exercices nationaux - Pandémie 07 en janvier 2008 et Pandémie 09 en janvier 2009 ;

- en septembre 2009 enfin, à la demande des autorités nationales, un état des stocks et des capacités de production des médicaments antipyrétiques et des antibiotiques a été établi.

En ce qui concerne la distribution, le LEEM s'est coordonné avec tous les acteurs de la chaîne du médicament - chambres syndicales des grossistes répartiteurs et des dépositaires, Ordre national des pharmaciens, syndicats de pharmaciens d'officine.

Voilà la façon dont nous avons agi avec notre organisation professionnelle, collectif des entreprises elles-mêmes, sans nous immiscer dans la gestion ni dans les stratégies individuelles de chacune des entreprises, avec le souci de l'intérêt général et de préparer au mieux nos adhérents au risque et aux nécessités face à cette pandémie telle qu'elle nous a été présentée, de façon à répondre aux attentes des autorités de santé.

M. François Autain, président - Je pense que vous avez répondu au-delà de leurs attentes puisque, si ce que je lis dans le Quotidien du Médecin est exact, on a produit un milliard de doses et 200 millions seulement ont été utilisées. Je parle sous réserve de l'exactitude de ces chiffres dont je ne connais pas la source. Sur ce plan, vous avez donc réussi !

La DGS a développé une argumentation tendant à combattre l'hypothèse formulée dans le projet de résolution et consistant à dire qu'un certain nombre d'indices tendaient à prouver que l'OMS, les autorités sanitaires des Etats et certains Etats avaient été manipulés, notamment par l'industrie pharmaceutique afin de commander un nombre maximum de vaccins.

Sur ce plan, l'objectif a été atteint. Vous avez sans doute lu ce plaidoyer dans le compte rendu qui en a été fait dans le Bulletin du Sénat. Etes-vous d'accord avec cette affirmation de M. Didier Houssin, selon laquelle - je cite - « l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins » ?

M. Christian Lajoux - La manipulation de l'industrie du médicament est une affirmation que je conteste formellement, même si je n'ai pas de responsabilités internationales. J'évolue dans un grand groupe international et je rencontre des industriels qui dépendent de leur direction internationale. Nous avons dû, malgré la préparation liée au risque de pandémie 2005, nous organiser face aux risques qui se manifestaient fin 2009-début 2010.

Je souscris donc à la position de la DGS et je l'illustre avec quelques exemples. Dès l'instant où les autorités du pays ont demandé aux industriels du médicament de fabriquer les vaccins, s'est posée la question du délai de livraison ; les industriels ont chaque fois rappelé qu'il était impossible de développer ces vaccins en deçà d'une période de cinq à six mois.

Les premiers vaccins sont d'ailleurs arrivés tardivement par rapport aux manifestations de l'épidémie, ce qui montrait bien que les industriels n'avaient ni organisé ni infléchi les décisions qui avaient été prises. Au niveau international en tout cas, nous n'avons jamais été en mesure de faire autre chose que de nous préparer à des attentes qui nous apparaissaient complètement légitimes et à nous mobiliser face à celles-ci.

M. François Autain, président - Vous souscrivez donc à cette déclaration de M. Didier Houssin selon qui l'industrie pharmaceutique n'était pas prête à répondre à une demande importante de vaccins ?

M. Christian Lajoux - L'industrie n'était pas prête à répondre à une demande importante de vaccins ; elle s'est organisée pour y répondre.

Un certain nombre de nos entreprises se sont organisées pour travailler 24 heures sur 24, sept jours sur sept dans les sites de production avec, pour certaines firmes, la double nécessité de se préparer pour délivrer les vaccins contre l'épidémie en question et de continuer à livrer l'hémisphère Sud avec les vaccins saisonniers que l'on a fabriqués dans les mêmes sites.

Plusieurs industriels ont donc dû réorganiser totalement leur production afin de livrer les vaccins pour l'hémisphère Sud et préparer la livraison de vaccins contre l'épidémie H1N1.

M. François Autain, président - N'étiez-vous pas prêts parce que vous n'avez pas eu le temps de vous préparer ou parce que les commandes étaient trop importantes ?

M. Christian Lajoux - Non, pas du tout, le vrai problème est que nous n'avons disposé de la souche du vaccin qu'à partir de la fin du mois de juin.

M. François Autain, président - On peut cependant interpréter la déclaration de M. Didier Houssin comme le fait que vous n'étiez pas prêt parce que vous n'aviez pas les moyens de faire face à la demande, même lorsque vous aviez connaissance de la souche...

M. Christian Lajoux - Il existe des éléments qu'on ne peut modifier : une fois que l'on a connaissance de la souche, il faut cinq à six mois pour élaborer un vaccin. Les industriels ont toujours dit - et cela va dans le sens des déclarations de M. Didier Houssin - qu'il fallait leur laisser le temps de se préparer, de développer, d'expérimenter, d'obtenir les autorisations des agences de sécurité sanitaire européennes et nationales, de façon à assurer la sécurité des patients.

M. François Autain, président - Sous cette réserve, vous étiez prêt à répondre à une demande importante de vaccins. La preuve, c'est que vous y avez répondu.

M. Christian Lajoux - Nous n'y avons pas répondu dans les délais requis par les premières manifestations de l'épidémie, les premiers vaccins étant arrivés mi-novembre.

M. François Autain, président - Il y a eu une vaccination limitée en octobre pour les professionnels de santé...

M. Christian Lajoux - Cela démontre bien que l'on avait besoin de cinq à six mois !

M. François Autain, président - C'est tout à fait normal. Le virus est arrivé un peu trop tôt !

M. Christian Lajoux - Par rapport à quoi ?

M. François Autain, président - Par rapport à votre capacité de production de vaccins et à l'arrivée du virus dans notre pays.

M. Christian Lajoux - Je ne suis pas qualifié pour le dire ; nous aurions préféré qu'il n'arrive pas du tout car nous sommes citoyens en même temps qu'industriels. Quand nous avons eu connaissance des effets de ce virus en Amérique latine et au Mexique, notre première réaction a été une réaction d'inquiétude en tant que citoyen.

Notre seconde réaction, en tant qu'industriel du médicament, a été de se poser la question de savoir comment se préparer aux attentes manifestées par les autorités tout en continuant à faire notre métier d'industriel de santé et à fournir l'ensemble des médicaments dont la population a besoin.

Nos étions à la fois dans l'attente d'un virus et nous ne savions pas quel serait le dosage efficace de l'antigène, ni le nombre d'injections nécessaires.

M. François Autain, président - Ce qui a augmenté votre capacité de production quand on est passé de deux à une injection !

M. Christian Lajoux - L'élément le plus important est qu'en juin, nous ne savions pas quelle serait l'intensité de l'épidémie elle-même.

M. François Autain, président - L'Institut de veille sanitaire (InVS) le savait ! Lors de l'audition de Mme Françoise Weber, il nous a été dit qu'en juin, on savait que l'épidémie H1N1 n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière.

M. Christian Lajoux - Je ne suis habilité ni à commenter ce propos, ni à exprimer un avis sur ce sujet.

Les autorités de notre pays nous ont demandé de nous préparer à une pandémie que nous n'avions pas connue au cours des dernières années.

M. François Autain, président - Je me réfère à la déclaration de Mme Françoise Weber et je pense ne pas me tromper en disant qu'au mois de juin, on savait que la gravité du virus n'était pas supérieure à celle d'une grippe saisonnière.

Il suffit de consulter le document qu'elle nous a remis. C'est ce qui est indiqué. C'est un fait. On peut dire que le virus peut muter, que tout peut s'aggraver...

M. Christian Lajoux - Mon collègue me dit que l'on savait pour la virulence mais non pour la gravité et la contagiosité.

M. François Autain, président - Je ne peux faire ce subtil distingo entre « virulence » et « gravité » ! Je me contente de faire une comparaison avec la grippe saisonnière. Cela parle à tout le monde !

M. Christian Lajoux - Les industriels que je représente dans leur champ de légitimité, de réflexion et d'action s'en sont tenus aux demandes qui étaient formulées. La demande était très précisément de fabriquer des vaccins de qualité et en toute sécurité, pour répondre le plus vite possible à un risque d'épidémie qui nous menaçait.

M. François Autain, président - Vous disiez être inquiets en juin. J'en ai simplement profité pour vous citer ce que nous a indiqué Mme Françoise Weber, à savoir qu'il n'y avait pas de raisons, à cette époque - me semble-t-il - de s'inquiéter outre mesure.

M. Philippe Lamoureux - Il ne faut pas perdre de vue le fait que la grippe saisonnière représente trois à cinq mille décès par an. C'est un taux de mortalité non négligeable qui touche une partie de population assez restreinte.

En second lieu, il existe des éléments de virulence mais aussi de contagiosité aussi importants du point de vue vaccinal.

M. François Autain, président - Le professeur Marc Gentilini considère que la contagiosité d'une grippe peu grave est plutôt un bienfait : cela permet de protéger un grand nombre de gens de façon efficace dans un temps réduit.

Que vous inspire le fait d'avoir fabriqué autant de vaccins et d'en avoir finalement aussi peu utilisé ? Je ne parle pas seulement de la France...

M. Christian Lajoux - Six millions de citoyens ont été vaccinés. Il reste effectivement aujourd'hui un stock de vaccins non utilisés. Certes, ces stocks peuvent devenir inutiles mais doit-on pour autant regretter de ne pas les avoir utilisés, la pandémie ayant été moins importante que prévu ?

M. François Autain, président - Au Royaume-Uni a été créé le UK Vaccine Industry Group , fédération qui regroupe les principaux laboratoires qui investissent dans la recherche et la fabrication de vaccins. La mise en place d'une structure similaire en France serait-elle souhaitable, selon vous ?

M. Christian Lajoux - Nous n'avons pas le UK Vaccine Industry Group mais un comité vaccin au sein du LEEM. Le LEEM est l'organisation unique de la profession qui rassemble l'ensemble des industriels du médicament. Nous avons un groupe de travail « vaccins » présidé par une des responsables d'une des sociétés qui commercialise des vaccins sur le territoire français.

Il faudrait comparer dans le détail les missions de la société anglaise que vous évoquez avec celles de notre groupe de travail. Nous n'avons pas d'idée définitive. Nous sommes à l'écoute de ce qui se passe dans ces commissions d'enquête. Nous avons la préoccupation de tirer les enseignements, après que les autorités de notre pays les ont tirées également, de la situation que l'on a vécue.

Tout ce qui contribuera à résoudre les déficiences qui ont pu exister fera l'objet de la part des industriels du médicament d'une démarche qui consistera à corriger les points qui ne fonctionnent pas convenablement.

Cela passe-t-il par ce groupe ou non ? J'avoue que je ne me suis pas posé la question mais nous sommes dans des structures évolutives ; il faudrait que j'étudie dans le détail la mission du groupe.

M. François Autain, président - Nous revenons d'une mission au Royaume-Uni et cette structure nous avait semblé intéressante. Vous me dites qu'il en existe une en France...

M. Christian Lajoux - C'est un groupe de travail : ce n'est pas la même chose.

M. François Autain, président - S'agissant de la négociation des contrats, les différentes personnalités que nous avons auditionnées ont fait état du rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats de commandes de vaccins. Avez-vous eu des échos de ces négociations et, par la suite, des conditions d'indemnisation des laboratoires suite à la résiliation d'une partie des contrats ?

M. Christian Lajoux - Non, heureusement. Ce serait contraire à la mission et à la responsabilité de notre organisation professionnelle. J'ai eu des échos par la presse.

M. François Autain, président - Ce serait en effet de l'ingérence.

Peut-on dire que les Etats ont été dans la capacité de mettre en concurrence les laboratoires pharmaceutiques pour l'achat de ces vaccins ?

M. Didier Houssin m'a appris que trente-cinq firmes fabriquaient des vaccins. Je ne les croyais pas aussi nombreuses. Il doit donc y avoir matière à concurrence et la concurrence doit aider les décideurs.

M. Christian Lajoux - Les Etats ont-ils la possibilité de mettre les entreprises en concurrence ? Je ne sais pas répondre.

M. François Autain, président - Comment expliquer le parallélisme de certaines des clauses des contrats passés avec les différents laboratoires, notamment les clauses de responsabilité ?

M. Christian Lajoux - Il ne peut y avoir d'entente entre les firmes pharmaceutiques. Une des missions de notre organisation professionnelle est de veiller à ce que ces principes soient respectés.

M. François Autain, président - Vous répondez là à ma question précédente !

M. Christian Lajoux - En tant que président du LEEM, je ne connais pas dans le détail les clauses contractuelles. Je les connais un peu plus en tant qu'acteur de Sanofi Aventis, où je ne suis pas directement lié à l'activité « vaccins ».

M. François Autain, président - Comment expliquer le parallélisme de certaines des clauses des contrats passés avec les différents laboratoires, notamment les clauses de responsabilité ?

Y avait-il un contrat type ou chaque laboratoire a-t-il négocié avec chaque Etat, en fonction de ses intérêts ou des exigences de l'Etat ?

M. Christian Lajoux - Je ne suis pas la personne habilitée à répondre, n'en connaissant pas le détail. J'ai néanmoins lu la presse et j'ai cru comprendre que l'on dissociait la responsabilité pharmaceutique qui continuait à incomber aux industriels du médicament et la responsabilité de la campagne elle-même qui revenait plus aux autorités du pays.

M. François Autain, président - C'est évident !

Est-il exact, comme l'a indiqué la ministre de la santé devant la commission des affaires sociales du Sénat, que les pressions des laboratoires en faveur de commandes rapides ont fait obstacle à la mise en place d'une stratégie commune européenne ?

M. Christian Lajoux - Je ne peux répondre non plus.

M. François Autain, président - Je n'ai décidément pas de chance !

M. Christian Lajoux - Je représente un collectif d'entreprises parmi lesquelles figurent les entreprises du vaccin. En tant que collectif, nous avons mené un certain nombre d'actions de sensibilisation, de fléchage et de coordination mais, en tant que représentant de l'organisation professionnelle, je n'avais pas à être impliqué dans les conditions des négociations, ni dans les clauses contractuelles, ni dans les rencontres qui ont pu avoir lieu entre les industriels du médicament et les autorités de notre pays.

J'ai participé à une réunion pour l'entreprise pour laquelle je travaille.

M. François Autain, président - Pourriez-vous nous exposer les différences entre les procédures américaine et européenne d'autorisation des vaccins pandémiques et leurs conséquences en termes de délais de mise à disposition des vaccins ? Ces deux procédures offrent-elles les mêmes garanties ?

M. Christian Lajoux - Je propose que le docteur Fabrice Meillier nous réponde sur ce point technique...

M. Fabrice Meillier - L'Europe et les Etats-Unis ont choisi deux modalités complètement différentes. L'Europe a préféré anticiper et faire des dossiers type sur la base du H5N1, puis donner les autorisations sur la base des essais cliniques réalisés avec le H1N1. Les adaptations ont été faites à partir de là. Cela prend plus de temps mais garantit certainement aux yeux de l'autorité sanitaire des résultats plus sûrs pour l'AMM (autorisation de mise sur le marché). Le choix de la Food and Drug Administration (FDA) a été de considérer le virus A (H1N1)v comme une variante du virus saisonnier. Ce sont des choix administratifs et stratégiques.

M. François Autain, président - Qu'en est-il sur le plan de la sécurité ?

M. Fabrice Meillier - Ce sont des principes de procédures. Le contenu des dossiers, des études cliniques et la qualité étaient les mêmes.

M. François Autain, président - Cela n'a pas de conséquence sur la sécurité.

M. Fabrice Meillier - Aucune.

M. François Autain, président - La principale conséquence est que le vaccin - pour parler de Sanofi - le Fluzon, qui est, au nom près, la réplique du Panenza, a été mis sur le marché aux Etats-Unis le 16 septembre et en France deux mois après. Il y a là quelque chose d'inacceptable surtout de la part d'un laboratoire qui se prévaut de sa nationalité française !

M. Christian Lajoux - Ne nous trompons pas de responsabilités.

Les entreprises du médicament, dans notre pays, se comportent en bons citoyens et respectent les règles administratives.

Lors de la mobilisation qui prévalait à ce moment là et face à la nécessité d'organisation de nos entreprises et de nos développements, il ne nous appartenait pas de contester les décisions administratives.

M. François Autain, président - Non, mais si ces procédures étaient modifiées en imaginant que l'on copie - les procédures américaines - on gagnerait du temps !

M. Christian Lajoux - Oui.

M. François Autain, président - Pour expliquer ce retard, on nous a dit que la capacité de production de Sanofi Pasteur aux Etats-Unis est plus développée qu'en France.

M. Christian Lajoux - Non, le retard est uniquement lié à la procédure d'enregistrement des vaccins. Le système de variation existe d'ailleurs en France dans certains dossiers pharmaceutiques mais les autorités administratives et sanitaires n'ont pas, à ce moment, fait le choix de cette procédure.

M. Fabrice Meillier - La procédure de modification avec une souche différente est celle utilisée tous les ans pour la grippe saisonnière ; c'est un dossier type pour lequel on ne fait que compléter le dossier précédent avec de nouvelles études par rapport aux souches.

M. François Autain, président - Je pense que l'on aurait gagné du temps. Je me place dans la perspective des prochaines pandémies qui seront peut-être plus graves que celle-ci. On a donc intérêt à faire en sorte que le vaccin intervienne le plus rapidement possible. Cette fois-ci, c'était catastrophique : les enfants ont commencé à être vaccinés le 25 novembre, alors que le pic était passé.

Il y a sans doute là des améliorations à apporter. C'est pourquoi je vous pose cette question.

M. Christian Lajoux - C'est ce que je soulignais en disant que nous aurons des enseignements à tirer de la façon dont on a géré cette situation. J'insiste sur l'attention qui a été portée pendant toute cette période par l'industrie du médicament et les autorités de santé sur le souci de sécurité et de qualité des vaccins développés. Il n'était pas question de sacrifier la sécurité et la santé du patient.

M. François Autain, président - C'est tout à l'honneur de votre profession !

M. Christian Lajoux - Et de l'Etat !

M. François Autain, président - Le contrat de prévente qui liait la France et le laboratoire Sanofi portait sur la fourniture de traitements vaccinaux et non de doses vaccinales. Pourquoi cette terminologie, qui devait permettre d'ajuster les quantités commandées au schéma vaccinal retenu, n'a-t-elle pas été reprise dans l'avenant de 2010 ?

M. Christian Lajoux - Vous auriez dû poser la question à M. Jacques Berger !

Je me doutais qu'il y aurait des questions concernant Sanofi Pasteur et je me suis donc entretenu avec M. Jacques Berger de ces points mais je ne peux répondre à celle-ci.

M. François Autain, président - On prendra contact avec lui.

Dans votre livre « Le médicament, enjeu du XXI e siècle » , vous écrivez : « La vaccination est une protection individuelle mais surtout collective. Le vaccin est la seule solution médicale de prévention contre les virus » .

Ce principe est-il applicable aux pandémies grippales, compte tenu notamment des délais de fabrication et de mise sur le marché des vaccins ?

M. Christian Lajoux - L'objectif de la vaccination est celui que je rappelle ; viennent ensuite l'organisation de la vaccination et la mise au point du vaccin. Nous sommes là confrontés à la temporalité et à la matérialité : la vaccination est la solution médicale préventive mais il s'agit de mettre ensuite en oeuvre les moyens qui permettent de bénéficier de cette vaccination.

M. François Autain, président - Au fur à mesure que l'on avance dans nos auditions, on craint qu'à chaque fois, le vaccin arrive trop tard. On a eu cette chance cette année que le virus commence par l'hémisphère Sud, ce qui nous a donné un délai supplémentaire pour préparer le vaccin mais, malgré cela, ce vaccin est arrivé trop tard pour des raisons diverses, le principal responsable étant le virus, qui va trop vite...

M. Christian Lajoux - Il ne prévient pas !

M. François Autain, président - Quand un virus n'est pas virulent, ce n'est pas grave. Il valait peut-être mieux pour certaines personnes attraper cette grippe - d'autant qu'elle était souvent asymptomatique - que de subir une vaccination. Cela protégeait en tout cas autant sinon plus et plus durablement.

Pour un virus plus grave, la question ne se pose plus en ces termes. L'intérêt est de pouvoir vacciner avant que le virus arrive, surtout si l'on veut bénéficier d'un effet barrière. Si j'en crois le HCSP, il faut pour ce faire que celle-ci n'intervienne pas plus de trente jours avant la circulation active du virus. Or, cette fois-ci on a largement dépassé cette période : le virus a commencé à circuler en août-septembre et on a commencé à vacciner en novembre.

Il n'y avait donc plus d'effet barrière et certains experts prétendent même que l'effet de protection individuelle n'a joué qu'à la marge. Cette vaccination est donc arrivée trop tardivement pour pouvoir avoir un effet quelconque sur cette pandémie.

Nous craignons donc, lors d'une prochaine pandémie plus grave, que le vaccin arrive trop tard. C'est pourquoi on a tendance à penser que les mesures physiques - hygiène, etc. - sont les premières mesures que l'on peut prendre tout de suite et qui sont très importantes. Vous affirmez que le vaccin est la seule solution médicale de prévention contre le virus...

M. Christian Lajoux - Mais je n'exclus pas les autres, monsieur le président. Je constate, comme vous, que nous devons tirer les leçons de la période que nous avons vécue.

Les industriels du médicament s'efforcent, dans leurs centres de recherche, de mettre au point des systèmes d'élaboration et de fabrication de vaccins qui nous permettent de gagner du temps. Il existe déjà des cultures cellulaires qui permettent de gagner un certain temps. Dans d'autres cas, comme pour la rougeole, on a trouvé des solutions.

Je ne suis pas le plus qualifié pour le dire mais rien ne nous empêche de penser qu'il y ait des mutations ; or, nous sommes aujourd'hui face à un système qui assure cette prévention. Il appartient donc à la science, aux chercheurs qui travaillent dans nos unités de recherche, en coopération avec les chercheurs académiques, de trouver les solutions qui permettent de gagner du temps face à la nécessité de fabrication de vaccins de façon massive.

Je pense que les industriels du médicament, les chercheurs publics et privés, le monde politique, les autorités administratives et les citoyens sont confrontés à la nécessité de trouver des réponses.

Je disais que, depuis 2005, nous avions préparé un certain nombre de choses - même si nous sommes arrivés quelque peu en retard - qui ont permis de mieux nous organiser par rapport au risque pandémique de l'époque. Les plans de continuité de 2005 n'avaient pas fait l'objet de réflexion approfondie, comme cela a été le cas cette fois-ci.

Si la moitié des salariés de nos entreprises s'étaient retrouvés incapables de sortir de chez eux, les industriels du médicament - et d'autres secteurs - avaient préparé un certain nombre de plans de continuité de façon à assurer la production, la livraison et la diffusion du médicament. Oui, il faut que nous en tirions des enseignements !

M. Philippe Lamoureux - Bien évidemment, les gestes barrière et les comportements de prévention sont des outils extrêmement efficaces mais le délai d'implantation de ces comportements, de réintroduction des gestes d'hygiène publique dans la population générale risque de prendre l'échelle d'une génération. On peut souhaiter le port du masque : son installation risque d'être plus longue que l'introduction de vaccins.

M. François Autain, président - Je ne sais si une génération suffira ! Je crois que le Royaume-Uni a abandonné toute perspective en ce domaine.

M. Philippe Lamoureux - Cela fonctionne en Asie du Sud-Est mais en Europe occidentale, c'est très difficile.

M. François Autain, président - Le directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique a indiqué devant la commission - je cite : « les connaissances scientifiques actuelles sont insuffisantes pour préconiser une vaccination de masse. De même, aucune étude n'a prouvé l'efficacité de la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière ». Des études scientifiques sur l'efficacité de la vaccination contre la grippe sont-elles aujourd'hui envisagées ?

M. Christian Lajoux - Je l'espère ! Vous faisiez là référence à une personnalité du monde de la santé ; en tout cas, les industriels réfléchissent à ces perspectives.

M. François Autain, président - Ce qui m'inquiète, c'est qu'une personnalité aussi respectée que le directeur dit qu'aucune étude n'a prouvé l'efficacité de la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière. Je crois même avoir entendu M. Gentilini exprimer des réserves encore plus fermes contre l'efficacité de cette vaccination saisonnière. Le mieux serait de faire des essais randomisés pour dire si c'est efficace ou non. Cela permettrait de mettre un terme à ces allégations qui ne sont peut-être pas fondées.

M. Christian Lajoux - Je m'interdis de revenir sur ces propos mais répondre aux questions qui n'ont pas de réponse me semble être une évidence.

M. François Autain, président - L'an dernier, les représentants du Royaume-Uni à l'OMS avaient suggéré que la recherche s'oriente vers la mise au point de vaccins antigrippaux à large spectre et à efficacité durable. Que pensez-vous de cette suggestion ? On peut difficilement y être opposé.

M. Christian Lajoux - En effet !

M. Fabrice Meillier - Un vaccin à large spectre et reproductible est souhaitable mais ceci est contrecarré par le fait que le virus grippal mute régulièrement. On ne peut donc avoir de vaccin au-delà d'une mutation quasi annuelle. C'est techniquement très difficile.

M. François Autain, président - D'autres personnalités nous ont dit que c'était une voie mais que l'on n'était pas sûr d'arriver au bout.

M. Philippe Lamoureux - S'agissant de la question précédente, vous avez cité un avis d'expert sur l'efficacité de la vaccination chez les plus de 65 ans ; un avis d'expert est un avis expert. Il est intéressant de regarder la littérature sur le sujet ; cela pourrait éclairer la commission - mais je ne suis ni médecin, ni épidémiologiste.

M. François Autain, président - Je ne faisais qu'une citation.

De nouvelles étapes sont encore à franchir pour mieux assurer le respect de l'indépendance des experts. Un « Sunshine Act » à la française est-il envisageable ? Serait-il notamment possible d'envisager que les laboratoires fassent état des conventions qu'ils passent avec des experts et des liens d'intérêts qu'ils nouent avec eux ? J'ai vu dans votre interview dans L'Express que vous n'étiez pas forcément d'accord.

M. Christian Lajoux - Je pense qu'un « Sunshine Act » est envisageable. Est-ce souhaitable ? Les industriels répondent oui. Est-ce aujourd'hui réalisable dans l'état des droits individuels ? Il semble qu'il y ait quelques écueils.

Beaucoup d'industriels internationaux vivent avec le « Sunshine Act » et nous sommes favorables à la plus grande transparence. Un système règlementaire et législatif existe. Il est impératif qu'il soit respecté. Il ne faut pas considérer qu'il existe aujourd'hui un vide total par rapport à la gestion d'un potentiel conflit d'intérêts entre un industriel et une personne qui se mettrait en situation d'évaluer le produit de tel ou tel industriel.

C'est un sujet extrêmement important et les industriels du médicament entendent, face aux critiques formulées sur ces sujets, réfléchir collectivement, collaborer et coopérer avec les autorités de santé et tout organisme qui le souhaite pour accroître l'indépendance des firmes pharmaceutiques. Nous avons mené un certain nombre de consultations au sein du LEEM : il ne faut pas que ce que nous proposons rencontre les limites de la sphère individuelle de chacune des parties.

La législation impose aujourd'hui au médecin expert de faire la déclaration de ces liens avec une firme et à nos organes d'évaluation - Haute Autorité de santé (HAS) ou Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) - d'en faire la publicité. Les industriels du médicament, quant à eux, ont obligation avec le monde ordinal pour un certain nombre de coopérations que nous assurons avec les médecins - participation à des congrès ou autres. Nous devons toujours soumettre ces actions à l'accord du Conseil de l'Ordre, ce que nous faisons.

M. François Autain, président - Nous serions plutôt favorables à ce que ces contrats que les experts passent avec des industries pharmaceutiques soient rendus publics, ce qui rejoint le « Sunshine Act ». J'ai remarqué que votre réponse était plus nuancée que celle que vous faisiez dans votre interview, où vous estimiez qu'il donnerait trop d'informations à la concurrence.

Nous avons posé la question aux entreprises que l'on a auditionnées ; trois sur quatre nous ont dit être favorables à une telle disposition.

M. Christian Lajoux - J'y suis favorable !

M. François Autain, président - Une dernière question : on a réalisé en 2006 un rapport intitulé : « Restaurer la confiance », passé inaperçu mais auquel on continue quand même à se référer. A l'époque, on a auditionné le LEEM ; son vice-président délégué - à l'époque M. Bernard Lemoine - nous avait indiqué que l'indépendance totale d'un expert était le gage de son incompétence.

J'ai lu que son successeur, M. Philippe Lamoureux, avait dit à peu près la même chose - il fallait bien se renouveler - en affirmant qu'un expert sans conflit d'intérêts était sans intérêt.

Je voulais savoir ce qui vous inspire une telle méfiance vis-à-vis d'experts qui ne travaillent pas avec l'industrie. 25 % de ceux qui travaillent avec l'AFSSAPS n'ont pas de liens d'intérêts avec l'industrie, soit 600 sur 1 700 ou 1 800 personnes.

M. Christian Lajoux - Je vais revenir sur les propos du collaborateur du LEEM, que j'assume.

Il faut faire la différence entre une formule sortie d'un contexte et la durabilité d'une réflexion de fond. M. Philippe Lamoureux a donné des explications sur la question que vous posez.

Il existe peu d'experts dans le domaine des vaccins. Nous pensons qu'aujourd'hui, malgré les 25 % que vous évoquez, il est nécessaire que la coopération perdure entre le monde scientifique et l'industrie du médicament. Il est évident que cette coopération continuera à toucher une partie importante de personnes qui seront amenées à être experts.

C'est pourquoi je trouve nécessaire de continuer à travailler avec les autorités, le Parlement, et notamment le Sénat, sur les moyens qui assureront le maximum de transparence sur ce point.

M. Philippe Lamoureux - La phrase est en effet sortie de son contexte.

Nous sommes dans un pays dans lequel le vivier d'experts est par construction limité. Dans un certain nombre de situations, l'instance d'évaluation est amenée à faire appel aux gens qui connaissent la molécule et le médicament qu'ils vont être chargés d'évaluer. L'existence de conflits d'intérêts potentiels est inévitable au système d'évaluation. Comme le disait M. Christian Lajoux, malgré les critiques sur la transparence des liens qui peuvent exister ou les potentiels conflits d'intérêts, une expertise totalement découplée entre secteur public et privé, dans le contexte français, semble totalement inopérante.

Les agences sanitaires recherchent pour évaluer un produit un expert qui a précisément travaillé au développement de ce produit mais il n'est pas acceptable que l'agence ne soit pas informée de l'existence de ces conflits d'intérêts et que ceux-ci ne soient pas publics.

M. François Autain, président - Tous les experts qui avaient un lien d'intérêts avec les fabricants de vaccins en matière de grippe H1N1 se sont trompés !

M. Christian Lajoux - Un lien de coopération !

M. François Autain, président - Oui, peu importe ! Les seuls à avoir vu juste sont ceux qui n'avaient pas de liens d'intérêts ou qui étaient « incompétents » pour reprendre le terme de votre prédécesseur ! Il est grave que les incompétents voient juste et que les compétents se trompent ! Il y a là quelque chose auquel il faudrait essayer de remédier. Je ne sais comment mais il existe un véritable problème.

M. Philippe Lamoureux - Je crois qu'il va falloir arrêter de réécrire l'histoire des problèmes de santé publique a posteriori , au vu des connaissances que l'on a quelques mois après !

Il est très difficile d'entendre critiquer l'ensemble des épidémiologistes ou ceux qui ont travaillé sur ces sujets. Je ne partage pas l'analyse qui consiste à dire que ce sont les incompétents qui ont eu raison.

M. François Autain, président - Cela ne m'étonne pas mais je ne parle pas a posteriori : je fais référence à des prises de position et à des déclarations qui ont été faites extemporanément.

Il s'agit de personnalités qui se sont exprimées dès le mois d'août, pour certaines dès le mois de juillet, alors que l'ensemble de la communauté scientifique disait le contraire.

C'est une remarque que je faisais au passage : ce n'est pas forcément parce qu'on a des liens de coopération que l'on est forcément un bon expert !

M. Christian Lajoux - Les déclarations que vous avez évoquées sont effectivement sorties de leur contexte ; elles sont maladroites et n'expriment pas la réflexion dans leur globalité.

M. François Autain, président - Elles n'expriment pas ce que l'ensemble du LEEM pense des experts qui n'ont pas de liens.

M. Christian Lajoux - Le LEEM pense que les experts qui n'ont pas de liens sont des gens extrêmement respectables et qui ont fait le choix de ne pas avoir de liens, mais les experts qui ont des liens de coopération avec les industriels du médicament sont également des gens respectables et - je le souhaite et le pense - tout aussi compétents que ceux qui n'en ont pas !

M. François Autain, président - On ne va passer d'un excès à l'autre !

M. Christian Lajoux - Vous connaissez le monde médiatique. L'homme est l'homme et, parfois, il ne se refuse pas à employer une formule qui peut le poursuivre des années durant. C'est pourquoi je prends la responsabilité de dire que la formule était pour le moins maladroite.

M. François Autain, président - Merci infiniment d'avoir répondu avec patience aux nombreuses questions que le rapporteur aurait dû vous poser et que j'ai posées à sa place.

Audition de M. John F. RYAN, chef de l'unité « Menaces pour la santé »
au sein de la Direction générale de la santé
et des consommateurs de la Commission européenne
MM. Antoon GIJSENS et Nabil SAFRANY,
administrateurs à la DG santé et consommateurs,
et de Mme Estelle POIDEVIN,
représentant en France les services politiques
de la Commission européenne
(mercredi 12 mai 2010)

M. François Autain, président - La séance est ouverte.

Mes chers collègues, nous accueillons M. John F. Ryan, chef de l'unité « Menaces pour la santé » au sein de la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne, accompagné de MM. Antoon Gijsens et Nabil Safrany, administrateurs à la DG santé et consommateurs, et de Mme Estelle Poidevin, représentant en France les services politiques de la Commission européenne.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. John F. Ryan, Antoon Gijsens, Nabil Safrany et Mme Estelle Poidevin prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de nous faire part, dans un exposé liminaire, de votre jugement sur la gestion de la pandémie H1N1. M. le rapporteur vous posera ensuite des questions ainsi que les commissaires ici présents.

Vous avez la parole.

M. John F. Ryan - Je m'exprime ici au nom de la Commission européenne, qui m'a chargé de vous expliquer le rôle de la Commission et les interventions que nous avons effectuées pendant la pandémie H1N1.

C'est un grand plaisir d'être devant vous afin de répondre à vos questions.

Depuis 1999, la Communauté européenne a mis en place une législation qui a institué une surveillance des maladies transmissibles afin de coordonner les mesures à prendre en cas de maladie contagieuse.

Toutefois, le traité de l'Union ne prévoit pas d'harmonisation des législations nationales concernant la santé publique - sauf dans quelques cas exceptionnels.

La responsabilité de la gestion des crises sanitaires incombe donc principalement aux Etats membres, même si ceux-ci sont soumis à un devoir d'information mutuelle et de coordination de leurs actions par la législation communautaire.

J'aimerais faire trois autres remarques en parallèle.

Tout d'abord, un lien juridique a été établi dans la législation communautaire de 1999 entre les notifications faites au sein du système communautaire et celles faites par les Etats membres auprès de l'OMS en application du Règlement sanitaire international (RSI).

Deuxième remarque : le Conseil de l'Union européenne a constaté un manque de coordination en matière de crises sanitaires ; c'est pourquoi, même si nous n'avions pas la compétence juridique pour créer une législation en la matière, le Conseil a mis en place un comité de sécurité sanitaire destiné à assurer un échange d'informations et un bon niveau de préparation sanitaire. Ce comité repose sur une base informelle mais efficace : il permet aux Etats membres de communiquer en cas de crises sanitaires.

En troisième lieu, deux agences communautaires peuvent nous appuyer en cas de difficultés dans le domaine de la santé publique.

La première est une agence située à Stockholm, l'Agence des maladies transmissibles, créée en 2005, qui dispose des moyens d'analyse et de surveillance nécessaires quant à la gestion des risques dans ce domaine.

La seconde est l'Agence européenne des médicaments (EMA), située à Londres, qui est chargée de l'évaluation en commun des médicaments avant leur mise sur le marché communautaire.

La décision de mise sur le marché est prise par la Commission en application de la législation communautaire en la matière.

Après ces remarques liminaires, j'aimerais vous présenter les grandes étapes de la gestion de la pandémie au niveau communautaire.

En premier lieu, l'apparition du nouveau virus nous a été signalée par les Etats-Unis et le Mexique dans le cadre des contacts bilatéraux que nous avons avec eux de façon régulière. L'information a été ensuite rapidement confirmée par l'OMS.

La Commission a immédiatement pris l'initiative de convoquer des réunions entre les Etats membres afin d'examiner la situation sanitaire et d'étudier les mesures à conseiller aux Etats membres pour contrôler l'infection. Ces réunions regroupaient le comité de sécurité sanitaire et le comité réglementaire destiné à contrôler les maladies transmissibles, créé sur la base de la législation communautaire de 1999, ainsi que le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies et l'EMA.

La première décision que nous avons prise a été de définir le virus au plan communautaire dès les premiers jours afin de permettre aux Etats membres de compter les cas de la même façon et sur la même base. Il s'agit d'une décision juridique applicable à tous les Etats membres.

Nous avons également impliqué les agences de Stockholm et de Londres, afin d'avoir un aperçu de l'ensemble du problème. Nous avons en outre étroitement associé l'OMS à nos discussions.

Ces réunions, qui se sont tenues par vidéoconférence, ont été convoquées quotidiennement afin d'apprécier l'évolution de la transmission de l'infection du H1N1 et d'examiner les mesures que nous pouvions suggérer aux Etats membres pour freiner celle-ci. Les comptes rendus de toutes ces réunions ont été publiés sur le site Internet de la Commission.

Nous avons toujours tenu, avec l'accord des Etats membres, à assurer la transparence des discussions.

Dans les premières phases de transmission du virus, les Etats membres ont surtout examiné les mesures à prendre vis-à-vis des voyageurs en provenance des zones infectées, les conseils à leur donner ainsi qu'aux personnes en partance vers ces zones.

Beaucoup de personnes avaient réservé des vacances au Mexique ou aux Etats-Unis : il fallait dispenser, dans les vingt-sept Etats membres, des conseils cohérents.

Nous voulions également donner des conseils au grand public quant aux mesures à prendre. Il n'y avait pas de vaccin à l'époque et on ne connaissait pas le danger potentiel de l'infection. Tout ce que l'on pouvait conseiller était de respecter certaines mesures d'hygiène - lavage des mains, port de masques en cas d'infection et utilisation éventuelle d'antiviraux.

Dans un second temps, nous avons adopté le même système de surveillance au plan communautaire pour permettre une surveillance rapide et efficace et la Commission a proposé pour cela une définition juridiquement contraignante de l'infection.

Le comité de sécurité sanitaire a également adopté trois déclarations publiques portant sur la stratégie vaccinale, c'est-à-dire les populations prioritaires à vacciner, la fermeture des écoles et le cas des personnes tombant malades à l'étranger.

A cette époque, beaucoup de ressortissants du Nord de l'Europe étaient dans l'hémisphère Sud, qui était infecté. On ne savait pas s'il fallait les renvoyer vers leur pays d'origine ou les traiter sur place et dans quelles conditions.

Ces trois décisions ont été prises assez rapidement par le comité de sécurité sanitaire.

Concernant le vaccin, la Commission avait adopté, en 2005, un plan de préparation à la lutte contre une pandémie proposant aux Etats membres la constitution de réserves de médicaments pouvant servir à prévenir ou à ralentir l'infection par un agent pandémique.

Certains Etats membres ont procédé à des commandes anticipées de vaccins pour prévenir le risque pandémique ; d'autres n'ont pas suivi cette approche qui n'était pas obligatoire

M. François Autain, président - Disposez-vous de la liste de ces pays ?

M. John F. Ryan - Oui.

M. François Autain, président - Pouvez-vous nous la communiquer ?

M. John F. Ryan - Certainement.

A l'apparition du virus H1N1, deux cas de figure se présentaient. Certain Etats membres disposaient d'importants stocks de vaccins et d'antiviraux et de commandes fermes ; d'autres ne disposaient que de stocks d'antiviraux, en quantité variable et n'avaient pas fait de commandes anticipées de vaccins.

La Commission a proposé alors d'aider les Etats qui n'avaient pas de stocks d'antiviraux et de vaccins à procéder à des appels d'offres nationaux en élaborant des cahiers des charges communs. C'est ce qui nous semblait le plus rapide pour pallier la pénurie de stocks face au très grand nombre de commandes auxquelles la production industrielle avait du mal à répondre.

Avec la Suède, qui assurait la présidence, ainsi que certains autres Etats, nous avons donc repris les appels d'offres nationaux et essayé de créer une base commune pour accélérer le processus.

Par ailleurs, en Bulgarie, à la suite d'une rupture de stocks d'antiviraux, nous avons créé un système d'aide mutuelle entre les Etats membres. La Commission a joué un rôle de médiateur entre les pays qui avaient trop de stocks et ceux qui n'en avaient pas assez, et a coordonné l'aide apportée à la Bulgarie

M. François Autain, président - Dans quelle catégorie placez-vous la France ?

M. John F. Ryan - La France avait suffisamment de stocks et pouvait aider éventuellement les pays qui n'en avaient pas.

M. François Autain, président - L'a-t-elle fait ?

M. John F. Ryan - Je ne sais pas. Je sais que le Royaume-Uni a fourni un stock important à la Bulgarie. C'est le seul pays qui, à l'époque, ait proposé de le faire.

M. François Autain, président - Mais pas la France ?

M. John F. Ryan - Il ne me semble pas - mais il faut que je vérifie.

Il s'agissait d'une demande urgente de la Bulgarie, où les pharmacies des hôpitaux ne disposaient pas de stocks. Nous avons essayé de les aider.

Troisièmement, la décision prise par la Commission, sur la base des essais cliniques, de diminuer le nombre de doses de vaccin de deux à une a complètement changé la donne et les pays membres qui avaient prévu d'administrer deux doses à la population disposaient du double des quantités nécessaires.

Nous avons donc essayé, à ce stade, de voir si l'on ne pouvait pas organiser un transfert volontaire entre les pays qui avaient trop de stocks et ceux qui n'en avaient pas assez, assurant là notre rôle de médiateur et de coordinateur.

A la suite de la crise assez dramatique survenue en Ukraine, la Commission s'est également mobilisée pour acheminer des stocks d'antiviraux et de vaccins vers ce pays ; nous y avons en outre envoyé des experts médicaux.

Il convient de signaler qu'en parallèle à cet effort de coordination au niveau du comité de sécurité sanitaire, le Conseil des ministres de la santé de l'Union européenne s'est réuni à quatre reprises pour discuter de la crise ; la Commission, pour alimenter les débats, a adopté, en septembre, une communication, ainsi que cinq documents de travail qui examinaient en détail les différents aspects de la gestion du problème. On peut vous donner copie de ces documents si vous ne les avez pas reçus.

Ils traitent des questions de vaccination, de prévention et de communication avec le public ; tous ces aspects ont ensuite été examinés par les ministres.

Pour améliorer la qualité de la coordination internationale, la Commission a aussi convoqué une réunion du G7, plus le Mexique, constituant l'« Initiative globale de sécurité sanitaire ».

M. François Autain, président - A quelle date ?

M. John F. Ryan - En décembre, je crois.

Les pays membres de ce groupe ont tout au début joué un rôle assez important car c'est précisément là qu'a commencé l'infection.

Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur une démarche d'évaluation en cours au sein des institutions communautaires sur la gestion de la pandémie.

La future présidence belge, qui débute dans la seconde partie de l'année, organise avec la Commission, les 1 er et 2 juillet, une conférence visant à examiner ces questions.

Elle sera suivie immédiatement après par un Conseil des ministres informel, les 5 et 6 juillet, sur la gestion de la crise et l'évaluation de la situation. Certains documents sont déjà disponibles et on peut vous les communiquer.

M. François Autain, président - Cela nous intéresserait. Il s'agit donc d'une comparaison de la gestion de la pandémie entre les pays de l'Union européenne ?

M. John F. Ryan - C'est cela.

La Commission a demandé à une agence extérieure d'analyser l'action communautaire. Cette évaluation est menée avec l'appui des Etats membres.

M. François Autain, président - Cette enquête comporte-t-elle des informations sur les résultats comparatifs ? En Pologne, où l'on n'a pas vacciné, y a-t-il, par exemple, eu plus de morts qu'en Suède où on a beaucoup vacciné ?

M. John F. Ryan - La Pologne va fournir certains éléments et la Suède va en apporter d'autres. Il y aura donc certainement une comparaison. Il existe déjà un rapport disponible sur les quatre premiers mois de la crise. Pour ce qui est de la stratégie vaccinale, l'enquête est en cours ; elle sera terminée pour le mois de juin.

L'idée est d'avoir les deux volets pour la discussion en juillet et de les mettre sur la table afin que les ministres décident ce qu'il convient de faire la prochaine fois.

Il est notamment question, avant la fin de 2010, de revoir le plan pandémie conçu en 2005 à la lumière de cette expérience. Il faudrait également, en liaison avec l'OMS, réfléchir à la définition de la pandémie, qui devrait être la même au niveau de la Communauté européenne et au niveau de l'OMS. La déclaration de pandémie a en effet des incidences au niveau de la Communauté, par exemple dans le domaine de la législation pharmaceutique car il faut une déclaration de pandémie pour permettre l'application des procédures spécifiques d'autorisation des vaccins pandémiques. Il est donc indispensable d'avoir en ce domaine une approche commune et d'éviter tout problème de cohérence.

M. Alain Milon, rapporteur - Cette redéfinition devrait-elle faire référence à la notion de gravité de la pandémie ?

M. John F. Ryan - Il faudrait en effet pouvoir prendre en considération cette notion, car il peut y avoir les infections géographiquement très répandues mais qui ne sont pas graves : on peut donc avoir un phénomène de dissémination importante d'une maladie sans pour autant pouvoir parler de pandémie. La pandémie est un mot que l'on pourrait qualifier de « nucléaire » : quand on déclare une pandémie cela déclenche un certain nombre de choses, cela provoque, pour ainsi dire, toute une série de « réactions en chaîne ». La déclaration de pandémie a des conséquences en matière d'application de la législation pharmaceutique communautaire, mais elle en a aussi, au niveau des Etats membres, par exemple, en entraînant la constitution de cellules de crise. C'est un moment clé des processus décisionnels : une identité de vues entre l'OMS et la Communauté est essentielle.

M. François Autain, président - On peut imaginer une définition qui n'aurait pas permis à l'OMS de déclarer la grippe H1N1 comme une pandémie, puisqu'il s'est avéré qu'elle n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière.

M. John F. Ryan - A l'époque, on ne le savait pas !

M. François Autain, président - Mais on l'a su assez vite ! Le 11 juin, même les déclarations de Mme Margaret Chan ne cadraient pas avec la gravité qu'implique la déclaration d'une pandémie dans notre esprit. On a oublié que le règlement avait été changé quelques semaines avant, gommant complètement la dimension relative à la gravité ou à la sévérité du virus !

M. John F. Ryan - C'est une interprétation que réfute l'OMS, qui nie avoir changé les règles.

M. François Autain, président - En effet, mais elle est actuellement évoquée.

M. John F. Ryan - En effet.

Le plan communautaire contre la pandémie doit impérativement tirer les leçons de ces événements, comme on l'a fait pour le SRAS à l'époque, sans jeter la pierre aux uns ni aux autres.

Il est de notre devoir de réaliser une évaluation sérieuse avec les Etats membres mais aussi avec l'OMS qui est également en train de procéder à une évaluation qui sera présentée en janvier prochain à Genève.

M. François Autain, président - Nous aurons rendu notre rapport : il sera trop tard pour nous !

M. John F. Ryan - Nous devons également réviser notre législation communautaire en matière de santé publique, qui est apparue assez faible. En effet, les Etats membres auraient fort bien pu refuser de nous donner des informations.

On aurait donc pu avoir vingt-sept approches différentes du contrôle de la transmission de l'infection, ce qui aurait pu constituer un grand danger pour le marché intérieur - libre circulation, transfert des marchandises, des personnes, des services. Tout cela repose sur une étroite collaboration.

Je suis à présent disposé à répondre à toutes vos questions.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - La procédure des « mock-up vaccines » a-t-elle permis d'obtenir tous les résultats escomptés en termes de raccourcissement des délais d'autorisation des vaccins pandémiques ? Comment s'explique la plus grande célérité de la procédure américaine d'autorisation des vaccins pandémiques ? L'Union européenne pourrait-elle s'inspirer en ce domaine de l'exemple américain ?

M. John F. Ryan - Si on analyse le fonctionnement de notre législation en matière pharmaceutique, il semble que la procédure des « maquettes » a très bien fonctionné, en ce sens que nous avons pu développer les vaccins, les évaluer et les approuver dans un temps record, quatre mois après la mise à disposition de la souche pandémique.

Il faut dire que la FDA américaine conçoit les vaccins pandémiques d'une autre façon que la nôtre. Leur système est différent mais, du point de vue de la législation communautaire, la mise sur le marché communautaire a été très rapide.

M. François Autain, président - Beaucoup moins qu'aux Etats-Unis en ce qui concerne certains vaccins, pour lesquels on compte deux mois de différence !

M. John F. Ryan - Cela aurait pu être l'inverse. Notre système impliquant vingt-sept pays différents, les choses sont un peu plus compliquées. Si le système de la FDA impliquait également le Canada, le Mexique et l'Amérique du Sud, il aurait peut-être pris plus de temps !

Le système communautaire est bien rodé et a bien fonctionné. Quatre mois, ce n'est rien par rapport aux délais nécessaires à l'approbation d'un médicament dans des conditions normales. Pour moi, cela a bien fonctionné.

M. François Autain, président - Les laboratoires que nous avons auditionnés nous ont répondu qu'en France, ce retard, chiffré à deux mois, était uniquement dû à notre réglementation.

Pourquoi ne pas essayer de nous rapprocher de la réglementation américaine dans ce domaine qui semble avoir donné satisfaction ? Existe-t-il des raisons objectives qui nous empêchent de nous rapprocher de cette législation ?

M. John F. Ryan - Le problème provient du fait que les vaccins américains ne contenaient pas d'adjuvants. C'est sujet à débat.

M. François Autain, président - Je trouve cela plutôt bien !

M. John F. Ryan - Cela dépend : il y a aussi la question de l'efficacité du vaccin.

Ceci est sous la responsabilité de l'Agence du médicament et de mes collègues chargés de l'approbation du médicament.

M. François Autain, président - Nous leur avons aussi posé ces questions.

M. Alain Milon, rapporteur - La procédure européenne, comme la procédure américaine, est centralisée, quel que soit le nombre d'Etats. L'excuse du nombre ne semble donc pas être suffisante pour expliquer les différences de délai.

M. John F. Ryan - Je ne sais si les Etats américains ont le même niveau de représentation au sein de l'Agence qu'en Europe...

M. François Autain, président - Je ne crois pas, en effet !

M. John F. Ryan - C'est peut-être plus compliqué - mais je ne suis pas expert en la matière.

M. François Autain, président - Les experts de la FDA ne sont pas, bien entendu, recrutés en fonction de leur lieu d'habitation ou de leur provenance.

M. Alain Milon, rapporteur - Était-il vraiment impossible que la validation par l'EMA du schéma de vaccination à une seule injection intervienne avant la fin novembre 2009 ? Certains Etats membres ont-ils anticipé cette position ?

M. John F. Ryan - Certains Etats membres nous ont poussés à prendre la décision le plus rapidement possible. Notre système d'évaluation fonctionne sur la base d'une agence indépendante : la Commission a voulu attendre l'avis officiel de l'Agence de Londres avent de changer le schéma vaccinal.

Aurait-elle pu agir plus rapidement ? Les agents du ministère de la santé, en France, ont félicité la Commission pour la rapidité de ces décisions.

M. François Autain, président - Certains Etats membres ont-ils anticipé la décision ?

M. John F. Ryan - Pas à ma connaissance.

M. Alain Milon, rapporteur - L'EMA nous a indiqué qu'elle avait communiqué à la Commission, en mai 2009, un document mettant à la disposition des Etats membres toutes les données réglementaires et scientifiques sur les différentes possibilités de se procurer des vaccins pandémiques, soit à partir de la procédure européenne des dossiers « mock-up », soit, au niveau national, à partir de vaccins saisonniers. Pouvez-vous nous communiquer ce document ?

Pouvez-vous nous donner des précisions sur les différents choix nationaux entre les « options » ainsi proposées ?

M. John F. Ryan - Je n'ai pas connaissance de ce document. S'il émane de l'Agence, il vaut mieux le lui demander. Je crois qu'elle ne fera aucun problème pour vous le donner.

En second lieu, les politiques de vaccination varient d'un pays à l'autre et tout d'abord en fonction des moyens budgétaires. C'est le fondement du problème.

Certains Etat membres ont mis suffisamment d'argent de côté pour la préparation à la pandémie : ils ont fait des commandes à l'avance, constitué des stocks d'antiviraux et de masques, mis en place des systèmes de préparation. D'autres ne l'ont pas fait. C'est souvent un choix budgétaire.

Certains pays baltes sont en train de fermer des hôpitaux parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour les maternités par exemple.

M. François Autain, président - Nous en fermons aussi !

M. John F. Ryan - Si vous aviez le choix entre maintenir ou laisser ouverts des hôpitaux et investir dans une pandémie qui risque d'arriver, le choix serait vite fait. Cela explique, selon moi, une large part de la différence d'approche.

M. François Autain, président - Pensez-vous que si la Pologne a renoncé à la vaccination, c'est uniquement pour des raisons budgétaires ? Cela ne nous est pas présenté comme cela ! Il ne m'a pas semblé entendre la ministre de la santé polonaise invoquer des raisons budgétaires pour expliquer cette stratégie. Bien au contraire, ce sont des raisons liées au principe de précaution - elle a beaucoup critiqué le vaccin - et aussi, d'après ce que j'ai cru comprendre, pour des raisons tenant à la menace elle-même.

M. John F. Ryan - Cela se peut. Je ne veux pas commenter le cas de la Pologne mais tous les Etats membres étaient sur la même longueur d'ondes. Une approche commune a été adoptée au mois d'août au sein du comité de sécurité sanitaire concernant les populations à vacciner.

Par ailleurs, chaque Etat membre a certainement considéré les aspects budgétaires liés à l'achat des vaccins.

Enfin, il est possible qu'un Etat membre ait eu une autre appréciation de la gravité de la situation, mais il me semble bizarre que cette appréciation soit limitée à un seul Etat membre alors que les vingt-six autres ont décidé la vaccination.

M. François Autain, président - La Hongrie n'a pas utilisé le même procédé de vaccination. On m'a dit qu'il s'agissait d'un vaccin de type saisonnier.

M. John F. Ryan - Je ne crois pas. Nous pouvons vous fournir les éléments en notre possession...

M. François Autain, président - C'est donc une fausse information !

M. John F. Ryan - Je ne dis pas cela ! Selon mon information, il s'agit d'un produit appelé Omninvest, qui est un vaccin avec adjuvant, approuvé seulement pour l'utilisation en Hongrie.

Beaucoup de Polonais sont allés en Hongrie pour l'acheter parce qu'il n'était pas disponible en Pologne.

La Roumanie, quant à elle, avait une production nationale propre ; elle a donc fabriqué ses propres vaccins.

A ma connaissance, aucun Etat membre n'a utilisé le vaccin saisonnier qui n'aurait pas fourni de protection.

M. François Autain, président - Je me suis mal fait comprendre : il s'agissait d'un vaccin fabriqué sur le type saisonnier. Ce n'était pas le vaccin saisonnier classique.

M. John F. Ryan - C'est possible.

M. François Autain, président - Comme aux Etats-Unis, en quelque sorte...

M. John F. Ryan - Dans certains cas, l'Allemagne a choisi d'importer des vaccins de l'Australie. On a donc plusieurs cas d'espèce. Même si la Communauté a approuvé un certain nombre de vaccins, certains pays ont produit ou fabriqué leur propre vaccin.

Pour l'Ukraine, il y a eu une concurrence entre les fabricants communautaires et les fabricants russes. L'Ukraine étant partagée en deux, la partie Ouest est fournie par les fabricants communautaires et la partie Est par les Russes.

M. Alain Milon, rapporteur - La Commission dispose-t-elle de données comparatives sur les politiques vaccinales mises en oeuvre par les différents Etats membres (populations visées, importance des commandes de vaccins, dispositif de vaccination) et sur leurs résultats en termes de proportion de la population couverte par la vaccination ?

M. John F. Ryan - Oui. Nous avons des tableaux que l'on peut vous fournir. Il faut que je demande d'abord aux Etats membres la permission de le faire, certaines informations étant considérées comme pouvant toucher à la sécurité nationale.

Ces informations ayant déjà été fournies au Parlement européen, je ne vois pas ce qui pourrait s'y opposer...

M. François Autain, président - Vous pouvez donc nous les communiquer puisque vous les avez communiquées au Parlement européen !

M. John F. Ryan - J'ai demandé la permission avant de le faire. C'est une formalité.

Certains Etats membres ont décidé de vacciner tout le monde ; d'autres ont décidé de vacciner les groupes cibles, d'autres encore les politiciens, les fonctionnaires, les personnels de santé, etc.

Il y a différentes gradations dans les politiques vaccinales ; cela dépendait aussi de la situation des commandes.

Si on avait commandé pour tout le monde, on pouvait être plus large avec l'approche.

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous des éléments sur l'utilisation des vaccins initialement commandés, le nombre de commandes passées par les Etats et le fait que certains Etats soient revenus sur leurs commandes initiales ?

M. John F. Ryan - On a les pourcentages de personnes vaccinées dans les Etats membres.

M. Alain Milon, rapporteur - Il pourrait être intéressant que vous nous les communiquiez.

Par ailleurs, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a regretté devant notre commission d'enquête qu'il n'y ait pas eu de stratégie coordonnée des Etats de l'Union européenne en ce qui concerne la négociation des achats de vaccins. La Commission européenne partage-t-elle ce sentiment ? Y a-t-il eu cependant des échanges entre les Etats membres sur ces négociations ?

M. François Autain, président - J'ai lu dans un journal professionnel qu'il avait été commandé au total, au niveau mondial, un milliard de doses de vaccins et que seulement 200 millions de doses avaient été utilisés. Ces chiffres sont-ils crédibles ou non ?

M. John F. Ryan - J'ai eu connaissance de la même estimation.

M. François Autain, président - Appelle-t-on cela de la précaution ou du gaspillage ?

M. John F. Ryan - Non. Il faut rappeler qu'il était d'abord prévu d'utiliser deux doses.

M. François Autain, président - Cela fait 400 millions : il reste encore 600 ! Cela fait beaucoup ! Peu importe...

M. John F. Ryan - Je ne dis pas qu'une approche communautaire aurait résolu le problème !

Pour en revenir à ce qu'a dit madame la ministre, la Commission a déjà dans le passé, à deux reprises, essayé de pousser la barque de la coordination communautaire en matière d'approche commune.

Pour ce qui concerne le Tamiflu, nous avions proposé, en 2006, aux ministres de la santé la création d'un stock commun d'antiviraux pour pouvoir éventuellement faire face aux besoins qui auraient pu se manifester quelque part dans un territoire communautaire.

Ceci a été à chaque fois refusé par les ministres de la santé, la moitié étant pour et l'autre moitié contre. Cette décision exigeant un consensus, on n'a pas pu avancer et le commissaire de l'époque, M. Kyprianou, avait renoncé.

Pour ce qui est de la vaccination contre le HPV - vaccin coûteux - il nous avait semblé important, s'agissant de la santé des femmes et de leur protection contre le cancer, de faire un effort de coordination communautaire.

Les Etats membres ont également insisté sur leur souveraineté et ont souhaité conserver leur pouvoir de décision nationale.

Grâce à la pandémie H1N1, nous avons fait progresser l'idée d'appels d'offres communs et celle d'un « stock communautaire virtuel » pour permettre aux pays ayant trop de stocks de les partager avec d'autres. Cela a fonctionné avec la Bulgarie, l'Ukraine et d'autres Etats membres, certains ayant acheté aux autres. Ces expériences seront à creuser et le Conseil des ministres nous a précisément demandé l'année dernière d'examiner les possibilités de création de tels systèmes.

M. Alain Milon, rapporteur - Est-il logique, au regard du droit communautaire, que les Etats membres aient accepté d'assumer la responsabilité des dommages éventuels consécutifs à l'utilisation de vaccins ayant bénéficié d'une AMM ?

M. John F. Ryan - Le droit communautaire prévoit que la responsabilité incombe au fabricant.

Il ne peut donc s'agir que des exceptions prévues dans le cadre des contrats passés individuellement avec les fournisseurs et les pays membres commanditaires. Mais je ne connais pas ces contrats, qui étaient couverts pas des clauses de confidentialité.

De telles clauses pourraient avoir une certaine logique si les prix avaient baissé en conséquence.

Il se peut qu'il y ait eu un changement de prix en conséquence mais je n'ai pas copie des contrats ni connaissance des négociations.

M. Alain Milon, rapporteur - La morbidité et la mortalité liées à la grippe H1N1 ont-elles substantiellement varié dans les Etats membres en fonction des différentes politiques antipandémiques nationales ?

M. John F. Ryan - Pas énormément...

M. François Autain, président - C'est l'impression que l'on a !

M. John F. Ryan - Mais il est trop tôt pour le dire car certaines études sont en cours pour étudier les déclarations de décès.

Aux Etats-Unis, certaines études qui ont été publiées, et dont je puis vous donner les références, font état du fait que la mortalité prématurée due à la pandémie pourrait être quatre fois supérieure à celle estimée actuellement.

Ceci est dû aux différences entre l'indication figurant sur les déclarations de décès et les véritables raisons qui peuvent être liées à la pandémie.

Le problème vient du fait que lorsque les responsables déclarent la cause du décès, il ne s'agit pas toujours de la grippe pandémique H1N1 ; les statistiques sont donc faussées et il faut engager des études, en cours actuellement, pour identifier les implications communautaires du H1N1.

M. François Autain, président - Pourrez-vous nous fournir ces chiffres ?

M. John F. Ryan - Certainement !

M. Alain Milon, rapporteur - Peut-on faire un parallèle avec la grippe saisonnière ?

M. John F. Ryan - Oui, on peut dire que cette pandémie était moins nocive mais elle a aussi affecté une population différente, composée de jeunes et des femmes enceintes.

M. Alain Milon, rapporteur - Je me suis mal exprimé : on n'a nulle part d'études sur les morts provoquées par la grippe saisonnière. Certains estiment que l'on vaccine contre la grippe saisonnière sans en connaître véritablement le résultat, ni sans savoir si cela sert à quelque chose. Pourrait-on faire de telles études ?

M. John F. Ryan - Il existe des chiffres sur la grippe saisonnière mais on en revient au même problème : les statistiques - sauf si l'on fait une analyse sanguine - ne sont pas des plus fiables.

M. Alain Milon, rapporteur - Serait-il concevable d'harmoniser, au niveau européen, de « bonnes pratiques » en matière d'organisation de l'expertise sanitaire, de prévention et de gestion des conflits d'intérêts ?

M. John F. Ryan - S'agissant de la gestion des conflits d'intérêts, les agences communautaires et la Commission ont déjà des règles en vigueur.

Quelqu'un qui est engagé par un comité scientifique ou qui fournit des conseils à une agence pour élaborer une analyse de risques est obligé de déclarer ses liens d'intérêts ; ces déclarations sont publiées. La transparence est notre plus grande alliée en la matière. C'est souvent grâce à la publication des CV ou des déclarations d'intérêts sur Internet que l'on met à jour certains liens d'intérêts

J'en ai fait moi-même l'expérience : alors que j'étais sur le point de nommer une personne dans un comité scientifique, une ONG m'a informé que celle-ci travaillait pour l'industrie du tabac quinze ans auparavant - ce qu'elle n'avait pas déclaré !

Vous avez posé la question de savoir si nous menons une coordination sur les préventions. Oui, nous réalisons bien une coordination sur les préventions au sein des différentes agences. Ainsi, l'Agence de Stockholm sur les maladies transmissibles a fourni au long de la pandémie des avis scientifiques sur les meilleures pratiques visant à protéger les personnes.

M. Marc Laménie - J'aurais une question sur les statistiques, même si M. John Ryan a évoqué les difficultés pour obtenir des données précises.

A-t-on une idée du nombre de décès liés à la pandémie ? Je reconnais que les données précises directes ou indirectes doivent être très difficiles à obtenir.

M. John F. Ryan - Les chiffres que l'on a reçus de notre agence commune avec l'OMS s'élevaient à 15 500 au niveau mondial ; au niveau communautaire, on en déplorait 3 000, soit un total de 18 200 mais les statistiques sont à traiter avec beaucoup de prudence : on peut déclarer des décès pour d'autres raisons que la grippe H1N1.

C'est encore plus important en ce qui concerne les taux d'infection. Au début, on testait tout le monde et chaque personne était suivie individuellement. On traquait vraiment l'infection.

Après un certain temps, le nombre s'est révélé trop important, on n'a pu contrôler chaque cas. Les chiffres sont donc vraiment approximatifs, surtout en matière d'infection.

Mme Christiane Kammermann - A-t-on pu tirer un enseignement des décès constatés - à l'aide d'autopsies, par exemple - de façon à faire davantage de recherches et de contrôles de ce qui s'est passé durant la maladie et au moment du décès ?

M. John F. Ryan - Je ne dirais pas que l'on a appris énormément de choses grâce aux décès mais on a certainement tiré une expérience du traitement des patients lors de la maladie. Les hôpitaux de certains Etats membres étaient submergés. Au Portugal et en Grèce, les unités de soins intensifs étaient submergées par des cas de H1N1 et l'on devait évacuer les autres patients.

Les pays qui avaient une certaine réserve de lits, comme la France ou l'Allemagne, étaient mieux lotis que d'autres. Les petits Etats membres étaient en grande difficulté face aux personnes qu'ils devaient placer sous assistance respiratoire.

On a ainsi appris qu'il fallait aider les hôpitaux à acquérir des équipements supplémentaires, à dispenser des formations et à avoir du personnel en plus pour absorber ces situations.

Mme Christiane Kammermann - Les hôpitaux ne sont jamais submergés par la grippe saisonnière.

M. John F. Ryan - Non, mais il ne faut pas mettre les gens sous assistance respiratoire dans ces cas là.

Les femmes enceintes infectés par le H1N1 ou les jeunes avaient souvent besoin d'une respiration artificielle et le nombre d'équipements disponibles dans ces hôpitaux était limité. C'était une question de capacité.

Mme Christiane Kammermann - Si une pandémie survenait maintenant, serait-on mieux équipé ? En aurait-on tiré un enseignement ?

M. John F. Ryan - Non, pas encore. On voulait précisément réaliser cette évaluation de la gestion de la crise, que l'on a commencée en temps réel. La Commission a signé le contrat pour l'évaluation en même temps que le début de la crise, au mois d'avril dernier.

On attend maintenant d'avoir les deux rapports que j'ai mentionnés pour présenter aux ministres, en juillet, les leçons que l'on en a tirées, les changements nécessaires sur le plan communautaire et ceux concernant l'OMS.

Mme Christiane Kammermann - C'est très important car cela reviendra !

M. John F. Ryan - Certainement. Le plus important est qu'il me semble que l'on a perdu quelque peu l'appui du public dans tout cela !

M. François Autain, président - C'est le moins que l'on puisse dire !

M. John F. Ryan - Vous ne m'avez pas posé de questions sur la communication mais il me semble qu'il est fondamental que l'on puisse communiquer avec le public en matière de risques. Si quelque chose arrivait demain et que la Communauté européenne conseillait de se faire vacciner, les citoyens ne le feraient pas, du fait de ce qui est arrivé.

C'est le drame auquel nous sommes confrontés actuellement. Il s'agit de définir une stratégie de communication réaliste en adéquation avec les données scientifiques. Il faut que la communication puisse évoluer avec le temps. Si l'on voit que la situation n'est pas aussi dramatique que prévu, il faut moduler les messages !

M. François Autain, président - Vous avez raison mais on a le sentiment que le message n'a pas été modulé et que l'on n'a pas tenu compte de l'évolution du risque au fur à mesure que le temps s'écoulait.

C'est en effet fort dommageable pour la suite : la parole publique a perdu de sa crédibilité. La prochaine fois, on aura peut-être du mal à être suivi par l'opinion - quoique, si l'on s'aperçoit sur le terrain que le risque est élevé, je pense que l'opinion comprendra très vite qu'il y a lieu de se faire vacciner.

Plus personne ne demandant à intervenir, il me reste à vous remercier infiniment, monsieur Ryan, pour la contribution que vous avez apportée à notre réflexion.

Audition de M. Roger SALAMON,
professeur de santé publique,
président du Haut Conseil de la santé publique
(mercredi 12 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons le professeur Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Roger Salamon prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Roger Salamon - Aucun.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Roger Salamon - Un court préambule : vous avez auditionné dernièrement un ami que je respecte, M. Yves Charpak qui, d'après ce que j'ai lu dans un communiqué de l'AMP, a dit un certain nombre de choses sur le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ; je voudrais y revenir pour deux raisons.

Quels que soient les liens que j'ai avec M. Yves Charpak - qui sont très étroits - il n'était pas mandaté par le HCSP pour parler en son nom ; en outre, il ne faisait partie ni de la Commission de maladies transmissibles, présidée par M. Christian Perronne, ni du Comité technique des vaccinations, présidé par M. Daniel Floret. Il a le droit d'avoir un avis personnel mais ce qu'il a dit ne constitue pas l'avis du HCSP - qui n'est d'ailleurs pas d'accord avec lui !

M. François Autain, président - Je ne pense pas qu'il ait parlé au nom du HCSP. Il s'est exprimé à titre personnel et nous l'avons d'ailleurs auditionné en tant qu'expert et non en tant que membre du HCSP. Il était intervenu sur la grippe à plusieurs reprises soit à la radio, soit dans des journaux et avait émis des opinions quelque peu hétérodoxes. C'est à ce titre là que nous désirions l'entendre mais je ne pense pas que nous ayons à aucun moment considéré que ses interventions engageaient le HCSP.

M. Roger Salamon - Je n'ai aucun souci quant à l'interprétation que vous pourriez en faire mais ces communiqués de l'AMP sont lus et beaucoup se sont étonnés de cet avis, qui ne traduit pas celui du HCSP - qui est contraire à ce qu'a dit M. Yves Charpak.

C'est pourquoi je me suis permis ce préambule. J'aurais aimé que cela se sache. Le ministère s'en est inquiété et le cabinet de Mme Roselyne Bachelot m'a immédiatement demandé si le HCSP avait tenu de tels propos !

M. François Autain, président - Nous allons donc maintenant entendre le HCSP.

M. Roger Salamon - Je suis professeur de santé publique à Bordeaux, où je dirige une unité INSERM ; j'ai été, en 2007, élu président du HCSP. C'est une structure mise en place dans la loi de santé publique de 2004 ; elle regroupe l'ancien Haut Comité de la santé publique et le Comité d'hygiène publique, qui remonte aux années 1800.

Le HCSP est chargé d'évaluer les objectifs de la loi de santé publique et d'en proposer de nouveaux pour une nouvelle loi de santé publique dont nous espérons qu'elle sorte en 2011...

M. François Autain, président - Elle est en préparation.

M. Roger Salamon - A côté de cette activité, nous avons aussi l'obligation d'évaluer les plans Alzheimer, cancer, maladies rares.

En outre, nous devons répondre à des saisines sur les maladies transmissibles et l'environnement dont traitent deux commissions ; la première, où siège le CTV, est présidée par M. Christian Perronne, professeur à Bichat ; la commission environnement, quant à elle, est perpétuellement soumise à des saisines en urgence...

M. François Autain, président - Dont le président est M. Yves Charpak...

M. Roger Salamon - En effet.

Sachez que le HCSP n'a été interrogé qu'après la décision d'acheter une certaine quantité de vaccins, pour savoir comment les donner et à quelle population.

M. François Autain, président - Cela correspond à ce qu'on lit.

M. Roger Salamon - Nous avons défini deux populations cibles prioritaires, celle en charge de la sécurité publique - armée, pompiers, professionnels du soin, etc. - et les personnes les plus à risque - femmes enceintes, enfants en dessous d'un certain âge... Nous avons établi une liste assez proche de celle de l'OMS, qui n'est pas particulièrement originale.

M. François Autain, président - Vous avez quand même été informés de la commande des vaccins par le Gouvernement à deux reprises, en juin et août.

En juin, vous avez été informés que le Gouvernement avait commandé 72 millions de doses et en août, par saisine du DGS, qu'il en avait commandé quatre-vingt-quatorze millions de doses et vous avez bien fait d'indiquer que vous n'aviez été à aucun moment sollicités pour donner votre avis sur cet achat. C'est très important, me semble-t-il, au stade où nous en sommes.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans un reportage diffusé sur France 3 vous avez fait état de réunions informelles de scientifiques autour de la ministre de la santé et de son directeur de cabinet pendant la crise pandémique. Pouvez-vous développer cette information ?

M. Roger Salamon - Les réunions informelles étaient celles tenues par le CLCG.

Même si c'est souhaitable, il est impossible de l'intégrer dans le HCSP, qui a été constitué de manière extrêmement innovante afin de garantir son indépendance vis-à-vis du politique. Les candidats se sont présentés suite à un appel d'offres passé dans toutes les universités ; un comité purement scientifique a étudié les CV, retenu des gens et en a refusé d'autres. Ce comité était totalement indépendant alors que les membres du CLCG ont été désignés.

M. François Autain, président - C'est un arrêté de la ministre.

M. Roger Salamon - Il existait certes des liens mais ces personnes ne pouvaient faire partie du HCSP, qui a été constitué de manière différente.

M. François Autain, président - Vous avez travaillé en étroite collaboration avec eux puisque les rapports que vous avez publiés, ainsi qu'un certain nombre d'avis, ont été établis en relation avec le CLCG.

M. Roger Salamon - Cela ne me paraît pas illogique. De là à dire que nous étions une chambre d'enregistrement, c'est totalement faux !

M. François Autain, président - Qui a dit cela ?

M. Roger Salamon - La personne dont on a parlé tout à l'heure ! C'est un des problèmes en France : les experts interviennent dans beaucoup de lieux.

On a travaillé avec eux dans de bonnes relations mais un certain nombre de questions qui ont été posées ne les concernaient pas, comme celle portant sur les priorités ou sur le fait de savoir s'il fallait ou non acheter les vaccins.

M. Alain Milon, rapporteur - De quelle manière le HCSP a-t-il été consulté sur la vaccination ? M. Charpak a jugé que les premiers avis du HCSP marquaient une réticence à l'égard de la décision de recourir à une vaccination de masse. Est-ce aussi votre appréciation ?

M. Roger Salamon - Il existe deux modalités de vaccination face à une telle pandémie. La première consiste à vacciner le maximum de personnes pour empêcher l'épidémie d'arriver. Il s'agit d'une vaccination de masse, orientée d'abord vers les enfants.

La seconde modalité, si l'épidémie est déjà installée, n'est plus d'essayer de l'enrayer mais de définir les groupes les plus à risque.

Lorsqu'on nous a posé la question, nous avons répondu très clairement que l'option consistant à faire une vaccination de masse pour éviter l'épidémie n'était plus possible.

M. François Autain, président - Qu'entendez-vous par une vaccination de masse ? A partir de quel pourcentage de vaccination peut-on parler de vaccination de masse ?

M. Roger Salamon - Dans le premier cas, on a estimé que si 30 % de la population étaient vaccinés - surtout les enfants et leur entourage - cela suffisait à arrêter l'épidémie.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est l'effet barrière...

M. Roger Salamon - C'est la première option, qui n'était plus d'actualité.

Dans la seconde option, une vaccination de masse consiste à vacciner le maximum de personnes et d'abord celles les plus à risque. La notion de vaccination de masse n'est donc pas la même dans les deux cas.

Yves Charpak a dit - à juste titre, nous l'avons d'ailleurs écrit - que cette position n'était plus ni souhaitable, ni possible. Pour nous, il s'agissait donc de savoir comment distribuer les vaccins pour éviter les conséquences néfastes de l'épidémie - complications, éventuelle mortalité. On a donc fixé les priorités - les femmes enceintes, les enfants scolarisés de trois à dix ans.

M. François Autain, président - Imaginons que l'on vous ait consultés sur le nombre de doses de vaccin à acheter. Auriez-vous conseillé d'acheter 80 millions de doses ?

M. Roger Salamon - J'aurais posé la question à la commission des maladies transmissibles et au CTV.

A titre personnel, j'aurais bien évidemment dit de faire ce qui a été fait. Je ne vois pas comment la ministre, qui était en position de responsabilité, aurait pu faire autrement !

M. Alain Milon, rapporteur - Le seuil barrière de 30 % est-il établi scientifiquement ? A Londres, les scientifiques anglais ont conseillé au ministère de vacciner 100 % de la population pour assurer un effet barrière.

Ils ne l'ont pas fait non plus et ils ont eu au bout du compte le même nombre de personnes vaccinées que nous. Au départ, ils avaient commandé 120 millions de doses pour vacciner l'ensemble de leur population. 30 % de la population a-t-il un sens ?

M. Roger Salamon - Je peux vous garantir qu'il existe scientifiquement un effet seuil qui fait qu'à partir du moment où une population a été immunisée, vaccinée et que l'on a évité une pathologie transmissible dans un pourcentage d'une population, il y a spontanément arrêt de l'épidémie.

C'est un modèle très connu mais je ne suis pas assez compétent pour dire s'il s'agit de 30 ou 41 %. J'imagine que les 30 % ont été calculés et sont crédibles.

M. Alain Milon, rapporteur - Le risque d'un deuxième pic plus sévère justifie-t-il le recours à une vaccination de masse dès lors que la première circulation du virus aura déjà immunisé une part importante de la population ?

M. Roger Salamon - Question difficile ! Votre question pourrait être la question que poserait M. Didier Houssin ou Mme Roselyne Bachelot au HCSP ; elle mériterait que celui-ci se réunisse pour y répondre.

C'est une question qui est posée dans un certain contexte où on a l'impression que ce qui a été fait était excessif, tout ceci s'étant révélé finalement bénin. Ce qui s'est passé est un risque grave pour une éventuelle future menace.

En outre, si l'on écoute les virologues - que je respecte beaucoup - on n'y comprend plus rien. On nous explique que c'est la seconde vague de la grippe espagnole qui a tué. Si l'on veut donc répondre en toute objectivité, la question mérite que les experts s'y penchent. Si vous voulez nous saisir, je transmettrai volontiers votre demande mais je ne puis pas sincèrement répondre.

M. François Autain, président - Je ne pense pas que l'on y soit habilité.

M. Roger Salamon - Vous le pouvez !

M. François Autain, président - Pas la commission d'enquête !

M. Roger Salamon - Le Sénat le peut ! Je ne suis pas capable de répondre sereinement.

Personnellement, je suis content d'avoir été vacciné. S'il y a une seconde vague, je suis sûr que je pourrai m'occuper de mes enfants et de mes petits-enfants tranquillement.

M. François Autain, président - La vaccination contre la grippe, contrairement à d'autres, comme la polio ou la variole, doit être renouvelée de façon périodique. On ne peut dire que l'on est immunisé parce que l'on a été vacciné une fois. D'après les virologues, il semble qu'une vaccination contre la grippe doit se renouveler tous les ans. La preuve en est que la vaccination contre la grippe saisonnière doit se faire tous les ans. J'aimerais donc que vous argumentiez l'assurance que vous développez.

M. Roger Salamon - J'ai dit qu'en cas de nouvelle vague, j'étais immunisé. Je n'ai pas dit que l'année prochaine, en cas de nouvelle grippe, je serai vacciné d'office.

M. François Autain, président - Le virus peut muter !

M. Roger Salamon - Savoir s'il faut ou non, du fait de mutations - dont certaines sont importantes et d'autres moins - vacciner les gens chaque année contre la grippe saisonnière est une question qui mériterait d'être posée. Tout le monde n'est pas d'accord.

Personnellement, sans être très compétent, je pense que le vaccin contre la grippe de l'année prochaine contiendra du H1N1. Je pense que les gens vaccinés d'une année sur l'autre sont mieux immunisés contre la grippe, même si ce n'est pas aussi fort que le vaccin de l'année. Si l'armée vaccine tous les trois ans, il y a peut-être une raison !

M. François Autain, président - C'est ce que M. Marc Gentilini nous a appris. Il a également dit que l'on n'était pas sûr de l'efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière.

M. Roger Salamon - Je suis d'accord avec lui. Cela dépend du taux d'efficacité.

M. François Autain, président - Il préconisait que l'on fasse des essais.

M. Roger Salamon - La seule chose dont je sois sûr - et cela n'a pas été assez dit - c'est que les effets secondaires du vaccin contre la grippe n'existent pas !

M. François Autain, président - Je suis d'accord avec vous.

Etendez-vous cette certitude relative à l'innocuité à tous les vaccins antigrippaux, qu'ils comprennent ou non des adjuvants cultivés sur oeuf ou sur cellule ?

M. Roger Salamon - Je suis épidémiologiste et non virologue.

M. François Autain, président - Vous avez quand même des certitudes ! Faites-les nous partager !

M. Roger Salamon - Un épidémiologiste qui étudierait le nombre d'effets secondaires touchant des gens vaccinés contre la grippe depuis dix ans dans le monde vous dirait la même chose que moi : c'est une vaccination, avec ou sans adjuvant, sans risque !

Une vaccination contre la grippe saisonnière ou contre la grippe H1N1 est-elle à 100 % efficace ? Je ne sais pas mais, étant donné qu'il n'y a aucun risque et que ce n'est pas très cher, autant se faire vacciner chaque année lorsqu'on a un certain âge ! Il existe énormément de questions pour lesquelles on ne trouvera jamais de réponse !

M. Alain Milon, rapporteur - Dans ces conditions, certains médecins vaccinent contre la grippe H1N1 ou saisonnière mais conseillent aussi à leurs malades de se faire vacciner contre les infections à pneumocoques, qui viennent souvent compliquer la grippe saisonnière.

Le professeur Marc Gentilini nous a bien dit que s'il n'était pas favorable à la vaccination contre la grippe saisonnière, estimant que celle-ci n'était pas obligatoirement utile, il estimait extrêmement utile la vaccination contre les complications de la grippe, en particulier pulmonaire.

M. Roger Salamon - J'espère que vous n'imaginez pas que je vais contredire M. Marc Gentilini, qui était mon maître lorsque je faisais médecine à Paris !

Je l'ai contredit à un moment, lui comme le professeur Bernard Debré, qui est urologue et non infectiologue ; j'ai dit que tous deux avaient fait une erreur répréhensible, surtout si la maladie avait été aussi grave que ce que l'on craignait, en participant à la croyance qu'il ne fallait pas se faire vacciner.

M. François Autain, président - Dites-vous aujourd'hui encore que c'est une erreur ?

M. Roger Salamon - Enorme !

M. François Autain, président - Ils sont les seuls à ne pas s'être trompés et c'est malgré tout une erreur !

M. Roger Salamon - On ne peut pas considérer qu'ils ne se soient pas trompés. D'autres ont dit la même chose, y compris dans les cafés du commerce ! Il s'avère qu'ils ont eu raison de le dire mais ils n'ont pas dit les raisons.

M. François Autain, président - Vous considérez donc que les experts - vous en particulier - ne se sont pas trompés ?

M. Roger Salamon - A propos de quoi ?

M. François Autain, président - C'est une question que je pose !

M. Roger Salamon - Je ne me qualifie pas d'expert sur ce sujet et je considère qu'un urologue n'est pas nécessairement plus expert que moi.

M. François Autain, président - Vous êtes épidémiologiste !

M. Roger Salamon - Je ne suis pas expert de la grippe : je connais bien le Sida.

Laissez-moi vous expliquer : l'OMS déclenche une alerte de niveau 6. N'importe quel ministre d'un pays développé s'alarme. C'est fait pour cela. Si l'on doit rechercher des conflits d'intérêts, on peut peut-être se tourner vers l'OMS. Le ministre estime qu'il faut vacciner les gens pour les prémunir contre ce fléau qui peut être très grave. On a le souvenir de la grippe espagnole et de la canicule, qui a coûté sa carrière à un ministre. Le principe de précaution jouant, le ministère décide d'agir. Dès lors qu'il commande des vaccins, recommande une vaccination que l'on sait sans risque et souhaitable - même si cela apparaît a posteriori excessif - je pense que le corps médical dans son ensemble et ceux qui sont médiatisés doivent aller dans ce sens.

C'est pourquoi je crois qu'il fallait aller dans le sens d'une protection de la population plutôt que de donner l'impression qu'il y avait des risques ou que c'était inutile.

Vous dites qu'ils avaient raison : imaginez ce que cela aurait été s'ils avaient eu tort !

M. François Autain, président - Si demain un astéroïde nous tombe sur la tête, cela sera également extraordinaire !

M. Roger Salamon - Imaginez ce qui se serait passé si beaucoup de gens avaient suivi ces recommandations, n'étaient pas allés se faire vacciner et si la maladie avait été grave et létale, ce n'est pas un jeu à coût-bénéfice égal !

M. François Autain, président - Je crois qu'il y a entre nous un profond désaccord : j'estime que ce n'est pas un jeu !

Imaginez ce qui se serait passé si c'était vous qui aviez eu raison : les deux personnes dont on parle ont pris des risques énormes. Elles se sont exprimées en fonction de convictions profondes. Il y a de votre part un déni de réalité : la réalité, c'est que les choses se sont déroulées comme ils l'avaient prévu ! On est bien obligé, avec le recul, de constater que ce sont eux, par définition incompétents comme vous le prétendez, qui ont eu raison alors que ceux qui sont compétents ont eu tort ! Il faudra m'expliquer pourquoi l'on doit forcément donner raison à ceux qui ont eu tort parce qu'une science nous oblige à reconnaître que, même quand on se trompe, on a raison !

Il y a là un raisonnement qui nous sépare ; je ne demanderais pas mieux que d'essayer de vous comprendre, mais j'ai des difficultés.

M. Roger Salamon - Je comprends...

M. François Autain, président - D'autant qu'ils n'étaient pas les seuls ! Il y a, notamment à l'étranger, des personnalités très compétentes qui se sont non seulement exprimées dans le même sens que les professeurs Marc Gentilini et Bernard Debré mais qui ont aussi écrit des articles que l'on peut consulter aujourd'hui. Ce sont des gens fort respectables qui ont des compétences que peut-être vous ne prêtez pas, à juste titre sans doute, à ces deux personnalités.

Ils ont, eux aussi, eu raison avant les autres mais selon votre raisonnement, il faut considérer qu'ils ont eu tort. Ils auraient peut-être dû garder leurs convictions pour eux par respect de la sécurité nationale.

C'est très bizarre. Je ne comprends pas votre position.

M. Roger Salamon - Je voudrais essayer de m'exprimer brièvement pour vous rassurer éventuellement.

Je ne me suis pas permis de parler de leur incompétence sans dire que je n'étais pas non plus compétent à l'époque pour pouvoir faire une prévision scientifique de ce qui allait se passer...

Ce n'est pas un sujet sur lequel on a des convictions : il existe des faits scientifiques. J'ai entendu des humoristes dire également que leur conviction était que ce n'était pas grave ! La conviction des gens, quels qu'ils soient, n'est pas ce qui m'intéresse le plus. Lorsqu'il existe un risque majeur s'agissant d'une épidémie extrêmement pandémique, avec un risque létal pour des gens qui ne font pas partie des populations à risque et qu'un gouvernement essaye de vacciner les citoyens, quelle que soit la conviction que l'on peut avoir, on essaye de ne pas entraver une action de santé publique - mais je puis me tromper !

M. François Autain, président - Une conviction est établie sur des faits ! S'ils se sont prononcés, c'est parce qu'ils se sont appuyés sur ce qui se passait dans l'hémisphère Sud !

M. Roger Salamon - Une campagne de vaccination a été lancée avec de bons arguments qui étaient à peu près les mêmes dans tous les pays. Je continue à penser qu'il n'est pas nécessaire d'affirmer qu'il ne faut pas se faire vacciner ou de dire qu'il existe des risques de Guillain-Barré alors qu'il n'y en a pas !

M. François Autain, président - Ce n'est pas parce qu'on a acheté 94 millions de doses qu'il faut systématiquement vacciner ! La preuve en est qu'on n'en a utilisé que quelques millions ! En Europe, seulement 200 millions de doses sur un milliard ont été utilisés. Ce n'est pas de la précaution, c'est du gaspillage !

M. Roger Salamon - Des gens savent-ils quel a été le bénéfice de cette utilisation ?

M. François Autain, président - On ne le connaît pas encore !

M. Roger Salamon - C'est ce que je dis !

M. François Autain, président - On ne possède pas les études permettant une comparaison entre les pays ayant eu des stratégies différentes.

M. John F. Ryan nous a dit qu'il avait le sentiment que, quelle que soit la stratégie vaccinale et la létalité, l'évolution de la grippe avait été la même dans tous les pays.

On peut donc s'interroger sur l'efficacité de cette stratégie vaccinale !

M. Roger Salamon - Oui, mais a posteriori !

M. François Autain, président - Nous raisonnons a posteriori mais certains, a priori, ont eu le courage de s'exprimer en ce sens et ce sont eux qui avaient raison.

M. Roger Salamon - Je suis d'accord avec vous. On peut appeler cela courage ou bien autrement. Chacun l'appelle comme il veut ! Moi, je n'appelle pas cela du courage - mais vous en avez le droit.

M. Alain Milon, rapporteur - Lors de son audition, M. Yves Charpak a estimé regrettable que la commission « évaluation et prospective » du HCSP, à laquelle il appartient, n'ait pas été consultée au moment de la crise pandémique, ce qui peut paraître étonnant. Il a également considéré que le HCSP a plutôt fonctionné comme une chambre d'enregistrement des avis du Comité de lutte contre la grippe alors que la démarche inverse aurait été préférable. Quelle est votre analyse sur cette question ?

M. Roger Salamon - Pour ce qui est de la seconde question, j'ai déjà répondu qu'il existait des liens entre nous. Les questions que l'on a posées officiellement au HCSP à propos des priorités de vaccination et des premières populations à vacciner n'ont cependant jamais été posées, me semble-t-il, au CLCG. En tout état de cause, nous n'avons pas enregistré ce que disait le CLCG.

Je regrette que le CLCG n'ait pas été d'emblée intégré à l'intérieur du HCSP.

M. Alain Milon, rapporteur - Le DGS a estimé devant notre commission d'enquête qu'il conviendrait sans doute d'intégrer le Comité de lutte contre la grippe au sein du Haut Conseil...

M. Roger Salamon - Je ne suis pas d'accord avec lui. La ministre a effectué des nominations politiques - au bon sens du terme - au sein du CLCG. On ne peut donc mettre dans le HCSP des membres recrutés d'une manière différente. S'il a voulu dire que l'on aurait dû d'emblée utiliser le HCSP pour jouer le rôle de conseiller indépendant du Gouvernement et de « parapluie », je suis d'accord avec lui.

M. Alain Milon, rapporteur - Je pense que le DGS a répondu à une question qu'on lui posait sans aller jusque-là dans la réflexion.

M. Roger Salamon - Pour aller dans le sens de M. Yves Charpak, si on avait posé ces questions au HCSP, elles auraient été adressées à la commission d'évaluation.

M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.

M. Marc Laménie - Vous nous avez beaucoup éclairés concernant les interventions du HCSP. Quelle est la perception des difficultés réelles que vous avez rencontrées au début ? Si cela se reproduisait, quel conseil pourriez-vous émettre éventuellement ?

M. Roger Salamon - La difficulté pratique a été de ne pas avoir suivi tout ce qui précédait. Le HCSP aurait aimé être l'interlocuteur immédiat et pérenne de cet événement. On aurait alors pu prendre nos responsabilités et servir de véritable conseil indépendant.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourquoi n'a-t-on pas constitué ce groupe chez vous immédiatement après l'épisode H5N1 ?

M. Roger Salamon - Dans le CTV ou la commission des maladies transmissibles, beaucoup de personnes très concernées ont suivi la situation et avaient des compétences.

Statutairement, il aurait mieux valu que l'on soit interrogé tout de suite et que l'on suive les choses depuis le début. Il est vrai que nous ne sommes pas responsables de la commande des vaccins et je le regrette. Il est dommage que l'on ne nous ait pas mis à contribution et je pense que le ministère et M. Didier Houssin ont le même sentiment.

Dans l'avenir, je crois que cela ne se reproduirait pas.

M. Gilbert Barbier - Le HCSP peut-il, dans un cas qui pourrait se renouveler, être en contradiction avec les prescriptions de l'OMS ? Votre Comité scientifique pourrait-il remettre en cause le niveau 6 ?

En second lieu, les laboratoires ont-ils pu influencer la décision des politiques dans les commandes de vaccin et comment ?

M. Roger Salamon - Nous ne pouvons évidemment nous opposer à l'OMS, étant donné les réseaux d'information dont elle dispose, en particulier en matière de grippe.

Cependant, je pense que l'on peut participer à la gestion de la pandémie. Malheureusement, on ne l'a pas fait. Peut-être y a-t-il là une réflexion à mener. Le niveau 6 concerne un nombre de cas de grippe et non la gravité de ceux-ci peut-être.

Il ne faut pas oublier par ailleurs qu'à l'origine, la létalité du virus semblait élevée et touchait principalement des jeunes sans facteurs de risque.

J'ai vu certains en mourir et j'aurais aimé qu'on les évite.

M. François Autain, président - Pensez-vous que la vaccination a pu éviter des morts comme celles que vous déplorez fort justement ?

M. Roger Salamon - Des essais menés à la FDA démontrent une certaine efficacité et une bonne tolérance. Ce n'est pas à moi de la remettre en cause.

M. François Autain, président - Les vaccinations sont intervenues le 15 octobre et, pour les enfants, à partir de mi-novembre, après le pic de cette pandémie ! Cela a-t-il été efficace ?

M. Roger Salamon - Il est très difficile de répondre...

M. François Autain, président - C'est bien ce que je pensais !

M. Roger Salamon - Si ce médicament est mis sur le marché - et la FDA ne met pas un vaccin sur le marché comme cela...

M. François Autain, président - Ce n'est pas le même que le nôtre : il n'avait pas d'adjuvant !

M. Roger Salamon - Il valait mieux qu'il y en ait un : c'est plus efficace !

M. François Autain, président - Ce n'est pas le même en tout cas !

M. Roger Salamon - Le vaccin qui a passé les différentes étapes du contrôle aux Etats-Unis, en France et en Europe, est supposé avoir une certaine efficacité. La seule chose que l'on puisse dire est qu'on n'est pas sûr à 100 % qu'il soit efficace. On sait qu'il n'a pas d'effets secondaires. S'il a une certaine efficacité, on peut imaginer que les gens qui ont été vaccinés et qui n'ont pas développé la grippe ne risquaient pas les complications de la grippe. Certaines personnes n'ont pas eu la grippe grâce au vaccin, quel que soit ce nombre...

M. François Autain, président - Y en a-t-il beaucoup, selon vous ? Pas plus de 6 millions, en tout cas ! Il y a eu 5 millions de doses ; cela ne veut pas dire qu'il y ait eu autant de personnes vaccinées, certaines ayant eu deux doses !

M. Roger Salamon - Si on l'avait fait plus tôt, cela aurait été effectivement mieux !

M. Alain Milon, rapporteur - Les morts de la grippe H1N1 étaient non vaccinés ou y a-t-il eu parmi eux des gens vaccinés ?

M. Roger Salamon - Je ne peux pas répondre. Ceux qui pourraient le faire ont dû pratiquer une autopsie des cas ou vérifier sérologiquement.

Ai-je l'impression qu'il a existé une influence des laboratoires dans toute cette affaire ? Le sentiment que j'ai - qui est partagé par tout le monde - est que les laboratoires en sont les bénéficiaires.

En second lieu, tout le monde est d'accord pour reconnaître que dans certaines instances internationales de haut niveau, comme l'OMS, où les enjeux sont réels, il existe des gens qui ont des liens forts avec l'industrie. Ce n'est pas moi qui dirais que l'on est malhonnête pour autant !

Ceci a-t-il influencé l'OMS ? Le vrai enjeu est à l'époque l'OMS. Si l'OMS déclenche l'alerte 6, je ne connais pas un pays qui ignore cette alerte...

M. François Autain, président - Si ! La ministre de Pologne !

M. Roger Salamon - Elle avait l'argent pour le faire ?

M. François Autain, président - Ce n'est pas parce qu'on a de l'argent qu'on doit le gaspiller ! Quand on n'a pas d'argent, on n'achète pas de vaccins mais ce n'est pas parce qu'on a beaucoup d'argent qu'il faut en acheter dix fois plus qu'il n'en faut !

M. Roger Salamon - Y a-t-il des pays qui avaient l'argent et qui n'ont pas acheté de vaccins ?

M. François Autain, président - Je ne sais pas si la Pologne n'avait pas d'argent !

M. Roger Salamon - Tous les pays comparables à la France ont acheté ou cherché à acheter le maximum de vaccins, je vous le garantis !

Je ne suis pas sûr que la Pologne ait eu l'argent mais je ne suis pas sûr qu'elle ait eu raison de ne pas le faire !

M. François Autain, président - Comme M. Marc Gentilini, elle a forcément eu tort !

M. Roger Salamon - M. Marc Gentilini, que j'admire beaucoup, n'a pas dit qu'il ne fallait pas vacciner : il a dit que cet argent aurait peut-être été plus utile pour combattre le paludisme en Afrique - ce en quoi il avait parfaitement raison.

M. François Autain, président - Il a dit très clairement qu'il suffisait de vacciner les personnes fragiles et non pas de gaspiller.

M. Roger Salamon - Le HCSP a dit la même chose !

M. François Autain, président - Si on l'avait suivi, on n'aurait pas eu besoin de commander 94 millions de vaccins.

M. Roger Salamon - Les vaccins étaient déjà commandés quand on nous a interrogés !

M. François Autain, président - Vous avez cependant donné votre avis...

M. Roger Salamon - J'ai le droit d'avoir un avis. J'ai une conviction ! Chacun a la sienne...

M. François Autain, président - Elle est fondée sur des considérations scientifiques et si c'était à refaire...

M. Roger Salamon - Si j'étais ministre de la santé, dans la même situation, je ferais comme Mme Roselyne Bachelot !

Pour la France, cela pose la question de l'indépendance de l'expertise. Comment en France gère-t-on les conflits d'intérêts ? Ce n'est pas une chose facile. Le HCSP a le même problème et je m'attendais à ce que l'on me demande comment nous faisons pour le gérer. Nous faisons comme l'AFSSAPS : on demande aux gens de déclarer leurs conflits d'intérêts et de renouveler leur déclaration chaque année. On n'exerce pas de contrôle, on leur fait confiance. Avant chaque réunion - je pense qu'il en va de même dans les agences - on examine les conflits d'intérêts ; ceux qui ont un conflit d'intérêts en relation même indirecte avec le sujet que l'on va traiter sont priés de ne pas participer au débat.

C'est un problème national. Il est très difficile d'exercer un contrôle - sauf par le biais d'une instance particulière - sur ce que disent les gens ou plutôt sur ce qu'ils ne disent pas. En général, on les connaît et on leur fait confiance.

Les liens, en France, entre les cliniciens et l'industrie sont très faibles, connus et presque inéluctables.

M. Gilbert Barbier - Avez-vous l'impression qu'un certain nombre de ces experts mentent manifestement ?

M. Roger Salamon - Sincèrement non, mais je pense que certaines choses se font de manière involontaire, implicite et humaine. Le lobbying - que vous connaissez en politique mieux qu'en sciences - joue même si les gens essayent de ne pas y obéir. Le lobbying est extrêmement prégnant et il est possible que des gens subissent une certaine influence mais c'est très difficile à mesurer. Je suis persuadé - et j'espère que ceci est enregistré - que les experts, en particulier dans les commissions de M. Christian Perronne et de M. Daniel Floret, sont parfaitement honnêtes, ont déclaré leurs conflits d'intérêts, l'ont vérifié à chaque réunion et ne débattent pas dès lors qu'il existe une relation quelconque entre eux et un des produits examinés. On aura toutefois toujours ce problème, en particulier à l'OMS.

C'est ce que j'expliquais à un journaliste : lorsqu'un médecin clinicien infectiologue, à l'hôpital, n'a aucun conflit d'intérêts, c'est qu'il est mauvais !

M. François Autain, président - C'est ce que dit le Leem.

M. François Autain, président - 25 % des experts de l'AFSSAPS sont donc incompétents puisqu'ils n'ont pas de liens d'intérêts !

M. Roger Salamon - Certains, comme moi, n'ont pas de raison d'avoir de liens d'intérêts, n'étant pas prescripteurs. Je parlais des médecins à l'hôpital.

Un laboratoire doit tester ses produits à l'hôpital, au cours d'un essai thérapeutique contre placébo. C'est une obligation. Le laboratoire s'adresse à un chef de service reconnu d'un CHU et paye le service pour un essai clinique.

M. François Autain, président - Il ne viendrait jamais à l'esprit de quiconque d'entre nous de suspecter l'honnêteté de ces experts. S'il y a des critiques, c'est qu'il existe parfois des conflits d'intérêts mal gérés.

M. Roger Salamon - Dans le grand public - malheureusement - beaucoup de gens croient que les experts sont tous achetés !

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez dit que les épidémiologistes n'étaient pas prescripteurs. Je pense que le débat qu'a suscité l'épidémiologie autour de la grippe H1N1 a largement contribué à la démesure des commandes. Même un épidémiologiste peut donc rendre service aux laboratoires sans être prescripteur.

Le HCSP a été saisi pour définir les personnes prioritaires ; le HCSP s'est-il posé la question des maillons sensibles de la transmission de la pandémie ? Je m'étonne qu'on n'ait pas inclus, parmi les personnes prioritaires, les éleveurs de porcs et de volailles industriels, alors qu'on sait que le réassortiment génétique se fait essentiellement dans cette chaîne. Le moindre éleveur qui aurait eu la grippe aurait été susceptible de la transmettre à son élevage ou vice versa. Ce sont des maillons de transmission qu'il eût été utile de protéger.

M. Roger Salamon - Certainement.

Vous évoquez la démesure de la commande. On a le droit de le penser mais j'aimerais que l'on précise à quel moment on a jugé de la démesure : est-ce au moment de la commande ou aujourd'hui ?

A l'époque, dans beaucoup de pays, on me disait que la France avait de la chance d'avoir passé de telles commandes, en particulier au Liban...

M. François Autain, président - Jusqu'à quelle date vous l'a-t-on dit ?

M. Roger Salamon - Durant longtemps !

Quant aux éleveurs de porcs, je ne suis pas certain que vous ayez tort. M. Daniel Floret pourra essayer de vous apporter des réponses d'ordre virologique.

M. François Autain, président - Depuis la loi de 2002, vous avez obligation de publier les liens d'intérêts des membres des institutions comme la vôtre. Or, on est bien obligé de constater qu'il y a eu un retard. Ainsi, on n'a connu les liens d'intérêts des membres du CTV que le 22 novembre dernier ! Il y a là un dysfonctionnement.

M. Roger Salamon - Je croyais que cela figurait d'office sur le site.

M. François Autain, président - Votre site n'est pas actuellement accessible !

M. Roger Salamon - La règle était de faire figurer tous les conflits d'intérêts sur le site.

M. François Autain, président - Vous ne savez donc pas pourquoi cela n'a pas été fait ?

M. Roger Salamon - Non. Je vais me renseigner car ce que j'apprends là ne me plaît pas du tout !

M. François Autain, président - Enfin, quelle est pour vous la définition d'une pandémie ?

M. Roger Salamon - Une pandémie survient lorsqu'une épidémie touche plusieurs continents ou plusieurs pays. Cela s'arrête à la notion de nombre de cas. Une épidémie est une incidence excessive ; la pandémie signifie que beaucoup de régions du monde vont être touchées. On parle de pandémie du Sida : aucun pays ne peut y échapper.

M. François Autain, président - La notion de gravité n'intervient-elle pas ?

M. Roger Salamon - Non. C'est en cela que le rôle de l'OMS aurait pu être utile. L'OMS a annoncé un nombre de cas important dans beaucoup de pays. Parallèlement, les premières données - qui n'étaient peut-être pas très crédibles - en provenance du Mexique présentaient une mortalité énorme.

M. François Autain, président - On l'a corrigée depuis !

M. Roger Salamon - Certes mais les gens s'y sont arrêtés et l'alerte de niveau 6 - c'est en cela que l'OMS a commis une erreur - a affolé les populations qui n'ont pas fait la différence entre le nombre de cas et leur gravité.

M. François Autain, président - La définition que vous donnez n'est pas tout à fait cohérente avec celle qui est donnée dans le rapport du HCSP du 22 juin et du 8 juillet 2009 : « Une pandémie grippale correspond à une forte augmentation au niveau mondial, dans l'espace et le temps, du nombre de cas et de leur gravité du fait de l'apparition d'un nouveau de virus grippal de type A doté de caractères phénotypiques inédits résultant d'une modification génétique majeure et contre lequel la population mondiale n'est pas protégée » . Une telle définition exclurait même le H1N1, puisqu'il ne s'agit pas d'une modification génétique majeure !

M. Roger Salamon - La définition de la pandémie correspond au début ; le reste a été ajouté. Il y a une erreur !

M. François Autain, président - Est-ce la seule ?

M. Roger Salamon - Je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup !

Selon moi, ce que vous avez lu ne constitue pas la définition d'une pandémie.

M. François Autain, président - Pourtant, c'est ce que vous écrivez dans ce rapport !

M. Roger Salamon - A chaque fois que des choses discutables sortent du Sénat, je ne dis pas que c'est vous qui les avez écrites !

M. François Autain, président - Bien entendu, mais vous êtes là en tant que président du HCSP !

M. Roger Salamon - La précision qui est apportée sur la grippe elle-même ne fait pas partie de la définition d'une pandémie.

M. François Autain, président - Mais elle n'est pas conforme à la définition qui figure dans le rapport du 22 juin et du 8 juillet 2009 où vous avez contracté en un seul rapport une réponse à deux saisines.

M. Roger Salamon - Cela vient peut-être de là.

En tout cas, ce que vous m'avez lu ne me convient pas. Si c'est l'opinion des gens de la commission qui ont exprimé le fait que cette pandémie les inquiétait pour les raisons que vous avez dites, je ne puis le remettre en cause.

M. François Autain, président - Vous illustrez même votre propos en citant la grippe espagnole, la grippe asiatique, la grippe de Hongkong, en montrant bien que la mutation avait porté sur le « H » - les hémagglutinines - et sur le « N » - la neuraminidase.

M. Roger Salamon - Je regarderai cela.

M. François Autain, président - En tout cas, ce qui figure dans vos écrits ne correspond pas à vos déclarations. C'est une remarque que j'ai voulu faire en conclusion à cette audition, par ailleurs très intéressante. Je vous en remercie.

M. Roger Salamon - Je ne comprends pas que l'on ait pu écrire cela !

M. François Autain, président - « Une pandémie grippale correspond à une forte augmentation au niveau mondial, dans l'espace et le temps, du nombre de cas et de leur gravité du fait de l'apparition d'un nouveau de virus grippal de type A doté de caractères phénotypiques inédits résultant d'une modification génétique majeure et contre lequel la population mondiale n'est pas protégée » .

M. Roger Salamon - Le HCSP répète-t-il ce qui lui a été dit ou est-ce lui qui l'affirme ? A quand cela remonte-t-il ?

M. François Autain, président - Cela figure dans le double rapport daté du 22 juin et du 8 juillet 2009.

M. Roger Salamon - Je regarderai cela.

Audition de M. Jérôme SCLAFER,
membre du Comité technique des vaccinations (CTV)
rattaché à la commission maladies transmissibles
du Haut Conseil de la santé publique
(mercredi 12 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Jérôme Sclafer, membre du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jérôme Sclafer prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Jérôme Sclafer - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec aucune firme pharmaceutique que ce soit ; en outre, je suis signataire chaque année de la charte « Non merci » de l'association « Mieux prescrire ». Cela signifie que je m'engage à fonder mes décisions sur les seuls intérêts des patients et de refuser toute proposition qui serait en contradiction avec ces objectifs.

M. François Autain, président - Le fait de ne pas avoir de liens d'intérêts n'est pas fort bien vu dans certains milieux : vous êtes facilement taxé d'incompétence et risquez de ne présenter aucun intérêt pour certains. On en a eu encore à l'instant une manifestation. Je pense que vous en êtes informé...

M. Jérôme Sclafer - Je l'assume.

M. François Autain, président - Nous serions donc heureux de vous entendre. M. le rapporteur vous posera ensuite les questions qu'il souhaite.

Vous avez la parole.

M. Jérôme Sclafer - Je suis médecin généraliste. Pour ce qui est de mon activité clinique, je m'occupe surtout d'usagers de drogues au centre médical Marmottan à Paris. J'ai une activité libérale en tant que remplaçant dans un cabinet de groupe à Gennevilliers. Je suis par ailleurs responsable de rubrique à la revue « Prescrire », publiée par l'association « Mieux prescrire », association à but non lucratif qui rassemble surtout des professionnels de santé. Le but de l'association est d'oeuvrer en toute indépendance pour des soins de qualité dans l'intérêt premier des patients. L'association a choisi de n'être financée que par les abonnements à ses productions.

Je suis membre du Comité technique des vaccinations depuis 2002.

Pour comprendre ce qui s'est passé autour de la grippe en 2009, il faut remonter quelques années en arrière.

M. François Autain, président - A quel moment, en 2002, avez-vous été nommé au CTV ?

M. Jérôme Sclafer - De mémoire, en octobre.

Le concept de pandémie grippale n'était pas une préoccupation importante jusqu'aux années quatre-vingt-dix. On se préoccupait surtout de la surmortalité liée à la grippe saisonnière.

La prise de conscience collective d'un problème de santé résulte généralement de plusieurs influences : des découvertes scientifiques - meilleure compréhension des recombinaisons des virus de la grippe - des améliorations techniques - typage des virus - ou des découvertes épidémiologiques - mise en valeur des effets des épidémies de 1957 et de 1968.

Mais, à l'origine, la prise de conscience collective d'un problème de santé nécessite qu'on investisse pour mettre en lumière ce problème. L'investissement peut être public ou privé.

Par nature, le financement par des acteurs industriels est intimement lié à la finalité d'en tirer un bénéfice par la vente d'un produit, d'où de forts investissements dans la promotion de la prise de conscience de certains problèmes de santé dès lors qu'une firme dispose d'un produit de santé à vendre, quitte à « gonfler » parfois le problème et l'intérêt de ses produits.

Les exemples sont nombreux dans le domaine pharmaceutique.

Les stratégies commerciales des firmes restent évidemment secrètes mais, au cours des années passées, plusieurs procès aux Etats-Unis ont permis d'accéder à leurs archives. On a eu ainsi la preuve que les firmes utilisaient de nombreux moyens, plus ou moins avouables, pour s'attacher des leaders d'opinion.

Pour ce qui est de la grippe pandémique, la prise de conscience de ce risque sanitaire a été concomitante à l'amélioration du typage des virus ainsi qu'à l'augmentation de leur surveillance chez les animaux.

Cette prise de conscience a été précédée et accompagnée d'une augmentation de l'activité éditoriale autour du concept de grippe pandémique.

Dans la base de données américaine Medline, qui répertorie les principales revues médicales, en moyenne, deux publications par an portaient un titre contenant l'expression « grippe pandémique » dans les années quatre-vingt.

En 1997, dix-huit publications avaient un tel titre ; elles accompagnaient l'alerte sur la grippe de Hong-Kong qui a fait une vingtaine de morts. On annonce à cette occasion les recherches sur les antiviraux et les vaccins de la grippe aviaire H5N1.

L'intérêt pour le concept de grippe pandémique augmente encore à partir de 2003 ; 51 publications titrent sur la grippe pandémique en 2004, 124 en 2005, puis plus de 200 par an à partir de 2006.

Sur ces deux cents publications, environ une cinquantaine sont des synthèses et des textes d'opinions d'experts. Il y a forcément redondance. Quelle est l'influence des firmes sur la publication d'articles bienveillants pour les antiviraux ? Le doute est permis.

Cette augmentation de l'activité éditoriale entraîne une augmentation du nombre de dépêches de presse mentionnant le concept de pandémie grippale. On trouve une augmentation du nombre de reprises aussi bien dans la presse « tabloïd » professionnelle que dans la presse grand public.

Fin 2005, on suit dans la presse, presque au jour le jour, l'extension de la grippe aviaire H5N1 chez les oiseaux. On parlera ainsi pendant des mois de menace de pandémie. Cette grippe s'avère mortelle. Dans le monde entier, il y a eu environ 300 décès en 8 ans.

Que s'est-il passé du côté des médicaments pendant cette période ?

Le zanamivir est commercialisé en France, en 1999. Cette commercialisation est précédée par des annonces enthousiastes dans les médias professionnels et s'accompagne de pleines pages dans les journaux grand public ainsi que de chroniques santé à la radio, qui le présentent comme une quasi-panacée.

Pourtant, les données des essais cliniques n'étaient guère probantes. Quelques journaux grand public reconnaîtront des mois plus tard être allés trop loin dans les louanges.

Le Relenza ne sera admis au remboursement par la sécurité sociale qu'en 2009 et seulement pour certains cas.

Ceci n'empêche pas une soi-disant « mission d'observation de la grippe » fin 2000, de faire du démarchage téléphonique auprès de médecins généralistes pour leur rappeler l'importance de l'épidémie de grippe et l'intérêt du zanamivir.

Fin 2002, arrive l'oseltamivir, proposé en traitement curatif. Les essais montrent qu'il diminue d'environ dix heures la durée des symptômes ; il n'a pas de preuves de réduction des complications graves. Le Tamiflu n'est pas admis au remboursement par la Sécurité sociale.

En 2003, les journaux médicaux et grand public se remplissent d'informations sur la grippe H7N7 dans des élevages de poulets aux Pays-Bas. Réunion urgente du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, qui recommande l'oseltamivir chez les personnes exposées, validant dans l'urgence son utilité préventive sur tout type de grippe. Le bilan néerlandais de cette stratégie publié en 2004 n'arrive pourtant pas à montrer une efficacité préventive de celle-ci.

En février 2004, la commission de transparence rend un avis défavorable au remboursement du Tamiflu, sauf en prévention chez les personnes à risque. Il sera admis au remboursement au taux de 35 % seulement. Si la stratégie de Roche était une utilisation large de l'oseltamivir, en 2004, ce n'était guère réussi, en France comme dans le reste de l'Europe.

Seul le Japon se lance dans une large utilisation d'oseltamivir. Les Japonais seront les premiers à signaler les effets indésirables graves - troubles neuropsychiatriques, troubles du comportement, épisodes de confusion, de délire, d'hallucinations, effets cutanés et, plus tardivement, hémorragies digestives.

En Europe, en réaction aux menaces de la grippe aviaire, avec les encouragements de l'OMS, on stocke l'oseltamivir, ce qui crée une pénurie favorable aux ventes. On oublie sa faible efficacité et ses effets indésirables.

Du côté des vaccins, de nombreuses firmes sont occupées à produire des vaccins adaptés à de nouveaux virus. Diverses publications mettent en avant la nécessité de produire des vaccins en nombre suffisant pour le monde entier. Ce problème justifie les recherches sur des vaccins avec adjuvant qui permettent d'utiliser moins d'antigène.

Probablement en réaction à l'éventuelle pénurie de vaccins annoncée, des rumeurs font état de négociations, en France comme ailleurs, entre les ministères et les firmes pharmaceutiques pour s'assurer une bonne place dans la distribution des futurs vaccins pandémiques.

Les contreparties sont, d'une part, des engagements financiers dans cette recherche, qui n'aura peut-être pas de retour sur investissement avant plusieurs dizaines années, et d'autre part, un élargissement immédiat des recommandations de vaccination contre la grippe saisonnière.

Faut-il y voir un lien ? Toujours est-il que, fin 2005, sans consulter le CTV, le Sénat dépose un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 introduisant l'obligation vaccinale contre la grippe chez les professionnels de santé.

Peu après, on demande au CTV de se prononcer sur un éventuel élargissement de la vaccination contre la grippe saisonnière chaque année pour tous les enfants.

Pour la grippe saisonnière, le CTV se prononcera a posteriori contre l'obligation vaccinale des professionnels et contre la vaccination généralisée des enfants.

En 2008, le Syndicat des entreprises du médicament (LEEM) négocie avec la DGS pour que le CTV prenne des décisions plus rapides. En avril 2008, le CTV doit se prononcer dans l'urgence sur l'utilisation du vaccin dit pandémique H5N1, avant que l'AMM européenne ne soit accordée.

Fin 2008, les autorités sanitaires des pays riches ont bien intégré l'éventualité d'une pandémie grippale ; ils pensent avoir deux outils pour y répondre - d'efficacité pourtant incertaine - : l'oseltamivir et la vaccination. Les protocoles sont prêts pour agir contre la pandémie de grippes graves, qu'elle survienne dans quelques mois ou dans quelques dizaines d'années.

Nous n'attendrons que quelques mois, presque heureux de pouvoir tester si tôt nos protocoles, sans s'inquiéter du fait que la grippe porcine ne ressemble pas vraiment à la grippe aviaire grave attendue.

Dans la vague épidémique de grippe H1N1 de 2009, il y a deux moments clés : sa découverte en avril 2009, et la connaissance assez précise du niveau de gravité à la fin du mois d'août 2009.

Le 21 avril 2009, le Center for Disease Control (CDC) annonce qu'aux Etats-Unis, deux enfants ont une grippe due à un même virus inhabituel. Ils n'ont pas une maladie particulièrement sévère mais ont été testés dans le cadre d'un réseau de surveillance du virus de la grippe.

Autour de ces deux enfants, un adulte et trois autres enfants ont eu des symptômes compatibles avec une grippe. Ces six premiers cas identifiés sont bénins.

Neuf jours plus tard, on apprend dans un éditorial du British Medical Journal que l'on dénombre au Mexique 1 840 cas de pneumonies graves, dont 150 décès, peut-être liés à cette grippe. Sur les 1 840, seulement vingt-six sont confirmés.

On apprend simultanément que les grippes H1N1 ont été confirmées aux Etats-Unis, au Canada, en Espagne, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Israël. Aucun décès n'est rapporté hors du Mexique. L'information avait été diffusée par l'OMS dans le cadre du Règlement sanitaire international sans plus de renseignements cliniques.

Dans le monde entier, tout ce qui a été préparé est mis en branle dans l'urgence et l'émulation mutuelle avec la part d'irrationnel qui va avec l'urgence et en oubliant l'incertitude qui y est liée. Il est moins risqué de se tromper avec tout le monde que d'avoir raison seul mais a posteriori !

On n'en saura pas plus sur la gravité réelle de la grippe jusqu'en août car les services d'épidémiologie enregistraient le nombre de cas identifiés mais sans savoir combien de personnes sont en fait infectées.

L'incertitude est très large, allant d'une grippe peu grave à une grippe assez grave. Durant cette période, quelques personnes y vont de leur estimation sans que l'on sache bien avec quelle intention : politique, mise en avant de leur personne, lien d'intérêts avec les marchands d'antiviraux et de vaccins ?

Le deuxième moment charnière se situe à la fin août 2009. Les incertitudes quant à la gravité de la vague épidémique sont levées par les publications néo-zélandaises et australiennes. Elles décrivent assez précisément les épidémies de grippe H1N1 durant l'hiver austral et les tensions modérées provoquées sur leur système de soins.

La gravité de cette grippe mondiale est manifestement modérée. En Nouvelle-Zélande, sur environ 500 000 personnes infectées, on a compté seize décès et cent vingt malades en réanimation.

Ce n'est pas rien mais on est très loin de la grande pandémie grave attendue à laquelle on se préparait !

A ce moment, en France, on en est à produire une liste de priorité des personnes à vacciner. Lors d'une réunion du CTV le 3 septembre, on discute dans l'urgence de cette liste établie, comme s'il s'agissait d'une pandémie de grippe grave.

Je présente les résultats de la Nouvelle-Zélande ; je propose une attitude prudente et de nous limiter pour le moment à la vaccination des groupes les plus à risque. Le représentant de la DGS fait valoir ce qui est acceptable par la ministre : il n'est pas acceptable de ne pas vacciner toute la population.

Lors de cette réunion du CTV et des suivantes, mes appels à la mesure sont balayés d'un revers de main. Tout semble préparé à l'avance. Les modifications autorisées ne le sont qu'à la marge.

Les personnes à risque représenteront finalement 80 % des cas hospitalisés en réanimation alors qu'elles ne représentent que 5 % à 8 % de la population.

La liste des personnes à vacciner, validée fin septembre par le Premier ministre, restera inamovible au cours des mois suivants malgré les données qui s'accumulent pour montrer que les vaccins ne seront pas livrés à temps, que la grippe est moins grave que prévu et que les données chez les enfants sont moins préoccupantes qu'annoncées.

Début décembre, la DGS recommande l'oseltamivir pour toute suspicion de grippe. L'argument non expliqué aux médecins est que plus de 50 % des patients ayant un syndrome pneumo-grippal testé par le réseau des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) avaient un virus H1N1 ; on disposait de quelques données de faible niveau de preuve en faveur d'une efficacité de l'oseltamivir pris en tout début d'infection.

Je ne sais si cette décision avait pris en compte le fait que l'efficacité restait incertaine, que la gravité de la maladie était manifestement moindre que prévu et qu'un très grand nombre de personnes allaient être exposées aux effets indésirables de l'oseltamivir sans en tirer de bénéfices.

Y a-t-il une bienveillance à l'égard des industriels ? Celle-ci a-t-elle influencé les décisions ?

Dans l'urgence, les résistances à tout type de pression sont réduites, qu'elles soient industrielles, politiques ou médiatiques. On peut constater que, de manière générale, le potentiel nocif des conflits d'intérêts n'est pas bien intégré par les instances de l'Etat français.

En matière de santé, la prévention de ces conflits d'intérêts semble reposer seulement sur l'autodéclaration dans certaines instances. Selon les instances, des procédures de gestion des conflits d'intérêts déclarés ont parfois été rédigées. Leur application n'est pas constante.

A ma connaissance, les procédures de choix des experts ne comportent pas de manière formelle la prise en compte des liens d'intérêts. Le choix des experts est en général peu formalisé. Ce sujet n'est pas abordé de manière préventive avec les experts.

Ainsi, je n'ai pas reçu de consigne ni de questionnement lors de mes candidatures au CTV, sur d'éventuels liens d'intérêts avec l'industrie du vaccin. Après avoir été nommé, je n'ai pas reçu de consignes quant aux liens d'intérêts non compatibles avec mon rôle d'expert.

En 2003, je me suis battu pour que les liens d'intérêts soient au moins déclarés à chaque séance. Il a fallu aussi se battre pour que la DGS agisse en cas de conflits d'intérêts importants.

Lors de la création du HCSP, la prévention des conflits d'intérêts n'a pas non plus été formalisée. Il a fallu l'énergie de M. Daniel Floret, président du CTV, pour mener à bien la définition d'un cadre de déclaration des liens d'intérêts, de classification de ces liens, de non-participation aux discussions ou au vote en cas de conflit d'intérêts. Ces principes s'appliquaient au sein du CTV, je ne sais ce qu'il en est pour le HCSP qui valide les décisions du CTV.

M. François Autain, président - Son président non plus !

M. Jérôme Sclafer - Je n'ai pas non plus connaissance d'une prise en compte des conflits d'intérêts par la DGS et les cabinets ministériels impliqués dans les décisions.

Il serait naïf de penser que les différents industriels, qu'ils soient proches des experts ou du pouvoir politique, n'ont eu aucune influence. L'industrie a vraisemblablement accompagné les décisions qui allaient dans le sens d'un retour sur investissement de leurs projets de recherche et développement et n'a rien dit lorsque les décisions irrationnelles lui profitaient.

Il serait également erroné de croire que les autorités publiques avaient mis en place un dispositif de prévention des conflits d'intérêts. Ce dispositif est à construire, à améliorer et surtout à appliquer pour chaque strate de l'Etat !

L'OMS n'est pas plus vertueuse que les Etats, ni pour gérer les conflits d'intérêts ni pour les prévenir.

Il ne faut pas seulement se prémunir des pressions industrielles. Il convient aussi de mieux préserver les agences et les instances de conseil des pressions politiques.

En 2009, elles ont été très fortes, provoquant l'urgence, au risque parfois de paralyser les services de santé.

Je vous remercie.

M. François Autain, président - C'est nous qui devons vous remercier : voilà une intervention qui tranche par rapport au discours de la plupart des personnalités que nous auditionnons !

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Le directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique, M. Antoine Flahault, a indiqué devant la commission que les connaissances scientifiques actuelles sont insuffisantes pour préconiser une vaccination de masse. De même, aucune étude n'aurait prouvé l'efficacité de la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière.

Des études scientifiques sur l'efficacité de la vaccination contre la grippe sont-elles aujourd'hui envisagées ?

M. François Autain, président - M. Marc Gentilini tient lui aussi des propos qui sont sensiblement les mêmes.

M. Jérôme Sclafer - Je ne serai pas aussi catégorique.

Jusque-là, nous avions des preuves suffisantes pour penser que la vaccination contre la grippe était efficace vis-à-vis des personnes âgées grâce à des données qui ne sont pas d'un très haut niveau de preuves mais qui sont convergentes.

Ce qui a fait vaciller les choses, ce sont deux méta-analyses publiées par la revue Cochrane, signées toutes deux de M. Thomas Jefferson et qui émettent un doute. Il ne faut pas perdre de vue que les membres du réseau Cochrane ont des critères extrêmement rigoureux - et c'est fort bien venu - dans la sélection des études qu'ils font entrer dans leur méta-analyse, mais n'analysent évidemment pas les données de moindre niveau de preuves.

Je n'ai pas regardé la dernière méta-analyse qu'ils ont faite à propos des sujets âgés. J'en ai regardé une qui posait plus de problèmes, qui est celle de la vaccination des personnes autour des personnes âgées, qui reprend les essais faits dans les institutions. Leur conclusion me dérange un peu : ils trouvent que la plupart des essais arrivent à la conclusion selon laquelle le fait de vacciner autour des personnes âgées dans les institutions diminue la mortalité totale à un terme défini par l'étude, mais non les complications habituelles de la grippe.

Or, du fait de cette discordance, Cochrane trouve anormal de conclure que c'est la vaccination contre la grippe qui a eu une efficacité sur les personnes âgées. Je ne serai pas aussi catégorique ; pour le moment, ce sont les données de meilleur niveau de preuves que l'on ait.

De manière générale, la revue « Prescrire » essaie de se fonder sur des niveaux de preuves élevés. Mais on ne peut écarter les autres données. En effet, dans certains cas, il convient de « faire avec » les informations dont on dispose et agir sans attendre de preuves tangibles.

M. François Autain, président - Pensez-vous que des essais comparatifs soient actuellement possibles, envisageables ou nécessaires pour prouver l'efficacité de cette vaccination contre la grippe saisonnière ?

M. Jérôme Sclafer - Il est très difficile de mener un essai en matière de grippe saisonnière du fait des biais que l'on entraîne et surtout parce qu'on n'a aucune idée du virus qui va circuler. Cette année est peut-être la meilleure car il existe de fortes chances que le H1N1 circule, mais on n'a aucune idée de l'impact qu'aura cette circulation, une bonne partie de la population étant maintenant immunisée.

De tels essais seraient évidemment intéressants. Je n'ai pas connaissance du fait qu'elle soit financée ou non et dans quel but.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans l'hémisphère Nord, les vaccins sont arrivés trop tard pour faire barrage à la pandémie et même, comme l'a indiqué le professeur Bruno Lina, « à la limite de l'intérêt individuel ».

Dans ces conditions, la réponse vaccinale constitue-t-elle le moyen le plus efficace de lutte contre une pandémie grippale ?

M. Jérôme Sclafer - Je ne suis pas convaincu que l'on soit dans un contexte de pandémie grippale. Cela dépend de sa définition.

M. Alain Milon, rapporteur - Quelle est votre définition ?

M. Jérôme Sclafer - Etymologiquement, nous sommes dans un cas de pandémie grippale mais chaque année il y a une pandémie grippale, la grippe faisant le tour du monde en permanence.

Certains critères actuels donnent à penser que c'est une pandémie : le fait que les populations touchées avaient été plus jeunes que d'habitude.

De même, le fait que le virus se soit diffusé assez largement dans la population est un critère qui ferait penser à une pandémie.

Le mot est chargé d'une telle menace que je préfère parler d'épidémie du fait d'un nouveau virus et que celle-ci a été grave pour très peu de gens mais qu'elle a été grave pour des tranches d'âge inhabituelles.

En revanche, elle n'a pas été spécialement grave pour la plupart des personnes qui ont été infectées. On pense qu'entre 15 et 30 % des gens ont eu cette grippe cet hiver.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous parlez de citoyens de notre pays ?

M. Jérôme Sclafer - Oui.

M. François Autain, président - Cela fait 20 millions de personnes.

M. Jérôme Sclafer - En effet. On peut mettre en regard le nombre de personnes passées en réanimation - environ 1 300. Ce n'est pas rien mais j'ai un peu de mal à dire ce qu'il faut faire pour lutter.

Organiser une grande vaccination générale est très compliqué. On a du mal à le faire et on y arrive pour des vaccinations en place depuis des années avec l'appui de campagnes de sensibilisation actives.

Il me semble plus intéressant de déployer toute notre énergie à protéger les gens les plus fragiles - même si on n'a pas pour autant la preuve que cela va marcher - plutôt que de concentrer tous les efforts sur l'ensemble de la population.

En pratique, à peu près 5 millions de personnes ont un risque particulier. Vacciner ces 5 millions de personnes à l'aide de messages télévisés et d'envois de bons personnels de vaccination était faisable. En vacciner 63 millions est une autre affaire !

En vaccinant 5 millions de personnes, on protégeait partiellement 80 % des cas passés en réanimation, sachant que, de toute façon, on n'attend qu'une protection partielle du vaccin.

M. François Autain, président - Le problème est celui de la chronologie. On s'aperçoit que l'on était, en ce qui concerne cette pandémie, dans la meilleure des situations possibles puisqu'on avait la chance d'arriver après les pays de l'hémisphère Sud ; les délais ont donc été beaucoup plus longs que si la pandémie avait commencé chez nous.

De même que les pays de l'hémisphère austral n'ont pu bénéficier de la vaccination, nous n'en aurions pas non plus bénéficié. Même dans le cas privilégié dans lequel nous nous trouvions, la vaccination est arrivée alors que l'on avait passé le pic de l'épidémie. Qui a pu profiter véritablement de cette vaccination ? Parmi les 6 millions de doses, 5 millions de personnes environ ont pu être vaccinées. Combien ont évité la grippe grâce à cela ?

La vaccination a-t-elle beaucoup joué en termes de protection individuelle ? On peut se poser la question...

M. Jérôme Sclafer - Je ne peux pas évidemment répondre mais, même en décembre, il était difficile de le fournir dans les endroits où l'on en avait besoin. J'ai vacciné des patients atteints soit d'une cirrhose du foie, soit d'une infection avancée par le HIV, ne sachant pas s'ils avaient déjà rencontré le virus ou non - car il circulait manifestement encore.

Quelques personnes auraient pu en bénéficier sous un certain nombre de conditions, à savoir que le vaccin fonctionne réellement, qu'ils rencontrent le virus par la suite et qu'ils ne l'aient pas eu avant.

M. Alain Milon, rapporteur - Parmi les personnes admises pour détresse respiratoire ou autres dans les services d'urgence, avez-vous connaissance de certaines qui étaient vaccinées ?

M. Jérôme Sclafer - C'est à l'InVS qu'il faut demander cela. Ce sont eux qui ont les chiffres. Pendant longtemps, ils ont eu des problèmes de remontée de ces données.

Cependant, à partir du moment où seul un petit pourcentage des gens est vacciné, cette donnée n'a que peu d'importance. Au mieux, on s'attend à ce qu'une faible partie de gens vaccinés attrapent la grippe. On ne peut donc déduire de cette expérience que le vaccin était efficace ou non. C'est possible dans d'autres pays car il faut bien comprendre que tous ces problèmes de santé se posent dans le monde entier. Il faut donc utiliser l'ensemble des données disponibles, notamment celles qui sont décalées. Je ne sais si toutes les épidémies ont été absolument parallèles.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 8 juillet, le HCSP indiquait qu'un schéma vaccinal ne pouvait pas être proposé à ce jour, mais qu'il ne comporterait pas moins de deux doses.

Sur quels fondements cette affirmation reposait-elle à l'époque ?

M. Jérôme Sclafer - Nous n'avions pas de vaccins, pas d'études, nous ne pouvions nous reposer que sur ce qui avait été présenté auparavant, à savoir les quelques essais avec les vaccins dits prépandémiques fabriqués avec du H5N1 ; il semble, d'après ce que l'on nous a rapporté, que le virus H5N1 est assez peu immunogène et que, dans les premières études, il fallait deux doses pour arriver à une immunité suffisante. Par extrapolation, l'idée a été de produire deux doses. A posteriori , c'est une erreur car il n'y avait aucune raison de ne pas faire une dose et de recommander la seconde après étude immunologique.

M. François Autain, président - Le délai aurait-il été compatible avec l'intervalle devant être respecté entre 2 injections ?

M. Jérôme Sclafer - Je ne sais pas. Cela dépend de l'investissement que l'on y met.

M. Alain Milon, rapporteur - Les deux doses sont toujours prescrites pour les enfants.

M. Jérôme Sclafer - C'est aussi le cas pour la grippe saisonnière.

M. Alain Milon, rapporteur - La ministre de la santé a indiqué devant la commission que ce sont des arguments éthiques et non pas scientifiques qui ont fondé le choix de commander des vaccins pour permettre à tous ceux qui le souhaitaient d'être vacciné.

Quelles conséquences en tirer quant au rôle du HCSP ?

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés pour l'achat des doses. On vous a mis en quelque sorte devant le fait accompli.

M. Jérôme Sclafer - On nous a mis au courant.

M. François Autain, président - Quel avis avez-vous à formuler sur cet achat de 94 millions de doses. Cela vous paraît-il excessif ? Je rappelle qu'on allait jusqu'à 130 millions avec les tranches optionnelles.

M. Jérôme Sclafer - Tout a été fait depuis des années pour que nous ayons peur.

Le jour où les premières annonces ont été faites, il était difficile de ne pas penser que la grande pandémie arrivait.

Le fait que l'on réserve des vaccins mais que l'on se dédise plus tard ne me paraît pas choquant. Il n'empêche que le fait de les réserver ne veut pas dire que l'on doive forcément les injecter. Or, au moment où on les a eus pour les injecter, on avait toutes les données pour dire que la stratégie devait être changée.

Le CTV n'a pas été consulté sur ce point ; il est possible que l'on nous en ait parlé avant mais c'était pour information.

M. François Autain, président - Si c'était à refaire que feriez-vous ?

M. Jérôme Sclafer - Le vrai problème, à tous les niveaux - y compris pour ce qui est du CTV, du HCSP, du ministère - est de réagir directement après une seule annonce sur des faits qui ne sont pas très clairs. Tout reposait sur ces données mexicaines qui n'ont pas été précisées pendant longtemps.

Je crois que c'était une erreur de s'être lancé comme on l'a fait. Certes, il y avait des choses à préparer, comme une éventuelle vaccination de masse et on a bien montré que l'on n'était pas très capable...

M. François Autain, président - Pensez-vous qu'il soit possible de vacciner la population entière ?

M. Jérôme Sclafer - Il ne s'agit pas de le faire comme on l'a fait ! S'il existe une vraie menace, je pense que les gens seront motivés pour se faire vacciner. Le problème est que les gens ne l'étaient pas, pas plus que les médecins ni les infirmières ne l'étaient pour le faire. L'absence de motivation a été assez générale.

M. François Autain, président - Oui en mai, quand la commande de 94 millions de doses a été passée mais non lorsqu'on a vu que la menace n'était pas celle que nous craignions...

M. Jérôme Sclafer - Ce n'est pas tout à fait cela. Si vraiment le ministre avait regardé la manière dont il avait l'information pour décider des 94 millions, il aurait dû attendre. Il y avait effectivement un risque que l'on passe après les autres mais c'était un risque à prendre car il n'était pas évident que ces données soient fiables.

M. Alain Milon, rapporteur - De la même façon, on aurait pu commander que la moitié des doses et s'il avait fallu vacciner tout le monde deux fois, on n'avait pas la possibilité de le faire.

M. Jérôme Sclafer - On aurait pu faire pression sur les laboratoires pour livrer des monodoses au lieu des multidoses, ce qui facilite une campagne. Les vaccins auraient probablement été livrés plus tard mais cela fait partie des données qu'il faut envisager. Si l'on veut réussir, il faut se donner les moyens. Aller au plus vite n'est pas forcément le meilleur moyen !

M. Alain Milon, rapporteur - De la même façon, dans le cadre de l'organisation de la vaccination, il vaut mieux passer par le médecin - j'en suis intimement convaincu - que par le système qui a été mis en place...

M. Jérôme Sclafer - La démonstration en a été faite.

M. Alain Milon, rapporteur - Sauf en Angleterre, où on est passé par les médecins et où le nombre de personnes vaccinées est identique au nombre français.

M. Jérôme Sclafer - C'est possible mais on retombe sur le problème de l'absence de motivation.

M. François Autain, président - Il fallait donc adapter le plan à la menace et non la menace au plan !

M. Jérôme Sclafer - Pour avoir suivi de près ces choses là sous deux casquettes, je puis dire que le flot de publications et d'informations qui tombaient chaque semaine était très important ; il fallait donc être très souple dans les décisions et les adapter en fonction des nouvelles informations.

M. Alain Milon, rapporteur - Pour qu'il y ait de la souplesse, il faut peut-être des plans de pandémie différents en fonction de la gravité.

M. Jérôme Sclafer - En effet !

M. Alain Milon, rapporteur - Le discours sur la pandémie a été dominé par l'expression d'une « pensée scientifique unique » privilégiant une vision catastrophiste de la grippe.

Peut-on analyser ce phénomène comme une « autorestriction » de la liberté d'expression des experts pour lesquels il peut paraître difficile de se désolidariser publiquement de l'opinion exprimée par des confrères ou des instances d'expertise ?

Selon vous, faut-il réformer l'expertise et comment envisager une telle réforme ?

M. Jérôme Sclafer - Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une « autorestriction ». Tout le monde attendait cette menace et il existait un certain enthousiasme à la voir arriver.

Cela peut se comprendre car certains avaient beaucoup travaillé. Les réunions avaient été nombreuses, les réseaux Sentinelles se sentaient impliqués. L'émulation était importante.

Par ailleurs, les réunions de l'OMS avaient tendance à amplifier le phénomène. Quand les experts français rentraient de l'OMS, on sentait que le monde entier allait dans le même sens. Il aurait fallu une grande résistance pour aller dans une autre direction.

Je ne crois donc pas qu'il y ait eu volonté de se restreindre ; je crois vraiment que l'enthousiasme était là.

D'ailleurs, les voix discordantes ont plus porté sur les dépenses - la commande de 94 millions - et a posteriori, quelques semaines plus tard.

M. François Autain, président - Il s'agit plutôt de l'autorestriction de ceux qui pouvaient ne pas être d'accord et qui se sont tus ou qui n'ont pas osé s'exprimer. On les rencontre aujourd'hui mais j'ai recueilli le témoignage de journalistes qui ont fait leur enquête en juillet et à qui certaines personnalités ont dit : « Je ne veux surtout pas m'exprimer là-dessus ! ». C'est une question importante : pourquoi ce mutisme ?

M. Jérôme Sclafer - L'incertitude était grande ; en juillet, elle l'était déjà beaucoup moins puisque l'épidémie de New York et l'épidémie anglaise n'avaient pas conduit à des catastrophes. On était donc déjà relativement rassuré.

M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.

Mme Marie Christine Blandin - Je suis troublée par le rapport entre l'investissement organisationnel ou financier et sa conséquence, à savoir le désir de voir finalement émerger cette pandémie, qui était somme toute gérable avec beaucoup moins de moyens.

Du coup, des investissements colossaux sont aujourd'hui relancés sur le croisement du H5N1 et du H1N1 pandémique. Ne prépare-t-on pas la prochaine pandémie ?

M. Jérôme Sclafer - Il est difficile de répondre.

A quel niveau faut-il placer la recherche ? Il est normal de financer une certaine recherche. Il est selon moi préférable qu'elle le soit par les Etats pour pouvoir mieux en mesurer l'importance.

J'ai entendu bien des théories et leur contraire durant les nombreuses années où j'ai siégé au CTV. Personnellement, j'attends de voir des faits avant de conclure. Certes, on peut craindre le croisement des souches. Nous avons vacciné les éleveurs de volaille au moment de la grippe H7N7 contre la grippe saisonnière pour éviter ce croisement. Finalement, ce n'est pas ce qui est sorti. Je ne suis donc pas sûr que cette théorie tienne complètement la route - mais je n'ai pas la compétence pour le dire.

Que cette recherche soit faite me paraît normal mais il faut prendre garde à l'emballement. Il existe des incertitudes, même en matière épidémiologique : les premiers chiffres calculés avec les données provenant du Mexique étaient catastrophiques et pouvaient générer une certaine peur mais si les données de départ sont incertaines, il ne faut pas les prendre pour argent comptant et raisonner également avec d'autres moyens.

M. Marc Laménie - Sur le terrain, la vaccination de masse est une mission très complexe, vous l'avez dit. Si cela se reproduit, comment faire selon vous ?

M. Jérôme Sclafer - Je pense que la meilleure solution est d'abord de vacciner les gens qui sont le plus en danger. Cela permet de réduire le nombre de personnes à vacciner. L'efficacité attendue est maximum et la rentabilité du geste la plus grande.

C'est dans un second temps que l'on peut se mettre à vacciner des tranches de la population plus larges mais cela dépend totalement de la situation. Si le danger est avéré, la motivation est importante ; moins la situation est grave, moins forte est la motivation.

M. François Autain, président - Je pense qu'une vaccination est d'autant mieux acceptée par la population qu'elle n'est pas l'objet de controverses - ce qui ne veut pas dire qu'une vaccination qui présente objectivement une sécurité d'emploi total doit être automatiquement imposée à la population dès lors que celle-ci pense qu'il y a un risque.

Je crains qu'aujourd'hui, du fait de cet échec de la vaccination dans la pandémie H1N1, la crédibilité de la vaccination ait décru chez nos concitoyens.

Notre intérêt est donc d'apporter des preuves sur les vaccins que nous proposons à la population. A cet égard, les adjuvants présentent un certain nombre d'incertitudes. En tout cas, des informations circulent, notamment sur Internet, qui tendraient à prouver que ces adjuvants ne sont pas sans risque.

Je voudrais connaître votre avis sur l'innocuité des adjuvants nouveaux, de type émulsion lipidique, présentés comme une des innovations majeures dans la composition des vaccins contre le virus H1N1. Je m'adresse là autant à l'expert du CTV qu'au membre de l'association « Mieux prescrire » que l'on sait très attentive au niveau de preuves.

M. Jérôme Sclafer - La réponse est forcément différente entre juillet 2009 et aujourd'hui. On vient en effet d'avoir une expérimentation sur des millions de personnes, en grandeur nature. On a bon an, mal an, l'impression qu'il n'y a pas, à court et moyen termes, de problèmes particuliers avec les adjuvants.

Au moment où l'on propose cette vaccination, on est dans une autre situation. Le vaccin n'est pas le vaccin habituel contre la grippe ; il s'agit pourtant d'un vaccin qui a déjà été utilisé puisqu'il existe un vaccin avec adjuvant commercialisé depuis quelques années - mais très peu prescrit et pas sur les mêmes tranches d'âge.

Il existe effectivement une certaine incertitude autour de ce vaccin. Si ce vaccin est utilisé pour vacciner des personnes en grand risque en cas de grippe et que celle-ci se diffuse rapidement et est très grave, c'est un risque que l'on peut prendre. Il s'agit de la balance bénéfice-risque.

Vacciner de nouvelles tranches d'âge, des femmes enceintes, est un autre pari. En outre, si les données ne montrent pas formellement de sur-risque, c'est un pari qu'il ne faut pas prendre. Le CTV ne l'a d'ailleurs pas recommandé. Je reste donc avec cette idée.

Ce problème de l'adjuvant a participé à la suspicion mais tout est affaire de balance. Il existe trois plateaux dans cette balance : la gravité de la maladie, l'efficacité du vaccin - on l'évalue en général à 70 % - et les risques. Si la maladie n'est pas grave et que l'efficacité du vaccin n'est pas certaine, le moindre petit risque paraît énorme.

M. François Autain, président - Merci.

Votre audition a permis de démentir certains propos selon lesquels il n'existe pas d'experts à la fois indépendants et compétents.

Audition de M. Philippe de CHAZOURNES,
médecin généraliste
(mercredi 12 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Philippe de Chazournes, médecin généraliste à la Réunion.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe de Chazournes prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Philippe de Chazournes - Je n'ai aucun lien, je n'en ai jamais eu et j'espère n'en avoir jamais, ni de près, ni de loin, avec l'industrie pharmaceutique !

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Philippe de Chazournes - Tout d'abord, merci d'avoir bien voulu auditionner un médecin de terrain. Je vais essayer d'être le relais de mes confrères, tant réunionnais que métropolitains, en espérant que notre expertise libérale vous sera utile dans votre analyse.

Je suis médecin à la Réunion depuis plus de vingt ans et j'ai pu côtoyer, à de nombreuses reprises, le monde de la recherche, que ce soit :

- en 2006 pour le chikungunya, comme co-investigateur de l'étude Curachik ;

- avec l'Institut de veille sanitaire (InVS), comme coresponsable de l'étude Chikarticulaire 36 sur les douleurs articulaires, trente-six mois après l'infection au chikungunya ;

- avec Méd'Océan, association de recherche clinique en médecine de ville à la Réunion et dans l'Océan indien que je préside, dont l'indépendance vis-à-vis de l'industrie est - fait assez rare - spécifiée dans ses statuts. Ses travaux portent sur le chikungunya, l'insuffisance rénale chronique et le diabète, véritables fléaux de santé publique à la Réunion, ainsi qu'une étude sur l'impact de la visite de pairs dans le changement de pratique des médecins pour laquelle nous avons obtenu le premier prix de recherche en 2005 de médecine générale en France ;

- dans le cadre de la délégation à la recherche clinique et à l'innovation, où seule l'industrie pharmaceutique paraît être en mesure de financer la recherche, avec la bénédiction de l'association des entreprises du médicament (LEEM), alors qu'il suffirait d'un peu de financement public pour y arriver de façon indépendante, objective et fiable !

L'occasion m'a également été donnée de coopérer de nombreuses fois avec les institutionnels dans le cadre des épidémies de chikungunya et plus récemment du H1N1, que ce soit avec l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH), la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), la région Réunion, le Comité des maladies infectieuses et, bientôt, avec la nouvelle Agence régionale de santé de l'Océan indien.

Ces différentes expériences permettent d'avoir des idées assez claires et précises concernant la gestion décentralisée des décisions et des éventuels retours d'expériences. Mme la ministre de la santé en avait fait la raison essentielle de son voyage, le 29 août dernier, sur l'île de la Réunion, qui se trouvait alors être au maximum du pic épidémique.

Probablement, son audition de 140 minutes devant vous, le 23 mars dernier, ne lui a pas laissé le temps de faire allusion à ce voyage, qui était pourtant un voyage d'évaluation...

M. François Autain, président - Nous ne lui avons pas posé la question. Nous allons la revoir ; nous aurons peut-être l'occasion de le faire.

M. Philippe de Chazournes - Cela prouve bien qu'il n'y a eu aucun retour d'expérience de la gestion de cette grippe à la Réunion et que tout était déjà décidé en haut lieu ! Je rappelle que nous avons été atteints par l'épidémie à peu près trois mois avant la métropole. N'y a-t-il pas eu transmission par nos responsables locaux ? S'agit-il d'une non-prise en compte de ces retours d'expériences par les responsables nationaux ? C'est ce que nous pressentions dès le début du mois de juin, tant les autorités sanitaires locales donnaient l'impression qu'elles ne pouvaient que respecter scrupuleusement les circulaires ministérielles, sans aucune marge de manoeuvre dans leurs décisions.

Comment est-il possible d'avoir pu se priver aussi aveuglément de l'expertise à la fois des médecins généralistes et réunionnais, trois mois avant l'arrivée de l'épidémie en métropole, où sa chronologie a été un véritable « copié-collé » de ce qui s'était passé à la Réunion ?

C'est très regrettable car on aurait pu éviter nombre de fermetures de classes en métropole - il n'y en a eu aucune à la Réunion - des mesures de prévention inadéquates comme l'annulation de matchs de foot. On aurait pu éviter de semer un vent de panique indescriptible dans l'esprit des patients, dans les services d'urgence, dans la réception des appels des centres d'urgence du 15, et enfin, dans les cabinets de médecine libérale. Le bon sens aurait été de dire aux patients grippés de rester chez eux pour ne pas contaminer des malades fragiles.

Comment pouvait-on dire à l'époque de l'achat des vaccins que cette grippe pouvait être grave ? Même au Mexique, où elle était apparue, on s'est vite aperçu que sa létalité était peu importante, de même qu'à la Réunion, en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie et en Australie.

Comment pouvait-on ne pas extrapoler à la métropole qui entrait en plein hiver ce qui s'était passé à la Réunion, où le virus H1N1 avait très rapidement pris le pas sur la grippe saisonnière, l'épidémie s'étant ensuite très rapidement éteinte ?

Nous savions fin août, en plein pic épidémique à la Réunion, que cette grippe n'était pas grave. J'ai devant moi le bulletin de veille sanitaire officiel n° 3 de 2010, qui est un numéro spécial et retrace toute l'histoire du H1N1 à la Réunion. Le premier cas de grippe à la Réunion a été confirmé le 5 juillet. Le premier cas autochtone d'un résident réunionnais a été identifié le 23 juillet. La durée de l'épidémie a été de neuf semaines. Il y a eu six décès, dont quatre avec des comorbidités, c'est-à-dire des facteurs de risques associés. Deux personnes sont malheureusement décédées, un homme de 33 ans et une femme de 38 ans, sans autre cause apparente. On peut donc estimer que la grippe H1N1, à la Réunion, a entraîné la mort de deux personnes.

Aucune surmortalité n'a été observée, avec 669 décès attendus sur la période contre 611 observés. A la Réunion, il y a donc eu moins de décès que l'année précédente !

Aucune école n'a été fermée mais l'éviction scolaire des enfants symptomatiques a été recommandée. Il n'y a d'ailleurs pas eu d'augmentation de la tendance épidémique après la rentrée scolaire le 21 août 2009.

Je laisse au directeur général de la santé la responsabilité des propos qu'il a tenus lors de l'audition par votre commission de Mme la ministre : « La fermeture des classes en Ile-de-France a certainement joué un rôle de ralentisseur dans la propagation du virus » . Je ne demande qu'à le croire mais, en ce qui concerne la Réunion, c'est faux et les chiffres le prouvent !

Le rapport de l'InVS conclut que « le virus pandémique a ainsi provoqué en 2009 sur l'île de la Réunion une épidémie de grippe modérée, d'intensité légèrement supérieure à celle observée dans le passé pour la grippe saisonnière et de gravité comparable, voire inférieure » .

Etait-il raisonnable de continuer sur une voie manifestement inappropriée ? Peut-être pourrait-on l'expliquer par la théorie de l'engagement, bien connue des psychologues, qui fait qu'il n'est plus possible de reculer quand on a pris une décision malgré des faits qui devraient inciter à y revenir.

Disposait-on d'éléments suffisants pour commander des vaccins dans de telles quantités ? Si oui, lesquels ? Dans le cas contraire, pourquoi les avoir commandés ?

Fallait-il continuer à semer la peur et la panique pour vacciner à tout prix ? La population connaissait alors, depuis longtemps, l'absence de gravité de cette grippe. Etait-il raisonnable de vouloir vacciner tout le monde, de harceler les professionnels de santé, notamment les élèves infirmières en stage dans les hôpitaux, dont on a menacé de ne pas valider le stage si elles refusaient de vacciner la population dans les « vaccinodromes » ? J'en ai rencontré certaines en larmes !

Ne pouvait-on pas faire partager les risques avec l'industrie pharmaceutique, accepter les profits si le besoin était réel mais aussi accepter que les profits soient beaucoup moindres si la situation devenait caduque ?

Pourquoi avoir octroyé aussi vite l'immunité juridique aux producteurs de vaccins, créant un véritable climat de suspicion dans la population ?

N'aurait-il pas été plus crédible de dire que l'on s'était trompé ? N'y avait-il pas un risque politique pour notre ministre ? Et alors ! N'y a-t-il pas un moment où il faut assumer ses responsabilités, avouer ses erreurs et en tirer les conséquences qui s'imposent ? Non ! Il fallait vacciner à tout prix parce qu'on avait déjà acheté les vaccins et qu'il fallait donc les écouler. Pourtant, pour la grippe saisonnière, un congrès international de Rome, en 2006, appelé « projet Cochrane - grippe saisonnière » a démontré que le vaccin saisonnier n'avait jamais prouvé la moindre efficacité, à partir d'études portant sur 260 000 enfants et 60 000 adultes depuis trente-sept ans !

La vaccination réduirait le risque de grippe d'à peine 6 % pour les personnes en bonne santé. Aucune étude n'a permis de constater l'efficacité du vaccin chez les personnes âgées. On n'a constaté aucune diminution des décès dus à la grippe aux Etats-Unis entre 1980 et aujourd'hui, alors que la couverture vaccinale était de 15 %, contre 65 % aujourd'hui. La meilleure protection est sans doute le port de masque ou le lavage des mains.

Peut-il y avoir d'autres causes à ce délire collectif que la présence d'énormes conflits d'intérêts chez les décideurs ou leurs conseillers, chez les experts de l'OMS, les experts français ou nos gouvernants ?

Tout ce délire a fait l'objet d'un coup de gueule que j'ai poussé dans un article de presse paru le jour de la visite de Mme la ministre de la santé sur notre île, et dont je revendique chaque mot !

Cet article s'interrogeait sur :

- l'efficacité de l'oseltamivir et du vaccin en dehors de toute démarche d'Evidence Based Medecine (EBM), sur la surcharge des urgences au détriment des nécessités vitales ;

- la surcharge des cabinets médicaux qui multipliait les risques d'auto-infection et d'erreurs diagnostiques et pesait sur la qualité de la prise en charge des autres patients, notamment les malades chronique, par exemple atteints de diabète ;

- la production de certificats attestant qu'un patient n'était pas grippé et d'arrêts de travail des parents gardant leurs enfants exclus des classes ;

- la demande d'organisation et d'anticipation, aucune initiative n'étant laissée aux directeurs de la DRASS et de l'ARH.

En tant que secrétaire général de l'Union régionale des médecins libéraux (URML) de la Réunion, représentative des 1 200 médecins libéraux à la Réunion et qui existe dans les vingt-six régions de France, je me permets de rappeler la prise de position de cette structure, qui a fait l'objet d'une conférence de presse en date du 29 octobre 2009, tous syndicats confondus, sur le thème : « Non à la vaccination de masse contre la grippe H1N1 » .

Un sondage « omnibus » a par ailleurs permis de recueillir l'opinion des Réunionnais.

A la première question, les deux tiers des personnes interrogées répondaient qu'elles n'étaient pas disposées à se faire vacciner dans les centres de vaccination de masse spécialement ouverts dans les gymnases ou les salles communales.

Quelles sont les raisons du refus ? 11 % des personnes interrogées estimaient la vaccination inutile, pensant avoir déjà eu la grippe. A la fin de l'épidémie, 30 à 40 % de la population ont eu la grippe à la Réunion.

52 % n'avaient pas complètement confiance dans les vaccins. Les ligues antivaccinales, il est vrai, ont évidemment profité de la controverse ; il est toujours difficile de faire la part des choses mais ces idées ont transparu dans la population, créant une certaine crainte.

7 % refusaient le dispositif de vaccination de masse, 21 % préférant attendre et 47 % souhaitant demander conseil à leur médecin traitant, entraînant un afflux d'appels téléphoniques et de rendez-vous.

Pourquoi les gens avaient-ils peur ? Contrairement au rapport Cochrane qui affirme que le vaccin saisonnier n'a jamais fait la preuve de son efficacité, Sanofi prétend exactement le contraire ! Il s'agit là d'une bataille d'experts qui ne rassure pas forcément les patients !

La dernière question du sondage portait sur la vaccination par des équipes mobiles des enfants des écoles : 36 % des personnes interrogées n'étaient « certainement pas d'accord » et 27 % « plutôt pas d'accord ».

Au départ, il était prévu de vacciner les enfants, sauf refus explicite des parents, à tel point que l'URML de la Réunion a rédigé une lettre type à remettre aux directeurs d'école pour les parents qui ne souhaitaient pas que leurs enfants soient vaccinés.

Il est trop facile de médiatiser un événement, de créer la peur. Les patients considèrent ensuite la chose comme normale, venant des autorités sanitaires. Il n'est pas possible de vacciner une population contre son avis.

M. François Autain, président - La vaccination était-elle obligatoire ?

M. Philippe de Chazournes - On y incitait fortement !

M. Jean-François Dehecq, devant le congrès d'un grand parti politique, rappelle : « Pensez à moi lorsque vous serez à l'Assemblée nationale pour défendre l'industrie française ! » . Il a peut-être raison en termes d'emplois mais, en tant que médecins de terrain, nous ne sommes pas sûrs que toutes ces décisions soient purement médicales. Lorsque je fais de l'EBM, je ne tiens pas compte de l'économie !

« Expertise, indépendance, industrie et laboratoire pharmaceutique, stock de vaccins, coût, financement... C'est de justice, d'éthique, de responsabilité que je souhaiterais parler aujourd'hui, en un mot de l'idée que je me fais de mon rôle et que je veux défendre devant vous ».

Vous avez reconnu les premiers mots de Mme la ministre ici même, le 23 mars, lors de son introduction liminaire.

Je ne suis missionné par aucun organisme ni institution. Je me présente à vous dans un rôle de médecin généraliste de terrain, de chercheur pragmatique répondant à une certaine éthique, dont l'unique bénéficiaire est le patient.

Les généralistes ont vu 100 % des malades atteints de chikungunya et auraient dû voir 100 % des malades grippés, à l'inverse des hospitaliers qui n'en ont vu qu'une infime partie. Il est dommage de ne pas associer davantage les experts de terrain que représentent les 50 000 généralistes français, qui étaient en première ligne durant plusieurs semaines et qui devaient répondre à toutes les interrogations de leurs patients.

Je terminerai en vous déclarant encore une fois haut et fort que je n'ai ni lien ni conflit d'intérêts avec l'industrie et que j'espère n'en avoir jamais. Car l'indépendance financière est vraiment la garantie de l'indépendance d'esprit et d'analyse ce qui est, je l'espère, le cas de nos dirigeants, mais peut-être pas de nos experts !

En tant que correspondant de la HAS depuis plus de dix ans, je suis particulièrement sensibilisé à l'EBM et membre de plusieurs groupes de lectures de recommandations - notamment la charte de la visite médicale en 2005 - ainsi que d'un groupe de travail sur une prochaine recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant un autre scandale, le vaccin antipapillomavirus (HPV) contre le cancer du col de l'utérus...

M. François Autain, président - Cela fera l'objet d'une autre commission d'enquête !

M. Philippe de Chazournes - Le combat est le même et la problématique également !

Une recommandation émanant d'une autorité sanitaire est importante car elle se décline ensuite à tous les niveaux, dans les formations initiales pour les internes, les formations médicales continues par le biais d'experts avec ou sans conflits d'intérêts. Elle est reprise par les médecins eux-mêmes, en toute bonne foi, faisant une confiance parfois aveugle aux autorités sanitaires, relayées ensuite par des associations de patients et par la presse grand public.

Une recommandation nécessite parfois plus d'un an pour être élaborée ; elle peut ne pas être remise en cause pendant plus de cinq ans, d'où l'importance de bien définir ses modalités dès le départ.

Vous imaginez bien que toutes ces autorités sanitaires ne refont pas l'analyse complète du dossier à chaque fois. En l'occurrence, cette recommandation est remontée aux collègues de la HAS qui la contresignent, avant qu'elle soit envoyée aux 120 000 médecins libéraux. Si elle comporte un vice de forme au départ, celui-ci va être repris jusqu'à la base, ce qui est un peu gênant.

Vous rendez-vous compte des conséquences d'un bug dès le départ dans l'appréciation sur l'indication d'un vaccin ? Il est incompréhensible que nos autorités sanitaires françaises et internationales aient ainsi été aussi aveugles face à une situation loin d'être dramatique.

Je tiens à votre disposition tous les documents en rapport avec ce que j'ai dit. Je ne parle que de ce que je sais. Je ne me place pas en tant qu'expert de médecine spécialisée, mais en tant qu'expert de terrain. On pourra reparler de ce qui s'est passé réellement en termes d'épidémiologie, de chronologie et de décisions ainsi que de la façon dont s'élaborent les recommandations à la HAS.

M. François Autain, président - Merci pour cette intervention foisonnante et frappée du sceau de l'authenticité.

La parole est à notre rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - La réponse vaccinale vous paraît-elle la plus adaptée à la lutte contre une pandémie grippale, pour faire barrage à la pandémie et assurer une protection individuelle ?

Une campagne de vaccination est-elle prévue à la Réunion pour l'hiver austral ?

Pouvez-vous approfondir la comparaison que vous avez faite avec la gestion du chikungunya ?

M. Philippe de Chazournes - D'abord, est-on bien dans une situation de pandémie ?

M. Alain Milon, rapporteur - La pandémie correspond à la définition donnée par l'OMS. La réponse vaccinale, dans ce cadre, est-elle la bonne réponse à la situation ?

M. Philippe de Chazournes - Oui.

M. Alain Milon, rapporteur - La définition de la pandémie est une autre question. Notre sujet est la pandémie grippale telle qu'elle a été définie et les réponses apportées par les différents Etats et gouvernements.

M. Philippe de Chazournes - La réponse vaccinale est une bonne réponse à une pandémie, à la seule condition qu'il existe un critère de gravité. Sinon, on vaccine tout le monde contre tout.

M. Alain Milon, rapporteur - Nous sommes d'accord mais le critère de gravité n'est pas celui mis en place par l'OMS jusqu'à présent. Cela fera peut-être l'objet d'une des conclusions du rapport - mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.

M. Philippe de Chazournes - Selon moi, une réponse vaccinale répond à un besoin de santé publique afin d'éviter une maladie grave. Je ne connais pas de vaccin qui puisse protéger une population contre une absence de maladie !

La définition d'un vaccin est d'apporter une réponse, avec une balance bénéfices-risques supérieure à l'absence de vaccination pour un besoin de santé publique. Nous n'avions ni problème de santé publique ni gravité déclarée. La réponse vaccinale était alors non. Je ne connais pas de vaccin qui ne réponde pas à ces critères de gravité ou de santé publique !

Quant à la campagne de vaccination pour l'hiver austral, nos collègues réunionnais sont un peu échaudés. En outre, il y a maintenant une souche du H1N1 dans le vaccin contre la grippe saisonnière. Je ne suis pas sûr que la population se rue sur les cabinets de médecins libéraux pour se faire vacciner ! Ce sera au cas par cas, comme on sait le faire. Je pense que l'on vaccinera les personnes à risque ; quant aux personnes sans critère de gravité, on ne les vaccinera pas. Désolé si des stocks restent dans les réfrigérateurs mais nous n'allons pas cautionner quelque chose dont on n'est pas convaincu. En outre, la population fait preuve d'un certain scepticisme par rapport aux autorités sanitaires, et même par rapport à son propre médecin qui lui dit un jour noir et le lendemain blanc ! C'est cela qui est grave ! Nous sommes très mal à l'aise.

Pour ce qui est du chikungunya, j'ai rédigé plusieurs articles parus dans Le Praticien en 2006 ; j'ai malheureusement l'impression que les retours d'expérience ne servent pas à grand-chose, malgré le travail extraordinaire des agents de la lutte antivectorielle qui, tout simplement, mettent des moustiquaires dans différents lieux. Malheureusement, le chikungunya se développe du fait du manque de propreté - décharges, carcasses de voitures qui offrent des réservoirs d'eau pour les moustiques.

Les autorités sanitaires font ce qu'elles peuvent, mais je ne suis pas sûr qu'elles aient fait le maximum faute de financements. J'ai réalisé moi-même une étude, publiée en 2006, sur les critères cliniques et thérapeutiques du chikungunya afin d'établir une liste de symptômes permettant de le diagnostiquer sans prise de sang. C'est une étude facile à mener ; je l'ai faite tout seul. J'imagine que les autorités sanitaires disposent quand même de la liste des médecins. Pour ma part, j'ai posé deux questions aux 1 200 médecins libéraux. L'une portait sur les signes du chikungunya aigu qui sont caractérisés par un prurit de la plante des pieds...

M. Alain Milon, rapporteur - Ce sont des signes d'appel...

M. Philippe de Chazournes - Certes, mais en période d'épidémie, on considère dix signes d'appel qui peuvent être considérés comme un signe de certitude.

De même, pour la grippe H1N1, il ne s'agissait pas de faire des prélèvements nasaux ou des sérologies pour être certain de l'infection. On considérait que toute personne ayant une narine qui coulait lors du pic pandémique, durant la semaine 35 à la Réunion - était atteinte de la grippe. Il s'agit de critères de prédictivité par rapport à des symptômes.

La seconde question consistait à savoir ce que faisaient les médecins en présence du chikungunya. Le paracétamol était couramment utilisé mais a entraîné un certain nombre d'hépatites. L a Réunion est très ouverte aux médecines par les plantes ; il y a donc matière à réaliser des études randomisées en double aveugle. On a les moyens structurels pour le faire : la cellule interrégionale d'épidémiologie de la Réunion et de Mayotte de l'InVS, le département de l'INSERM...

J'ai donc envoyé cette étude à Mme Chantal de Singly, nouvelle directrice de l'Agence régionale de santé (ARS) depuis le 1 er avril en lui demandant pourquoi elle n'y mettait pas les moyens. On a enregistré une petite reprise d'une cinquantaine de cas - qui a fait l'objet d'une grande reprise dans les médias. Heureusement, cela n'a pas effrayé M. Raymond Domenech, qui a dit : « Arrêtez de nous faire peur et arrêtons de se faire peur ! » . En Afrique du Sud, pour la coupe du monde, il y a le chikungunya, le syndrome d'immuno-déficience acquise (Sida) et le paludisme ! Certaines choses doivent être dites mais pas forcément médiatisées. Tout le problème du chikungunya se répète, comme en 2006, avec une hypermédiatisation. La presse reprend les chiffres et on a l'impression qu'il ne faut plus aller à la Réunion. Cinquante cas, ce n'est rien car complètement localisé, mais suffisant pour faire des études randomisées en double aveugle. On a le temps mais le jour où la décision sera prise, on ne l'aura plus !

Néanmoins, j'ai été mandaté par la Conférence nationale des présidents des unions, sous l'égide de M. Didier Houssin, en mars et avril derniers, dans le cadre du projet « Horizon santé », pour améliorer la recherche de la médecine de terrain. Il n'existe pour l'instant que des commissions verticales - commission ambulatoire, commission des patients, commission des industriels, etc. En septembre, devraient être créées des commissions transversales.

S'agissant de la recherche, un point ne pourra être éludé, celui de l'absence de conflits d'intérêts. On ne peut plus faire des recherches avec des conflits d'intérêts, ou au moins les exposer de façon très nette.

La seule réponse de la HAS à la gestion des conflits d'intérêts majeurs et publics est de dire que « les membres du groupe de travail ont communiqué leur déclaration d'intérêts à la HAS ; elles ont été analysées ». C'est totalement insatisfaisant !

M. François Autain, président - C'est mieux que rien !

M. Philippe de Chazournes - A l'AFSSAPS, la personne qui a un conflit d'intérêts majeur sort de la salle et ne prend pas part aux décisions ; à la HAS, tout le monde a le droit de parler. Or, les personnes qui ont des conflits d'intérêts majeurs jouissent d'une aura extraordinaire et monopolisent plus de la moitié du temps de parole. On a l'impression que ce qu'ils disent vaut règle d'or, ce qui est gênant.

Néanmoins, la recommandation que j'ai citée va être déclinée, comme je l'ai déjà expliqué, jusqu'au médecin lambda ; le bug de départ va donc se répercuter jusqu'à la médecine de terrain !

M. Alain Milon, rapporteur - Disposez-vous d'études ou d'analyses vous permettant de dire que beaucoup d'hépatites toxiques ont été provoquées par le paracétamol ?

M. Philippe de Chazournes - Je n'ai pas ces études mais il y a dans les environs de Saint-Benoît, dans l'Est de la Réunion, un nombre important d'hépatites toxiques dues au paracétamol. Le chikungunya est très douloureux et les patients prennent jusqu'à 3 g de paracétamol par jour et le foie s'en ressent !

M. Alain Milon, rapporteur - C'est certainement en liaison avec d'autres prises alimentaires ou médicamenteuses. Comme médecin, je n'ai jamais vu d'hépatites toxiques dues au paracétamol.

M. Philippe de Chazournes - Venez chez nous !

M. Alain Milon, rapporteur - Il a été fait état devant la commission d'enquête d'une étude, réalisée en mai 2009, qui envisageait l'éventualité d'une nouvelle vague pandémique dans l'hémisphère Sud en mai-juin 2010.

Les éléments aujourd'hui disponibles font-ils apparaître la possibilité d'une nouvelle vague à la Réunion ?

M. Philippe de Chazournes - Je l'attends toujours ! Je l'attends pour le chikungunya. Le professeur Antoine Flahault nous la promet depuis 2006 : on l'attend toujours. Il nous a promis une deuxième vague pour le H1N1 : on l'attend toujours ! On se base toujours sur des modèles mathématiques mais il existe des biais et j'ai cru comprendre qu'il avait admis s'être trompé.

M. Alain Milon, rapporteur - Quels enseignements tirez-vous de la gestion de la grippe pandémique en matière de liens d'intérêts et du rôle de l'expertise ? Pensez-vous qu'il faille diversifier les profils recrutés au titre de l'expertise et, notamment, inclure systématiquement des généralistes dans les comités d'experts ?

M. Philippe de Chazournes - Il aurait été bon de se poser la question avant ! Je ne parle pas du H1N1 mais de 2006... C'est la même chose ! On nous disait que le médecin traitant était au centre des préoccupations. Depuis, plus rien !

Un professeur toulousain a conseillé d'arrêter de submerger les urgences et de confier la tâche aux médecins de terrain. Le 2 juillet, Mme Bachelot a annoncé que les médecins traitants étaient au centre du système. Ce n'est pas ce que nous demandions : il fallait médiatiser le fait de demander aux gens de rester chez eux. Cela paraît de bon sens.

Le bulletin de veille sanitaire n° 3 de 2010 apparaît très frustrant sur le plan du retour d'expérience. Il n'y a pas un mot sur la contestation des 1 200 médecins libéraux, ni sur la position de la seule structure officielle les représentant. Cela signifie donc que si c'était à refaire, on referait la même chose !

M. François Autain, président - Cela ne doit pas vous étonner, puisque dans la gestion de cette pandémie le Gouvernement a donné la place la plus restreinte possible à la médecine libérale et aux médecins généralistes. Ce bulletin n'en est qu'une des illustrations ! Je le déplore avec vous, mais je ne pense pas que, pour le moment, nous puissions aller au delà.

M. Marc Laménie - Selon votre expérience à la Réunion, quelles sont vos suggestions, si une telle situation se reproduisait, pour être le plus efficace possible, sur un dossier aussi important et sensible ?

M. Philippe de Chazournes - Je pense qu'il faut prendre les bons interlocuteurs. Le problème, en métropole, réside dans le fait que ce sont d'abord les interlocuteurs syndicaux. Or, les syndicats ne sont pas représentatifs d'une population ni des médecins. Il faut donc choisir des personnes qui ont une expertise mais n'appartenant pas forcément aux syndicats, dont la préoccupation n'est pas toujours la santé publique ou le bien-être de la population.

Il faut ensuite faire des études pragmatiques. Je viens d'être auditionné, à la Réunion, dans le cadre d'un projet portant sur les techniques de l'insecte stérile mis en place par la DGS, avec le même parcours, portant sur le fait de savoir ce qu'il faudrait faire pour importer des insectes stériles pour éviter la propagation de chikungunya. La méthodologie étant la même, je ne suis pas sûr que cela remonte vers le sommet et que l'on fasse des études s'il y a des conflits d'intérêts.

Ma position est la même : il faudrait pouvoir assumer un diagnostic clinique chez un patient sans prise de sang sérologique. Un certain nombre de signes, en période d'épidémie, devraient suffire à diagnostiquer si un patient est grippé ou non.

Mme Marie Christine Blandin - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) s'est rendu à la Réunion et a rencontré une délégation d'une dizaine de médecins généralistes de l'Union : qu'ils se rassurent, leurs observations figureront dans le rapport de l'Office parlementaire, avec leurs critiques !

Pour achever de démoraliser notre interlocuteur, nous avons réalisé le même travail à Saint-Laurent-du-Maroni concernant la grippe. Les centres de vaccination installés sous les tentes avaient recruté quelques jeunes RMIstes, tous exclusivement francophones, afin d'accueillir les patients ; or, à Saint-Laurent-du-Maroni, on parle cinq langues différentes. Il était très aisé de recruter ces jeunes : on aurait donc pu en avoir d'autres. A la question : « Avez-vous déjà été vacciné ? », les gens sortaient un bras. A la question : « Avez-vous le Sida ? », ils sortaient l'autre bras, croyant à un problème ! Par ailleurs, l'équipement de terrain parachuté par des autorités de santé - complètement imperméables aux remarques des généralistes - était inadapté à une zone d'outre-mer, dont il ne tenait pas compte des réalités.

Ce n'est pas une question mais un échange de considérations.

M. François Autain, président - Vous avez oublié de signaler les onze opérations que l'OMS recommande pour se laver les mains ! C'est assez inadapté aux populations d'outre-mer.

M. Philippe de Chazournes - S'agissant de la chronologie, j'ai avec moi le compte rendu d'un certain nombre de réunions en visioconférence entre Mme Huguette Vigneron, qui représentait alors l'ARH, la DRASS, les hôpitaux de l'île et Mayotte.

Le 8 juin déjà, le représentant de la cellule interrégionale d'épidémiologie (CIRE), émanation de l'InVS, disait que la létalité paraissait inférieure à celle de la grippe saisonnière. Qu'on ne nous dise donc pas que l'on ne savait pas !

Le 29 juin, 239 cas étaient confirmés en France, sans aucune forme sévère ni décès. Les gens de la DRASS répondent : « A ce jour, il ne sert à rien d'anticiper car tout va changer au fil des jours, en fonction du stade épidémique, de sa gravité, etc. De toute façon, tout est prévu dans les schémas nationaux ».

Aucune anticipation, aucun compte rendu de ces réunions ! C'est peut-être pour cela que l'information ne remonte pas. On nous a expliqué que la DRASS n'était pas obligée de faire des comptes rendus mais qu'elle faisait de temps en temps des notes de réunion. Ces comptes rendus, je les ai faits et je les ai donnés à l'URML et à tout le monde ! Si personne ne fait de compte rendu ni d'ordre du jour, cela ne peut pas remonter ! Je pense qu'il faut revoir les décisions et les attributions des ARS. Il faut des comptes rendus de réunion qui remontent très rapidement. Si cela avait été le cas, je pense que Mme la ministre aurait placé la médecine libérale au centre du système avant le 2 juillet ! Elle aurait également vu l'opposition totale d'une population, en pleine période épidémique, face à la vaccination. Cela aurait été pareil en métropole.

M. Alain Milon, rapporteur - L'OMS, en juin, a dit que c'était une épidémie modérément grave. Cet état de gravité était reconnu par l'OMS dès le mois de juin.

En outre, ce n'est pas la médecine libérale qui est au centre du système de santé. J'ai été rapporteur de la loi HPST : c'est le médecin généraliste qui est le médecin de premiers recours.

M. François Autain, président - Je voudrais vous rassurer, monsieur de Chazournes : notre commission d'enquête, comme l'OPECST, tiendra compte, même si nous n'allons pas sur l'île de la Réunion, des observations que contenait votre intervention, dont je vous remercie.

Audition de M. Ulrich KEIL, professeur,
directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Münster
(mercredi 19 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. le professeur Ulrich Keil, directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Münster.

Je tiens particulièrement à vous remercier d'avoir accepté d'être auditionné par la commission.

Je voudrais aussi vous faire part d'un léger embarras. En effet, je devrais, pour respecter le règlement de notre commission d'enquête, vous faire prêter serment mais, du fait de votre statut de ressortissant étranger mais aussi de votre qualité de directeur de l'Institut d'épidémiologie, qui n'a à aucun moment siégé dans une instance nationale ou internationale ayant eu à intervenir dans la gestion de cette pandémie, je ne suis pas certain que vous y soyez tenu.

C'est pourquoi, si vous le souhaitez, je peux vous dispenser de cette obligation.

M. Ulrich Keil - Vous pouvez m'exempter de cette obligation mais, si vous le souhaitez, je suis prêt à prêter serment et déclarer que je n'ai aucun intérêt en jeu.

M. François Autain, président - Vous pouvez le faire.

M. Ulrich Keil - Je n'ai aucun conflit d'intérêts et je suis prêt à le jurer.

M. François Autain, président - Merci.

Vous avez maintenant la parole, monsieur le professeur.

M. Ulrich Keil - Merci de votre invitation. C'est un grand honneur pour moi que d'être invité par le Sénat français. Je suis déjà venu il y a dix-sept ans mais je n'avais aucune idée, lorsque je me promenais dans les jardins du Luxembourg, à quel point votre instance était éminente.

Je voudrais parler de la pandémie de grippe porcine. Son annonce, en juin de l'année dernière par l'OMS, constitue un précédent.

En mai 2009, l'OMS a éliminé le critère de gravité de la définition du stade 4 de la pandémie et a déclaré que le seul critère devait être celui de la propagation rapide et mondiale d'un nouveau virus contre lequel la population mondiale n'était pas immunisée.

Pour la première fois, des mesures onéreuses ont été prises contre une pandémie. La production de vaccins a été initiée dans le monde entier. Le stade 4 de la pandémie reste valable, bien qu'il n'y ait eu aucun signe authentique de menace de ce virus dans les hémisphères Nord ou Sud.

D'ailleurs, ce virus n'est pas nouveau. L'OMS, pas plus que les comités d'experts ou les gouvernements, n'ont informé le grand public qu'on connaît le virus H1N1 depuis des décennies. Il a en effet été ramené aux Etats-Unis par des soldats revenant du Vietnam. Il s'agissait du virus de la grippe porcine.

En 1976, le président Gerald Ford a pris l'initiative d'une campagne de vaccination à la suite de l'apparition de la maladie du légionnaire - maladie bactérienne et non virale - à Philadelphie. Quelque 40 000 ressortissants américains ont été vaccinés car les spécialistes du CDC, le Centre de contrôle des maladies d'Atlanta en Géorgie, étaient convaincus que le H1N1 était similaire au virus qui avait causé la pandémie de fièvre de grippe espagnole dans les années 1920 à 1930, avec des milliers de morts, les gens étant déjà affaiblis par la guerre et la faim.

Mais cette campagne de vaccination H1N1 a été interrompue lorsqu'on a compris que le virus ne produisait qu'une maladie très modérée, sans aucune complication - un mort seulement parmi les cinq cents personnes infectées - alors que le vaccin produit un certain nombre d'effets secondaires neurologiques graves, dont le syndrome de Guillain-Barré. Le Washington Post a publié un article sur ce sujet le 27 avril 2009.

Richard E. Neustadt et Harvey V. Fineberg ont conclu, dans l'ouvrage intitulé L'épidémie qui n'a jamais existé , que l'excès de confiance des spécialistes reposait sur des preuves très minces. Leur conviction était alimentée par certaines préoccupations personnelles, par des prises de décisions prématurées, par la non-prise en compte de certaines incertitudes et par la non-remise en cause de la logique scientifique et des perspectives de mise en oeuvre.

Ce sont là autant de points qui ont porté atteinte au processus de décision de 1976. De toute évidence, ces enseignements n'ont pas été retenus.

L'évolution a été la même pour l'épidémie H1N1 dans le monde entier : en Allemagne, quelque 10 000 morts sont attribuées chaque année à la grippe saisonnière. Des personnes décèdent, en particulier parmi les gens les plus âgés et les plus fragiles, alors qu'un tout petit nombre de décès ne peut être attribué qu'à la pandémie H1N1, environ trois cents cas.

Les personnes les plus âgées sont immunisées contre ce virus car on ne constate quasiment aucune infection chez les personnes ayant plus de 60 ans. C'est une constatation qui montre bien que les personnes les plus âgées ont déjà été en contact avec le virus H1N1, et éventuellement avec d'anciens vaccins qui contenaient un antigène de celui-ci.

Malgré les données contradictoires venant du Mexique et les preuves peu convaincantes compilées par le CDC et le Centre européen pour le contrôle des maladies de Stockholm, le directeur général de l'OMS, Mme Margaret Chan, a déclaré qu'il existait une pandémie de grippe H1N1 en juin 2009. Ceci a déclenché dans les différents pays toute une série de mesures en cascade, qui avaient été préparées au cours des années précédentes pour répondre aux craintes suscitées par la pandémie de SRAS.

En Allemagne, le ministre fédéral de la santé et les ministères des seize Länder ont commandé 50 millions de doses de vaccins et l'on s'attendait à ce que des millions de personnes soient vaccinées. Il est intéressant de constater qu'un certain nombre de contrats avec le fabricant de vaccin GSK avaient déjà été signés en 2007, après qu'un nouveau vaccin contre la pandémie eut reçu une licence.

L'OMS insiste sur le concept de réassortiment dangereux, couramment appliqué en virologie, selon lequel deux virus différents peuvent fusionner en même temps pour infecter un même hôte.

Ces scénarios ont été propagés par les différents gouvernements, les producteurs de vaccins et les experts qui avaient travaillé sur les dossiers du SRAS, de la grippe aviaire et de la grippe porcine. On avait prédit à l'époque des millions de morts, rappelant la hantise des hommes à l'égard des différents fléaux comme la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920.

Pourtant, aucun cas d'infection attribuable au SRAS ou à la grippe aviaire n'a été constaté en Allemagne. La grippe porcine, avec quelque trois cents morts seulement, était loin d'atteindre le nombre de victimes causées par la grippe saisonnière.

Néanmoins, les Etats ont passé commande de quantités extrêmement importantes de médicaments antiviraux ; en Allemagne seulement, quelque 34 millions de doses de vaccins contre la grippe porcine ont été achetées. 50 millions de doses avaient été commandées par les autorités fédérales et étatiques. Les laboratoires pharmaceutiques producteurs de ce vaccin ont gagné plus de 500 millions d'euros alors que ce n'était pas nécessaire.

Ces dernières années, nous avons assisté à des campagnes extrêmement virulentes, avec beaucoup de colère et d'incompréhension. Cela a été le cas avec le SRAS ; nous connaissons maintenant le même phénomène avec la pandémie aviaire.

Le nombre de morts attribuables au SRAS est de cinquante-trois seulement ; pour l'instant, la grippe aviaire a affecté quelque 496 personnes dans le monde entier et en a tué 293. La grippe aviaire ne peut être contractée que par un contact étroit entre les oiseaux et l'homme ; il s'agit donc d'une zoonose régionale. En Allemagne, pas un seul cas de SRAS ou de grippe aviaire n'a été rapporté. Néanmoins, la grippe aviaire est devenue le modèle des scénarios de grippes pandémiques, qui ne correspondent évidemment pas aux stratégies de prévention de la grippe saisonnière, la technique de vaccination n'étant pas efficace dans le cas d'une pandémie.

Aucune de ces prédictions de pandémie ne s'est vérifiée. Si l'on se base sur les faits, on voit que cette affaire de la grippe porcine a été une énorme bulle de marketing de l'OMS. Un certain nombre de conseillers internationaux, nationaux ainsi que les autorités nationales responsables doivent divulguer leurs processus décisionnels et doivent tirer les conséquences qui s'imposent de leurs erreurs de jugement. Dans le cas contraire, on continuera à inventer des pandémies, ce qui produira des effets financiers dévastateurs.

Un article paru dans le British medical journal , publication scientifique renommée, le 10 février de cette année, a qualifié toute cette affaire de tour de passe-passe consistant à répandre de fausses alarmes. Il pose la question de savoir ce qui nous attend maintenant. C'est pourquoi il faut prévenir de tels scénarios et poser les conditions d'une analyse et d'un discours équilibrés en cas de pandémie.

Si l'on ne tient plus compte du facteur de sévérité dans la définition de la pandémie, un simple éternuement pourra se transformer en épidémie ou en pandémie.

Lors d'un congrès d'épidémiologie qui s'est déroulé à Münster l'année dernière, j'ai demandé au docteur Krause, de l'institut Robert Koch de Berlin, s'il lancerait une campagne de vaccination si, l'année prochaine, l'OMS déclarait une pandémie d'éternuements. A ma grande surprise, il m'a répondu par l'affirmative. On peut donc légitimement s'inquiéter !

Je vous remercie de votre attention.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Plus nous avançons dans nos auditions et plus j'acquiers la conviction que l'OMS n'a pas retenu la bonne définition de la pandémie. Ceci a entraîné de la part des gouvernements des décisions largement supérieures aux effets réels de la grippe H1N1.

Je pense aussi que le fait de calquer le plan de lutte pandémique contre le H1N1 sur celui du H5N1 a constitué, dès le départ, une erreur manifeste. Le pensez-vous également ?

M. Ulrich Keil - Je pense que les spécialistes étaient impatients de démarrer une campagne de vaccination. Ils possédaient le modèle de la grippe aviaire et le vaccin a d'ailleurs été fabriqué à partir de celui-ci.

J'étais à l'OMS, en 2005, lorsqu'il a fallu mettre en place des stratégies contre la grippe aviaire qui était devenue une menace. C'est un peu de la planification militaire. Un journaliste médical britannique a comparé la situation avec celle de la première guerre mondiale : tout le monde était tellement prêt à aller au combat que l'on n'a rien pu faire ensuite.

Chacun était impatient de prendre des mesures. Des contrats avec le fabricant du vaccin avaient déjà été passés en 2007, sur la base de l'épisode de grippe aviaire. M. Roy Anderson a expliqué que les quelques cas de grippe porcine constituaient l'extrémité visible de la pandémie. On a ensuite retiré le critère de sévérité de la définition puis ce qui s'est passé dans l'hémisphère Sud a démontré que la pandémie n'était pas grave, cinq cents cas identifiés et un nombre de décès assez bas. On a donc comparé cela à une grippe régionale. Cela me surprend que l'on puisse qualifier cette épidémie de pandémie à un stade aussi prématuré. Mais l'OMS continue de dire qu'il s'agit d'une pandémie.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous venez d'affirmer que le virus H1N1 n'est pas nouveau et qu'il avait été amené en Occident par les soldats de la guerre du Vietnam. Pourtant, tant le CDC d'Atlanta que d'autres agences nationales ont affirmé qu'il s'agit d'une recombinaison originale de virus antérieurs. Ce sont certains éléments de cette recombinaison qui expliqueraient l'immunité relative des personnes de plus de 60 ans mais il s'agirait d'un virus nouveau. Qu'en pensez-vous et comment expliquer que le virus porte le même nom qu'un virus de la grippe saisonnière ?

M. Ulrich Keil - La meilleure preuve que le virus existait déjà est que l'on n'a vu aucune infection chez les personnes de 60 ans ou plus. De légères modifications du virus sont fréquentes mais le H1N1 n'est pas un virus complètement nouveau, selon moi, et quelques autres !

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dressé le parallèle entre la politique de vaccination menée en 1976 aux Etats-Unis et celle menée en 2009. Faut-il en déduire que la vaccination massive n'est pas la réponse la plus adaptée à une pandémie grippale ou est-ce seulement le cas quand le virus est faiblement virulent ?

M. Ulrich Keil - Harvey V. Fineberg, un grand épidémiologiste de Harvard, faisait à l'époque partie de la commission d'enquête et a signalé les cinq points que j'ai cités. Souvent, nous tirons trop peu d'enseignement de l'expérience médicale. Je pourrais citer d'autres exemples à ce propos.

Dans le cas présent, on aurait dû passer ces événements en revue ; peut-être se serait-on comporté autrement. En cas de vaccination, il faut toujours trouver l'équilibre entre le bénéfice et les risques.

En Suède, l'agence responsable de la politique de santé a une certaine réputation en matière de recherche. Elle a détecté de nombreux effets secondaires suite à la vaccination. Cinq décès sont attribués à celle-ci. Face aux risques, la vaccination n'était pas justifiée.

Je réclame une meilleure étude épidémiologique des maladies infectieuses, un meilleur suivi, une meilleure surveillance, comme pour les maladies chroniques, avec des registres bien établis et d'autres outils de ce type. On peut ainsi voir le niveau de mortalité ou de sévérité et ensuite adapter nos décisions en fonction de ces faits. C'est le stade 6 qui a tout déclenché. L'OMS a vraiment dépassé là la limite alors qu'elle aurait fort bien pu réévaluer cette décision et revenir au stade 5.

M. François Autain, président - La vaccination massive est-elle la réponse la plus adaptée face à une pandémie de grippe ?

M. Ulrich Keil - Je ne suis pas contre la vaccination et j'admire beaucoup les réalisations de l'OMS en matière d'éradication de la variole mais, pour ce qui est de la grippe, les preuves ne sont pas très claires, même pour ce qui est de la grippe saisonnière. Il n'existe pas d'essais cliniques. On tire des conclusions sur la base de recherches en laboratoire. Certes, il s'agit de travaux importants mais la théorie du réassortiment demeure une théorie. En réalité, nous n'avons pas la preuve de l'existence de ce virus tueur.

Dans le cas de la grippe espagnole, à propos de laquelle on possède des articles publiés dans The Lancet et autres publications, assortis de recherches bien documentées, on a une variabilité de la mortalité d'un facteur de 31. Ce sont les pauvres, les mal-nourris et les victimes de la guerre qui étaient contaminés. Dans une population telle que la nôtre, on n'aurait jamais eu cet effet.

Selon les projections, si la grippe espagnole revenait aujourd'hui, elle infecterait 96 % des personnes dans les pays en voie de développement et 4 % dans les pays développés. Or, où trouve-t-on les campagnes de vaccination ? En France, en Allemagne et ailleurs ! En Pologne, la ministre de la santé a décidé de ne pas mener de campagne de vaccination. Visiblement, elle n'avait pas signé de contrat en 2007 et a dit qu'elle n'était pas là pour travailler pour les laboratoires pharmaceutiques mais pour les citoyens polonais. Il n'y a pourtant pas eu de scénario différent en Pologne par rapport à ce qui s'est passé en France et en Allemagne. Cette grippe est restée plutôt modeste. La stratégie de vaccination de masse pour lutter contre la grippe, et même la grippe saisonnière, est donc plutôt un problème !

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez souligné l'absence de preuves épidémiologiques permettant de fonder l'ampleur de la réaction des Etats. En France, ce sont cependant les épidémiologues qui ont présenté les scénarios les plus catastrophistes en nombre de morts. A partir de quand pouvait-on savoir que le virus H1N1 ne présentait aucun danger sérieux et comment expliquer la « pensée scientifique unique » qui a caractérisé les analyses des épidémiologues français et étrangers ?

M. Ulrich Keil - Le suivi dans l'hémisphère Sud nous a montré que la pathologie n'était pas d'une grande gravité mais nous avons déjà entendu ces scénarios d'horreur auparavant, comme pour l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1997 ! On sait aujourd'hui que les prions n'existent pas ! Nous avons eu ensuite le SRAS qui a fait cinquante-trois décès à travers le monde entier alors qu'on pensait qu'une pandémie de grande envergure nous menaçait ! La grippe aviaire a ensuite obligé les éleveurs de volailles à abattre ou à protéger leurs animaux. En fin de compte, la grippe aviaire s'est révélée n'être qu'une zoonose, sans transmission d'homme à homme, mais uniquement de l'animal à l'homme !

Pourquoi cette surenchère ? Il existe des ambitions personnelles et une certaine tentation d'attirer des financements vers la recherche. Je ne dis pas que certaines personnes se comportent de manière malhonnête ; elles font leurs calculs mais ces calculs dépassent les limites du raisonnable.

Le professeur Michael Osterholm, qui publie des éditoriaux dans le New England journal of medicine , continue à nous prédire une prochaine pandémie. Or, l'espérance de vie des hommes allemands et français a augmenté de trois ans ; il en va de même pour les femmes. La réalité est donc complètement différente : nous sommes en meilleure santé, nous vivons plus longtemps, nous avons une meilleure qualité de vie. Lorsqu'on annonce la prochaine épidémie et qu'il s'agit de la troisième fausse alerte en une décennie, on perd toute crédibilité !

M. Alain Milon, rapporteur - L'OMS a affirmé que le critère de gravité n'a jamais figuré dans sa définition de la pandémie. Est-ce exact selon vous et pensez-vous que le critère de gravité doive être inclus pour l'avenir ?

M. Ulrich Keil - On nous dit que la gravité n'a jamais fait partie de la définition mais c'est faux ! C'est d'ailleurs logique : vous ne pouvez prétendre qu'un éternuement constitue une pandémie. Sans le critère de gravité, il n'y a pas d'approche logique.

Je suis convaincu que l'on a fait disparaître ce critère avant d'arriver au stade 6, sans quoi on n'aurait pu prendre la décision.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous êtes vous-même expert auprès de l'OMS pour les maladies cardio-vasculaires. Pensez-vous que les conflits d'intérêts sont bien gérés par cette organisation ? Y a-t-il au sein de l'OMS une influence des laboratoires qui aurait pesé sur la déclaration de la pandémie ?

M. Ulrich Keil - Je n'ai pas de preuves mais beaucoup de conseils ont des liens très proches avec les laboratoires pharmaceutiques. M. Roy Anderson est salarié de GSK et gagne 136 000 euros par an, un peu plus que mon salaire en tant que professeur !

Il était déjà très enthousiaste à propos de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). On peut soupçonner les laboratoires de tirer beaucoup de bénéfices des réactions aux différentes pandémies. Nous avons appris que, grâce à la campagne de vaccination, la recette s'est élevée à 18 milliards d'euros.

C'est une activité très rentable : on ne vaccine pas que les personnes en mauvaise santé mais celles en bonne santé également. Ce sont des sommes énormes. C'est pourquoi il faut avoir de vrais critères avant de commencer une campagne de vaccination. La campagne de vaccination, en Allemagne, a été catastrophique. Seuls 7 % de la population ont été vaccinés ; tous les vaccins qui ont été stockés dans les sous-sols des ministères sont maintenant des produits perdus !

M. François Autain, président - La question des conflits d'intérêts vous semble-t-elle bien gérée par l'OMS ?

M. Ulrich Keil - La convention-cadre sur la lutte contre le tabac est très stricte. Il faut faire des déclarations selon lesquelles on n'a pas travaillé pour l'industrie du tabac depuis au moins cinq ans. A ma connaissance, il n'existe pas de règlement aussi strict impliquant des membres de commission jouant le rôle de conseil auprès de l'OMS et qui, dans un même temps, seraient conseils auprès de laboratoires pharmaceutiques.

Je pense donc qu'il faudrait un devoir de divulgation des conflits d'intérêts ; lorsqu'il s'avère, comme dans le cas de M. Roy Anderson, qu'il y a conflit, il faudrait que de telles personnes soient bannies de ces commissions.

M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez dénoncé l'abus d'utilisation du niveau 6 de pandémie par l'OMS. D'autres personnes nous ont dit que les contrats préalables des pays avec les laboratoires lançaient la fabrication des vaccins uniquement si on était au niveau 6.

Il nous a été dit que le Règlement sanitaire international n'autorisait à lancer des campagnes publiques de vaccination, y compris dans l'hémisphère Sud, que si l'on était au niveau 6.

Ces assertions vous semblent-elles justes ?

M. Ulrich Keil - Comme je vous l'ai dit, je crois qu'il n'était pas justifié de déclarer le stade 6, aucune preuve n'étant convaincante. Il faut bien justifier le fait de débuter la campagne de vaccination de masse mais la population n'y a pas cru et n'est pas allée se faire vacciner.

M. François Autain, président - Vous avez contesté la possibilité que le virus H1N1 mute pour adopter une forme virulente. Pouvez-vous développer ce point ?

M. Ulrich Keil - J'ai parlé du principe de réassortiment. Je sais qu'il existe un travail de laboratoire sur ce sujet, comme pour l'ESB et le SRAS. C'est une théorie. En médecine, il en existe beaucoup ; encore faut-il prouver la réalité des choses. Pour l'instant, ce réassortiment, on ne l'a pas vu se produire.

On entend cette histoire du virus tueur depuis une dizaine d'années. On l'a également utilisée dans le cadre de la grippe aviaire. Cela ne s'est jamais réalisé. Cela ne s'est pas concrétisé avec la grippe porcine non plus.

En tant qu'épidémiologue, je tiens à poser des constatations sur la base d'observations concrètes pour examiner ce qui se passe dans la population et en tirer des conclusions.

Je me répète mais si nous avions mieux analysé les données qui existaient pour l'hémisphère Sud, on aurait su à quoi s'en tenir avant de passer au stade 6 et de commencer à tenter de faire vacciner la population dans son ensemble.

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas qu'un virus tueur a moins de chances de se propager rapidement qu'un virus qui ne l'est pas, le virus tueur faisant disparaître rapidement le réservoir dans lequel il se développe ? N'y a-t-il pas là un commencement d'explication à ce paradoxe ? C'est une théorie qui n'a rien de scientifique mais une telle idée ne m'apparaît pas plus farfelue que certaines interventions que l'on a eu à subir ici depuis le début de notre commission d'enquête !

M. Ulrich Keil - Si le virus tue tous les autres, il n'a plus de terrain sur lequel se propager ; s'il s'agit d'un virus léger, il peut se propager partout sans causer beaucoup de mal. Cette théorie est logique et c'est ce que je pense.

Certains scientifiques expliquent cette thèse en se fondant sur des facteurs sociaux. Il est vrai que la théorie de l'infection bactérienne amène à négliger les facteurs sociaux. La grippe espagnole ne peut se produire dans des populations bien nourries comme les nôtres. C'est pourquoi il convient de ne pas se faire le tenant de ces scénarios d'épouvante, les grands tueurs restant l'hypertension, le tabagisme, l'hypercholestérolémie, la mauvaise alimentation. Le SRAS a tué cinquante-trois personnes et la grippe aviaire un petit nombre alors que le cancer tue des millions de gens !

Il faut donc remettre les choses en perspective en matière de santé publique. C'est ce que je crois personnellement. Il arrive parfois que, dans nos sociétés, on ne sache plus faire la part des choses entre ce qui est important et ce qui l'est moins.

La hantise des fléaux comme la variole, la peste, toutes ces grandes épidémies, nous fait succomber facilement à ces théories dont les médias s'emparent et propagent la peur.

Il faut apprendre à résister et à savoir ce qui est important dans le contexte de la santé publique : une bonne alimentation, de bonnes conditions de travail et la pratique du sport, voilà les principaux facteurs d'une bonne santé publique. Ce sont des scénarios d'horreur qui ne fonctionneraient pas chez des gens en bonne santé. L'espérance de vie augmente tous les dix ans de deux ans et demi depuis 1840 ; un de mes amis de Rostock raconte que, chaque jour, nous vieillissons de vingt-quatre heures mais que, biologiquement, nous ne vieillissons que de dix-huit heures par jour. Il ne faut pas avoir peur de ces scénarios d'épouvante répandus par les virologues.

M. François Autain, président - Si je vous ai bien compris, vous récusez l'idée avancée ici par certaines personnes que nous avons auditionnées, selon laquelle la grippe constituerait l'un des plus grands fléaux auxquels risque d'être confrontée l'humanité.

M. Ulrich Keil - Oui, je conteste cette idée, de toute évidence.

Mme Christiane Kammermann - Quels seraient les effets secondaires réels d'une pandémie de grippe H1N1 ?

Par ailleurs, n'est-il pas préférable de prendre des précautions, au risque de ne pas avoir besoin des vaccins commandés ? Vous avez parlé d'ambition personnelle au sujet de leur fabrication : cela paraît incroyable !

M. Ulrich Keil - Ce que vous dites est logique ; en tant qu'homme politique, je suis d'accord avec vous. Il faut réfléchir à toutes ces précautions. Le ministre de la santé allemand, au moment de l'ESB, avait été critiqué, certaines informations n'ayant pas été relayées. Les gens sont devenus hystériques et les hommes politiques ont peur de mal s'y prendre.

Ce rôle incombe aux scientifiques et à la presse. Le ministre de la santé polonais, à mon sens, a fait preuve de courage en disant qu'elle n'y croyait pas.

On comprend bien les précautions prises par les hommes politiques. Reste à savoir quoi en faire et comment s'y prendre. Le British medical journal , en février dernier, a demandé ce qui arriverait si les scientifiques lançaient trois fausses alarmes dans une même décennie. Ils perdraient toute crédibilité et lorsque quelque chose arrivera vraiment, personne ne les croira !

Il est vrai que les prévisions, dans le domaine des sciences comme dans celui de la médecine, se révèlent très souvent fausses, mais il faut mettre fin à ces phénomènes et permettre à ceux qui critiquent cette tendance d'améliorer la situation. Il faut être plus vigilant, mettre en place un système de surveillance plus adapté et faire preuve d'un meilleur jugement sur la base de données empiriques.

Les preuves concernant le stade 6 n'étaient pas justifiées et c'est pourquoi je crois que cette campagne de vaccination de masse n'était basée sur rien.

M. Michel Guerry - Si j'ai bien compris, la ministre polonaise de la santé s'est appuyée sur ce que lui disaient l'académie des sciences et l'académie de médecine et non sur ce que lui disaient les services de son ministère.

En France, c'est exactement l'inverse qui s'est passé. Nous avons à ce sujet interrogé le professeur Marc Gentilini, qui a été président de l'Académie de médecine.

En Allemagne, la façon de traiter le problème ressemble beaucoup à celle de la France. Le confirmez-vous ?

M. Ulrich Keil - L'institut Robert Koch voulait absolument démarrer une campagne de vaccination alors qu'il n'y avait que quelques décès imputables à cette maladie. On était même prêt à vacciner pour une simple crise d'éternuement !

Or, on sait que beaucoup de personnes qui travaillent dans les instituts ont des liens extrêmement étroits avec l'industrie pharmaceutique et ont tout intérêt à ce que ces vaccins soient fabriqués puis distribués. Il y a donc à mon sens un conflit d'intérêts patent mais il est très difficile, dans le domaine médical, de pouvoir bénéficier d'experts indépendants, l'industrie pharmaceutique étant omniprésente. Certes, on en a besoin ; c'est un secteur clé mais je crois qu'il faut également mettre en place des plans permettant de restreindre leur champ d'action, de sorte que leur influence soit moins grande.

Avez-vous lu le livre de M. Martial Angell, « La vérité sur les entreprises pharmaceutiques : comment elles nous trompent et comment réagir » ? Il faut vraiment être vigilant. Les hommes politiques ont un devoir de vigilance. On sait comment les faits sont manipulés.

L'auteur a été pendant plus de dix ans rédacteur en chef du New England journal of medicine . Quelqu'un qui occupe un tel poste et qui écrit un livre de ce type mérite je crois toute notre attention !

M. Michel Guerry - L'attitude des politiques, des médecins et de l'OMS sera-t-elle la même en cas de nouvelle pandémie ? N'aura-t-on pas selon vous une réflexion différente ?

M. Ulrich Keil - J'espère sincèrement que l'on accordera de l'attention aux critiques.

Je suis conseiller auprès de l'OMS depuis 1973. C'est une formidable organisation. Je ne suis pas là pour critiquer l'institution, mais je critique les comportements que l'on a pu déplorer lors de cette grippe.

J'espère que l'on va constater un changement. Les gens, à l'OMS mais aussi à l'extérieur, vont comprendre qu'avec toutes ces fausses alertes, la population ne va plus les croire. Quel intérêt auraient-ils ? Cela ne peut déboucher que sur des pertes financières sans que la population n'en retire rien de positif. 7 % de personnes seulement ont participé à cette campagne. Même si cela avait été efficace, cela n'aurait eu aucun sens. C'est donc un désastre et un pur gaspillage !

Je crois que l'OMS va y réfléchir et que chaque gouvernement va devoir le faire également. Ce qu'il convient de faire, c'est de mettre en place des systèmes épidémiologiques pour les maladies infectieuses de meilleure qualité.

En Allemagne, les spécialistes des maladies infectieuses ne font aucun travail empirique en dehors de leur laboratoire : ils se fient uniquement à leur théorie. Une théorie, en dehors du laboratoire, ne sert pas à grand chose. Rappelez-vous les 10 000 morts annuels de la grippe saisonnière : on ne les compte pas. Ce sont des estimations. Il y a donc vraiment une grande marge.

On doit améliorer les politiques. C'est un appel que je lance. Je ne veux pas simplement critiquer mais également faire des propositions constructives et amener tout un chacun à un meilleur jugement. Ceci devrait nous permettre d'éviter à l'avenir des erreurs comme celles-ci.

Mme Christiane Kammermann - Y a-t-il eu des effets secondaires après cette vaccination ? Ont-ils été graves ? Un éminent professeur spécialiste de l'asthme m'a d'abord dit qu'il n'était pas utile de vacciner les enfants avant de me conseiller de les vacciner tout de suite. Qu'en pensez-vous ?

M. Ulrich Keil - En Allemagne, contrairement aux Etats-Unis, nous avons un vaccin avec un adjuvant qui produit plus d'effets secondaires que le vaccin sans adjuvant.

Par ailleurs, en Allemagne, on évalue fort mal les effets secondaires des vaccins, que l'on ne prend même pas en compte en cas de décès.

Il est difficile de mesurer les effets secondaires attribuables au vaccin lui-même, la méthode utilisée n'étant pas scientifiquement valable.

M. François Autain, président - Merci.

Audition de M. Thomas JEFFERSON, épidémiologiste,
membre du réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group
(mercredi 19 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Thomas Jefferson, épidémiologiste, membre du réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Comme pour le professeur Keil, je devrais vous demander, avant votre intervention, de prêter serment. Mais, compte tenu de votre statut de ressortissant étranger et du fait que vous n'avez ni de près, ni de loin, participé à la gestion de cette pandémie, je pense que nous pourrions faire l'économie de cette formalité. Je note également que vous nous avez remis un document décrivant vos activités et vos liens d'intérêts.

Par conséquent, si vous le voulez bien, je vous propose de commencer sans plus tarder l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Thomas Jefferson - Merci beaucoup de m'avoir invité ici aujourd'hui ; je suis honoré de pouvoir m'exprimer devant le Sénat français.

Je vais essayer de vous présenter brièvement, pour laisser du temps aux questions, un certain nombre de « points-clés » qui me semblent essentiels pour éclairer le débat sur la grippe A (H1N1)v.

Le premier de ces points est la définition de la grippe.

La grippe au sens strict du terme (en anglais « influenza ») et les maladies de type grippal (en anglais « influenza like illnesses » ou ILI) ne sont pas la même chose, bien que l'une et les autres soient souvent confondues dans les documents publics, par les médias ou de soi-disant experts.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné une définition des maladies de type grippal correspondant à des symptômes que nous avons tous connus, car nous avons tous eu ce qu'on appelle communément « la grippe » (en anglais « flu »).

Ces symptômes, ce sont la fièvre, des maux de tête, des douleurs, des problèmes respiratoires...

Mais le problème, c'est que seule une petite minorité (7 à 15 %) des pathologies se manifestant par ces symptômes sont véritablement des grippes, provoquées par un virus grippal A ou B, qui sont les principaux virus grippaux pathogènes pour l'homme.

Les autres peuvent être dues à bien d'autres virus, à des bactéries, voire au stress ou à la pollution à l'intérieur des bâtiments.

Sur la base d'observations cliniques et d'études spécifiques, les travaux du groupe Cochrane ont établi que sur une population de cent personnes, on constatera par an, en moyenne, sept cas de maladies de type grippal, dont un seul sera causé par un virus grippal.

Cette proportion d'un septième est à rapprocher des résultats d'une étude d'octobre 2009 publiée dans la revue The Lancet , qui indique que l'on n'a détecté la présence du virus A (H1N1)v que chez 11 % des personnes qui avaient présenté une maladie de type grippal.

Toutes les personnes qui consultent leur médecin pour une grippe déclinent la même liste de symptômes. Comment savoir quelles sont les causes de la grippe ? Il faut procéder à des tests en laboratoire et séparer les différents cas mais personne ne le fait car il faudrait le faire systématiquement.

Sur cent personnes, je l'ai dit, un certain nombre de personnes seront atteintes d'une grippe. En une année, on aura sept pathologies de type grippal mais cela ne peut concerner que cinq individus, dont deux ou trois auront la grippe deux ou trois fois. Si on cherche vraiment à identifier les virus A ou B de la grippe, on trouve la réponse.

Face à cette situation, la vaccination n'est pas une option car la grippe est une pathologie rare par rapport à toutes les autres causes qui sont à l'origine d'une maladie de type grippal. Le « Flu tracker » de Google, logiciel dont on nous dit qu'il fonctionne en temps réel - il existe toutes sortes de techniques pour suivre les vagues de grippe aux Etats-Unis - concerne les maladies de type grippal et non la grippe proprement dite.

La définition de la grippe n'est donc pas du tout spécifique.

Cette confusion entre les termes est une source d'erreur et constitue une exagération de la menace saisonnière.

Cette incertitude sur l'ampleur de la grippe saisonnière explique peut-être celle qui affecte la définition de la grippe pandémique, qu'a modifiée l'OMS.

C'est le deuxième point que je voudrais aborder : la grippe pandémique est ce que l'OMS décide qu'elle est.

L'OMS a dit n'avoir pas modifié la définition de la grippe pandémique, mais c'est faux. Un logiciel Internet, Wayback Machine, permet de retrouver les anciennes définitions. De 2003 à 2009, il y a pandémie lorsqu'apparaissent « plusieurs épidémies simultanées à travers le monde avec un grand nombre de décès et de maladies ».

Ce critère lié à la gravité à disparu en mai 2009 de la définition de l'OMS, comme l'a montré un étudiant doctorant à Harvard, Peter Doshi.

Les premiers clichés, pris Peter Doshi, remontent au 1 er mai à minuit. De 2003 à 2009, les documents de l'OMS utilisent l'ancienne définition ; on trouve également des déclarations qui sont une source de confusion, ainsi que je l'ai montré au Conseil de l'Europe. On a ainsi différentes versions de ces définitions. Il existe également des preuves du fait que le CDC d'Atlanta disait exactement la même chose.

La définition a été modifiée et la gravité a disparu ; plus récemment, nous avons eu des preuves que l'OMS modifie le contenu de ses pages web sans changer la date affichée sur ces pages. Ce sont des faux en écritures !

Vous trouverez cela sur le British Medical Journal (BMJ) ; Peter Doshi a téléchargé ces documents trouvés par le biais de Google ; ces traces ne sont pas près de disparaître, à la différence des documents de l'OMS ! Nous vivons une ère intéressante, comme le dit la malédiction chinoise !

Le troisième point que je souhaite aborder concerne les experts.

On a beaucoup parlé du rôle des experts. Ne me qualifiez surtout pas d'expert : je ne suis pas expert ! Ni les experts, ni les médias ne se sont fondés sur des preuves.

Il existe une « mentalité de groupe » (group think), selon le terme utilisé par Harvey Fineberg à propos de « l'épidémie qui n'a jamais existé », celle de grippe porcine aux Etats-Unis en 1976.

Les experts « leaders d'opinion clés » (« key opinions leaders » ou KOL), comme les appellent les agences de communication, n'apparaissent pas spontanément.

Ils sont recrutés assez jeunes, ils peuvent être « fabriqués » pendant des années. Ces leaders d'opinion sont chargés de faire passer des messages clés.

Certains d'entre eux ont fait carrière au sein des comités responsables de la grippe à l'OMS, y compris du comité d'urgence dont nous ne connaissons que le président, l'Australien M. Mackenzie. Il existe beaucoup « d'experts », réticents à révéler leurs liens d'intérêt, il y en a aussi qui n'ont aucun lien d'intérêt mais ont des motivations de carrière.

Certains membres de ces comités ne sont peut-être pas des « leaders d'opinion clés » du monde pharmaceutique mais il existe toujours des conflits d'intérêts. Ainsi, les professeurs Roy Anderson et Neil Fergusson vendent des modèles de pandémie. Bien sûr, ils vous diront que ce virus tueur nous menace toujours. « Dread », un livre de M. Philippe Alcabès dit que : « Nous sommes censés être préparés à faire face à une pandémie de grippe d'une sorte ou d'une autre, car ceux qui guettent les grippes, ceux qui consacrent leur carrière à l'étude des virus et qui ont besoin d'un flux continu de subventions pour poursuivre cette étude doivent convaincre les bailleurs de fonds de l'urgence de combattre un fléau à venir » !

Mme Laura Garrett est journaliste, lauréate du prix Pulitzer, et sillonne les Etats-Unis pour annoncer le décès imminent de tous les citoyens lors de la prochaine pandémie. Le Sida et la prochaine pandémie sont les menaces qui nous guettent. La menace la plus grave, c'est surtout celle qui guette le contribuable !

Il s'agit parfois de terrorisme intellectuel pur et simple. Même le « National Geographic », publication de grande renommée, parle de « grippe tueuse » ! Cela ne vous rassure-t-il pas qu'il existe de bons journalistes prêts à pister « la prochaine grippe tueuse » ?

Comme l'a dit l'intervenant précédent, il est peu probable que l'on voie se reproduire ce même scénario. Il y a des raisons à cela : ce sont des raisons sociales qui n'ont rien à voir avec la science.

« Le moment d'une pandémie grippale est-il venu » , comme le titre le New York Times ? Peu importe le journal, la question est toujours la même !

Que dire de la grippe porcine ? Regardez la couverture de ce magazine : on voit ici un cochon dans le noir, derrière des barreaux. Qui est l'auteur de l'article ? C'est encore Mme Laura Garrett !

La dernière question que je voudrais soulever est celle de l'efficacité de la vaccination et des traitements antiviraux contre la grippe.

Pour ce qui est de la vaccination, d'après les données tirées par Cochrane de quarante-deux essais cliniques réalisées sur une longue durée, on peut conclure qu'en moyenne, sur cent personnes adultes vaccinées, une présentera des symptômes de grippes ; sur cent personnes non vaccinées, il y en aura en moyenne deux. Cela revient à dire que vacciner cent personnes ne permet d'éviter qu'un seul cas clinique de grippe. De plus, on n'a pas de preuve que la vaccination permet d'éviter les complications ou un décès, peut être parce que ces cas graves sont trop rares pour apparaître au sein de l'échantillon considéré.

En ce qui concerne les antiviraux, très peu de données concernant des essais menés par le laboratoire Roche ont été publiées. On estime que soixante-dix-sept essais ont été réalisés depuis 1997, dont huit seulement ont donné lieu à des publications.

Or, les politiques d'utilisation du Tamiflu ont été fondées sur les seuls résultats publiés et non sur l'ensemble des données collectées.

En particulier, les essais publiés ne donnent aucune indication sur les effets du Tamiflu sur les complications de la grippe.

On peut donc se demander si le Tamiflu est plus efficace que l'aspirine, qui coûte beaucoup moins cher et dont les effets toxiques sont mieux connus que ceux du Tamiflu.

Compte tenu de tous ces éléments, que propose l'OMS pour lutter contre la grippe ?

Dans un document de soixante-trois pages intitulé « Sommes-nous prêts à réagir à la pandémie ? » , publié en 2009 sur le site web de l'OMS, on trouve seize fois le terme « antiviraux », vingt-quatre fois le terme « vaccins » et seulement deux fois l'expression « se laver les mains ».

Il suffit que quatre personnes se lavent les mains plus de dix fois par jour pour éviter un cas de SRAS. C'est ce que montre une méta-analyse qui regroupe six études cas témoins, menées en 2003 en Extrême-Orient, au plus fort de l'épidémie. Ces chiffres sont empruntés à une étude Cochrane regroupant cinquante-neuf études cliniques.

Se laver les mains est socialement acceptable, coûte certainement beaucoup moins cher que stocker des médicaments, fonctionne à n'importe quel moment et de plus évite la gastro-entérite. On peut l'exporter vers les pays pauvres, où cela sauve des vies, ainsi que l'ont montré plusieurs études.

Un bébé, dans un bidonville de Karachi, risque fort d'être atteint de pneumonie et ne peut donc vivre très longtemps. Or, laver les mains de la mère et de l'enfant évite les cas de pneumonie ! Pourquoi l'OMS n'en parle-t-elle pas ? Je ne sais pas !

M. François Autain, président - Merci.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Comme le démontre l'expérience de la grippe H1N1, une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité pose de sérieux problèmes en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires mais on nous a opposé qu'il était difficile de donner une définition objective et incontestable du critère de gravité qui pourrait permettre de caractériser une pandémie.

Que pensez-vous de cette objection ? Comment pourrait-on selon vous formuler ce critère ?

M. Thomas Jefferson - L'abaissement du seuil d'une pandémie et l'élimination du critère de gravité sont de très bonnes choses pour les laboratoires qui fabriquent les vaccins, car cela permet de considérer des grippes saisonnières comme des pandémies.

Si la propagation et la nouveauté sont les seuls critères, comme le prétend l'OMS, nous nous trouvons au coeur d'une pandémie.

Nous sommes encore, à ma connaissance, dans une pandémie : l'OMS est toujours en phase 6. Si 11 % des personnes « grippées » sont positives au virus H1N1, qu'est-ce qui peut être à l'origine de cette grippe pour les autres cas ? Il s'agit forcément d'autres virus, d'une paragrippe ou d'un coronavirus.

Pourquoi personne ne s'y intéresse-t-il ? Est-ce parce qu'il n'existe pas de vaccins ou d'antiviraux contre ces agents pathogènes ? Cela n'a aucun sens ! Je n'y vois aucune logique épidémiologique ! Le moment où est intervenu le changement de définition est déterminant : entre le 1 er et le 9 mai. On ne sait qui est à l'origine de celui-ci et on n'en connaît pas la raison.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas, me semble-t-il, répondu complètement à la question.

Beaucoup d'intervenants nous ont dit qu'il serait intéressant d'intégrer le critère de gravité dans la définition de la pandémie mais que cela semble difficile parce qu'on ne peut se mettre d'accord sur les critères permettant de caractériser cette gravité. Est-ce un argument véritable ou fallacieux ?

Pouvez-vous nous fournir un critère sur lequel tout le monde serait susceptible de trouver un accord, qui définirait la gravité d'une pandémie au moment où elle apparaît, de manière à éviter des mesures disproportionnées comme celles que nous avons connues ?

M. Thomas Jefferson - L'essentiel, dans une pandémie de type grippal, est la gravité. Cela ne fait aucun doute ! Vous avez dépensé certaines sommes. Il faut justifier les dépenses. Qui s'inquiète d'une pandémie de rhume banal ? On n'a pas besoin de l'OMS pour cela !

Une épidémie ou une pandémie de rhume banal est une chose. C'est le nombre de cas graves et de décès qui constituent la différence principale.

La question de savoir pourquoi on dénombre beaucoup de cas graves et de morts est autre chose. Peut-être n'y a-t-il pas d'immunité ? Peut-être est-ce dû à l'intervention divine ? Il faut qu'il existe une façon pragmatique d'envisager le problème.

Ce que vous dites à propos de la virulence d'un agent qui se consume lui-même est basé sur des preuves et est une question de bon sens. Il existe une multitude d'histoires de ce type, comme celle du choléra qui s'était déclaré à bord de bateaux au large de l'Algérie ; au moment où ils ont accosté, les passagers étaient soit morts, soit immunisés, l'épidémie était terminée.

M. François Autain, président - Si je vous résume, le taux de létalité pourrait être un critère de gravité sur lequel tout le monde pourrait se mettre d'accord...

M. Thomas Jefferson - Il faut en effet prendre en compte le nombre de cas graves et de décès. Les chercheurs, dans les laboratoires, se sont beaucoup intéressés à des virus qu'ils voyaient au microscope. Cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe au sein d'une population en termes de santé publique. Peu importe qu'il s'agisse d'un virus qui ressemble à ceci ou à cela. Ce que je veux savoir, c'est ce qui s'est passé et comment je peux agir sur la base de preuves fiables et non de théories !

M. Alain Milon, rapporteur - L'expérience de la grippe H1N1 nous enseigne aussi, comme l'ont d'ailleurs relevé certains de nos interlocuteurs, que nous ne sommes pas préparés à faire face à une pandémie qui, sauf dans un nombre de cas limité, n'est pas grave, alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir.

Comment faudrait-il, selon vous, organiser la réponse à une nouvelle crise sanitaire du même ordre ?

M. Thomas Jefferson - Pour une maladie respiratoire aiguë de type grippe A, la première chose que je ferai serait de fonder ma réflexion sur des preuves scientifiques et non sur des théories qui montrent qu'il s'agit de cas très rares. Personne ne sait combien de malades meurent de la grippe saisonnière.

Je veux vraiment aller voir les choses de près, avoir des renseignements fiables. En tant que médecin, je préconiserai une intraveineuse d'honnêteté, avec une bonne dose de transparence et de responsabilité car ces gens ne sont pas responsables. Ils n'ont fait aucun cas de ce qui se passait, n'ont pas appris les leçons et ne se montrent pas responsables parce qu'ils essaient de trouver des excuses au changement de définition de la pandémie et à la façon peu recommandable dont cette situation a été gérée.

Je mettrai en place un régime de transparence, d'honnêteté qui se fonderait sur des preuves et non sur des théories. Il n'y aurait plus de virus tueur.

M. Alain Milon, rapporteur - On nous a fait observer que le climat de compétition féroce qui règne dans le monde de la recherche, la course pour l'identification de chaque agent pathogène, l'élaboration de tests, la valorisation de brevets, peuvent conduire les chercheurs à espérer, même inconsciemment, qu'une maladie arrive et faire qu'objectivement leurs intérêts aillent dans le même sens que ceux de l'industrie.

Que pensez-vous de cette observation et peut-on lutter contre ces « convergences d'intérêts » ?

M. Thomas Jefferson - C'est un problème très délicat : concernant les publications de données scientifiques, les Etats et les personnes telles que moi sont tous impliqués.

Avez-vous entendu parler d'une maladie appelée la ménopause ? Lorsque j'étais à la faculté de médecine, on m'a dit que la ménopause était un vieillissement naturel de l'organisme. Non ! C'est devenu une pathologie ! Il faut intervenir, donner des hormones et toutes sortes de choses qui ne servent à rien, des « saletés » ! Savez-vous que la grossesse est devenue une maladie grave ? C'est une grave pathologie ! Nous avons également découvert l'andropause. C'est mon fils qui me l'a dit !

Il existe aussi le syndrome des jambes sans repos. On a bien sûr un médicament pour cela. D'ailleurs, on trouve d'abord le médicament et la cible dans un second temps. Ce n'est plus possible ! Cela ne peut plus durer ! Ce n'est pas viable sur le plan économique !

Autre aspect dont on ne parle jamais : le fait que les publications médicales et scientifiques de haut prestige font des publicités, réimpriment des articles, publient des études sur le vaccin de la grippe, financées par l'industrie pharmaceutique dans des journaux de grand renom et exercent une pression sur les hommes politiques par l'intermédiaire des médias, afin de les amener à agir. C'est un mécanisme dont il faut prendre conscience, qui est fortement enraciné.

En Allemagne, il existe un comité appelé Stiko, qui réalise des programmes de vaccination. 85 % des personnes qui travaillent pour Stiko ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. Il existe des groupes de pression, comme le Groupe européen sur la grippe, intégralement financés par l'industrie pharmaceutique et qui clament leur indépendance au motif qu'ils sont financés par tout le monde ! C'est un bel exemple de démocratie !

Beaucoup de ces gens siègent au comité de l'OMS ; il faut mettre fin à ces pratiques - mais je ne suis pas sûr que ce soit possible.

Etes-vous satisfait de cette réponse ?

M. Alain Milon, rapporteur - Oui. Je ne considérais pas non plus, en tant que médecin, que la ménopause ou la grossesse soient des maladies, mais cela a peut-être évolué depuis !

Quels seraient selon vous, très concrètement, les études à conduire et les moyens à mettre en oeuvre pour améliorer la connaissance de la grippe saisonnière ou pandémique et de ses impacts et pour apprécier l'efficacité de la vaccination antigrippale ?

M. Thomas Jefferson - On pourrait lancer beaucoup d'études mais commençons par faire un essai randomisé sur les masques, le Tamiflu et le lavage des mains, de façon à interrompre la transmission.

On pourrait également faire des essais randomisés sur le Tamiflu, d'une part, et l'aspirine, d'autre part, pour prévenir ou soulager les symptômes. Cela nous réserverait peut-être des surprises. Cela fait plus de vingt ans qu'aucun essai randomisé n'a été pratiqué avec des vaccins activés de grippe saisonnière et des placebos. On ne sait d'ailleurs pas si cela fonctionne.

Ce n'est pas compliqué mais l'industrie de la grippe, et j'y inclus les autorités sanitaires, les laboratoires, les médias, s'est comportée de telle façon que ce n'est plus possible parce que ce serait impensable.

On veut des études : mettons en place un système de surveillance digne de ce nom. Si les grippes ou les maladies de type grippal vous intéressent, on pourrait les généraliser ou les induire de façon raisonnable et raisonnée.

Aux Etats-Unis, mon ami Peter Doshi a interrogé quarante des cinquante et un épidémiologistes qui gèrent le système de surveillance dans chaque Etat. Ils ne tiennent compte que des cas qui répondent positivement à la grippe. S'il y avait un virus, ils ne le sauraient même pas ! Puis ils se débarrassent ensuite de tout ce qui est négatif en prétendant qu'il n'existe pas de spécimen positif d'influenza au CDC ! Ne sachant pas combien de personnes ont été malades, on ne connaît pas la fraction de celles qui ont eu la grippe. Qu'est-on en train d'observer ? Personne n'en sait rien !

Si cela vous intéresse vraiment, on peut mettre en place un système permettant de faire des prévisions réalistes, des autopsies, des tests avant décès. C'est difficile à réaliser, sur le plan social, mais on pourrait ainsi se faire une idée et savoir combien de personnes, au sein d'un échantillon, sont décédées de la grippe.

Tout cela n'est pas forcément nécessaire car la grippe est relativement rare et le vaccin, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas très efficace.

M. François Autain, président - Nous avons à ce sujet rencontré l'Agence européenne des médicaments. On nous a indiqué que l'efficacité du vaccin contre la grippe H1N1, je ne me souviens plus s'il s'agit d'une efficacité biologique ou clinique, avait été chiffrée à 70 %, je parle sous le contrôle de ceux qui m'accompagnaient. J'ai même été étonné qu'un vaccin soit aussi efficace !

Cela confirme-t-il ce que vous savez par ailleurs ?

M. Thomas Jefferson - Savez-vous comment ils s'y sont pris pour établir un tel calcul ? Ont-ils fait des tests sur des êtres humains, sur le terrain, au sein d'une collectivité ou ont-ils simplement calculé la concentration d'anticorps ? C'est ainsi qu'ils s'y prennent en général !

M. François Autain, président - Je pense qu'il s'agissait de la norme de l'immunité biologique.

M. Thomas Jefferson - La question est la suivante : quelle relation existe-t-il entre la réponse entre le taux d'anticorps et la protection ? Je ne sais pas !

Si l'on étudie la façon dont le vaccin fonctionne depuis ces vingt dernières années, ce n'est pas très bon ! Il existe un autre aspect à la question, c'est celui de l'innocuité.

Il n'y a pas d'examen indépendant. C'est d'ailleurs la même chose avec le Tamiflu. Ils le montrent à leurs responsables mais non à des experts indépendants. Nous avons de bonnes raisons de penser que 10 % à 20 % des personnes vaccinées ont une réaction fébrile. En Australie, une personne sur cinq a eu des convulsions, des états fébriles. Il y a peut-être eu une vingtaine de morts en Norvège. La surveillance des vaccins est un art imparfait, très difficile à vérifier. Ils ne sont pas sans risque. Il n'y a pas d'innocuité.

M. Alain Milon, rapporteur - Comment expliquez-vous les spécificités de la grippe H1N1 qui, dans la très grande majorité des cas, n'a pas été plus grave qu'une grippe saisonnière mais qui a aussi pu revêtir des formes très virulentes chez des individus qui ne présentaient pas de facteurs de risque particuliers ?

M. Thomas Jefferson - Cela a toujours été ainsi. La grippe est une maladie qui se limite d'elle-même. On ne se sent pas très bien pendant trois ou quatre jours mais c'est une maladie modérée chez la majorité des gens qui la contracte. Elle n'est pas très virulente.

Quels sont les déterminants des faibles occurrences de décès ? Je ne sais pas mais c'est probablement contextuel. Mon prédécesseur a parlé du postulat de Henle Coch. Il a tout à fait raison. Coch a proposé l'idée qu'un agent est équivalent à une maladie ou est assimilable à un symptôme. Ces dernières années, on a ajouté la dernière partie de l'équation, c'est-à-dire la solution.

En réalité, la pratique médicale ne fonctionne pas ainsi. Certes, il existe peut-être un, deux, trois ou quatre agents de plus mais il faut également un contexte.

Ce n'est pas par hasard ou par accident si les 240 morts de la grippe H5N1 sont survenues chez des gens qui se trouvaient dans certaines circonstances : c'étaient des personnes qui avaient des contacts extrêmement étroits avec la volaille, qui n'étaient pas très éduquées, plutôt pauvres ou modestes. Il s'agissait de familles qui avaient des liens très étroits et refermées sur elles-mêmes.

Il faut donc envisager les données dans le contexte. En 1918, c'est le contexte qui a été déterminant. La majorité des morts ont d'ailleurs été probablement causées par des infections bactériennes.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai le sentiment que vous avez répondu dans le cadre de la grippe H5N1 et non dans celui de la grippe H1N1. Comment expliquez-vous que nous ayons eu des morts du fait de la grippe H1N1 qui ne sont pas les morts habituels que l'on a dans le cadre d'une grippe saisonnière ?

M. Thomas Jefferson - Je ne me l'explique pas ! Je n'ai aucun rôle dans l'investigation mais je peux proposer une explication plausible : on ne sait pas combien de morts par an surviennent du fait de la grippe parce que c'est une estimation approximative qui se fonde sur la circulation des virus. Ceci est vraiment entaché d'un très fort biais.

Cette année, on est allé voir de plus près ; on aura donc peut-être un reflet plus fidèle de ce qui se passe chaque année. En épidémiologie, c'est ce que l'on appelle le « biais d'évaluation ».

On doit cette idée à un certain major Greenwood qui a étudié la grippe espagnole et qui a publié cette analyse en 1919 dans le BMJ. Ce n'est pas nouveau du tout.

Peut-être y a-t-il eu quatre cents morts par an au Canada dues à la grippe saisonnière mais cette année, on est vraiment allé voir ce qui se passait ; les années précédentes, c'était modélisé.

M. Alain Milon, rapporteur - Dernière question : quel a été l'objet des travaux financés par Roche entre 1987 et 1999 sur le Tamiflu que vous indiquez au titre de vos activités. Roche nous a par ailleurs affirmé que suite à l'article du BMJ, ils ont rendu toutes leurs études accessibles aux chercheurs. Est-ce vraiment le cas ?

M. Thomas Jefferson - En 1997, on m'a demandé de regarder les aspects économiques de l'introduction du Tamiflu pour le compte de Roche.

A l'époque, j'étais fonctionnaire au ministère britannique de la défense. J'ai réalisé l'étude avec la permission de mon supérieur hiérarchique. J'avais travaillé sur l'évaluation économique de la grippe et je devais étudier certains aspects de la grippe contre lesquels - j'en avais la certitude - le Tamiflu serait intéressant.

Quant à votre seconde question, il ne s'agit que d'une partie des documents internes, concernant dix essais de traitement sur soixante-dix au total. En nous envoyant les documents, ils nous ont transmis par erreur un index où nous avons pu voir ce qui nous manquait ! Ce que l'on n'a pas contient peut-être des informations précieuses.

Il faut revenir à la charge. On est en train de demander d'autres documents à Roche et à GSK. On va voir comment ils réagissent. La lettre est partie il y a trois jours. L'examen du Tamiflu n'est pas terminé. Cela va se poursuivre pendant un certain temps.

M. Alain Milon, rapporteur - Lors de leur audition, les laboratoires nous ont dit qu'ils avaient ouvert un site Internet et que vous aviez accès à toutes les informations que vous souhaitiez.

M. Thomas Jefferson - Nous avons accès aux informations concernant les dix essais dont ils prétendent que c'est tout ce dont nous avons besoin. Ce n'est pas nous qui souhaitons en rester là : ce sont eux qui nous disent que nous n'avons besoin que de tel ou tel document ! La distinction est importante !

Certes, ils ont mis leur site à notre disposition fin décembre. C'est un site protégé par un mot de passe. On a seulement eu dix modules des essais, dont deux seulement ont fait l'objet de publications.

M. François Autain, président - Docteur Jefferson, nous vous remercions de votre contribution.

Audition de M. Michel SETBON, sociologue,
directeur de recherche au CNRS,
responsable du Centre de recherches sur le risque et sa régulation
au sein de l'Ecole des hautes études en santé publique
(mercredi 19 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Michel Setbon, sociologue, directeur de recherche au CNRS, responsable du centre de recherches sur le risque et sa régulation au sein de l'Ecole des hautes études en santé publique.

Je vous rappelle, monsieur, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment.

Je ne suis pas sûr que cette disposition s'applique à un sociologue qui s'exprime devant une commission d'enquête. Je ne pense pas que vous allez travestir la vérité mais cela ne veut pas dire pour autant que tout ce que vous direz est une vérité. Je me trouve là devant une situation un peu difficile. C'est pourquoi, si vous n'estimiez pas nécessaire de prêter serment, je n'y verrai personnellement pas d'inconvénient.

M. Michel Setbon - Je n'ai aucune réticence à prêter serment, dans la mesure où je vais vous exposer les résultats de travaux scientifiques où j'ai mis toute ma vérité...

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Michel Setbon prête serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer par un court exposé liminaire.

M. Michel Setbon - J'aborderai le sujet du rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion, par le Gouvernement, de la grippe A à travers l'objet qui est le mien.

Vous l'avez dit, je suis sociologue de la santé publique ; je travaille depuis les années quatre-vingt sur l'émergence des maladies infectieuses à caractère épidémique, comme le VIH. Je possède donc une certaine expérience en la matière.

Il se trouve que, lorsque la grippe A a été annoncée, en avril 2009, mon équipe et moi travaillions depuis deux ans sur l'annonce de la grippe pandémique H5N1. Nous avons, à ce titre, fait des enquêtes et publié des travaux dont je pourrai vous donner les références. Nous étions donc préparés à quelque chose.

Une pandémie de grippe, par apparition d'une nouvelle souche de virus, n'est pas très fréquente. Cela se produit tous les dix à vingt ans. Peu de gens avaient donc, autour de nous, dans nos instances sanitaires, une expérience en la matière.

Et encore moins l'expérience d'une campagne de vaccination en urgence, puisque c'était une première. Nous entrions donc là en terrain inconnu, dans des conditions assez complexes malgré l'apparente simplicité avec laquelle on a déterminé qu'il fallait une campagne de vaccination universelle en France, dès le mois de juin 2009.

Pour ce qui est des vaccins, leur vente, dans les pays développés, est en général une ardente obligation pour les firmes pharmaceutiques mais leur utilisation est en recul continu. C'est une donnée importante.

J'ai fait la semaine passée un exposé à l'Académie nationale de médecine sur la vaccination et la grippe ; un des modérateurs a présenté les problèmes de la vaccination depuis Pasteur et la vaccination contre la variole. C'est un problème continu.

En France, par exemple, le vaccin contre la grippe saisonnière est très peu utilisé : en moyenne 27 % de la population est vaccinée par an, ce qui est un taux un peu plus bas que dans les pays comparables.

L'objectif des firmes pharmaceutiques est de vendre le plus possible leurs produits dont les vaccins sont à la fois un produit commercial et un outil de santé publique ou de politique sanitaire. C'est donc une interdépendance structurelle entre les firmes et les autorités sanitaires lorsqu'elles considèrent que le vaccin constitue une réponse efficace à une maladie infectieuse émergente.

Les pouvoirs publics français et l'OMS ont peut-être trop vite présenté le vaccin comme l'arme absolue, sans prendre en considération l'ampleur et la gravité réelle de la maladie, ni l'acceptabilité potentielle de la vaccination par les populations. Le vaccin a été posé comme un remède universel, sans déterminer les conditions de son utilisation en fonction des données propres à la pandémie.

C'est donc ce cadre général que je vais tenter d'illustrer ici, sous forme d'une série de « questions-réponses » susceptibles de l'éclairer, compte tenu du fait que je n'ai aucune information particulière sur les négociations qui se sont déroulées entre les firmes pharmaceutiques et les pouvoirs publics.

Tout d'abord, quels sont les fondements cognitifs de la décision de vacciner 80 % de la population ? Quelles sont les bases sur lesquelles a été construite cette décision, en juin 2009, alors qu'il n'y avait pas encore de cas de grippe A en France ? Le programme universel de vaccination était-il fondé sur les données de la pandémie, alors inconnues ? Prenait-il en compte l'acceptabilité potentielle du vaccin ? Jusqu'à présent, cela reste un mystère que j'ai du mal à éclaircir.

En second lieu, quels étaient les objectifs d'une vaccination généralisée ? Pourquoi fallait-il couvrir l'ensemble de la population ? Etait-elle faisable ? On a de très gros doutes ! Etait-elle justifiable du fait de la nature de la menace ? On va essayer d'en parler...

En troisième lieu, pouvait-on prévoir avec un intervalle de confiance raisonnable le pourcentage de Français qui se vaccineraient volontairement, la vaccination obligatoire ayant été écartée d'emblée ? Les antécédents en matière de grippe saisonnière nous indiquent que le taux est faible.

Pouvait-on, dès juin, savoir qui se vaccinerait et pourquoi ? Là, la réponse est oui ! Nous avons fait ce travail à travers deux enquêtes successives, menées l'une en juin et l'autre en décembre, au plus fort de l'épidémie.

Quatrième question : si l'on avait tenu compte des observations faites en temps réel sur la pandémie, en France comme ailleurs, et sur le risque tel qu'il était perçu par la population, des modifications drastiques du programme de vaccination s'imposaient, à condition bien sûr de mettre au centre de l'action la connaissance à partir de l'observation des faits, de penser l'action publique comme une stratégie flexible et adaptable aux faits observés, de ne pas se lier les mains par des commandes fermes et massives de vaccins dont tout indiquait qu'on n'en disposerait que de manière progressive.

Pourquoi ? On oublie que c'est la première fois dans l'histoire de la santé publique que l'on anticipe un événement et qu'on s'y prépare, ce qui est exceptionnel. D'habitude, on réagit a posteriori , lorsque l'épidémie commence à flamber et que les hôpitaux sont pleins.

Cette fois-ci, on avait un plan et des outils plusieurs mois avant que l'on déclenche l'alerte, en septembre 2009, après la définition du seuil épidémique par l'InVS. On avait donc, entre fin avril et le moment où la pandémie est arrivée en France, quatre mois pour observer ce qui se passait et réfléchir. Pourquoi se lier les mains avec une commande massive et ferme, même si les firmes le demandaient en compensation de leur effort ?

Toutes ces dispositions, qui auraient permis de moduler et d'adapter le dispositif à la réalité de l'épidémie n'ont pas été observées.

Enfin, quelles auraient été les conséquences d'un ajustement et d'une modification de la stratégie vaccinale envisagée si l'on avait choisi une stratégie flexible et adaptable aux observations faites de l'ampleur de la pandémie, du taux de propagation, des formes graves, des groupes sociodémographiques les plus atteints ?

En termes de communication, cela impliquait selon moi de ne plus considérer le vaccin comme la réponse universelle et de mixer les mesures pharmaceutiques avec les mesures non pharmaceutiques. Les résultats de la vaccination n'auraient sans doute pas été plus mauvais. En revanche, cela aurait été beaucoup moins coûteux. En termes de disponibilité de doses de vaccins, il y aurait eu peu de changement : fin janvier, lorsqu'on a arrêté la campagne de vaccination, on n'avait pas atteint 10 % de la population avec une seule dose par vaccination !

On peut avancer ici trois conclusions.

Tout d'abord, un programme ou un plan de santé publique qui anticipe une pandémie ne peut être déterminé une fois pour toutes.

L'anticipation d'une pandémie ne doit pas être confondue avec son évaluation. On s'est un peu, me semble-t-il, endormi sur le fait qu'on était préparé : on avait anticipé le phénomène et il n'était donc pas nécessaire de tenir compte de la réalité. Pourtant, les connaissances sont au début des hypothèses de travail. Il faut ensuite assurer une production permanente de connaissances. Or, je n'ai pas vu grand-chose en la matière, ni en termes de programmes de recherche, ni en termes de transfert de la recherche vers la décision publique. Pourtant, je suis au coeur du système de production de la connaissance.

Enfin, l'échec du programme de vaccination en France ne se limite pas à son coût, que l'on peut pourtant juger exorbitant, compte tenu de son impact réel, mais il est surtout la cause d'un discrédit durable des actions de santé publique dans l'esprit de nos concitoyens. Il va constituer une expérience négative en la matière.

M. François Autain, président - Merci de cet exposé lumineux.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez évoqué la préparation à la pandémie H5N1 sur laquelle vous avez travaillé. On se pose la question de savoir si on aura une pandémie de ce type compte tenu du mode de transmission du virus. Définir un plan de vaccination et de défense contre une pandémie qui ne peut exister me semble très grave.

On a par ailleurs défini la lutte contre la pandémie H1N1 à partir du H5N1. Cela semble-t-il logique ? L'OMS aurait-elle dû définir le niveau de gravité de ce virus afin que l'on puisse mettre en oeuvre les moyens de lutte adaptés ?

Il avait été décidé en juin de couvrir quelque 80 % de la population par voie vaccinale. Nous sommes allés en Angleterre il y a quelques semaines. Les Anglais avaient défini une couverture à 100 %. Or, les virologues estiment que l'on peut avoir un effet barrière avec une couverture de l'ordre de 30 %.

Mais après ces réflexions que m'inspire votre exposé, j'en viens à mes questions.

Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, vous avez indiqué avoir participé à la réalisation de deux enquêtes, aux mois de juin et décembre 2009, pour connaître le sentiment des Français face à la vaccination contre le virus H1N1. Ces enquêtes ont été financées par le service d'information du Gouvernement (SIG). Pouvez-vous rappeler le contexte de commande de ces études et leur objet précis ? Quelles suites le Gouvernement a-t-il donné à ces études ?

M. Michel Setbon - Mon contact avec le SIG remonte à la préparation à la lutte contre la grippe H5N1. Forts de nos travaux réalisés en 2008, à l'époque où l'on s'attendait à l'émergence d'une pandémie de grippe aviaire, lors d'un colloque qui a eu lieu à Paris, auquel participaient des représentants de l'OMS et M. Didier Houssin, j'ai fait valoir qu'à force d'annoncer une épidémie de grippe qui n'arrivait pas, on risquait de ne plus être crédibles. A la suite de cela, en janvier 2009, M. Jean-Yves Nau, journaliste au Monde a fait un article titré : « Les Français croient de moins en moins à la survenue d'une pandémie de grippe aviaire ». Le SIG et la DGS se sont émus de cet article qui mettait à jour cette forte incrédulité. On n'avait pas arrêté, pendant cinq ans, de répéter qu'une pandémie allait arriver ! Je vous donnerai ensuite mon point de vue sur les prédictions en matière d'émergence. Je ne suis pas parvenu à réunir des virologues qui soient d'accord sur cette possibilité ! La plupart prétendent que ce n'est pas possible de l'affirmer.

On m'a invité au SIG, en février 2009, avec les membres du groupe interministériel de lutte contre la grippe aviaire ; j'ai exposé nos travaux et l'EHESP, dont je suis un des membres pilotes, a signé avec le SIG une convention pour la création d'un Observatoire sur la perception des risques sanitaires en France.

La première enquête portant non plus sur la grippe aviaire mais sur la grippe pandémique émergente a été lancée en juin 2009. On a ajouté une question sur le vaccin, la possibilité d'une commande ayant été annoncée.

Le dépouillement de l'enquête réalisée en juillet a fait apparaître que les gens étaient peu inquiets. Pourquoi les gens se vaccinent-ils ? Sur le plan international, c'est l'un des sujets les plus étudiés depuis vingt ou trente ans. On sait que les gens ont une propension à se vacciner en relation plus ou moins étroite avec le risque, tel qu'ils le perçoivent, de contracter une pathologie. Nos résultats montrent que les gens sont faiblement inquiets, pas plus que devant la grippe saisonnière et que ceux qui ont les facteurs les plus prédictifs en matière d'intention vaccinale en juin sont ceux qui ont déjà été vaccinés contre la grippe saisonnière, c'est-à-dire les personnes âgées de plus de 65 ans.

Nous transmettons ces résultats au DGS, au SIG et au cabinet de la ministre, pour les mettre en garde. Notre pronostic s'est vérifié de mois en mois : en septembre, la proportion de gens qui manifestaient une intention vaccinale, alors qu'elle était de 60 % en juin, était descendue à 30 %. Face au vaccin, on se retrouvera à des proportions très basses, avec des indices très stables, voire en recul, en matière de perception de la gravité de la maladie et de l'inquiétude que cela suscite chez les individus.

Toutes ces données m'ont conduit à conclure, dans un article publié dans l' European Journal of public health , que si la campagne de vaccination française a été un échec...

M. Alain Milon, rapporteur - Il n'y a pas qu'en France : dans les autres pays également !

M. Michel Setbon - En effet. J'ai synthétisé la chose en disant que les Français ont perçu la grippe H1N1 au même niveau que la grippe saisonnière.

Que s'est-il alors passé ? Rien !

M. Alain Milon, rapporteur - On a quand même commandé 94 millions de doses !

M. Michel Setbon - ... Ce qui me conduit à des conclusions douloureuses !

M. Alain Milon, rapporteur - S'agissant de la grippe H1N1, à quel moment la perception du risque et les intentions de vaccination ont-t-elles été les plus fortes ? Quels facteurs ont fait basculer, selon vous, la plupart des Français dans le refus de la vaccination ?

M. Michel Setbon - C'est au moment de notre première enquête, en juin, que l'intention de vaccination est apparue la plus forte - 60 % - lors de l'annonce d'un vaccin. Selon les petits sondages « spot » menés par le SIG tous les quinze ou vingt jours, l'intention a décru à partir d'août et n'est jamais remontée.

Avec 60 % d'intentions de vaccination, on peut déjà s'attendre au mieux à vacciner 30 % des gens. Quand on corrèle ces chiffres avec des facteurs plus pointus qui permettent de voir sur quels éléments se fonde cette intention, on tombe sur des catégories de personnes extrêmement précises, personnes âgées, etc.

Le groupe qui avait le plus l'intention de se faire vacciner était celui désigné comme le moins à risque et vice versa . Si on veut faire une campagne de vaccination, il faut cibler les personnes qui refusent le plus la vaccination, c'est-à-dire la catégorie des 20-40 ans. Apparemment, on n'a pas pu le faire.

Pour être honnête, il existait deux choix possibles : soit on accentuait la campagne de communication pour amener le plus de gens à se faire vacciner, soit on révisait la stratégie vaccinale. Ce n'est pas incompatible. Si les éléments qui déterminent le public à se faire vacciner sont extrêmement restreints en termes de couches sociales, on ne peut continuer à commander 95 millions de doses ou essayer de vacciner 80 % de la population !

Ce qui m'a le plus gêné, c'est que l'on n'a pas voulu savoir ni se servir de la connaissance !

M. François Autain, président - Et on ne veut toujours pas savoir !

M. Michel Setbon - Je le sais mais je n'y peux rien !

M. Alain Milon, rapporteur - Toujours devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, vous avez indiqué : « en conclusion, l'échec de la campagne de vaccination pouvait être prévu. On ne s'est pas donné les moyens de l'anticiper et d'en tirer les conséquences opérationnelles » . Comment expliquer l'adaptation tardive de la stratégie vaccinale à la réalité de la situation ?

Une question me taraude depuis que nous sommes allés en Angleterre. Les Anglais se sont aperçus dès octobre qu'il n'était pas utile de vacciner l'ensemble de la population. Ils ont déclaré dès cette époque que cette épidémie n'était pas grave. L'OMS l'avait déclaré dès la mi-mai.

Comment se fait-il que l'on n'arrive pas, lorsqu'on met un plan pandémique en place, à l'adapter à l'évolution d'une situation ?

M. Michel Setbon - A l'Assemblée nationale, un député a dit : « On reste droit dans ses bottes » . Quand on est décidé, on ne change pas son cheval au milieu du gué !

M. Alain Milon, rapporteur - Il n'y avait pas de gué, faute de rivière ! On aurait donc pu changer de cheval !

M. Michel Setbon - C'est vrai. C'est ma plus grande déception ! On avait le temps. On n'était pas dans l'urgence. On pouvait tirer des enseignements et des connaissances pour ajuster la campagne de vaccination. On ne l'a pas fait !

M. François Autain, président - Tout le monde oublie que les vaccins ont été achetés fermes dès le mois de mai...

M. Michel Setbon - Pourquoi ?

M. François Autain, président - Je n'en sais rien ! C'est la question que nous nous posons tous ! L'un des objectifs de cette commission d'enquête est de savoir pourquoi on a acheté immédiatement des vaccins en telles quantités, alors que cela ne correspond absolument pas à l'évaluation du risque tel qu'il était non seulement perçu par la population mais tel qu'il était évalué par l'InVS, puisqu'en juin l'InVS disait que c'était une épidémie qui n'était pas plus grave que la grippe saisonnière.

On pouvait donc en déduire un certain nombre de conséquences. Quand on pose toutes ces questions, la ministre nous renvoie à ce mot magique qu'est l'éthique. Je sais que vous êtes sociologue et que vous ne pouvez répondre sur un tel sujet mais on a abandonné toute référence à des données scientifiques ou sanitaires. Si on a acheté un nombre aussi important de vaccins, c'était pour être sûr que tous ceux qui demanderaient à être vaccinés puissent l'être. On a même prévu une option à 130 millions de doses de manière que l'on puisse vacciner toute la population et au delà, soit 65 millions !

Je crois qu'il y a là un véritable problème. Pourquoi a-t-on acheté autant de vaccins ? La référence éthique ne me satisfait pas. C'est un mot magique derrière lequel on se cache. Quelle est la véritable raison ? Les pouvoirs publics ont-ils paniqué ? Il est vrai que les risques qu'ont courus les décideurs dans les années qui ont précédé donnent à réfléchir à ceux qui sont appelés à prendre des décisions dans ce domaine. On peut comprendre qu'ils jugent préférable d'en faire trop que de n'en faire pas assez.

C'est ce que j'ai essayé d'expliquer à Mme la ministre en disant que le principe de précaution que l'on a invoqué à plusieurs reprises - à tort à mon sens - comme l'a dit le professeur Marc Gentilini ne doit pas être destiné à protéger les décideurs mais la population. Certes, l'environnement était favorable et personne - l'industrie pharmaceutique en particulier - n'allait dissuader la ministre d'acheter autant de vaccins, bien au contraire ! Si l'on ne commandait pas tout de suite, on risquait de ne plus pouvoir commander demain.

Je pense donc que le Gouvernement a fait preuve de pusillanimité face à des pressions qui venaient de l'industrie pharmaceutique. C'est pourquoi on a acheté un certain nombre de vaccins, et puis on a essayé d'adapter le risque au plan et non le plan au risque, d'où cette dramatisation, etc.

C'est l'état de ma réflexion. Il est aujourd'hui difficile, avec les éléments dont nous disposons, de connaître exactement les raisons pour lesquelles le Gouvernement s'est engagé dans un achat aussi important. La référence éthique est magique et laisse sans voix : on ne peut contester l'éthique !

M. Michel Setbon - Il existe derrière le mot d'« éthique » un modèle structurant dans la santé publique française. Les problèmes de santé publique, lorsqu'ils émergent, peuvent toucher tout le monde mais ce n'est en fait jamais le cas.

Le Sida est un énorme problème de santé publique mais on sait maintenant qui il touche et comment. On le sait à travers les voies de transmission, l'épidémiologie, les comportements sociaux, etc.

La tendance structurelle en France, depuis que je travaille dans ce domaine, est de penser la santé publique en termes d'égalité. Tout le monde doit avoir la même protection quel que soit son risque. C'est ce que vous appelez la dimension éthique. Cela signifie ne négliger personne.

Cette formule généreuse, à laquelle on ne peut qu'applaudir, a pour conséquence dévastatrice d'éviter à la population de savoir ce qui se passe en réalité, qui est vraiment à risque, quel est l'impact de l'outil mis en place pour protéger les personnes. C'est cela, la production de connaissances en santé publique et c'est un aspect qui n'est pas entré dans les décisions de santé publique en France. Malgré toutes nos expériences, le seul changement consiste à ouvrir le parapluie le plus large possible !

Or, la santé publique n'a pas pour ambition, quand un moustique se révèle dangereux, de tuer tous les moustiques ou lorsqu'une bactérie émerge, de fermer tous les jardins d'enfants et toutes les écoles !

C'est ce que les Anglais savent très bien faire : comprendre les mécanismes, savoir qui est le plus vulnérable et ajuster les stratégies de protection en fonction des cibles que l'on doit protéger. Si, d'emblée, on vaccine tout le monde, il n'y a plus besoin de savoir quoi que ce soit !

Ce qu'on appelle « éthique » est donc pour moi la négation de la santé publique. On ne doit pas protéger tout le monde de la même façon : certains ont besoin d'être plus protégés que d'autres !

Comment faire ? Il ne suffit pas d'acheter 95 millions de doses. Second élément : un vaccin s'accepte ou se refuse. Faut-il ajuster la commande de vaccins à ce que les Français vont accepter ou l'inverse ?

Enfin, vous dites que l'on a commandé des doses entre mai et juin de façon ferme : je reste ahuri ! Les compagnies aériennes commandent des Boeing cinq ans à l'avance mais il existe des clauses de révision !

M. François Autain, président - Je vous l'expliquerai quand on me l'aura expliqué ! Nous allons peut-être revoir Mme la ministre... On doit se contenter de cette explication. On peut bien entendu considérer que ce n'est pas suffisant.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez cité le Sida et la grippe. Or, la meilleure protection n'est peut-être pas obligatoirement le vaccin mais, pour le Sida, le préservatif et, pour la grippe, le lavage des mains. Ce sont des méthodes peu chères et qui permettent les meilleures protections mais elles ne suffiraient sans doute pas à satisfaire les laboratoires pharmaceutiques.

M. François Autain, président - Pour le Sida, il n'existe pas de vaccin !

M. Alain Milon, rapporteur - En effet.

Comment expliquer le décalage qui semble avoir opposé, d'une part, les autorités sanitaires et la communauté scientifique qui ont longtemps privilégié une vision catastrophique de la situation et, d'autre part, sa perception plus optimiste par la population et les généralistes, écartés du système ?

M. Michel Setbon - C'est une question extrêmement intéressante qui me taraude. J'essaie de tirer la conclusion et je me dis que les Français ont eu plus de bon sens que nos experts. Ce n'est pas normal !

Un des travers des experts - pour en être parfois, bien que je sois plus généraliste - en matière de maladie infectieuse, de grippe ou de vaccination est de sauter de joie quand ils trouvent leur objet concrétisé. Ils s'identifient à leur prophétie !

M. François Autain, président - Il n'y a pas que les experts !

M. Michel Setbon - En effet, mais ils n'ont pas une vraie distance critique par rapport à l'événement.

Par exemple, pour le comité technique des vaccinations, quand il existe un phénomène émergent de maladie infectieuse, il faut vacciner. Il ne prend pas en compte les autres dimensions que sont l'acceptabilité du vaccin par le public, la façon dont les gens se déterminent pour se faire vacciner ou non.

Il existe un aspect « top down » qui ne tient pas compte d'une double réalité : leur prédiction peut être différente de la réalité et le public a sa propre vision du monde et des événements. Etant le décideur final, c'est son pouls qu'il faut prendre pour savoir ce qui va réellement se passer, aussi bien en matière de préservatif, de lavage de mains que de vaccin ! Les pouvoirs publics ne font que des propositions. C'est le public qui décide.

Pour ce qui est des médecins, le groupe des professions médicales est un de ceux qui se fait lui-même le plus faiblement vacciner. Il existe une tendance profonde en France, et dans tous les pays développés, qui montre que les médecins ne sont pas les premiers - loin de là - à se faire vacciner ; il en va de même des infirmières ou des auxiliaires médicaux. On peut avoir plusieurs explications à cela mais c'est un fait.

Dans notre deuxième enquête, que nous sommes en train de publier, nous avons essayé d'étudier l'impact déterminant du conseil médical sur la décision vaccinale des personnes. Elle est extrêmement importante. De mémoire, plus de 70 % des personnes, entre mai et décembre, ont consulté un médecin. 55 % à 60 % ont posé des questions sur le vaccin à leur médecin et ont eu, en fonction de la spécialité du praticien, une réponse provaccinale ou antivaccinale. Elle est favorable à la vaccination de l'ordre de 70 % à 80 % chez les pédiatres et les gynécologues ; elle descend à 50 % chez les autres spécialistes, à 43 % chez les généralistes et à 12 % chez les médecins alternatifs.

M. Claude Domeizel - Vous avez dit que rien ne s'était passé à la suite de l'enquête. J'ai compris que l'on n'avait donc pas tenu compte de votre travail Est-ce exact ?

M. Michel Setbon - Personne ne m'a appelé ni posé de question. Je n'ai pas constaté de changement.

M. Claude Domeizel - Peut-être cela a-t-il eu un effet. Face à la faiblesse des intentions de vaccination et compte tenu de la masse importante de vaccins commandés, la campagne en faveur de la vaccination a eu recours au bazooka. Je me souviens des annonces que l'on entendait dans les aéroports qui conseillaient, si l'on était malade, d'aller consulter le médecin. Cela pouvait faire sourire !

Jamais cela ne s'était pratiqué : on a envoyé à tous les Français, par l'intermédiaire du fichier de la caisse de sécurité sociale une lettre individuelle accompagnée d'un bon. Aviez-vous préconisé cette démarche et en avez-vous été informé ?

M. Michel Setbon - Non, je n'ai pas été informé ; dans mes conclusions, je disais effectivement que si le risque perçu de la grippe pandémique n'était pas plus élevé, on ne pourrait atteindre les objectifs de vaccination.

On ne peut décréter l'inquiétude. On a réussi à le faire pour la grippe pandémique H5N1 avant qu'elle n'arrive mais là, placés en situation réelle, entre juin et décembre, les gens ont regardé autour d'eux et n'ont rien vu. Un des phénomènes qui n'a pas joué en faveur des promoteurs de la vaccination réside dans le fait que, sur quatre personnes à avoir apparemment été en contact avec le virus, une seule a développé une grippe symptomatique.

Même si 30 % ou 40 % de la population ont été en contact avec le virus, on n'a pas dépassé 10 % de cas symptomatiques, soit un pourcentage inférieur à celui d'une grippe saisonnière.

La décision vaccinale n'est pas anodine. Pour accepter de se faire inoculer quelque chose pour se protéger, il faut être convaincu que cela en vaut la peine ! Or, les Français n'en ont pas été convaincus. Cela pouvait se mesurer. Dès lors, soit on ajustait le programme de vaccination, soit on se lançait dans une campagne terrorisante...

M. François Autain, président - Cela a été un peu le cas !

M. Michel Setbon - Mais cela n'a pas fonctionné !

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez parlé de risque émergent. Comment se construit-il ? Quel est le rôle du virologue ? Comment peut-il influencer la décision ?

M. Michel Setbon - La dernière épidémie sur laquelle j'ai travaillé est celle du chikungunya à La Réunion. C'est un cas typique et il est assez intéressant de comparer ces deux épidémies. Pour ce qui est du chikungunya, on a réagi à retardement ; dans le cas de la grippe H1N1, on a anticipé.

Or, le même facteur clé a été utilisé dans deux orientations différentes. Pendant huit mois, à La Réunion, entre mars 2005 et février 2006, les autorités sanitaires ont estimé les cas peu graves. La gravité a été utilisée dans le chikungunya comme facteur de désintérêt. Cela a eu un effet boomerang, le chikungunya ayant cependant entraîné des morts. Quand 40 % de la population ont une atteinte symptomatique, avec des douleurs articulaires extrêmement fortes et des récidives, le terme de gravité n'a pas la même dimension ni le même sens chez les experts et dans la population ! La question est donc de savoir qui croire !

M. François Autain, président - Quand nous avons auditionné Mme Roselyne Bachelot-Narquin afin d'essayer de connaître les raisons pour lesquelles elle avait commandé autant de vaccins, elle nous a d'abord répondu qu'elle voulait vacciner tout le monde mais qu'elle savait qu'elle n'y arriverait pas, même si on a néanmoins retenu une option à 130 millions de doses.

Elle nous a indiqué que l'on avait prévu un taux d'attrition de l'ordre de 25 %, se fondant pour ce faire sur le taux d'attrition dans les vaccinations obligatoires et dans la vaccination facultative contre la méningite à méningocoques.

Je lui ai fait valoir qu'elle aurait mieux fait de réaliser un sondage. Je ne connaissais pas l'existence de ces deux études qui donnaient un fondement scientifique à ce qui au départ, n'était qu'une boutade. On a donc bien fait des sondages ; le tort que l'on a eu est de ne pas en avoir tenu compte et de ne pas en avoir tiré toutes les conséquences.

Pour un sociologue, les modalités de calcul du taux d'attrition telles que nous les a présentées madame la ministre sont-elles pertinentes ? Est-ce vous qui l'avez conseillée ou a-t-elle pris ses conseils ailleurs ?

M. Michel Setbon - Il est quelque peu affligeant de ne pas prendre les éléments sérieux comme base de détermination des comportements. La vaccination contre la méningite n'a rien à voir : elle est ciblée sur une population donnée et il existe un critère de très forte gravité. Pourquoi ne s'est-on pas plutôt fondé sur le taux de vaccination contre la grippe saisonnière, qui est de 27 % ? La comparaison ne vaut que lorsque vous prenez les éléments déterminants du modèle vaccinatoire dont la gravité est un des éléments.

Il existe de bons modèles, qui fonctionnent très bien et qui donnent une probabilité sérieuse.

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous examiné les vaccinations contre les complications pulmonaires de la grippe ? Il semblerait qu'il y ait eu, du fait de l'action des médecins traitants, une augmentation assez conséquente des vaccinations contre le pneumocoque et les complications pulmonaires.

Cela voudrait dire que la population ne s'est pas fait vacciner contre la grippe mais, sous l'action des médecins, contre les complications de la grippe.

M. François Autain, président - Au point que certains préconisent, plutôt que de vacciner contre la grippe, de vacciner contre le pneumocoque.

M. Michel Setbon - Non, nous n'avons pas précisément étudié ce point. Il ressort néanmoins, dans l'étude statistique que nous sommes en train de mener dans le cadre de notre enquête de décembre, que les groupes qui avaient des risques de complications majeures ne se sont pas fait massivement vacciner.

Sur notre échantillon - en principe représentatif de la population - on est arrivé à un taux de vaccination réel, au 20 décembre 2010, de 7,5 %. Environ 20 % avaient encore l'intention de se faire vacciner en décembre. Ils n'y sont certainement pas tous allés. Parmi ceux-là, il semblerait que même les groupes à risque n'ont pas été massivement vaccinés.

On a identifié dans notre échantillon de population des groupes qui se protègent spécifiquement avec le vaccin et des groupes qui se protègent avec des mesures d'hygiène. Apparemment, ce ne sont pas les mêmes.

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que ce souci de vacciner tout le monde a fait que l'on n'a pas vacciné ceux qui auraient mérité de l'être avant tous les autres ?

Enfin, cet échec a-t-il fait reculer la cause de la vaccination dans la population et alimenté les thèses des ligues antivaccinales ou pensez-vous que cela n'a pas joué ?

M. Michel Setbon - C'était une des conclusions douloureuses de mon propos : je pense qu'au-delà de la perte financière, le discrédit va être dur à rattraper, en termes de prédictions et en termes de vaccination, ce qui est paradoxal à l'époque du principe de précaution Le principe de précaution n'est pas une exonération du principe de réalité. Il faut que les gens soient conscients, au-delà d'une annonce, qu'il se passe quelque chose. Il faut avoir la capacité de l'expliquer, de le montrer, de le justifier.

Pour ce qui est de la vaccination volontaire, on est sur une pente dangereuse. Je rappelle que le BCG n'est plus obligatoire depuis deux ou trois ans. On ne peut maintenant plus envisager, même dans le cadre d'épidémie grave, de vaccination obligatoire. A mes yeux, on ne prend pas encore bien en considération les mécanismes et les facteurs qui font que les gens vont ou non se faire vacciner. On continue à penser la vaccination comme un don de protection du puissant au plus faible, ce qui n'est pas le cas !

M. François Autain, président - Le fait d'avoir préconisé la vaccination de masse n'a-t-il pas porté préjudice à la vaccination des personnes à risque ? On n'a pas fait de publicité en faveur de ces personnes à vacciner en priorité, on a surtout mis l'accent sur le fait qu'il fallait vacciner tout le monde, que tous ceux qui le demandaient devaient pouvoir être vaccinés. Le cas des personnes à risque a été pris en compte à la fin : on les a convoquées avant les autres mais on n'a pas fait de campagne d'information dirigée vers ces personnes. Je ne l'ai en tout cas pas perçu comme tel.

M. Michel Setbon - Vous avez raison. Mais il y aurait eu une contradiction fondamentale entre le fait d'annoncer une vaccination universelle et celui de cibler des personnes à risques. D'ailleurs, les gens ne l'ont pas compris !

M. François Autain, président - D'autant que le volontarisme est fondé sur la mobilisation ; or, les personnes à risque ne sont sans doute pas celles qui se mobilisent le plus. Si on ne se fonde que sur la mobilisation, on risque de passer à côté de cette cible.

Nous vous remercions infiniment de votre intervention qui a confirmé un certain nombre d'hypothèses que, pour ma part, je formulais.

M. Michel Setbon - Puis-je faire une dernière suggestion ? Je n'ai pas souvent l'occasion de rencontrer des parlementaires... Il faudrait introduire dans les lois de santé publique l'obligation d'une étude d'impact des décisions qui sont prises : pourquoi fait-on cela ? Qu'en attend-on ? Qu'est-ce qui va le contredire ?

M. Alain Milon, rapporteur - Dans les collectivités territoriales  -je suis maire par ailleurs - systématiquement, quand une décision risque de coûter cher, on fait une étude.

M. François Autain, président - Il y a quelque chose qu'il faut intégrer : toutes les lois que l'on vote ne sont pas nécessairement appliquées, ce qui ne nous empêche pas de voter parfois une nouvelle loi avant même de savoir si celle que l'on a votée a été appliquée et évaluée. C'est un autre problème mais cela ne nous empêche pas de prendre en compte les études d'impact en matière de santé publique. Je pense que c'est un élément relativement nouveau et nous en tiendrons compte. Nous vous remercions pour la contribution que vous avez apportée à notre réflexion.

Audition de M. Dominique DUPAGNE,
médecin généraliste
(mercredi 26 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Dominique Dupagne, médecin généraliste.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Dominique Dupagne prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie. Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Dominique Dupagne - J'ai, en effet, des liens d'intérêts, puisque mon épouse est cardiologue et travaillait pour le laboratoire Sanofi au moment de la campagne de vaccination. Je suis aussi administrateur d'une société familiale qui s'appelle Vygon et qui fait du matériel médical. Je suis enfin consultant pour les éditions du Vidal, qui éditent le fameux « livre rouge » des médicaments.

M. François Autain, président - Je vous remercie. Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire, puis vous répondrez ensuite aux questions du rapporteur, M. Alain Milon, et des autres commissaires.

M. Dominique Dupagne - De nombreux confrères ont déjà permis de préciser des éléments importants. Je pense notamment au professeur Marc Gentilini, aux docteurs Philippe Foucras, Jérôme Sclafer et Philippe de Chazournes. Je ne reviendrai donc pas sur les questions qu'ils ont abordées, sauf si vous m'interrogez. Il me semble que l'aspect intéressant que je pourrais développer aujourd'hui est la place d'Internet dans la campagne de vaccination. Je vais donc tenter de me situer dans ce contexte, avant de répondre à vos questions.

Je suis médecin généraliste libéral parisien. J'ai également des activités à l'université, dans la formation continue et dans l'évaluation des pratiques professionnelles. J'ai découvert Internet en 1996, et plus spécifiquement les espaces d'échanges avec les patients. Après quelques milliers de messages échangés entre 1996 et 2000, j'ai créé mon propre site Internet, Atoute.org, qui bénéficie d'un trafic significatif avec 1,2 million de visiteurs par mois. A titre de comparaison, c'est le double de celui de la Haute Autorité de santé. Ce site est géré par des bénévoles et n'a pas de vocation commerciale. J'ai présidé pendant quelques années l'Association des médecins maîtres-Toile qui regroupe les médecins webmasters francophones, les pionniers de l'Internet de santé.

Dès 1996, j'ai été confronté aux antivaccinaux primaires sur les espaces communautaires. Je parle de ceux qui sont fondamentalement opposés au principe même de la vaccination. Ce mouvement issu de l'homéopathie avait été terrassé dans les années soixante par les succès de la vaccination, notamment de la poliomyélite, qu'elle a fait quasiment disparaître. Malheureusement, la désastreuse campagne de vaccination contre l'hépatite B leur a permis de retrouver un public et une relative crédibilité au début des années quatre-vingt-dix. Je crois que vous en avez déjà entendu parler.

On a parlé de comportement sectaire au sujet des antivaccinaux primaires. C'est très exagéré. En revanche, il faut reconnaître que leurs chantres faisaient preuve d'une incapacité totale à débattre scientifiquement, enfermés qu'ils étaient dans leurs inébranlables certitudes. Les internautes ne s'y trompaient d'ailleurs pas et faisaient facilement le tri entre leur discours dogmatique et une approche scientifique raisonnée, défendue par les quelques médecins présents sur ce nouveau média.

Dans le même temps, l'outil Internet permettait un phénomène nouveau : la création de communautés professionnelles connectées grâce à des listes de discussion, des échanges de mails. J'ai ainsi pu échanger quotidiennement avec des centaines de confrères depuis plusieurs années, y compris étrangers. Sur ces forums qui fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l'information disponible est partagée, analysée, disséquée et critiquée en temps réel. Il s'en dégage une forme d'intelligence collective tout à fait étonnante.

Un des premiers effets de ces espaces de dialogue a été de permettre aux médecins de s'affranchir de la mainmise de l'industrie pharmaceutique sur l'information santé. Je ne développerai pas cet aspect que M. Philippe Foucras, du Formindep, vous a déjà exposé brillamment. L'intensité de cette mainmise est souvent sous-estimée.

Pour en revenir à notre sujet, la grippe a bien évidemment été au centre de nos échanges, tout d'abord, en 2005, lors de la menace de la pandémie aviaire. J'avais été à l'époque particulièrement inquiet des conséquences potentielles d'une telle épidémie au point d'écrire un article à ce sujet sur le site Atoute. J'y exposais les conséquences catastrophiques éventuelles d'une telle épidémie, tout en relativisant la probabilité de sa survenue. Cette inquiétude m'avait d'ailleurs valu d'être brocardé par mes confrères qui me trouvaient excessivement inquiet.

Lors de l'épidémie mexicaine, ces mêmes confrères se sont de nouveau tournés vers moi pour savoir si je partageais l'inquiétude des autorités sanitaires. Mais une évidence s'est imposée rapidement, c'est-à-dire début juin : cette épidémie n'était pas une grippe aviaire. Sa bénignité dans une mégapole comme Mexico était incompatible avec une mortalité massive, et encore moins dans des pays mieux dotés en infrastructures.

C'est à ce moment, au milieu de l'été, que s'est opérée une dichotomie entre un discours officiel catastrophiste et des évidences de terrain beaucoup plus rassurantes. Or, plus nos confrères de l'hémisphère Sud nous confirmaient la bénignité de l'épidémie, plus le Gouvernement et les instances sanitaires augmentaient la pression et la peur, complaisamment relayées par des médias étonnement peu critiques.

C'est à ce moment que nos autorités, occupées à négocier d'importants contrats d'achat de vaccins, ont commencé à voir ce qu'elles croyaient au lieu de croire ce qui leur était donné à voir.

A partir de ce moment, Internet est devenu le lieu privilégié de diffusion de l'information critique et sourcée, tandis que le discours officiel et la presse diffusaient les idées parfois fantaisistes.

J'ai alors écrit un article de synthèse sur la vaccination antigrippale sur mon site, reprenant la réflexion menée sur les listes de discussion de médecins généralistes, et notamment MgList, animée par mon confrère réunionnais Hugues Raybaud. Cet article, signé par 240 confrères, en quelques jours, est devenu une référence sur le sujet. Il a été lu 1,3 million de fois et explique ma présence devant vous. Pourtant, je n'en suis pas vraiment l'auteur ; c'est encore une fois un article collectif pour lequel j'ai joué une sorte de rôle de rapporteur. Notez que l'une des raisons du succès de cet article est son absence de position sur le sujet de la vaccination : il exposait des faits et incitait les lecteurs à se forger leur propre opinion.

Dans le même temps, le pire et le meilleur foisonnaient bien sûr sur Internet, auberge espagnole de l'information. Je vous ai apporté deux exemples frappants. Le premier exemple concerne une page du site du laboratoire GSK consacrée à la grippe. On y apprend que la grippe asiatique de 1957 aurait fait 4 millions de morts aux USA, tandis que la grippe de 1968, dite de Hong Kong, aurait fait 2 millions de victimes en France. Ces chiffres sont bien sûr faux d'un facteur mille, mais ils sont restés sur le site du laboratoire producteur de vaccins pendant toute la campagne de vaccination.

L'autre exemple est plus récent, mais je trouve qu'il éclaire bien notre réflexion : le laboratoire MSD propose aux médecins un site gratuit de formation médicale. Le mois dernier, mon confrère Jean-Jacques Fraslin a découvert une vidéo qui affirme que la rougeole a fait 4 850 morts en Europe en 2004, soit une mortalité de 16 %, proche de celle de la vraie grippe aviaire. Après vérification, la mortalité réelle est mille fois inférieure. Averti de son erreur, le site du fabricant de vaccin a maintenu ce chiffre absurde, en s'appuyant sur un document ambigu de l'OMS contredit par d'autres données provenant de la même organisation.

Je suis personnellement convaincu de l'intérêt de la vaccination contre la rougeole, mais ce nouvel exemple confirme que nous sommes confrontés à deux réalités indéniables. La première est que la science est soluble dans l'industrie pharmaceutique. L'industrie pharmaceutique a vraiment un effet terrifiant sur la science qui semble être déliquescente à son contact.

La seconde est qu'en matière de vaccination, la France ne fonde pas ses stratégies sur l'information disponible, mais fabrique l'information qui valide ses stratégies.

M. François Autain, président - Merci, monsieur Dominique Dupagne, pour cette communication, particulièrement brève mais dense. Je vais passer la parole à M. Alain Milon, rapporteur, qui a quelques questions à vous poser.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vais vous poser trois premières questions. Nous en aurons peut-être d'autres dans le courant de la discussion. Si vous le permettez, je vais les poser une par une, ce qui permettra d'entretenir le dialogue.

Les arguments principaux avancés en faveur du dispositif de vaccination collective étaient les suivants : le conditionnement des vaccins en unités de 500 doses ; le souci de laisser aux médecins généralistes la disponibilité nécessaire pour la prise en charge de leurs patients atteints par la grippe et celui d'éviter la propagation de la maladie dans les salles d'attente. Ces arguments vous paraissent-ils recevables ?

La vaccination dans les cabinets médicaux n'aurait-elle pas aussi posé des problèmes d'organisation pratique (convocation des patients, approvisionnement en vaccins, charge administrative...) ? Selon vous, comment aurait-on pu, concrètement, organiser la vaccination par les médecins généralistes ?

Disposez-vous d'informations sur la façon dont les choses se sont passées dans les pays, comme la Belgique, où la vaccination a été assurée essentiellement par les médecins généralistes ?

M. Dominique Dupagne - Comme vous le savez, le conditionnement en grandes unités était lié à un plan grippe aviaire. Ce plan était adapté à mon sens à la grippe aviaire, c'est-à-dire que si nous avions eu une maladie dont la mortalité frôle les 50 %, avec une urgence absolue, il y aurait eu une mobilisation nationale de tous les professionnels de santé. Je pense que dans ces centres, les fameux « vaccinodromes », alimentés par des gens volontaires, venant jour et nuit vacciner, on aurait pu vacciner la totalité de la population française, à la seule condition de disposer d'assez de vaccins, car c'était l'élément limitant aussi.

Le problème est que ce « plan de guerre » était totalement déconnecté de la réalité et que cela a provoqué une sorte de résistance passive qui a été soulignée, liée au fait que les médecins étaient conscients du décalage absolu entre ce qui était dit et la réalité. S'il y avait eu une vraie grippe aviaire, on aurait tous été volontaires, jour et nuit, pour vacciner. Finalement, cette histoire de conditionnement, dans le cadre d'un plan grippe aviaire me paraît logique.

En revanche, à partir du moment où il ne s'agissait pas de la grippe aviaire mais d'une nouvelle grippe A pandémique, le dispositif habituel des cabinets médicaux qui permet de vacciner, bon an mal an, plusieurs millions de personnes tous les ans, aurait très bien pu suffire. Il aurait simplement fallu, dès la commande des vaccins, prendre acte que ce n'était pas une grippe aviaire ultra-mortelle, mais une nouvelle grippe A qui était un peu préoccupante, mais sans plus.

Concernant l'autre question, je n'ai pas d'information particulière sur les pays voisins. Nous avons quelques Belges dans nos espaces de discussion, mais nous nous sommes surtout concentrés sur l'évolution de la situation dans l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud. C'est là que la communication s'est faite, et plutôt sur la France.

M. François Autain, président - Vous prenez comme exemple la grippe aviaire. Dans vos sites de discussion, parle-t-on d'une impossibilité de pandémie en ce qui concerne la grippe aviaire ? On sait que la grippe aviaire ne se propage pas d'homme à homme pour l'instant. Dans la définition de la pandémie, y a-t-il des adaptations à prévoir pour pouvoir établir des plans de lutte qui soient différents en fonction de l'ennemi qu'on a en face de soi ?

M. Dominique Dupagne - Comme vous le savez, le mot pandémie a été l'objet de débats. Qu'est-ce qu'une pandémie ? Une pandémie doit-elle tuer obligatoirement pour mériter le titre de pandémie? Après cette affaire, je pense qu'il faudra trouver un nouveau mot. Il y a une pandémie de rhume qui déferle tous les ans sur le monde. Si un jour il y a une pandémie de virus Ebola ou une pandémie de grippe aviaire, il faudra que cela porte un autre nom. Il faudra appeler cela « mortélodémie », je n'en sais rien, mais un terme qui permet de bien distinguer et d'éviter le mélange.

Pourriez-vous me rappeler votre question ?

M. François Autain, président - Je vous interrogeais sur l'adaptabilité d'un plan mis en place par une pandémie.

M. Dominique Dupagne - C'est tout le problème des plans : en général, ils se révèlent inadaptés à la mission pour laquelle ils ont été conçus. C'est un problème plus général. Quand on est face à une maladie mortelle, on est forcés de faire des plans, même s'ils se révèlent in fine être la ligne Maginot. Dans le cas d'une grippe aviaire, j'ai été, comme je vous le disais, assez crédule en 2005. J'ai cru qu'il y avait vraiment une probabilité significative de grippe aviaire. A l'époque, je ne m'étais pas vraiment penché sur les réalités virologiques. Depuis on a fouillé la question avec nos collègues, et il apparaît que cette probabilité est vraiment infime.

Les virus sont intelligents. Un virus qui tue son porteur est un virus idiot. L'évolution darwinienne n'a pas sélectionné les êtres idiots. L'intérêt d'un virus est de protéger son porteur, bien sûr. Je pense que si le virus de la grippe A avait pu empêcher de mourir les quelques morts que nous avons eus, il l'aurait fait. C'est pour les virus une catastrophe de tuer leurs porteurs.

On va dire que le H5N1 est comme tous les autres virus : il évite de tuer son porteur. Quand on est confronté à de fortes mortalités, c'est généralement quand il y a un franchissement de barrière d'espèce. Quand un virus qui n'était pas destiné à l'homme touche l'homme, il est très peu contagieux généralement, car il n'est pas fait pour cela. En revanche, il va avoir des effets parfois désastreux. On le voit pour le virus Ebola. Je ne le savais pas à l'époque. Maintenant, très honnêtement, je ne crois plus beaucoup à la grippe aviaire.

M. François Autain, président - Vous n'y croyez plus beaucoup ?

M. Dominique Dupagne - Non, elle ne me paraît pas plausible. Je crois que la grippe aviaire existe. Il peut y avoir des recombinaisons chez l'oiseau avec des virus, mais de là à ce qu'un virus de mortalité de l'ordre de 25 % diffuse dans le monde entier, c'est une aberration darwinienne.

M. François Autain, président - C'est plus de 25 %.

M. Dominique Dupagne - Les effectifs sont tellement petits qu'il est difficile de savoir, en tout cas je reste modeste : je pourrais dire 50 % en effet. On dit 50.

M. François Autain, président - On dit 50 à 60.

M. Dominique Dupagne - Entre 25 et 50, cela ne change pas grand-chose.

M. Alain Milon, rapporteur - Quel jugement portez-vous sur la politique de communication en direction du public ? Comment expliquez-vous en particulier que les autorités sanitaires n'aient pas été en mesure de diffuser une information claire et pédagogique comme celle que vous aviez mise en ligne sur votre blog ?

M. Dominique Dupagne - Cela a été développé, et je vous l'ai redit dans mon exposé liminaire. Il y a une politique en France qui consiste à définir la stratégie et à fabriquer l'information après. Je crois vraiment que c'est ce qui résume cette situation. Il y avait un plan grippe aviaire. On a souhaité l'appliquer à tort. On a pu éventuellement bénéficier du doute au début : dans le doute, commençons. Dès l'été cependant, il était clair que c'était inadapté, totalement inadapté. Il fallait une adaptation. Les gens qui font de l'informatique appellent cela l'« agilité ». On sait en informatique qu'on est incapable de fabriquer le programme que veut le client. On commence à faire un outil technique. On va vers la personne qui a demandé le programme. Si cela va, on reprend et il y a un aller-retour incessant pour affiner le projet final.

Dans le cadre du plan grippe aviaire, c'était un plan militaire - j'irai jusqu'à dire soviétique - dans lequel on avait décidé quelque chose et où il fallait que le milieu se plie au plan, d'où le désastre.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vous suis assez bien sur ce point. Estimeriez-vous nécessaire de mener les recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, qu'elle soit saisonnière ou pandémique, et d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe, saisonnière en particulier ?

M. Dominique Dupagne - On a été de surprise en surprise pendant cette affaire. Les généralistes se sont penchés sur les donnés disponibles, parce qu'Internet permet d'aller à la source et de se procurer les données. Nous avons constaté que le nombre de morts de la grippe saisonnière, les 5 000 morts annoncés, avec une surenchère dans les médias - 6 000 à 7 000 - reposait sur une lecture de marc de café ou d'entrailles de poulet.

On peut appeler cela ainsi. Je suis un petit peu méchant, mais quand vous regardez les vrais relevés épidémiologiques faits sur des données solides, notamment une étude faite sur les quatre-vingts départements les plus peuplés, vous vous apercevez qu'on est plutôt du côté de 500 et que ce sont essentiellement des personnes en fin de vie qui sont touchées : leur dernier souffle est légèrement hâté par la grippe, mais la mortalité précoce par la grippe saisonnière - quand je dis précoce, c'est 60 ans -, cela ne représente que quelques dizaines de cas tous les ans.

On nous avait encore menti sur ce plan. Il y a une perte de confiance. Mes confrères et moi-même, nous n'avons malheureusement plus confiance dans les chiffres fournis par les autorités sanitaires. Nous avons fait confiance, mais nous avons été confrontés à une difficulté que nous avons été voir. Nous avons constaté que les chiffres donnés par les autorités sanitaires peuvent être multipliés par dix, cent, mille et le tout sans un accroc dans la voix...

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous des références épidémiologiques qui peuvent nous servir sur ce que vous venez de dire ?

M. Dominique Dupagne - J'ai écrit l'article à partir des données que nous avions recueillies. Il y a une étude solide faite par l'Institut national de veille sanitaire en 2003 avec un véritable relevé, dans lequel on a un nombre de morts. Elle ne porte que sur les quatre-vingts départements français les plus peuplés, mais cela donne une idée précise. On peut faire une projection proportionnelle ; il suffit de prendre la population de ces départements, de la rapporter à la population française. La marge d'erreur sera faible. On va arriver sans doute à 600 ou 700 morts, surtout avec une pyramide des âges très spectaculaire.

Ce qui me frappe, c'est que le chiffre d'affaires de la vaccination saisonnière antigrippale est considérable. Pourquoi les autorités sanitaires n'ont-elles pas exigé des laboratoires qu'ils fournissent à l'appui de cette démarche des travaux épidémiologiques solides et ne leur ont-elles pas demandé de les financer, de la même façon qu'on demande à un fabricant de médicaments de financer la démonstration de l'efficacité de son produit ?

J'ai vraiment l'impression que les autorités de santé publique étaient favorables à la vaccination grippale saisonnière. Comme c'était une bonne cause, on peut dire n'importe quoi. A partir du moment où la cause est jugée bonne ! Quand j'ai eu ce dialogue avec les responsables du site sur l'histoire de la rougeole - ces 4 850 décès -, ils m'ont dit que c'était pour appuyer la vaccination de la rougeole ! Moi aussi je suis favorable à la vaccination de la rougeole. Simplement, si les antivaccinaux primaires tombent sur cette histoire de 4 850 morts de la rougeole et qu'ils découvrent que c'est 4, c'est tout l'édifice scientifique qui s'écroule. Ce n'est pas parce que la cause est bonne qu'on a le droit de dire n'importe quoi.

M. François Autain, président - Je voudrais vous poser une question concernant l'utilité de la vaccination. Tout le monde a pris connaissance de cet excellent document destiné à informer les Français, vos malades : je crois que c'est parce que vous étiez assaillis de coups de téléphone que vous avez été amené avec vos confrères à faire cet excellent texte sur ce qu'est la vaccination. Beaucoup de gens ont sans doute appris en lisant votre texte que la vaccination antigrippale n'était pas la vaccination contre la polio, qu'il fallait qu'elle soit renouvelée tous les ans. Beaucoup de nos concitoyens n'avaient pas conscience de cette contrainte. Quand on a commencé à se faire vacciner contre la grippe, si on veut continuer à être protégé, il faut continuer à se faire vacciner.

On a aussi appris que pour qu'une vaccination soit efficace et ait une chance quelconque d'enrayer l'épidémie - si éventuellement une vaccination peut l'enrayer -, il fallait qu'elle n'intervienne pas plus d'un mois après le début de la circulation active du virus dans la population. Il est évident que ces conditions n'ont pas été remplies.

Par ailleurs, quand on sait que la vaccination a commencé en novembre, on peut s'interroger sur l'efficacité réelle de cette vaccination. Les premières personnes protégées l'ont été au moment du pic de l'épidémie. Cette vaccination a-t-elle véritablement produit l'effet escompté ? En termes d'effet barrière, je pense que la réponse est non, mais qu'en est-il en termes de protection individuelle ?

Pensez-vous que cette vaccination était utile ? Plus généralement, face à une pandémie, la vaccination vous semble-t-elle le moyen le plus efficace - je ne dirai pas le moins coûteux - pour faire face ? On a eu la chance cette fois-ci d'avoir un virus qui avait circulé dans l'hémisphère Sud avant de venir chez nous, mais imaginons que celui-ci prenne naissance à proximité, on n'aurait pas le temps de produire ces vaccins ; c'est ce qui a été le cas pour les pays de l'hémisphère austral. A ce moment-là, on est bien obligé de recourir à des mesures physiques. Quid de l'utilité de cette vaccination, et de la vaccination d'une manière générale, face à une pandémie ?

M. Dominique Dupagne - Vous m'avez d'abord interrogé sur l'intérêt d'une vaccination en période épidémique, compte tenu du délai nécessaire entre l'injection et l'apparition de l'immunité. Je n'ai pas matière, en tant que généraliste à vous répondre, mais vous pourriez interroger un étudiant en médecine de troisième année qui pourrait vous répondre facilement que c'est totalement idiot et qu'il faut un certain délai entre l'injection et l'efficacité et que la gravité de la situation ne justifiait pas de jeter aux orties les bases de l'immunologie.

Sur l'intérêt d'une vaccination : une vaccination est justifiée quand la maladie expose à un risque significatif. Ensuite, c'est mieux si le virus est stable. Vacciner contre la polio, contre la diphtérie, contre la coqueluche - toutes ne sont pas des virus -, ce n'est pas du tout inutile et ce n'est pas très compliqué, puisqu'on est protégé pendant dix ans. Bien sûr, on peut aussi considérer qu'on peut survivre sans vaccin, comme le font les antivaccinaux.

Sur les virus mutants comme celui de la grippe qui ont une évolutivité annuelle, là c'est une vaccination annuelle à vie. Les gens qui se sont fait vacciner cette année contre la grippe A ne savent pas qu'ils ont une protection transitoire qui durera - on le saura bientôt - un ou deux ans. Il n'y a pas de raison de se protéger cette année et de ne pas se protéger l'année prochaine, ou de ne pas se protéger dans dix ans. C'est : je me protège ou je ne me protège pas. A partir de ce moment-là, ces gens doivent se vacciner toute leur vie.

Est-ce une politique de santé publique utile que de vacciner la totalité de la population tous les ans, y compris les personnes qui ne sont pas à risque, pour une maladie dont la mortalité se situe autour de 1 pour 100 000 ? Je pense qu'il y a d'autres priorités pour les budgets sociaux. Malheureusement, il y a des choses inévitables : des gens meurent de la varicelle tous les ans ; des gens meurent en allant chercher des médicaments à la pharmacie en se faisant écraser par une voiture. Chercher le risque zéro est absurde.

M. François Autain, président - D'une manière générale, la vaccination vous semble-t-elle le moyen le plus efficace pour lutter contre une pandémie grippale ?

M. Dominique Dupagne - Je suis très surpris de ne pas retrouver un chiffre très intéressant qui est le pourcentage de vaccinés parmi les gens qui ont fait une complication grave de la grippe ou qui sont décédés de la grippe. On aimerait bien savoir si, parmi les gens qui ont été gravement atteints par la grippe A cette année en France, il y en avait qui avaient été vaccinés.

M. François Autain, président - Cette fois-ci, c'est vous qui posez la question et je vais vous répondre. On a des chiffres sur les 1 250 ou 1 300 personnes qui ont été admises en service de réanimation. Seules 18 étaient vaccinées. Avaient-elles été vaccinées suffisamment tôt ? Je ne sais pas depuis combien de temps elles étaient vaccinées.

M. Dominique Dupagne - Entre 1 % et 2 %. Pour ce qui est de l'effet barrière, si nous étions un jour confrontés à une maladie effroyablement mortelle à diffusion rapide, une grippe aviaire - je vous ai dit que je n'y croyais plus, mais imaginons que je me trompe et qu'une grippe aviaire soit possible - à ce moment-là, il ne s'agit pas de dire : 25 % de la population va y passer, c'est l'évolution darwinienne. Ce n'est pas possible. Cela demande des mesures d'exception. Confrontés à une menace aussi grave, le plan grippe aviaire, tel qu'il avait été prévu au départ, trouve toute sa signification : centres de vaccination, organisation militaire, tout le monde est sur la brèche, tout le monde vaccine à tour de bras, en attendant de trouver d'autres solutions. L'autre solution serait sans doute de vacciner la totalité de la population mondiale tous les ans.

M. François Autain, président - Vous dites qu'il faudrait vacciner à tour de bras, mais à condition d'avoir des vaccins !

M. Dominique Dupagne - Dans le plan grippe aviaire, c'est une bataille contre la montre, d'où ces fameux adjuvants qui étaient destinés à fabriquer encore plus. Il y a une légitimité. Le manque de légitimité est d'avoir utilisé un canon de 75 pour écraser un moustique, avec des dégâts collatéraux.

M. François Autain, président - De toute façon, on sait bien que ces médicaments n'arriveront pas à temps.

M. Dominique Dupagne - Vous voulez parler des vaccins.

M. François Autain, président - Ce ne sont pas les premiers moyens dont on dispose pour lutter contre une pandémie. Il y a un véritable problème. On était dans les conditions les plus favorables, où l'épidémie se manifeste d'abord dans l'hémisphère Sud, et on n'a pas été capable de disposer du vaccin, au moment où on en aurait eu besoin. C'est le problème.

M. Dominique Dupagne - Comme je l'ai écrit dans l'article de 2005, si c'était arrivé, s'il y avait eu une grippe aviaire, la vie se serait arrêtée. On serait resté enfermé chez soi. Des gens masqués, encagoulés auraient distribué de la nourriture. Il n'aurait pas été question d'aller faire ses courses ou d'aller travailler. En matière de protection physique, c'est tout ou rien. Soit on isole tout le monde parce que c'est grave, soit ce n'est pas grave et on observe une hygiène standard. La demi-mesure n'a aucun sens : si la maladie est bénigne, on arrête le cinéma des masques. J'ai failli vous apporter des masques « canard » et vous forcer à les porter. Vous auriez vu ce que c'est.

M. François Autain, président - J'ai l'avis du 11 septembre 2009 du Haut Conseil de la santé publique, dans lequel il est écrit : « Toutes les personnes qui désirent être vaccinées doivent pouvoir l'être. » Le Haut Conseil va, dans cet avis, jusqu'à émettre l'hypothèse que des groupes de personnes ou des professionnels « puissent être vaccinés pour des raisons autres que sanitaires » .

Je voulais savoir si on pouvait envisager une vaccination pour des raisons autres que sanitaires. Si oui, pourriez-vous me citer des exemples ?

M. Dominique Dupagne - C'est une devinette finale assez amusante. La première réponse que je vous ferais serait la punition. Les gens qui n'ont pas été sages seraient vaccinés pour les punir. Ou alors, on pourrait vouloir tester la solidité du matériel.

M. François Autain, président - Donc, vous êtes d'accord avec moi.

M. Dominique Dupagne - Je ne sais pas si vous aviez émis cette possibilité. Ensuite, ce pourrait être pour pouvoir former le personnel vaccinal à vacciner pour une épidémie ultérieure. Dois-je continuer ?

M. François Autain, président - Je vois très bien. Nous sommes d'accord, mais je poserai ma question à quelqu'un du Haut Conseil. Je n'ai pas eu le temps l'autre jour de poser cette question à son président que nous avons entendu.

M. Dominique Dupagne - Vous remarquerez que je n'ai pas supposé que l'industrie pharmaceutique pourrait avoir des motifs de vacciner pour des causes non sanitaires.

M. François Autain, président - Il faut quand même être correct !

Mme Marie-Thérèse Hermange - Les personnes qui ont été vaccinées et qui décideraient de ne pas se refaire vacciner prennent-elles un risque sanitaire ? Je pense par exemple aux femmes enceintes qui ont voulu se protéger parce qu'elles étaient enceintes et qui décideraient de ne pas se refaire vacciner. Quel est le risque ?

M. Dominique Dupagne - Les Français vont découvrir que leur protection, pour ceux qui ont été vaccinés, ne durera pas. On va donc les inciter à poursuivre la vaccination saisonnière dans lequel le vaccin H1N1 nouveau sera intégré cette fois-ci. La question que vous me posez va être révélée au grand jour et va sûrement être l'objet de communication dans les médias.

Quand le virus s'est confirmé comme étant bénin dans l'hémisphère Sud, la réaction des pro-vaccins, des gens qui étaient vraiment dans le plan, a été de dire : « Oui, certes, il n'est pas méchant, il n'a pas l'air, mais il pourrait muter et devenir pire. » Sur le moment, cela paraissait crédible, même si, a posteriori , on découvre qu'aucun virus grippal pandémique n'a jamais muté une deuxième fois pour changer sa virulence depuis que les virus grippaux sont connus.

C'était une certaine forme de vue de l'esprit. Dans le cas précis, on est tombé face à un virus A (H1N1)v, avec un tropisme un peu particulier pour les jeunes et pour les poumons, mais qui, globalement, faisait moins de malades et donnait moins de symptômes qu'une grippe saisonnière.

Si je croyais à la mutation virale, je pourrais dire : « Attention, maintenant vous avez été vacciné. Si le virus se révèle beaucoup plus méchant, vous pourriez être exposé à un risque supérieur. ». Cela me paraît extrêmement fumeux. Je pense que, comme tous les virus grippaux, comme les autres A (H1N1)v qui se sont succédé depuis que le A (H1N1)v existe, on aura des virus qui vont muter sournoisement pour trouver de nouvelles victimes, c'est-à-dire que face à une barrière immunitaire qu'ils n'arrivent pas à franchir parce que les gens sont immunisés, ils vont muter de façon à pouvoir réinfecter des gens nouveaux, mais de là à changer de virulence, c'est extrêmement peu probable.

Les femmes enceintes qui étaient vaccinées en 2009 se sont protégées en 2009. Si elles veulent se protéger en 2010, elles seront dans la même situation que quelqu'un qui n'a jamais été vacciné, sauf à penser que leur injection d'il y a un ou deux ans - cela va se renouveler tous les ans - leur a conféré une semi-immunité qui les protégerait des formes graves. Comme dit mon fils étudiant en médecine : « C'est jouer de la flûte de dire cela. » On ne sait pas très bien où on va. Une chose est sûre : les gens qui veulent se protéger définitivement contre cette grippe A doivent et devront se vacciner toute leur vie.

Mme Marie-Thérèse Hermange - A vos yeux, par rapport à votre analyse, pour être conséquents, quel discours devraient avoir les pouvoirs publics à la rentrée, au moment où le problème va se reposer ?

M. Dominique Dupagne - Je suis tellement déçu par les pouvoirs publics que je doute qu'ils soient conséquents à la rentrée. A imaginer qu'ils le soient, ils devraient dire : « Nous nous sommes trompés, nous avons lancé un gigantesque mouvement de vaccination pour une maladie dont la gravité ne justifiait pas un mouvement de telle ampleur. Nous avons décidé de réaffecter les montants disponibles à d'autres priorités sanitaires et nous allons arrêter la prise en charge de la vaccination antigrippale. »

Je vous signale que l'Australie a commencé à supprimer la vaccination des enfants contre la grippe. D'autres pays ont choisi de ne pas vacciner leur population. Une approche conséquente serait de dire : « Nous nous sommes fait peur. Nous avons cru à la grippe aviaire, ce n'était pas la grippe aviaire. Nous avons le temps de réfléchir. Désormais, nous allons affecter nos ressources à d'autres priorités. »

Mme Marie-Thérèse Hermange - Donc, ils devraient dire « nous vous conseillons de ne pas vous refaire vacciner ».

M. Dominique Dupagne - Nous garderons la vaccination pour les sujets à risques, pour les personnes qui ont des problèmes respiratoires graves, et chez qui cette grippe bénigne chez monsieur ou madame tout le monde pourrait conduire à un décès.

M. François Autain, président - Je crois que le Haut Conseil, dans son avis de septembre 2009, avait classé les enfants de moins de cinq ans dans les groupes à risque. Etes-vous d'accord avec cette classification ? Cela va à l'encontre de l'exemple que vous citiez à propos de l'Australie, puisque vous venez d'indiquer que l'Australie avait supprimé la vaccination pour les enfants de moins de cinq ans. Encore faudrait-il, en ce qui nous concerne, qu'elle existât pour qu'on puisse la supprimer. Je pense qu'elle est peu pratiquée dans notre pays pour les enfants de moins de cinq ans.

M. Dominique Dupagne - Elle n'est pas dans les priorités vaccinales.

M. François Autain, président - Faites-vous entrer les enfants de moins de cinq ans dans les catégories à risques pour les vaccinations que vous préconisez ?

M. Dominique Dupagne - Je ne suis pas devant vous en tant qu'expert de la grippe. Je suis devant vous en tant que représentant autoproclamé - si je puis dire - des médecins qui communiquent entre eux sur Internet et qui ont constaté des réalités dont le discours officiel était déconnecté. Vous me demandez quelque chose qui n'est pas de ma compétence.

Je me suis documenté en lisant. Ce que disent les Australiens, ce n'est pas que ce médicament n'est pas utile chez l'enfant. Ils disent qu'ils ont constaté des cas de convulsions fébriles qui les inquiètent. Compte tenu du fait que l'épidémie se révèle relativement bénigne, ils considèrent que cette prise de risque n'est pas justifiée pour l'instant. Voilà la réponse des Australiens. C'est un rapport bénéfice/risque. Le choix de la vaccination doit résulter d'un équilibre entre un bénéfice, un risque et un coût. C'est une triangulation. Il y a des choix à faire.

M. François Autain, président - Pensez-vous que la vaccination qui est conseillée pour les personnes de plus de 65 ans dans notre pays mérite d'être poursuivie ou de ne pas l'être, pour se fixer sur les personnes à risques ? Les plus de 65 ans sont-elles des personnes à risques ?

M. Dominique Dupagne - Un Canadien que j'aime beaucoup qui s'appelle Laurence Peter, connu pour son principe : « le principe de Peter », a dit une phrase un peu compliquée, mais qui résume très bien ma position : « certaines choses sont d'une telle complexité, qu'il faut être particulièrement bien informé à leur sujet pour n'avoir aucune opinion » . J'en arrive à ce stade. On ne sait plus si la vaccination contre la grippe est utile ou non chez la personne âgée. On ne sait pas quels sont les vrais chiffres. On ne sait rien. On est dans un brouillard total. La décision peut être individuelle. On a un patient en face de nous. On n'est pas des robots. On a quelqu'un qui est fragile des bronches, comme on dit, qui a des problèmes respiratoires fréquents : on va peut-être être plus incitatif. L'autre est un sportif de 65 ans, qui joue au tennis régulièrement : à quoi bon le vacciner plus qu'un obèse de 40 ans ?

Il y a une adaptation individuelle. Les fondements scientifiques de la vaccination annuelle antigrippale - vous avez vu M. Thomas Jefferson récemment - sont peu solides.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Par rapport au discours que vous appelez officiel et que j'appelle plutôt discours normé, vous avez été un certain nombre à vous exprimer : on a entendu vos voix, mais en même temps vous êtes assez discrets. Par rapport à la rentrée, où le problème va se reposer, avez-vous décidé d'avoir une stratégie par rapport à cette problématique ? Ou, au contraire, chacun travaille-t-il dans son secteur ?

Par rapport au discours normé, il y a toujours un mécanisme de réseaux qui est mis en place pour arriver à une pensée unique.

M. Dominique Dupagne - La grande force du réseau est sa réactivité. Ce qui caractérise le mouvement des médecins connectés, c'est qu'on n'a pas besoin de prévoir à l'avance. On peut, trois jours avant la rentrée, définir ensemble ce que les données scientifiques nous laissent penser et le faire figurer sur Internet. Il n'y a pas de validation, il n'y a pas de programme. D'un côté, comme vous dites, on a des gens qui ont un système normé, prévisionné, planifié, ce qui pose d'énormes problèmes. De l'autre côté, vous avez un mouvement brownien, darwinien, dans lequel des forces émergent.

Le fameux article dont on parle, je l'ai écrit en deux jours. Au bout d'un moment, on a commencé à avoir des coups de téléphone incessants de nos patients dans nos cabinets pour savoir ce qu'ils devaient faire. On ne pouvait plus travailler. Ce n'est pas la vaccination qui nous a désorganisés complètement, c'est la panique des gens terrorisés par la pandémie de la peur. J'ai écrit cet article en un week-end, en amalgamant tout cela, et c'est parti comme un feu de poudre.

Une sociologue est en train de travailler dessus car le phénomène est très intéressant. Il a été lu 1,3 million de fois, ce qui est colossal. Je vous passe les impressions qui ont tourné dans les écoles. A la rentrée, peut-être réagira-t-on trois jours avant ou une semaine avant, mais on n'a pas besoin de se préparer.

M. François Autain, président - Concernant les groupes d'experts, essentiellement le Comité de lutte contre la grippe, le Haut Conseil de la santé publique, et en particulier les deux comités ou commissions qui ont été amenés à se prononcer dans la gestion de cette grippe - la Commission des maladies transmissibles et le Comité technique des vaccinations -, ce sont des structures qui sont composées essentiellement de virologues. Finalement, on y trouve très peu de cliniciens. Si vous ajoutez que tous ces virologues ont des liens d'intérêts, souvent nombreux, avec les fabricants de vaccins ou d'antiviraux, cela ne vous amène-t-il pas à critiquer cette organisation et à envisager qu'on intègre à ces structures un plus grand nombre d'hommes de terrain ?

Il nous apparaît de plus en plus que ceux qui ont été amenés à conseiller le Gouvernement sont souvent des personnes compétentes et très respectables, mais qui avaient perdu de vue les malades et qui étaient souvent derrière leur ordinateur à mettre en place des modèles mathématiques, ou qui étaient des experts dans leur laboratoire, faisant de la recherche.

N'y aurait-il pas intérêt à ouvrir ces structures sur la société civile ? Ceux qui ont un contact direct avec la réalité nous éviteraient peut-être de tels errements ? Ce n'est pas suffisant sans doute, mais ce pourrait être une réforme qui nous permettrait de nous orienter dans le bon sens ?

M. Dominique Dupagne - Puisque vous me posez cette question, monsieur le président, je vais développer des arguments qui me tiennent à coeur. Il est clair que nous marchons sur la tête, c'est-à-dire qu'actuellement les conseillers qui sont autour de la ministre de la santé sont presque tous des hospitalo-universitaires.

La médecine générale qui est très forte dans les pays anglo-saxons, notamment en Angleterre, est totalement brimée en France, avec une filière universitaire inexistante. Il y a depuis peu, je crois, un conseiller médecin généraliste auprès de la ministre, mais sur cinquante conseillers, il n'y en avait aucun. Traditionnellement, la politique de santé française exclut de son champ de réflexion les médecins de terrain, pas uniquement les généralistes, les pédiatres libéraux aussi, dans une politique, à mon avis, extrêmement dangereuse. Je ne peux que vous appuyer dans ce sens.

C'est lié aussi au fait que, généralement, aucun budget n'est prévu pour s'assurer des compétences de ces experts de terrain. Quand on est salarié plein temps à l'hôpital, on peut très bien se détacher une journée pour participer à la réflexion ministérielle, voire être détaché à plein temps auprès de la ministre. Quand on a un cabinet à faire tourner, qu'on doit gagner sa vie, on ne peut pas se permettre d'aller faire des actions bénévoles. C'est une première explication. Il faudrait peut-être une réforme de la rémunération des experts.

L'autre problème qui se pose est cette croyance maintes fois répétée, ici notamment, que quelqu'un qui ne travaille pas pour l'industrie pharmaceutique ne peut pas être compétent. C'est vraiment un discours récurrent. C'est incroyable qu'on ose dire des choses pareilles. C'est une négation de l'indépendance de l'expertise. Dans le cadre du procès Erika, imaginez que les magistrats qui font face aux pétroliers soient tous des consultants de l'industrie pétrolière, tout le monde hurlerait en disant que ce n'est pas possible, qu'on ne peut pas être à la fois juge et avoir des intérêts.

En santé, il semblerait au contraire que ce soit la règle : plus on travaille pour l'industrie, plus on serait indépendant. C'est ahurissant d'entendre cela. Si la France veut se doter d'une politique de santé publique cohérente, il faut qu'elle fasse l'effort d'avoir un panel d'experts pharmacologues, cliniciens, qui s'interdisent tout contact avec l'industrie pharmaceutique, qui bien sûr écoutent les experts, qui travaillent avec l'industrie, comme un magistrat écoute un expert, mais que l'organe de décision, le comité, le haut comité de ceci, l'institut de cela, soient entièrement habités par des experts libres de toute forme de conflits d'intérêts.

Par rapport aux sommes en cause, l'économie serait considérable, même en payant très bien ces personnes. Nous n'avons pas en France d'experts professionnels dont le métier serait de porter un avis sur différentes politiques de santé à partir d'un éclairage expertal, certes, mais à l'abri de tout conflit d'intérêts.

J'en ai parlé parfois avec des experts que je ne citerai pas et qui m'ont dit : « Si on était mieux payés, peut-être pourrait-on se permettre de ne pas travailler pour l'industrie ! » C'est absurde d'en arriver là.

M. François Autain, président - On a des témoignages qui vont dans ce sens de la part d'experts. Ils nous ont indiqué que sans l'industrie pharmaceutique, il y a un certain nombre d'actions qu'ils ne pourraient pas mener. C'est évident.

Si plus personne n'a de question à poser, nous allons pouvoir vous libérer en vous remerciant de toutes les informations que vous nous avez apportées et qui seront certainement très utiles pour la rédaction de notre rapport.

Audition de M. Didier RAOULT,
directeur de l'Unité mixte de recherche des Rickettsies
à la faculté de médecine de Marseille
(mercredi 26 mai 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. le professeur Didier Raoult. Je le remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. M. Didier Raoult est directeur de l'Unité mixte de recherche des Rickettsies à la faculté de médecine de Marseille. Les Rickettsies sont, si j'ai bien compris, des micro-organismes intermédiaires entre la bactérie et le virus. Est-ce exact ?

M. Didier Raoult - Ce n'est pas inintéressant de le voir ainsi. On a passé 40 ans à dire que ce terme n'avait pas de sens. Je pense qu'il faut lui redonner du sens.

M. François Autain, président - Nous, qui évoluons entre le virus et la bactérie, cela nous dit quelque chose.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Raoult prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Didier Raoult - Je n'ai aucun rapport avec des produits de santé ou de vaccins. Mon seul rapport est l'entreprise de biotechnologie, InoDiag, que j'ai créée, qui fait du diagnostic sérologique et qui, pour l'instant, est déficitaire, mais qui a été incubée dans mon laboratoire.

M. François Autain, président - Je vous remercie. Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des commissaires ici présents.

M. Didier Raoult - Je souhaite essayer de mettre les choses en perspective pour comprendre une partie de ce qui se déroule ou de ce qui s'est déroulé dans la pandémie grippale H1N1, telle qu'on l'a vu l'année dernière, qui, de mon point de vue, s'articule très bien avec le rapport que j'avais fait pour les ministres de la santé et de la recherche, il y a quelques années.

Je connais très bien M. Jean-François Mattei et je connaissais très bien M. Bernard Bigot qui était le directeur de cabinet du ministre en charge de la recherche. Tous les deux m'avaient demandé de réaliser une étude sur le bioterrorisme. Je leur ai dit que je ne voulais pas faire un rapport qui soit limité au bioterrorisme mais qui comprend l'ensemble des crises sanitaires d'origine infectieuse. Ceci avait été l'objet d'une longue discussion.

Parmi les éléments de mon rapport, j'avais évoqué le problème des risques de pandémie grippale. En 2002, au moment où j'ai commencé ce rapport, j'ai attiré l'attention aussi sur l'absence d'infrastructures dans le pays et de quantification de la mortalité au jour le jour. J'avais même mis dans les recommandations - je crois que c'était la recommandation 73 - qu'il fallait commencer par compter les morts, parce qu'on aurait une catastrophe dans ce pays. J'ai remis ce rapport en 2003, peu avant la canicule.

On s'est rendu compte, au milieu de la canicule, que personne n'était capable de compter les morts. On s'est retourné vers les croque-morts pour savoir combien ils avaient vendu de cercueils pendant l'été. La Direction générale de la santé était absolument incapable de répondre au ministre que j'avais contacté pour lui demander si je pouvais l'aider d'une manière ou d'une autre au milieu du mois d'août. Ils m'ont dit que les chiffres de la DGS étaient parfaitement rassurants, c'était parce qu'ils n'avaient pas de chiffres.

Un certain nombre de déficits très profonds d'organisation existaient et étaient anticipés. Ce rapport est disponible sur Internet. Tout le monde peut lire les propositions de l'époque. Les éléments très importants à avoir à l'esprit pour les maladies infectieuses et contagieuses et qui méritent l'attention sont les suivants : parmi les dangers auxquels nous sommes confrontés, il y a des dangers qui sont mesurables ou contrôlables parce qu'ils ne sont pas contagieux. Une des raisons pour laquelle j'étais très en retrait sur la maladie de la vache folle et sur la grippe aviaire, c'est que ces maladies ne sont pas transmissibles. Même si beaucoup de gens sont atteints, si vous arrêtez la source vous arrêtez la maladie.

Dans les maladies contagieuses, les données sont d'une autre nature. Vous pouvez arrêter la source si vous voulez, les maladies restent contagieuses. Vous ne savez pas quantifier l'ampleur, et on ne sait jamais quantifier l'ampleur. Le problème de la contagion est d'une nature différente de toutes les autres maladies, qui est le risque de diffusion à l'ensemble des gens qui y sont susceptibles. J'ai beaucoup essayé de développer la connaissance et la culture de ce sujet, car elles sont spécifiques. En France, pour des raisons structurelles, elles sont devenues sous-développées.

Le pays a réussi à faire accepter la théorie des maladies infectieuses au XIX e siècle avec Pasteur. Cette formidable épopée a fait que le pays a confié la connaissance de l'infection et de l'évolution des maladies infectieuses à l'Institut Pasteur qui était, à l'époque, à la fois un institut de recherche, de transfert de technologies, de vaccinations, un hôpital, un service de consultations, un service de diagnostics international.

Nous avions cette concentration des moyens et cette certitude qu'il y avait un interlocuteur capable de gérer d'une manière complète cette situation extraordinairement complexe. La gestion de la contagiosité fait appel à la fois à des transferts de technologie, à de la recherche fondamentale, à de l'observation des malades et à de la mise en pratique. Tout cela a existé, et ce modèle a entièrement disparu. Je l'ai écrit dans mon rapport de manière précise. C'est devenu un institut de recherche fondamentale : il n'y a plus l'hôpital, il n'y a plus le diagnostic, il n'y a plus la valorisation, il n'y a plus les vaccins.

Le pays a mis un certain temps à se rendre compte qu'il n'avait plus d'endroit dans lequel il y avait à la fois des hommes de terrain, des hommes de connaissance et des gens qui aient des relations avec l'industrie qui ne soient pas des relations malhonnêtes, mais des relations de transfert raisonnables avec une connaissance mutuelle des uns et des autres. Malheureusement, cette situation n'a pas trouvé d'issue.

Si nous étions restés à l'époque glorieuse de l'Institut Pasteur, l'InVS y aurait été accolé, puisque la plupart des problèmes de l'InVS sont des problèmes de maladies infectieuses et de contagion. Ils sont eux-mêmes complètement isolés du soin et de la recherche pour constituer une troisième entité isolée. Il y a donc une véritable réflexion à mener pour savoir où sont les hommes de l'art. Ceux-ci ne sont pas ensemble. Structurellement, nous avons un problème.

J'ai donné comme conclusion qu'il fallait créer des centres de compétences qui mêlent le soin, le diagnostic, la recherche et l'épidémiologie, y compris en proposant que des personnels de l'InVS soient délocalisés à l'intérieur des sites de proximité pour qu'ils soient au courant, qu'ils voient comment se passent les choses.

Je vais dire comment nous avons vu la situation se dérouler. Bien entendu, elle ne s'est pas passée comme prévu. On ne peut pas prévoir ce qu'on ne vit pas au quotidien. Cette centralisation de l'épidémiologie dans des centres qui n'ont pas de liens géographiques directs est quelque chose d'extraordinairement pénalisant.

Comment se traduit cette pénalisation ? Devant l'émotion suscitée par la formidable épidémie chez les oiseaux, la grippe aviaire a entraîné dans beaucoup de pays, pas seulement le nôtre à prendre des mesures disproportionnées... Quelqu'un a joué un rôle néfaste dans cet épisode. Je veux parler de M. Albert Osterhaus qui est très critiqué. C'est le conseiller du ministre en Hollande, un des grands spécialistes des modèles expérimentaux de la grippe. Il est vétérinaire, et voyant cette sorte d'épidémie dévastatrice chez les animaux et les quelques cas humains très sévères, il a tiré la sonnette d'alarme, ce qui est bien son rôle, mais il n'a pas eu de contre-pouvoir dans son pays. Ici, il est tombé sur une réactivité que plus personne n'a pu arrêter.

Un livre, dont je ne parlerai pas, a été publié. Je peux vous parler de mon expérience. J'ai publié exactement au même moment un livre que je crois être rationnel. Le premier disait que la grippe aviaire allait tuer la moitié de la population. J'ai vendu cent fois moins d'exemplaires que lui. Je disais des choses assez simples et raisonnables. Mon seul objectif est que je peux relire ce que j'ai écrit dix ans auparavant, en étant à peu près d'accord avec ce que j'ai écrit à l'époque, même si les notions et la connaissance ont changé. C'est mon orgueil à moi.

Le tissu de la connaissance sur les maladies infectieuses ainsi que les noeuds qui permettaient d'organiser une réaction par rapport à cela manquent dans ce pays, et il y a un déficit structurel. Comment cela se traduit-il ? Par une inquiétude qui touche la presse, ensuite les politiques et le Gouvernement, qui se transforme en panique, avec des plans - en particulier un plan blanc contre la grippe complètement déraisonnable. On commençait à envisager une contagiosité qui n'a jamais été décrite dans l'histoire de l'humanité, pour un virus qui n'était pas contagieux du tout chez les humains, avec une mortalité observée qui était seulement celle des cas hospitalisés, chez lesquels on faisait un diagnostic.

Tout cela a fini par un concept : la grippe aviaire, d'une contagiosité extrême, va arriver. Elle va tuer 30 % à 40 % de la population. Jamais une grippe n'a tué autant de gens. Ce n'est pas vrai. Je vous expliquerai une des raisons pour lesquelles la grippe ne peut plus tuer comme à l'époque de la grippe espagnole. Les gens finissaient par imaginer que quelqu'un passerait à l'application des plans : fermer les stades, les métros. On voyait une contagiosité délirante. La contagiosité des maladies respiratoires, qui s'appelle chez nous le R 0, c'est deux pour un. Ce ne sont jamais que des tâches d'huile. Chaque malade, en moyenne, contamine deux personnes.

Un malade ne contamine pas 300 personnes en passant dans un aéroport ou dans un métro. C'est du cinéma, cela n'existe pas. Cette chose qui a pris forme, avant ce Gouvernement, à l'époque de la grippe aviaire, est devenue une menace de guerre nucléaire, gérée par le SGDN (secrétariat général de la défense nationale), avec le ministère de l'intérieur et avec un plan blanc géré par les préfets, au lieu de se tourner vers la compétence médicale pour un problème médical qu'il va falloir gérer au quotidien.

Nous avons essayé de gérer cela à Marseille. Cela a été complexe, en dépit du fait que nous avons une bonne crédibilité locale. Les gens nous font confiance, nous travaillons avec eux depuis longtemps. C'est un problème dont on parle depuis longtemps. En dépit de cela, l'organisation telle qu'elle était prévue, est une organisation dans laquelle on passait de 0 lit spécialisé à 700 lits ! Nous disions que nous n'aurions jamais besoin de plus de 40 lits. Les gens disaient qu'avec une telle pandémie, ce n'était pas possible.

Nous l'avions calculé. Le premier article est sorti dans le meilleur journal médical qui s'appelle New England journal of Medicine sur la situation en Australie qui montrait qu'il fallait 20 lits par million d'habitants pour contrôler une grippe de cette nature. Nous avons réévalué les choses. Nous avons dit qu'en tout, il fallait 40 lits spécialisés par million d'habitants pour gérer une épidémie de cette nature. Cela n'a rien à voir avec le fait qu'à Marseille, on avait sanctuarisé un hôpital de 600 lits pour faire face. Des épidémies pareilles n'existent pas.

J'ai essayé d'attirer l'attention aussi longtemps que j'ai pu sur le fait qu'on n'était pas préparé à la grippe. Peut-être que cela arrivera. L'avenir est imprévisible. Je suis toujours prudent, car je ne sais pas ce que sera l'avenir, mais en tout cas la grippe, ce n'est pas cela. La grippe, c'est deux fois plus de cas chaque semaine. En une semaine, ceux qui passent par là sont guéris, trois jours après ils ne sont plus contagieux. Cette vision s'est construite après des épisodes de crises sanitaires successives, avec à chaque fois une réactivité de la société déraisonnable, comme cela l'a été pour le bioterrorisme. Nous avons analysé 700 poudres de bioterrorisme : ce n'était que de la fantaisie. Nous savions que c'étaient des fantaisies dès le départ. Un type a envoyé de la farine et avait marqué « Vive Obama ! ». Ce n'est pas du terrorisme.

Il y a eu une décision de prendre toutes les mesures prévues par le plan et, du coup, un transfert de ce risque infectieux, de ce risque d'exposition à la sécurité du territoire, qui a amené une réactivité qui était contre la guerre, et non contre une maladie infectieuse. Je crois que cet élément est extrêmement important à observer. A la différence d'autres domaines, comme la cancérologie ou la nutrition, dans lesquels le tissu est assez fort, le tissu développé pour les maladies contagieuses est assez faible ; il y a assez peu d'interlocuteurs et assez peu de centres de compétences qui auraient permis d'endiguer cette démesure face à un risque de la grippe aviaire entièrement virtuel. Il y avait des cas sporadiques, ce qu'on appelle une zoonose. C'est une maladie des animaux, dont des cas sont transmis aux hommes, mais qui n'est pas une maladie contagieuse.

Ce sont les éléments essentiels dont je voulais vous parler. Parmi les choses qui me paraissent aussi majeures à signaler, en dépit de tout ce qu'on a essayé de faire, cette gestion est passée par un volet exclusivement administratif plutôt que de passer par les hommes de l'art. La gestion de la vaccination dans les stades est déraisonnable. Les gens ne comprennent plus ce qui se passe. La vaccination a cessé d'être un enjeu médical pour devenir un enjeu politique.

Nous avons un article en cours de publication sur ce sujet. On a fait une analyse assez amusante sur les journaux, les médias, le mode d'information des différents partenaires et leurs couvertures vaccinales. Globalement, la gestion a été tellement politique et tellement peu médicale que les prises de position ont été en grande partie influencées par les opinions politiques des gens. Les gens de droite et les journaux de droite étaient plutôt en faveur de la vaccination, les journaux de gauche et les gens de gauche étaient plutôt contre. Les sites de médecins et les journaux médicaux étaient à 95 % pour la vaccination. Les sites et les blogs d'infirmières étaient à 95 % contre la vaccination.

Dans la campagne intra-hospitalière que nous avons eue, nous avons eu 60 % à 70 % de vaccination chez les médecins et 8 % chez les infirmières. Ceci est extrêmement frappant. C'est devenu un enjeu qui n'a plus du tout été un enjeu médical, mais qui est devenu un enjeu et une bagarre politique. On a dépossédé les médecins de la gestion de la grippe. La conséquence en a été qu'il y a eu de vrais problèmes de gestion.

Parmi les autres éléments que je veux soumettre à votre attention est la réflexion que j'avais mise déjà dans mon rapport sur la gestion dans les services d'urgence. On a bien vu que celle-ci était déraisonnable. On savait que les gens étaient contagieux, les pompiers savaient en particulier qu'ils avaient éventuellement une maladie contagieuse - qu'il s'agisse d'une fièvre avec une toux ou d'une méningite. Malgré cette connaissance, on les a remis dans le circuit au milieu des urgences en les traitant d'une manière indifférenciée. Pourtant on sait faire du tri différencié pour les accidents vasculaires cérébraux ou autres. Ce risque de contagion intra-hospitalière est un risque majeur. Nous avons eu une grande chance avec cet épisode : cela a mobilisé beaucoup d'énergie et on a pu quantifier. Nous sommes en train de finir un travail sur ce sujet. La transmission de la grippe dans les urgences a été un drame épouvantable, le nombre de transmissions a été considérable. Encore n'est-ce que la partie que nous avons mesurée, qui ne représente probablement qu'une faible partie.

Les services d'urgence n'étaient pas prêts. Les malades qui venaient pour d'autres raisons ont attrapé la grippe.

On a vu ensuite un certain nombre de réactions, y compris dans la stratégie vaccinale. Celles-ci étaient liées au fait que depuis le début on était prisonnier d'un mode de pensée qui nous plaçait face à la guerre, et pas face à la lutte des médecins contre une épidémie. On restait face à la guerre contre la grippe aviaire. L'idée est que le virus de la grippe aviaire était beaucoup moins réactogène, beaucoup moins immunisant que le H1N1 qui est un virus qu'on connaît bien, qui vaccine très bien les humains. On sait cela depuis longtemps, cela fait partie des pools vaccinaux depuis des années. On a pris des stratégies pour cela.

M. François Autain, président - Le vaccin H1N1 qui est présent dans le vaccin saisonnier n'a rien à voir avec le H1N1 qui est responsable de cette pandémie ?

M. Didier Raoult - Dans les virus, vous avez de grands groupes viraux. Les antigènes majeurs sont l'hémagglutinine et N1 la neuraminidase. Il y a dans les variations ce qu'on appelle des glissements et des cassures. Il y a des sauts qui font H1, H2, H3. Il n'y en a jamais eu d'autres que H1, H2, H3, H5 et H7 et ils n'ont jamais été contagieux chez les hommes. Peut-être le deviendront-ils. On n'en sait rien. Vous avez de la même manière la neuraminidase NI, N2, N3. A l'intérieur de ce groupe qui représente un groupe antigénique qu'on reconnaît, il y a des variations qui sont des variations par glissement, qui engendrent de petites modifications et entraînent les différents variants. Quand il y a un nouveau variant antigénique, vous n'êtes pas protégé par la souche d'avant, mais à chaque fois qu'on a eu besoin d'immuniser contre H1N1, les vaccins ont toujours très bien fonctionné. On n'a fait qu'une dose et on a toujours cultivé cela en grande quantité sur oeuf embryonné.

Concernant la grippe aviaire, je crois vraiment qu'il y a eu un certain nombre d'erreurs d'orientation. Je viens en parler ici, car je pense qu'il serait intéressant de ne pas répondre lors de la prochaine crise de manière aussi réactive, en étant plus pondéré. On est tellement prisonnier du schéma de la grippe aviaire que les stratégies vaccinales ont été basées sur le schéma de la grippe aviaire, c'est-à-dire deux injections. Etant donné les conditions particulières de fabrication du vaccin contre la grippe aviaire, on a été obligé d'utiliser un adjuvant parce qu'on ne pouvait pas avoir des quantités aussi considérables que ce que l'on avait avec le vaccin habituel. On mettait le vaccin habituel dans un oeuf embryonné. Avec un oeuf embryonné, vous avez un nombre de copies considérable.

Il se trouve que le vaccin de la grippe aviaire, au moins au départ, tue les oeufs. Vous étiez obligés de faire cela sur des cultures cellulaires. La rentabilité est de l'ordre d'un millième. Pour la grippe aviaire, vous avez moins d'antigènes ; de plus, il est moins immunisant. Vous êtes donc obligé d'avoir des substituts. Vous faites des cultures cellulaires et vous rajoutez un adjuvant.

L'expérience a montré, que cela n'a eu aucune conséquence, mis à part une douleur ressentie à l'injection. En pratique c'est du cholestérol, ce n'est pas une chose extraordinaire. L'adjuvant n'est jamais que du cholestérol que l'on injecte. Cela rend l'injection bileuse, mais ce n'est rien d'autre. L'idée qu'il allait en falloir deux et que ce serait suffisant sur le plan immunitaire est une idée qui est basée sur le virus de la grippe aviaire. Depuis le début on a été prisonnier. Le plan blanc, c'était la grippe aviaire, le vaccin, c'était la grippe aviaire. On était prisonnier du cheminement de la grippe aviaire, qui était une grande cause nationale de quelque chose qui allait être destructeur.

Pour ce qui est de la question que vous m'avez posée, la lutte contre la maladie contagieuse est le vaccin. On avait la chance extraordinaire, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, d'arriver à créer des vaccins pour pouvoir les mettre à disposition.

M. François Autain, président - Ils sont arrivés un peu tard.

M. Didier Raoult - Je vais essayer de vous expliquer pourquoi je défends l'idée de constituer des pôles de compétences et de connaissances. La puissance de notre médecine est si colossale, si considérable que quand les choses sont arrivées et qu'elles ont été analysées, notre capacité d'y répondre et de lutter d'une manière efficace contre est spectaculaire. La réponse de la connaissance à une question est hallucinante de rapidité et de vitesse. Si vous prenez le SARS, il a fallu trois mois pour faire les modèles expérimentaux et commencer à préparer les vaccins. C'est extraordinaire.

Notre capacité de réponse est merveilleuse, mais au lieu de l'utiliser et de la développer, nous construisons des modèles de prédiction. Là, c'est Nostradamus, ce n'est pas sérieux. On ne peut pas prédire ce qui va se passer. L'expérience l'a montré. Rien de ce qui s'est passé avec cet épisode de grippe n'était prévisible. Il y a des choses qu'on ne savait pas, qu'on sait un peu mieux. Que la mortalité la plus importante se soit trouvée dans la tranche 20 - 50 ans, ce n'est jamais arrivé dans l'histoire d'une grippe. Au moment où le froid est apparu, la grippe a disparu. Ceci n'est jamais arrivé, c'est absolument étonnant.

C'est ce que j'explique depuis longtemps. Concernant les maladies infectieuses - les autres ne sont pas mon domaine de compétence -, ce qui compte ce n'est pas le principe de précaution, c'est le principe de vigilance. On apprend au fur et à mesure que les choses se déroulent. Je regrette que ce soit venu des Etats-Unis et du NIH (Notionel Institutes of Health), mais c'est extraordinairement intelligent.

Un groupe de journaux d'accès gratuit intitulé PLoS a été financé par l'Institut de recherche des Etats-Unis qui s'appelle le NIH. Celui-ci a créé spécifiquement pour la grippe un journal sur le site Internet de la Public Library of Science (PLoS) à placement extrêmement rapide. Dans les sept jours où vous envoyez votre article, celui-ci est immédiatement on ligne pour que tout le monde puisse l'utiliser. C'était dédié à la grippe. Cela a été essentiel. Nous avons envoyé plusieurs articles qui ont été ensuite repris dans des journaux avec un tri plus conséquent. Ceci a été essentiel : une collecte, une analyse et une transmission de l'information sans arrêt pour dire ce qu'il y avait de différent dans cet épisode par rapport aux autres.

Un autre élément a été très différent : on n'avait jamais décrit que les obèses étaient particulièrement sensibles à la grippe. C'est dans cette maladie qu'on l'a constaté. On a su cela en juin 2009. Aux Etats-Unis, on avait constaté une surmortalité chez les obèses. Pour en revenir à la vaccination, au fur et à mesure que nous connaissions les vrais groupes à risques - encore une fois pour lutter contre la lourdeur de ce système et lui donner de la réactivité en situation d'épidémie - nous savions qu'il fallait changer de cible dans les populations à protéger. Ceci est une grande leçon.

En général, dans les pandémies du passé, les sujets de 65 ans et plus sont à protéger en priorité. Dans cette pandémie, ce n'était pas le cas, ce n'était pas le problème. En réalité, on a su qu'après qu'une partie importante d'entre eux avaient déjà été protégés. Ce sont des leçons qu'on apprend au fur et à mesure. Pour cela, il faut avoir des centres de compétences, dans lesquels sont réunies les capacités de diagnostic, d'observation, d'épidémiologie, de soin, qui analysent en permanence les données en disant ce qu'ils sont en train de voir, qui analysent les données internationales pour dire comment il faut évoluer pour être réactifs face à cette situation.

Pour reprendre le modèle de la guerre, vous ne pouvez pas décider le plan avant de commencer et dire qu'elle ne change pas au jour le jour. Elle change tous les jours. Il faut de l'adaptabilité et il faut générer des sources de compétences en y associant du diagnostic, du soin, de l'observation, du terrain, des équipes épidémiologiques qui soient capables d'analyser et de mettre tout cela ensemble.

Je crois beaucoup aux pôles de compétences. Le plus grand pôle de compétences a disparu en l'espace d'une trentaine d'années : c'était l'Institut Pasteur de Paris avec l'hôpital Pasteur et le centre de diagnostic. Il faut bien que le pays trouve des structures pour le remplacer, car ces structures nous manquent.

M. François Autain, président - Je vous remercie infiniment de cette intervention très intéressante, très stimulante et qui va être à l'origine de nombreuses questions de la part du rapporteur à qui je passe la parole, mais aussi de nos collègues ici présents.

M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le professeur, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Evidemment, en écoutant les uns et les autres, nous avons évolué dans notre connaissance de cette épidémie, dans notre connaissance du plan qui a été mis en place, dans notre connaissance de l'efficacité de ce plan et la nécessité d'une certaine adaptabilité du plan.

Nous n'avions pas encore pensé aux pôles de compétences, mais nous avions pensé qu'il fallait que dans les centres de décisions, il n'y ait pas que des experts qui conseillent les décideurs, mais qu'il y ait aussi des hommes de terrain qui puissent venir conseiller également les décideurs et leur dire si ce qu'ils disent n'est pas tout à fait exact et qu'ils n'ont pas vu tel ou tel aspect de la question.

On se retrouve sensiblement en phase avec ce que vous venez de dire. J'avais des questions préparées, mais vous y avez pratiquement répondu dans votre intervention. Je ne vais pas revenir dessus. Sans vouloir vous choquer, car je ne suis pas là pour cela et, comme je vous l'ai dit, je suis d'accord avec vous - je connais bien M. Jean-François Mattei, j'ai aussi beaucoup d'amitié pour la faculté de médecine de Marseille -, je constate aussi à la lecture de documents et d'interviews que vous avez accordées au mois de septembre dernier au Monde que votre pensée a évolué également, par rapport à l'intensité de la grippe sur le terrain.

Ce que vous disiez en septembre dernier correspond sensiblement à ce que vous dites aujourd'hui : « La grippe A (H1N1)v, ce ne sera pas une grippette » . Vous disiez aussi que « si le froid arrive, la grippe A (H1N1)v va se développer » . On a tous constaté le contraire. Dans ce cadre, peut-on encore dire que les experts qui se fiaient à leur expérience se sont véritablement trompés ? Ou le virus était-il plus intelligent qu'eux et les a-t-il trompés au bout du compte ?

M. Didier Raoult - Les données télévisées et les données écrites ne sont pas de même nature. Les données télévisées retransmettent l'ensemble, les données écrites ne le font pas nécessairement. Lorsqu'on me demande ce qui va se passer, je commence toujours par dire que je ne sais pas, puis je donne mon opinion. Mon opinion est comme celle de tout le monde. Elle ne peut être basée que sur l'analyse de ce qui s'est passé antérieurement.

Pour ce qui s'est passé, je pense avoir été le premier dans ce pays à avoir attiré l'attention sur deux éléments. Je continue à penser que c'était vraiment une bonne idée et que cela a probablement aidé à délimiter les choses : les informations les plus importantes - c'est la raison pour laquelle je pense que la grippe ne tuera jamais autant qu'avant - étaient une analyse que nous avions eue en mars 2009 de la grippe espagnole, qui montrait que les trois quarts des gens étaient morts d'infections bactériennes : un pneumocoque brophilius staphylocoque.

Bien que je n'aie pas de relation avec les gens qui vendent le vaccin contre le pneumocoque, j'ai été le premier à dire qu'il fallait faire la vaccination contre le pneumocoque. Le deuxième point important est que, contrairement à ce qu'on enseigne en médecine, il faut traiter la grippe relativement tôt par antibiotiques.

M. Alain Milon, rapporteur - Excusez-moi de vous interrompre, mais, dans ma région, vous avez été suivi. Les médecins ont beaucoup vacciné contre le pneumocoque.

M. Didier Raoult - Tout à fait. Il se trouve que, par chance, j'avais dans mon laboratoire cet été, en congé sabbatique, l'anatamopathologiste qui travaillait au Center for Diseases control. Il faisait toutes les nécropsies des grippes aux Etats-Unis. On voyait que par rapport à la grippe espagnole, il y avait 30 % à 40 %, dans cet épisode de grippe, de morts sur infections bactériennes et 60 % de morts vraiment d'autre chose.

Les gens qui font de la recherche sur les maladies infectieuses sont des écologistes. On sait que ce sont des situations complexes dans lesquels il y a de multiples partenaires. C'est la raison pour laquelle je ne crois pas aux modélisations et aux projections. La modélisation serait une escroquerie. Il n'y a pas de modélisation possible. Je vais vous donner un élément incroyable. Je ne sais pas si vous avez entendu M. Bruno Lina. C'est ce qu'il a trouvé et que nous avons trouvé aussi.

C'est une chose qu'on ne savait pas. Il y a eu une balance qui n'a jamais été décrite entre l'épidémie de rhinovirus et l'épidémie de grippe. Vous a-t-il raconté cela ? C'est extraordinaire. Il se trouve que je suis rédacteur en chef du Journal européen des maladies infectieuses. J'ai fait un numéro spécial sur la grippe. On a demandé aux partenaires français quelles étaient les choses les plus importantes et M. Bruno Lina nous a rédigé cela. C'est un merveilleux article. Il y a une balance dans tous les prélèvements réalisés : il y a une cinétique inverse des infections par rhinovirus qui donnent des rhumes essentiellement, des maladies très peu graves, et de la grippe.

Vous me parlez effectivement de l'interview de septembre. Du premier cas détecté dans le sud-est de la France - mon équipe était en charge du sud-est de la France - jusqu'en septembre, on a doublé les cas toutes les semaines. Puis cela s'est stabilisé en septembre pendant trois semaines, puis c'est reparti en octobre, pour s'arrêter en novembre. Après, cela a commencé à diminuer et il n'y a pas eu de rebond. Sans qu'on comprenne pourquoi, l'épidémie de grippe n'a plus augmenté. En septembre, elle était contemporaine d'une épidémie de rhinovirus.

Je ne dis pas qu'il y a un lien de cause à effet. Il y a en tout cas une relation statistiquement significative entre le fait qu'il y ait des rhinovirus qui ont la même niche écologique et le fait qu'il n'y ait plus de H1N1. Cela n'a jamais été décrit dans la littérature, personne ne le savait. Le niveau de connaissance qu'on a acquis dans l'étude de cette épidémie est considérable et change complètement l'approche que l'on a de la grippe.

L'absence de grippe saisonnière, cette année est étonnante. On est parti avec un déroulement extraordinaire, et on se trouve avec moins de grippes que jamais. Je pense qu'il faut être prudent. Il faut différencier le savoir. Il n'y a pas de savoir total, authentique. Quand on analyse les situations qui ont déjà existé, on a un savoir sur ce qui est le plus probable de se passer.

Pour revenir sur cette notion de « grippette », je maintiens ce que j'ai dit. Dans les hôpitaux de Marseille, il y a eu 55 ou 60 morts. Je suis persécuté par les pompiers de mon hôpital, de ma faculté. Savez-vous combien de gens sont morts par incendie dans les hôpitaux depuis quinze ans ? Aucun. Si vous saviez ce que cela coûte en termes de fonctionnement, d'investissement, pour nous empêcher de travailler. Cela fait partie des mythes au nom desquels personne n'a le droit de lutter contre les pompiers qui sont considérés comme des sauveurs de l'humanité et qui, en réalité, empêchent tout le monde de travailler pour prévenir de risques qui n'existent plus.

Vous dites finalement que 50 morts ce n'est rien. Je trouve que c'est beaucoup, d'autant que si vous prenez les morts en question, ce sont des jeunes. Un des grands bénéfices de cette épidémie est que, pour la première fois, des stratégies de réanimation ont été mises en place alors qu'elles n'existaient pas jusqu'à présent. Elles ont été inventées pour cette occasion.

Des circulations extracorporelles, quand les poumons ne fonctionnent plus du tout, permettent d'attendre jusqu'à trois semaines. Ce qui s'est passé est inouï en termes de technologie. Tant mieux, les patients étaient jeunes et pouvaient supporter trois semaines de circulation extracorporelle. En pratique, des gens jeunes sont morts sur l'ensemble du pays et ils sont morts de la grippe. Cela fait beaucoup de morts de mon point de vue.

On est en train de préparer une nouvelle loi pour augmenter la sécurité dans les ascenseurs. Je ne sais pas combien de gens sont morts dans les ascenseurs depuis dix ans. Ils sont peu nombreux. Nous avons dû changer nos ascenseurs. Cela coûte un prix phénoménal. Il paraît que cette nouvelle loi devrait durcir l'ancienne sur ce sujet.

Ce qui m'intéresse dans la santé publique, c'est le nombre de morts. Si vous dites que 1 000, 2 000 ou 3 000 morts ne sont pas importants, je dis d'accord. Qu'avez-vous dans l'autre main ? 10 000 morts à me proposer ? 10 000 morts est mon estimation sur la mortalité par les bactéries nosocomiales dans les hôpitaux. Si vous me dites qu'il est plus important de s'occuper de cela...

La ministre estime à 4 000 le nombre de morts dues aux infections nosocomiales, moi je dis 12 000 morts. Là aussi, la mesure du ministère est une mesure virtuelle. Vous savez, si vous êtes médecin, comment on déclare les septicémies nosocomiales. On dit qu'il y a une bactérie nosocomiale et on demande à trois médecins s'ils sont d'accord, dont celui en charge du malade. Il doit donc reconnaître que c'est une infection nosocomiale et le marquer sur le dossier. Le résultat est que moins d'un tiers de ces infections sont déclarées.

Je ne sais pas si vous vous souvenez dans le rapport de ce que les spécialistes appellent le « symptom-based medicine » . Il n'existait pas en France, il commence à être utilisé seulement maintenant, y compris pour la mesure de la mortalité. Il s'agit d'avoir des facteurs de mesure qui soient entièrement indépendants de l'interprétation des médecins. Dès qu'il y a une interprétation des médecins, les choses deviennent complexes. On ne mesure que les faits : nous avons mesuré les bactériémies chez des gens qui étaient hospitalisés depuis plus de soixante-douze heures ; nous avons regardé combien étaient morts dans les cinq jours qui ont suivi : nos chiffres sont de 12 000 morts par an, soit 2,8 % de la mortalité en France. Ce n'est pas rien. Là c'est pareil. Savez-vous comment on estime la mortalité de la grippe en France ?

M. François Autain, président - Il n'est pas inutile que vous nous le répétiez.

M. Didier Raoult - C'est une histoire très intéressante qui nous connectera avec ce qui s'est passé avec M. Jean-François Mattei et avec la canicule. J'étais avec Jean-François Mattei au moment de la canicule. Je lui ai dit que personne ne comptait les morts et qu'il fallait que nous regardions. Il a fait faire par le ministère une étude qui vous explique à la fois l'ambiance de la grippe et ce qui a été découvert. En France, personne ne regardait les morts. Tout devient entièrement virtuel, que ce soit pour les ascenseurs ou pour les pompiers. Je pense que s'il y a quelque chose à introduire dans ce pays, c'est le culte du nombre, du dénombrement.

M. Jean-François Mattei a fait faire ce travail sur cinquante ans. Qu'a-t-on vu ? Si vous regardez la courbe - vous devez pouvoir l'obtenir, car elle est publiée sur le site du ministère -, vous n'avez pas eu une canicule, mais trois épisodes dans lesquels il y a plusieurs milliers de morts, plus de 7 000 morts en cinquante ans : c'était en 1976, en 1983 et 2003. Une seule a fait l'objet d'une enquête, d'un travail, mais en réalité c'était la troisième, que personne n'avait notée parce que personne ne comptait les morts.

A côté de ces trois épisodes, il y en a eu deux autres notables en 1957 et 1968 qui correspondent aux deux grands épisodes de grippe. Si vous regardez les grands accidents contemporains de grande surmortalité, où on compte en milliers de morts - 5 000, 7 000 ou 8 000 morts -, ce sont trois épisodes de canicule et deux épisodes de grippe. Les éléments capables d'influencer de manière significative la courbe de mortalité durant ces cinquante dernières années ont été les deux grands épisodes de pandémie grippale et trois épisodes de canicule.

Ensuite, quand vous regardez dans l'année, il y a une surmortalité hivernale, dont on ne connaît pas la cause, mais dont on sait, en tant que médecin, qu'elle est contemporaine des maladies plus communes pendant la période hivernale, au premier chef desquelles la grippe. Comme personne ne mesure, tout le monde, y compris le CDC, interprète le pic en disant : « Ici, vous avez 5 à 10 000 morts, c'est la grippe » . Ce n'est pas la grippe, ce sont les infections saisonnières de la saison froide des pays tempérés.

A l'intérieur de cela, vous avez la grippe, la gastroentérite, les pneumonies, les surinfections. On est dans une situation où personne n'a investi la connaissance de ce pic épidémique qui tue entre 5 et 10 000 personnes. Tout le monde sort son diagnostic, la grippe ou autres, mais en réalité on ne sait rien de la plus grande cause de mortalité variable dans ce pays. Le manque de connaissances de base est considérable.

Face à ce manque de connaissances de base, tout le monde s'affole lorsqu'il y a une pandémie. Les Américains sont très réactifs, mais ils ont une très grande chance, par rapport à nous. Ils ont une très grande avance sur les maladies infectieuses. Chaque crise sanitaire nécessite une réponse sociale qui est parfois démesurée, parfois trop chère, mais c'est ainsi, et pas plus dans ce domaine-là que dans d'autres. La différence est qu'aux Etats-Unis, une proportion de 20 % à 30 % des dépenses liées à la crise est consacrée chaque fois à l'infrastructure. Ce qui fait que chaque crise augmente l'infrastructure sanitaire et, par voie de conséquence, l'infrastructure totale du pays.

Si dans cette crise, 30 % avaient été investis dans l'infrastructure, on garderait ces 30 % pour autre chose, pour la prochaine crise. On bâtirait au fur et à mesure. C'est le sens que j'ai donné au rapport que j'ai fait au ministre : répondons à l'inquiétude sociale, aux besoins politiques, mais en même temps, construisons pour, petit à petit, avoir des infrastructures, des centres de compétences.

Je suis très admiratif de l'Italie. L'Italie a commencé pour le Sida à dire que puisque cette maladie portant en quelque sorte la réinvention de la contagion, il fallait réinventer les hôpitaux de maladies infectieuses qu'elle avait fermés. Le gouvernement italien a décidé de faire des hôpitaux de maladies infectieuses modernes à Rome et à Milan. Je suis allé à Milan, j'étais « décomposé ». Nous sommes sous-développés à côté. Ils ont un hôpital à Milan dans lequel il y a quatre étages de services de maladies infectieuses dotés de vingt-cinq lits, en P3 pour chacun, des capacités de travail de biologie en P4. Ces services sont en activité depuis vingt ans.

Nous avons été les premiers à avoir péniblement sept chambres d'isolement pour pouvoir traiter les malades extrêmement contagieux à Marseille. A l'époque, il n'y en avait aucune à Paris. Il y a un retard structurel, de constitution d'infrastructures. L'absence de connaissances rend les gens plus fragiles, plus peureux, car on n'a pas le tissu pour répondre aux crises. Je pense qu'il y a un vrai problème de fond : il faut apprendre à quantifier les risques de manière à y faire face. Ensuite, il faut créer un vivier, un tissu solide qui permette de réagir.

Cela nous empêchera-t-il de commettre des erreurs dans l'avenir ? Sûrement pas, on passera notre vie à commettre des erreurs, comme on n'en a toujours commis avant. Mais l'ampleur des erreurs doit nous donner la capacité à bâtir une réponse.

M. François Autain, président - C'est la base de la sagesse.

M. Didier Raoult - Oui, mais la base de la sagesse est la plus grande manifestation de l'orgueil.

M. François Autain, président - C'est ce que je crois.

M. Didier Raoult - Je reconnais mes erreurs très volontiers, mais ce n'est pas du tout une manifestation de modestie.

M. François Autain, président - Je ne pensais pas à vous en disant cela.

M. Alain Milon, rapporteur - Encore une question et je laisserai la parole à mes collègues. La directrice de l'Institut de veille sanitaire nous a fait remarquer que cette année, on attendait une pandémie qui n'est pas arrivée vraiment. On parlait d'une grippe saisonnière, vous avez dit qu'on ne l'a pas eue. Les rhumes et les rhinovirus ont été moins nombreux que les autres années. Les épidémies de gastroentérites ont été pratiquement nulles. Un plan de lutte contre la pandémie a été mis en place dans lequel il y avait une vaccination massive. Est-ce utile ? Comment faut-il faire pour que ce soit utile et efficace ?

On a mis en place l'usage des masques. On en a acheté beaucoup, on ne sait pas trop ce qu'on va en faire. Il y a surtout eu la mise en place du lavage des mains. Il y a eu aussi dans le plan et dans les dépenses faites par l'Etat - pour revenir sur ce que vous disiez sur la mise en place de services - l'achat de matériels de réanimation dans les hôpitaux. Il s'agit là d'un investissement pérenne. L'une des grandes leçons à retirer n'est-elle pas de demander aux gens de se laver les mains régulièrement et de continuer à le faire ?

M. Didier Raoult - A mon sens, c'est un des très grands bénéfices. Même si le message était un peu lassant à la fin, les gens se sont lavé les mains, ils se sont mis de l'alcool sur les mains. Ceci est extraordinairement important. Je suis d'accord, c'est un bénéfice considérable.

J'aime faire de la recherche. L'observation de cette épidémie nous a appris énormément. C'est une grande avancée dans la connaissance pour nous et pour beaucoup d'autres. Le lavage des mains et le passage des mains à l'alcool seront utiles à l'avenir dans le pays. Ils sont d'un bénéfice considérable pour la société.

M. Alain Milon, rapporteur - Si une nouvelle pandémie arrivait un jour, comment organiser la vaccination ?

M. Didier Raoult - On est en train de réfléchir à ce sujet et de rédiger un article pour voir comment ne pas se retrouver dans une situation comparable. J'ai bien suivi l'histoire de la vaccination de l'hépatite B. J'en ai suivi le déroulement. Aux Etats-Unis, la vaccination contre la grippe était obligatoire, les gens qui ne la faisaient pas étaient renvoyés. On ne pourrait pas faire cela parce que la législation française dit que, s'il y a un doute sur les effets liés à la vaccination - on n'arrive jamais à lever un doute par définition -, il doit bénéficier à celui qui a l'obligation de se faire vacciner. On se retrouverait exactement dans les mêmes conditions. Quelqu'un dirait qu'il y a un doute de lien de causalité entre la vaccination et n'importe quel événement qui se produirait dans les semaines qui suivent. L'Etat serait obligé de l'indemniser comme c'est le cas pour l'armée. On ne peut donc pas revenir sur l'obligation.

En revanche, la nécessité d'avoir des services spécialisés, qui va s'imposer pour les travaux sur la contagiosité intra-hospitalière, va exiger d'avoir un pré-acheminement des urgences infectieuses, dans un site dans lequel ils ne se mélangent pas avec les autres, ce qui se fait actuellement.

La deuxième leçon de l'épidémie nous a permis de savoir que pour un million d'habitants, il faut entre 1 et 40 lits pour une épidémie, y compris pour l'épidémie saisonnière. Nous avions déjà rapporté des épidémies intra-hospitalières, dans les hôpitaux du Sud, à La Timone. Nous avons eu dix-huit cas dans les services d'orthopédie. Toutes les personnes âgées qui étaient présentes ont été infectées, parce qu'on a fait entrer une grippe. Ce problème existait avant cette pandémie, et il existe toujours.

L'hospitalisation dans les services spécialisés pour les maladies infectieuses doit être repensée et réorganisée, sans avoir des hôpitaux lazarets comme on avait avant. Nous avons évalué, comme d'autres l'ont fait aussi - la Nouvelle-Zélande et l'Australie - que, pour ce niveau de contagiosité, il faut vingt à quarante lits par million d'habitants. Nous avons les chiffres maintenant. Si vous mettez en place un pré-acheminement des urgences ainsi qu'une gestion des services spécialisés dans ce domaine pendant une contagion importante, là, vous pouvez gérer la vaccination. Le personnel qui appartient à l'Assistance publique qui décide d'aller dans ce service a comme engagement personnel de se faire vacciner pour les maladies qui sont traitées dans ce service. S'il ne veut pas, vous l'affectez à un autre service. Vous ne le renvoyez pas. Il n'y a pas d'obligation vaccinale pour l'établissement, mais il y en a une pour travailler dans un service contagieux, ce qui est défendable et raisonnable. On a montré qu'il y avait beaucoup moins de transmissions à l'intérieur des services qui traitent de maladies contagieuses.

Troisième point intéressant : les modes de contamination majeurs dans les services de radiologie. Il faudra penser à la gestion de la contagiosité nosocomiale des infections de la grippe. Vous amenez quelqu'un passer la radio du poumon, alors qu'on sait que celle-ci est inutile. Ce qui compte c'est la dyspnée. Il faut être avare de déplacements dans l'hôpital, à la radiologie, notamment pour éviter le contact d'autres malades et la contamination ou l'infection du manipulateur radio, qui lui-même va infecter les autres malades. Ce sont des clés que nous avons apprises dans cet épisode de pandémie. Si nous appliquons simplement les leçons que nous avons tirées, nous devrions, y compris la saison prochaine, - car je pense que nous aurons une autre épidémie de grippe saisonnière l'année prochaine -, avoir une diminution importante de la mortalité, y compris la mortalité intra-hospitalière et la contamination nosocomiale ; nous gérerons cet épisode d'une manière raisonnable.

M. Alain Milon, rapporteur - La vaccination dans tout cela ?

M. Didier Raoult - La vaccination pour le personnel hospitalier est une chose. Pour le reste de la population, je pense qu'il faut la faire avec les médecins généralistes. Dire depuis le départ que le préfet va gérer les vaccinations est une erreur. C'est parti de la vaccination de la grippe aviaire en disant : c'est la guerre, on va mettre les gens dans les stades, on va tous les faire vacciner.

Les troupes pour lutter contre les maladies sont les médecins. Eux-mêmes ont diffusé un discours qui montrait qu'ils étaient fâchés, vexés contre les mesures gouvernementales qui les sortaient d'un circuit qui est leur métier. C'est déraisonnable. L'organisation depuis le départ, cette stratégie sur la grippe aviaire, la gestion à la manière d'une guerre ont marginalisé toutes les compétences.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous l'aviez dit dès le départ. Nous sommes complètement d'accord sur ce point. L'une des leçons qu'on peut tirer aussi est la totale absence de préparation du corps médical et paramédical à la lutte contre certains dangers. Je prends quelques exemples. Un nuage de poussière passe sur le territoire national, on n'a pas les professionnels de santé qui sont préparés pour lutter contre. En PACA, si les centrales de Cadarache ou de Marcoule explosent, nous aurons un nuage atomique. Nous n'avons pas de plan de lutte contre les accidents de ce type, avec en particulier la participation des médecins libéraux et du corps médical.

Faut-il prévoir des plans contre ces risques ?

M. Didier Raoult - J'ai pris position sur ce point dans mon rapport. Je continue à y souscrire. Dans ce pays, il y a un problème, dont je maintiens qu'il est critique : c'est celui d'une organisation qui ne soit pas purement volatile pour faire face simplement à un problème ponctuel, tel qu'il est posé par la société. Je maintiens que c'est une réforme structurelle qu'il faudrait faire, même si elle lutte contre un certain nombre de corporatismes.

Que se passait-il lors de la crise du bioterrorisme ? On a créé une commission de bioterrorisme, distincte de la commission du CLIN (Comité de lutte contre l'infection nosocomiale), distincte de la commission des antibiotiques. On a créé une commission de la grippe. Tous ces gens sont les mêmes. Si on arrêtait cela en disant : on va faire un comité de lutte contre les infections en général, dans chacune des structures de soins qui regroupera toutes les compétences. Savez-vous pourquoi on ne pouvait pas le faire ? Les CLINS peuvent être dirigés par les ensembles santé publique. Dans la commission des antibiotiques, il y avait les pharmaciens. Si vous disiez que les médecins allaient gérer cela, tous les pharmaciens et les responsables de santé publique montaient au créneau parce que cela devenait une maladie infectieuse.

Ce sont purement et simplement des questions de lobbying qui ont empêché ce regroupement. Je reprends souvent l'exemple des pompiers. Il ne faut pas croire que j'en veux spécifiquement aux pompiers. Dans un hôpital, un chef de service de chirurgie - ceci arrive dans mon hôpital - peut interdire au Comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) de passer chez lui. Vous vous rendez compte ! Vous n'êtes pas obligé de me croire. Même si vous croyez le chiffre du ministère qui dit qu'il y a 4 000 morts. Je dis qu'il y a 12 000 morts de maladies nosocomiales dans les hôpitaux. Il n'y a aucun mort par incendie. Les pompiers ont un grand pouvoir et les responsables du CLIN n'en ont aucun. Quel est leur pouvoir ? Il est de recommander. Vous ne pouvez pas fermer un bloc. Vous parlez de distribution d'alcool. Nous connaissons un chirurgien qui est contre l'alcool. Vous ne pouvez pas fermer son service, vous ne pouvez pas le lui imposer. Il y a une espèce de déraison.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous parlez de l'alcool pour se laver les mains.

M. Didier Raoult - Cette grippe est l'occasion de réfléchir sur des pôles de compétences. Ce dont nous parlons, ce sont des pôles de compétences. Je vois se succéder toutes ces choses. Je ne vais d'ailleurs plus au ministère. Je l'ai fait une fois, je trouve que c'est déjà beaucoup, surtout pour voir la vitesse d'application des recommandations qui auraient permis à M. Jean-François Mattei de rester quelques mois de plus. La mise en place est terriblement longue. Ce n'est pas dans le temps qui m'intéresse.

J'ai vu passer la mise en place des CLIN, puis M. Bernard Kouchner a instauré le médecin prescripteur d'antibiotique. Là aussi, il y a une loi qui n'est jamais appliquée, il n'y a jamais eu les postes de praticien hospitalier. A mon époque, cela a été les mesures sur le bioterrorisme, là aussi distinctes. On choisissait de traiter le bioterrorisme sous forme de régions militaires, plutôt que de CHU. Je me rappelle qu'il a fallu que je me batte au ministère de la santé. Tout le monde était hostile au fait qu'on commence à créer de l'architecture, dans les endroits dans lesquels on fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils voulaient implanter cela à l'INRA, à l'Institut Pasteur, où lorsque vous téléphonez le vendredi à 18 heures, il n'y a plus personne, alors que dans les CHU, il y a toujours quelqu'un qui répond pour s'occuper des problèmes.

On ne peut pas inventer. Les centres de compétences, ce sont les grands CHU. Dans tous les services d'hospitalisation, on est obligé d'avoir un CLIN. Il faut regrouper les forces dans les centres de compétences, qui puissent ensuite se mettre en réseau pour que les réactions ne soient pas pilotées par des gens qui sont ici complètement distants du terrain, mais par ceux qui sont sur le terrain et qui sont ensemble.

Il faut réunir les compétences et il ne faut pas décliner trente-six choses. Il n'est pas normal qu'il y ait une commission des antibiotiques, un CLIN qui soit distinct. C'est la même chose. Il faut une structure de décision qui ait une autorité comparable à celle des pompiers et qui dise : vous êtes un danger public, on vous enferme tant que vous ne vous lavez pas les mains ou tant que vous n'avez pas un comportement cohérent avec les éléments qui sont reconnus comme étant nécessaires pour lutter contre les infections.

M. François Autain, président - Je passe la parole à Mme Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Par rapport à ce que vous venez de dire, supprimeriez-vous aujourd'hui, si vous étiez conseiller au cabinet du ministre, le Comité contre la grippe ?

M. Didier Raoult - Oui, bien sûr.

Mme Marie-Thérèse Hermange - L'année prochaine, à la rentrée, la question sur la vaccination va se reposer avec celles et ceux qui se sont fait vacciner une première fois. Faudra-t-il les revacciner ? Quelle politique préconiseriez-vous en la matière ?

M. Didier Raoult - Je vous redis ce que je pensais à l'époque et que je pense toujours. J'avais écrit dans mon rapport préliminaire au ministre que les crises ne sont pas indépendantes les unes des autres et que les hommes ne sont pas différents. Il faut créer de la compétence réunie, regroupée, sur des sites réels et pas des ministères. Je continue à penser cela. C'est la réponse au premier point.

Concernant le deuxième point, il faut être pragmatique. Nous avons eu l'occasion d'en parler, car je crois que la loi de bioéthique repassera au Sénat. Il faut pouvoir très rapidement tester sur des échantillons que nous avons en stock quelle est la persistance des anticorps. On a des techniques pour le faire. On peut très bien dire qu'on prend un échantillon de 150, 200, 300 personnes vaccinées, pour regarder quelle est la rémanence des anticorps. Au mois d'août, on le saura. Vous avez sans doute entendu parler de l'homme de l'art qui a permis de montrer que 30 % seulement des cas de grippe avaient été symptomatiques. Grâce à des techniques de sérologie assez robustes et assez anciennes, on peut très bien mesurer le degré de protection.

Ce n'est pas une question d'avis. Il faut mesurer. Une mesure pratique est de dire que le ministère finance une étude auprès de 300 personnes vaccinées pour savoir quelle est la rémanence en moyenne des anticorps. En fonction de cette réponse, je vous dirai qu'il faut ou qu'il ne faut pas revacciner.

M. Alain Milon, rapporteur - Est-ce exact quand on dit que la protection biologique n'est pas toujours identique à la protection clinique. Il peut y avoir une protection biologique sans protection clinique. Oui ou non ?

M. Didier Raoult - Vous savez bien que ce ne sont pas des réponses de médecin. Ce n'est pas une réponse à oui ou non. Généralement, il y a une très bonne corrélation entre la protection biologique et clinique. Ensuite, les exceptions sont multiples. Ces études sont des études scientifiques et critiques.

Je vais faire l'exégèse de mes communications à la presse. Lors de la publication en juillet, j'avais dit qu'on savait qu'il n'y avait besoin que d'une inoculation. Je l'ai écrit et je l'ai dit car on avait les études. Avant les études, on pense tout ce qu'on veut, mais pas quand on a les études. Deux ont été publiées en même temps sur le sujet. On savait qu'une injection était très immunogène et que ce n'était pas la peine d'en faire deux. Je l'ai dit.

Je suis aussi réticent sur une deuxième chose : c'est la création permanente de hauts comités de ceci et de cela, et j'espère que vous n'allez pas proposer la création d'un haut comité de la grippe.

M. Alain Milon, rapporteur - Non, ne vous inquiétez pas. Pourriez-vous nous envoyer les références des études ?

M. Didier Raoult - Oui, si vous m'adressez un courrier me le demandant, je vous les enverrai.

M. Alain Milon, rapporteur - Merci.

M. Didier Raoult - Il est entré dans la vaccination, par ailleurs, une confusion extrême. Quand vous avez un haut comité qui se réunit au mois d'août, vous ne savez plus qui décide de quoi. D'où est-il sorti, en France, qu'il ne fallait pas faire la vaccination H1N1 et la vaccination saisonnière ensemble. Ceci a entraîné une confusion extrême. Ce n'est basé sur rien de scientifique. C'est le seul pays à proposer une chose pareille et personne d'autre n'y a jamais pensé. C'est sorti de l'imagination d'un des participants autour de la table. Il a dit qu'on faisait comme cela et on l'a fait. Il n'y avait pas de science, pas de base, rien du tout. C'est ainsi qu'on a pris la décision. Pour ma part, j'ai fait les deux vaccins en même temps. On est revenu quelque mois après dessus, pour dire que cela n'avait pas de sens.

Je plains la ministre. Dans cette situation, le Haut Comité lui avait dit une chose à un moment où l'excitation contre le vaccin était palpable parmi la population. Si elle avait proposé autre chose, elle se serait fait « lyncher ». L'Europe disait qu'elle n'avait pas pris sa décision pour savoir s'il fallait faire une ou deux injections, les décisions au niveau européen étant encore plus longues qu'au niveau français, alors qu'on avait publié les travaux. Tous ces hauts comités donnent leur avis et le politique prend des responsabilités bien plus graves s'il n'en tient pas compte. Il faut donc prendre garde à ne pas multiplier ces hauts comités dans lesquels siègent des personnes éloignées du terrain. Je vous assure que je n'ai pas le temps d'aller dans les hauts comités.

Vous avez tiré les leçons de cette pandémie. Une chose était inquiétante et vous l'avez évoquée : ce sont les cas assez particuliers de décès. J'ai visité un service de pédiatrie à Paris. Dans le cadre d'une épidémie de grippe saisonnière, on n'a pas tous ces problèmes de détresse respiratoire qui ont touché de très jeunes enfants. On a aussi le cas de ces personnes jeunes décédées. Quelles leçons en tirez-vous pour la saison qui vient ?

M. Didier Raoult - Dans le monde, il y a eu des morts documentées, ce qui est très différent des morts prévues ou calculées sur des différences statistiques. Ils sont au nombre de 15 000 ou 25 000, ce qui n'est pas négligeable. Parmi eux, des gens jeunes ont fait des formes gravissimes. Cette maladie a été grave, elle a tué des gens. C'est toujours très compliqué, quand on prévoit qu'il va y avoir 10 000 morts, alors qu'il n'y en a que 800. On dit que ce n'est pas assez. C'est en tout cas incontestable. Cette surmortalité, cette gravité, nous l'avons constatée du fait que nous avons eu un besoin d'ouverture de lits de réanimation et de création de circulation extracorporelle pour oxygéner ces patients. Cette situation a été tout à fait unique et nous ne l'avons pas eue jusque-là. Nous l'avons quantifiée à Marseille, je ne sais pas si cela a été quantifié pour l'ensemble de la France. Il y a eu des formes très graves, avec une augmentation du besoin hospitalier de prises en charge dans les réanimations respiratoires très significative. C'est incontestable. On ne peut pas parler de « grippette », ni de quelque chose de banal ou de bénin.

Pour ce qui est des leçons à en tirer, c'est ce qui est déjà acquis dans le cadre des connaissances et des compétences dans les insuffisances respiratoires. C'est une chose très importante. Je vous ai énuméré quelques-unes de ces leçons. On est en train de faire une analyse sur ce qui s'est passé à Marseille durant la pandémie. Les points qui nous ont semblé importants sont les suivants : le pré-acheminement, le traitement différencié des urgences, le diagnostic de proximité.

Nous avons fait un « point of care » directement dans les urgences. On a commencé à le mettre en place à partir de juin 2009, date à laquelle on rendait le résultat en moins de trois heures, sur place. Nous avons été les premiers au monde à faire cela. On a mis cela au milieu des urgences de l'Hôpital Nord qui était celui qui avait le plus de maladies infectieuses. On rendait tous les résultats tout de suite, pour les salmonelles qui n'étaient positives que dans 50 % des cas mais aussi pour les autres... Nous avons été débordés à partir de septembre. Nous traitions 20 à 30 prélèvements par jour directement. Les gens prenaient tout de suite du Tamiflu ou on conseillait le masque. Le diagnostic direct immédiat et sa mise en place très rapide sont des éléments essentiels.

La France avait pris une autre option dérivée du bioterrorisme : utiliser les laboratoires chargés de l'analyse des substances liées au bioterrorisme pour y faire les diagnostics. Ce n'est pas raisonnable. Le diagnostic moléculaire doit pouvoir se faire dans tout hôpital, y compris en hôpital général. C'est quelque chose d'extrêmement banal. Il y a des automates pour faire cela. Là, aussi, la leçon pour la prochaine épidémie est qu'il faut évoluer et que dans tout hôpital d'une certaine taille, on ait la capacité à faire du diagnostic moléculaire sur place. Vous rendez-vous compte qu'on recevait les prélèvements qui provenaient de Perpignan, Avignon, jusqu'à Nice ! On nous envoyait les prélèvements à Marseille pour faire le diagnostic. Il y avait le temps de transport, sans compter les prélèvements qui se perdaient, etc.

Dans le même temps à l'hôpital Nord, on avait délocalisé dans une pièce de douze mètres carrés un interne de mon laboratoire qui est à La Timone, qui faisait le diagnostic moléculaire. La technique moléculaire, qui s'adapte à toutes les épidémies, est un diagnostic de proximité. Ceci est essentiel et doit être diffusé dans tout le pays, parce que c'est simple. Ce ne sont pas de grosses machines, c'est de la technologie simple, automatisée, fiable. Il faut des contrôles, mais c'est fiable.

La diffusion des technologies actuelles doit évoluer. Le traitement différencié des urgences est un point important. Il faut localiser dans tout hôpital d'une certaine taille, un certain nombre de lits en chambre seule, capables d'être utilisés par des gens spécialisés dans la prise en charge de la contagion. Cela servira à tout le monde ; cela servira pour la grippe, pour les diarrhées, pour les bactéries multi-résistantes.

Mme Marie-Thérèse Hermange  - Cette prise en charge pourrait être effectuée par les services de médecine interne.

M. François Autain, président - Il y avait avant le service des maladies infectieuses.

M. Didier Raoult - Même si vous dites que dans un service de médecine interne, une partie est réservée aux maladies infectieuses, vous développerez de la compétence. Beaucoup de gens ne croient même pas à la contagion. Notre rapport à la contagion est compliqué car la contagion n'est pas quelque chose qu'on voie. La lutte contre la contagion est un métier, ce n'est pas la médecine interne, c'est autre chose. C'est plus simple dans la gestion, c'est moins complexe, moins compliqué. En même temps, cela nécessite une ritualisation des fonctionnements que n'aiment pas les internistes, lesquels détestent les choses répétitives, carrées et simples. La contagion, c'est simple, c'est de la rigueur, alors que la médecine interne, c'est de l'imagination. Ce ne sont pas les mêmes hommes.

M. François Autain, président - Avant de vous libérer, monsieur le professeur, je voudrais vous poser une dernière question concernant la vaccination. Vous avez répondu, mais j'aurais voulu avoir votre avis concernant la commande des 94 millions de doses. Nous avions à l'époque certaines informations. Je vous rappelle que le 5 mai, le secrétaire d'Etat américain avait déclaré publiquement que le virus H1N1 n'était pas plus virulent que celui d'une grippe saisonnière, mais nous ne savions pas s'il suffisait d'une ou de deux injections. La commande de 45 millions de traitements vous semble-t-elle proportionnée ou disproportionnée au risque, tel qu'on pouvait le connaître à l'époque ? Bien entendu, aujourd'hui, avec le recul, il est facile de dire que c'est délirant. Se replaçant dans le contexte, cela vous semble-t-il une commande déraisonnable, surtout qu'elle intervenait avant que toute stratégie vaccinale ait été élaborée ?

M. Didier Raoult - Quand j'ai vu la première partie du plan grippe basée entièrement sur les masques et le Tamiflu, j'ai été extrêmement inquiet. Je savais qu'on ne pouvait pas contrôler une pandémie avec des masques et le Tamiflu. Si elle s'était développée, on savait qu'il y avait des résistances assez faciles au Tamiflu. On n'avait jamais évalué le masque. La seule chose qui avait été évaluée avec succès est le lavage des mains. On savait que cela limitait la contagion, mais on ne savait pas ce qu'allait donner le masque car on avait très peu de données sur le sujet.

Au moment où c'est arrivé, j'ai considéré comme une bonne nouvelle que le Gouvernement fasse une commande massive de vaccins. Le chiffre de 94 millions de doses m'a paru important. Réagir contre le début d'une pandémie grippale en disant que la meilleure manière de lutter contre une maladie contagieuse est le vaccin, que cela a été le cas dans le passé, m'a paru raisonnable. J'ai pris cela comme une bonne nouvelle. Cela me paraît plus adapté que les masques.

Je prescris les masques depuis dix ans. Les gens les enlèvent, ils vont fumer, ils discutent. Quand ils rentrent à la maison, personne ne porte de masque. Il faut bien que les gens mangent. Si vous observez, vous voyez bien que la contagion se passe beaucoup plus par les mains que par les éternuements. Le masque était plutôt une réponse de jeu vidéo... on appuie... tout le monde a un masque et on arrête le virus. Ce n'est pas vrai, les humains sont compliqués. C'est la raison pour laquelle je vous disais qu'il y avait une différence formelle. Nous testons le masque depuis une dizaine d'années. C'est infernal. Je vous donne des informations de médecin de terrain.

On patche les fumeurs maintenant. Si vous ne les patchez pas, vous pouvez les mettre dans des chambres seules avec des masques. Ils sortent toute la journée pour aller fumer en bas de l'hôpital. Vous les retrouvez en bas, ils poussent le masque et ils fument. Le masque chez les fumeurs ne marche pas.

Toute mise en place de mesures est de l'ordre de la pratique. On voit les échecs au fur et à mesure. Encore une fois, les choses ne sont pas virtuelles. La médecine est compliquée. Dans la vaccination, ce qui m'a choqué, c'est plus l'organisation que la décision. On peut dire qu'on a vu trop large, mais la vaccination pour lutter contre la grippe est incontestable. Pour ce qui est de la gestion, avec une organisation dans les stades confiée aux préfets, c'est une erreur à mon sens. Se vacciner contre une maladie contagieuse est normal, raisonnable.

M. François Autain, président - Quand le vaccin arrive trop tard, comme c'est le cas, on s'aperçoit que bien peu de Français ont pu effectivement en profiter.

M. Didier Raoult - S'il y avait eu un ajustement au fur et à mesure sur ce qu'étaient les cibles réelles, il n'y aurait pas eu de problème... On s'est retrouvé avec des stocks de vaccins, y compris au début, alors que la maladie continuait à augmenter, et on n'a pas réussi à les utiliser. Une chose était imprévue : l'épidémie s'est déroulée de manière asymptomatique, beaucoup plus rapidement que ce qu'on croyait. La population a été beaucoup plus rapidement immunisée que ce qu'on pensait, ce qui explique très certainement qu'elle s'est arrêtée beaucoup plus tôt. Je crois que la vaccination était une bonne décision. Je pense que c'était la seule décision raisonnable.

M. François Autain, président - Maintenant, cela nous reste sur les bras. Ce n'est pas grave ?

M. Didier Raoult - Le gaspillage est inhérent aux crises. J'ai discuté un jour avec un très bon économiste. Il y a toujours un gaspillage dans les crises, parce qu'il y a une suractivité liée aux crises, parce qu'elles peuvent toujours être plus sévères que les premières observations le laissaient penser. Le gaspillage ne me choque pas. Je pense qu'il fallait prendre la décision de vacciner, comme le pensent tous les gens qui luttent contre les maladies contagieuses. C'est la meilleure manière de les arrêter. En revanche, dès le départ je me suis exprimé, en écrivant à l'Ordre des médecins en juin, pour dire qu'il fallait mettre les médecins généralistes dans le circuit pour la vaccination si on voulait que cela fonctionne.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, nous vous remercions infiniment pour cette intervention très enrichissante.

Audition de Mme Catherine WEIL-OLIVIER,
professeur de pédiatrie à l'université Paris VII,
membre du Comité de lutte contre la grippe
(mercredi 26 mai 2010)

M. François Autain, président - Madame Catherine Weil-Olivier, vous êtes pédiatre, membre du Comité de lutte contre la grippe. C'est à ce titre que l'on vous auditionne. Nous sommes heureux de vous accueillir et vous remercions d'avoir répondu à notre convocation.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Catherine Weil-Olivier prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Nous vous écoutons.

Mme Catherine Weil-Olivier - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de donner la parole, dans le cadre de cette commission d'enquête du Sénat, à des personnes qui ont participé de près à la lutte contre la vague pandémique A (H1N1)v 2009, et de pousser ainsi leur réflexion maintenant à l'heure des bilans.

Nous avons vécu en temps réel cette crise sanitaire nationale et la mise en application de mesures préconisées. Je vous présenterai brièvement mon cursus. Si vous m'en laissez le temps, mais vous pourrez m'interrompre à un moment ou à un autre si vous le souhaitez, je vous présenterai trois grands aspects de la pandémie. Je ferai un très bref rappel des connaissances avec le recul actuel. Je vous livrerai quelques idées sur la stratégie et la tactique, en particulier le rôle que nous avons pu avoir au sein du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) ou que nous n'avions pas à avoir.

Comme vous l'avez dit, je suis pédiatre généraliste à forte composante infectiologique. Je suis professeur de pédiatrie à la faculté de Bichat. Mon université est Paris VII. J'ai été chef de service à l'AP-HP du service de pédiatrie générale de l'hôpital Louis Mourier à Colombes dans les Hauts-de-Seine, de novembre 1995 à décembre 2005.

J'ai un intérêt ancien pour le vaccin en ayant d'abord été membre du groupe technique des anti-infectieux de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), de 1995 à 2006.

Puis j'ai été observateur et membre à part entière du Vaccine Working Party à l'Agence européenne du médicament (EMA), de fin 2006 à décembre 2009. J'ai été membre du Comité technique des vaccinations (CTV) de septembre 2002 à juin 2007. Je suis membre d'INFOVAC France depuis sa création, en janvier 2003. J'ai participé à deux groupes de travail à l'European Center for Diseases Prevention (ECDC) de Stockholm : en 2006, le groupe sur la vaccination des enfants contre la grippe et, en 2008, le groupe sur la minimisation optimale du calendrier vaccinal des enfants en Europe.

Je suis également membre observateur de l'EVAG (European Vaccination Scientific Consultation Group), qui est un groupe européen permanent sur la vaccination dépendant de l'ECDC. Enfin, j'ai été coordinatrice avec le groupe ALCIMED et deux « assesseurs » que j'avais choisis, le professeur François Denis et le professeur Pierre Van Damme, de l'étude de la politique vaccinale de la France demandée par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) dans le cadre du rapport du Sénateur Paul Blanc : « Vaccins : convaincre et innover pour mieux protéger ».

J'ai par ailleurs un intérêt ancien pour la grippe. Je pense, dès la fin des années quatre-vingt-dix, avoir certainement contribué à faire reconnaître la grippe de l'enfant dans notre pays. J'ai été membre de la cellule pandémique depuis la fin des années quatre-vingt-dix, cellule transformée en Comité de lutte contre la grippe (CLCG) depuis l'été 2008. Enfin, je suis membre du comité scientifique du GEIG qui est le Groupe d'étude et d'information sur la grippe.

A ce propos, je voudrais faire deux réflexions. Dans le cadre de ces activités, la collectivité médicale ou les autorités nous accordent le statut d'expert. Je dois dire que dans mon expérience, ce statut entraîne un certain nombre de devoirs : devoirs au sens de l'impartialité, de l'objectivité, de la rigueur, de la pondération et de l'écoute.

De même, certains m'ont attribué une représentation française à l'Europe. Cette formule leur appartient. Je me suis contentée d'essayer de montrer que la France, encore peu présente dans les instances européennes, doit être considérée comme un pays partenaire solide et qui va de l'avant.

Tout ceci m'amène à parler des liens d'intérêts. Comme vous l'avez vu, ils ont toujours été doubles : avec les autorités de santé par leurs agences, et avec l'industrie. Je crois fondamentalement à la nécessité d'un partenariat dans le domaine de la santé publique de notre pays.

Cela doit-il être considéré comme préjudiciable ? Personnellement, je ne le pense pas. Si tel était le cas, je ne l'aurais probablement pas fait. Un débat contradictoire est indispensable. La réflexion se construit en entendant toutes les parties, et je me suis déjà exprimée à ce sujet dans l'audition sur le rôle de l'expertise organisée par M. Gérard Bapt, député, président du groupe d'études « Santé et environnement ».

Dans mon domaine qui est la réflexion médico-scientifique, celle-ci est rigoureusement indépendante de toute autre considération ou décision commerciale ou politique. J'ai toujours considéré qu'il n'y avait pas collusion. De plus, la réflexion est toujours plurielle et collective.

Je n'ai à ce jour - j'en viens à la question que vous me posiez - aucun contrat de consultance avec l'industrie pharmaceutique, aucun intérêt financier de quelque nature que ce soit avec une quelconque des industries du vaccin. En revanche, je travaille avec ceux qui me le proposent, c'est-à-dire avec tous, et je les remercie de la confiance qu'ils m'accordent. Vous connaissez la clause de confidentialité : elle s'applique en permanence au statut de l'expert.

Dans certaines périodes, j'ajouterai que j'ai eu à refuser ce que l'on nomme des « Advisory boards » ou des conférences pour l'un ou l'autre des laboratoires quand je me sentais impliquée dans l'analyse d'un de leurs produits. En quoi a consisté mon travail d'expert ?

M. François Autain, président - Excusez-moi, vous parliez de vos liens d'intérêts ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Oui.

M. François Autain, président - Parce que cela ne correspond pas tout à fait à la déclaration publique d'intérêts que vous avez faite en tant que membre du Comité de lutte contre la grippe. Vous déclarez - mais peut-être est-ce obsolète - un grand nombre de liens d'intérêts avec Roche, Sanofi Pasteur, etc.

Mme Catherine Weil-Olivier - J'en viens à ce point en vous exposant en quoi consiste mon travail.

M. François Autain, président - Vous êtes toujours sur les liens d'intérêts ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Oui.

M. François Autain, président - Je croyais que vous en aviez terminé sur ce point. Poursuivez, je vous en prie.

Mme Catherine Weil-Olivier - Il s'agit de faire le point sur une maladie, une situation épidémiologique dont la prévention vaccinale existe, sous la forme de conférences ou de présentation face à une audience médicale, rarement dans le cadre d'un symposium, beaucoup plus souvent dans le cadre de congrès et de formation médicale continue. C'est l'occasion de discuter avec les médecins-vaccinateurs de terrain et c'est indispensable.

Par ailleurs, l'enseignement de la vaccinologie est extrêmement défaillant dans notre pays et ceci dès les études à la faculté. C'est regrettable et probablement dommageable. Les bonnes volontés, dont je suis, cherchent à faire reconnaître ce domaine, à éduquer et à inciter les jeunes à se passionner pour ce secteur en gardant leur sens critique.

J'ai également eu l'occasion de participer à des réunions nationales ou européennes. Je dois dire qu'écouter et partager des idées avec des collègues de haut niveau et connaître la position de nos voisins me paraissaient un préliminaire indispensable à la réflexion qui se menait en France.

En ce qui concerne les honoraires, en tant que travailleur indépendant depuis janvier 1999, avec les devoirs et les charges qui en relèvent, j'accepte des contrats ponctuels qui couvrent le temps de préparation, la présentation elle-même et, éventuellement, un texte résumé de ces contributions : ces contrats entrent dans le cadre de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social (DMOS), et les honoraires reçus varient entre 500 et 1 200 euros, exceptionnellement 1 500 euros, selon le temps consacré à la mise au point.

Est-ce que je me sens redevable de l'industrie ? Ma réponse est clairement non, en partant des bases très simples suivantes : j'ai été élevée à travailler, mais aussi dans l'idée que tout travail mérite salaire. Enfin, tout travail réglé me dégage ainsi que la personne ou le groupe qui m'ont sollicitée de tout lien de dépendance.

J'ajouterai deux points : tout essai d'influencer une position serait mal venu de part et d'autre. Je donne un avis, ensuite on l'utilise ou on ne l'utilise pas, mais je n'accepterai pas non plus qu'on me force à dire des choses que je n'ai pas envie de dire. J'ai gardé également beaucoup d'activités gratuites, essentiellement dans le cadre de la vaccination avec la semaine de vaccination, d'enseignement universitaire ou interuniversitaire, certaines actions de formation médicale continue pour des collègues. J'en ai fini, monsieur, sur cette partie.

M. François Autain, président - Travailler pour l'industrie devrait être considéré comme un privilège et un honneur. Quelqu'un qui travaille pour l'industrie n'a aucune raison de le cacher.

Mme Catherine Weil-Olivier - Non.

M. François Autain, président - Quand on vous demande vos liens d'intérêts, vous les donnez sans problème. La loi vous y oblige aussi. Le simple respect de la loi nous oblige, quand on est expert, dans un souci de transparence, à donner ces liens d'intérêts quand ils existent. Quand le législateur a voté ce texte, son souci n'était pas de stigmatiser les chercheurs qui travaillent avec les laboratoires, bien au contraire. Pour préserver le caractère des décisions qui sont prises, il était important que ceux qui sont chargés de les appliquer sachent dans quelles conditions ces décisions ou ces avis avaient été donnés. Il n'est pas inutile de connaître quand un avis est porté sur un médicament, que ceux qui l'ont porté, n'ont aucun intérêt avec l'entreprise qui fabrique ce médicament.

Je ne conteste pas du tout votre souci de faire la part des choses. Il peut arriver, involontairement ou inconsciemment, qu'on ait des difficultés à être à la fois juge et partie et qu'on mélange un peu les genres. C'est pour cette raison que le législateur a prévu que les experts soient soumis à la contrainte de publier leurs liens d'intérêts. Vous l'avez fait lorsque vous étiez à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). Vous l'avez fait une fois. Vous auriez dû le faire tous les ans, mais ce n'est pas grave. On peut oublier. C'est une contrainte. Chaque fois que vous intervenez à la radio ou lorsque vous écrivez un article, vous devez, comme la loi le prévoit, lister vos liens d'intérêts, ou dire si vous avez des liens d'intérêts ou pas. Cette contrainte n'a absolument aucune conséquence sur la probité des experts qui s'expriment.

Je sais que vous aviez été particulièrement touchée avec un de vos collègues. Je crois que c'est au Congrès de la médecine générale, le MEDEC. Vous vous étiez exprimée pour vous insurger contre ce qui apparaissait pour vous comme une remise en cause de votre statut, une immixtion injustifiée. J'ai lu cela.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'ai pas le souvenir d'être intervenue sur ce point précis au MEDEC cette année. J'ai accepté de superviser une table ronde où j'avais sollicité, entre autres, M. Daniel Floret.

M. François Autain, président - C'est une dépêche de l'Agence de presse médicale (APM), dans laquelle on relatait des déclarations que l'un de vos collègues et vous-même aviez faites à la suite d'articles excessifs parus dans la presse. Vous aviez manifesté votre irritation parce que vous pensiez que cela portait atteinte à votre probité, ce qui n'est absolument pas le cas.

Mme Catherine Weil-Olivier - Ce n'est pas le fait de faire une déclaration d'intérêts qui m'ennuie, c'est la façon dont elle est utilisée ensuite par certains médias.

M. François Autain, président - C'est un autre problème.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je déclare ma liste d'intérêts quand on me la demande et je trouve cela parfaitement légitime.

M. François Autain, président - D'accord, mais si on ne vous la demande pas, vous ne la donnez pas.

Mme Catherine Weil-Olivier - Elle m'a été demandée en 2006 à l'Agence du médicament. Elle ne m'a pas été redemandée avant septembre 2009. Si elle m'avait été demandée, j'y aurais répondu.

M. François Autain, président - Il est bien dit dans le texte que ce doit être spontané.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je l'admets.

M. François Autain, président - Tous les ans, l'expert doit renouveler sa déclaration de liens d'intérêts.

M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais rajouter que la commission considère que le fait d'avoir des liens d'intérêts n'entraîne pas obligatoirement des conflits d'intérêts.

Mme Catherine Weil-Olivier - Merci, monsieur.

M. Alain Milon, rapporteur - Jusqu'à présent, parmi les personnes que nous avons auditionnées, ni M. François Autain, ni moi-même, n'avons mis en cause leur intégrité, leur honnêteté ou leur probité.

Mme Catherine Weil-Olivier - Merci encore.

M. François Autain, président - Cela étant dit, vous pouvez commencer votre intervention liminaire.

Mme Catherine Weil-Olivier - La deuxième partie de mon exposé portera sur cette vague pandémique A (H1N1)v 2009. J'aborderai tout d'abord les connaissances. Je dirais, en pré-requis, qu'en mai 2010, elles sont chiffrables et elles sont devenues rationnelles, c'est-à-dire qu'elles ont perdu toute composante émotionnelle. Je crois que cela est très important.

Sur la vague elle-même, le phénomène a commencé en septembre, à un moment où il y a eu une co-circulation virale avec d'autres virus respiratoires. Ensuite, nous avons assisté à une amplification relativement rapide dès la semaine 38 et un pic vers les semaines 47 et 48, c'est-à-dire fin novembre. On trouvait beaucoup d'infections respiratoires aiguës et le virus prédominant était ce virus et le taux de prélèvements positifs au virus A (H1N1)v atteignait 40 % à 60 %. La période la plus intense de circulation a couvert les semaines 46 à 1 de l'année 2010, soit huit semaines. Le déclin s'est amorcé en janvier 2010.

Cette vague était presque exclusivement liée au virus A (H1N1)v, sans circulation du virus H1N1 saisonnier, moins de 1 % de virus H3N2 et un peu de virus B en fin de vague.

Il n'y a pas eu d'épidémie saisonnière concomitante, ce qui a été probablement une des surprises. Quant à l'épidémie de virus respiratoire syncytial, le VRS, elle a été retardée chez l'enfant. Elle survient habituellement comme une « horloge » à la semaine 42, dans la moitié Nord de la France. Elle est survenue avec au moins une semaine de retard.

Deuxième élément : elle a été beaucoup plus modérée et s'est terminée de façon un peu plus lente.

Les remarques sur cette vague pandémique A (H1N1)v sont les suivantes : elle est survenue de manière extrêmement précoce par rapport à la très grande majorité des épidémies saisonnières de grippe démarrant rarement en octobre.

Par ailleurs, la période ascendante de la vague a certainement été une source collective d'inquiétude car personne ne pouvait dire quand allait s'arrêter cette montée. Cette inquiétude était facilitée par les incertitudes des connaissances au moment où on les recevait et le caractère extrêmement rapide et évolutif des informations, qu'elles soient françaises, européennes, internationales. Il fallait se tenir au courant pratiquement de jour en jour.

Je pose la question : trop d'information tue-t-elle l'information ? Il a été extrêmement difficile d'avoir une information simple, recevable par la population, compréhensible par tous les corps décisionnels, parce que cette information variait dans le temps et de façon très rapide. Il y a eu ensuite un paradoxe entre l'intensité dite moyenne de cette vague et sa sévérité clinique dite relative. Le taux de reproduction, c'est-à-dire le nombre de sujets infectés à partir d'un sujet, a été situé entre 1,2 et 2. Il se situe à l'heure actuelle plutôt autour de 1,4. Il est vraisemblable qu'il faudrait affiner ces résultats par tranche d'âge, les enfants ayant vraisemblablement un taux de reproduction plus fort. On peut dire globalement, avec ce taux de reproduction, que l'intensité de cette vague est très analogue à ce qu'on a décrit pour les grippes saisonnières.

Néanmoins, je voudrais insister sur le fait que seuls les cas identifiés ont été recensés. Si, au début, on a essayé de repérer tous les cas de tous les patients qui étaient en ville, pour les conduire à l'hôpital, ensuite seules les formes graves hospitalisées ont bénéficié d'un dépistage. Tous ces cas qui pouvaient paraître modérés ou bénins en ville n'ont pas été diagnostiqués et n'ont donc pas été confirmés.

On peut donc conclure qu'il y a une sous-estimation du nombre de malades ayant peu de symptômes et une absence de prise en compte des sujets infectés non malades. On dit à l'heure actuelle que le nombre de personnes ayant contracté la grippe par infection ou par maladie, qu'elle soit bénigne ou sévère, est probablement quatre à cinq fois - certains disent trois fois - plus important.

L'importance de la sévérité clinique a quant à elle fait débat. Je considère qu'avoir plus de 1 300 formes graves, avec un patient sur cinq qui n'a aucun facteur de risque, est quelque chose qui doit alarmer. Les enfants étaient concernés, surtout les plus jeunes, ainsi que des adultes jeunes et à un âge inhabituel. Parmi ces formes graves, il y avait un sur-risque d'hospitalisation en réanimation pour les femmes enceintes et pour les sujets asthmatiques.

Trois cent trente cas peuvent paraître extrêmement faibles, mais cela représente un patient sur cinq qui avait une forme grave. Parmi les décès, un patient sur cinq n'avait aucun facteur de risque et un patient sur six était un enfant. Ceci est totalement inhabituel dans ce qu'on observe pour une grippe saisonnière. De plus, l'âge médian des décès était de l'ordre de 54 ans, alors que dans une grippe saisonnière ce sont vraiment les personnes les plus âgées qui sont touchées.

Enfin, je voudrais rappeler qu'aux Etats-Unis le nombre de décès pédiatriques a été au moins trois fois, voire quatre fois, supérieur à celui des deux années précédentes. Je crois que la notion de sévérité a existé réellement, mais qu'elle a été diluée ; je vais y revenir.

J'ai quelques commentaires à faire si vous le permettez : je ne suis pas sûre qu'il soit anodin pour un système de santé d'avoir eu autant de consultations ambulatoires et de passages aux urgences hospitalières notamment pédiatriques. Au fond, cette grippe, chiffres en main, a une forte composante respiratoire et elle apparaît comme plus sévère qu'une grippe saisonnière habituelle.

Certains réanimateurs, de confiance, ont dit d'ailleurs qu'ils n'avaient pas vu un phénomène avec une telle sévérité nécessitant le recours à des mesures réanimatoires extrêmement lourdes depuis très longtemps.

En face de cela, la perception du public a été totalement mitigée. Il y a eu un décalage entre les formes très sévères en réanimation, qui sont une réalité, et la perception du public d'une grippe anodine, voire d'une « grippette » pour certains médecins sur laquelle, je crois, il faut essayer de travailler. Je ne donnerai pas de noms, ce qui m'intéresse, c'est l'impact que cela a pu avoir sur une population qui a pu se sentir, de ce fait, en complet décalage avec un certain nombre de décisions qui avaient été prises et une certaine réalité qui avait été constatée, mais dont on n'a pas fait réellement état.

M. Alain Milon, rapporteur - Pardonnez-moi de vous interrompre. Il y a en effet un urologue député qui a parlé de cela. Le fait de ne pas avoir appuyé la campagne de vaccination sur les médecins n'a-t-il pas joué un rôle dans la confiance que la population n'a pas donné à la vaccination ?

Mme Catherine Weil-Olivier - C'est une de mes conclusions. Je pense qu'il fallait adosser un système aussi lourd que celui qui a été mis en place et qui avait été extrêmement travaillé, le plan pandémique et ses applications, au système en fonctionnement qui était celui des médecins libéraux ou des médecins hospitaliers. C'est une de mes conclusions très fortes. Je suis complètement d'accord.

M. François Autain, président - Sur ce point, il y a un consensus.

Mme Catherine Weil-Olivier - Vous avez une connaissance du sujet qui est probablement supérieure à celle de ceux qui ont travaillé quelques années dans le domaine. Vous avez une position clé.

M. François Autain, président -Vous pouvez poursuivre, madame.

Mme Catherine Weil-Olivier - Ce décalage entre des formes sévères en réanimation et la perception du public de cette grippe a été un des maillons faibles de notre communication et de notre système. Dans une société individualiste, il aurait dû être aisé de justifier l'adoption des mesures préconisées, notamment au regard de la fréquence des décès chez des sujets enfants et adultes qui ne demandaient rien à personne. Ceci a été pour moi un argument fort pour inciter mes enfants et mes petits-enfants à se faire vacciner. Avec un facteur de risque d'un sur cinq de faire une forme grave si on attrape la grippe, alors qu'on se porte bien par ailleurs, est un argument suffisant pour se faire vacciner.

Je vous rappellerai aussi ce qu'ont dit les Suédois pour motiver leur population : quand vous allez en vélo, vous mettez votre casque. Ici, c'est la même chose, vous vous protégez du risque. Je dirais que dans notre vie de tous les jours, nous sommes habitués à mettre la ceinture de sécurité, nous avons pris l'habitude de mettre les bébés dans des sièges adaptés pour les voitures. Je voudrais bien savoir quel est le risque exact encouru par un enfant qui n'a pas sa ceinture ou qui n'est pas dans son siège par rapport au risque - un sur cinq -, en cas de grippe, de faire une forme grave et d'en mourir. Je crois que nous n'avons pas utilisé les arguments percutants. C'est la non-percutance d'une communication. Il faut oser dire les choses. Je crois que nous aurions été plus performants.

M. François Autain, président - Vous avez terminé ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Je suis prête à m'interrompre à tout moment.

M. François Autain, président - J'écoute avec beaucoup d'attention.

Mme Catherine Weil-Olivier - Le virus lui-même a été sujet à controverses. J'ai lu beaucoup sur ce qui a été dit dans le cadre des entretiens des deux commissions d'enquête au Sénat et à l'Assemblée nationale. Je ne suis pas virologue mais je côtoie ceux qui sont les plus compétents en France. J'écoute beaucoup et je pense avoir beaucoup appris. Je résumerai en disant que c'est la recombinaison de différents morceaux de gènes qui était nouvelle. C'est probablement en raison de cette recombinaison de fragments de gènes et du fait qu'il y avait aussi certains gènes déjà connus de la population qui avait pu susciter une immunité, qu'on s'est retrouvé à nouveau dans un autre paradoxe : d'un côté, ceux qui disaient que c'était un virus nouveau, de l'autre, ceux qui faisaient valoir que 30 % des gens de 60 ans et plus bénéficiaient d'une forme d'immunité.

On s'est trouvé devant un double discours, une sorte de double contrainte, dont il a été extrêmement difficile de sortir et qui fait encore polémique. Il n'en reste pas moins - je voudrais juste attirer l'attention sur ce point - que si l'on reprend les données de l'Institut de veille sanitaire (InVS), la létalité, c'est-à-dire le nombre de décès par rapport aux cas identifiés, est particulièrement élevée aux deux âges « extrêmes » de la vie, les sujets de 60 ans et plus et les enfants de moins d'un an. Ce qui veut dire qu'un sujet de 60 ans avait une chance sur trois d'avoir des anticorps, mais que parmi la fraction qui n'avait pas d'anticorps, certains faisaient une grippe, et quand ils la faisaient, cette grippe était sévère et ils risquaient d'en mourir.

En conclusion de cette première partie, quelques leçons peuvent être tirées. Il y a eu des points extrêmement positifs qui sont une rapidité d'informations comme jamais nous n'en avions connue. Il suffisait d'aller sur Internet, sur les différents grands sites : on avait des données tout à fait remarquables et qui avaient été vérifiées, recueillies en temps réel en plus, ce qui était très important. On avait une évaluation de la situation de semaine en semaine. Mais, en réalité, on a eu les défauts de nos avantages : nous avions « le nez dans le guidon » en recherchant toutes ces données en temps réel, nous avons réalisé un travail acharné pour être à jour sur les connaissances qui arrivaient et nous n'avons eu aucun répit pour prendre du recul, lequel est possible seulement maintenant.

A partir de l'ensemble de ces données, tout le monde se pose quelques questions : que peut-on voir se dessiner pour l'avenir ? Je serai très prudente avant d'affirmer qu'il n'y aura pas de deuxième vague, que si elle survenait, sa gravité serait la même et que le nombre de cas serait similaire ou inférieur. Je ne le sais pas.

M. François Autain, président - Un expert m'a dit que si, à la fin du mois d'avril, il n'y a pas de deuxième vague, il n'y en aurait pas. Vous pensez qu'une deuxième vague peut survenir à tout moment ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Vous nous avez amenés à réfléchir et c'est bien. Je trouve que c'est une excellente méthode. C'est vraiment un point très positif d'avoir organisé ces rencontres. Je connais un petit peu la grippe, je connais son allure capricieuse et imprévisible. C'est un virus déroutant. Je crois que la question n'est pas d'affirmer ou d'infirmer, je crois qu'il faut se poser la question de savoir comment limiter la marge d'incertitude.

M. François Autain, président - Vous n'excluez donc pas une deuxième vague en août.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'exclus rien. Je n'exclus pas une deuxième vague, je ne peux pas dire quand elle arrivera. Je pense simplement qu'il faut réfléchir aux façons d'éviter de limiter nos connaissances. Je pense que ce point est très important.

Il faut garder un oeil sur ce qui va se passer très rapidement pendant l'hiver austral. Même si la transposition des données ne peut être que partielle, pour de nombreuses raisons, il faut garder une fraction de doute. Il n'y a pas d'esprit scientifique qui se tienne si on n'a pas un élément de doute, en sachant remettre en cause ce qu'on a dit.

J'insisterai sur un élément qui me semble avoir été défaillant dans cette période : c'est la souplesse. Il me semble qu'il faut garder une souplesse pour faire face à une évolution inattendue et imprévisible.

M. François Autain, président - Vous avez raison. Nous avons parlé de la souplesse aux directeurs de laboratoires, mais eux ne la connaissent pas. C'est la commande ferme ou pas.

M. Alain Milon, rapporteur - On voulait surtout parler d'adaptabilité des plans de lutte contre la pandémie.

Mme Catherine Weil-Olivier - C'est un point dont je voulais parler dans ma partie consacrée à la stratégie. J'ai quelques pistes de réflexion sur ce premier volet. Je pense qu'il faut préparer la population à la notion d'incertitude et de manque. La communication qui a été faite est toujours positive, mais elle a laissé de côté tout le doute et l'incertitude. Je pense qu'il faut travailler sur ces deux points. J'ajouterai l'inquiétude de la population, parce qu'elle a existé, mais elle a été laissée de côté. Il faut éduquer la population. Je pense que notre population est suffisamment mature pour recevoir non seulement une éducation mais aussi une information de qualité. Cela me paraît indispensable. Je vous vois sourire, monsieur le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Je souris parce que mon voisin me parle d'éducation thérapeutique. Comme j'ai était le rapporteur du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, nous avons beaucoup parlé de l'éducation thérapeutique, il y a un an.

Mme Catherine Weil-Olivier - Il me semble qu'il est très important d'être à l'écoute des doutes et des incertitudes parce qu'ils sont relayés par la parole publique et par les médias. Je pense qu'il faut en tenir compte. Je sais que vous avez pris en compte le point de vue d'un sociologue. Il y a eu des articles extrêmement intéressants. Je crois que la participation de l'esprit public est quelque chose d'indispensable.

M. François Autain, président - Il n'y avait que deux parties dans votre exposé.

Mme Catherine Weil-Olivier - Non, je peux continuer ?

M. François Autain, président - Vous avez une troisième partie, je vous en prie. Je vous laisse la parole.

Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai quatre parties. J'ai la stratégie et les moyens.

La stratégie s'est exprimée au travers du plan pandémique. Le premier plan a été établi dans les années 1990. Il a même été établi avant le plan de l'OMS. Il était purement médical. Il a été révisé lors du « SRAS » - syndrome respiratoire aigu sévère , et de la grippe A (H5N1) dans les années 2003-2005. Sa conception a changé. Elle a changé de façon radicale : l'aspect médical a été envisagé sous forme de fiches techniques modulables dans le temps. Cela a introduit un élément de souplesse dans le plan, dont il était aisé de faire des modifications. Nous les avons faites régulièrement jusqu'à maintenant. Le corps du plan est devenu interministériel, correspondant aux besoins d'une crise sanitaire nationale.

Le Comité de lutte contre la grippe est resté en charge des aspects médicaux du plan. Il a travaillé au fil des années sur les différentes versions, mais il avait pour rôle unique de donner des avis techniques médicaux et scientifiques en expertise collective, à l'exclusion de tout aspect économique, logistique et de communication. Nos missions étaient extrêmement claires, et ce que nous ne devions pas faire l'était aussi.

Les aspects médicaux ont fait l'objet de saisine de la direction générale de la santé (DGS) entre mai et décembre 2009, qui devaient permettre une adaptation en temps réel des nécessités qui apparaissaient. C'est un élément de souplesse sur la composante médicale. Ni les décisions ni l'application des avis n'étaient du ressort du Comité de lutte contre la grippe.

M. François Autain, président - C'était du ressort de qui ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Des échelles intermédiaires. Pour les vaccins, je le redirai, c'étaient le CTV, le Haut Conseil de la santé publique, la DGS, puis le ministère de la santé. Votre question est tout à fait pertinente, et je me suis interrogée moi-même. Je ne sais pas en réalité qui a décidé. On nous demandait un avis technique. Nous l'avons rendu. Nous avons travaillé tout l'été de façon acharnée avec plus de quarante réunions. Nos avis, ensuite, remontaient d'étape en étape, et la décision était prise sans que je puisse vous dire qui la prenait.

M. François Autain, président - C'était le comité interministériel.

Mme Catherine Weil-Olivier - Pour certaines décisions.

M. François Autain, président - Il y a le ministre quand même. Il prend des décisions.

Mme Catherine Weil-Olivier - Le ministre de la santé a certainement pris des décisions dans le registre médical.

M. François Autain, président - Vous émettez des avis qui sont suivis ou pas.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je trouve cela totalement démocratique.

M. Alain Milon, rapporteur - Une question qui n'a peut-être pas de rapport direct avec la commission. Puisque vous avez parlé de l'évolution des différentes maladies possibles, considérez-vous que le H5N1 peut être considéré comme l'auteur d'une pandémie humaine ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Le H5N1 est essentiellement une maladie zootique qui a fait des millions et des millions de morts chez les volatiles. C'est un virus qui a circulé pratiquement une dizaine d'années. Il est transmissible de l'animal à l'homme, mais la transmission d'homme à homme a été extrêmement faible.

M. François Autain, président - Mais elle a existé.

Mme Catherine Weil-Olivier - Oui, il a été décrit dans la littérature quelques cas de contamination intrafamiliale. La difficulté à transmettre le H5N1 vient du fait que les récepteurs qui l'accueillent sur les muqueuses respiratoires sont essentiellement dans le poumon profond, alors que dans une grippe saisonnière, les virus ont des récepteurs qui se situent sur la muqueuse respiratoire supérieure. Chaque fois qu'on parle, qu'on tousse, qu'on éternue, on projette le virus à l'extérieur, qui est transmis très facilement. Quand on a une maladie pulmonaire profonde, il faut avoir une charge virale très forte et un capital de toux extrêmement important pour pouvoir extraire son virus des voies profondes et le projeter vers l'extérieur. C'est une des raisons pour lesquelles on a considéré que la transmission était faible d'homme à homme pour le H5N1, en l'état actuel du virus.

M. François Autain, président - Tout peut arriver. On est bien conscient qu'on n'a pas tout vu.

Mme Catherine Weil-Olivier - La stratégie relevait du plan. Le Comité de lutte contre la grippe traitait des aspects médicaux du plan. Cette stratégie a oscillé entre deux tendances. La première tendance, probablement assez utopique, était une volonté de tout mettre en oeuvre pour freiner le plus possible et le plus vite la montée en puissance de la pandémie, c'est-à-dire le pic ascensionnel. On pouvait craindre qu'il y ait, d'une part, une diffusion large, d'autre part, que la pandémie soit sévère. On s'est aperçu que cette perspective perdait de son réalisme. On en est revenu à une prise en charge beaucoup plus individuelle, qui était de définir des groupes de population particulièrement vulnérables. Soit ils avaient des facteurs de risques, soit ils appartenaient à certaines tranches d'âge.

C'est dans cette oscillation entre une première stratégie généreuse et utopique et cette deuxième stratégie réaliste focalisée sur les groupes à risques que se sont trouvées prises l'ensemble des décisions, me semble-t-il.

M. François Autain, président - Je n'ai pas le sentiment, en lisant les comptes rendus de votre comité, que vous avez balancé entre ces deux positions. Je pense plutôt que, d'emblée, vous avez choisi la vaccination de masse.

Mme Catherine Weil-Olivier - Non.

M. François Autain, président - Je lis le compte rendu de mai-juin en réponse à la saisine du directeur de la santé du 8 juin qui vous demandait : « une recommandation de vaccination avec le vaccin dirigé contre le virus émergent pour les sujets compris entre six mois et soixante-cinq ans et ne faisant pas l'objet d'une contre-indication à la vaccination antigrippale ». Vous répondez : « Les recommandations du groupe étaient d'avoir du vaccin pour tout le monde . »

Vous ne dites pas qu'il suffisait de l'avoir et, ensuite, on était dispensé de l'administrer. Vous n'avez pas précisé s'il s'agissait de l'injecter ou simplement de le commander. Dans la première version, vous avez raison, puisqu'il a été commandé, mais si vous souhaitiez qu'il soit administré, vous n'avez pas atteint l'objectif que vous vous étiez fixé. Vous écrivez : « (...) et à défaut de vacciner certaines tranches de la population en fonction de l'efficacité estimée par la modélisation de cette stratégie sur l'évolution de la pandémie (...) ». On vient de nous dire que c'était comparable aux prévisions de Nostradamus. Je n'invente pas le terme, je l'ai entendu tout à l'heure. Là, vous ne parlez pas de groupes à risques, me semble-t-il.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je suis d'accord avec vous. Dès les mois de mai et juin, il nous a été demandé de réfléchir avec l'InVS sur une modélisation possible du calcul théorique des quantités utiles selon les tranches de population à vacciner. Vous voyez que la phrase est compliquée.

M. François Autain, président - Je pense que la DGS avait besoin de votre avis pour acheter les vaccins, puisqu'il se trouve que la lettre d'intention qui a été adressée à GSK pour la commande des 50 millions de doses est datée du 15 mai. La DGS voulait avoir un avis, elle vous l'a demandé. Une fois qu'elle a eu l'avis, elle a pris la décision d'acheter 50 millions de doses. Elle vous a suivi en l'occurrence. Je crois savoir que vous êtes favorable à la vaccination de masse.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne suis pas défavorable à une vaccination de masse, encore faut-il savoir l'organiser.

M. François Autain, président - Vous n'êtes pas défavorable, ce qui veut dire que vous n'êtes pas favorable non plus ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'y suis pas défavorable mais j'ajoute : encore faut-il savoir l'organiser. L'un ne va pas sans l'autre.

M. François Autain, président - Justement, j'allais vous demander sur quels fondements scientifiques avez-vous établi cette nécessité de vaccination de masse ? Un de vos collègues que nous avons auditionné, M. Antoine Flahault pour ne pas le nommer, dit que la vaccination de masse est l'aventure. Peut-être avez-vous le goût de l'aventure, mais enfin il serait intéressant de nous expliquer pourquoi, pour vous, la vaccination de masse n'est pas du tout une aventure, puisqu'elle est fondée sur des données scientifiques. Je suis prêt à les entendre. Cela nous aiderait beaucoup.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je vais vous redire qu'il nous a été demandé un exercice de modélisation en mai-juin du calcul théorique...

M. François Autain, président - Je parle du mois de mai.

Mme Catherine Weil-Olivier - J'en suis là.

M. François Autain, président - Vous dites : « Les recommandations du groupe étaient d'avoir du vaccin pour toute la population . » C'est écrit. Il y a peut-être eu une trahison de ce que vous pensiez.

Mme Catherine Weil-Olivier - Il a été réutilisé un terme qui, malheureusement, est un peu galvaudé, qui est la notion d'éthique. Nous étions tous d'accord pour considérer que tout individu qui le souhaitait dans la population méritait d'être vacciné. A ce titre, il fallait pouvoir mettre à disposition suffisamment de doses pour répondre à cette demande.

Dans ce calcul de modélisation, il a été établi et fait des hypothèses. La modélisation conduit à faire des hypothèses. Cela ne dit pas qu'on détient une vérité.

M. François Autain, président - Ces modélisations sont de plus en plus critiquées, non seulement pour la grippe mais pour le réchauffement climatique.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne suis pas modélisatrice, je suis clinicienne. J'essaie d'écouter des personnes qui me paraissent suffisamment sensées dans le domaine de la modélisation. Il est difficile, quand on n'a pas été formé à la modélisation de se prononcer. Je dois dire que c'est un des problèmes que l'on rencontre de plus en plus en santé publique : la question de la modélisation. Jusqu'où peut-on la faire aller ? Quel modèle prend-on ? Quelles hypothèses retient-on dès le départ ? Si on se trompe de modèle, le modèle donne des résultats inexacts.

M. Alain Milon, rapporteur - D'où la nécessité, encore une fois, de se pencher et d'écouter le terrain au fur et à mesure qu'on avance dans le cadre des modélisations et de l'adaptabilité de chaque plan qu'on peut mettre en place.

M. François Autain, président - Si j'ai bien compris, cette recommandation repose beaucoup plus sur des raisons éthiques que sur des raisons sanitaires ou scientifiques.

Mme Catherine Weil-Olivier - Celle-ci, oui.

M. François Autain, président - Je voulais savoir. Là, l'échec est total.

Mme Catherine Weil-Olivier - De façon objective, quand on a vu arriver la pandémie au mois de septembre et que les AMM des vaccins commençaient à peiner à être accordées, fin septembre, on savait déjà qu'on serait pris de vitesse.

M. François Autain, président - Ils étaient déjà achetés.

Mme Catherine Weil-Olivier - C'est tout le problème de l'anticipation d'une décision face à un phénomène dont on ne connaît pas l'ampleur. Je reconnais que pour les politiques, dont je ne suis pas non plus, c'était très difficile. Je crois vraiment qu'on ne peut pas mettre cela à leur charge, parce qu'il fallait prendre certaines décisions. A l'époque où les décisions devaient être prises, c'est-à-dire juste avant l'été, on ne savait pas du tout si cette pandémie arriverait chez nous, ni quand, ni quelle serait son ampleur, ni quelle serait sa sévérité. Quand elle est arrivée, les décisions avaient déjà été prises. Le problème est l'adaptation des décisions aux réalités du moment.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est aussi une des questions qu'on peut se poser dans la mesure où on a vu le vaccin arriver pratiquement après le début de l'épidémie. N'aurait-il pas été utile, à ce moment-là, de réorienter les vaccinations vers les populations à risques, face à ce virus ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Cela a été fait. En juillet et août, nous avons, sur saisine, défini des groupes à risques. J'ai des souvenirs très précis de l'été 2009 : en juillet et en août, nous avons passé beaucoup de temps à définir les groupes à risques. Nous avons d'abord identifié toutes les catégories qui nous paraissaient raisonnables. Nous en avions seize. On nous a demandé de les regrouper. Nous avons fini avec cinq catégories. La priorité des priorités concernait les professionnels de santé. Ensuite, nous avons mis les femmes enceintes, les nourrissons les plus jeunes, pour les nourrissons qui ne pouvaient pas être protégés, l'entourage, les groupes à risques.

Il m'a semblé que cette partie-là était relativement simple à suivre. Elle était très structurée.

M. François Autain, président - On a auditionné, comme vous l'avez fait remarquer tout à l'heure, un sociologue. Il nous a dit que si le problème était de vacciner tous ceux qui voulaient se faire vacciner, il n'était pas nécessaire de commander autant de vaccins, puisqu'il avait la certitude d'un pourcentage relativement faible, qui n'a rien à voir avec le pourcentage adopté par le Gouvernement, près de 75 %, sinon plus, de la population. Lui avait des chiffres bien inférieurs. Il n'était pas nécessaire de commander autant de vaccins s'il s'agissait de satisfaire à des exigences éthiques puisqu'on savait, peut-être pas à cette époque, mais dès les mois de juin-juillet, que les Français ne souhaitaient pas se faire vacciner en majorité.

Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai été très intéressée par les travaux de M. Michel Setbon et de M. Jean-Paul Moatti.

M. François Autain, président - C'est cela, je fais allusion aux travaux de M. Michel Setbon.

Mme Catherine Weil-Olivier - M. Jean-Paul Moatti a également publié un article très récent qui va dans le même sens, même s'il ne donne pas tout à fait les mêmes chiffres. Personnellement, je suis très intéressée par ces résultats, mais ils arrivent maintenant et a posteriori. Au mois de juin, quand le travail de M. Michel Setbon a été fait, nous n'avons pas été mis au courant. On ne nous en a pas parlé. Je n'en ai pas vu les données.

M. François Autain, président - C'est vrai.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je le regrette. Je voudrais ajouter l'idée que faire les constats maintenant, c'est déjà extrêmement bien, mais il faut probablement réfléchir à ce que ces constats puissent être aussi faits en temps réel. En même temps qu'il arrive des informations épidémiologiques sur la nature du virus, sur l'allure clinique, sur les volumes des formes sévères, sur les cas en réanimation, je trouverais tout à fait légitime que les instances qui doivent donner des avis ou prendre des décisions soient totalement au courant de cela. Nous n'étions pas, dans notre groupe, au courant de ce qui se passait dans la population et du risque de refus de la vaccination.

M. François Autain, président - Comme vous le disiez tout à l'heure, « la tête dans le guidon ».

Mme Catherine Weil-Olivier - Nous avions la tête dans le guidon, mais on nous aurait apporté cette information, elle aurait été utile.

M. François Autain, président - C'est un manque de coordination.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je pense que beaucoup de personnes s'expriment maintenant qui auraient pu s'exprimer en temps réel, mais je dois dire aussi que, du côté des personnes qu'on appelle experts, elles fonctionnent - j'en suis - sur le mode de la réserve. Au fond, nous sommes tenus à un droit de réserve. Je fais partie d'un comité. Je ne veux pas m'exprimer au nom de ce comité, sauf si on m'en donne le mandat.

M. François Autain, président - Ils se sont exprimés. Tous les membres de ce groupe ne considèrent pas leurs fonctions comme vous les considérez.

Nous vous avons interrompue, mais nous ne voulons pas vous empêcher de dire ce que vous voulez dire.

Mme Catherine Weil-Olivier - Sur cette partie-là, avec cette stratégie qui a changé d'objectif, les messages de communication ont été très complexes. Ils ont pu paraître contradictoires, ce qui a certainement gêné dans ce contexte paradoxal opposant, d'une part, le public qui jugeait cette grippe relativement anodine, et d'autre part, l'allure de la vague pandémique qui avait des vrais caractères de sévérité authentiques et authentifiés. Je crois vraiment qu'il va falloir réfléchir aussi à la nature des messages, à leur contenu et à leur présentation. Je serais plutôt favorable pour « annoncer la couleur » plus tôt, en temps réel et avec réalisme, ce qui ne veut pas dire inquiéter. Les Néerlandais avec qui j'ai eu l'occasion d'en parler m'ont dit qu'ils avaient changé leur stratégie de communication en cours de route. Ils s'étaient rendu compte que partant d'une communication positive, lénifiante, il fallait mettre les gens devant la réalité. A partir de ce moment-là, ils ont réussi à vacciner.

Je signale au passage que les Néerlandais - 17 millions d'habitants - avaient acheté 34 millions de doses. Ensuite, ils sont aussi revenus vers une vaccination des groupes à risques, mais ils l'ont nettement mieux réussi que nous.

J'ai beaucoup de considération pour la médecine qui peut se faire en Europe centrale ou en Europe de l'Est, mais je crois néanmoins que les composantes des systèmes de santé ne sont pas comparables.

M. François Autain, président - Ce n'est pas comparable. Je ne pense pas qu'il y ait plus de létalité.

Mme Catherine Weil-Olivier - Oui, on peut poser la question comme cela. On pourrait aussi considérer que définir la létalité comme la mortalité suppose un système de surveillance et un système virologique efficace, puisqu'il faut vérifier que le décès est bien rattaché à la grippe. Je ne peux pas vous donner d'éléments sur le réseau de surveillance en Pologne.

M. François Autain, président - Si on se revoit la semaine prochaine, je pourrais vous donner des informations puisque nous y allons demain.

Mme Catherine Weil-Olivier - Mon dernier volet concernait les moyens et la logistique, ce que j'ai appelé la tactique. Je ne parlerai pas du lavage des mains, bien que je considère que ce soit une mesure importante. Je signalerai d'ailleurs que l'INPES, l'Institut national pour l'éducation à la santé, a fait des films qui ont été largement diffusés dans les aéroports et les gares, qui étaient des messages d'excellente qualité. Il y a eu une véritable action que j'ai trouvée très positive, qui était anticipée et qui devrait être gardée.

M. François Autain, président - Nous sommes d'accord.

Mme Catherine Weil-Olivier - Le Comité de lutte contre la grippe a eu à se prononcer sur trois moyens reconnus, comme pouvant intervenir dans la réduction de la masse infectieuse : les mesures barrières, les antiviraux et les vaccins. Entre fin avril et décembre 2009, cela vous a déjà été dit, nous avons eu quarante réunions téléphoniques et de visu avec l'établissement de comptes rendus. S'il le fallait, le dimanche. Notre règlement intérieur prévoit que les avis ne sont pas rendus publics, comme ceux du CTV. Cela fait partie des interrogations. Cela ne me dérangerait pas du tout que nos comptes rendus soient publics. Je trouverais cela très bien ; cela montrerait le travail réalisé, les éléments de réflexion, la façon dont les idées avancent et comment on retient une décision. J'y suis très favorable car je pense que cela contribuerait à la transparence.

M. François Autain, président - Les avis du Comité technique des vaccinations à travers les avis du HCSP sont rendus publics, une partie en tout cas.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je rappellerai qu'aux Etats-Unis, l'instance équivalente du CTV qui est l'ACIP, American Committee for Immunization Practice, donne des avis qui sont publics.

M. François Autain, président - En Angleterre aussi. Il n'y a pas de raison qu'on ne le fasse pas en France. Je suis d'accord.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je trouve que ce serait un progrès. Pour les masques, le CLCG a été interrogé pour savoir si les masques chirurgicaux étaient moins efficaces que les FFP2, si la durée de protection était la même ou différente, s'il y avait une indication préférentielle pour tel ou tel adulte. Il a été abordé le cas des enfants qui finalement n'avaient pas de masque adapté à leur visage. On savait pertinemment qu'ils ne garderaient pas le masque toute la journée. En revanche, nous n'avons pas été consultés sur le volume acheté, le stockage, la distribution ni le coût. On sait que des quantités de masques importantes ont été achetées.

M. François Autain, président - Oui, 1,7 milliard de masques ! Plus que de vaccins.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'en ai pas vu dans la rue.

M. François Autain, président - Nous non plus.

Mme Catherine Weil-Olivier - Concernant les antiviraux, les fonctions du groupe étaient de suivre la résistance. Nous avons des virologues, ils ont des centres de référence. Ils suivaient cela au plus près. Elément rassurant : 2 % des souches ont été résistantes. Quelques observations éparses chez des immunodéprimés ont été rapportées, mais extrêmement peu de cas groupés. Un cas très récemment vient de paraître chez un enfant qui a fait une forme très sévère. Le contaminateur était probablement son frère qui lui a fait une forme anodine et le virus était résistant.

Je voudrais insister sur l'idée que les INA - inhibiteur de neuraminidase - s'inscrivent dans la prise en charge globale du patient. Je rappellerai que nous avons beaucoup insisté sur la prise en charge ambulatoire du patient pour essayer d'interrompre ce circuit très lourd mis en place initialement dans lequel un malade appelait le SAMU, était véhiculé vers l'hôpital, comme s'il était pestiféré, était isolé et considéré comme tel.

La décision qui a finalement été entérinée de passer en ambulatoire a été décalée de quelques semaines. Dans ces courroies de transmission multiples, je pense qu'il y a un phénomène qui rend parfois obsolète nos avis. Il faudrait un temps plus court entre le moment où l'avis est rendu et où la décision opérationnelle est prise.

M. Alain Milon, rapporteur, Si je peux vous interrompre, dans tout ce que vous dites, on voit bien qu'on a appliqué un plan qui avait été élaboré pour faire face à une probable ou une supposée pandémie H5N1. La question que je me pose depuis le départ est la suivante : la définition donnée par l'OMS de la pandémie doit-elle être générale ? Doit-on plutôt réfléchir à la mise en place de différents plans en fonction de la gravité de la pandémie ou d'un seul plan ?

Les avis que vous donnez mettent un temps fou pour remonter jusqu'au ministre.

Mme Catherine Weil-Olivier - Ce n'est pas l'avis qui met du temps, mais la décision sur l'avis qui a été donné. La décision a parfois mis entre deux et quatre semaines. Je vois trois exemples : le passage à une prise en charge en médecine ambulatoire, l'élargissement des prescriptions d'antiviraux - on a beaucoup de données dans la littérature à l'heure actuelle qui disent que donner des antiviraux vite diminue les formes graves et la mortalité, notamment chez les femmes enceintes -, et le passage à une injection unique au lieu de deux doses.

A chaque fois, la décision a été décalée, de deux semaines dans un cas, de quatre semaines dans l'autre, voire six semaines dans le troisième. Je pense que cette lenteur d'application a été un des soucis majeurs de notre stratégie.

J'entends bien votre question. Elle est absolument pertinente. Je ne suis pas sûre que ce soit à moi de la résoudre car, comme je vous l'ai dit, le plan était interministériel et a été établi à ce niveau. C'est à ce niveau qu'il faut discuter de l'assouplissement ou de la pondération.

M. Alain Milon, rapporteur - Pour revenir sur les antiviraux et sur le Tamiflu, si vous avez des études, nous souhaiterions les avoir car nous n'avons par réussi à les obtenir jusqu'à présent. En Angleterre, où nous sommes allés il y a quelques jours, il avait été mis en place un système téléphonique avec au bout du fil des gens qui, avec un questionnaire précis, autorisaient ou non le malade à aller chercher directement du Tamiflu chez le pharmacien pour se soigner directement. Cette solution vous semble-t-elle être réalisable au niveau français ?

Mme Catherine Weil-Olivier - Je vais faire une analogie avec certaines politiques de vaccination. Les Finlandais utilisent les centres de santé et des infirmières qualifiées qui font la vaccination. Vous savez bien que la France est restée dans un système très différent, dans lequel le médecin est responsable de son acte de vaccination. Il engage sa responsabilité en le faisant. Néanmoins, il y a quelques cas d'espèce, notamment pour la grippe : une deuxième ou énième vaccination peut être faite par une infirmière. Il a été autorisé qu'une sage-femme fasse une vaccination en période néonatale pour favoriser des couvertures vaccinales déficientes. Nous allons lentement vers une libéralisation de l'acte de vaccination. Les Pays-Bas ont les centres appelés « well-baby clinics », dans lesquels la vaccination est faite. Il doit y avoir quelques médecins dans ces centres, mais la vaccination est assurée aussi par des infirmières.

L'analogie que je fais pour la vaccination est de se passer pratiquement du médecin pour faire un diagnostic. Le patient téléphone et quelqu'un qui n'est pas médecin reçoit son appel, coche et délivre le médicament. Je pense que dans une situation vraiment de crise sanitaire, où on aurait besoin de répartir toutes les ressources, cela peut être utilisé. Je le vois difficilement appliqué dans une période où la vague pandémique n'avait pas de caractère menaçant aigu en termes de volume, en particulier. Je pense que ce serait plus difficile dans notre pays.

En ce qui concerne les INA, on en a très peu utilisé pour les très jeunes enfants. Vous savez qu'il y a eu une autorisation de mise sur le marché exceptionnelle pour l'utilisation chez les enfants de moins d'un an, en période pandémique, en curatif. Je n'ai pas vu de données. En revanche, la littérature scientifique fait état d'une réduction des formes graves et des décès chez les femmes enceintes. Je peux vous citer l'exemple de l'Argentine par comparaison avec le Chili.

Pendant l'été 2009, le Chili a utilisé les antiviraux. Une mortalité extrêmement faible a été enregistrée dans ce pays. L'Argentine n'a pas utilisé d'emblée les antiviraux. On a un avant et un après. A partir du moment où ils ont utilisé les antiviraux, ils ont vu leur mortalité chuter. C'était vraiment très remarquable. La chance a été de notre côté. Le virus était extrêmement peu résistant.

Les décisions sur les antiviraux ont été prises à la suite d'une réflexion sur le rapport bénéfice/risque d'une telle mesure. Le bénéfice attendu était de limiter ou d'éviter les formes graves ; le risque étant double : celui de ne pas donner le médicament en cas de maladie sérieuse et le risque inhérent au médicament (tolérance et résistance).

M. François Autain, président - Avez-vous des liens d'intérêts avec Roche ?

Mme Catherine Weil-Olivier - J'ai participé à une conférence téléphonique sur le bon usage des antiviraux. Je devrais participer à un groupe sur la pharmacocinétique du tout-petit. Avec un peu d'humour, je vous dirais que j'ai des intérêts familiaux parce que j'ai donné des antiviraux à mes petits-enfants quand ils avaient un syndrome grippal. Cela a été remarquablement efficace.

M. François Autain, président - Je ne parle pas de ce genre de liens d'intérêts.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je n'ai rien à ajouter sur les antiviraux. Je dirais simplement qu'à ma grande surprise, lorsque j'ai analysé les documents de l'AFSSAPS, j'ai vu que 1,12 million de traitements d'oseltamivir Tamiflu et 400 000 traitements d'oseltamivir PG avaient été distribués, soit sept fois plus qu'en période de grippe saisonnière. Il est dit qu'en période de grippe saisonnière, 200 000 boîtes environ sont distribuées.

Je me suis moins interrogée sur les événements indésirables parce qu'apparemment ils sont décrits comme tout à fait classiques dans le rapport de pharmacovigilance réalisé par l'AFSSAPS. Je me suis interrogée sur deux choses. Premièrement, je ne m'attendais pas à ce qu'autant de patients aient pris du Tamiflu, - cela a peut-être été un élément de frein à la diffusion du virus A (H1N1)v et à la survenue de formes graves, ce qui n'est pas absolument exclu -, deuxièmement, sur le fait que des stocks notables avaient été constitués.

M. François Autain, président - Ils n'en ont pas pris suffisamment pour épuiser les stocks.

Mme Catherine Weil-Olivier - Je ne sais pas si vous avez d'autres questions sur les antiviraux.

Je peux vous parler des vaccins si vous le voulez. Nous avons fait un long travail préparatoire avec les vaccins H5N1. Nous avions eu des réunions avec les laboratoires pour connaître le degré d'avancement de leurs recherches. Je rappellerai aussi que le Comité de lutte contre la grippe, pour les réflexions sur les vaccins, a été considéré comme un groupe de travail du CTV. Toutes nos réunions ont été faites en présence d'au moins un représentant du CTV et d'au moins un représentant du Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - Oui, parce qu'il y a des membres de droit.

Mme Catherine Weil-Olivier - Ils étaient là et ils ont été au courant de nos réflexions et de nos discussions. Il y a eu des auditions de laboratoires à plusieurs reprises. Je n'ai pas assisté à toutes parce que je n'étais pas dans le sous-groupe qui s'occupait des vaccins.

Le Comité de lutte contre la grippe n'a pas eu à se positionner sur les choix de l'agence européenne des médicaments (EMA) de fonder ses décisions sur les dossiers « mock-up » ou prototypes, ni sur les critères retenus pour l'AMM, les études cliniques préliminaires, la préparation en multidoses ou en monodoses, la décision de rester à deux doses - ce qui a été la recommandation à partir de fin novembre. Il n'a pas non plus été consulté sur le volume de doses à acheter et leur répartition entre les industriels, et la négociation des prix.

Une fois de plus, nos avis ont été purement techniques. En revanche, nous avons été informés des conditions de la campagne : son organisation sous l'autorité du ministère de l'intérieur, la gestion départementale par les préfets, le mode de fonctionnement des centres de vaccination et le travail accompli par la Sécurité sociale pour adresser les bons de vaccination.

En mai-juin, on nous a demandé de réfléchir à une modélisation possible du calcul théorique des quantités utiles de vaccins selon les tranches de populations à vacciner. Vous reconnaîtrez que c'était un pari particulièrement difficile. Nous avons fait un certain nombre d'hypothèses. En juillet et août, nous avons défini des groupes à risques. Les données relatives à l'hémisphère Sud commençaient à arriver. Les informations actuelles nous laissent entendre que les groupes à risques, tels qu'ils avaient été définis, étaient finalement raisonnables. Ils ont été validés par les données épidémiologiques françaises ou internationales.

A la fin septembre, les premières AMM sont accordées. Toute l'organisation et la logistique de la campagne, le rôle des médecins libéraux et la communication autour de celle-ci sont restées indépendantes du Comité de lutte contre la grippe. Je signalerai une fois de plus la qualité de la pharmacovigilance appliquée pour les vaccins : toute personne dans le public qui sentait avoir vécu quelque chose dans le recours de la vaccination pouvait trouver un numéro de téléphone à l'AFSSAPS et rapporter l'événement.

Je vais aller assez vite sur un certain nombre de commentaires en tant que membre, mais aussi en tant qu'utilisatrice.

M. François Autain, président - Oui, car nous approchons du terme.

Mme Catherine Weil-Olivier - Vu de mon petit point de vue, le fonctionnement des agences de sécurité sanitaire, s'est avéré opérationnel, ce qui était extrêmement positif.

Le Comité de lutte contre la grippe, a certainement été utile. Il s'est donné en tout cas les moyens de l'être en travaillant de façon acharnée et sans relâche pendant l'été. Il ne représente cependant qu'une partie modeste d'un vaste ensemble. Nous avons bénéficié, grâce aux médias, d'une certaine « visibilité ». Il est probable que beaucoup d'autres structures décisionnelles mériteraient sans doute une place équivalente. Le public n'a pas eu connaissance de ces rouages multiples et complexes. La vision est celle d'un système très complet, très structuré, très lourd, dont c'était une première mise en route et qui a pu donner l'impression d'une machine peu maniable et qui a été difficile à freiner.

M. François Autain, président - De l'extérieur, on n'a pas le sentiment que le Gouvernement a manifesté beaucoup de volonté à freiner cette machine.

Mme Catherine Weil-Olivier - Il m'est très difficile de vous répondre car je n'ai pas de lien avec le Gouvernement.

M. François Autain, président - C'est difficile à freiner, mais a-t-on essayé de freiner ? C'est la question que je me pose.

Mme Catherine Weil-Olivier - La question est ouverte. Elle est intéressante. Ce qui me paraît très utile c'est d'essayer d'évaluer le bénéfice apporté par les mesures prises. Pour cela, il faudra comparer ce qui est comparable. On l'a évoqué pour les pays de l'Est par rapport à l'Europe de l'Ouest. Il faut attendre les données de nos voisins, en essayant de récupérer le maximum d'informations et en évitant toute analyse polémique.

En conclusion, je crois qu'une prévention est rarement reconnue à sa juste valeur puisque la faible apparition du phénomène infectieux contre lequel les moyens ont été engagés fait apparaître ceux-ci comme disproportionnés. Personnellement, je n'exclus pas que le lavage des mains, l'usage même limité des antiviraux, mais probablement à bon escient par des médecins qui ont du bon sens, et l'usage même partiel de la vaccination, plus la masse des patients qui ont été infectés mais non malades, aient contribué à circonscrire cette vague infectieuse.

M. François Autain, président - Pour la vaccination, il faut que vous m'expliquiez. On l'a commencée le 25 novembre.

Mme Catherine Weil-Olivier - Non, on l'a commencé pour les professionnels de santé fin octobre.

M. François Autain, président - Je les mets de côté. Je parle de la population. On a commencé à la mi-novembre.

Mme Catherine Weil-Olivier - Elle a été proposée à la fin de la première quinzaine de novembre. J'ai un facteur de risques, j'ai été vaccinée le 15 novembre. Je n'ai pas tardé.

M. François Autain, président - Le professeur Bruno Lina que nous avons auditionné était très sceptique sur la protection individuelle qu'avait pu apporter cette vaccination face à la grippe A (H1N1)v, compte tenu du fait qu'elle était intervenue tardivement. Il était très réservé.

Mme Catherine Weil-Olivier - On peut se poser la question. Il ne me paraît pas déraisonnable d'envisager que, même débutée dans le courant du mois de novembre de façon un peu plus active, en particulier au moment où la grippe était ascendante, elle ait pu avoir un bénéfice. Cela a été un des facteurs. Ce n'est certainement pas un facteur prédominant.

M. François Autain, président - Quelqu'un vacciné le 15 novembre sera immunisé six semaines après. Cela fait fin décembre. Ce qui est tard.

Mme Catherine Weil-Olivier - Ce qui se passe dans la « vraie vie » n'est pas ce qui est observé dans un protocole randomisé, contrôlé, réalisé en double aveugle. On est toujours obligé de pondérer toutes les considérations théoriques qu'on peut avoir, les modélisations, les grands principes. Il faut les adapter en permanence à la vie de tous les jours.

Concernant les commentaires d'usagers du système de vaccination, je vous les ai dites : j'ai eu la chance d'avoir un centre de vaccination qui était bien organisé, qui fonctionnait. Il y a eu du monde. Je suis venue deux jours de suite, mais j'ai réussi à faire vacciner tous mes petits-enfants. Ils avaient reçu leurs bons. Je reconnais que je ne suis pas représentative, parce que je connaissais le contenu de la seringue, sa qualité et son efficacité. J'étais plutôt favorable. J'étais rassurée. Je n'ai pas eu d'éléments d'inquiétudes.

M. François Autain, président - Il y a eu plus de petits enfants non vaccinés que vaccinés. On peut le dire.

Mme Catherine Weil-Olivier - En tant que citoyenne, j'ai été frappée par l'agressivité des informations contre les vaccins qui dépassait tout bon sens, le désordre des communications, le flou et le flottement publics. Ceci doit aussi être une de nos leçons.

Je terminerai par quelques réflexions qui sont les suivantes : faire évoluer la communication, écouter la population, adosser le système de gestion des crises sanitaires aux structures déjà existantes, aux professionnels de santé déjà en place, anticiper et se préparer à de nouveaux phénomènes analogues ou différents à annoncer et à expliquer dans le calme.

M. François Autain, président - Je vous remercie, madame, de cette intervention. Nous allons pouvoir terminer cette audition, puisque j'ai pu vous poser toutes les questions que j'avais à vous poser. Je vous remercie infiniment de vous être livrée à cet exercice avec beaucoup de patience et de pédagogie.

Audition de Mme Marianne FLEURY, médecin urgentiste
et de M. Olivier PATEY, médecin infectiologue,
chef du service des maladies infectieuses et tropicales
du Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges,
membres du Comité de lutte contre la grippe
(mercredi 2 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui Mme Marianne Fleury, médecin urgentiste et M. Olivier Patey, médecin infectiologue, chef de service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, membres du Comité de lutte contre la grippe (CLCG).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Marianne Fleury et M. Olivier Patey prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

Mme Marianne Fleury - Je n'ai aucun lien d'intérêts.

M. Olivier Patey - Je n'ai aucun lien direct mais j'en dirai un mot.

Je suis, depuis de nombreuses années, avec mes autres collègues, à l'origine de l'organisation de colloques scientifiques à l'Institut Pasteur, pour lesquels il y a un soutien occasionnel de quelques laboratoires mais sans aucune intervention de leur part, ni sur le programme, ni sur les intervenants. J'y reviendrai tout à l'heure en détail.

M. François Autain, président - Avant que je vous pose les questions que le rapporteur aurait souhaité vous poser, vous avez la possibilité de faire une déclaration liminaire.

Vous avez la parole.

Mme Marianne Fleury - Je suis médecin spécialiste en anesthésie réanimation et praticien hospitalier au SAMU de Seine-Saint-Denis, rattaché à l'hôpital Avicenne de Bobigny.

Quelle est la relation entre la médecine d'urgence et les maladies infectieuses ? Au quotidien, l'exercice de la médecine d'urgence nous impose de respecter rigoureusement des mesures d'hygiène et de protection des personnels car nous n'avons en général pas ou peu d'informations sur le statut infectieux des patients.

Les SAMU sont par ailleurs maintenant mobilisés en cas de crise sanitaire, on l'a vu avec le SRAS - syndrome respiratoire aigu sévère - et plus récemment encore.

En outre, en mars 2003, j'ai été nommée chef de l'équipe médicale des SAMU, missionnée avec le docteur Jean-Claude Manuguerra, virologue à l'Institut Pasteur de Paris, par le Gouvernement français pour aider à la prise en charge des patients atteints de SRAS à l'hôpital français d'Hanoï.

Nous avons été confrontés là à une maladie infectieuse. Les mesures d'isolement, le renforcement des mesures d'hygiène et de protection des personnels ont été simples, instaurées de façon empirique avant que le virus ne soit identifié. Elles ont été rapidement efficaces, le Vietnam ayant été le premier pays à avoir jugulé l'épidémie de SRAS.

Je suis membre, depuis 2004, du Comité local de lutte contre les infections nosocomiales à l'hôpital Avicenne et, depuis 2005, de la cellule de lutte contre la grippe, devenue Comité de lutte contre la grippe en 2008.

J'ai participé à la préparation de formateurs des établissements de santé publics et privés de Seine-Saint-Denis dans le cadre du plan de lutte contre la pandémie grippale ainsi qu'aux réunions relatives à la grippe organisées par les instances départementales et l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Enfin, j'ai collaboré à l'élaboration de l'annexe « Pandémie grippale » de l'hôpital Avicenne de Bobigny.

M. Olivier Patey - Pour ma part, je suis infectiologue et chef du service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges, rattaché au CHU Henri Mondor de Créteil, depuis 1998.

J'ai une formation de bactériologie et de virologie systématique à l'Institut Pasteur et je suis titulaire d'un diplôme d'études approfondies de santé publique, obtenu à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière auprès du professeur Marc Gentilini.

J'ai été membre de la Ligue française pour la prévention des maladies infectieuses et je participe aussi aux travaux du groupe d'études épidémiologiques et prophylactiques.

Comme je le disais, j'ai été à l'origine, dans le cadre Groupe d'études épidémiologiques et prophylactiques (GEEP), en association avec la Ligue française pour la prévention des maladies Infectieuses (LFPMI) et l'Institut Pasteur, de nombreux colloques sur le contrôle épidémiologique des maladies infectieuses.

Ces dernières années, de grands sujets de santé publique y ont été abordés : climatologie et maladies infectieuses, zoonose, immunité naturelle et vaccinale en France, maladies infectieuses et évolutions des sociétés humaines, morbidité et mortalité des maladies infectieuses à l'aube du XXI e siècle, la veille épidémiologique nationale et internationale, les infections transmises par voie aérienne et les enjeux sanitaires des flux migratoires.

Les industries pharmaceutiques ont pu occasionnellement apporter un soutien financier à l'organisation de ces colloques. Il n'y eut cependant aucun intérêt financier direct ni aucune influence de leur part sur l'organisation ou les programmes qui étaient établis de manière totalement indépendante, avec un comité scientifique incluant des membres de l'Institut Pasteur, de l'Institut de veille sanitaire (InVS), du Service de santé des armées. Ces colloques étaient parrainés et financés par des structures publiques, comme la DGS et l'InVS.

Ceci explique l'absence de notification de ces événements dans ma déclaration publique d'intérêts (DPI). On nous a en effet remis rapidement des formulaires destinés aux membres du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sans beaucoup d'explications.

M. François Autain, président - Quand ces documents vous ont-ils été remis pour vous permettre de déposer une déclaration publique de liens d'intérêts ?

M. Olivier Patey - En octobre-novembre 2009, je crois.

M. François Autain, président - Auparavant, vous n'aviez jamais entendu parler de problèmes concernant les liens d'intérêts ? On ne vous avait jamais demandé d'indiquer si vous aviez ou non des liens d'intérêts ?

Mme Marianne Fleury - J'ai rempli deux fois un formulaire qui ne comportait pas les mêmes questions, lorsque j'ai été amenée à participer à des groupes de travail au sein du HCSP.

M. François Autain, président - Au titre du HCSP et non au titre du CLCG ?

Mme Marianne Fleury - En effet.

M. François Autain, président - Pour ce qui est du CLCG, tout comme votre collègue, vous n'avez rien eu avant novembre 2009 ?

Mme Marianne Fleury - Je n'ai plus la date exacte en tête mais c'était en 2009.

M. François Autain, président - Alors que la législation s'applique depuis 2002 ! Il est vrai que le CLCG n'a été créé que par un décret en date du 25 juillet 2008. On ne peut donc vous demander de l'avoir appliquée avant - même s'il existait une structure préfigurant le CLCG.

M. Olivier Patey - Même si ce document aurait dû être rempli de façon plus complète, je pense qu'une certaine homogénéisation et une note explicative auraient été souhaitables.

J'ai reçu, il y a peu, une invitation aux deuxièmes rencontres parlementaires sur les vaccins consacrées à la pandémie, l'ensemble des laboratoires pharmaceutiques impliqués dans la grippe ont été sollicités.

M. François Autain, président - J'y ai été invité également. On m'a téléphoné deux ou trois fois : j'ai été obligé d'envoyer une lettre pour leur expliquer pour quelles raisons je ne pouvais y participer, dès lors qu'il s'agissait d'un colloque sponsorisé par les fabricants de vaccins. On ne peut parler librement de vaccination lorsqu'on sait que ce sont les fabricants qui les financent et les sponsorisent. C'est une position certes très minoritaire mais c'est la mienne.

Y avez-vous participé ?

M. Olivier Patey - Non.

M. François Autain, président - Vous avez bien fait ! J'aurais été curieux de savoir si, comme la loi les y oblige, les experts qui se sont manifestés à cette occasion ont pris soin de décliner, avant d'intervenir, leurs liens d'intérêts. J'ai vu quelques noms et je sais que ces gens-là ont un grand nombre de liens d'intérêts avec les laboratoires. C'est peut-être d'ailleurs trop long pour que l'on puisse l'intégrer dans une intervention !

M. Olivier Patey - En revanche, les thèmes retenus et la communication des congrès que nous organisons ne concernent ni la vaccination ni l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président - Il est bien entendu que nous ne parlons que de cette rencontre parlementaire sur les vaccins intitulée : « Quelles leçons tirer d'une campagne de vaccination en cas de pandémie » , organisée le 7 avril à la Maison de la Chimie, à Paris, sponsorisée par GSK, Sanofi Pasteur, Roche et Pfizer qui tous, à un titre ou à un autre, ont fabriqué des vaccins ou des médicaments contre la grippe.

C'est une simple coïncidence mais il est nécessaire de la noter.

M. Olivier Patey - Notre dernier colloque qui vient d'avoir lieu il y a peu n'a reçu aucun soutien de l'industrie pharmaceutique ; le thème en était : « Eaux et maladies infectieuses, un enjeu du XXI e siècle » .

Nous avions fait intervenir des anthropologues afin de mieux saisir le comportement des individus dans le cadre de la mise en place des programmes de prévention. Je pense que ce sujet sera important pour cette commission s'agissant des difficultés qui se sont présentées au cours de la campagne de vaccination.

J'ai participé, à partir de 2004, à ces groupes de travail sur la grippe, constitués par le ministère de la santé, ainsi qu'à l'organisation de formations dans le cadre du plan de lutte « Pandémie grippale », en collaboration avec l'AP-HP et le ministère de la santé.

Un des problèmes fondamentaux, probablement à l'origine de la création de cette commission d'enquête, réside dans l'échec partiel de la campagne de vaccination.

Je souhaite rappeler quelques éléments qui me paraissent importants sur le CLCG, aujourd'hui mis en cause. Le CLCG n'est pas uns instance décisionnelle ; le travail du comité technique des vaccinations (CTV) s'est effectué en partenariat avec le CLCG. Les avis du HCSP étaient dans un premier temps discutés par le CLCG, puis formalisés et votés par le CTV et validés par la commission « Maladies transmissibles » du HCSP. Le CLCG n'a participé qu'aux aspects médicaux du plan et n'a eu pour rôle que de donner des avis techniques médicaux et scientifiques, à l'exclusion de tout aspect économique, logistique et de communication.

Ce Comité est multidisciplinaire : il rassemble des virologues, des épidémiologistes, des immunologistes, des pédiatres, des infectiologues, des médecins généralistes ainsi qu'un certain nombre de cliniciens.

Il a émis des recommandations, sur saisine du ministère de la santé. Ces avis pris collectivement, étaient ensuite transmis aux autorités de tutelle.

Le CLCG n'est pas un comité des vaccinations et a travaillé principalement sur trois sujets : les mesures barrières, les traitements antiviraux et les vaccins.

L'autre point important réside dans les délais qui ont pu s'écouler entre les avis et les prises de décisions qui ont parfois pu entraîner une incompréhension du public et des professionnels de santé, ainsi que dans le manque de retour d'informations sur les décisions prises au niveau ministériel à la suite des avis du comité.

C'est la première fois que l'on vivait une pandémie en temps réel. Il a donc fallu s'adapter régulièrement à la situation ; chaque semaine, les données épidémiologiques et virologiques étaient analysées pour pouvoir donner des avis adaptés.

La situation début mai était confuse, avec des taux d'attaque de 33 % dans certaines écoles new yorkaises ; j'étais à l'époque en Algérie, où un dispositif sanitaire exceptionnel avait été mis en place à Alger.

Que savait-on du virus ? Il s'agissait d'une composition génétique totalement nouvelle. Il s'agissait d'une recomposition inconnue jusqu'alors des virologues, même si des souches H1N1 avaient déjà pu circuler auparavant.

La discussion, au sein du Comité, consistait à savoir s'il fallait considérer ce virus comme nouveau ou comme une modification des virus H1N1 préexistants, avec les conséquences éventuelles que cela pouvait engendrer sur l'élaboration des vaccins.

Le point important était également de savoir si ce virus était ou non responsable de « grippettes ». Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet mais il faut les resituer. Les « grippettes » se compliquent rarement d'infections graves nécessitant la mise en place de techniques sophistiquées de réanimation. Ce virus touchait par ailleurs les individus âgés entre 10 et 60 ans, et non les sujets âgés comme dans le cas de la grippe saisonnière. Entre 20 à 25 % des patients ne présentaient aucun facteur de risque.

Enfin, selon les données en provenance de l'hémisphère Sud, on pouvait estimer les décès à mille en métropole en l'absence de toute mutation du virus.

Certaines études expérimentales ont montré que le virus A (H1N1)v atteignait l'arbre respiratoire inférieur, ce qui peut expliquer les formes gaves observées chez les sujets plus jeunes.

Des résistances à l'oseltamivir pouvaient également être craintes.

Enfin, la possibilité de mutation du virus demeurait, avec un risque de virulence accrue comme cela s'est produit en Norvège, mais le virus mutant ne s'est pas propagé.

Dans ces conditions, il a fallu faire évoluer les propositions vaccinales qui sont des décisions politiques qui font intervenir d'autres éléments, notamment sociétaux et économiques.

Les vaccins sont des outils majeurs de la lutte contre les maladies infectieuses qui ont permis de faire disparaître un certain nombre de maladies...

M. François Autain, président - Une saisine de la DGS en date du 8 mai 2009 vous demandait ce qu'il fallait faire en matière de vaccination et vous avez répondu qu'il fallait un vaccin pour tout le monde.

Vous avez donc émis un avis ; or, vous venez d'indiquer que ce type de décision est de nature politique. A la lecture du compte rendu de cette réunion téléphonique qui s'est tenue un dimanche, il est bien indiqué que vous préconisez « un vaccin pour tout le monde » - je cite au mot près.

C'est quelques jours après qu'a été adressée au laboratoire GSK la lettre d'intention qui commandait 50 millions de doses. Vous venez dire que vous n'avez jamais été sollicité pour rendre de tels avis ; il semble bien que ce soit le cas, si l'on s'en tient à la lecture des comptes rendus dont nous disposons.

M. Olivier Patay - Je parlais de décisions et non d'avis...

M. François Autain, président - Il est en effet pas question que vous preniez une décision ! Il s'agissait bien d'une proposition ou d'un avis rendu sur une saisine de la DGS. Est-on d'accord ? Nous ne le sommes pas ?

Mme Marianne Fleury - Il y a effectivement eu saisine de la DGS en date du 8 mai ; vous avez le document...

M. François Autain, président - La réponse date du 10 mai : elle a été rapide !

Mme Marianne Fleury - Nous avons été saisis le 8 pour donner une réponse le 10, lors d'un week-end ; c'était un peu difficile et très rapide pour avoir une réflexion...

M. François Autain, président - Trop rapide !

Mme Marianne Fleury - A ce moment-là, les informations étaient très parcellaires. Il était donc difficile de prendre une décision à tête reposée...

M. François Autain, président - Mais vous l'avez prise quand même !

Mme Marianne Fleury - On nous a demandé un avis ; il a été rendu en se référant à la réflexion et aux conclusions de décembre 2008 sur le H5N1, en reprenant les groupes de population...

M. François Autain, président - Ces deux virus n'avaient rien à voir entre eux !

Mme Marianne Fleury - Par ailleurs, un avis de février 2009 du Comité consultatif national d'éthique disait qu'il fallait pouvoir proposer à tous ceux qui voudraient se faire vacciner la vaccination contre le H5N1.

M. François Autain, président - C'est là un autre problème : on ne vous demande pas de prendre des décisions fondées sur l'éthique mais - me semble-t-il - fondées sur des données scientifiques.

Mme Marianne Fleury - ... De rendre un avis.

M. François Autain, président - Vous ne pouvez vous prévaloir de recommandations éthiques pour faire des propositions concernant la vaccination ! Or, en l'occurrence, en deux jours, vous avez préconisé une vaccination de l'ensemble de la population en vous référant à une décision que vous aviez prise concernant un autre virus. C'est bien cela ?

Mme Marianne Fleury - Oui, c'est le modèle de la vaccination H5N1 qui a été repris puisqu'on n'avait pas tous les éléments.

M. François Autain, président - A ce sujet, vous avez peut-être eu l'occasion de consulter certains avis du HCSP et du CTV et vous vous êtes rendu compte que les avis donnaient lieu à l'expression d'un vote. Certains experts ne participaient pas au vote du fait d'un conflit d'intérêts. Or, chez vous, il n'y a apparemment jamais eu de vote, ni de conflit d'intérêts ! Vous ne pouviez en avoir personnellement mais ne pensez-vous pas que certains membres de ce Comité avaient des conflits d'intérêts et qu'on n'en a pas tenu compte dans la délibération qui a précédé la transmission de cet avis à la DGS ? Malheureusement, vos avis n'ont pas donné lieu à publication contrairement à ceux du HCSP - ce qui est d'ailleurs regrettable !

A votre connaissance, aucun expert n'a donc jamais décidé de ne pas prendre part au vote du fait de conflits d'intérêts ?

Mme Marianne Fleury - Je n'en ai pas le souvenir. M. Jean-Claude Manuguerra a déjà répondu à cette question lors de son audition...

M. François Autain, président - Je ne crois pas car je ne lui ai pas posé la question. Je m'efforce de ne pas toujours poser les mêmes pour varier les plaisirs !

Mme Marianne Fleury - Les DPI ont été transmises à la DGS. Personnellement, je n'avais pas de consignes particulières.

M. Olivier Patey - Je souhaite apporter quelques éléments complémentaires concernant l'avis rendu et dans lequel les préconisations étaient une couverture vaccinale de la population âgée de 6 à 65 ans, ce qui excluait une partie de la population qui semblait être partiellement protégée...

M. François Autain, président - Malgré, avez-vous dit, le caractère complètement nouveau du virus, ce qui est contradictoire !

M. Olivier Patey - On commençait à avoir quelques informations épidémiologiques mais sans données immunologiques. Il s'agissait des premières données observationnelles. Il est toujours important de se positionner au moment où les décisions sont prises. Cela allait tellement vite que les informations variaient de quinze jours en quinze jours, voire plus rapidement, en fonction des données nationales ou internationales de l'InVS et des différents réseaux de virologie.

Si l'on se penche sur les éléments épidémiologiques de la pandémie, on découvre qu'un maximum de gens entre 6 et 65 ans ont eu la grippe ; c'est dans ce groupe d'âge que l'on retrouve les formes qui n'avaient jamais été vues auparavant et les décès.

A ma connaissance - mais on manque encore de données - on n'a pas observé de formes graves chez les gens vaccinés en dépit des délais contraints puisque la vaccination a été mise en place relativement tardivement et a mis beaucoup de temps à démarrer.

M. François Autain, président - A partir de quelle date les premiers vaccinés ont pu bénéficier de la protection sérologique contre le virus ?

M. Olivier Patey - On considère qu'il faut une quinzaine de jours minimum pour avoir un début de protection - ce qui est valable pour beaucoup de vaccins - et pour bénéficier éventuellement d'une protection clinique.

M. François Autain, président - Les premiers à en bénéficier dans la population l'ont été à partir de quelle date ?

M. Olivier Patey - Cela a été tellement étalé que c'est difficile à dire.

M. François Autain, président - A tel point que, depuis fin janvier, plus personne ne se fait vacciner !

M. Olivier Patey - Un point fondamental est précisément de savoir pourquoi.

M. François Autain, président - C'est un autre problème.

M. Olivier Patey - C'est un problème crucial.

M. François Autain, président - On peut y revenir mais je vous interrogeais sur le fait de savoir à partir de quelle date les premiers vaccinés ont pu bénéficier de cette immunité vaccinale.

Vous dites qu'un grand nombre de personnes ont pu en bénéficier et ont ainsi pu échapper aux formes graves. Sur quoi vous basez-vous pour l'affirmer ?

M. Olivier Patey - Je voulais dire que, dans les formes graves qui ont été observées, il n'y avait pas de patients vaccinés.

M. François Autain, président - Si, il y en avait quelques-uns. D'après les informations que j'ai, sur les 1 350 formes graves ayant donné lieu à des hospitalisations, on comptait 18 vaccinés.

M. Olivier Patey - Cela nécessite une analyse complémentaire : s'ils ont développé une grippe sévère trois jours après la vaccination, ils n'étaient en effet pas protégés.

M. François Autain, président - Ce qui prouve bien que la vaccination n'a pas rempli le rôle qu'on voulait lui prêter.

M. Olivier Patey - Elle ne l'a pas pu à partir du moment où elle n'a pas été effectuée !

M. François Autain, président - Si elle n'a pas été effectuée, c'est parce que les vaccins n'étaient pas prêts !

M. Olivier Patey - C'est plus compliqué. Les vaccins sont parvenus tardivement. Entre leur arrivée et leur injection, un certain délai s'est écoulé. La mise en place de la vaccination, tant pour les professionnels de santé que pour la population générale, a été plus longue que prévu : l'envoi des convocations a été imparfait et les hôpitaux eux-mêmes ont convoqué certaines personnes à risque pour les vacciner, comme les patients atteints du VIH.

En outre, un certain nombre de personnes ont usé de désinformation et laissé planer le doute sur l'efficacité et l'innocuité du vaccin...

M. François Autain, président - Pensez-vous là au professeur Marc Gentilini ?

M. Olivier Patey - Pas du tout. C'est un de mes maîtres et j'ai beaucoup d'estime pour lui.

M. François Autain, président - J'aime vous l'entendre dire parce que cette estime est partagée. Nous allons même au-delà puisque nous pensons qu'il a raison - ce qui n'est peut-être pas votre cas... Apparemment non.

M. Olivier Patey - Je ne dis pas qu'il n'avait pas raison. Je voudrais revenir sur le problème de la vaccination et des raisons pour lesquelles les gens ne se sont pas fait vacciner. Dans d'autres pays où les gens se sont fait vacciner, il y a eu un certain nombre d'encouragements.

M. François Autain, président - Il y a même des pays où les gens ne se sont pas fait vacciner du tout. On trouve de tout et le résultat est d'ailleurs le même. Moi qui suis rationaliste, je ne comprends pas !

M. Olivier Patey - La vaccination est arrivée très tardivement.

M. François Autain, président - Mais dans certains endroits, elle n'est pas arrivée du tout.

M. Olivier Patey - En fin d'évolution du pic pandémique, la situation est pratiquement identique.

M. François Autain, président - C'est donc comme si on n'avait pas eu de vaccination. C'est ce que vous voulez dire ? Vous n'êtes pas le premier à le dire : le professeur Bruno Lina nous a également laissé entendre que ce vaccin avait pu avoir un effet en termes de protection individuelle, mais à la marge.

M. Olivier Patey - Il est arrivé en partie tardivement et peu de gens ont été vaccinés. Un des points fondamentaux est de savoir pourquoi peu de gens ont été vaccinés. Il faut reprendre ce qui a été dit sur les vaccins, sur leur toxicité. Les données actuelles montrent bien que ces craintes étaient infondées. Les données nationales aussi bien qu'européennes ne montrent pas de sur-risque de pathologies - maladie auto-immune, syndrome de Guillain-Barré...

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que la perception du risque ne correspondait pas du tout à ce qui nous était présenté par le Gouvernement, par les médias et par les experts ? On avance un risque du niveau de celui du virus H5N1 ; or, on ne trouvait pas de malades.

Je crois donc que c'est le bon sens qui l'a emporté : les gens ne se sont pas fait vacciner parce qu'ils ont estimé le risque à sa juste valeur. Avant de se lancer dans une vaccination universelle, il faudrait être en mesure de mieux évaluer le risque. Il y a sans doute eu là un problème.

Mme Marianne Fleury - On l'a vu avec le VIH, quand on ne cherche pas, on ne trouve pas non plus...

M. François Autain, président - Je ne pense pas que l'on puisse comparer le VIH à la grippe.

Mme Marianne Fleury - Pour pouvoir établir une comparaison, il faut que les structures sanitaires et l'offre de soins soient comparables, de même que la veille sanitaire.

M. François Autain, président - La parole est aux membres de la commission.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué des tests conduits sur les animaux, qui ont montré des atteintes assez basses dans l'arbre respiratoire et assez graves.

Ces études ont-elles été faites au sein de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ou de laboratoires spécialisés en santé animale ?

M. Olivier Patey - Je pourrais vous fournir cette étude, publiée au début de l'épidémie, qui montrait, dans le cas du virus A (H1N1)v, une multiplication virale plus importante au niveau de l'arbre respiratoire bas qu'avec la souche de H1N1 saisonnier.

Mme Marie-Christine Blandin - Par ailleurs, il est souvent fait état de cas graves et atypiques en réanimation par le personnel hospitalier ainsi que par l'InVS. Grâce à quels mécanismes de recensement, ces cas cliniques ont-ils pu être rapportés ?

Nous connaissons la méthode d'évaluation du nombre de symptômes grippaux en cas de grippe supposée via les réseaux GROG et Sentinelles, ou des cas de grippe A (H1N1)v avérés par les tests de sérologie, mais existe-t-il un mécanisme de remontée statistique des cas graves et atypiques ?

M. Olivier Patey - Je ne suis pas épidémiologiste de l'InVS mais au cours du temps l'InVS a modifié ses méthodologies de surveillance de la grippe ; c'est un point qui est mal connu de beaucoup et qui a entraîné des interrogations au sein de la population sur la façon dont était gérée la surveillance de la grippe.

En effet, en fonction du nombre, du moment et de la gravité des cas de grippe, les méthodes de surveillance ne peuvent être les mêmes. Dès lors qu'il existe un nombre trop important de cas, on est obligé de changer son fusil d'épaule ; c'est à ce moment qu'est intervenue la surveillance au travers des réseaux des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) et Sentinelles. A l'hôpital, les patients ont été identifiés et l'information transmise à leur tutelle et à travers elle à l'InVS ; puis on a recensé uniquement les formes graves, au jour le jour.

Mme Marie-Christine Blandin - Madame Marianne Fleury, confirmez-vous qu'il existait dans les établissements hospitaliers un dispositif de décompte et de communication avec l'InVS ?

Mme Marianne Fleury - Au sein de l'AP-HP, on avait chaque jour un bulletin avec le nombre de consultations dédiées, le nombre de patients hospitalisés pour grippe, le nombre de patients admis en réanimation. Toutes ces informations étaient transmises à l'InVS. La transmission de l'information était continue.

Mme Marie-Thérèse Hermange - A-t-on pu constater que les nourrissons des femmes enceintes qui s'étaient fait vacciner avaient des problèmes respiratoires ? Je connais un cas dans cette situation : y aura-t-il une étude ultérieure ?

Par ailleurs, suggéreriez-vous à celles et à ceux qui se sont fait vacciner l'année dernière de le refaire à la rentrée ?

M. Olivier Patey - Un certain nombre d'études ont été mises en place dans ce domaine soit par l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), soit par l'Institut de maladies infectieuses de l'INSERM. Je pense donc que des informations nous parviendront ultérieurement sur ce groupe de population.

Concernant la revaccination, je crois que la question se pose pour la population en général. On vit depuis un an une pandémie - c'est ainsi qu'elle est identifiée - au jour le jour, en temps réel, avec des informations qui se complètent de jour en jour et de mois en mois.

L'efficacité immunologique est un élément facile à identifier. Il suffit de doser les anticorps et de voir comment ils évoluent dans le temps. Ces études sont en cours sur un certain nombre de groupes de population pour regarder comment diminue le taux d'anticorps et voir s'il y aura lieu ou non de proposer des revaccinations, quel que soit le type de population, en particulier celles à haut risque.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Les femmes enceintes ne vont peut-être pas retomber enceintes l'année prochaine. Que leur conseille-t-on ?

M. Olivier Patey - Pour l'instant, on n'a pas encore - à ma connaissance - le résultat de toutes les études. Il faut attendre le résultat des essais vaccinaux pour étudier la décroissance des anticorps. Il semble qu'elle soit beaucoup moins importante avec les vaccins adjuvés. En fonction de la baisse du titre d'anticorps, on pourra discuter ou non de la proposition de revacciner une partie de la population.

Il est sûr que les groupes à risques sont dans une situation différente par rapport aux groupes qui ne le sont pas. Le HCSP a émis des recommandations récentes sur les vaccinations des populations à risques, en particulier des femmes enceintes pour l'hémisphère Sud au cours de l'hiver prochain. Elles sont sorties fin avril dans les derniers avis du HCSP, ainsi que dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire, sorti il y a vingt-quatre heures, concernant les recommandations pour les voyageurs.

M. Gilbert Barbier - Votre décision a-t-elle été influencée par les recommandations de l'OMS ?

Par ailleurs, avez-vous été soumis, dans le cadre de vos fonctions au CLCG, à des pressions quelconques de la part des laboratoires ou autres ?

Vous avez également évoqué le nombre de cas graves au sein de la population âgée de 10 à 25 ans. Il semble en effet que les services pédiatriques ont eu à faire face à un certain nombre de cas particulièrement graves puisqu'il a fallu commander en urgence des appareils de réanimation adaptés aux enfants...

Enfin, quelle proportion de la population doit être vaccinée pour obtenir un effet barrière contre le virus ?

M. François Autain, président - Nous attendons cette dernière réponse avec impatience et intérêt.

M. Olivier Patey - Aucun laboratoire n'a exercé de pressions pour que nous émettions des avis sur la nécessité de produire des vaccins ou sur les quantités nécessaires pour protéger la population. Les recommandations tenaient compte de plusieurs situations, en fonction de l'arrivée du pic pandémique et des vaccins.

Il existe plusieurs situations. On peut essayer de réduire la diffusion de l'agent infectieux dans la population, comme on l'avait fait pour le H5N1 : en vaccinant les enfants, on était arrivé à diminuer de manière extrêmement importante la diffusion du virus au sein de la population, mais cela signifiait qu'il fallait vacciner les gens avant l'arrivée de la pandémie et sa diffusion dans la population, même si cela n'empêchait pas complètement la circulation du virus.

M. François Autain, président - Je ne vois pas en quoi une pression des laboratoires aurait pu changer quoi que ce soit puisque vous avez préconisé la vaccination de toute la population. Que pouvaient-ils espérer obtenir de plus du CLCG ?

M. Olivier Patey - Les personnes âgées n'étaient pas incluses dans les premières préconisations. Les premières données semblaient montrer qu'il existait un nombre limité de cas...

M. François Autain, président - A quelle délibération du CLCG faites-vous allusion ? J'ai en mémoire celle du 12 mai, qui s'est tenue téléphoniquement un dimanche et qui préconisait un vaccin pour tout le monde.

M. Olivier Patey - Les enfants ont de toute façon besoin de deux doses en primo-vaccination...

M. François Autain, président - Y compris pour la vaccination saisonnière...

M. Olivier Patey - En effet. Il y avait donc déjà là un besoin.

Les propositions ne concernaient pas l'ensemble de la population mais les personnes entre 6 et 65 ans, ce qui excluait a priori les personnes âgées compte tenu des informations dont nous disposions. Tout était évolutif. On a bien vu que la recommandation du nombre de doses est passée de deux à une, en fonction des données immunologiques qui sont parvenues au fur à mesure, ce qui n'était pas évident initialement.

M. François Autain, président - Estimez vous que l'on peut enrayer une épidémie à partir d'un certain taux de vaccination ?

M. Olivier Patey - La réponse est variable en fonction de l'efficacité vaccinale à la fois sur les plans immunologique et clinique. Le vaccin contre la grippe n'est pas aussi efficace que le vaccin contre la poliomyélite ou le tétanos.

M. François Autain, président - D'autant qu'il faut le renouveler presque tous les ans ! Quand on a commencé, il faut continuer.

M. Olivier Patey - Il semble que les virus post-pandémiques deviennent saisonniers au cours du temps. L'épidémiologie est différente de celle que l'on a rencontrée avec le H1N1, qui a touché des sujets plus jeunes et provoqué des formes graves mais sans toucher jusqu'à présent les personnes âgées.

Le problème d'une politique vaccinale au long cours n'est alors plus le même : vacciner les personnes pendant un ou deux ans lors de l'arrivée d'un nouveau virus pandémique n'est pas la même chose que de proposer ensuite à tout le monde une vaccination contre ce virus.

Les indications de la vaccination antigrippale saisonnière contre les virus concernent les sujets à risque ou les sujets âgés, qui développent des formes graves.

M. François Autain, président - En matière de grippe saisonnière, il faut avouer que l'on manque de statistiques fiables. On serait, par exemple, incapable de donner le taux d'hospitalisations dues à la grippe saisonnière. Si vous êtes en mesure de le faire, j'apprécierais !

M. Olivier Patey - Je ne puis m'exprimer à la place de l'InVS, mais un certain nombre d'éléments de surveillance permettent d'identifier au moins partiellement la responsabilité des vraies grippes dans les syndromes grippaux via des prélèvements systématiques en période de poussée. Cela permet d'en connaître le pourcentage et de voir comment ils évoluent d'une année sur l'autre.

En septembre 2009, les syndromes relevaient plus de l'ORL que de la grippe ; en reprenant les données virologiques, on a constaté que le nombre d'épisodes grippaux avérés liés au virus H1N1 étaient limités, d'où l'importance de ce type de surveillance au long du temps. C'est ce qui a permis, au moment de l'augmentation importante du nombre et du pourcentage de prélèvements positifs au virus H1N1, de proposer une modification de la prise en charge des patients avec traitement systématique par les antiviraux. On savait que, parmi ces syndromes, plus de la moitié était liée au virus grippal et pratiquement 100 % au virus H1N1.

M. François Autain, président - En cas de pandémie, existe-t-il un taux de vaccination barrière permettant d'enrayer l'épidémie ? Si vous ne pouvez répondre, dites-le nous.

M. Olivier Patey - Je pense qu'il vaut mieux poser la question aux épidémiologistes.

M. François Autain, président - Très bien. Si j'en juge d'après la proposition faite par le CLCG, ce n'est pas 30, 40 ni 70 % mais 100 %. Cela dit, vous ne prenez pas de risque, mais encore faut-il s'interroger sur la faisabilité d'une vaccination universelle.

M. Olivier Patey - J'ai dit tout à l'heure que nous avions auditionné, lors de notre colloque, des anthropologues et des sociologues dont les avis n'ont pas été suffisamment pris en compte. Je pense en effet que la mise en place d'une politique de santé publique de ce type nécessite de prendre en compte l'apport des sciences humaines et la dimension financière des décisions prises. Certaines réactions irrationnelles vis-à-vis de la vaccination ont entraîné un échec complet de cette campagne. Il faut essayer d'en analyser les causes. Peut-être la commande de vaccins y a-t-elle sa part mais la situation aurait été différente si 50 ou 60 % de la population avait été vaccinée !

M. François Autain, président - Nous vous remercions infiniment pour votre contribution à l'enquête que nous menons.

Audition de M. Christian PERRONNE,
président de la commission spécialisée maladies transmissibles
du Haut Conseil de la santé publique
(mercredi 2 juin 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. le professeur Christian Perronne, président de la commission spécialisée maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Christian Perronne prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, de nous faire connaître, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Christian Perronne - Je n'ai pas de conflit d'intérêts, sauf des invitations à des congrès que j'ai déclarées au HCSP et que j'avais déclarées à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) également. J'ai déjà eu des conflits d'intérêts sur les antibiotiques mais qui n'avaient rien à voir avec la grippe ; je les ai déclarés à l'AFSSAPS il y a quelques années.

M. François Autain, président - Vous avez donc la parole pour un exposé liminaire.

M. Christian Perronne - Merci de me donner l'occasion d'éclaircir les choses avec vous.

Ce retour d'expérience sur la pandémie grippale est important. Cela permettra peut-être d'améliorer le processus décisionnel dans l'avenir. Je pense en tout cas que la vision politique est essentielle.

Je suis professeur en maladies infectieuses. J'ai siégé au Conseil supérieur d'hygiène publique dont j'ai pris la présidence de la section maladies transmissibles en 2001. J'ai eu en même temps la charge de la présidence du Comité technique des vaccinations (CTV). En 2007, le Conseil supérieur d'hygiène publique a disparu après la création du HCSP. J'ai alors arrêté mes fonctions et ai été élu président de la commission spécialisée maladies transmissibles du HCSP. Pour ne pas cumuler les mandats, j'ai laissé la présidence du CTV à M. Daniel Floret, qui a été élu à ce poste.

Nous avons eu à gérer, depuis 2001, maints problèmes de santé publique aigus - bioterrorisme, charbon, variole, épidémies de méningite et de SRAS - touchant aux maladies infectieuses ou concernant la politique vaccinale.

Dès 2001, je me suis attelé à améliorer certaines procédures relatives à la gestion des conflits d'intérêts. Avec MM. Thanh Leluong, qui est maintenant à l'Institut de veille sanitaire (InVS), et Daniel Levy-Bruhl, nous étions allés à Londres étudier le fonctionnement d'une instance britannique analogue, afin de voir comment améliorer les choses.

Les déclarations publiques commençaient à se développer mais n'étaient pas toujours systématiques ni réactualisées. C'est depuis cette époque que l'on demande, au début de chaque séance du Conseil supérieur d'hygiène publique (CHSP) et du HCSP, à chaque expert de signaler ses éventuels conflits sur les sujets inscrits à l'ordre du jour.

Nous nous étions en outre inspirés de la grille de l'AFSSAPS en distinguant les conflits majeurs et les conflits mineurs, les premiers justifiant une abstention lors de la délibération finale du vote. Au début, les choses étaient un peu difficiles mais, progressivement, les experts ont parfaitement admis de parler de plus en plus librement de leurs conflits d'intérêts, accepté de sortir de la salle et de ne pas voter. Cela a été mis en place peu de temps après le début de ma présidence

J'ai également beaucoup travaillé avec M. Thanh Leluong pour que des professionnels autres que des pédiatres siègent dans les comités - sociologues, juristes, économistes de la santé, sages-femmes, médecins généralistes, représentants de la revue Prescrire - afin de faire en sorte que les experts désireux de dissimuler des conflits d'intérêts se trouvent minoritaires.

Le fonctionnement par étages du HCSP, de ses commissions spécialisées et du CTV va dans le même sens.

Depuis 2001, on ne peut d'ailleurs reprocher à ces structures d'avoir fait preuve d'une grande souplesse vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. La meilleure illustration en est que de nombreux vaccins reconnus par l'Agence européenne du médicament et par l'AFSSAPS, qui ont une AMM (autorisation de mise sur le marché), n'ont pas été recommandés en France par ces instances. Le Prevenar, vaccin contre le pneumocoque des nourrissons, a d'abord été ciblé avant d'être généralisé pour avoir un certain recul quant à sa tolérance, contrairement aux Etats-Unis, qui l'avaient généralisé ; les vaccins contre le zona, la varicelle ou le rotavirus ne sont toujours pas recommandés de façon universelle en France, alors qu'ils le sont aux Etats-Unis notamment. On a fini par recommander le méningocoque C mais cela a donné lieu à plusieurs années de discussions.

Nous n'avons donc pas la réputation d'être un comité très perméable aux voeux de l'industrie pharmaceutique. Nous avons toujours analysé les dossiers avec beaucoup de sérieux. C'est donc une preuve de l'indépendance du fonctionnement de ces structures vis-à-vis des vaccins.

Il faut rester très prudent face aux polémiques et à la théorie du complot de l'industrie. Je comprends les réserves qui peuvent s'exprimer mais les industriels sont plus intéressés par un vaccin pérenne vendu en grande quantité pendant dix ou quinze ans que par un vaccin destiné à faire face à une crise ponctuelle : peut-être vont-ils faire un chiffre d'affaires important sur le moment mais cela risque de désorganiser la structure. Les industriels sont des gens sérieux qui font des vaccins de très bonne qualité. Ce sont des partenaires indispensables mais qui n'ont pas une vocation philanthropique. Gérer une crise comme la pandémie n'est pas dans leur fonctionnement habituel ; ils demandent donc une aide financière aux Etats.

Ils ont ainsi exercé, dans tous les pays, une pression pour que l'on modifie les cibles de la recommandation vaccinale saisonnière. Nous ne leur avons jamais cédé. Ils souhaitaient abaisser de 65 à 55 ans l'âge de la vaccination afin d'augmenter la production des chaînes de fabrication en cas de pandémie. Nous n'en avons pas été officiellement saisis, mais nous l'avons été pour l'extension de la vaccination à tous les enfants de France. Nous avions donné un avis défavorable car ces recommandations ne nous semblaient pas justifiées sur les plans épidémiologique et scientifique.

M. François Autain, président - Le CTV a également été saisi et a donné la même réponse.

M. Christian Perronne - En effet. Je le présidais à l'époque.

Nous avons eu un point de « désaccord amical » avec le Sénat, qui avait souhaité rendre obligatoire la vaccination de tous les professionnels travaillant en établissement de santé. Nous avions réagi en disant que c'était peut-être excessif s'agissant de la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - C'était dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2006.

M. Christian Perronne - Nous n'étions pas contre s'il s'était agi d'une pandémie sévère mais cela représentait des millions de gens. Nous trouvions la cible disproportionnée. M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, avait admis ces arguments et avait suspendu par voie réglementaire, l'application du texte adopté à l'initiative du Sénat.

Pour en revenir à la pandémie grippale actuelle, d'une façon générale, toutes les maladies infectieuses sont imprévisibles, plus encore la grippe. On connaît les taux de mortalité habituels pour un microbe connu. Pour ce qui est de la grippe, celle de 1918 a été fort sévère. D'autres l'ont été moins. Certaines « pandémiettes » ont avorté certaines années. Le virus de la grippe paraît toujours « gentil » au début ; on ne sait comment il peut évoluer : il peut aussi bien demeurer gentil que muter et devenir méchant. Aucun expert au monde n'est capable de dire comment la grippe peut évoluer.

M. François Autain, président - On s'en est aperçu !

M. Christian Perronne - Les chiffres initiaux étaient alarmants. Moi-même, qui suis plutôt optimiste, j'étais inquiet. La rapidité d'extension était vraisemblablement liée aux transports aériens en provenance du Mexique.

La détermination de la mortalité initiale variait la même semaine de un pour dix mille à un pour cent. En fait, si le nombre de morts était à peu près connu, personne n'avait d'idée du nombre de cas réels.

Autrement dit, le dénominateur était incertain, alors qu'il est capital pour évaluer la mortalité. En juillet, les épidémiologistes réunis à l'OMS restaient prudents et refusaient d'exclure une fourchette supérieure de mortalité de 1 %. Or, sur 60 millions de Français, cela peut être très important.

A l'époque, on n'avait pas encore le retour d'expérience de l'hémisphère Sud. Fin août-début septembre, on a quand même été partiellement rassuré, la mortalité étant assez proche de celle observée pour la grippe saisonnière. Cela a cependant confirmé le comportement pandémique du virus. S'il faisait plutôt moins de morts, il avait un comportement inhabituel et pouvait tuer des jeunes en bonne santé.

Les données virologiques montraient que les récepteurs étaient plus bas dans les voies respiratoires et qu'ils pouvaient attaquer le poumon profond. Il fallait donc rester en alerte.

L'Australie et l'Argentine ont connu, de façon très courte, des périodes très difficiles. Les services de réanimation étaient saturés. Ils ont dû pratiquer des réanimations extracorporelles sur des personnes jeunes. Des activités de chirurgie ont été déprogrammées dans certains hôpitaux. Fort heureusement, cette situation n'ayant pas duré trop longtemps, celle-ci a pu être gérée convenablement. On a compté deux cents décès en Australie, pour environ 20 millions d'habitants. Ramené à la population française, cela représente entre six cents et huit cents décès. On m'a fait valoir que, dans l'hémisphère Nord, l'hiver est plus froid. Des mutations ne risquaient-elles pas d'intervenir ? En fait, il n'y a eu que 300 décès.

Même si la mortalité globale était assez faible, un taux d'attaque de 20 à 40 % pouvait représenter beaucoup de décès parmi les jeunes, même si la virulence et la mortalité globale n'augmentaient pas. Ceci a été confirmé par la suite on le verra.

J'en viens à la recommandation vaccinale proprement dite. On y avait travaillé avant mais, lorsque nous avons été saisis, on nous a surtout demandé d'établir un ordre de priorité des populations à vacciner. Nous avions déjà des idées sur les facteurs de risque. Nous avons pu les affiner avec les données du Canada, des Etats-Unis, du Mexique. Notre grille de priorité a été reprise un peu partout dans le monde.

Fallait-il vacciner tout le monde ? C'est une question plus du ressort des politiques que des experts. La réponse dépend de ce qu'un pays peut dépenser, de la marge de risque que peut accepter la société.

Certes, le Comité consultatif national d'éthique avait dit que chaque Français devait avoir accès au vaccin. A l'OMS, en juillet, Mme Margaret Chan avait beaucoup insisté sur l'équité Nord-Sud en disant que les pays riches avaient de quoi payer les vaccins, qu'il aurait été normal qu'ils aident les pays du Sud, plus pauvres et que si le virus devenait méchant, il aurait été légitime qu'ils donnent une partie de leur production. Beaucoup de laboratoires ont d'ailleurs joué le jeu en donnant 10 % de leur production à l'OMS pour les pays pauvres. Il s'agissait d'une discussion délicate, dans le cadre de la solidarité Nord-Sud, qui poussait les pays riches à produire des vaccins pour aider les pays pauvres.

En tant qu'expert des maladies infectieuses, je ne suis pas le meilleur spécialiste de ces sujets.

M. François Autain, président - Aucune donnée scientifique ne recommande, pour une pandémie comme celle du H1N1, la vaccination de toute la population.

M. Christian Perronne - A l'époque, on ne savait pas. Toutes les pandémies grippales ont commencé gentiment.

M. François Autain, président - Faites-vous référence aux trois pandémies du XX e siècle ?

M. Christian Perronne - Oui, la première vague n'a pas toujours été méchante, c'est souvent la seconde qui l'a été davantage. A l'époque, on n'avait pas les données en temps réel et l'on ne connaissait les données de mortalité que deux ou trois ans après. Dans le cas présent, la grande nouveauté a été que l'on se fondait sur l'information disponible en temps réel.

En tant qu'expert, lorsque les autorités de santé du pays ont dit qu'elles se préparaient à vacciner éventuellement tous les Français, on était relativement en phase avec cette vision car on ne pouvait prévoir ce qui allait se passer.

M. François Autain, président - On ne vous a jamais demandé de vous prononcer sur le nombre de vaccins à acheter. Vous en avez été simplement informés.

M. Christian Perronne - Non, mais l'avis ne nous a pas choqués. Je ne veux pas me désolidariser. On ne savait pas ce qui allait se passer.

M. François Autain, président - L'achat de 94 millions de doses ne vous a donc pas choqué ? La faisabilité n'était tout de même pas évidente !

M. Christian Perronne - La faisabilité a été un autre problème et je me rends maintenant compte qu'il était difficile à gérer.

On était parti sur deux doses, suivant les données de la littérature scientifique, toutes les études ayant été faites sur le H5N1. On ne pouvait alors sortir de ce schéma.

M. François Autain, président - Pourquoi ? Le H5N1 est différent du H1N1 !

M. Christian Perronne - On ne le savait pas à l'époque ! On a actualisé les informations au fur et à mesure.

M. François Autain, président - Pour le profane, un H5N1 est très différent d'un H1N1 tandis qu'un H1N1 est peu différent d'un autre H1N1. Ce ne sont pas des cassures mais des variations. On peut donc s'imaginer que ce qui était nécessaire pour le H5N1 ne le sera pas pour le H1N1. On aurait dû au contraire se rapporter aux autres H1N1. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait-?

M. Christian Perronne - On n'avait pas de données scientifiques...

M. François Autain, président - Vous les aviez avec un variant.

M. Christian Perronne - Il n'avait pas le même comportement.

M. François Autain, président - Le fait que l'on attendait le H5N1 et que ce soit le H1N1 a complètement perturbé le monde scientifique. On a continué sur la lancée comme s'il s'agissait d'un H5N1 - d'où les deux injections.

M. Christian Perronne - Le jour où on a eu connaissance des études qui montraient que l'on avait une bonne protection avec une seule injection, on a décidé de recommander une seule dose. L'Agence européenne du médicament (EMA) n'avait pas encore changé son avis, l'AFSSAPS attendait l'avis de l'Agence européenne du médicament... Nous avions estimé que, dans l'urgence, l'important était que tout le monde ait une dose et décidé, si les deux doses n'étaient plus justifiées sur le plan scientifique, de le dire immédiatement, ce que nous avons fait.

Le problème est que l'on a toujours rendu ces avis au fil de l'eau en fonction de l'arrivée des données scientifiques.

M. François Autain, président - Je trouve dommage que l'on n'ait pas fait référence aux autres virus H1N1 plutôt qu'au H5N1. Si l'on s'était moins préparé, on aurait peut-être eu de meilleurs réflexes.

M. Christian Perronne - Peut-être...

Quant aux délires antivaccinaux sur Internet, ils étaient incontrôlables. On parlait de poison dans le vaccin, de virus virulent, de complot. Les adjuvants étaient des substances lipidiques assez anodines qui pouvaient stimuler l'immunité dans le cas de certaines maladies. Les immunologistes pouvaient émettre des réserves théoriques mais le débat dans les médias autour de l'adjuvant est devenu incontrôlable et il a fallu laisser passer la vague.

J'ai reçu des copies de mails effarants, envoyés aux syndicats d'infirmiers, dès le début septembre : on y prétendait que ce vaccin n'avait pas été étudié, qu'ils allaient servir de cobayes ; les syndicats d'infirmiers, en proie au malaise actuel que traverse cette profession, ont pris cela comme argent comptant et ont relayé le message à l'intention de tous leurs membres. Dans mon propre service, 100 % des médecins étaient vaccinés alors que les infirmières l'étaient minoritairement.

Il y a eu aussi l'affaire du Guillain-Barré. On constate à présent qu'il y en a plutôt moins chez les vaccinés que chez les non-vaccinés, le syndrome de Guillain-Barré résultant plus d'une complication de la grippe.

Je reste cependant optimiste et je pense que la confiance des Français dans le vaccin n'est pas entamée...

M. François Autain, président - En êtes-vous sûr ?

M. Christian Perronne - Je le crois. Ces affaires ont en fait été contreproductives. Certaines personnes ont des réticences à propos des vaccins, dont je veux bien discuter, mais il existe aussi des extrémistes qui se sont discrédités.

M. François Autain, président - On trouve des extrémistes des deux côtés !

M. Christian Perronne - La vaccination reste la meilleure action de santé publique.

M. François Autain, président - Pour la grippe également ?

M. Christian Perronne - Pour la grippe, c'est plus nuancé.

Quant aux mesures d'hygiène, elles ont été très utiles. On en a vu l'impact lorsqu'on s'est aperçu qu'il y avait moins de virus respiratoires autres que la grippe cette année, les gens ayant peut-être plus fait attention à l'hygiène, à l'isolement, au lavage des mains, qui ont pu contribuer à la gestion de l'épidémie.

J'ai été envoyé en mission en Ukraine au début de l'épidémie, en novembre. En quatre jours, quatre médecins et des infirmières étaient décédés de la grippe ! Ils n'avaient aucun moyen de protection, pas de Tamiflu, pas d'hygiène particulière. Toute cette éducation a donc contribué à une bonne gestion ; c'était la première fois que des recommandations ont aussi fortement porté sur les mesures de prévention.

Le Tamiflu a suscité beaucoup de polémiques. Pour certaines, il était génial ; pour d'autres, il n'a servi à rien. Ces polémiques ne tiennent pas compte d'un fait scientifique : le Tamiflu ne fonctionne bien que si on le donne tôt - moins de 48 heures après l'apparition des symptômes.

Quand le donner ? Cela fait dix ans qu'on en discute, bien avant la pandémie ! S'il était facile à prescrire, tous les médecins le prescriraient pour une grippe. La grippe ne comporte aucun test de diagnostic rapide ; quand quelqu'un pense avoir la grippe, tousse, a de la fièvre, il a neuf chances sur dix d'avoir un autre virus et le Tamiflu n'aura aucune action !

Nous avons toujours été réticents à prescrire le Tamiflu en période habituelle, les médecins risquant d'en prescrire pour rien en l'absence de tests de diagnostics rapides fiables.

Tant que la pandémie n'avait pas démarré en France, on a plutôt freiné l'utilisation du Tamiflu, pour ne pas qu'il soit prescrit à tort et à travers et pour ne pas épuiser les stocks pour de simples rhumes.

A la fin novembre, lorsque le pic pandémique s'est accéléré, les recommandations ont changé et on a conseillé aux médecins de prescrire du Tamiflu à tout le monde. Il ne s'agissait pas d'un revirement mais on sait que, lors d'un pic épidémique de grippe, huit ou neuf patients sur dix ont une véritable grippe. Il vaut donc mieux traiter un ou deux patients pour rien et que le médicament ait statistiquement tout son effet.

Pour ce qui est de la prévention, nous sommes restés prudents. Toutes les modélisations prévoyaient des stratégies de prophylaxie que l'on a vite abandonnées lorsqu'on s'est rendu compte qu'elles n'arrêteraient rien. Les Anglais, eux, avaient inondé les écoles de Tamiflu en juillet avant de revenir en arrière ! On avait vu que les premiers cas de résistance survenaient chez ceux qui avaient bénéficié d'un traitement prophylactique, la demi-dose prévenant mal la sélection des mutants, on a conseillé des traitements préemptifs - une pleine dose pour des patients à hauts risques ou dans l'entourage d'un cas. Cela n'a pas mal fonctionné mais ces changements de mesures ont entraîné une certaine confusion.

M. François Autain, président - Les généralistes n'ont en effet pas toujours compris le message.

M. Christian Perronne - Je reconnais que ce n'est pas facile.

Lorsque le pic est finalement arrivé, on était bien préparé. Les Français, après avoir vu les morts à la télévision, ont même fait la queue dans les centres de vaccination. Les choses ont changé lorsque le pic est retombé. La confiance est revenue. Les médecins généralistes, qui avaient éprouvé beaucoup de réticences au début vis-à-vis du vaccin, ont parfaitement joué leur rôle et pris les patients en charge quand cela a été nécessaire. Ils ont prescrit du Tamiflu et ont dirigé les malades sévères vers l'hôpital.

Les hôpitaux étaient très bien préparés. Les services de réanimation disposaient de beaucoup de matériel. Certains, comme à Marseille, ont connu un afflux de malades. Des réanimateurs toujours en activité, qui ont été mes maîtres, m'ont dit qu'ils n'avaient jamais vu cela de toute leur carrière.

Le nombre total de jeunes atteints de la grippe A (H1N1)v n'était pas gigantesque mais les encéphalites rencontrées chez les enfants impressionnaient les médecins qui les traitaient. Dans un hôpital proche de Garches, un enfant a eu une partie du poumon détruite et en conservera des séquelles définitives. Ce sont donc des complications très graves et cela a été difficile à gérer. Lors du congrès annuel des maladies infectieuses, qui a lieu à Paris début décembre, tous les médecins présents étaient inquiets.

Le soufflé est ensuite retombé de façon un peu surprenante. A posteriori , on s'est aperçu que certaines personnes possédaient des anticorps avant même la pandémie. Beaucoup étaient donc protégés. C'est ce qui a expliqué la chute du virus, qui était difficile à prévoir mais il existait toujours un risque de seconde vague.

Enfin, le dernier point que je voulais souligner concerne la divergence relative à la mortalité à travers le monde que je ne comprends pas aujourd'hui. Il y a trois fois moins de morts en France qu'en Australie. Pourquoi ? On n'en sait rien ! On répertorie 300 morts en France contre 10 837 morts aux Etats-Unis. Je n'ai pas d'explications. Il est vrai qu'ils se sont plus penchés sur l'excès de mortalité. Je trouve que les épidémiologistes devraient réaliser un travail sur ces chiffres, très différents d'un pays voisin à l'autre.

M. François Autain, président - On ne peut dire que la vaccination ait été très différente entre les Etats-Unis et la France. On a plutôt davantage vacciné aux Etats-Unis qu'ici.

M. Christian Perronne - Les fiches de décès dus à la grippe n'étaient retenues que lorsque la grippe constituait le diagnostic principal du décès. Je suis un peu surpris par ces chiffres.

Les chiffres présentés récemment par l'OMS font état d'une mortalité supérieure de 1,5 à celle de 1968 pour la tranche d'âge 15-24 ans et de trois à quatre fois plus élevée que pour les grippes saisonnières mais sur une tranche d'âge limitée, avec moins de mortalité chez les personnes âgées que pour une grippe saisonnière. Le chiffre total était donc moins inquiétant que d'habitude mais le virus a atteint des jeunes de 15-24 ans, dont un quart environ n'avait pas de facteur de risque particulier.

Les maladies infectieuses, par définition, sont imprévisibles - surtout la grippe. A l'époque, on ne pouvait, en toute quiétude, abandonner les Français au hasard du destin. Il existait une marge d'incertitude. Pour reprendre une phrase de mon collègue virologiste Dominique Dormont, malheureusement décédé, « plus l'incertitude scientifique est grande, plus il faut agir large quitte à réduire progressivement les précautions au fur et à mesure des connaissances » .

M. François Autain, président - Le problème est qu'on ne les a pas réduites !

M. Christian Perronne - Le problème est que les dépenses étaient engagées avant, même si des commandes ont été annulées.

Notre ligne directrice était d'adapter en temps réel notre attitude et les experts n'ont pas chômé. C'était une période difficile ; on a essayé de faire du mieux que l'on pouvait pour protéger les Français.

M. François Autain, président - Notre rapporteur étant exceptionnellement absent, je dois me substituer à lui.

J'ai cherché les liens d'intérêts des membres de votre commission ; il m'a semblé qu'ils n'étaient pas très rigoureux ni conformes à la législation en vigueur.

En effet, la consultation des déclarations d'intérêts, publiées par le HCSP, ne permet de connaître les liens d'intérêts que de neuf membres sur les dix-neuf de la commission « maladies transmissibles » - j'exclus les quatre membres de droit. Quid des dix autres ? Vous ont-ils fait parvenir leurs déclarations et n'ont-elles pas été publiées ou ne l'ont-ils pas fait, alors qu'ils le doivent ? La preuve en est que l'un d'eux déclare ne pas avoir de lien d'intérêts.

M. Christian Perronne - Il faudrait voir avec le secrétariat du Haut Conseil. Auparavant, le Conseil supérieur d'hygiène était plus ou moins intégré à la Direction générale de la santé (DGS) ; beaucoup de monde travaillait donc pour lui. Dans l'esprit du législateur et du politique, le HCSP devait être indépendant. Cette création étant intervenue dans une période de restrictions, beaucoup moins de moyens ont été alloués au HCSP et les personnes chargées du secrétariat étaient noyées sous le travail. Beaucoup de retard a été pris sur un certain nombre de dossiers scientifiques et les aspects purement administratifs n'ont peut-être pas été gérés de façon optimale.

Lors de la crise relative au vaccin contre l'hépatite B, on a poursuivi toute la soirée un membre qui n'avait pas rendu sa déclaration pour qu'il la donne avant la réunion du lendemain.

On m'a personnellement envoyé un formulaire que j'ai été incapable de remplir. Je l'ai donc fait sur papier libre. A chaque fois que je suis allé à un congrès, j'ai envoyé un mail au secrétariat pour les prévenir que j'étais invité par tel ou tel laboratoire. Je ne suis pas sûr que tout cela ait été répertorié sur le site mais, à chaque séance, on demande à ceux qui ont un conflit d'intérêts de s'identifier. Souvent, il est notifié dans les avis qu'un membre ou deux n'ont pas voté du fait d'un conflit d'intérêts.

M. François Autain, président - A ce sujet, sur la dizaine d'avis publiés par le HCSP, deux seulement comportent des indications concernant les modalités de délibération, celui du 7 septembre et celui du 29 janvier, où apparaissent très nettement les modalités de vote au CTV. Le 7 septembre, 19 personnes sur 20 étaient présentes et 4 n'ont pas participé au vote du fait de conflits d'intérêts. Pour ce qui est de la commission « maladies transmissibles », 14 personnes sur 19 étaient présentes et 2 n'ont pas voté du fait de conflits d'intérêts.

Il en est de même pour l'avis du 29 janvier mais pas des autres. Pourquoi ?

M. Christian Perronne - Auparavant, on ne le faisait pas figurer dans l'avis final publié sur Internet, s'agissant d'une procédure interne de régulation. Cela figurait dans le rapport interne mais lorsque la pandémie prenait des proportions importantes, on a estimé qu'il était préférable de faire tout de suite état des conflits d'intérêts, afin qu'on ne nous accuse pas d'agir en catimini.

Il est vrai que l'on aurait peut-être pu le faire avant. On a essayé d'améliorer les choses en marchant...

M. François Autain, président - Avez-vous l'intention de continuer à le faire ?

M. Christian Perronne - Nous allons bien entendu le faire systématiquement.

M. François Autain, président - Je n'ai pas relevé de mentions d'un vaccin ou d'un médicament particulier : ceci aurait pourtant permis à l'expert qui avait des liens avec le fabricant de ne pas participer au vote. Ce n'est pas très clair.

M. Christian Perronne - Les experts le précisent en séance. Il est vrai qu'on ne fait pas figurer dans le compte rendu les raisons du conflit d'intérêts. La participation non rémunérée à un conseil scientifique ponctuellement pour un congrès ne constitue pas forcément un conflit d'intérêts majeur. Or un membre du HCSP participe au conseil scientifique du Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG), manifestation annuelle organisée par l'industrie pharmaceutique. Bien qu'il le fasse à titre bénévole, on a considéré, dans le contexte de la grippe, qu'il s'agissait d'un conflit majeur, alors que nous ne l'aurions pas considéré comme un conflit majeur dans d'autres circonstances.

En cas de conflit majeur, on écoute la position de l'intéressé, qui peut être un expert excellent dans le domaine considéré ; puis, lors du débat final, il se retire et ne participe pas au vote.

M. François Autain, président - Comment la décision de recourir à la vaccination de tous ceux qui le souhaitaient a-t-elle été prise ? Cette décision vous paraît-elle fondée scientifiquement ?

M. Christian Perronne - C'est ce que j'ai dit : il s'agissait plus de considérations politiques et éthiques...

M. François Autain, président - Cela ne vous concerne pas...

M. Christian Perronne - C'est pour cela qu'on avait émis la possibilité.

M. François Autain, président - Sur le plan scientifique, vous n'avez pas à entrer dans ces considérations.

M. Christian Perronne - Un pays peut n'établir qu'une liste des groupes de population à risques, estimant ne pas avoir assez d'argent pour acheter des vaccins. A une certaine époque, le Président de la République Jacques Chirac avait dit que s'il existait une menace pandémique, l'Etat ferait tout pour donner les moyens de prévention à l'ensemble des Français. Il existait donc une réflexion politique indépendante de la nôtre ; nous n'étions donc pas là pour dire qu'il ne fallait pas vacciner tous les Français. Il s'agissait d'établir une liste de publics prioritaires. Si les politiques estiment que c'est possible sur les plans éthique et financier, nous avions dit qu'il nous semblait illégitime de prévoir des vaccins pour toute la population si le virus tournait mal. C'est à ce moment qu'il fallait le prévoir et non à la dernière minute.

On ne s'est donc pas désolidarisé des décisions politiques, apparues en temps réel, en fonction des données.

M. François Autain, président - Finalement, vous vous êtes conformés à la décision de nature politique prise par le Gouvernement concernant l'achat des vaccins - d'autant qu'on ne sait pas, sur le plan scientifique, quel pourcentage de la population vacciner pour enrayer l'épidémie.

M. Christian Perronne - Les chiffres diffèrent beaucoup d'un épidémiologiste à l'autre.

M. François Autain, président - Ne peut-on pas également s'interroger sur la faisabilité d'une politique de vaccination de masse dans un pays comme le nôtre ? En particulier, le taux d'acceptation du vaccin, de l'ordre de 75 %, à partir duquel les commandes de vaccins ont été calibrées, n'était-il pas irréaliste ?

M. Christian Perronne - La faisabilité était un sujet difficile. Il n'est pas très courant que les vaccins soient administrés par les médecins libéraux ; dans d'autres pays, comme l'Angleterre, on le fait dans les dispensaires. La France, comme les Etats-Unis, a choisi le système libéral. Il fallait donc convaincre les médecins libéraux, qui étaient partagés...

M. François Autain, président - Vous n'aviez pas à les convaincre !

M. Christian Perronne - Certains médecins craignaient d'être mobilisés pour la vaccination et de ne plus avoir le temps de s'occuper de leurs malades, considérant que leur cabinet n'avait, en outre, pas la surface nécessaire pour réaliser deux salles d'attente. La logistique était très compliquée. Tous les médecins n'étaient pas d'accord. Puis, la décision politique est intervenue et on ne nous a pas demandé notre avis concernant l'organisation des centres de vaccination qui, en cas de crise très grave, étaient bien adaptés. Lorsque le pic est retombé, ils se sont révélés suradaptés.

M. François Autain, président - Vous dites que l'on était dans l'incertitude : on a quand même eu la chance d'arriver après l'hémisphère Sud.

M. Christian Perronne - Les services de réanimation étaient saturés, certains jeunes étaient morts et on ne savait pas si le virus allait muter. En novembre, on commençait à décrire quelques mutations qui, fort heureusement, ne se sont pas transmises, mais personne ne savait comment cela allait évoluer.

M. François Autain, président - Si le virus avait muté, le vaccin demeurait-il encore valable ?

M. Christian Perronne - Oui, probablement.

M. François Autain, président - Comment pouvez-vous l'affirmer alors que vous êtes très pessimiste - et je vous comprends - concernant la mutation du virus ! Votre optimisme concernant le vaccin me surprend ! J'aurais plutôt tendance, comme vous, à dire qu'on ne peut savoir.

M. Christian Perronne - Si un virus mute avec un vaccin non adjuvé, alors le vaccin risque de ne plus être très efficace.

Pourquoi l'adjuvant avait-il été mis en avant en plus du fait qu'il pouvait permettre de produire plus de vaccins ? On avait démontré pour le H5N1, avec la souche Vietnam Singapour Indonésie, que lorsque celle-ci variait avec le temps, avec un adjuvant puissant, - même si la souche n'était pas exactement la même - le vaccin restait actif. Un objectif majeur était de privilégier les adjuvants afin de ne pas se retrouver avec des stocks de vaccins inefficaces si la souche variait pendant l'automne.

M. François Autain, président - C'est un risque que les Etats-Unis ont pris.

M. Christian Perronne - Ils ne l'ont pas choisi !

M. François Autain, président - Ah si !

M. Christian Perronne - Non ! C'est ce qu'ils ont prétendu. On peut toujours refaire l'histoire a posteriori mais les laboratoires américains n'avaient pas de brevet d'adjuvant, ne voulant pas dépendre des laboratoires européens, détenteurs des brevets. Ils étaient ennuyés car, sans adjuvant, ils ne pouvaient produire suffisamment de vaccins pour toute la population si le virus avait mal tourné.

M. François Autain, président - En tout cas, ils ont vacciné sans adjuvant.

M. Christian Perronne - Oui, ils n'avaient pas le choix.

M. François Autain, président - Ils ont pu vacciner bien avant nous puisqu'ils ont eu les vaccins en septembre. On n'a donc pas eu de chance !

M. Christian Perronne - Cela étant, il y a eu 300 morts en France et 10 800 morts aux Etats-Unis.

M. François Autain, président - C'est en effet ce que vous venez de nous dire.

La lutte contre la grippe H1N1 a découlé de la préparation contre l'éventualité d'une grippe H5N1, dont on prévoyait qu'elle serait très grave. Comment expliquer l'adaptation très lente de la stratégie vaccinale à la réalité des faits ?

M. Christian Perronne - La stratégie s'est adaptée au jour le jour, en fonction des données de la science. Il fallait que les laboratoires aient le temps d'adapter la souche et mener un minimum d'études complémentaires pour vérifier que cela fonctionnait avant de changer les recommandations.

C'est ce qui a été fait très régulièrement ; dès qu'on a su qu'une dose était suffisante, on l'a fait savoir quasiment en temps réel, avant l'Agence européenne du médicament.

M. François Autain, président - Quelle est votre définition d'une pandémie grippale ?

M. Christian Perronne - La pandémie se répand sur tous les continents. Certes, il existe des discussions sur les critères de gravité mais, historiquement, on avait toujours les résultats de mortalité deux ou trois ans après. Dans le cas présent, la gestion s'est faite en temps réel et a démontré qu'une épidémie ou une pandémie de grippe peut être d'abord bénigne et se révéler plus meurtrière lors de la deuxième vague.

Beaucoup d'experts ont choisi de ne pas se focaliser sur l'aspect a priori bénin, le virus pouvant changer en cours de route. Il avait surtout dès le départ un comportement pandémique. Même si le nombre de morts n'a pas été énorme, il a tué des jeunes sans facteurs de risque, contrairement aux cas précédents.

Il est très difficile de trouver des critères objectifs pour déterminer si ce virus, qui fait a priori peu de dégâts, va changer. Je n'ai pas les moyens scientifiques de le prévoir aujourd'hui On peut débattre du fait de savoir s'il faut inclure ou non les critères de gravité. Je pense que l'OMS a adapté ses recommandations pour faciliter la stratégie mais je reconnais que c'est un point difficile.

M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec cette définition : « Une pandémie grippale correspond à une forte augmentation au niveau mondial, dans l'espace et le temps, du nombre de cas et de leur gravité du fait de l'apparition d'un nouveau virus grippal de type A doté de caractères phénotypiques inédits, résultant d'une modification génétique majeure et contre lequel la population mondiale n'est pas protégée » ?

M. Christian Perronne - Oui, mais ces définitions, lorsqu'elles ont été élaborées, ont souvent été validées a posteriori quand tout était terminé.

La grande nouveauté réside dans le fait que tout a été vécu en temps réel. Fin avril, on ne parlait pas de la pandémie ; l'alerte lancée à Mexico a eu lieu du jour au lendemain. Tous les services d'épidémiologie ont ensuite donné des chiffres au jour le jour très variables. A posteriori , on s'est aperçu qu'il existait beaucoup de formes inapparentes. Les dénominateurs étaient toujours faux, empêchant de connaître exactement le chiffre de mortalité, qui a varié sans arrêt. Il était extrêmement difficile de prévoir ce qui allait se passer. Ce qui était clair - et qui a fait consensus chez les experts - est que ce virus avait un comportement inhabituel.

M. François Autain, président - Souscrivez-vous à cette définition ?

M. Christian Perronne - J'y souscris, en sachant que la gravité ne peut être que validée a posteriori .

M. François Autain, président - Vous y souscrivez donc tout en n'y souscrivant pas.

M. Christian Perronne - C'est cela.

M. François Autain, président - Cette définition ne convient pas du tout au H1N1 !

M. Christian Perronne - Dans cinquante ans, il se peut qu'une épidémie démarre apparemment de façon bénigne et entraîne une hécatombe six mois à un an plus tard.

M. François Autain, président - Cette définition figure dans le rapport du HCSP. C'est pourquoi je trouve qu'il y a quelques contradictions entre ce qui est écrit et ce qui est fait !

M. Christian Perronne - L'OMS a validé le fait qu'il y a eu une surmortalité reconnue dans la tranche d'âge des 15-24 ans. On peut le valider a posteriori .

M. François Autain, président - Mais il ne s'agit pas d'une définition qui correspond avec celle de l'OMS.

M . Christian Perronne - Dans l'histoire, chaque pandémie a été très différente.

M. François Autain, président - Et cela continue.

M. Christian Perronne - On ne pourra jamais prévoir au départ comment un phénomène va tourner.

M. François Autain, président - Les phénomènes de pandémies graves sont-ils les plus fréquents dans l'histoire ?

M. Christian Perronne - On les compte sur les doigts d'une main, de façon espacée ; il y aura d'autres épisodes. Je ne peux pas faire de scénario. Cette pandémie est rentrée très vite dans l'ordre. Je ne pense pas qu'elle soit majeure étant donné le contexte mais je ne connais aucun scientifique capable de faire une prévision fiable.

M. François Autain, président - Pourtant, ils n'ont guère arrêté d'en faire durant toute cette pandémie. Certains ont même publié en 2005 un livre retentissant qui annonçait une pandémie qui devait faire 500 000 morts. Je me demande même si l'un des auteurs n'est pas membre de votre commission ! Ils n'ont pas arrêté de se tromper ! Il faut donc espérer que cela cesse.

M. Christian Perronne - Beaucoup d'experts n'ont pas adhéré aux messages alarmistes. Dans nos messages aux médias, j'ai toujours dit que ce virus n'avait pas l'air d'être plus méchant qu'un virus saisonnier, à la différence qu'il pouvait tuer des jeunes et qu'on ne savait pas si des mutations n'allaient pas apparaître à l'automne. C'était le message constant qui revenait.

M. François Autain, président - Il n'y aura donc pas de deuxième vague ? Quittons-nous sur une note optimiste !

M. Christian Perronne - Les études ont montré que beaucoup de gens disposaient d'anticorps protecteurs ; il y a donc peu de risque que l'on connaisse une grande vague épidémique - sauf si le virus mutait mais on n'est pas pour l'instant dans cette probabilité.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué des pressions auxquelles le Haut Conseil a résisté.

Les laboratoires vous ont-ils invité à changer les cibles vaccinales concernant la prochaine campagne de vaccination antigrippale ?

M. Christian Perronne - Les recommandations officielles sont sur le site du Haut Conseil et ont été publiées hier dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire.

Comme tous les ans, il y a trois virus dans le vaccin saisonnier ; un des virus sera le H1N1 pandémique sans adjuvant. On a gardé la même cible que le vaccin saisonnier habituel - personnes de plus de 65 ans et celles présentant des facteurs de risques.

Mme Marie-Christine Blandin - Les laboratoires vous ont-ils invité à changer de cibles ?

M. Christian Perronne - Non, pas du tout. Nous avons parallèlement recommandé aux personnes non vaccinées présentant des facteurs de risque de se faire vacciner avec le vaccin monovalent dont on dispose dans les stocks actuels mais on n'a pas recommandé de vaccination systématique de tous les enfants - sauf ceux présentant des facteurs de risques.

Si le virus se réactive et qu'il existe une nouvelle vague à la rentrée, il sera toujours temps de voir mais, pour l'instant, cela ne nous semble pas justifié au vu des données épidémiologiques.

Mme Christine Blandin - Vous avez dit que deux doses étaient superflues presque avant l'Agence européenne. Pourquoi ne pas avoir utilisé les données scientifiques du Center for Disease Control (CDC) d'Atlanta, qui étaient disponibles le 15 septembre ?

M. Christian Perronne - Il faut avoir des données suffisantes pour pouvoir prendre une telle décision.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez qualifié de « délires » les campagnes contre les adjuvants ou les craintes de syndrome de Guillain-Barré. Appliquez-vous ce terme au Thiomersal, qui a été rendu nécessaire par le conditionnement en dix doses, alors que le site de l'AFSSAPS - dans des pages aujourd'hui disparues - recommandait l'abandon du mercure dans tous les vaccins ?

M. Christian Perronne - Le Thiomersal est un très vieux conservateur qui garde des traces de mercure ; il en existe depuis des décennies dans nombre de vaccins. Vous en avez tous reçus lorsque vous étiez jeunes - moi aussi ! Nous ne sommes pas tous devenus autistes ou encéphalopathes. Des milliards de gens dans le monde ont reçu du Thiomersal. Depuis quinze à vingt ans, la purification des vaccins est bien meilleure et il n'est plus nécessaire d'ajouter un conservateur aux vaccins, qui sont maintenant vendus dans la seringue.

J'étais donc très content que l'on supprime des traces de métal dans les vaccins. C'est plus écologique et j'en avais discuté depuis des années avec l'industrie, en recommandant d'éliminer petit à petit ce genre de produit. Même si on n'a jamais rapporté d'effets délétères, c'est un principe théorique.

Il y avait cependant urgence pour produire des flacons multidoses et l'industrie a été contrainte par la législation d'utiliser le conservateur employé pendant des années. Cela ne m'a pas choqué. Il existait un certain recul par rapport au Thiomersal. Que l'AFSSAPS ait estimé qu'il était mieux de ne plus en mettre n'est pas contradictoire.

M. François Autain, président - Je vous remercie de vous être prêté à ces questions.

Audition de M. Jean-François DELFRAISSY,
directeur de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses
à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale
(mercredi 2 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons à présent M. le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses (IMMI) à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean-François Delfraissy prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Jean-François Delfraissy - J'ai en effet des liens. Je suis directeur de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses, professeur de médecine à Bicêtre et je dirige également l'Agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales.

Je n'étais pas, jusqu'à mai 2009, expert de la grippe. Je n'avais donc pas de lien particulier avec les laboratoires de vaccins, ni avec les produits antigrippaux.

Par ailleurs, dans le cadre du Sida, je suis expert international pour le compte d'un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques.

Lorsque j'ai pris mes fonctions de directeur, j'ai annoncé à mon conseil d'administration que j'arrêterai toute relation au niveau national mais que je garderai pour certaines formes d'expertises les boards internationaux de l'industrie, que je revendique comme nécessaires pour participer à la collaboration internationale. Il s'agit de Merck, Gilead et Tibotec.

M. François Autain, président - J'ai consulté - sauf à considérer qu'il ne s'agit pas d'un lien - le site de la fondation GSK (GlaxoSmithKline) et j'ai constaté que l'on vous faisait figurer comme membre du conseil scientifique.

M. Jean-François Delfraissy - En effet. J'ai également fait partie de la fondation Roche mais je considère que ce n'est pas un lien puisqu'il s'agit de participer à une fondation. Tout le problème est de savoir comment se situe une fondation par rapport à un laboratoire industriel mais il n'y a aucun lien financier entre les laboratoires et ce que j'ai pu faire dans ces deux fondations. Je considère donc qu'il s'agit d'un apport à l'activité d'une fondation.

M. François Autain, président - Vous reconnaissez donc être membre du conseil scientifique de GSK et de la fondation Roche ?

M. Jean-François Delfraissy - J'ai été conseil scientifique de la fondation Roche mais je ne le suis plus ; je le suis encore dans le cadre de la fondation GSK.

M. François Autain, président - Merci. Vous avez la parole pour un exposé liminaire.

M. Jean-François Delfraissy - Je dirige l'IMMI, institut thématique monté dans le cadre de la réforme sur la recherche en France dont on m'a confié la charge il y a deux ans.

C'est dans ce cadre que, dès les premiers jours de mai, on a souhaité réagir et s'interroger sur le type de recherche qu'on allait pouvoir mettre en place à propos de ce qui allait devenir la pandémie A (H1N1)v, suivant les informations de nos collègues américains et mexicains.

Une lettre de demande a été rédigée par le ministère de la santé et celui de la recherche et on nous a donc confié l'organisation de la recherche sur H1N1. Pourquoi ? Il s'agissait, en premier lieu, d'une maladie infectieuse et de microbiologie. En second lieu, je dirige l'ANRS depuis cinq ans ; j'ai donc une certaine habitude dans le domaine des maladies infectieuses.

Je n'étais pas, jusqu'à fin avril-début mai 2009, un spécialiste du virus. Je suis connu comme spécialiste du Sida. On nous a donc confié cette mission du fait de nos facultés organisationnelles et de notre capacité à réagir à des questions d'urgence dans le domaine de la recherche.

Les choses étant à la fois compliquées et pas tant que cela, on apprend au fur à mesure et on développe une certaine forme d'expertise de la construction. C'est ce qui nous est arrivé.

On a donc construit cette recherche dont on peut tirer un certain nombre de conclusions. Comment construire la recherche dans l'urgence ? Comment l'Etat peut-il réagir ?

Tout d'abord, on vous confie une mission et on ne vous donne pas d'argent pour la réaliser. En même temps, il faut construire la recherche, l'animer, mettre les chercheurs autour d'une table, aller des sciences humaines et sociales à la biologie moléculaire et, dans le domaine de la virologie plus classique, vers des études de recherches cliniques et translationnelles. Il faut donc trouver des financements, courir les ministères, la Direction générale de la santé (DGS), les différentes structures de l'Etat, éventuellement les laboratoires pharmaceutiques, qui ont financé cette recherche...

M. François Autain, président - Ils le peuvent !

M. Jean-François Delfraissy - Ils le peuvent.

Dans d'autres pays européens, les choses se sont faites différemment. En Allemagne, où il existait une construction de la recherche sur le virus H1N1, la structure disposait de 20 millions d'euros sur douze mois.

En Angleterre, le MCR - Medical research council - a également prévu une somme d'emblée. Nous, nous avons en permanence évolué en faisant en sorte qu'on lance des projets sur les sujets suffisamment importants et en s'arrangeant pour que le financement suive. Ce sont là des conditions assez particulières sur lesquelles, me semble-t-il, la France peut faire mieux en termes de structures et de groupes de coordination pour faire face à une future maladie émergente.

Notre rôle a consisté à tenir compte de ce qu'on savait à l'époque et de ce qui a évolué au fur et à mesure, de réunir différents groupes de recherche, de cliniciens, de chercheurs fondamentalistes de l'INSERM, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou de l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

On a fait évaluer différents appels à projets pour monter environ 21 ou 22 dossiers concernant le H1N1. Ces projets portent sur des aspects cliniques de la recherche translationnelle, des cohortes, des essais de vaccination dans certaines niches qui n'étaient pas réalisés par l'industrie pharmaceutique, en particulier sur des populations qu'on pouvait penser plus fragilisées, comme les populations immunodéprimées, les transplantés rénaux, les cancéreux, les jeunes atteints de mucoviscidose. On a ainsi une série de cohortes ; 11 000 personnes ont été incluses dans la recherche translationnelle au cours des derniers mois.

On a mis en place des projets de recherche fondamentale en immunologie pour essayer de comprendre les mécanismes des formes graves, savoir quels étaient les marqueurs immunologiques, virologiques, génétiques et essayer de dépasser le problème du H1N1. Des approches de ce type ont existé dans le cadre de la tuberculose grave par exemple. Toute une série de recherche fondamentale sont en cours, pour essayer de comprendre pourquoi une personne de 23 ou 24 ans développe une forme grave en moins de 48 heures. Certaines choses sont en train d'apparaître et éclairent ce qui s'est passé pour ces formes graves dans le poumon profond.

Il existe aussi des essais virologiques plus fondamentaux avec le laboratoire P 4, à Lyon, qui permet de réaliser des recombinaisons complexes de virus.

Nous avons voulu d'emblée que la recherche soit multidisciplinaire et consacré plus de 15 % du budget à des aspects de sciences humaines et sociales, avec toute une série d'études autour du groupe de M. Jean-Paul Moatti, qui réunit une équipe de l'INSERM de Marseille pour s'intéresser à la réaction vis-à-vis de la vaccination et au positionnement des médecins généralistes. On a ainsi recueilli une série d'études qui permettent d'éclairer le problème vis-à-vis de la population générale.

Notre idée globale est qu'il faut profiter de cette situation d'urgence pour tirer un certain nombre de leçons qui dépassent le problème même du H1N1.

Nous avons construit entre mai et septembre-octobre, observé entre octobre et décembre, moment auquel on pensait que la pandémie arriverait et déconstruit à partir de janvier, en se rendant compte que la pandémie n'était pas conforme à ce que l'on attendait. On a abandonné un certain nombre de sujets de recherche. C'est la première fois que cela m'arrive à ce niveau de conception après avoir mis en place des projets en moins d'un mois !

Tout ceci représente environ 12 millions d'euros. Ces sommes sont en partie issues du ministère de la recherche, de la réserve budgétaire de l'INSERM, en partie libérée par le ministère des finances, le ministère de la santé, la DGS, le plan « très grandes cohortes ». Elles proviennent également de différents organismes de recherche. L'ANRS a lancé deux projets chez des patients séropositifs, dont un essai de vaccination. Cela s'est fait également avec une aide finalement peu importante de l'industrie pharmaceutique : sur 12 millions d'euros, l'aide à la recherche doit représenter quelques centaines de milliers d'euros, en particulier de la part du laboratoire Roche.

Tout cela a été réalisé dans la transparence. Le problème de la relation de l'expertise et des experts avec l'industrie est un vieux débat. Mon opinion n'est peut-être pas la même que la vôtre...

M. François Autain, président - Nous n'avons pas encore d'opinion !

M. Jean-François Delfraissy - Il me semblait que vous aviez quelques orientations...

J'ai demandé à l'ensemble des experts de préciser dès le début du mois de juin leur participation aux différents comités industriels.

Je regrette deux choses. Je n'étais pas expert de la grippe, mais j'ai arrêté tout le reste pour me plonger dans ce sujet. Je le suis donc devenu. Je l'ai dit dans les médias et je le confirme : je me suis trompé ! Je ne me suis pas trompé sur le fait que cette grippe serait bénigne, ni sur le fait qu'il y aurait des formes graves chez les gens jeunes mais sur le fait qu'il y aurait des désorganisations sociétales qui n'ont pratiquement pas eu lieu. Je les voyais plutôt fin octobre début novembre, comme à Buenos Aires ou dans certaines villes mexicaines.

En second lieu, il est naturel pour moi de travailler avec des associations de patients. Pour ce qui est de la grippe A (H1N1)v, les choses ont été compliquées : qui représentait les futurs patients ? On s'est en particulier posé la question des femmes enceintes, à propos desquelles il existait une discussion sur la gravité d'une infection par le virus et sur leur vaccination. Qui pouvait les représenter ? La grossesse n'est pas une maladie ! Ce n'est pas faute de l'avoir évoqué, ni d'y avoir pensé mais on a probablement manqué quelque chose en n'introduisant pas suffisamment la société civile au sein de ces recherches.

M. François Autain, président - Merci.

Quelle est votre définition d'une pandémie grippale ?

M. Jean-François Delfraissy - Je n'ai pas d'opinion. L'OMS a établi une définition au moment de l'apparition de ce nouveau virus dans un ensemble de pays et plusieurs zones géographiques, sans intégrer la notion de gravité. C'est là que se situe la discussion.

M. François Autain, président - Vous ne pensez donc pas que le facteur de gravité a sa place dans la définition d'une pandémie...

M. Jean-François Delfraissy - Je nuancerai : j'ai rappelé la définition donnée pas l'OMS....

M. François Autain, président - Elle a d'ailleurs changé et elle change encore !

M. Jean-François Delfraissy - Au début de cette pandémie, en mai-juin 2009, la définition portait sur l'existence d'un nouveau virus dans plusieurs zones géographiques.

La notion de gravité de la maladie elle-même n'entrait pas dans la définition. Qu'on puisse la faire entrer - la gravité est un facteur que nous connaissons tous les jours en médecine - est probablement important et intéressant mais difficile à évaluer. En effet, pour faire appel à la notion de gravité, il faut déjà avoir des chiffres.

M. François Autain, président - Certes mais c'est un élément qui n'est pas complètement inutile !

M. Jean-François Delfraissy - C'est ce que j'ai dit : on est parti d'une définition différente.

M. François Autain, président - Absolument ! Une pandémie d'éternuements n'a pas la même gravité qu'une pandémie de grippe H5N1, si tant est qu'elle arrive un jour !

M. Jean-François Delfraissy - A contrario , reconnaissez aussi que vous êtes devenu quasi-expert...

M. François Autain, président - Non, sûrement pas ! Je n'en ai pas du tout le profil ! Je ne travaille pas avec les laboratoires. Je n'ai aucune chance !

M. Jean-François Delfraissy - Reconnaissez que le H5N1 a été une grippe grave...

M. François Autain, président - On ne le sait pas !

M. Jean-François Delfraissy - Elle aurait pu l'être mais a touché très peu de monde. On a bien là la double opposition entre une pandémie qui repose sur le nombre et la répartition géographique et, en second lieu, un virus qui, dans l'interaction qu'il a avec le corps humain, est plus pathogène. Son taux de gravité est beaucoup plus important que dans l'autre cas.

M. François Autain, président - Si on avait fait l'économie du facteur de gravité, je pense que l'on ne se serait pas mobilisé autant qu'on l'a fait sur un virus H5N1 qui n'était même pas très répandu à travers le monde mais qui avait un caractère de gravité particulièrement élevé. Il me semble que c'est l'élément fondamental qui a mobilisé toute la communauté scientifique et les politiques. Or, tout à coup, pour le H1N1, on se débarrasse du facteur de gravité, alors qu'il avait été l'élément central du H5N1 ! Il y a là un changement de pied que je ne m'explique pas.

M. Jean-François Delfraissy - Vous avez raison aujourd'hui mais nous avions un certain nombre d'incertitudes du fait des données de la littérature relatives à la notion de gravité, qui ont commencé à apparaître mi-juillet.

Dans les premiers projets de recherche, rien sur les formes graves n'apparaissait en mai et juin. Il a fallu un certain nombre d'alertes des équipes américaines et du Mexique, qui ont montré que des formes graves touchaient des gens jeunes sans aucun antécédent. C'est à ce moment qu'a eu lieu la convergence avec la définition de la pandémie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), celle-ci touchant toutes les régions du monde avec des formes graves possibles. L'erreur, je vous l'accorde, a porté sur le pourcentage ou l'ampleur de ces formes graves.

M. François Autain, président - D'où l'intérêt d'avoir une information sur la gravité. Si on l'avait prise en compte, on n'aurait peut être pas déclenché aussi rapidement le niveau 6. Je ne sais pas quelles conséquences cela aurait pu avoir mais la question reste posée.

M. Jean-François Delfraissy - C'est un des vrais débats, qui montre bien que la définition de l'OMS classique n'est évidemment pas suffisante.

C'est une définition de santé publique. Elle a besoin de se rapprocher d'aspects plus médicaux prenant en compte la gravité.

M. François Autain, président - Nous sommes toujours sous alerte pandémique de niveau 6. On ne s'en rend pas compte mais c'est pourtant le cas - je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi !

Peut-on considérer que la souche H1N1 est réellement nouvelle puisque la population des plus de 60 ans était partiellement immunisée ? Il s'agit d'une souche que l'on connaissait déjà, à l'origine de la grippe espagnole ainsi que de l'épidémie de 1976 aux Etats-Unis. Ce n'était donc pas un virus très nouveau puisqu'il n'y avait pas de cassure mais une simple variation.

Quand je lis la définition que donne le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de la pandémie, je m'aperçois qu'elle ne correspond pas au H1N1 ! Je ne sais si vous en avez pris connaissance : « Une pandémie grippale correspond à une forte augmentation au niveau mondial, dans l'espace et le temps, du nombre de cas et de leur gravité du fait de l'apparition d'un nouveau virus grippal de type A doté de caractères phénotypiques inédits, résultant d'une modification génétique majeure et contre lequel la population mondiale n'est pas protégée ».

Il ne s'agit pas d'une modification génétique majeure et l'on s'aperçoit qu'une partie de la population est protégée ! J'aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Jean-François Delfraissy - C'est un problème difficile - mais c'est normal ! Vous connaissez les deux aspects que peut revêtir le virus grippal, avec des mutations habituelles, en partie prévisibles, qui se trouvent au sein d'une grande famille et d'une souche donnée, d'une part, d'autre part, ce phénomène de cassure qui est très différent, assez imprévisible et qui peut se traduire par l'apparition de nouvelles variantes.

En second lieu - et c'est là où je ne vous suis pas tout à fait - il existe à la fois des virus nouveaux mais aussi des virus anciens qui circulent à nouveau. En termes d'épidémie et de grippe saisonnière, chaque année un virus saisonnier va dominer plus ou moins. Cela ne veut pas dire pour autant que les virus antérieurs, issus soit de mutations, soit de cassures, ont totalement disparu ! Ils sont restés des phénomènes minoritaires mais peuvent avoir aussi avoir évolué dans le temps - et c'est ce qui s'est passé en particulier pour le H1N1. Les virus de la grippe espagnole et celui de 1976 sont proches sans être tout à fait les mêmes.

Par ailleurs, je rappelle que le virus H1N1 qui continuait à circuler dans la zone nord d'Europe occidentale était résistant au Tamiflu alors que le virus H1N1 de 2009 est sensible au Tamiflu ! Vous avez raison en ce sens qu'on n'a pas un virus complètement nouveau mais je ne vous suis pas lorsque vous dites qu'il s'agissait d'un virus complètement connu et sur lequel on avait toutes les données pour penser qu'il s'agirait d'un virus peu pathogène.

Dans les derniers jours d'avril et les premiers jours de mai 2009, on s'est tous plongé - moi le premier - dans l'histoire de la grippe espagnole. La gravité était-elle liée au fait que les gens sortaient totalement dénutris de la guerre de 1914 ? C'est ce que tout le monde pensait mais - manque de chance - ce n'est pas tout à fait le cas car des registres anglais montrent qu'en Inde, déjà dans un système de dénutrition ancien, la population a été gravement touchée par le virus. Vous ne pouvez donc raisonner de la sorte. Les choses sont complexes !

M. François Autain, président - Le bon sens nous commanderait de penser que le H1N1, même dans sa version pandémique 2009, a plus à voir avec la grippe espagnole et la grippe de 1976 qu'avec le H5N1.

M. Jean-François Delfraissy - J'ai été davantage un organisateur de la recherche qu'un expert direct et je suis donc très libre pour vous parler, peut-être plus que d'autres : dire que la grippe espagnole n'a somme toute pas été si grave est un peu dur à entendre !

M. François Autain, président - Je me suis mal exprimé : je n'ai pas dit que la pandémie 2009 avait plus à voir avec la pandémie de grippe espagnole. Je disais que la souche H1N1 de la pandémie 2009 a - me semble-t-il - plus de points communs avec la souche de la grippe espagnole.

M. Jean-François Delfraissy - C'est le cas.

M. François Autain, président - Une chose me trouble : les trois pandémies du XX e siècle - 1918 1957 et 1968 - se sont respectivement traduites par l'apparition d'une souche nouvelle : H1N1, H2N2 et H3N2. On avait véritablement là une cassure correspondant à la définition du HCSP alors qu'on a, pour la première fois au XXI e siècle, une pandémie qui n'est la résurgence d'une souche qui avait déjà sévi au cours du siècle passé.

M. Jean-François Delfraissy - J'ai tenté de vous expliquer la façon dont cela a été vécu.

Le fait même qu'il s'agisse d'une souche H1N1, assez proche - on s'en est rendu compte très vite - de la couche H1N1 de la grippe espagnole n'était pas rassurant fin avril-début mai 2009 ! La grippe espagnole avait quand même causé, en termes de pandémie grippale, une mortalité relativement importante. L'inquiétude était bien autour de cela. Vous avez raison de dire que ce n'était pas une cassure profonde mais le retour d'un virus qui a tourné durant toute cette période avec un certain nombre de mutations ; mais ce virus avait cependant provoqué la pandémie grippale la plus lourde ! Tant mieux si vous ne l'avez pas ressenti ainsi mais les médecins, eux, on éprouvé autre chose !

M. François Autain, président - J'ajoute qu'elle a été aussi à l'origine de cette fameuse épidémie de 1976 aux Etats-Unis qui a donné lieu à la publication d'un livre intitulé « L'épidémie qui n'a jamais existé » !

M. Jean-François Delfraissy - Je vous ai dit spontanément que je me suis trompé. Je ne peux donc être plus clair mais il est assez facile de refaire l'histoire ! Sur le plan scientifique, le fait que la souche soit très proche de celle de 1918 pouvait laisser entrevoir, indépendamment de la définition de la pandémie, des formes plus graves qu'on ne l'avait imaginé ! J'ai toujours dit qu'on n'avait pas de données et qu'il fallait attendre pour voir ce qui allait se passer. Je suis donc à l'aise pour en parler mais la période de fin avril-début mai était relativement complexe.

M. François Autain, président - A partir de quel moment était-il scientifiquement établi que la grippe H1N1 serait majoritairement bénigne ? Dès lors que la virulence du virus était similaire à celle de la grippe saisonnière, pourquoi une double vaccination sur le modèle du vaccin H5N1 a-t-elle été jugée nécessaire ?

M. Jean-François Delfraissy - Je n'ai pas tous les éléments de réponse mais vous avez raison de me pousser dans mes retranchements...

M. François Autain, président - Je n'avais pas ce sentiment !

M. Jean-François Delfraissy - L'ambiguïté réside dans le fait que l'ensemble des plans relatifs à la grippe ont été construits bien des années auparavant sur un virus de type H5N1, vous avez pleinement raison. Il y a donc eu probablement, en termes d'organisation du système de prise en charge, de recherche, et de la part des médecins, une sorte de confusion entre le plan H5N1, les premières données de ce qui était une vraie pandémie et la survenue de certaines formes graves.

Beaucoup de gens ont dit que cette grippe aurait un taux de pénétration et de contamination important, serait globalement bénigne mais connaîtrait un certain nombre de formes graves. Toute la discussion se situe sur le pourcentage attendu. Ces formes graves ont existé mais avec un nombre de cas beaucoup moins important que celui évoqué.

En revanche, pour ce qui est du taux de pénétration les données sont plus compliquées. On estime que 6 à 7 millions de personnes ont été contaminées en France. Toute une série d'éléments issus de la recherche montrent qu'indépendamment, entre 15 et 20 millions de Français ont développé des formes asymptomatiques. C'est un élément inattendu car, compte tenu de ce que l'on sait, les personnes atteintes de virus grippaux développent en majorité des formes plus ou moins symptomatiques.

M. François Autain, président - Dès lors que la virulence du virus était similaire à celle de la grippe saisonnière, pourquoi une double vaccination sur le modèle du vaccin H5N1 a-t-elle été jugée nécessaire ?

Un expert nous a même dit qu'il estimait qu'en juillet on aurait pu décider qu'une dose serait suffisante.

M. Jean-François Delfraissy - J'essaie de me remémorer l'époque et les données. S'il l'a dit, il l'a dit, il assume ! Ce n'est pas tout à fait ce dont je me souviens. Je me rappelle que l'on disait ne pas savoir. En outre, le modèle retenu, je le répète, était le H5N1 - et c'est probablement là qu'a résidé le souci. Le vaccin contre le virus H5N1 est un vaccin assez peu immunogène. Par analogie, l'idée a été de préconiser deux vaccinations et un adjuvant, dont la France disposait par ailleurs. Compte tenu de l'inquiétude, j'imagine que la décision a été de couvrir le maximum de personnes.

Je ne faisais pas partie du comité d'experts de vaccination. Je voyais les choses dans l'optique de la recherche. Parmi les questions que nous nous sommes posées, il y avait celle des groupes de patients plus à risque que les autres - immunodéprimés, cancéreux, atteints du VIH, transplantés. L'industrie pharmaceutique n'étudiait pas ces groupes. C'était donc à nous, organisme de recherche, de le faire.

Nous avons conçu des essais de phase II dans lesquels nous avons considéré le sujet sous l'angle du vaccin avec et sans adjuvant. On a démontré que l'adjuvant n'était pas nécessaire, y compris pour les populations immunodéprimées - mais on a eu les résultats seulement en décembre.

M. François Autain, président - Le rapporteur étant absent, je suis tenu de remplir les fonctions de président ainsi que les siennes. Je dois donc vous poser les questions qu'il vous aurait lui-même adressées.

Sur quelles données se fonde votre estimation que le vaccin antigrippal saisonnier réduit de 80 % les cas de grippe prouvés virologiquement ?

Cette déclaration provient d'un document d'information sur la grippe émanant de l'INSERM où vous considérez que le vaccin antigrippal saisonnier - je cite - « est efficace puisqu'on estime qu'il réduit de 80 % les cas de grippe » . Il s'agit d'un document du 11 septembre 2009.

M. Jean-François Delfraissy - Il existe assez peu de données de santé publique sur l'efficacité du vaccin antigrippal saisonnier. Une étude montre cependant - M. Fabrice Carrat a dû vous le dire si vous l'avez auditionné...

M. François Autain, président - Non, nous ne l'avons pas auditionné. Il s'agit bien de la personne qui est modélisateur ?

M. Jean-François Delfraissy - C'est un médecin de santé publique, épidémiologiste et modélisateur. Une étude portant sur des personnes âgées de plus de 70 ou 75 ans qui sont hébergées en structures d'accueil montre un taux de réduction important de l'infection par le virus lié au vaccin saisonnier. C'est la seule étude véritable, en termes de santé publique, qui montre une efficacité du vaccin saisonnier.

M. François Autain, président - Certains intervenants que nous avons auditionnés étaient très réservés sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, à tel point que j'en arrive à me demander s'il est utile que je me fasse vacciner tous les ans ! Je me pose des questions... J'en suis là pour le moment.

M. Jean-François Delfraissy - J'entre là dans un domaine qui n'est pas le mien. Je ne fais pas partie du comité d'experts de vaccination mais il faut distinguer les recommandations du vaccin contre la grippe saisonnière habituelle, qui cible un certain nombre de populations plus à risque que d'autres - personnes âgées, personnels soignants, immunodéprimées, etc. - de la recommandation de vaccination générale contre le virus H1N1. On est, dans le cadre de la vaccination contre le virus saisonnier, dans une vision de protection à visée individuelle alors que la décision prise en termes de vaccination générale revêt un aspect populationnel. Ce sont deux visions différentes de la vaccination.

M. François Autain, président - Quel crédit faut-il accorder à l'idée qu'une mutation du virus A(H1N1)v pourrait entraîner une deuxième vague plus grave que la première ?

M. Jean-François Delfraissy - Je n'en sais rien !

M. François Autain, président - Vous êtes donc comme moi !

M. Jean-François Delfraissy - Deux types de mutation pouvaient éventuellement être recherchés. Y a-t-il, dans les formes graves, un mutant qui serait plus pathogène et qui, pour des raisons diverses, ne serait pas dominant, les formes graves ayant été minoritaires ? Y a-t-il une relation entre la mutation du virus et la survenue d'une forme grave ? La réponse, eu égard à tous les éléments dont nous disposons, est probablement non.

On ne peut totalement l'affirmer ; une série d'études est encore en cours mais on pense plutôt qu'il s'agit d'une réaction immunitaire de l'hôte qui génère un phénomène d'hyperactivation qui déclenche la forme grave.

La seconde question consistait à savoir si on allait revenir à un H1N1 résistant au Tamiflu ? Pour l'instant, la réponse est non !

M. François Autain, président - Il faut relativiser. L'efficacité du Tamiflu est très controversée.

M. Jean-François Delfraissy - J'ai des éléments pour tenter d'y répondre.

M. François Autain, président - On nous a dit tout et son contraire en la matière.

M. Jean-François Delfraissy - Comme vous le savez, cette communauté n'est pas forcément totalement unanime !

M. François Autain, président - Sauf pour ce qui est de la pandémie H1N1. Manque de chance, tout le monde s'est trompé ! Cela peut arriver !

M. Jean-François Delfraissy - Je reviens à la question : l'utilisation du Tamiflu a-t-elle un intérêt ou non ? Y a-t-il des éléments pour le penser ?

Pour démontrer l'intérêt d'un médicament, il faut en général un essai randomisé. Vous n'en trouverez pas pour démontrer l'efficacité du Tamiflu !

En revanche, on peut s'interroger sur le fait de savoir pourquoi, en France, la grossesse n'a pas été considérée comme un facteur de gravité, comme aux Etats-Unis ou dans d'autres pays.

Environ 1 450 à 1 500 formes graves sont passées en réanimation. On compte parmi ces cas, environ 350 formes graves chez des gens jeunes, sans aucun antécédent.

Dans ce qui est décrit aux Etats-Unis, la grossesse constitue un facteur de gravité. Cela a été très angoissant ! Ma fille était enceinte à ce moment : c'était un élément angoissant ! La majorité des appels téléphoniques portaient sur ce que l'on faisait autour de la grossesse.

En France, on a eu très peu de formes graves chez les femmes enceintes et beaucoup d'entre elles ont refusé la vaccination. Ont-elles été plus vite traitées dès la moindre suspicion, par Tamiflu ? Oui !

En second lieu, lorsqu'on compare, en France, les formes graves et les formes bénignes, il ressort que les premières n'ont pas été traitées par Tamiflu.

Il s'agit d'études observationnelles et non d'études randomisées mais c'est un élément assez fort qui me conforte pour dire que notre pays a su réagir dans ce contexte pour prendre les femmes enceintes en charge !

M. François Autain, président - Ce n'est pas un niveau de preuve considéré comme très élevé !

M. Jean-François Delfraissy - Non, mais je puis vous citer un autre exemple. Dans mon domaine, qui est celui du VIH, une grande découverte française réside dans le fait que la circoncision réduit le taux de transmission. Il a fallu un essai randomisé français en Afrique du Sud pour le démontrer mais on avait eu auparavant un grand nombre d'études observationnelles. On ne peut donc pas non plus balayer complètement l'étude observationnelle ; elle n'est pas suffisante mais elle est intéressante. Il y a aussi des essais qu'il faut savoir ne pas mener.

M. François Autain, président - Nous sommes d'accord !

Etant donné le caractère nécessairement tardif de l'arrivée des vaccins contre un virus émergeant, la vaccination de l'ensemble de la population pour un effet « barrière » est-elle une solution réaliste ?

M. Jean-François Delfraissy - Non, mais ceci a été largement discuté dès les premiers jours de septembre dans les différents groupes. Une réunion à l'Institut Pasteur avait été organisée sur les formes graves, enjeux de ce début septembre. On pensait alors que la pandémie arriverait plus tôt. Or, en octobre, on a été soulagé de voir que l'on bénéficiait d'un été indien relativement long. L'arrivée de la pandémie a donc été repoussée et on pensait être prêt dans les temps. Bien sûr, la question s'est posée et on en a discuté.

M. François Autain, président - Vous croyez donc à l'effet barrière, en matière de pandémie grâce à la vaccination

M. Jean-François Delfraissy - L'effet barrière existe dans d'autres domaines : cela a fort bien été démontré par une étude menée il y a plus de trente ans à propos de méningites cérébrospinales en Argentine.

M. François Autain, président - Je parle du H1N1.

M. Jean-François Delfraissy - L'effet barrière du vaccin n'est pas une conception de l'esprit : elle existe et a montré son efficacité dans l'arrêt d'une maladie infectieuse en situation épidémique. C'est clair et je maintiens ma position sur ce point !

En revanche, pour ce qui est du H1N1, la discussion portait sur le taux de pénétration et sur la date de disponibilité des vaccins.

M. François Autain, président - Ils sont arrivés trop tard !

M. Michel Setbon, directeur de recherche au CNRS, que nous avons auditionné, rejoignant M. Thomas Jefferson, épidémiologiste, également auditionné, estime que « la meilleure protection contre une maladie virale n'est pas obligatoirement la vaccination. Contre le Sida et la grippe, ce sont le préservatif et le lavage de mains » . Il ajoute : « Les Français ont plus de bon sens que les experts en maladies infectieuses. Le travers de ces derniers, c'est de sauter de joie lorsque leur objet est concrétisé. Ils n'ont pas de distance critique par rapport à l'événement » .

M. Jean-François Delfraissy - Quelles conclusions en tirez-vous ?

M. François Autain, président - Aucune ! Je voudrais avoir votre avis ! Pour le moment, nous sommes à un stade de recherche.

M. Jean-François Delfraissy - Ne mélangeons pas les problèmes. Le Sida est une maladie sexuellement transmissible : 2,7 millions de nouvelles contaminations chaque année ; 36 millions de personnes atteintes dans le monde ; 7 à 8 000 nouvelles contaminations chaque année en France !

Quels sont les moyens de prévention contre une maladie sexuellement transmissible ? Nous n'avons pas de vaccin actuellement mais nous l'aurons un jour et ce sera une bonne chose ! En second lieu, il y a bien sûr les recommandations de changements sociétaux et comportementaux - être fidèle, etc. Enfin l'usage du préservatif reste le message fort qui a montré son efficacité, quoiqu'en dise sa Sainteté le Pape, et qui est apparu comme un outil de réduction de la transmission.

Néanmoins, plus de vingt-cinq ans après le début de cette épidémie, nous sommes toujours à 2,7 millions de nouvelles contaminations dans le monde chaque année. En région parisienne, dans des enquêtes menées récemment dans le jeune milieu homosexuel, le taux de prévalence se situe autour de 17 %. On peut donc dire que le message de la prévention et du préservatif est un bon message, qui doit être poursuivi et soutenu mais que le résultat est insuffisant et que nous sommes dans un relatif échec de la prévention. C'est d'ailleurs pourquoi on est en train de monter de nouvelles stratégies dans ce domaine.

Pour ce qui est de la lutte contre le virus H1N1, il existe toute une série de recommandations fortes autour du lavage des mains. Elles ont été très positives et doivent être relevées.

Je connais M. Michel Setbon depuis longtemps ; il faisait partie du groupe de recherche. Pourquoi n'a-t-il pas dit tout cela dès le mois de mai juin ?

M. François Autain, président - On ne pourra pas lui demander puisqu'on n'a pas l'intention de l'auditionner à nouveau !

M. Jean-François Delfraissy - Les choses sont évidemment beaucoup plus complexes !

M. François Autain, président - Vous avez évoqué la difficulté d'organiser la recherche dans l'urgence sur le H1N1.

Estimeriez-vous nécessaire de mener des recherches sur la grippe saisonnière, sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe, la prévalence de la grippe, son taux de mutation, etc. ?

Dans quel état la recherche, en France, se trouve-t-elle dans ce domaine ?

M. Jean-François Delfraissy - Vous avez raison. C'est ce qui va ressortir de toute la recherche qui a été mise en place autour du H1N1. On a eu l'opportunité de poser un certain nombre de questions qui n'avaient pu être formulées jusqu'à présent. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il y a derrière la recherche, des problèmes de financements qui ne sont pas simples. Le H1N1 ne constitue qu'un modèle pour poser des questions et structurer une communauté autour de la recherche sur les virus grippaux en général, afin d'avoir, dans le domaine de l'épidémiologie et de la santé publique, des données fiables sur l'efficacité du vaccin chez les personnes âgées notamment, domaine dans lequel il n'existe qu'une seule étude. Ceci montre bien le chemin qui reste à parcourir.

L'immunité obtenue après vaccin contre le H1N1 ou un virus saisonnier est-elle différente de l'immunité obtenue après une infection ? On est en train de chercher à savoir si les anticorps ont une durée de vie et si la réaction immunitaire de type « T » est la même.

Le modèle que l'on a monté n'a d'intérêt que si l'on est capable de mener une recherche sur la grippe dans son ensemble. Il faudra ensuite voir comment budgéter ce qui ne sera pas chose facile, compte tenu des restrictions budgétaires globales.

Cela signifie qu'il faut avoir une vraie vision et investir dans ce domaine. Je compte sur vous pour le dire !

M. François Autain, président - Une toute petite partie de l'argent consacrée à l'achat des vaccins vous suffirait pour mener une recherche intéressante.

M. Jean-François Delfraissy - C'est un problème général en France et qui est moins marqué aux Etats-Unis.

M. François Autain, président - J'ai lu dans le Quotidien du médecin que vous estimiez que le coût de la prise en charge et des vaccins - environ 700 millions d'euros - était tout à fait raisonnable.

Vous minorez d'ailleurs le chiffre, le prix de revient d'une injection dans les vaccinodromes étant de 110 euros. Permettez-moi de penser que l'on aurait pu faire mieux !

M. Jean-François Delfraissy - Il est vrai que, dans le système de santé, 700 millions d'euros - je parlais des vaccins et non de la globalité me semble-t-il - représente une somme non négligeable.

M. François Autain, président - On consacre chaque année 300 millions d'euros au plan cancer !

M. Jean-François Delfraissy - Dans le domaine du Sida, nous avons 45 millions d'euros chaque année. Je suis donc sensible aux chiffres.

Il faut relativiser. Qu'est-ce que 700 millions d'euros pour une prise de décision politique ? On est dans un contexte de protection globale. Par rapport à ce qui se passe dans le domaine de la crise financière, je considère qu'il s'agit de peu de choses !

On pouvait probablement faire différemment mais la somme elle-même n'est rien, comparée à celles engagées par les autres pays...

M. François Autain, président - A l'exception de la Pologne, où le résultat a été totalement identique au nôtre !

M. Jean-François Delfraissy - 700 millions d'euros c'est considérable mais ce n'est rien par rapport à la crise financière. Il faut savoir où est l'enjeu ! Pour moi - et je l'assume en tant que médecin - même si la somme a été importante, elle est infime par rapport aux flux en jeu dans le secteur de la régulation financière !

M. François Autain, président - Nous en restons, quant à nous, au cadre de la santé !

Je vous remercie infiniment de vous être prêté à cette série de questions.

Audition de M. Louis MERLE, professeur de pharmacologie,
président de la commission de pharmacovigilance
de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS)
(mercredi 9 juin 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Louis Merle, professeur de pharmacologie, président de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS).

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Louis Merle prête serment.

M. François Autain , président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Louis Merle - Mon neveu a été embauché il y a deux mois en CDI dans une des entreprises qui fabrique des vaccins, Sanofi, à Rouen. Il est pharmacien.

M. François Autain , président - Vous aviez déclaré sur le site de l'AFSSAPS avoir des liens avec GSK Rouen. Vous n'en avez plus ?

M. Louis Merle - Mon neveu avait un CDD avec GSK (GlaxoSmithKline). Quand il a achevé ses études, il y a un mois ou deux de cela, il est passé de GSK à Sanofi. J'en ai informé l'AFSSAPS, qui est donc au courant.

M. François Autain , président - Je vous remercie.

Vous pouvez donc commencer par un exposé liminaire. Je vous poserai ensuite les questions que notre rapporteur, absent exceptionnellement, devait vous poser.

M. Louis Merle - Je vous remercie de me permettre de parler de pharmacovigilance. Je viens de Limoges. Je suis responsable du centre régional de pharmacovigilance.

La pharmacovigilance est l'étude des effets indésirables des médicaments. Il s'agit de gestion du risque médicamenteux.

Nous prenons une certaine distance vis-à-vis du médicament. Les utilisateurs quotidiens voient essentiellement le côté bénéfique des médicaments ; pour notre part, nous en voyons le côté nuisible, les effets indésirables. Nous sommes donc d'emblée un peu moins favorables que d'autres aux médicaments. Nous avons un avis peut-être plus objectif, si je puis dire...

M. François Autain , président - Cela signifie-t-il que ce n'est pas le cas de vos collègues qui exercent, par exemple, dans d'autres structures de l'AFSSAPS ?

M. Louis Merle - Ce que je veux dire, est qu'il existe un certain état d'esprit du domaine pharmacovigilance. Pour nous, le médicament n'est pas une panacée. Bien entendu, le bilan global des médicaments est évidemment favorable. Mais dès qu'on nous parle de médicaments, nous pensons tout de suite aux problèmes qui peuvent leur être associés alors que l'utilisateur quotidien en voit immédiatement le bénéfice, le risque passant au second plan.

Nous mesurons donc peut-être mieux l'aspect bénéfices-risques, étant plongés dans l'étude des effets indésirables de ces médicaments.

Les effets indésirables, dans le cadre de cette campagne contre la grippe comportant les vaccins ou les médicaments antiviraux, ont été examinés dans le cadre d'un système qui existait déjà depuis longtemps.

Je voudrais vous dire un mot de l'organisation de la pharmacovigilance pour comprendre comment le problème de la grippe s'est intégré dans ce système.

En France, les professionnels de santé devraient signaler à un centre de pharmacovigilance les effets indésirables des médicaments qu'ils observent. Il y a, en France, 31 centres suivant un découpage géographique, chacun ayant une zone de responsabilité géographique.

Le travail de la pharmacovigilance est de dire que l'événement signalé est un effet indésirable du médicament. Il s'agit d'établir la relation de causalité, l'imputabilité pour employer un terme juridique.

Les problèmes ne sont pas originaux et ne font que mimer des pathologies banales : une éruption, une hépatite qui seraient d'origine infectieuse et les mêmes d'origine médicamenteuse sont a priori au départ la même chose.

Il faut donc établir cette relation de cause à effet. Pour nous, cela devient un élément du dossier médical, une observation qui est introduite dans une base de données nationale informatisée, accessible à l'AFSSAPS et aux centres de pharmacovigilance. Régulièrement, tous les mois, nous avons des réunions à l'AFSSAPS pour discuter de l'état sanitaire médicamenteux de la population. Parfois un problème émerge et nous décidons de l'étudier de plus près.

Depuis l'été dernier, l'AFSSAPS nous avait informés que le problème de la grippe allait arriver et que nous allions avoir une surveillance très importante. Celle-ci s'est intégrée dans le système existant, avec des éléments complémentaires.

On nous a signalé des observations, ce qui a majoré considérablement notre activité et l'AFSSAPS a décidé de faire des études particulières. Il y a eu des suivis de cohortes de personnes plus à risques que les autres, comme les femmes enceintes, celles-ci étant considérées comme relativement plus fragiles et susceptibles d'avoir des accidents, sans parler du problème de l'enfant.

D'autres études de cohortes ont été également menées à l'initiative de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Des modalités de suivi ont été définies à l'initiative de l'Agence européenne des médicaments (EMA), à Londres.

Parallèlement, l'AFSSAPS a édité régulièrement des bulletins pour informer le public de l'état d'avancement des études et des problèmes qui pouvaient être signalés.

J'en viens aux médicaments utilisés dans le cadre de la grippe, vaccins et médicaments antiviraux.

Quatre vaccins ont été mis sur le marché en France. Deux ont été principalement utilisés : le Pandemrix et le Panenza.

Le premier était un vaccin en flacons multidoses, permettant en théorie de vacciner une dizaine de personnes. Ce vaccin contenait un conservateur et un adjuvant stimulant l'activité du vaccin, ce qui a fait couler un peu d'encre.

Le second vaccin, le Panenza, a représenté à peu près le quart des vaccinations, le Pandemrix représentant quant à lui les trois quarts. Le Panenza semble avoir eu une utilisation plus nationale. Le dernier relevé d'effets indésirables de l'EMA du 3 juin ne le mentionne pas, l'Agence basée à Londres ne le suivant pas...

M. François Autain , président - Le Panenza est aussi le Fluzone utilisé aux Etats-Unis.

Il peut arriver, d'un continent à l'autre, que des vaccins similaires portent des noms différents. C'est aussi le cas du Focetria. Il peut donc y avoir des similitudes cachées.

M. Louis Merle - En effet. Ce vaccin n'avait pas d'adjuvant, ce qui a été considéré par certains comme un avantage. Je n'ai pas d'avis quant à moi. Il était fourni en flacon monodose. Il semble qu'il y ait eu aussi des multidoses avec conservateur. Du fait de l'absence d'adjuvant, ce vaccin a été plutôt conseillé à des sujets à risque : femmes enceintes, enfants, voire personnes âgées, quoique les personnes âgées n'étaient pas la bonne cible pour ce type de grippe.

Le Celvapan et le Focetria ont été peu utilisés. On ne peut donc rien tirer de leurs effets indésirables. On ne connaît pas la répartition par âge des sujets vaccinés, les vaccinations s'étant faites dans les centres de vaccination, les hôpitaux, etc. En revanche, on connaît mieux la répartition par âge des personnes qui ont eu des problèmes avec les vaccins, en sachant que 5,7 millions de personnes ont été vaccinées, trois quarts avec le Pandemrix et un quart avec le Panenza.

Pour ce qui est de la répartition par âge sur le plan des effets indésirables, 85 % des sujets de plus de 18 ans ont été vaccinés avec le Pandemrix. On a peu vacciné les enfants avec ce vaccin. Le Panenza, quant à lui, n'a été utilisé que pour vacciner 38 % des plus de 18 ans, beaucoup d'enfants ayant reçu ce vaccin, ainsi que des femmes enceintes.

Quel que soit le vaccin, on n'a pas eu d'effets indésirables signalés différents de ceux à quoi on s'attendait.

M. François Autain , président - Il n'y a donc pas d'effets secondaires spécifiques au vaccin H1N1 pandémique.

M. Louis Merle - Il ne semble pas. Toutefois, il faut attendre un peu pour une étude plus exacte.

Le Pandemrix a entraîné beaucoup de problèmes locaux. On injectait au niveau du deltoïde et les personnes se plaignaient de douleurs qui ont parfois duré longtemps et qui étaient inquiétantes.

Le Panenza a entraîné davantage de manifestations générales fébriles chez les enfants. Certains ont eu de la fièvre et ont convulsé. Ce sont des effets indésirables auxquels on s'attendait, qui sont connus. Vingt et un décès ont eu lieu dans la dizaine de jours suivant l'utilisation de ces vaccins. Certains peuvent dire que c'est beaucoup mais c'est en fait très peu.

Statistiquement, sur les 5,7 millions de personnes qui ont été vaccinées, nous aurions dû avoir, indépendamment de toute vaccination, 929 morts. Nous comptons en effet approximativement 600 000 morts par an en France, soit 930 décès par semaine. Or, nous n'avons eu durant cette période que 21 décès, survenus chez des gens en mauvaise santé, pour lesquels nous avons une autre explication du décès. Nous avons vacciné des gens fragiles, qui avaient déjà des pathologies sérieuses qui, par elles-mêmes, pouvaient expliquer la survenue de ces décès. Ces décès ne nous inquiètent donc pas, n'ayant rien d'original.

Une catégorie est, en revanche, importante, celle des décès de l'enfant chez la femme enceinte. Environ 100 000 femmes enceintes ont été vaccinées. L'essentiel de cette population vaccinée l'a été avec le Panenza, vaccin sans adjuvant. Chez ces femmes, on a dénombré 13 morts de l'enfant in utero en moyenne à 7 mois, des grossesses déjà évoluées qui auraient donc été viables. Là encore, on peut estimer que cela fait beaucoup, mais ce n'est en fait pas le cas. Statistiquement, sur la population générale, on compte 4 morts in utero pour 1 000 grossesses. Sur la période étudiée, dans les 8 à 15 jours suivant l'administration du vaccin, nous nous attendions, indépendamment de toute pathologie, à en dénombrer 400. Or, il y aurait eu 13 morts in utero chez ces femmes qui avaient reçu le vaccin.

Mme Christiane Kammermann - A-t-on vraiment attribué le décès au vaccin ?

M. Louis Merle - Non, nous avons d'autres explications a priori .

Pour le moment, nous n'avons pu établir de relations de cause à effet claires entre la vaccination et la mort de l'enfant.

M. François Autain , président - Comme pour les 21 décès ?

M. Louis Merle - C'est cela.

Mme Christiane Kammermann - Ces femmes allaient-elles bien ou s'agissait-il de cas à problèmes ?

M. Louis Merle - Il y avait des problèmes ou des problèmes ont pu être mis en évidence, mais les analyses anatomopathologiques ne sont pas terminées. Le problème n'est donc pas résolu. Toutefois, pour le moment, il n'y a pas d'orientation pour dire que le vaccin est en cause.

Il existe aussi des fausses couches au début de la grossesse. Il y aurait eu 12 fausses couches pour 100 000 femmes enceintes vaccinées. Statistiquement nous en comptons 15 %. La fréquence des fausses couches spontanées est très importante. La fréquence est donc ici très faible.

M. Gilbert Barbier - Des vaccinations ont-elles été réalisées dans les premières semaines ?

M. Louis Merle - Certaines femmes qui ne savaient pas qu'elles étaient enceintes ont été vaccinées.

M. Gilbert Barbier - Mais y a-t-il eu des vaccinations dans le cas de grossesses déclarées avant trois mois ?

M. Louis Merle - Certainement ! Mais je ne sais pas si nous disposons de cette information.

Beaucoup d'erreurs ont été faites sur un nombre important d'administration de vaccins. Il y a eu des erreurs de doses : des enfants de classes entières ont reçu deux fois la dose normale. Du fait de l'incitation vaccinale, les files d'attente qui existaient dans les centres de vaccination, un certain nombre d'erreurs se sont produites mais ne semblent pas avoir eu de conséquences importantes.

M. François Autain , président - Qui comptabilise et enregistre ces erreurs ? Est-ce votre commission ou une autre instance ?

M. Louis Merle - Des erreurs nous ont été signalées. Il doit être possible de reprendre cette liste d'erreurs, du moins pour ce qui a été communiqué. On nous a, par exemple, fait savoir que, dans une classe, une dose pour adulte a été administrée à des enfants. S'il n'y a pas de problèmes, il s'agit d'un mésusage qui ne tire pas à conséquence. Mais nous n'avons pu établir de suivi particulier des erreurs. Je suis sûr que beaucoup d'erreurs n'ont jamais été signalées.

M. François Autain , président - Comme pour les effets indésirables, il existe donc une sous-déclaration des erreurs.

M. Louis Merle - Certainement !

Deux problèmes étaient importants, celui de la sclérose en plaques et du syndrome de Guillain-Barré. Dans l'état actuel des informations, six poussées de scléroses en plaques seraient survenues ainsi que neuf syndromes de Guillain-Barré.

Nous pourrions dire que cela fait beaucoup, mais je répondrai que non. Il s'agit de maladies auto-immunes dans lesquelles l'organisme se défend contre lui-même pour une raison que nous ne connaissons pas. Le mécanisme est établi, mais pas sa cause. Ce sont des pathologies qui surviennent spontanément en France. 1 800 ou 2 000 scléroses en plaques ou syndromes de Guillain-Barré apparaissent ainsi chaque année.

Nous savons que le syndrome de Guillain-Barré est une pathologie qui peut survenir après une infection, une grippe, une agression, une intervention chirurgicale. Nous ne savons pas ce qu'il en est pour ce qui est de la sclérose en plaques. Nous avons donc eu quelques cas moins nombreux que ce qui devrait être observé statistiquement. Nous ne pouvons évidemment pas établir de relations de cause à effet. Deux, trois ou quatre semaines après la vaccination, des manifestations de paralysie ou oculaires peuvent orienter vers un syndrome de Guillain-Barré ou une sclérose en plaques. Toutefois, du fait du suivi très pointu de ce problème, nous pouvons réellement penser que nous passons à côté de fort peu de cas.

On nous a signalé un nombre de cas peu important en post-vaccination. Nous pouvons donc penser qu'il n'existe pas de relations de cause à effet.

Ce ne sont pas des pathologies que nous diagnostiquons spontanément. Nous avons, par exemple, des sujets bien portants et qui vont faire un malaise après une injection. La relation de cause à effet est évidente mais si, trois semaines après une injection, il survient des douleurs dans un membre avant sa paralysie, avant d'évoluer éventuellement vers une guérison ou une aggravation, il n'est pas facile d'établir la relation de cause à effet.

Pour ce qui est du syndrome de Guillain-Barré notamment, nous avons établi un suivi très particulier ; il existe, sous l'égide de l'AFSSAPS, un observatoire des syndromes de Guillain-Barré. Certaines structures de neurologie ou de réanimation sont très impliquées dans ce problème et ont bien étudié les diagnostics de ces maladies au regard des antécédents des malades. Pour le moment, il n'existe pas d'orientation pour dire s'il y a ou non un lien entre la vaccination et la survenue de cette pathologie.

De même, il existe un consensus dans le milieu neurologique actuel pour dire qu' a priori la vaccination n'est pas inductrice de ce type de pathologie, ce qui n'empêche que c'est une notion statistique et qu'il y aura toujours des individus chez lesquels on ne peut s'empêcher de faire une relation de cause à effet. Cela fait penser à ce qui s'était passé avec l'hépatite B : il y avait plus de cas et davantage de vaccinations mais le lien entre le vaccin et la survenue de scléroses en plaques était plus fort que dans le cas présent. Ici, rien ne fait penser qu'il existe un lien entre la vaccination et ces pathologies immunitaires.

M. François Autain , président - La survenue de sclérose en plaques a beau avoir été plus forte lors de la vaccination contre l'hépatite B, vous maintenez donc que, proportionnellement, elle a été plus faible que pour la vaccination antigrippale ?

M. Louis Merle - Oui, pour ce qu'on en sait actuellement.

M. François Autain , président - Vous n'établissez pas pour autant, pour le vaccin contre l'hépatite B, un lien de cause à effet, bien que la survenue de sclérose en plaques ait été plus importante...

M. Louis Merle - Pour ce qui est de l'hépatite B, qui n'est pas notre sujet, nous pouvons exclure un sur-risque important mais nous ne pouvons pas, dans l'état actuel des choses, exclure une augmentation très faible du risque de sclérose en plaques après la vaccination contre l'hépatite B. Nous n'avons pas les arguments statistiques pour conclure sur ce point.

Je pense qu'il est très difficile de faire comprendre aux personnes concernées le risque statistique, à savoir qu'elles représentent le cas qui sort de l'épure.

Mme Christiane Kammermann - On a prétendu, pendant la pandémie de grippe, qu'il existait des risques de Guillain-Barré et de sclérose en plaques et qu'il en existerait encore dans quelques années. Qu'en pensez-vous ?

M. Louis Merle - Bien que nous soyons très éloignés de la campagne de vaccination contre l'hépatite B, il peut encore arriver, de manière exceptionnelle, que l'on signale à un centre de pharmacovigilance une sclérose en plaques chez une personne vaccinée il y a dix ans.

Mme Christiane Kammermann - Nous sommes donc dans l'inconnu ?

M. Louis Merle - Pour l'ensemble de la communauté médicale, il n'y a aucun lien, dans l'état actuel des connaissances. Mais je ne serai pas si formel : quand nous vaccinons quelqu'un, nous induisons une maladie a minima par l'intermédiaire de l'appareil immunitaire auquel nous faisons fabriquer des anticorps. Or, nous sommes dans un cas de maladie auto-immune où l'organisme produit des anticorps contre lui-même.

La communauté médicale prétend qu'il n'existe pas de lien parce qu'il faudrait une relation temporelle plus étroite. Dans les trois mois après la vaccination, nous avons des raisons de penser qu'il y a un lien, mais ce sont là des hypothèses qu'on ne peut pas étayer.

Autre élément : les pathologies évoluent, de nouvelles arrivent, indépendamment de toute vaccination. Qu'est-ce qui différencie le Français actuel de celui d'il y a cinquante ou cent ans ? La sur-vaccination à laquelle nous sommes exposés n'aurait-elle pas un rôle ? Je n'en sais rien. Nous pouvons aussi nous poser cette question.

M. François Autain , président - Vous parlez de sur-vaccination ?

M. Louis Merle - Je n'aurais peut-être pas dû employer ce terme mais je suis impressionné par le nombre de vaccins que l'on administre aux enfants.

M. François Autain , président - C'est la première fois que j'entends cela, mais je pense que ce n'est pas totalement injustifié.

M. Louis Merle - On injecte cinq vaccins différents aux enfants !

M. François Autain , président - Je crois que onze vaccins sont actuellement obligatoires ou conseillés pour les enfants.

M. Louis Merle - Nous vaccinons énormément. J'ai peut-être employé un terme excessif.

M. Gilbert Barbier - Il faut l'espérer !

M. François Autain , président - Il y a débat. Il faut poser le problème. Actuellement, nous vaccinons beaucoup les enfants. Est-ce nécessaire ou justifié ? Cela n'a-t-il pas des conséquences que nous ne pouvons pas aujourd'hui évaluer ? Vous savez comme moi que l'on impute l'augmentation de la prévalence de l'asthme au fait que les enfants étaient vaccinés, ou ne faisaient plus ces maladies infectieuses parce qu'ils étaient vaccinés.

C'est une thèse qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui suscite des débats.

Personne n'est sûr de rien en la matière. Il faut rester modeste et je pense, en ce qui me concerne, que vous avez raison d'employer ce terme.

M. Louis Merle - Cela dit, globalement, les vaccinations ont amené des progrès gigantesques.

M. François Autain , président - Nous sommes d'accord sur ce point.

M. Gilbert Barbier - Chez les enfants, quelles sont les vaccinations qui vous paraissent superflues et inutiles ? Il faut aller jusqu'au bout !

M. Louis Merle - Je n'emploierais pas le terme d'« inutile » mais le fait de vacciner en une fois un enfant contre plusieurs maladies est peut-être une agression immunitaire un peu trop importante.

M. Gilbert Barbier - Quel vaccin faut-il supprimer ?

M. Louis Merle - Je ne suis pas capable de répondre à cette question. Je ne fais que soulever le problème. Je suis impressionné par le nombre de vaccinations que nous pouvons effectuer simultanément. Cela peut parfois poser une difficulté, mais je n'ai pas d'autre élément. Je ne suis pas compétent dans ce domaine.

S'agissant à présent des antiviraux, deux produits ont été utilisés : le Tamiflu, produit par les laboratoires pharmaceutiques et, sous une forme moins dosée, des comprimés à 30 mg, fabriqués par la pharmacie centrale des armées à partir de poudres d'oseltamivir ; le second médicament est le Relenza ou zanamivir.

523 317 ordonnances ont prescrit curativement le Tamiflu, soit dans 94 % des cas, dans le cas d'une grippe avérée ou supposée. Dans 20 % des cas, il a été prescrit chez des enfants de moins de 12 ans.

Il a été dénombré 68 cas graves après administration de Tamiflu ou d'oseltamivir, dont un peu plus d'un quart chez des enfants de moins de 12 ans, et 40 % chez des adultes. Sur ces 68 cas graves, nous comptons quatre décès. Pour trois décès, nous avons des explications logiques qui excluent la responsabilité du médicament antiviral.

Le quatrième décès pose problème ; il s'agit d'un homme de 42 ans atteint d'une grippe, qui s'est suicidé par pendaison alors qu'il n'avait pas d'antécédents psychiatriques. Cela étant, cela ne voulait pas dire qu'il ne risquait pas de se suicider. Le suicide est beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit généralement en France.

Nous n'avons pas d'autre explication. Ceci soulève un problème si nous voulons utiliser ce médicament de manière préventive chez les sujets qui peuvent avoir un terrain psychiatrique favorisant. Nous avons eu par ailleurs des manifestations connues, comme des hallucinations et des problèmes psychiatriques mineurs, pouvant être liés à la présence de fièvre ou d'une pathologie. Ce problème a pu inquiéter mais, en l'absence d'informations supplémentaires, ces faits ont été versés au dossier, en sachant que plus de questions sont soulevées que résolues.

M. François Autain , président - Ce n'est pas surprenant, car le même phénomène a été observé au Japon. C'est l'un des effets indésirables les plus souvent rencontrés au Japon, où des doses considérables de Tamiflu ont été administrées. Beaucoup de suicides ont été constatés, surtout chez les jeunes. Cela paraît donc cohérent avec ce qui a pu être observé par ailleurs.

M. Louis Merle - Ceci ne figurait bien entendu pas dans les informations que nous pouvions avoir avant la campagne de vaccination.

M. François Autain , président - Nous avions ces informations sur le Japon avant que ne commence la pandémie en France, puisque ces faits sont survenus il y a un an ou un an et demi.

M. Louis Merle - En effet. Il s'agissait d'une connaissance antérieure.

Les autres effets indésirables avec ce produit étaient attendus et connus. L'inquiétude était donc fondée sur ce retentissement psychiatrique de l'oseltamivir.

Le second produit qui a été utilisé est le Relenza ou zanamivir, sous deux formes, l'une inhalée qui a été peu utilisée et l'autre injectable intraveineuse qui, elle, a été employée sur des terrains très fragiles - des grippes très graves, traitées antérieurement avec du Tamiflu. Ce produit a entraîné neuf décès avec la forme intraveineuse, que nous ne relions pas à la prise du médicament mais bien à son inefficacité face à la gravité de la situation. En effet, une caractéristique de cette grippe était de toucher une population différente de la grippe classique.

J'ajoute qu'une communication régulière a été faite par l'AFSSAPS sur l'état de connaissance des effets indésirables. Le secteur chargé de la pharmacovigilance et de la surveillance du bon usage du médicament a publié des bulletins réguliers qui faisaient l'objet de discussions avec le cabinet du ministre. Ceci a représenté, pour les gens que je côtoie, un surcroît de travail important, de même que pour les centres de pharmacovigilance que nous sommes, en tant que représentants locaux de l'AFSSAPS.

D'autres activités ont donc été mises en sommeil. Un travail devait ainsi être fait sur la maladie d'Alzheimer, mis en attente avant de pouvoir reprendre à partir de la fin mars-début avril.

M. François Autain , président - Merci.

Notre rapporteur étant absent, je vais à présent vous poser les questions qu'il souhaitait vous poser. Vous avez répondu par avance à un certain nombre. Je vais me concentrer sur celles qui restent, en particulier concernant les effets secondaires liés aux adjuvants.

Des effets secondaires liés aux adjuvants ont-ils été signalés ? Les adjuvants offrent-ils une protection immunologique renforcée face à une éventuelle mutation du virus ?

Peut-être une étude comparative entre le Pandemrix, qui comporte un adjuvant et le Panenza, qui n'en comporte pas, permettrait de répondre à cette question. Qu'en pensez-vous ?

M. Louis Merle - Il a été question de squalènes et de dérivés à propos de l'adjuvant. Ce sont des produits dont le rôle est de permettre d'injecter moins de vaccin en ayant la même efficacité.

Il a été dit que les vaccins avec adjuvant étaient plus efficaces que ceux sans adjuvant : je n'ai pas les éléments pour le mesurer. La tendance était de recommander deux vaccinations pour le vaccin sans adjuvant alors qu'une seule pouvait suffire pour le vaccin adjuvanté. Les avis ont divergé sur ce point.

Le squalène a soulevé des problèmes allergiques. Il s'agit d'un constituant naturel présent dans l'organisme. C'est un intermédiaire dans la fabrication de cholestérol et d'hormones. Nous possédons donc des squalènes dans notre organisme. Ils sont de la même famille que les dérivés de terpènes, produits qui peuvent être d'origine végétale et que l'on trouve dans d'autres domaines, comme dans des produits antitussifs ou pour des problèmes de bronchite chez les enfants, qui peuvent être donnés en suppositoire. Les terpènes sont des produits convulsivants chez l'enfant. Nous en avons récemment discuté à l'AFSSAPS.

Les squalènes entraînent plutôt des réactions allergiques, des problèmes d'intolérance qu'on a pu observer pour le vaccin adjuvanté sur le plan local, avec des problèmes de douleurs qui ont parfois duré assez longtemps. C'était un peu inquiétant...

M. François Autain , président - Quelques-uns de nos collègues ont beaucoup souffert de ce vaccin.

M. Louis Merle - Je le sais. J'ai eu la même expérience. Je suis un mauvais exemple ; il y a trois ans, je m'étais fait vacciner contre la grippe classique et j'avais fait une réaction péricardique. En décembre, devant la pression qu'il y avait pour se faire vacciner...

M. François Autain , président - Il y avait une pression ?

M. Louis Merle - Oui !

M. François Autain , président - D'où émanait-elle ?

M. Louis Merle - De partout ! On nous faisait comprendre que si nous n'étions pas vaccinés, nous étions en faute.

M. François Autain , président - On vous culpabilisait donc ?

M. Louis Merle - Oui.

M. François Autain , président - Mais ce n'est pas éthique !

M. Louis Merle - Je ne sais pas !

M. François Autain , président - On nous a dit que la vaccination était éthique ; si on vaccine en culpabilisant, cela perd cette qualité !

M. Louis Merle - A l'hôpital, au service des urgences, qui était en première ligne en cas de problème, on nous disait d'entrer sans masque à condition d'être vacciné depuis au moins dix jours, le temps de fabriquer des anticorps. Nous avons eu l'impression qu'il y avait les pestiférés d'un côté - j'exagère - et d'un autre côté les bons Français qui s'étaient fait vacciner.

M. François Autain , président - Il n'y a donc pas beaucoup de bons Français : ils ne sont que 5,7 millions.

M. Louis Merle - Il n'y a pas eu beaucoup de bons Français !

M. François Autain , président - C'est inquiétant pour l'avenir !

M. Louis Merle - J'en reviens à mon exemple : du fait de ma réaction péricardique, j'ai eu droit au Panenza et non au Pandemrix. Je n'ai donc pas eu de réactions locales mais l'un de mes collègues, vacciné avec le Pandemrix, a souffert assez longtemps.

Mais je ne peux pas en imputer la faute à l'adjuvant. Les techniques de fabrication des vaccins sont différentes mais peut-être y a-t-il eu des réactions liées à cet adjuvant.

Il a été dit aussi que certaines personnes possédaient des anticorps anti-squalènes. Le squalène n'a pas constitué une source d'inquiétude particulière. Il existe un problème d'intolérance locale, mais il n'est pas très grave.

M. François Autain , président - Il y a environ un an, le Parlement a autorisé les patients à participer directement à la pharmacovigilance. Qu'en pensez-vous ? Cela a-t-il changé les conditions dans lesquelles vous exercez ?

M. Louis Merle - Dans le cadre de la grippe, l'AFSSAPS avait édité des fiches de signalement des effets indésirables, téléchargeables par les professionnels de santé. Il existait aussi des fiches à destination des patients...

M. François Autain , président - Ils se sont plaints de leur complexité...

M. Louis Merle - Ils ont raison !

A l'hôpital, toute personne vaccinée se voyait remettre une fiche dans laquelle on lui demandait de nous signaler tout problème éventuel. Nous avons eu beaucoup de signalements mais, en fait, de personnels hospitaliers. Cela a été non négligeable.

Globalement, au niveau national, 20 % des signalements venaient de non-professionnels de santé et 80 % émanaient de professionnels de santé.

Dans le même ordre d'idée, il y a maintenant dans les officines des médicaments en accès direct, devant le comptoir. Il est donc possible de les acheter sans demander conseil au pharmacien. Nous pouvons ainsi acheter une boîte de paracétamol. Des notices particulières ont été réalisées pour inciter les patients à signaler les problèmes qu'ils pourraient avoir avec ces médicaments.

Nous avions hier une conférence téléphonique avec les personnes de l'AFSSAPS afin de faire le point sur cette pharmacovigilance relative aux médicaments en accès direct. Actuellement, les centres de pharmacovigilance n'ont reçu que fort peu de signalements spontanés par les patients.

Je pense qu'il est important que les personnes signalent elles-mêmes les problèmes, sans avoir à passer par leur médecin. Cela peut permettre de récupérer plus d'informations, sachant qu'un dialogue est toutefois nécessaire. Il faut discuter avec la personne, lui poser des questions ou lui demander de voir un professionnel de santé pour explorer un peu mieux le problème. Sur le fond, je pense que c'est intéressant et que cela apporte une autre ouverture.

M. François Autain , président - Les procédures de gestion des liens d'intérêts prévues par le règlement intérieur de l'AFSSAPS de juillet 2006, modifié en janvier 2008, vous paraissent-elles suffisantes ? Concernant le fonctionnement de votre commission et les autres instances de conseil scientifique, quelles sont les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables dans ce domaine ?

M. Louis Merle - Il existe des listes de conflits d'intérêts qui doivent être tenues à jour. Je ne peux parler que pour la commission de pharmacovigilance ; je sais que certaines personnes qui disent avoir des conflits d'intérêts sortent de temps en temps quand nous discutons de médicaments concernant les laboratoires ayant pu financer un travail fait dans leur service.

Ceci doit-il évoluer ? Je ne le sais pas. Je n'ai pas les éléments pour répondre à votre question.

M. François Autain , président - En tout cas, vous veillez personnellement à ce que les personnes qui ont des conflits d'intérêts quittent la séance au moment des décisions...

M. Louis Merle - C'est l'administration qui suit cela de très près.

M. François Autain , président - J'ai remarqué que votre commission n'était pas celle qui comprenait le plus de commissaires ayant des liens d'intérêts. Une bonne vingtaine n'en a pas.

M. Louis Merle - Nous avons mauvais esprit en pharmacovigilance - je le dis de manière ironique, bien sûr ! Nous n'avons pas les mêmes relations avec l'industrie pharmaceutique que dans d'autres domaines.

M. François Autain , président - C'est plutôt à mettre à votre crédit.

M. Michel Guerry - Vous avez parlé de culpabilisation. Est-elle plutôt venue des services du ministère, de l'industrie pharmaceutique ou de l'audiovisuel ?

M. Louis Merle - J'ai encore employé un mot malvenu !

Il existait une pression du milieu médical. Des personnes que l'on peut considérer comme connaissant les problèmes d'infectiologie nous disaient que c'était une pathologie qui touchait une population nouvelle, qu'elle n'avait rien à voir avec la grippe classique. Je me souviens d'un infectiologue disant : « Dans mon unité de soins intensifs, j'ai en ce moment des gens jeunes atteints de grippe, ce que je n'ai jamais vu antérieurement » . Je trouve que c'est là une information qui porte.

Nous avions par ailleurs une incitation des pouvoirs publics à ce que les Français se fassent vacciner et j'ai été surpris, en septembre, par le plan de vaccination prévu. Dès le départ, je me suis dit qu'il s'agissait d'un plan militaire de mobilisation. On aurait pu penser qu'il fallait envoyer des troupes ! C'est l'impression que cela donnait avec la logistique des centres de vaccination.

Par ailleurs, l'OMS avait décidé de passer au stade 6, nous plaçant dans un cadre de pandémie atteignant l'ensemble du globe. Nous n'avons pas les éléments pour juger, et avons écouté ce que l'on nous a dit. A l'AFSSAPS, il nous était dit qu'il y avait une pression du ministère pour savoir exactement où en était la vaccination et pour en connaître les effets indésirables.

J'ai l'impression qu'il existait une pression générale, face à une menace importante qui arrivait. Je ne puis répondre plus précisément à votre question. Je ne prenais pas mes informations à la télévision ou dans les journaux mais je pense que les médias peuvent avoir une influence importante. Cela dit, pour faire vendre un journal, il vaut mieux dire qu'il y a une pandémie plutôt que de dire qu'il ne se passe rien !

Je pense qu'on a inquiété les gens. Les médias ont eu un rôle néfaste dans ce domaine. Peut-être y étaient-ils incités. Quel a été le rôle de l'industrie ? Je ne dispose pas des éléments pour pouvoir le mesurer.

Quel a été le rôle des pouvoirs publics ? Je n'en sais rien mais je pense que la presse n'a peut être pas calmé le jeu. C'est en cela que j'ai trouvé que l'information que donnait l'AFSSAPS était toujours très mesurée et était basée sur des faits et non des idées.

M. Gilbert Barbier - En tant que responsable de pharmacovigilance, vous avez dit qu'il y avait eu six syndromes de Guillain-Barré et cinq cas de sclérose en plaques. Pour la grippe saisonnière, avez-vous des statistiques comparables ?

En second lieu, vous avez parlé des pestiférés qui n'étaient pas vaccinés et du problème de survaccination, ce qui paraît curieux dans cette affaire. A partir de quel pourcentage de population vaccinée considérez-vous qu'une épidémie ou une pandémie peut être stoppée ?

M. Louis Merle - La grippe classique n'est pas actuellement considérée comme un facteur de cause du syndrome de Guillain-Barré mais il est possible qu'il y ait un lien. Il est très bien connu que toute agression virologique peut être le facteur de déclenchement d'un effet indésirable.

La grippe classique survient plutôt chez des gens âgés ; la sclérose en plaques est une maladie qui apparaît plutôt chez des gens jeunes, ce qui pose le problème de la vaccination contre l'hépatite B. Ont été beaucoup vaccinés des sujets jeunes et, dans le milieu hospitalier, des sujets à prédominance féminine, la sclérose en plaques étant un peu plus fréquente chez la femme que chez l'homme.

M. Gilbert Barbier - Et chez les sujets nordiques !

M. Louis Merle - Oui, il existe une différence géographique sur le plan de la sclérose en plaques. Plus on va vers le sud, moins il y a de scléroses en plaques mais je ne sais pas si la vaccination contre l'hépatite B a été différente dans le Nord de la France et dans le sud. On a vacciné un peu partout.

Je ne puis répondre convenablement à votre question mais les relations de cause à effet sont toujours très difficiles à établir.

M. Gilbert Barbier - Ce qui est le cas de la vaccination H1N1 !

M. Louis Merle - Oui, c'est difficile.

M. Gilbert Barbier - Votre conclusion est donc que la relation de cause à effet entre les six cas de syndrome de Guillain-Barré, les cinq de scléroses en plaques et la vaccination n'apparaît pas évidente ?

M. Louis Merle - Non, comme je le disais. Toutefois, qu'un épisode de fièvre ou de bronchite pendant l'hiver puisse déclencher ce qui ressemble à une poussée de sclérose en plaques n'est pas étonnant, mais cela ne crée pas la maladie.

De même, on sait que pendant sa grossesse, une femme atteinte de sclérose en plaques ne développe pas de poussées mais qu'elle en aura de nouveau après l'accouchement, comme si son enfant l'avait protégée contre la maladie. C'est une maladie très pernicieuse, très difficile à étudier et qui ne comporte pas actuellement de traitement bien efficace.

M. Gilbert Barbier  - Le réseau de pharmacovigilance, tel qu'il est actuellement organisé par région, ne vous semble pas entièrement satisfaisant. Comment le jugez-vous ?

M. Louis Merle - Je me suis mal fait comprendre : s'il n'y avait pas les représentants locaux de l'AFSSAPS, qui peuvent éventuellement connaître les médecins ou les pharmaciens, nous aurions encore moins de signalements.

M. Gilbert Barbier - J'ai en effet visité le centre de Rouen : nous avons eu l'impression d'un réseau territorial relativement bien organisé dans lequel les incidents et les accidents, notamment médicamenteux, étaient relativement bien transcrits.

M. Louis Merle - Oui, je suis sûr que c'est mieux transcrit avec une représentation locale que si tout était centré sur l'AFSSAPS.

Nous avons un autre rôle dont je n'ai pas parlé car ce n'était pas le sujet. Il s'agit du rôle de réponse à des questions. Nous intervenons là sur le plan thérapeutique. Tel médicament pose problème : que conseille-t-on à la place ? Par exemple, lors d'une grossesse, une femme prend un traitement et nous craignons un risque. Peut-on continuer ? Faut-il donner autre chose ? Cette activité de conseil représente l'essentiel en temps de notre activité.

Quant à votre deuxième question sur la proportion de population qu'il faut vacciner pour être protégé, je n'ai pas les éléments pour répondre. Il faut demander à un épidémiologiste.

M. François Autain , président - Vous n'êtes pas le seul à ne pas pouvoir répondre !

M. Louis Merle - Je crois que M. Antoine Flahault avait répondu à cette question. Je suis personnellement incapable de répondre.

M. François Autain , président - C'est la réponse qui nous est faite habituellement. Certains prétendent même que la vaccination est une aventure.

Le temps imparti étant dépassé, si plus personne ne demande à intervenir, nous allons suspendre la séance. Merci.

Audition de M. Alain SIARY,
médecin généraliste
(mercredi 9 juin 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Alain Siary, médecin généraliste qui intervient également dans le domaine du développement professionnel continu.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Alain Siary prête serment.

M. François Autain , président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Alain Siary - Aucun.

M. François Autain , président - Je vous remercie.

Vous avez la parole.

M. Alain Siary - Je suis médecin généraliste en banlieue et membre de la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG), société savante qui promeut la recherche en médecine générale et travaille sur les rapports entre médecine générale et sciences humaines. Elle est également habilitée à organiser des formations médicales dans le cadre de la formation conventionnelle. Je suis moi-même formateur et j'interviens dans ces formations médicales.

Je m'intéresse beaucoup à la question des conflits d'intérêts entre les leaders d'opinion et l'industrie pharmaceutique.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est fortement émue du changement de définition de la notion de pandémie entre mai et juin 2009 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La nouvelle définition supprimait les critères de morbidité et de mortalité dus à un nouveau virus, ce qui a permis à l'OMS de déclarer la pandémie le 11 juin 2009, entraînant l'exécution des contrats dormants signés entre 2005 et 2008 entre les Etats et les laboratoires dans le cadre de la préparation d'une pandémie de grippe aviaire. Le fait que ces contrats ont été automatiquement appliqués a donc permis aux fabricants de molécules et de vaccins de réaliser un important chiffre d'affaires. Ceci a déjà été largement souligné.

Les experts de l'OMS sont regroupés dans deux groupes, le SAGE, groupe stratégique consultatif d'experts sur la vaccination, et le groupe de travail scientifique européen sur la grippe (ESWI). On sait que ces deux organisations sont intégralement financées par l'industrie pharmaceutique. Le British medical journal (BMJ), dans son numéro du 4 juin dernier, a montré le rôle important que jouent auprès de ces associations les fabricants de vaccins et d'inhibiteurs de la neuraminidase.

D'après le livre « Les médicamenteurs » , le SAGE est parrainé à hauteur de 400 000 euros annuels par dix laboratoires.

M. François Autain , président - Qu'entendez-vous par « parrainé » ?

M. Alain Siary - Il est financé par ces dix laboratoires.

M. Michel Guerry - Sur quel chiffre d'affaires portent ces 400 000 euros ?

M. Alain Siary - Je ne connais pas la part que ces fonds privés représentent au sein de son budget total. Les comptes sont assez opaques et il faut savoir que les financements publics ne sont pas toujours très importants, et que ces associations se font beaucoup financer par l'industrie.

Ce n'est d'ailleurs pas propre aux associations...

M. François Autain , président - Le SAGE n'est pas une association !

M. Alain Siary - C'est un organisme.

La plupart des sociétés savantes de médecins sont aussi financées par l'industrie pharmaceutique et non par les cotisations de leurs adhérents.

La SFTG est probablement l'une des seules qui ne perçoit aucun financement de l'industrie. C'est le garant de notre indépendance. On verra que l'indépendance est très partielle quand on est financé par l'industrie.

On sait que les experts de ces organismes ont dramatisé cette épidémie après avoir auguré d'une pandémie de grippe aviaire. C'est le cas d'un expert hollandais très connu, le professeur Albert Osterhaus, qui a joué un rôle majeur dans la pandémie de grippe aviaire. Cela a été repris intégralement en France et vulgarisé dans des livres destinés au grand public. Dire qu'une pandémie gravissime, comparable à la grippe de 1918, est presque inéluctable conditionne les médecins et le public face à l'apparition d'une pandémie.

M. François Autain , président - Vous avez, dès le 7 septembre 2009, mis en ligne sur Internet un texte sur la pandémie particulièrement prémonitoire où vous décrivez exactement ce qui va se passer. Il y a là de votre part une clairvoyance que la plupart des experts et des politiques n'ont malheureusement pas eue, à quelques exceptions près.

Il est important de le signaler car c'est une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité que l'on vous auditionne.

M. Alain Siary - A la demande de l'AFSSAPS et de l'Institut de veille sanitaire (InVS), les sociétés savantes de médecins généralistes ont organisé des réunions sur la grippe A (H1N1)v avec des experts. Je suis intervenu comme expert dans l'une de ces réunions où je disais que l'on avait les preuves que cette grippe n'était pas dramatique. Une participante s'est rendue à une autre réunion organisée par des hospitalo-universitaires à Paris. Le discours a été tout autre. Elle nous a envoyé un mail disant qu'on lui avait dit que les choses allaient être dramatiques, qu'il faudrait vacciner massivement et qu'il y aurait de nombreux morts.

Il est étonnant que, dans ces formations pour médecins généralistes, deux discours aussi antagoniques soient tenus. J'avais l'impression que ces experts dramatisaient le problème, ce qui m'a quelque peu agacé.

Mon collègue, le docteur Philippe Foucras, ayant sûrement beaucoup parlé des inhibiteurs de la neuraminidase, je n'y reviendrai pas. On sait qu'ils avaient été massivement stockés, notamment le Tamiflu, en vue d'une éventuelle pandémie H5N1, sans que l'efficacité de ces produits en termes de réduction des complications liées à la grippe ou de mortalité ne soit prouvée. Le seul essai randomisé montrait une réduction de 24 heures de la durée de la grippe ; en fait, le professeur Antoine Flahault recommandait de donner le Tamiflu pour ralentir l'épidémie de grippe. C'était son objectif.

Il a ensuite été prescrit dans les formes graves ; tout à la fin, il a été recommandé, sans preuve scientifique, devant tout syndrome grippal, y compris dans le cas de maladies qui n'étaient pas dues à la grippe. Il était recommandé de le prescrire d'emblée dès l'apparition de n'importe quelle fièvre associé à de la toux ou à un rhume, en laissant entendre que cela avait en quelque sorte une valeur médicolégale : si une personne atteinte de la grippe avait eu une complication et que nous n'avions pas prescrit du Tamiflu dans les 48 premières heures, nous risquions une procédure judiciaire ! On nous a fait peur, on a voulu nous affoler et cela a donné lieu à une protestation massive de toutes les sociétés savantes de médecins contre cette recommandation fondée sur aucune preuve.

M. François Autain , président - Rassurez-moi : il y a eu aucune poursuite ?

M. Alain Siary - Non. Il ne s'est rien passé et cela n'a heureusement pas été prescrit massivement.

On sait que l'article L. 4113-13 du code de la santé publique oblige depuis 2007 à déclarer les conflits d'intérêts. Or, 15 des 17 membres du Comité de lutte contre la grippe affichent des conflits d'intérêts qui ne seront dévoilés qu'en janvier 2010 !

M. François Autain , président - Il n'est pas dans mes habitudes de défendre les experts mais cette déclaration a eu lieu en novembre 2009...

M. Alain Siary - C'était déjà un peu tard quand même.

Je crois que cette obligation avait été créée bien avant l'épidémie de grippe A (H1N1)v !

Le professeur Bruno Lina, virologue, conseiller de la ministre, travaille pour de nombreux laboratoires. Le problème vient de ce qu'il déclare toujours qu'il est indépendant des laboratoires pour lesquels il travaille. Il affirme qu'il sait ce qu'il dit et pourquoi il le dit. Je pense qu'il est honnête et sincère en le disant, mais il faut toujours raisonner de façon factuelle, en se fondant sur des études.

Une étude a été publiée en 2003 sur le rapport entre l'origine des financements et les conclusions des essais randomisés.

Cette étude a recherché la recommandation d'un médicament comme « traitement de choix », à travers 370 essais randomisés. 16 % des essais indépendants présentaient ce médicament comme intéressant, contre 31 % lorsqu'il s'agissait de financements mixtes et 51 % lorsqu'ils étaient financés par l'industrie. Les essais financés par l'industrie recommandent en moyenne cinq fois plus souvent le produit étudié comme traitement de choix que les essais indépendants.

En mars dernier, le British Medical Journal a produit une étude sur la Rosiglitazone, médicament contre le diabète, qui a donné lieu à de nombreuses publications le mettant en cause dans la mesure où il favorise l'augmentation du risque d'infarctus chez des patients à fort risque cardiovasculaire.

L'objectif de cette étude est d'explorer le lien éventuel entre l'existence de conflits d'intérêts des auteurs et leur attitude vis-à-vis du risque d'infarctus chez les diabétiques traités par ce produit. 202 articles ont été utilisés et le British Medical Journal a comparé les auteurs ayant un avis favorable sur le médicament à ceux qui y sont défavorables.

Dans les essais financés par les fabricants d'antidiabétiques, on trouvait trois fois plus d'auteurs favorables à ce médicament que dans ceux qui n'étaient pas financés par des fabricants d'antidiabétiques.

Quand on recentrait l'étude sur les fabricants du Rosiglitazone, le rapport passait à plus de 1 à quatre.

Là encore, on voit bien que le fait d'avoir des conflits d'intérêts implique un avis beaucoup plus favorable vis-à-vis d'un produit que lorsqu'on est neutre et qu'on n'a pas de lien d'intérêts avec un laboratoire.

La vaccination antigrippale est soumise à une pharmacovigilance. En France, celle-ci n'est pas très satisfaisante puisqu'elle est fondée, en ce qui concerne les effets iatrogènes, sur la déclaration des médecins. On se rend compte qu'il existe fort peu de déclarations. Il est toujours intéressant de comparer ce qui a été déclaré et ce qui a été réellement constaté. L'exemple du vaccin BCG intradermique est révélateur.

L'enquête de pharmacovigilance, menée en France, entre 2005 et 2008 sur ce vaccin, relève de fréquents abcès chez les nourrissons à la suite de la vaccination, compris entre 0,4 à 0,8 cas pour 1 000 vaccinations.

Le suivi pendant un an d'une cohorte de 2 600 enfants de moins de 7 ans vaccinés en 2007 a révélé que l'incidence des abcès était de 25 cas pour 1 000 vaccinations. Il ne s'agissait évidemment pas des mêmes personnes suivies mais cela donne un ordre de grandeur.

Plus de 95 % des effets secondaires dus à un vaccin comme le BCG, et il en va probablement de même pour le reste, ne sont pas déclarés.

M. François Autain , président - Pensez-vous que ce soit la même chose pour le vaccin contre la grippe ?

M. Alain Siary - Je ne sais pas mais on est en droit de se poser la question.

Je pars de ce qui existe déjà pour montrer que l'on est en droit de douter de la pharmacovigilance sur les vaccins antigrippaux.

J'essaie de la même manière de partir de ce qui s'est passé avec d'autres vaccinations pour montrer en quoi les conflits d'intérêts sont majeurs.

C'est pourquoi j'ai pris comme exemple la dernière campagne proposée avant la campagne de vaccination antigrippale, la campagne de vaccination contre le cancer du col de l'utérus (vaccin anti HPV). Là encore, ce sont les mêmes firmes qui sont en cause - GSK et Sanofi-Pasteur-Aventis - qui fabriquent des vaccins antigrippaux. Je voulais montrer comment l'opinion avait été manipulée par leurs leaders d'opinion et par ces laboratoires pour faire en sorte que ce vaccin soit généralisé.

Pour la grippe, ils n'ont pas procédé différemment. Le cancer invasif du col de l'utérus représente 1 000 décès par an, une incidence de 3 000 par an. On a donc mis au point des vaccins. On a les résultats de la réduction des anomalies cellulaires chez la femme âgée de 16 à 26 ans. Lorsqu'il s'agit de femmes qui n'ont jamais eu ces virus, on trouve un chiffre de 98 %, toujours annoncé pour prôner ce vaccin. Malheureusement, lorsqu'on considère toutes les anomalies, quel que soit le type de HPV, on n'obtient plus qu'une réduction des anomalies dérisoire de 17 %.

Aucun essai de ce type n'a été effectué pour le vaccin contre la grippe A (H1N1)v, pas plus que pour les autres vaccins antigrippaux. On ne sait donc rien de sérieux sur leur efficacité.

Malgré cela, ce vaccin est préconisé, pour toutes les jeunes filles de 14 ans ou les femmes âgées de 15 à 23 ans n'ayant pas eu de rapports sexuels, ou dans l'année suivant le premier rapport. Le coût d'une vaccination s'élève à 406 euros, sans compter la consultation. 1,9 million de femmes sont concernées. Cette vaccination est remboursée à 65 % par la sécurité sociale pour un bénéfice des plus incertains, tout cela au dépend de la santé publique, qui aurait voulu qu'on généralise plutôt le dépistage par frottis du cancer du col de l'utérus.

Une campagne de publicité massive de Sanofi a tenté de culpabiliser les mères. Le plan « cancer » recommande désormais la pratique systématique de ce vaccin chez les adolescentes.

Il en a été de même pour ce qui est de la grippe : on n'a jamais apporté la preuve de l'intérêt de la vaccination contre le virus saisonnier. Tous les ans, on nous annonce 5 000 à 7 000 décès. Or, quelques études ont montré que, sur ces décès qui survenaient l'hiver chez les personnes âgées, seules 10 à 30 % maximum des personnes présentant un syndrome grippal avaient réellement la grippe. En fait, il s'agit d'environ 500 décès.

En avril, 312 décès dus à la grippe A (H1N1)v ont été déclarés, dont 50 chez les personnes qui n'avaient aucun facteur de risques et 1 334 formes graves d'après l'Institut de veille sanitaire (InVS).

Ce n'est donc pas du tout ce qui avait été annoncé au départ ; on a développé une stratégie de la peur et culpabilisé les médecins qui ne donneraient pas de Tamiflu ou qui n'enverraient pas leurs patients se faire vacciner.

Il est urgent de créer des commissions qui comprennent vraiment des experts indépendants - infectiologues, virologues mais aussi généralistes. Nous avons été complètement exclus de cette épidémie alors que nous sommes en première ligne, ce qui nous a vraiment agacés. Enfin, il serait bon que ces commissions comportent aussi des représentants de la société civile.

M. François Autain , président - Comme je l'ai indiqué, vous êtes signataire, sous un pseudonyme, d'un texte qui est pour moi une référence, je le répète.

M. Alain Siary - Je ne sais pas s'il s'agit de mon texte...

M. François Autain , président - Docteur CMT.

M. Alain Siary - Ce n'est pas moi, c'est une collègue mais j'avais la même opinion. Etant intervenant dans un séminaire, j'ai fait mon propre texte. Ce n'était pas tout à fait le même, mais nous étions sur la même ligne.

M. François Autain , président - Vous la connaissez cependant...

M. Alain Siary - De nom...

M. François Autain , président - Ce texte est remarquable. Vous étiez donc plus nombreux qu'on ne le pense à l'époque à estimer qu'il s'agissait d'un risque qui n'était pas plus important que celui de la grippe saisonnière.

Le Gouvernement français a choisi de procéder à une vaccination collective, et non dans les cabinets médicaux. Que pensez-vous de ce choix, au regard notamment des arguments avancés quant aux problèmes d'organisation pratique d'une vaccination par les médecins généralistes - convocation des patients, approvisionnement en vaccins, charge administrative, etc. ?

M. Alain Siary - Les médecins généralistes procèdent tous les ans à des millions de vaccinations contre la grippe saisonnière, sans savoir si c'est efficace mais sans que cela pose de problèmes. Les personnes à risque sont vaccinées et n'encombrent pas les cabinets médicaux. Cela m'a semblé totalement délirant !

Si on en avait eu la possibilité, on aurait vacciné les personnes à risque mais on n'aurait pas vacciné tout le monde, cette épidémie, à mon sens, d'après les connaissances issues de l'épidémie dans l'hémisphère Sud, ne nécessitait pas une vaccination massive.

La commande de 94 millions de doses, voire plus éventuellement, destinées à 47 millions de personnes nous a semblé d'emblée complètement ahurissant. Après avoir été mis de côté, on nous a proposé, quand l'épidémie était terminée, de vacciner. C'était parfaitement inutile, qui plus est avec des vaccinations multidoses, impraticables en cabinet.

Je le dis clairement : on a estimé d'emblée que cette vaccination de masse n'était pas adaptée !

M. François Autain , président - Vous affirmez que cette vaccination n'était pas praticable en cabinet compte tenu de la présentation en multidoses ; je crois savoir qu'un certain nombre de vos confrères considéraient le contraire. Selon vous, ce n'est pas possible ?

M. Alain Siary - Non. Le problème n'était pas de vouloir vacciner dans nos cabinets mais de se poser la question de savoir s'il fallait vacciner et qui vacciner ! Vacciner tout le monde n'était pas sérieux !

L'attitude de certains syndicats, notamment de la Confédération des syndicats médicaux français, n'est pour moi pas défendable. Il fallait dire que nous étions capables de vacciner les personnes à risque, en fonction des publications qui étaient parues concernant l'épidémie dans l'hémisphère Sud. On était bien informé : on avait notamment toutes les données sur les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande. On savait qu'il existait des personnes à risque - femmes enceintes, personnes atteintes d'obésité morbide, jeunes touchés par des pathologies respiratoires ou autres. Il était donc tout à fait possible d'assurer leur vaccination.

M. François Autain , président - Comment expliquez-vous que le Gouvernement ait, malgré tout, commandé 94 millions de doses et considéré qu'il fallait vacciner tout le monde pour des raisons, paraît-il, éthiques, pour reprendre le terme de la ministre ?

M. Alain Siary - Il n'y a d'explications éthiques à cela. C'est tout à fait impertinent de dire cela ! Il existait un plan de lutte contre les pandémies, « calibré » sur un risque pandémique grave de type H5N1. Comme dans les guerres, les canons sont prêts, on n'a plus qu'à tirer !

M. François Autain , président - Même si les armes ne sont plus adaptées à l'ennemi, même si l'ennemi n'est pas le même !

M. Alain Siary - C'est tout à fait cela. On s'attendait à une guerre atomique ; il s'est agi d'une guérilla mais on a cependant utilisé l'armement atomique. Je pense que c'est une erreur grave pour la santé publique.

M. François Autain , président - Vous avez en effet prononcé le mot de « défaite ».

M. Alain Siary - On peut en effet parler de défaite de la santé publique.

M. François Autain , président - Vous le maintenez ?

M. Alain Siary - Je le maintiens. La gestion de cette épidémie de grippe A (H1N1)v est une défaite de la santé publique. M. Aquilino Morelle avait dit, dans le livre qui porte ce titre, que si l'on ne réalisait pas des transformations profondes en France, on s'exposait à de nouveaux problèmes : c'est une défaite de la santé publique, je le dis clairement !

M. François Autain , président - Je ne suis pas sûr que M. Aquilino Morelle utiliserait le même terme pour qualifier la grippe A (H1N1)v mais je ne le lui ai pas demandé...

M. Alain Siary - J'utilise ses termes mais je parle en mon nom.

M. François Autain , président - En dépit des efforts consentis pour accélérer l'autorisation et la production des vaccins antipandémiques, les vaccins contre la grippe A (H1N1)v sont arrivés trop tard pour pouvoir en escompter un quelconque « effet barrière », et même pour protéger en temps utile les individus contre l'épidémie.

Cette constatation ne doit-elle pas conduire à reconsidérer la place accordée à la stratégie vaccinale dans la réponse à une pandémie grippale ?

M. Alain Siary - Il serait intéressant de faire une étude comparative entre la Pologne - qui n'a pas vacciné - et les autres pays. On attend d'avoir les résultats pour voir s'il existe une différence significative en termes de morbi-mortalité. Je pense qu'il n'y en a pas étant donné ce qui s'est passé, mais il serait intéressant d'avoir les chiffres et de les présenter. Ce serait un niveau de preuve élevé concernant l'inutilité de cette vaccination !

M. François Autain , président - Nous nous sommes rendus en Pologne il y a une quinzaine de jours. On nous a indiqués que la grippe avait fait en Pologne 180 morts et que l'on avait recensé 2 500 cas.

Autant le nombre de 180 morts me semble cohérent avec ce que nous avons observé dans notre pays, autant 2 500 cas me semblent très inférieurs au nombre de cas que nous avons recensés.

Cela permet de s'interroger sur la fiabilité des statistiques polonaises mais il est évident que les conséquences sont très voisines de ce que l'on a observé chez nous. Le fait que l'on ait vacciné ou non n'a donc pas eu d'incidence considérable sur l'évolution de la pandémie dans les pays concernés.

M. Alain Siary - Pour ce qui est du taux d'attaque de la grippe, une étude menée au Royaume-Uni a montré des taux très variables d'une région à l'autre, un nombre important de formes asymptomatiques et des formes graves observées chez des individus qui ne présentaient pourtant pas de risques particuliers.

Plus que la question de la létalité du virus, ce sont ces formes graves parmi des patients en bonne santé qui devraient donner lieu à des études approfondies.

D'autres tests récents réalisés sur des animaux soulèvent la question de l'efficacité de la stratégie vaccinale.

Une étude de chercheurs hollandais, parue dans The Lancet à la même époque, porte ainsi sur deux lots de souris, l'un vacciné contre la grippe saisonnière, l'autre à qui on a injecté la grippe saisonnière. Les souris sont comme les hommes vis-à vis de la grippe : on n'a compté aucun décès.

La grippe aviaire H5N1 a ensuite été injectée à ces deux lots de souris. Dans le groupe qui avait eu la grippe saisonnière, il n'y a eu aucun décès ; en revanche, dans le groupe vacciné contre la grippe A (H1N1)v, on a enregistré des décès.

On avait constaté en 1918, dans un tout autre contexte, que la première attaque de grippe dite « espagnole » avait été bénigne. Les gens qui avaient attrapé la grippe lors de la première attaque n'ont jamais eu de problèmes ultérieurement. Ils ont été immunisés ! Une grippe bénigne immunise et protège contre des grippes beaucoup plus graves de façon beaucoup plus efficace et sans causer les dégâts de la vaccination.

Cela pose le problème de la stratégie vaccinale telle qu'elle est conduite actuellement face aux virus grippaux. Tout miser sur la vaccination n'est probablement pas pertinent. Ces études montrent qu'il faut être extrêmement méfiant vis-à-vis des vérités assénées. Quand on a appris qu'il y avait eu 312 décès, certains experts ont affirmé qu'ils n'auraient pas eu lieu si l'on avait réalisé la vaccination plus tôt. Il n'est pas très bon que des experts s'expriment de cette façon !

M. François Autain , président - D'autant que la vaccination, en cas de pandémie, arrive après les autres moyens dont on dispose.

Doit-on reconsidérer la place que l'on accorde à la vaccination en cas de pandémie ? Si, demain, une autre pandémie survenait, quelle procédure préconiseriez-vous ?

M. Alain Siary - Je ne suis pas virologue...

M. François Autain , président - C'est pourquoi votre point de vue est intéressant !

M. Alain Siary - Les études dont j'ai parlé mettent en doute le rôle majeur de la vaccination. Il existe peut-être d'autres moyens...

C'est un travail collectif qui doit être réalisé par des virologues, des épidémiologues, des gens de terrain mais je ne puis me prononcer seul. Tout ce que je puis dire, c'est qu'étant donné la date à laquelle la vaccination est arrivée, son efficacité a été probablement des plus réduites.

M. François Autain , président - Etes-vous d'accord avec le fait que le vaccin antigrippal saisonnier n'était en aucun cas efficace contre la grippe pandémique A (H1N1)v ?

M. Alain Siary - On n'a pas de certitude absolue. Une étude « cas témoins » publiée dans le New England Journal of Medicine , faite à Mexico dans un service de pneumologie et de réanimation, sur des personnes décédées d'incidents respiratoires, comparait ces cas de décès à des témoins, c'est-à-dire des personnes ayant contracté le virus mais qui n'étaient pas décédées ; parmi les personnes décédées, personne n'avait été vacciné contre la grippe saisonnière alors que, parmi les témoins, on comptait une proportion de personnes vaccinées contre la grippe saisonnière plus importante.

Les auteurs de cette étude étaient en faveur d'une possible efficacité de la vaccination saisonnière. Les études « cas témoins » doivent toutefois être considérées avec beaucoup de recul. C'est la seule étude en faveur de l'efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière.

M. François Autain , président - Il n'y a donc pas de preuves ?

M. Alain Siary - Non. On considère qu'une étude « cas témoins » est un niveau de preuves faible ; pour que ce soit un niveau élevé, il faut plusieurs études « cas témoins » et des études de cohortes.

M. François Autain , président - Il n'y a pas non plus de preuve du cas contraire ?

M. Alain Siary - Non plus ! On n'a rien pu démontrer. On se base simplement sur les taux d'anticorps de la population, qui ne sont pas forcément représentatifs d'une immunité. Il existe deux types d'immunité, l'immunité humorale, qui se traduit par les anticorps et l'immunité cellulaire. On peut avoir un taux d'anticorps nul et cependant bénéficier d'une immunité et inversement. On peut aussi avoir des anticorps humoraux sans avoir forcément une bonne protection. La recherche d'anticorps humoraux est donc utile mais ne constitue qu'un critère intermédiaire. Ce n'est pas suffisant.

Si l'on veut vraiment apprécier l'efficacité d'un vaccin, la meilleure solution est l'étude randomisée qui est difficile à réaliser.

Au début de l'épidémie de grippe, on nous a dit que l'on n'avait pas les vaccins antigrippaux, mais une des causes de mortalité par grippe étant la complication par pneumonie à pneumocoques, on nous a conseillé d'utiliser massivement le « Pneumo 23 », vaccin antipneucoccique. C'est ce que nous avons fait pour les personnes à risque. Beaucoup étaient d'ailleurs déjà vaccinées mais on a très vite manqué de vaccins de ce type. Le peu d'études randomisées qui ont été menées montrent toutefois que l'efficacité de ce vaccin n'est pas supérieure à celle d'un placebo.

Les niveaux de preuves concernant les virus qui mutent sont extrêmement faibles ; on sait que la vaccination est conseillée en France pour les plus de 65 ans. Ce sont les personnes les plus exposées mais aussi celles que la vaccination protège le moins bien.

M. François Autain , président - Vous avez répondu sur des sites Internet aux partisans des ligues antivaccinales. Dans quelle mesure la gestion de la grippe pandémique a-t-elle renforcé l'audience de ces mouvements ?

M. Alain Siary - L'audience de ces mouvements a été renforcée en deux circonstances.

Tout d'abord, la stratégie de communication adoptée dans le cadre de la vaccination contre l'hépatite B a été catastrophique. Les ligues se sont déchaînées à propos de quelques cas suspects, mais jamais prouvés, de syndrome de sclérose en plaques.

Elles se sont également déchaînées contre la vaccination anti-HPV qui n'était pas justifiée à mon sens.

Quand on fait des faux pas, quand on ment aux gens, comme dans le cas de l'hépatite B à propos de laquelle on a prétendu que cette maladie pouvait se transmettre par des verres d'eau - je l'ai lu dans des textes rédigés par certaines directions départementales des affaires sociales (DDASS) pour le grand public - les choses vous reviennent en pleine face, comme un boomerang et ce n'est pas étonnant ! J'estime que cette campagne a renforcé les ligues antivaccinales. Ce n'est donc pas une bonne chose !

M. François Autain , président - Vous avez cité les effets indésirables de certains vaccins, pour d'autres maladies que la grippe. Etes-vous d'accord avec le constat, formulé par plusieurs des personnes interrogées par la commission d'enquête, que la vaccination contre la grippe pandémique n'aurait pas eu d'effets indésirables ? Si tel est le cas, a-t-on surestimé la probabilité que de tels effets surviennent ?

M. Alain Siary - Je reste très réticent vis-à-vis de la pharmacovigilance telle qu'elle s'exerce en France. Il n'y a manifestement pas eu de syndrome de Guillain-Barré, sur lesquels on était très axé, étant donné l'antécédent de la vaccination de 1976 aux Etats-Unis. Pour ce qui est des autres effets secondaires, je reste prudent. Il est peu probable qu'il y ait eu des effets graves mais, si l'on s'en réfère à l'étude menée à propos du BCG intradermique, on se rend bien compte que, globalement, on sous-estime largement les pathologies iatrogènes.

Ce n'est pas seulement vrai pour les vaccins mais aussi pour tous les médicaments. La pathologie iatrogène fait entre 15 000 à 20 000 morts par an, bien plus que les accidents de la route !

M. François Autain , président - Vous voulez parlez de la pathologie iatrogène médicamenteuse ?

M. Alain Siary - En effet, mais les médecins n'aiment pas entendre parler de pathologie iatrogène.

M. François Autain , président - Il est vrai que cela remet en cause plus ou moins directement le médecin lui même.

M. Alain Siary - L'industrie pharmaceutique aime encore moins en parler. Bien sûr, les industriels ne sont pas fous et ne vont pas commercialiser des médicaments dangereux. En revanche, les essais randomisés sous estiment largement les effets secondaires des médicaments. C'est en phase 4 qu'on les apprécie et on a parfois de très mauvaises surprises ! Or, l'Europe a décidé de confier la pharmacovigilance aux industriels...

M. François Autain , président - Pas encore.

M. Alain Siary - C'est un risque énorme.

M. François Autain , président - Pour peu que l'Etat concerné les y autorise...

M. Alain Siary - C'est un risque majeur.

M. François Autain , président - Je suis d'accord avec vous.

Estimeriez-vous nécessaire de mener des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, qu'elle soit saisonnière ou pandémique, et d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe ?

M. Alain Siary - Il est clair que nous ne sommes pas bons sur le plan épidémiologique. Quand on veut l'être, on sait le faire. On l'a fait pour le VIH : c'est probablement la maladie infectieuse qui est, en France, la mieux répertoriée, bien mieux que les hépatites ou que toutes les autres. On s'est donné les moyens de le faire étant donné la gravité de cette maladie, ce qui n'est évidemment pas le cas de la grippe. On pourrait se donner les moyens d'en savoir plus !

Tous les ans, on annonce 7 000 morts dues à la grippe ; quand on regarde une publication sérieuse, on se rend compte que ce chiffre n'est que de 500 par an ! La grippe saisonnière tue probablement tous les ans moins de 1 000 personnes ! Ce ne sont pas les chiffres qu'on nous annonce, qui sont destinés à développer la vaccination.

M. François Autain , président - Qu'attendez-vous des travaux menés par le comité d'évaluation de l'OMS ? Quelles mesures préconiseriez-vous pour prévenir les conflits d'intérêts dans les comités d'expertise de l'OMS ?

M. Alain Siary - Comme dans tous les comités d'experts, il est très important que les gens déclarent leurs conflits d'intérêts et qu'il existe des experts qui n'aient pas de conflits d'intérêts et qui aient voix au chapitre. J'ai entendu dire que les experts sans conflits d'intérêts sont des experts sans intérêt : c'est scandaleux !

M. François Autain , président - L'intéressé m'a dit que c'était une phrase sortie de son contexte...

M. Alain Siary - Non, pas du tout ! C'était très clairement ce qu'il pensait ! Je crois que c'était M. Philippe Lamoureux...

M. François Autain , président - En effet. Nous l'avons auditionné.

M. Alain Siary - Je l'ai déjà entendu le dire lors d'émissions. Il n'y a d'ailleurs pas que lui qui le pense. On le croit également dans les instances officielles.

M. François Autain , président - Vous avez souligné dans votre exposé la nécessité de créer des commissions composées d'experts indépendants et de représentants de la société civile. Pourriez-vous détailler cette proposition quant aux personnes qui pourraient être choisies pour siéger dans ces comités, et selon quelles modalités de désignation ?

M. Alain Siary - Quand il s'agit de problèmes concernant la santé publique ou l'environnement, il est bon d'avoir recours à des représentants des associations - comme « Sciences citoyennes » ou autres - et que les personnes qui y parlent ne soient pas forcément des médecins. Ils doivent dire ce qu'ils pensent en tant que représentants de la société civile. C'est le problème de l'expertise en général, ce n'est pas propre à la santé. Il faut des experts impliqués mais aussi des experts indépendants et des gens qui représentent les citoyens, qui ont une formation, qui sont dans des associations représentatives. On ne peut prendre seul des décisions concernant la santé publique et l'ensemble des citoyens sans que ceux-ci y participent également. La démocratie intervient également dans la pratique et la gestion de la santé publique !

M. François Autain , président - Parmi les représentants de la société civile, incluriez-vous des représentants des associations de patients - dont certaines ont des liens financiers avec l'industrie pharmaceutique ?

M. Alain Siary - Les associations de patients posent problème dans la mesure où elles ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. On aimerait davantage inclure des associations de citoyens indépendants.

M. François Autain , président - Pouvez vous citer des exemples ?

M. Alain Siary - Il y a « Sciences citoyennes ». Je n'ai plus les noms en tête mais il existe plusieurs organisations ; certaines travaillent avec les lanceurs d'alerte et ont soutenu le chercheur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui avait montré, en accord avec toute la communauté médicale, que le sel est un facteur de risque cardio-vasculaire... Il avait été poursuivi par les industriels du sel. Il a d'ailleurs gagné ; toute la communauté scientifique et médicale était derrière lui. Ce sont des données très connues. Je n'ai pas compris pourquoi les industriels du sel lui ont fait un procès. Leur expert est le même depuis trente ans : ce n'était pas très sérieux !

Ces associations existent et ont leur mot à dire dans des commissions qui les incluraient.

M. François Autain , président - « Que choisir » ou « 60 millions de consommateurs » vous paraissent-elles pouvoir remplir ce rôle ?

M. Alain Siary - « Que choisir santé » fait un travail intéressant et travaille avec le FORMINDEP (collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes au service des seuls professionnels de santé et des patients).

On parle des associations représentant la société civile mais prenons les sociétés savantes, qui représentent les généralistes. J'ai fait un travail sur cette épidémie de grippe A (H1N1)v : lecture, publications... Je suis intervenu comme expert dans des formations : on ne nous a jamais demandé notre avis alors que nous avons une compétence dans l'expertise ! J'interviens dans des dizaines de séminaires sur des sujets touchant à la médecine générale. J'ai une formation à la lecture critique et à la lecture des essais.

M. François Autain , président - ... Et vos stages sont rémunérés par l'assurance maladie.

M. Alain Siary - C'est totalement indépendant de l'industrie pharmaceutique. Ce sont des formations auxquelles les médecins sont tenus de participer. Nous avons une compétence dans le cadre de l'expertise qui touche la médecine générale : jamais on n'a entendu de médecins généralistes, experts en ce domaine ! Je plaide pour que la médecine générale, en tant que telle, ait des experts qui puissent intervenir sur des problèmes de santé publique.

M. Michel Guerry - Pensez-vous que l'OMS revienne en arrière à propos de sa définition de la pandémie ?

M. Alain Siary - L'OMS est actuellement en pleine tempête.

Aucun expert de l'OMS n'est venu devant la commission d'enquête du Sénat ?

M. François Autain , président - Si, M. Bruno Lina, qui est membre du SAGE, mais aucun autre n'est venu. Nous y sommes allés. Je crois qu'il est très difficile d'obtenir l'audition, en France, d'experts qui travaillent à l'OMS.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale rencontre les mêmes difficultés.

M. Alain Siary - Cela fait des années que l'on signale les dérives de l'OMS, sous l'influence de l'industrie pharmaceutique. Cela avait déjà été constaté avant l'épidémie de H1N1, notamment en ce qui concernait l'hypertension artérielle.

Etant donné ce qui se passe actuellement, on est en droit d'espérer que l'OMS va réviser un certain nombre de choses et être beaucoup plus rigoureuse au sujet des conflits d'intérêts des experts. C'est ce que l'on peut espérer !

M. Michel Guerry - A partir du moment où un pays participe au financement de l'OMS, on devrait pouvoir entendre sa direction, ses experts, etc. Si tel n'est pas le cas, on devrait arrêter de les payer ! C'est vraiment scandaleux !

M. François Autain , président - C'est le bon sens !

Il me reste à vous remercier. Nous tirerons certainement beaucoup de profit de vos réponses lors de l'élaboration du rapport.

Audition de M. Mathias MATALLAH, président de Jalma,
cabinet de conseil spécialisé en économie de la santé
(mercredi 9 juin 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Mathias Matallah, président de Jalma, cabinet de conseil spécialisé en économie de la santé.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Mathias Matallah prête serment.

M. François Autain , président - Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Mathias Matallah - Je précise que je suis spécialiste en économie de la santé et en aucun cas des questions médicales ou d'épidémiologie.

J'essaierai de vous exposer ma perception de la grippe A (H1N1)v à travers les questions-réponses que je me suis adressées à moi-même lors de cette crise.

La première question, que je me suis posée depuis plus d'un an, est celle de savoir si l'on avait affaire à un risque majeur de santé publique. Les faits permettent de répondre non à cette question.

Toutefois, corollaire de la première question, pouvait-on le prévoir et à quel moment ? Je pense qu'on pouvait le prévoir dans le courant de l'été 2009, à un moment où on commençait à avoir une visibilité assez claire de ce qui se passait dans l'hémisphère Sud et dans des territoires français comme la Nouvelle-Calédonie. On savait que le virus était inoffensif, que l'infection se soignait fort bien avec du paracétamol, comme l'indiquaient à la télévision les généralistes français de Nouvelle-Calédonie confrontés au sujet. C'est ce qui ressortait aussi pour les pays anglo-saxons de cette région du monde.

On a su, dès juillet-août, que ce virus était inoffensif et le risque qu'il mute pour devenir létal en quelques semaines, selon les spécialistes, paraissait nul.

M. François Autain , président - Ce n'est pas ce que disent les virologues - mais vous n'êtes pas virologue, comme vous le disiez en commençant.

M. Mathias Matallah - En effet...

Troisième question : l'action des pouvoirs publics des différents pays a-t-elle été proportionnée à ce que l'on savait au cours de l'été 2009 ?

Cette réponse a été un peu partout assez largement disproportionnée, l'écart entre les mesures prises et l'enjeu devenant presque comique avec le recul.

Pourquoi les dispositifs mis en place ont-ils été à ce point déconnectés de la réalité ?

Toujours avec le recul, il apparaît que les gouvernements ont été très mal conseillés, au premier chef par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a créé un climat de psychose en remontant ses échelles de risque et en déclarant le stade de pandémie de façon très contestable, mais aussi, dans les différents pays, par les experts nationaux.

Par ailleurs - et cette question rejoint celle sur laquelle enquête la commission - ces mauvais conseils résultent-ils d'une collusion entre l'OMS, certains experts et une industrie pharmaceutique qui apparaît comme la grande bénéficiaire de cette affaire ?

M. François Autain , président - Elle l'est !

M. Mathias Matallah - Je ne suis pas spécialiste de l'OMS. En outre, un certain nombre de commissions d'enquête sont actuellement en cours à l'échelle internationale. Elles donneront leur réponse. Je constate que l'OMS a beaucoup de mal à clarifier les rapports d'un certain nombre de ses experts avec l'industrie. C'est sans doute un mauvais signal ; cela étant, je ne suis pas en mesure de l'interpréter, ne connaissant pas assez bien le dossier.

Pour ce qui est des experts nationaux, je ne puis que faire état de mon intime conviction. En ce qui concerne la France, tous les experts sérieux ont forcément des rapports avec l'industrie, ne serait-ce que parce que c'est elle qui finance la recherche.

M. François Autain , président - De moins en moins !

M. Mathias Matallah - Elle la finance encore très largement.

Pour les experts qui se sont exprimés sur le sujet, leur image et leur réputation sont beaucoup plus importantes que leurs relations avec l'industrie. Pour eux, la priorité durant cette crise a été de préserver leur réputation. C'est humain ! Ils ont tous le souvenir de leurs prédécesseurs qui étaient de grands médecins et qui, dans les années quatre vingt, ont vu arriver l'épidémie de sida et qui n'y ont pas cru. Il était alors quasiment impossible, quarante ans après l'introduction des antibiotiques, de croire au développement d'une pandémie infectieuse. On en a cloué un certain nombre au pilori et leurs successeurs s'en souviennent. On est donc sans doute passé de la négligence à un excès de prudence et à l'obsession du risque zéro. Aucun expert n'a voulu prendre le risque de minimiser la menace et de se tromper. Même s'il existe peu de probabilités qu'un virus mute, le risque n'en est pas nul.

On est passé d'un extrême à l'autre et c'est assez logique : si on dit qu'il ne se passera rien et qu'il se passe quelque chose, on se fait « lyncher ». Si on dit qu'il y a de grandes chances qu'il se passe quelque chose et qu'il ne passe rien, on dira de vous que vous êtes un homme prudent et que vous avez sans doute pris la bonne décision.

M. François Autain , président - Même si on a dépensé quelque 700 millions d'euros en pure perte ?

M. Mathias Matallah - A l'époque du sang contaminé, on n'a pas fait de chiffrage alors que cela a été une catastrophe sanitaire, économique, financière et humaine. On peut toujours discuter du chiffrage mais notre débat porte sur les experts. Je suis convaincu que pour beaucoup, la sauvegarde de leur réputation est plus importante que tout le reste - et le problème des ministres qui ont géré le dossier est le même. Ils ont le souvenir d'un de leurs prédécesseurs qui, en 2003, n'a pas pris au sérieux le risque de la canicule et qui a été cloué au pilori, comme le DGS des années 1980 !

La crise du sang contaminé a été très traumatisante parce qu'on ne l'a pas prise au sérieux dès le départ ; on a donc aujourd'hui un retour de balancier qui fait qu'on n'est pas en mesure de gérer ce type de crise de façon sereine en prenant le recul nécessaire.

La crise actuelle est peut-être salutaire : il faudra trouver un juste équilibre entre la négligence et l'obsession du risque zéro mais je suis dubitatif sur le fait qu'on y arrive tout de suite.

Il faut sans doute que les traumatismes passés s'effacent de la mémoire des décideurs d'aujourd'hui. Cela va peut être prendre encore une demi-génération.

Pour le reste, et sur le fait de savoir s'il y a eu collusion ou non, je laisse le soin de le déterminer aux commissions d'enquête. Je ne connais pas assez bien les dossiers ni les relations des uns avec les autres pour me prononcer - et je n'aime pas me prononcer sur des sujets que je ne connais pas.

M. François Autain , président - Je voudrais revenir sur le problème du chiffrage.

Vous avez dit que la grippe A (H1N1)v bénéficie à quelques entreprises, à commencer par les grands laboratoires. Depuis l'interview que vous aviez donné au mois d'août au journal Les Echos , avez-vous progressé et pouvez-vous donner un chiffre concernant le profit que l'industrie pharmaceutique a pu réaliser grâce ou à cause de cette pandémie ? Le rapport du 4 juin de la sous-commission santé de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, se référant aux estimations de la banque J.P. Morgan, indiquait que ces bénéfices auraient pu aller jusqu'à 10 milliards de dollars. Que pensez-vous de ces chiffres ?

M. Mathias Matallah - Trois choses entrent en ligne de compte sur le marché de la pandémie : les vaccins, qui représentent la partie la plus importante, les antiviraux - Tamiflu, etc. - et, dans une proportion plus anecdotique, les masques, les gels, etc. qui constituent des enjeux économiques beaucoup plus modestes.

Pour ce qui est des vaccins, il est difficile de connaître exactement le chiffrage global compte tenu des annulations de commandes. Avant la grippe, le marché annuel des vaccins représentait environ 20 milliards de dollars. Il serait étonnant qu'il ait augmenté dans des proportions telles, malgré la pseudo-pandémie.

M. François Autain , président - Je vais faire preuve de prudence : il s'agit peut être d'un chiffre d'affaires. Il faudrait se référer au rapport. S'agit-il de bénéfices ou de chiffre d'affaires ?

M. Mathias Matallah - J'avais évalué le chiffre d'affaires à 6 ou 7 milliards de dollars. En France, on parvenait à environ 800 millions d'euros, soit 1 milliard de dollars. Finalement, il y en a beaucoup moins.

M. François Autain , président - Cela baisse tous les mois !

M. Mathias Matallah - Les contrats ont été annulés, et le Gouvernement a visiblement bien négocié les annulations.

M. François Autain , président - Etes-vous sûr que c'est annulé ?

M. Mathias Matallah - Je ne crois que ce que j'entends ! Je n'ai pas de raison de mettre en doute la bonne foi du ministre ou de ses collaborateurs.

M. François Autain , président - La ministre avait déjà annoncé il y a deux ou trois mois, le jour où elle était venue devant la commission, 36 millions d'euros pour l'indemnisation de GSK (GlaxoSmithKline). Ce n'est pas le cas. GSK, que nous avons interrogé, a dit qu'il s'agissait d'une proposition du Gouvernement mais qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette somme. Je ne sais pas si les négociations ont abouti et s'il y a eu un accord entre le Gouvernement et GSK - pour ne citer que ce laboratoire - sur le montant d'un dédommagement.

M. Mathias Matallah - Il est possible que les négociations soient encore en cours. Cela étant, la position des laboratoires est très faible car ils s'engageaient sur des quantités qu'ils n'étaient pas en mesure de livrer.

M. François Autain , président - En êtes-vous sûr ?

M. Mathias Matallah - Sur les 94 millions de doses commandées à l'origine, en avril, les laboratoires n'étaient en mesure de ne livrer que 30 millions de doses.

M. François Autain , président - Sur quoi vous fondez-vous pour l'affirmer ?

M. Mathias Matallah - Les commandes annulées ont porté sur des vaccins qui n'ont pas été livrés.

M. François Autain , président - C'est grave ! Les laboratoires se seraient donc engagés, face au Gouvernement, alors qu'ils savaient pertinemment qu'ils ne pourraient tenir leurs engagements ?

M. Mathias Matallah - Le savaient-ils pertinemment ? En tout cas, il apparaît clair que les doses n'avaient pas été livrées. On avait prévu un pic pandémique au printemps ; il a eu lieu avant Noël. En tout cas, les vaccins n'étaient pas livrés !

Par ailleurs, les campagnes de vaccination n'ont pas eu, nulle part dans le monde, les effets escomptés. Au bout du compte, on ne sait pas très bien à quoi on a assisté mais on était incapable d'opérer des vaccinations avec des vaccins qui avaient eux-mêmes du mal à être livrés.

M. François Autain , président - Vous l'indiquiez déjà dans votre interview aux « Echos » ; vous disiez, le 13 août 2009 : « Le pire est que ces vaccins ne seront pas livrés avant octobre et qu'ils ne serviront donc à rien ». Là, vous avez fait preuve d'une prescience assez extraordinaire !

M. Mathias Matallah - Dans les cycles industriels, on peut faire ce qu'on veut mais si on veut respecter un minimum de règles de l'art, on ne peut pas fabriquer des vaccins par millions d'un seul coup - à moins de prendre des risques démesurés en termes de qualité. Aucun laboratoire ne peut se le permettre ni ne le ferait en termes d'éthique.

Il est possible que l'on ait assisté à un « poker menteur ». Il me semble que l'on était très loin d'une livraison des quantités attendues.

M. François Autain , président - Vous maintenez donc que, lorsque les laboratoires ont signé les contrats, ils étaient manifestement conscients qu'ils ne pourraient faire face à leurs obligations de livraison ?

M. Mathias Matallah - Avec le recul, on se dit que les doses n'auraient pu être livrées. Était-ce prévisible ? A priori , quand on gère un cycle industriel, on doit être capable de le prévoir ! Avait-on tablé sur une pandémie plus longue ? Cela serait curieux étant donné ce que l'on savait des événements de l'hémisphère Sud. Je n'en sais rien. Je préfère ne pas me prononcer sur des choses que je ne sais pas de façon absolument certaine.

M. François Autain , président - En tout cas, vous avez des doutes.

M. Mathias Matallah - Je les ai exprimés dans l'interview aux « Echos » du 13 août 2009. Je pensais effectivement que l'on assistait à quelque chose d'assez curieux puisqu'on parlait de quantités qui, à l'époque, paraissaient peu réalistes.

Cela étant, avec le recul, cela arrange tout le monde, les contrats se dénouent sans drame inutile. Quelques dizaines de millions d'euros de dédit valent mieux que quelques centaines de millions, pour des vaccins qui iront à la poubelle. Pour les finances publiques, en tant que contribuable, je trouve cela bien !

M. Michel Guerry - Cela veut dire aussi que les industriels n'étaient pas capables de les fabriquer en temps utile.

M. Mathias Matallah - Cela étant, on a constaté partout à travers le monde que les campagnes de vaccination ne permettaient pas de vacciner les gens aussi vite qu'escompté. Je n'ai plus les chiffres en tête pour la France...

M. François Autain , président - 5,7 millions...

M. Mathias Matallah - De mémoire, les chiffres étrangers ne sont pas meilleurs.

M. François Autain , président - Le plus mauvais élève de la classe est la Pologne mais le résultat n'est pas plus catastrophique que le résultat français sur le plan du nombre de morts du fait de la grippe !

Avez-vous des éléments concernant le coût pour le Gouvernement de la campagne de vaccination ?

M. Mathias Matallah - C'est très difficile.

M. François Autain , président - Les chiffres en provenance du Gouvernement changent au fil des jours. Il y a un mois, on nous parlait de 600 millions d'euros, soit à peu près 121 euros la vaccination - ce qui est assez élevé pour l'injection d'un vaccin, même pandémique ! Dimanche, on nous annonce que cela ne dépasserait pas 500 millions. J'avoue que j'ai des difficultés à comprendre cette évolution des chiffres. Avez-vous des éléments ?

M. Mathias Matallah - Non.

M. François Autain , président - Je pensais qu'un économiste de la santé suivait cela de près et aurait pu nous aider.

M. Mathias Matallah - Non.

M. François Autain , président - En quoi pouvez-vous donc nous aider ?

M. Mathias Matallah - Il faut savoir ce que l'on met dans les chiffres que l'on présente - coûts directs, indirects, etc.

Il faudrait d'abord, pour mettre tout le monde d'accord, bâtir une méthodologie de construction du coût. Y inclut-on les consultations de généralistes ?

M. François Autain , président - Non, uniquement les prestations des médecins dans les « vaccinodromes ».

M. Mathias Matallah - Cela a-t-il une réelle signification ? Le coût d'une pandémie n'est pas uniquement constitué des coûts directs de vaccination mais de l'ensemble des coûts associés : coûts d'assurance maladie, consultations supplémentaires, etc. A chaque épidémie de grippe saisonnière, on constate au moment du pic pandémique des pics de dépenses dans les comptes de l'assurance maladie mais ceux-ci ne sont pas simplement liés à la vaccination, même sélective.

Il faudrait donc reprendre les mêmes méthodes d'évaluation et se poser la question du coût global.

M. François Autain , président - Vous ne pensez pas qu'il faille, par exemple, inclure le prix des masques ?

M. Mathias Matallah - Au contraire.

M. François Autain , président - Même si c'était plutôt dans la perspective d'une grippe H5N1 beaucoup plus virulente ?

M. Mathias Matallah - Les masques existent néanmoins.

M. François Autain , président - Je ne pense pas que les services du ministère incluent les masques dans leur coût, pas plus que les antiviraux.

M. Mathias Matallah - Quel est le surcoût réel par rapport à une épidémie de grippe saisonnière ? Combien y a-t-il eu de morts de plus ? Quel a été l'ensemble des effets ? C'est très difficile à évaluer. On ne sait pas aujourd'hui, par exemple, évaluer le nombre de cas de grippe. Tout juste sait-on le nombre de personnes qui ont été vaccinées. On ne connaît pas plus le nombre de cas. J'ai entendu des chiffres fluctuant sur une échelle de un à trois.

En 2003, on a recensé 15 000 morts durant l'été. En réalité, lorsqu'on observe les statistiques des décès sur l'année, c'est beaucoup moins que cela. On peut supposer qu'une partie de ces personnes seraient décédées dans l'année car elles étaient très âgées et en très mauvaise santé. Il faudrait voir ce que cela a représenté par rapport à une grippe saisonnière classique, qui représente 3 500 à 5 000 morts...

M. François Autain , président - Ce sont des chiffres très contestés et contestables. La grippe elle-même ferait, semble-t-il, beaucoup moins de morts. Ce sont les complications de la grippe qui seraient à l'origine de cette mortalité que l'on chiffre habituellement entre 4 et 6 000 décès.

M. Mathias Matallah - Je crois que l'InVS a parlé de 300 et quelques morts pour la grippe A (H1N1)v mais ce sont essentiellement des gens qui sont morts de complications.

M. François Autain , président - On nous a dit que ceux-là étaient effectivement morts de la grippe A (H1N1)v pandémique, tous ayant fait l'objet d'un contrôle virologique. Il n'y a donc pas d'ambigüité sur ce point. C'est la première fois que l'on est sûr de la causalité des morts de la grippe.

Le rapporteur ne pouvant être avec nous cet après-midi, je suis chargé de le remplacer et de vous poser quelques questions.

Comment expliquer le décalage qui semble avoir opposé, d'une part, les autorités sanitaires et la communauté scientifique, qui ont privilégié une vision catastrophiste de la situation et, d'autre part, sa perception plus proche de la réalité par les professionnels de santé et la population en général ou, comme vous, certains économistes de la santé ?

M. Mathias Matallah - J'ai déjà répondu. Ceux qui décident et ceux qui les conseillent privilégient le risque zéro. Le généraliste ou l'économiste de la santé, qui observe les choses de l'extérieur, n'a pas la même vision. Il observe les faits objectivement. Le généraliste calédonien voit que l'on soigne très bien la grippe avec du paracétamol et il réalise qu'elle est inoffensive et que le dispositif mis en place est sans doute très exagéré. Le décalage est normal ; je ne prétends pas qu'il soit sain mais il est assez compréhensible.

M. François Autain , président - Vous avez déjà partiellement répondu mais estimez-vous les moyens financiers déployés par le Gouvernement disproportionnés ?

M. Mathias Matallah - C'est une question de perception. Pour ceux qui décidaient, à l'origine, ils ne l'étaient pas car ils estimaient que le risque ne valait pas la peine d'être couru et qu'il convenait de mettre en oeuvre des mesures, même très coûteuses, pour éviter la probabilité, même minime, que les choses se passent mal.

M. François Autain , président - Selon vous, le Gouvernement, en adoptant cette stratégie, aurait cherché à se protéger plus qu'à protéger la population ?

M. Mathias Matallah - En protégeant la population, il se protège. Le rôle des responsables politiques est de protéger la population ; ils sont jugés là dessus.

M. François Autain , président - Il s'avère que la population n'avait pas besoin de cette protection !

M. Mathias Matallah - Après coup, on se dit que si les choses avaient mal tourné, ces mesures auraient été appropriées. Les choses s'étant bien passées, c'est en effet disproportionné.

C'est choquant d'un point de vue économique, ainsi qu'en termes d'utilisation des fonds publics, à un moment où l'assurance maladie a des déficits abyssaux, mais je ne sais pas ce que j'aurais fait si j'avais eu une décision à prendre à ce moment-là. Vu de l'extérieur, mon rôle est facile : je ne suis pas aux affaires, je ne conseille pas les décideurs, je peux avoir beaucoup de recul.

M. François Autain , président - Disant cela, vous n'en déduisez pas pour autant que le Gouvernement a manqué de courage ou a fait preuve de pusillanimité ?

M. Mathias Matallah - Je ne peux pas dire cela ; ce ne serait pas honnête.

M. François Autain , président - Et que diriez-vous du gouvernement polonais qui, lui, a décidé de ne pas recourir à la vaccination ?

M. Mathias Matallah - Il n'y a pas eu d'affaire du sang contaminé en Pologne, à ma connaissance. Je pense que la notion de vie humaine est une notion qui est très relative selon le degré de richesse des nations. On a des stades d'évolution économique très différents. Rappelez-vous, l'été dernier, les manchettes scandaleuses lorsqu'une personne mourait de la grippe A (H1N1)v. Souvent la désinformation était d'ailleurs assez choquante car on oubliait de dire que les personnes en question avaient des facteurs de risque aggravés. La perception n'est pas la même. Les décideurs ne prennent donc pas les mêmes décisions.

M. François Autain , président - Vous ne voulez donc pas employer le terme « pusillanime » par exemple pour qualifier la décision du Gouvernement ? Quel adjectif utiliseriez-vous pour qualifier la décision du gouvernement polonais ?

M. Mathias Matallah - Le gouvernement polonais a pris un risque.

M. François Autain , président - Courage, inconscience ?

M. Mathias Matallah - Je ne sais pas comment le qualifier. C'est sans doute entre les deux.

M. François Autain , président - J'ai pourtant fait preuve d'un réel effort pour avoir une réponse !

M. Mathias Matallah - De mon point de vue, la décision du gouvernement polonais est courageuse. Ils ont fait ce qu'il fallait faire. Cela étant, je ne pense pas qu'un Gouvernement français aurait pu faire la même chose. Il aurait été massivement désavoué par l'opinion. On lui aurait reproché de ne pas prendre de précautions. Quand les choses se sont mal passées, on lui reproche d'en avoir pris trop : c'est le problème !

M. François Autain , président - Comment expliquez-vous que l'opinion se soit montrée très défavorable à la vaccination ?

Comment imaginer à la fois que l'opinion pourrait reprocher au Gouvernement de ne pas assez vacciner alors qu'elle est elle-même, d'après les sondages dont on dispose, plutôt défavorable à la vaccination ?

M. Mathias Matallah - On se focalise aujourd'hui beaucoup sur l'aspect financier. Je pense qu'on a fait passer deux éléments au second plan, qui sont selon moi beaucoup plus importants.

Le premier est le choix qui a été fait de vacciner l'ensemble de la population. C'est en soi un choix technique extrêmement contestable puisqu'on a réalisé que ce n'était pas possible en un temps aussi court.

Le second élément réside dans la façon dont on a organisé le processus de vaccination. Le dispositif lui-même était aberrant. On a créé des « vaccinodromes » - pour reprendre votre expression - et construit un circuit impopulaire, contraignant, tout en écartant les généralistes.

Il est fort heureux pour tout le monde qu'il n'y ait pas eu de vraie pandémie car je ne sais pas comment on aurait fait alors. Le vrai problème est là et je pense que c'est l'enseignement qu'il faut en tirer pour les crises sanitaires à venir. Peut-être vaut-il mieux mesurer le danger réel mais il faut surtout organiser le processus de façon à ce qu'il soit opérationnel.

M. François Autain , président - Je ne comprends pas : d'un côté, vous dites que le Gouvernement a bien fait de commander autant de doses puisqu'il fallait se couvrir...

M. Mathias Matallah - Je n'ai pas dit cela ! J'ai dit que le choix de la prudence est un choix que je comprends et qui était logique. J'ai dit que si j'avais été à la place de ceux qui ont décidé, j'aurais sans doute fait de même. Fallait-il décider de vacciner tout le monde ? Je pense que non...

M. François Autain , président - A ce moment-là, il ne fallait pas acheter autant de vaccins !

M. Mathias Matallah - En effet. Je laisse aux experts le débat pour savoir s'il fallait une ou deux vaccinations...

M. François Autain , président - Je ne vous pose d'ailleurs pas la question.

M. Mathias Matallah - Je ne suis pas compétent pour le dire...

M. François Autain , président - Moi non plus ! Je n'ai d'ailleurs pas trouvé de personnalités très compétentes dans ce domaine...

M. Mathias Matallah - Fallait-il donc décider de vacciner tout le monde ? Je pense que non.

Fallait-il monter un processus de vaccination qui n'a pas permis de vacciner grand'monde, 10 % seulement de la population l'ayant été ? Sans doute non !

M. François Autain , président - On est en effet en droit de se poser des questions ! On commande un nombre de vaccins sans prévoir, dans le même temps, les conditions ou la mise en place des instruments qui permettront d'administrer effectivement ces vaccins.

Il y a là une absence de prévision de la part du Gouvernement. Ou bien, en commandant les vaccins, il ne croyait pas, tout comme les laboratoires, qu'il en aurait besoin d'autant. Les uns et les autres savaient donc qu'ils ne pourraient utiliser tous ces vaccins.

M. Mathias Matallah - Je pense que la leçon que l'on doit en retirer est très inquiétante ! On se rend compte que la pandémie n'en était pas une - et c'est finalement une bonne nouvelle - mais également que l'on n'est pas du tout préparé à faire face à une réelle pandémie. La dernière grippe majeure a lieu dans les années 1960. On a perdu la capacité à faire face à ce type de phénomène ; la vraie leçon est peut-être qu'il serait utile de se préparer à celle qui arrivera un jour forcément.

M. François Autain , président - On n'arrête pas de se préparer ! On n'avait jamais été aussi bien préparé à une pandémie que cette fois-ci ! C'est désespérant !

M. Mathias Matallah - Je ne suis pas sûr que l'on était réellement préparé. On a pris un certain nombre de mesures.

M. François Autain , président - On était préparé pour la H5N1. Manque de chance, c'est la H1N1. Je suis d'accord avec vous : les faits ont démontré qu'on n'était pas préparé !

M. Mathias Matallah - Cela me semble une leçon de portée plus considérable pour la suite que le fait de se demander si l'on a bien fait de dépenser quelques centaines de millions d'euros ou si l'on n'aurait pu en dépenser que la moitié !

La façon dont les choses se sont déroulées a montré que l'on n'était pas préparé à ce type de phénomène, même si on pensait l'être. Il faut donc sans doute repenser la préparation.

M. François Autain , président - La ministre de la santé nous a indiqué que la décision de commander 94 millions de doses de vaccins a été prise sur des fondements éthiques, afin de pouvoir proposer à chaque Français un vaccin. Quelle doit être, selon vous, la place à accorder à l'éthique dans la prise de telles décisions, notamment par rapport aux arguments sanitaires et économiques ?

M. Mathias Matallah - Les Français, à la différence des Anglo-Saxons, ne sont pas prêts à ce débat. On ne peut pas mettre en jeu des vies humaines sur des arguments économiques. De ce point de vue, je suis donc d'accord avec la ministre. Fallait-il commander 94 millions de doses pour faire face à ce débat éthique ? Cela n'a pas été démontré.

M. François Autain , président - Toujours dans ce même article, vous soulignez les différences de ton des campagnes de communication menées par la France et le Royaume-Uni, jugeant celle du Gouvernement français beaucoup plus alarmiste. Comment expliquez-vous ces différences ?

M. Mathias Matallah - Paradoxalement, quelle que soit l'opinion que l'on peut porter sur les systèmes de santé, le système britannique est beaucoup plus à même de faire face à ce type de risque sanitaire, les Anglais ayant une médecine de premier recours d'excellente qualité.

M. François Autain , président - Pluridisciplinaire.

M. Mathias Matallah - Au Royaume-Uni, il y a eu 500 morts durant la canicule de 2003 contre 15 000 chez nous, parce que les généralistes avaient traité le problème très en amont.

Il y a chez eux un sentiment de capacité à faire face sans doute plus grand que chez nous, ce qui explique la tonalité très différente des campagnes.

M. Michel Guerry - On nous a dit que si l'on vaccinait 30 % de la population dans le cas d'une pandémie du type de la grippe espagnole, on arrêterait la pandémie, ce qui veut dire qu'au lieu de 94 millions de doses, on en aurait commandé un tiers. Quelle est votre appréciation sur cette question ?

Par ailleurs, je ne sais pas ce qu'est la société Jalma. Est-ce un organisme public ou privé ? Comment êtes-vous financé ?

M. Mathias Matallah - C'est une société de conseil privée spécialisée dans toutes les problématiques qui tournent autour du financement de la santé. Nos clients sont soit des organismes de sécurité sociale, soit des mutuelles, des institutions de prévoyance, etc. Nous ne travaillons pas pour l'industrie pharmaceutique. Je n'ai donc pas de problèmes d'éthique.

Quant à la grippe espagnole, je ne suis ni médecin, ni épidémiologiste. Cela étant, l'affirmation paraît être très rapide.

La probabilité du risque de décès dû au H5N1, de mémoire, était cent fois supérieure à celle d'une grippe saisonnière classique.

M. François Autain , président - C'était le titre de l'article du Monde paru en août. Ils avaient dit la même chose pour le H1N1 !

M. Mathias Matallah - Je pense que c'était une information erronée. On est parti de statistiques beaucoup trop parcellaires et peu représentatives, et on en a tiré des conclusions très rapides. Il y a sans doute eu, de ce point de vue, désinformation et production de psychoses.

Cela étant, pour un virus très virulent, dire que l'on peut arrêter le virus en vaccinant 30 % de la population...

M. Michel Guerry - Je crois que c'est le professeur Marc Gentilini qui l'affirme.

M. Mathias Matallah - C'est possible. Face à un phénomène du type de la grippe espagnole ou de H5N1, vous avez deux débats, celui de la stratégie la plus efficace et celui des attentes de la population. Face à un H5N1, tout le monde voudrait être vacciné.

M. Michel Guerry - Apparemment, les gens n'ont pas tous accepté d'être vaccinés lorsqu'ils se sont aperçus que la vaccination n'était pas la solution.

M. Mathias Matallah - Je pense que la population a fait preuve de beaucoup de sang froid et n'y a pas cru.

Il n'y a eu aucun mouvement de panique à l'automne. Les cinémas étaient pleins. Les gens n'y croyaient donc pas - ce qui constitue également un sujet en soi.

M. François Autain , président - Il me reste à vous remercier pour avoir répondu avec beaucoup de patience à nos questions.

Audition de M. Wolfgang WODARG,
médecin épidémiologiste,
ancien président de la sous-commission de la santé
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
(mercredi 16 juin 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Wolfgang Wodarg, expert épidémiologiste, ancien président de la sous-commission de la santé de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Wolfgang Wodarg prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Wolfgang Wodarg - Je n'en ai pas.

M. François Autain, président - Merci.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Wolfgang Wodarg - Je suis médecin interne et, pendant treize ans, j'ai dirigé une institution en tant que directeur de la santé publique dans le Nord de l'Allemagne.

J'ai été responsable de la prévention et du traitement d'épidémies grippales. J'ai créé une sentinelle, un instrument de monitoring au cours des années 1980 ; pendant de longues années, tous les ans, j'ai observé les différentes vagues grippales.

J'ai contacté des écoles, de grandes entreprises mais aussi beaucoup d'hôpitaux généralistes et autres institutions, de sorte que j'avais toujours une juste impression du nombre de malades dans le contexte des vagues grippales. Je sais donc qu'il existe un certain nombre d'infections.

Sur une population d'environ 200 000 personnes, on dénombrait environ quarante hospitalisations et quatre décès au cours d'une saison grippale normale, parfois un peu plus, parfois un peu moins.

J'aimerais expliquer pourquoi, peu après la déclaration de la pandémie par l'OMS, je me suis montré très sceptique concernant ce qui s'est passé au Mexique où il n'y a eu que quelques cas manifestes, utilisés peu après pour créer un scénario qui a effrayé le monde entier.

Les données du professeur Neil Ferguson montraient que les chiffres ont rapidement augmenté mais le nombre global des cas ne dépassait pas 600.

Si je compare cela avec ma région, ce qui a été présenté était ridicule mais a servi de base à des calculs. M. Neil Ferguson a calculé le nombre de personnes qui prennent l'avion à Mexico pour se rendre quelque part dans le monde. Des dizaines de milliers de personnes sont dans ce cas. Sur 600 malades, on a appris plus tard que la grippe n'avait pas toujours été confirmée. Des erreurs ont donc été commises dans les statistiques et le nombre a dû être révisé.

Cette base de données était donc extrêmement peu fiable mais très impressionnante. La vitesse de propagation d'une infection, même légère, est conforme à la vitesse de déplacement des avions modernes. Cela vaut pour toutes les maladies.

Le second argument a été qu'il s'agissait d'un virus nouveau ; ce n'est pas tout à fait juste car la grippe porcine est connue chez l'homme ; les virus changent constamment et il existe des mutants, de nouvelles combinaisons. L'infection est donc possible pour beaucoup de ceux qui n'ont pas encore été en contact. Certes, le H1N1, en 2009, comportait un composant nouveau mais d'autres étaient connus et ont été reconnus par le système immunitaire. Les personnes âgées sont tombées malades beaucoup plus rarement que les autres, étant déjà immunisées.

L'évolution des épidémies grippales au cours des décennies écoulées est également due à la façon dont on traite les complications. Lorsque l'état général est mauvais et qu'il n'y a pas d'antibiotique, des infections pulmonaires surviennent. C'est pourquoi beaucoup de gens sont morts de la grippe. L'introduction des antibiotiques a changé les choses. Après la guerre, on était mieux nourri et les complications mieux traitées. En moyenne, la mortalité due à la grippe est maintenant très faible.

La grippe de Hong Kong a créé quelques pics, ainsi que la grippe asiatique mais tout cela ne démontre pas qu'il faille vraiment prendre peur.

On peut dire que des virus qui se répandent rapidement doivent satisfaire à certains critères. Tout d'abord, ils ne doivent pas tuer leurs hôtes ou les neutraliser. Lorsqu'un virus rend son hôte malade très rapidement, le patient reste à la maison. Il ne doit pas être source de contagion pour les autres mais si le virus laisse les personnes en assez bonne santé, les gens sortent et contaminent les autres. Les virus peu dangereux se transfèrent donc beaucoup plus rapidement que d'autres. C'est une connaissance épidémiologique de base.

Le H1N1 s'est répandu très rapidement dans certains secteurs de la population. Les écoliers n'étaient pas vraiment malades, sauf cas exceptionnels. Les conséquences graves étaient assez rares. Il s'agissait pour la plupart de personnes ayant déjà des handicaps de santé ; cette légère grippe a fait le reste mais en nombre beaucoup plus faible que pour d'autres états grippaux.

Tout cela est évident et on le savait déjà lorsque l'OMS, le 11 juin 2009, a déclaré l'état d'alerte 6 face à la pandémie de grippe A (H1N1). Ces arguments étaient connus : l'OMS les a pourtant complètement ignorés !

Fin août, début septembre, à la fin de l'hiver austral, on a su quelles avaient été les victimes après que les cas aient été observés en Australie par un service de santé très compétent. Il s'agissait d'une grippe peu sévère. Pour ce qui est de la répartition par âge, cette grippe a souvent touché les jeunes et beaucoup moins les personnes plus âgées dont la moitié était immunisée contre ce virus.

L'OMS connaissait ces résultats mais ne les pas utilisés pour annoncer la fin de l'alerte, au contraire ! On a paniqué les populations en prétendant que cela pouvait empirer. L'OMS a continué à attiser la peur. Du point de vue scientifique, il n'y avait aucune raison à cela. Il n'existe pas d'argument concret. C'est tout simplement une affirmation gratuite mais qui a fait croître les ventes de vaccins et d'antiviraux dans les parties du monde où elles n'avaient pas encore débuté.

Les Australiens ont dit qu'il n'y avait pas de raison de procéder ainsi mais l'OMS n'a pas eu de réaction et a continué à semer la panique, affirmant que le pire était à redouter. L'OMS avait déjà pratiqué de la sorte au moment de la grippe aviaire, en 2005. Cette maladie existe chez les oiseaux depuis dix ans : les oiseaux tombent malades et ne peuvent plus accomplir leur migration. Aujourd'hui, on sait que les médecins ont peut-être davantage répandu la grippe aviaire que les oiseaux eux mêmes !

M. Klaus Stöhr, qui était responsable du « Task force » épidémiologique, a conseillé d'acheter de l'Optaflu et du Virenza...

M. François Autain, président - L'Optaflu correspond-il au Tamiflu chez nous ?

M. Wolfgang Wodarg - Non, c'est un vaccin de Novartis.

M. Stöhr a ensuite intégré Novartis et travaille dans les mêmes domaines, ce qui est étonnant !

Les Australiens, lors de leur évaluation, ont montré que des mesures d'hygiène très simples permettaient de juguler l'épidémie, comme dans le cas du SRAS. Hong Kong avait accepté l'aide de la communauté internationale et, grâce à des mesures appropriées, on a pu venir à bout du virus sans vaccination. On peut faire la même chose lors d'une épidémie de grippe. L'Australie a d'ailleurs prévu des mesures autres que la vaccination en cas de nouvelle épidémie grippale.

On envoie les gens chez le médecin lorsqu'on soupçonne un début de grippe ; ils y rencontrent d'autres personnes qui peuvent avoir des problèmes - asthme, etc. C'est ainsi que l'on crée la contagion dans les salles de consultation !

Du point de vue de la prévention, ce qui s'est passé et qui se passe encore souvent est une hérésie. Nous pouvons empêcher les maladies uniquement en adoptant des comportements adaptés. Les possibilités ne sont pas épuisées. Chacun ne jure que par la vaccination. La mortalité a été moindre que ce que l'on avait annoncé. La grippe saisonnière entraîne une mortalité supplémentaire de 0,5 million d'individus dans le monde.

Le virus H1N1 a fait entre 17 000 et 18 000 morts mais il faut dire que l'on ne différencie pas, au plan statistique, si les gens sont morts directement ou indirectement de la grippe, du fait d'un asthme par exemple. Lorsque les tests sanguins ont révélé que les gens étaient positifs, ce qui était le cas de beaucoup de personnes âgées, on a prétendu que c'était à cause de la grippe. Ceci dénature les statistiques. Il y a beaucoup moins de cas que ce qui a été déclaré.

On a ainsi créé une pandémie. Mon collègue Thomas Jefferson a déjà dû vous l'expliquer. La définition a été modifiée - je l'ai dit - et cela a été une des raisons pour lesquelles je me suis élevé contre ce qu'a fait l'OMS. Pour que l'on puisse parler de pandémie, il faut que la maladie soit grave. L'OMS a retiré le critère de gravité de sa définition. C'est ainsi que cette maladie légère a pu être déclarée comme une pandémie. On a créé la peur.

La communication de l'OMS au sujet des critères a donc été très mauvaise. L'OMS aurait dû dire que cette grippe était légère et qu'il ne fallait pas avoir peur, qu'elle progressait certes très vite mais que c'était normal et qu'elle était moins grave que la grippe saisonnière. Or, L'OMS ne l'a jamais fait. Ceux que l'OMS considère comme les meilleurs virologues nous ont donc induits en erreur et ont procédé à de fausses affirmations.

Beaucoup d'autorités nationales l'ont fait savoir et certains instituts nationaux en étaient conscients. Le 19 mai, avant la déclaration de pandémie, lors d'une conférence de presse, de nombreux Etats ont demandé à l'OMS pourquoi elle modifiait sa définition. La Grande-Bretagne, le Japon et la Chine ont protesté ainsi que quinze autres pays. L'OMS a affirmé avoir entendu le message puis, entre le 19 mai et le 11 juin, le groupe d'experts - dont les noms sont tenus secrets - s'est réuni en affirmant qu'il fallait déclarer la pandémie. Les arguments et les calculs que j'ai indiqués ont alors joué un rôle très important.

Je ne sais si M. Neil Ferguson a fait partie de ce groupe mais je pense que c'est le cas - bien que je n'en sois pas certain. Ce groupe existe toujours et il est toujours secret. Même le Conseil de l'Europe n'a pu savoir qui en est membre et reste très étonné que l'OMS ne joue pas cartes sur table !

M. François Autain, président - M. Neil Ferguson a donc participé à ce groupe ?

M. Wolfgang Wodarg - J'ai dit que M. Neil Ferguson est un des conseillers principaux de l'OMS. Je ne sais pas comment ce groupe d'experts est composé et j'aimerais savoir si M. Neil Ferguson a défendu les arguments de l'OMS que je vous ai montrés qui ont été utilisés pour justifier la pandémie.

M. François Autain, président - M. Neil Ferguson est-il membre du groupe de travail scientifique européen sur la grippe (ESWI) ?

M. Wolfgang Wodarg - Oui.

Depuis 2005, à différents niveaux et dans différents pays dans le monde entier, des discussions ont eu lieu concernant la préparation en cas de pandémie. Ceci a été fait à la demande de l'OMS. Des négociations ont eu lieu entre les entreprises pharmaceutiques et les gouvernements. Beaucoup de pays dans le monde ont signé des contrats applicables en cas de pandémie.

En Allemagne, ces contrats ont été signés avec GSK. Des contrats avec la France comportent des formulations analogues prévoyant que le Gouvernement français est obligé d'acheter ces vaccins. Il est intéressant de constater qu'en Allemagne, comme certainement en France, GSK et d'autres entreprises ont surtout vendu des vaccins avec adjuvants et des vaccins multidoses.

Les adjuvants devaient être vendus entre 6 et 8 euros ; GSK était obligé de mettre les vaccins à disposition pour une somme allant de 1 à 1,20 euro. Cela tient au fait que les virus ne peuvent être brevetés mais que les adjuvants bénéficient de brevets des différentes entreprises. Les prix s'en ressentaient donc.

Ces vaccins étant considérés comme antipandémiques, l'EMA à Londres et d'autres autorités à travers le monde, y ont vu une raison suffisante pour accorder des autorisations.

En cas d'urgence, on ne peut évidemment pas vraiment veiller à la qualité de la thérapeutique. Lorsqu'on a du temps, on peut étudier les effets secondaires. Si ce n'est pas le cas, on en accepte davantage. Le vaccin anti-H1N1 a donc été autorisé, en dépit de ses défauts. Les adjuvants étaient là pour produire davantage de vaccins avec moins de virus et plus rapidement. C'est pourquoi les entreprises ont imaginé cette stratégie.

Novartis a développé un autre vaccin afin de résoudre le problème autrement, non avec des oeufs de poule mais en utilisant des cellules provenant de tumeurs qui croissent très vite et qui sont donc utilisées comme substrats des virus. On peut ainsi créer des virus plus rapidement et mettre à disposition beaucoup plus de vaccins.

C'est une bonne idée mais on n'a jamais essayé de savoir si des impuretés provenant de ces cellules tumorales ne pourraient être source de cancers chez les patients. On ne peut pas dire que ce n'est pas le cas. On aurait dû s'en préoccuper avant de vacciner des millions de gens. On a accepté un risque énorme en prétendant qu'il s'agissait d'une pandémie dangereuse. C'est ainsi que les autorisations ont été données. Les Australiens ont dit, dès décembre, qu'il n'y avait aucune raison, en 2009, de traiter la maladie différemment d'une autre grippe. On aurait pu se donner du temps et renoncer à ces vaccins sans ces effets secondaires possibles. On ne l'a pas fait et le label de la pandémie a facilité les ventes.

La France a été encore plus rapide : le 9 mars, le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, a signé avec Sanofi le contrat concernant la production de vaccins. C'était visionnaire puisqu'on ne parlait pas encore du Mexique mais Sanofi était déjà là ! Ce sont des faits : l'industrie pharmaceutique, à travers le monde, a été très active et a beaucoup investi. La pression des investisseurs était naturellement énorme pour que ces investissements aient un bon rendement. L'OMS a donc dû essayer de leur prêter main forte ! C'est l'explication qui s'impose. L'OMS a dit que la comparaison entre la grippe H1N1 et la grippe saisonnière revenait à comparer des pommes et des poires. En principe, ce n'est pas faux mais il faut ajuster les échelles d'une année sur l'autre avant de créer une nouvelle base de décisions. Cela n'a pas été fait ; les affirmations ne sont donc plus fiables. Plus personne ne peut procéder à des comparaisons épidémiologiques.

Il est intéressant de relever qu'en Allemagne, tout comme en France et en Asie, le personnel médical, qui connaît très bien les grippes, n'a pas cru à tout cela et ne s'est pratiquement pas fait vacciner. En temps normal, un quart du personnel médical se fait vacciner contre 10 % au maximum cette fois-ci. Les médecins, les infirmières et autres personnels bien informés n'ont donc pas cru l'OMS ! C'est impressionnant et inquiétant.

Répondant à une étude du British Medical Journal , l'OMS a estimé que l'on pourrait penser que l'Organisation travaille pour l'industrie mais a fait valoir qu'elle présentait des définitions épidémiologiques et biologiques claires. Il reste néanmoins énormément de questions pour ce qui est des critères et de leur pertinence scientifique. En fait, il n'existe pas de réponse ! Tout cela a été arrangé par ce comité d'experts, à huis clos et en quelques jours. L'OMS ne présente aucune documentation. C'est une erreur grave et une pratique obscure.

Le Conseil de l'Europe a préparé un rapport qui sera publié la semaine prochaine ; le Conseil de l'Europe voudrait contrôler l'OMS sur le plan parlementaire, jouer le rôle de modérateur et représenter les élus afin de garantir une plus grande transparence et d'assurer une meilleure politique de communication.

Aussi longtemps qu'il existera des gens qui vivent de la panique et qui reçoivent davantage d'argent lorsque la population a peur, émergeront des maladies nouvelles. Il est donc important que l'on ne puisse influencer l'industrie de la santé. Il faut pour cela séparer la santé publique des intérêts économiques. Il convient d'être très strict sur ce point, sous peine de perdre des ressources et de porter atteinte à la santé des populations à cause de vaccinations dont ils n'ont pas besoin et qui créent la plupart du temps des effets secondaires.

M. François Autain, président - Merci.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dit que le Conseil de l'Europe souhaitait, dans le cadre de la publication qui se fera la semaine prochaine, intervenir dans le contrôle de l'OMS, ce qui me semblerait être une bonne solution.

Toutefois, lorsque nous sommes allés rendre visite à l'OMS il y a quelques jours, nous nous sommes aperçus que pratiquement 80 % des financements de l'OMS étaient maintenant des financements de fondations privées, en particulier américaines.

Les conditions de contrôle parlementaire européen de l'OMS passeront-elles par un financement européen de l'Organisation ?

M. Wolfgang Wodarg - C'est en effet un problème très important. Les autorités publiques de santé, à tous les niveaux - et je puis le dire pour beaucoup de pays à l'exception peut-être de la Scandinavie - ont été affaiblies depuis quelques années. La santé est devenue un marché et beaucoup d'Etats pensent qu'il peut créer des emplois. Cela signifie que ces pays vont vivre des malades. Du point de vue économique, c'est aberrant et au plan éthique, c'est pire encore !

Je pense que l'OMS a été mal financée et qu'on a trop voulu économiser. En 1998, à Davos, lors du Sommet économique, on a dit que l'OMS devait créer un partenariat public-privé en matière de santé. En 2001, une expertise a mis en garde contre ce partenariat. On prévoyait déjà ce qui allait arriver aujourd'hui. A l'époque, on n'en a pas tenu compte. L'OMS a créé des règles de transparence qu'on n'a pas utilisées. Les acteurs qui fournissent de l'argent sont devenus de plus en plus importants. Les fondations américaines travaillent souvent avec l'industrie pharmaceutique. Elle est très habile et passe par d'autres qui travaillent pour elles, comme les instituts scientifiques. Elle crée des carrières pour les scientifiques et finance des programmes d'aide pour le tiers monde. C'est du marketing qui sert à défendre ses intérêts partout à travers le monde.

Ce marketing est souvent criminel. Depuis des années, l'industrie pharmaceutique marche sur des cadavres et c'est inacceptable ! La responsabilité publique doit faire en sorte d'assurer la santé. Il faut investir suffisamment pour être indépendant de l'industrie. On peut demander son avis, lui poser la question de savoir ce qu'elle peut faire et à quel prix mais la décision n'a pas à être prise par l'industrie elle-même. Or, pour l'instant, les choses sont mélangées et l'industrie crée et participe à des partenariats public-privé.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans la mesure où les Etats financent de moins en moins l'OMS, sont-ils tenus d'accepter les décisions prises par l'OMS, en particulier dans le cadre d'une pandémie ?

M. Wolfgang Wodarg - Que les Etats se retirent du financement de l'OMS est une chose ; le second problème est de savoir qui, dans les Etats souverains, décide de la santé publique. Jusqu'où un Etat peut-il faire confiance à ses propres instituts ? Travaille-t-il aussi avec l'industrie ? S'il en est ainsi, c'est dangereux.

Si les Etats sont indépendants, avec des services de santé forts, et regardent de près ce que propose l'OMS, c'est moins dangereux. Tout au plus les conflits entre les Etats et l'OMS se feront jour lors de l'Assemblée mondiale des services de santé.

En France, au Japon, en Corée, en Inde et dans de nombreux Etats d'Asie ainsi qu'en Grande-Bretagne, en Pologne, en Scandinavie et en Allemagne, on est en train de commencer les discussions. Il est vrai qu'en Allemagne, on ne discute pas encore assez. Les médias commencent timidement à en parler mais l'industrie pharmaceutique est un annonceur important pour eux. Ils vivent en grande partie du marketing de l'industrie pharmaceutique. Il y a là un mélange malheureux. Je ne sais pas s'ils voulaient être agréables à leurs annonceurs mais il est permis de le croire.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dit devant le Conseil de l'Europe qu'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité pose de sérieux problèmes en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, du fait de la panique à laquelle cela peut donner lieu dans la population.

On nous a objecté - en particulier à l'OMS - qu'il était difficile de donner une définition objective et incontestable du critère de gravité qui pourrait permettre de caractériser une pandémie. Que pensez-vous de cette objection ? Comment pourrait-on selon vous formuler ce critère ?

M. Wolfgang Wodarg - J'ai beaucoup discuté avec des collègues du fait de savoir comment on pourrait progresser. Les Australiens sont les plus avancés en la matière. Je puis à ce propos vous présenter certains travaux scientifiques.

Aujourd'hui, il faut acheter le vaccin. C'est l'effet principal de la décision prise par l'OMS de déclarer le stade 6 de la pandémie. De nombreuses mesures peuvent être différentes d'un Etat à l'autre, les populations étant différentes, le mode de vie étant différent, etc.

Il est important d'informer les gens du comportement à adopter, les hôpitaux, les médecins, afin de savoir qui doit être hospitalisé et qui doit demeurer chez lui pour qu'il n'y ait pas de contagion inutile. On ne l'a pas fait. On a créé la panique, surtout pour ce qui est des enfants que les parents ont amené chez le médecin beaucoup plus souvent que d'habitude, même en cas de simple rhume.

Les plans pandémiques sont toujours nationaux ; l'OMS peut jouer un rôle important mais les services nationaux doivent pouvoir être assez forts pour décider de ce qu'il faut faire sur place.

On a demandé aux fabricants de produire des vaccins. Nous savons qu'un dixième seulement de toutes les infections sont dus à des virus grippaux. Beaucoup d'autres, comme le SRAS, l'adénovirus, le rhinovirus, etc. rendent aussi malades et génèrent des complications. Ils constituent 90 % des affections grippales et là, on ne fait rien !

Les transports aériens permettent également des contaminations très rapides et il est nécessaire de prendre des mesures de prévention bien échelonnées au plan national. L'OMS peut tenir lieu de prestataire de services ; pour l'instant, elle est simplement à l'origine des profits des industries. Jusqu'à présent, les choses se sont très mal passées.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez indiqué que préparés rapidement, les vaccins pouvaient présenter des risques. Or la vaccination contre la grippe pandémique ne semble pas avoir provoqué d'effets indésirables graves. A-t-on sous-estimé la probabilité que de tels effets surviennent ?

M. Wolfgang Wodarg - En tant que parlementaire, j'ai toujours dit que la pharmacovigilance ne devait pas être exercée par ceux qui prennent les décisions. Ce n'est pas le cas en Allemagne et dans d'autres pays.

Je pense qu'il faut à l'avenir séparer ces fonctions.

M. François Autain, président - En France, l'AFSSAPS autorise la mise sur le marché du médicament et effectue en même temps la pharmacovigilance. Qu'en est-il en Allemagne ?

M. Wolfgang Wodarg - C'est également le cas en Allemagne. C'est pourquoi les statistiques sur les effets secondaires ne sont pas très utiles.

Les Australiens ont fait un travail de pionnier en la matière mais ils ont utilisé un autre vaccin. M. Peter Culligan a constaté qu'en fonction du dosage, on pouvait constater des convulsions et une fièvre supérieure à 39  chez 30 à 50 % des enfants.

En Allemagne, sur 2 000 effets secondaires, environ 600 sont des cas sévères. La mortalité due à la vaccination est inférieure à 100. C'est comparable aux victimes que fait la maladie. Le bénéfice est donc très douteux. Le réseau Cochrane a essayé de clarifier la situation. M. Thomas Jefferson vous a dit que pour les personnes âgées, la vaccination n'était utile que lorsque celles-ci vivent dans des établissements. Lorsqu'elles vivent chez elles, d'autres conseils seraient beaucoup plus utiles. Tout dépend des personnes que l'on veut vacciner et de l'indication. On doit poser des questions aux gens : quelle est leur maladie, leur anamnèse ? Il faut réfléchir avec eux à l'utilité de la vaccination. Un médecin qui vaccine sans discussion, sans anamnèse ni indication commet une erreur médicale. Ce sont des millions d'erreurs médicales qui ont été commises dans le contexte de cette soi-disant pandémie. Elles ne seront probablement jamais poursuivies. Chaque vaccination inutile est un acte criminel, une atteinte au corps !

Mme Marie-Thérèse Hermange - Un expert nous a dit que les expérimentations sur les animaux tendaient à prouver que des problèmes respiratoires pouvaient découler de la vaccination. En avez-vous entendu parler ?

M. Wolfgang Wodarg - En effet, nous avons utilisé de petits rapaces dont le modèle se rapproche de l'homme pour déterminer s'il existait des complications pulmonaires mais cela n'indique pas grand-chose sur le degré de danger pour l'homme.

Suivant l'âge et le sexe des personnes, les risques sont tout à fait différents. On a souvent dit que les femmes enceintes couraient un risque important mais on a observé très peu de cas, mis à part quatre cas au Mexique mais ces femmes avaient des risques graves par ailleurs et en sont mortes.

Il faut donc certainement approfondir cet aspect des choses mais ces indications ne peuvent être comparées directement avec la situation chez l'homme.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai cru comprendre qu'il y avait eu en Allemagne 600 cas de convulsions hyperthermiques post-vaccinales. Ai-je bien compris ?

M. Wolfgang Wodarg - Ces convulsions fiévreuses ont été observées en Australie sur 30 à 50 % des enfants vaccinés, selon le rapport de M. Peter Culligan. C'est beaucoup et très inquiétant.

En Allemagne, environ 600 cas sur 1 900 ont développé des effets secondaires graves après la vaccination pour un peu moins de 100 cas de mortalité.

C'est une documentation très difficile à obtenir sur Internet. Les données sont fort peu transparentes. On se demande pourquoi car c'est extrêmement important. C'est le professeur Loebbe, de l'Institut Paul Ehrlich, qui dirige l'autorité responsable de la pharmacovigilance en Allemagne.

M. Alain Milon, rapporteur - Le fonctionnement des instances nationales et internationales d'expertise au cours de cette crise conduit à s'interroger sur l'organisation et les conditions d'application des dispositifs de prévention des conflits d'intérêts. Quelles mesures suggéreriez-vous en ce sens ?

M. Wolfgang Wodarg - Je pense que l'on ne pourra l'éviter. Il faudra que les scientifiques se justifient devant les instances parlementaires et soient absolument indépendants. On pourra ainsi leur faire confiance car ils seront loyaux envers l'Etat et l'industrie ne pourra les acheter.

Si tel est le cas, il n'y a pas de raisons d'avoir peur. L'industrie pourra raconter n'importe quoi, il y aura en face d'elle des gens à qui l'on pourra faire confiance. Ce sera donc beaucoup moins grave.

Il n'existe pas de contrôle parlementaire de l'OMS. Il est très important d'assurer la transparence là où c'est possible et il faudra pouvoir faire confiance à nos instituts nationaux. C'est coûteux mais cela s'amortit sur le long terme. Les Scandinaves l'ont prouvé : la Suède est le seul pays qui, avec l'Estonie, se présente bien sous l'angle financier en Europe. On y considère que les malades coûtent cher. Il faut donc veiller à ce que les populations soient en bonne santé et tout mettre en oeuvre pour favoriser la prévention. Les Suédois sont fiers de dépenser peu d'argent pour que les gens restent en bonne santé ! La part consacrée aux dépenses de santé est relativement beaucoup moins importante par rapport à leur PIB que dans d'autres pays européens et le niveau de santé de la population est meilleur qu'ailleurs !

Si l'on considère que le marché de la santé doit générer des bénéfices, il ne faut pas s'étonner que l'industrie nous vende des produits chers, dont nous n'avons pas besoin et qui ne guérissent pas les gens !

M. François Autain, président - Y a-t-il des questions ? Plus personne ne demandant la parole, je vous remercie pour votre contribution.

Audition de MM. Laurent DEGOS, président,
Gilles BOUVENOT, président de la commission de la transparence,
Raoul BRIET, président de la commission affections
de longue durée et qualité du parcours de soins
et François ROMANEIX, directeur général,
de la Haute Autorité de santé (HAS)
(mercredi 16 juin 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons MM. Laurent Degos, président, Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence, Raoul Briet, président de la commission affections de longue durée et qualité du parcours de soins et François Romaneix, directeur général, de la Haute Autorité de santé.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Laurent Degos, Gilles Bouvenot, Raoul Briet et François Romaneix prêtent serment.

M. François Autain, président - Merci.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Laurent Degos - Je n'ai pas de conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Avez-vous des liens d'intérêts ? Ce n'est pas la même chose !

M. Laurent Degos - Je n'ai pas de liens d'intérêts.

M. Gilles Bouvenot - Je n'ai pas de liens d'intérêts.

M. Raoul Briet - Je n'en ai pas.

M. François Romaneix - Je n'ai pas de liens d'intérêts. Ma déclaration sur le site de l'HAS est publique, comme celle des membres du collège.

M. François Autain, président - Je vous propose de nous faire un exposé liminaire. La parole est à M. Laurent Degos.

M. Laurent Degos - La HAS évalue les produits et les actes de santé en vue de leur remboursement et de leur bon usage. Nous émettons des recommandations de bonnes pratiques de santé publique et de sécurité des soins et nous avons également une tâche de certification des établissements de santé et de l'information médicale. Nous avons aussi un rôle en matière de développement professionnel continu. Enfin, nous aidons à la prise en charge des maladies chroniques.

Autour de moi se trouvent M. Gilles Bouvenot, spécialiste de l'évaluation des médicaments et des produits de santé, et M. Raoul Briet, membre du collège, qui a pris en charge tout ce qui concerne les conflits d'intérêts.

La HAS n'a eu dans l'histoire de la campagne de vaccination qu'une seule saisine qui a eu lieu le 6 janvier 2010 ; elle provenait de la direction de la sécurité sociale du ministère de la santé et des sports. La réponse a été apportée dans l'heure qui a suivi.

Cette saisine demandait l'avis de la HAS pour un remboursement de l'acte de vaccination contre la grippe A à un tarif précis. J'avais été averti durant le week-end précédent que nous risquions d'avoir cette saisine ; c'est pourquoi nous avons fait en sorte que la commission spécialisée et le collège puissent se réunir pour donner une réponse rapide et simple. Celle-ci a confirmé que les médecins généralistes pouvaient pratiquer la vaccination. Cela vous paraît évident mais il fallait le dire !

En revanche, la tarification ne relevait pas de notre ressort et nous avons dissocié notre avis au motif que la HAS n'a pas de compétences en matière de prix.

Le 6 janvier 2010, nous étions en pleine période d'analyses. Il suffit de voir les interviews de M. Frédéric Keck, le 9 janvier 2010, dans Le Monde et l'article de M. Thierry Saussez, directeur de l'information du Gouvernement, le 14 janvier, dans le même journal.

La HAS n'a fait l'objet d'aucune autre saisine. Elle n'a pas eu à évaluer les vaccins contre la grippe A, contrairement aux autres vaccins, ceux-ci n'étant pas remboursés mais fournis par les pouvoirs publics. Elle a évalué les différents médicaments antiviraux selon son agenda usuel. Elle n'a fait aucune recommandation particulière sur ce sujet pour ne pas gêner le ministère, émetteur unique d'informations.

M. François Autain, président - Avez-vous la possibilité de vous autosaisir ? La législation vous y autorise - t - elle ?

M. Laurent Degos - On en a la possibilité mais, en période de crise, nous avons pour règle de ne pas interférer avec l'émetteur unique que constitue le ministère, qui prend en charge cette crise.

M. François Autain, président - Il n'est pas prévu dans la législation que vous ne puissiez pas vous autosaisir en cas de crise ? C'est en quelque sorte une jurisprudence.

M. Laurent Degos - En quelque sorte...

M. François Autain, président - Lors de votre audition à l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que vous n'étiez pas frustré - d'autant moins que vous auriez pu vous autosaisir et que vous ne l'avez pas fait !

Néanmoins, on peut s'interroger sur le fait qu'à partir du moment où un médicament est financé par l'Etat, il ne soit plus soumis à votre pouvoir d'évaluation !

Par ailleurs, ne vous paraît - il pas étonnant, compte tenu des avis que vous avez formulés à propos de l'efficacité de l'oseltamivir, que l'Etat se soit doté d'une réserve de 34 millions de traitements à efficacité faible et n'en ait utilisé que 500 000 ? Cela ne vous paraît-il pas paradoxal ?

M. Laurent Degos - Pour ce qui est du vaccin, il a quand même été examiné par les instances de sécurité sanitaire, l'EMA ou l'AFSSAPS ainsi que par le HCSP. Notre rôle est de dire si un médicament doit ou non être remboursé. Or, celui-ci n'a pas été proposé au remboursement puisqu'il était fourni gratuitement.

Pour ce qui est du Tamiflu, je laisse M. Gilles Bouvenot répondre à votre question.

M. Gilles Bouvenot - Je confirme, s'il en était besoin, que la HAS, par sa commission de transparence interposée, n'est impliquée dans l'évaluation d'un vaccin que si la firme qui souhaite exploiter ce vaccin en demande le remboursement par la solidarité nationale. Dans les cas qui nous préoccupent, il n'y avait pas de raison que ce vaccin entre dans ce circuit.

Le Tamiflu - oseltamivir - a été évalué à de nombreuses reprises par la HAS. Il a même été évalué un an avant sa création puisque vous disposez de cinq avis, de 2004 à 2009, en passant par 2006, 2007 et 2008, 2002 étant la date de l'octroi de l'AMM.

M. François Autain, président - J'ai un avis de la commission de transparence de 2002.

M. Gilles Bouvenot - C'est très antérieur à la commission actuelle.

C'est donc un médicament que nous avons vu et revu, sans changer d'avis en aucune manière.

Sur les cinq avis de la commission de la transparence, trois se sont faites dans le cadre de procédures naturelles, et en particulier la demande de renouvellement quinquennal puisque nous sommes tenus de réévaluer les produits de santé cinq ans après leur inscription et deux ont été rendus sur saisine de la DGS, qui nous a demandé de confirmer notre avis. Les saisines de la DGS se rapportent à 2007 et 2008 mais il n'y a pas eu de saisine en 2009. Cela signifie que l'avis de la HAS d'octobre 2009 est un avis traditionnel, cinq ans après le premier avis de 2004.

Qu'avons - nous pensé de ce médicament au cours de ces cinq saisines ? Nous avons d'abord observé ses effets possibles dans le domaine curatif. Le Tamiflu raccourcit - il la durée d'une grippe installée et réduit - il le risque de complications ? A cinq reprises, la réponse a été que le service médical rendu ne justifiait pas une prise en charge par la solidarité nationale.

Cela ne signifie pas que le médicament est inefficace mais qu'il ne l'est pas assez pour justifier un remboursement.

Le Tamiflu réduit de 24 heures seulement la durée de la grippe. Nous avons donc considéré que ce raccourcissement ne justifiait pas la prise en charge.

Je voudrais cependant insister sur le fait que si l'intérêt du Tamiflu se conçoit bien dans le cadre d'une situation normale de grippe saisonnière, il est très difficile pour les experts de la HAS d'extrapoler ces données à une situation de pandémie. J'y reviendrai ultérieurement...

M. François Autain, président - Le British Medical Journal , paru en novembre, dit le contraire ! Selon lui, même pour la grippe saisonnière, il ne présente pas beaucoup d'intérêt ! Qui doit - on croire ? La différence est que l'oseltamivir traite la grippe en une semaine et le paracétamol en sept jours !

M. Gilles Bouvenot - Je suis bien d'accord avec vos propos : l'effet du Tamiflu en curatif est très modeste. Il raccourcit la grippe de 24 heures.

Nous avons considéré trois types de situation. Dans le cas de sujets sains, le service médical rendu est insuffisant. S'agissant des sujets présentant une comorbidité, susceptible d'une décompensation, par exemple respiratoire, le service médical rendu est faible. Enfin, pour certains patients, en particulier immunodéprimés ou à risque mais présentant une contre - indication au vaccin, le service médical rendu est modéré.

Chaque fois que la HAS a rendu un avis sur ce médicament, elle s'est efforcée de répéter la même chose sur ses performances mais surtout que le Tamiflu ne devait pas être un alibi pour l'absence de vaccination qui est la pierre angulaire de la prise en charge préventive de la grippe.

M. François Autain, président - Ainsi que les mesures physiques !

M. Gilles Bouvenot - Bien sûr, les mesures barrières jouent sûrement un rôle important et nous avons du mal à certains moments à préciser, à l'intérieur d'une prévention globale, ce qui peut relever de tel élément ou de tel autre.

Pourquoi avoir proposé une telle utilisation ? Etant sous serment, comme devant l'Assemblée nationale, vous ne serez pas étonné que la réponse que je vais vous faire soit la même ! Quel est mon point de vue ?

Quand on est dans une situation de grande peur, face à une pandémie dont on ignore ce qu'elle provoquera, comme c'était le cas à son début, on cherche à conjuguer tous les moyens les plus efficaces - comme la vaccination et les traitements d'appoint. Pour moi, le Tamiflu ne pouvait que relever de cette dernière catégorie. Faut - il pour autant le rejeter ? En conscience et sous serment, je ne le pense pas !

La peur était - elle justifiée ? C'est une autre question mais, dans une telle situation, tous les moyens thérapeutiques étaient bons à prendre. C'est l'expert qui parle...

M. François Autain, président - Les médecins n'ont pas eu vraiment peur ! Savez - vous combien de doses ont été prescrites sur les 34 millions ?

M. Gilles Bouvenot - Je n'en ai aucune idée !

M. François Autain, président - 500 000 ! La peur n'était donc pas si grande.

M. Gilles Bouvenot - Je ne suis pas surpris.

M. François Autain, président - ... Et seulement 5 % à titre préventif, qui est la meilleure indication que vous préconisiez, ce qui veut dire que les médecins vous lisent attentivement !

M. Gilles Bouvenot - J'ai une grande confiance dans le corps médical et j'espère qu'il a confiance en la HAS !

M. François Autain, président - Il a sûrement confiance mais il ne doit pas lire toutes ses productions !

Avez - vous été saisi pour ce qui est du traitement préemptif, nouveau concept que j'ai rencontré en lisant les comptes rendus du CLCG, qui a piétiné vos plates - bandes en matière d'évaluation, concept également repris par l'AFSSAPS et par la DGS ? C'est un traitement qui semblait intéressant. Je sais que vous n'avez pas à être saisi des extensions d'AMM parce que c'est gratuit mais vous avez peut - être un avis sur ce traitement préemptif.

M. Gilles Bouvenot - Nous n'avons pas été saisis et, personnellement, je n'ai pas d'avis sur ce type de traitement.

M. Alain Milon, rapporteur - Permettez - moi de réagir à vos propos sur la notion de peur et de panique. C'est une notion reprise pour excuser les décisions prises ensuite par les autorités.

Or, cette peur et cette panique sont intervenues après les déclarations de l'OMS. L'OMS a, assez souvent, déclaré que nous étions dans une période de pandémie mais a toujours dit que si celle - ci pouvait avoir un passage d'homme à homme rapide, elle n'était pas grave.

En revanche, pour pouvoir donner sa définition de la pandémie, elle a supprimé la notion de gravité.

On se retrouve dans cette situation assez paradoxale d'une « grippette » pandémique pour laquelle, dans l'hémisphère Sud et jusqu'en juillet prochain, l'OMS maintient une phase 6.

Quel est votre sentiment ?

M. Laurent Degos - La HAS n'a pas réfléchi sur ce point mais j'y répondrai cependant.

Tout d'abord, je n'ai pas prononcé le mot « peur ». Il y a la crainte, la peur puis la panique. La crainte est encore raisonnée, la peur le devient moins et la panique est collective. Il y a probablement des gradations dans l'attention que l'on porte à un événement.

Vous avez raison de dire qu'il y a un changement de terminologie dans ce qu'on a appelé une pandémie. La sévérité et la mortalité faisaient notamment partie de la définition commune de la pandémie.

Le New England Journal of Medicine , le 10 juin dernier, a publié une étude de Hong Kong dans laquelle ses auteurs estiment, après avoir repris tous les critères, qu'il s'agit d'une grippe saisonnière.

A posteriori , avec des critères très précis et scientifiques, on peut effectivement remettre en question ce qui s'est passé. C'est lorsqu'on est passé à côté d'un événement que l'on peut en rechercher calmement les causes, sans rechercher les responsabilités. C'est ce que nous faisons. Or, les articles actuels font état d'une grippe à la sévérité modeste.

M. François Autain, président - Même des autorités politiques - et non des moindres - dès le 5 mais 2009, disaient que cette grippe était moins grave qu'une grippe saisonnière. Il s'agit de Mme Janet Napolitano, secrétaire à la sécurité intérieure des Etats-Unis !

On ne l'entendait pas en France mais il n'empêche qu'à cette époque, il existait déjà des autorités politiques qui avaient pris le risque - si risque il y avait - de dire ce que pouvait être cette grippe.

M. Alain Milon, rapporteur - Mme Margaret Chan l'a dit aussi, dès le 14 mai.

M. François Autain, président - C'était après le 5 !

M. Alain Milon, rapporteur - Ce n'est pas si mal ! Il n'y en avait pas beaucoup qui le disaient à l'époque !

M. François Autain, président - C'est vrai.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous n'avez pas à intervenir quand les vaccins et les antiviraux sont pris en charge par la collectivité nationale. Je le regrette.

Cela étant, il existe un problème de bon usage et vous n'avez pas non plus été consulté sur le bon usage de la vaccination.

Lors d'une audition précédente, on nous a parlé de convulsions hyperthermiques post-vaccinales en Australie chez un certain nombre d'enfants.

Même dans ce cadre, vous n'avez donc pas été consultés. Trouvez-vous cela normal ? Ne pensez-vous pas qu'à l'avenir, vous devriez l'être plus facilement ?

M. Laurent Degos - Il faut un seul émetteur lorsque les pouvoirs publics prennent quelque chose en charge.

En second lieu, nous sommes saisis pour tout ce qui concerne les produits par les laboratoires eux-mêmes qui nous demandent une évaluation. Dès lors, nous nous préoccupons du bon usage.

Il faut poser la question à M. Gilles Bouvenot pour savoir si cette notion a été évoquée au sein de la commission de la transparence...

M. Gilles Bouvenot - Non, nous n'avons pas été saisis. La commission de la transparence est intégrée à la HAS. Elle ne pense donc pas différemment.

La commission de la transparence a quand même tenu une séance, le 20 ou le 21 octobre 2009 sur le Tamiflu. Il est évident que des conversations ont eu lieu entre ses membres à propos du produit et de sa réévaluation.

Nous avons cette habitude de répondre à des saisines ou à des obligations réglementaires. Il ne pouvait venir à l'esprit des membres de la commission de s'exprimer alors que personne ne le leur demandait.

Pour nous, dès lors qu'on nous demandait de revoir un produit cinq ans après, comme il est naturel de le faire et dès lors que nous n'avions pas à nous prononcer dans le contexte de cette pandémie, nous ne l'avons bien entendu pas fait.

M. François Autain, président - Estimez-vous que c'est normal ? Souhaitez-vous ou non, à l'avenir, être sollicité par le Gouvernement, même en cas de pandémie, pour tester soit un vaccin, soit un antiviral ?

M. Gilles Bouvenot - Il y a eu pour nous deux phénomènes dont celui de l'urgence. Or, interroger une instance peut ralentir la prise de décisions.

En second lieu, lorsque les pouvoirs publics prennent en charge un domaine, nous avons pour habitude de ne rien faire pour interférer avec l'émetteur unique. Il ne paraît pas raisonnable de brouiller les messages dans un tel contexte.

Autant on peut féliciter le président de la HAS d'avoir fait en sorte que le collège réponde dans la journée à la saisine ministérielle portant sur l'acte de vaccination, autant il aurait été impossible à la commission de la transparence de la HAS de se prononcer dans des délais aussi brefs.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dit à l'Assemblée nationale que l'efficacité de la vaccination pour la grippe saisonnière était reconnue. Nous avons plutôt entendu des avis contraires et il nous a été dit en tout cas que l'on manquait d'études démontrant cette efficacité. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

M. François Autain, président - Sur quel niveau de preuve vous fondez-vous pour évaluer un vaccin et le vaccin saisonnier ? Quelle est votre méthodologie ?

M. Gilles Bouvenot - Je vous répondrai sans détour. Lorsque ces produits nous arrivent, ils doivent avoir fait la preuve de leur efficacité. Nous ne faisons que conforter l'idée qu'ils sont efficaces mais le rapport bénéfice-risque, c'est-à-dire l'efficacité a été démontrée par le dossier présenté à l'instance d'enregistrement, en l'occurrence l'EMA pour le H1N1. Pour d'autres vaccins, ce peut être une agence nationale.

Ce sont des essais contrôlés et lus de manière critique par les experts. Nous nous autorisons cependant une lecture critique du dossier, qui nous conforte dans l'idée que ces vaccins sont efficaces. Sur quoi nous fondons-nous ? Nous nous fondons sur le pouvoir immunogène du vaccin qui est démontré mais qui constitue un critère intermédiaire et sur l'évolution générale au cours des années, c'est-à-dire le fait que ces grippes saisonnières épidémiques sont maîtrisées. En particulier, on protège grâce à ce vaccin les personnes à risque - je pense aux personnes âgées.

Beaucoup d'autres experts ont dû vous le dire : j'attire très solennellement l'attention de la commission sénatoriale sur l'importance de l'image que la vaccination doit avoir dans la population. Il serait consternant qu'elle soit remise en cause parce qu'un vaccin paraîtrait moins efficace ou ferait l'objet de publications critiques.

Dans le domaine de l'évaluation, en dehors de l'urgence, nous attendons d'avoir un certain recul pour nous prononcer, la littérature pouvant nous faire évoluer. Aujourd'hui, je crains que la mise en doute de l'efficacité d'un vaccin porte préjudice à la réputation scientifique de bons vaccins.

Le Parlement a confié à la HAS la mission d'améliorer, par tous les moyens à sa disposition, la prise en charge des patients et la qualité des soins, ce qui inclut la prévention. Je ne crois pas que l'on puisse remettre en cause l'efficacité générale de la vaccination, même après l'épisode H1N1. Le jour où la population n'aura plus confiance dans les vaccins, je ne sais pas ce que deviendra la santé publique ! A mon avis, elle régressera !

M. François Autain, président - Pour qu'un vaccin soit crédible, il faut qu'il soit sûr et que son indication soit bien posée mais dès qu'un vaccin est controversé, on doit peut-être penser à ne pas l'utiliser. C'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis, qui ont choisi des vaccins sans adjuvant. On a parfois intérêt à vacciner en fonction de ce que ressent la population.

A-t-on fait des essais randomisés, en double aveugle versus placebo, des vaccins contre la grippe saisonnière ? C'est une preuve irréfutable qui permettrait de réhabiliter cette vaccination, qui a énormément souffert de cet épisode qui risque de s'étendre à des vaccinations d'une utilité incontestable, comme la variole, la poliomyélite ou le tétanos.

M. Alain Milon, rapporteur - Le président de la commission et le rapporteur sont convaincus de l'utilité de la vaccination. S'il fallait la défendre, nous le ferions. Lorsqu'on a posé la question à l'EMA sur l'efficacité de la vaccination, il nous a été répondu que le vaccin contre la grippe A (H1N1)v était efficace à 70 %. C'est un chiffre extrêmement intéressant mais il s'agit d'une efficacité immunobiologique.

Par ailleurs, la population et les élus de terrain ont parfois ressenti que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 a été mise en place hors du système médical et a entraîné un certain mécontentement - pour ne pas dire autre chose - du corps médical. Pour la vaccination en général l'effet est dramatique. Cette campagne a entraîné une défiance vis-à-vis de ce système de vaccination et entraînera peut-être une défiance vis-à-vis de la vaccination générale, ce qui est dramatique.

Il n'empêche que le mal est fait et que si l'on veut mettre à nouveau en avant la vaccination, il faut que l'on arrive à prouver que l'efficacité clinique existe. Dans le cas contraire, on risque une perte totale de la confiance de la population dans la vaccination. C'est notre sentiment et notre désespoir à tous deux.

M. Gilles Bouvenot - Je n'éluderai pas votre question mais je vais vous décevoir.

Le plus haut niveau de preuve est celui que vous avez cité, monsieur le président. Je ne puis vous répondre sur ce qui s'est passé. Je n'ai pas vu le dossier H1N1...

M. François Autain, président - Je parlais du vaccin saisonnier.

M. Gilles Bouvenot - Une sorte de tradition scientifique - qui vaut ce qu'elle vaut - dit que, pour les vaccins, les études immunologiques et observationnelles sont un niveau de preuve assez satisfaisant et suffisant. Dans certaines situations, la comparaison avec un placebo ne serait en effet pas éthique. Dès lors qu'une antériorité dans l'utilisation du vaccin a démontré son intérêt, il est extrêmement difficile de revenir en arrière et de faire des comparaisons avec un placebo.

Nous avons pris le vaccin saisonnier en route, ce vaccin existant depuis quelques décennies. Nous n'avons donc fait que voir ce qui avait été compilé en matière d'études observationnelles. C'est pourquoi je n'ai pas en tête d'étude clinique comparative pour la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Cela confirme ce que je pensais ! Pensez-vous qu'il soit cependant souhaitable de recourir à de tels essais ? On pourrait les pratiquer sur des personnes n'ayant jamais été vaccinées contre la grippe. Elles ne risquent pas une maladie grave ou mortelle. Certes, la grippe est mortelle mais moins que certaines autres maladies ! Est-ce techniquement possible ?

M. Gilles Bouvenot - C'est techniquement possible mais je n'ai probablement pas la légitimité voulue pour répondre à votre question, bien que celle-ci soit intéressante, la HAS n'étant pas en charge de la démonstration de l'efficacité des vaccins.

M. Alain Milon, rapporteur - La gestion de la grippe H1N1 a fait apparaître une certaine complexité dans l'organisation des instances consultatives en matière sanitaire et l'on peut par ailleurs se demander si ces instances disposent des moyens nécessaires. Avez-vous des observations à formuler sur ces deux points ?

Comment organiser efficacement, ce qui est certainement difficile, une « expertise d'urgence » en matière sanitaire ?

M. Laurent Degos - Nous avons effectivement remarqué, au sein du collège, qu'il existait pour le vaccin une multiplicité d'instances qui interviennent pour évaluer leur sécurité, leur efficacité et décider de leur remboursement. C'est sûrement un sujet qui mérite réflexion. Faut-il diminuer le nombre d'étapes ? Ce n'est pas à moi d'en juger. Faut-il raccourcir ce temps ? Qui, en période d'urgence, doit être consulté ? Or, cette fois, les parties consultées ont été celles relatives à la sécurité des médicaments et le HCSP. La HAS ne l'a pas été.

On peut toutefois se poser la question de savoir si on ne peut apporter une simplification dans l'évaluation des vaccins.

M. François Autain, président - Savez-vous quelle structure a été consultée en urgence pour apprécier l'opportunité de la vaccination ?

M. Laurent Degos - Ce sont l'EMA et l'AFSSAPS...

M. François Autain, président - Non, c'est le CLCG. La DGS, avant même de consulter le HCSP, a consulté d'abord le CLCG, qui est un organisme très bien structuré, qui a toutes les qualités qui manquent à la HAS. C'est sur son avis que l'on a commandé les 94 millions de doses ! Cela s'est fait, je crois, un dimanche, au téléphone : c'est dire les conditions rigoureuses dans lesquelles ont été prises des décisions importantes !

C'était pour vous éclairer, au cas où vous n'auriez pas suivi les choses, ayant été tenu en dehors de cette affaire.

M. Laurent Degos - Je parlais des vaccins en général et pas forcément de celui contre la grippe.

M. François Autain, président - Nous sommes quant à nous surtout intéressés par les vaccins contre la grippe - pour le moment en tout cas !

M. Alain Milon, rapporteur - La HAS a fait des efforts importants pour se doter d'une Charte de déontologie et se donner les moyens de gérer les conflits d'intérêts. L'application de ce dispositif pose-t-il des problèmes et exige-t-il beaucoup de moyens ?

Pensez-vous que toutes les instances d'expertise sanitaire ont les moyens de se doter des mêmes outils ?

Faudrait-il à votre avis compléter les textes législatifs relatifs à la déclaration des liens d'intérêts et à la gestion des conflits d'intérêts, par exemple pour améliorer la publicité des liens d'intérêts et permettre le contrôle des déclarations publiques d'intérêts ?

Enfin, pensez-vous que les dispositions dites du « Sunshine Act » récemment introduites dans la loi américaine peuvent être efficaces ? Sont-elles, selon vous, transposables en France ?

M. Laurent Degos - Il ne faut pas confondre intérêts et conflits d'intérêts. Heureusement que les scientifiques éprouvent de l'intérêt pour ce qu'ils font ! Les conflits d'intérêts reflètent une situation ou une posture particulière d'aide à la décision.

En second lieu, la déclaration ne suffit pas. Que fait-on avec cette déclaration ? On peut soit exclure, soit gérer ce conflit d'intérêts. Cela dépend des situations.

Déclaration, gestion et exclusion sont donc trois moments différents. La déclaration, en soi, est un état des lieux mais non une gestion du conflit d'intérêts.

La loi Obama tend donc à améliorer la déclaration mais ne dit pas grand chose sur la gestion elle-même. Ce qui vous importe et qui nous importe en tout cas, c'est le fait de savoir ce que l'on fait de cette gestion.

Enfin, pour ce qui est de la HAS, il existe deux situations particulières. La première concerne la transparence ; une commission sert de tampon et de filtre. C'est un moyen de gérer ces conflits d'intérêts. Quant aux recommandations de bonnes pratiques, c'est le groupe lui-même qui les établit et il n'y a donc pas de commission intermédiaire. C'est en ce sens que nous avons encore plus de travail dans la gestion des conflits d'intérêts. C'est pourquoi la HAS a fortement travaillé sur ce sujet, base même de notre mission.

M. Raoul Briet - Chaque année, depuis que la HAS existe, on essaye d'ajouter une pierre à l'édifice en rendant les déclarations publiques, en mettant en place un groupe largement composé d'experts extérieurs, en publiant une charte de déontologie, en revoyant récemment notre guide de déclaration publique d'intérêt.

On a eu à gérer une approche un peu anglo-saxonne : il ne suffit pas d'être convaincu que l'expert est honnête ; il faut que l'on soit en situation de convaincre l'extérieur - usagers, médias, responsables politiques - que l'on a pris le maximum de dispositions pour être sûr qu'il n'existe pas de biais dans l'expertise qui nous est donnée.

Il faut bien voir que pour la HAS, qui a bien sûr des moyens significatifs, ce travail est un travail de masse, lourd, qui recourt chaque année à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'experts dont on doit contrôler les déclarations d'intérêts, que l'on doit rendre publiques le plus vite possible sur le site.

En second lieu, la formalité est souvent ressentie comme paperassière par les experts eux-mêmes et comme une mise en cause de principe de leur honnêteté, d'où des difficultés relationnelles.

M. Gilles Bouvenot a eu la gentillesse de me convier à une réunion de la commission de la transparence afin d'expliquer les raisons de ces déclarations.

M. François Autain, président - Il n'y a pas de honte à travailler avec un laboratoire, bien au contraire !

M. Raoul Briet - Bien sûr ! La déclaration protège non seulement la HAS mais également l'expert lui-même, cette formalité, une fois remplie, permettant de rendre des comptes à la collectivité !

La troisième difficulté : la déclaration publique d'intérêts permet de cerner le moins mal possible ce qui est en cause. Ce sont des intérêts juridiques, matériels, financiers, plutôt directs.

Chacun sait que les intérêts intellectuels, de chapelle, de corporations, d'idées sont importants - certains diraient plus importants - dans l'évaluation que les intérêts matériels ; or, par nature, ils résistent à une appréhension sous forme de formulaires et de déclarations. On ne s'y intéresse pas et la matière est plus difficile à cerner.

Même dans le champ des intérêts financiers, il reste à savoir où s'arrêter dans le degré de précision. Doit-on quantifier les intérêts déclarés ? Doit-on raisonner en valeur absolue ou relative par rapport à la rémunération d'un expert ? Comment doser le principe qui veut que l'on fasse confiance à l'expert qui engage sa responsabilité lorsqu'il fait sa déclaration ? On ne peut se contenter de classer une déclaration sans poser de questions ni compléter une instruction. Jusqu'où être inquisitorial et en quelles circonstances, compte tenu de nos moyens ?

Enfin, il faut doser le conflit d'intérêts : est-il de nature à compromettre l'indépendance de l'expertise ? Cet intérêt est-il majeur ou mineur ? C'est affaire de discernement et d'appréciation. Dans un certain nombre de cas, on peut difficilement faire autrement, si l'on veut une expertise scientifiquement irréprochable et de qualité, que de recourir à un expert dont les déclarations d'intérêts le mettent en situation de conflit d'intérêts majeur. La rareté ou la spécificité de la maladie ou du médicament fait qu'on y est tenu. C'est ensuite à nous de prendre les dispositions pour justifier les raisons pour lesquelles nous avons, en dépit de ces déclarations d'intérêts, eu recours à ses services et comment nous avons fait en sorte de ne pas nous retrouver pieds et poings liés par cet expert.

Tout cela suppose aussi beaucoup de traçabilité. Nous croyons beaucoup, à la HAS, à l'idée de tracer, documenter, justifier les raisons qui ont conduit à choisir tel expert plutôt que tel autre et surtout à choisir un expert en dépit de sa déclaration d'intérêts, ayant considéré que le bénéfice s'attachant à son concours était supérieur au risque.

Tout cela suppose un gros effort de formalisation, de justification et de transparence vis-à-vis de l'extérieur.

En termes de perspectives, ma religion n'est pas faite pour déterminer si les textes suffisent aujourd'hui. Je pense qu'on ne peut attendre d'eux davantage que ce qu'ils peuvent apporter. Un travail de mise en oeuvre doit être fait.

La transparence vis-à-vis de l'extérieur est peut-être un excellent moyen. Elle oblige à répondre à toutes les questions et nous place en situation de responsabilité. Cette systématisation est probablement une bonne réponse.

Chaque autorité ou chaque agence peut-elle faire le même travail ? Chacune a sa zone de responsabilités. Elles rendent une expertise, font le choix de leurs experts et je ne crois pas que l'on puisse déléguer à une entité tierce la possibilité de désigner tel ou tel expert sur tel ou tel sujet.

En revanche, de bonnes pratiques communes, des règles communes, des échanges d'expériences, d'outils, le fait que l'on parvienne - on y travaille avec l'AFSSAPS - à simplifier la déclaration des experts pour aboutir aussi vite que possible à une mise en commun des déclarations auprès des différentes agences ou hautes autorités nous paraît une manière pertinente de faire progresser les choses.

M. François Autain, président - Ces considérations ont-elles présidé à la nomination de la présidente du groupe que vous avez créé concernant la maladie d'Alzheimer ? J'avais d'ailleurs posé une question écrite à ce sujet. On m'a répondu sans me répondre !

M. Laurent Degos - Il s'agit de Mme Florence Pasquier.

M. François Autain, président - Je ne voulais pas citer son nom mais elle a travaillé à la commercialisation de Donépézil, substance active entrant dans la composition de deux ou trois médicaments contre la maladie d'Alzheimer - qui, entre nous, ne sont pas très efficaces. Je ne sais si la HAS l'a dit.

M. Laurent Degos - Elle l'a dit !

M. François Autain, président - S'agit-il d'un « loupé » ? Cela vous a-t-il échappé ?

M. Laurent Degos - Le FORMINDEP nous a interpellés sur ce sujet et a fait une grande publicité autour.

Il s'agit d'une personne de très grande qualité, reconnue par toute la communauté neurologique traitant la maladie d'Alzheimer. Elle avait en outre un travail à faire sur la partie non médicamenteuse de la prise en charge de cette affection. Enfin, cette personne a travaillé sur l'investigation de ces médicaments auprès de ses patients. Je crois qu'on est tous très heureux d'avoir des médicaments précocement dans notre pays grâce aux investigateurs de haute qualité qui permettent de tester ces médicaments.

Investiguer un médicament constitue-t-il déjà un conflit d'intérêts ? Ce n'est pas être consultant. Il ne s'agit pas d'argent. Les essais thérapeutiques sont maintenant « multicentriques », afin d'être solides. Ils sont menés dans tous les centres mondiaux où travaillent des scientifiques de haute valeur. Si on le leur interdit, ils perdront leur aura scientifique. Ce n'est pas parce que l'on fait de la recherche clinique que l'on est en grand conflit d'intérêts !

Pour en revenir à cette personne...

M. François Autain, président - Il y en avait d'autres !

M. Laurent Degos - Il y en avait une autre en lien avec le diabète...

M. François Autain, président - Le cas que nous évoquons est une personnalité emblématique.

M. Laurent Degos - En effet. Elle en est convenue et en a pris son parti après cette longue discussion et avoir été attaquée de tous bords...

M. François Autain, président - Elle n'a pas été attaquée : on l'a informée !

M. Laurent Degos - Elle a été fortement attaquée dans les médias. La HAS a donc estimé qu'il lui fallait expliquer pourquoi cet expert de la maladie d'Alzheimer a été choisi et comment...

M. François Autain, président - Il n'y en avait vraiment pas d'autres ?

M. Laurent Degos - Non. Peut-être y en a-t-il d'autres mais c'est ainsi que nous avançons progressivement. Nous avons pris la décision que chaque fois qu'un expert risque d'être attaqué parce qu'il existe un réel conflit d'intérêts, il faut qu'il existe une traçabilité et qu'on le protège.

De ce fait, s'il y a le moindre procès, c'est contre la HAS qu'il faut le mener et non contre l'expert. Nous cherchons une traçabilité totale en expliquant pourquoi il a été choisi, dans quelles conditions, pour quelles recommandations.

M. François Autain, président - A mon sens, cela ne suffit pas. A tout le moins, une présidente d'une telle structure ne devrait pas avoir de liens d'intérêts. C'est en cela que M. Gilles Bouvenot constitue un exemple à suivre !

M. Laurent Degos - Je suis d'accord avec vous. Lorsqu'on fait une évaluation de médicament, la commission de la transparence sert de filtre. Lorsqu'on fait une recommandation de bonnes pratiques, c'est un groupe de professionnels qui s'expriment. Si on prend des professionnels qui ne connaissent pas le sujet, on ne sait ce qu'ils diront.

Par ailleurs, les Allemands sont dans la même problématique. Nous nous sommes posé ensemble la question de savoir si la traçabilité suffit. Si nous sommes en difficulté, on prendra un président qui n'a rien à voir avec le sujet. Un néphrologue pour la maladie d'Alzheimer ou un neurologue pour une maladie du rein.

M. François Autain, président - Cela étant, je connais des tas de gérontologues qui n'ont pas de liens d'intérêts et qui sont très compétents en matière de maladie d'Alzheimer. Ils sont toutefois peu favorables à la prescription de ces médicaments qu'ils considèrent comme inutiles ! Ce n'est peut être pas le but recherché !

M. Laurent Degos - La recommandation n'était pas médicamenteuse.

M. François Autain, président - Ce n'est pas ce que j'ai lu !

M. Laurent Degos - On a appris en marchant. Tout ceci se fait progressivement, en s'améliorant. A chaque expérience déplaisante, on doit améliorer les choses. C'est ainsi que l'on avance.

M. Raoul Briet - Notre réflexion nous conduit à envisager aujourd'hui de confier la présidence d'un groupe d'experts sur une recommandation à une personnalité qui a la capacité à présider mais qui, pour autant, ne fait pas partie du ou des grands spécialistes du sujet étudié. Cette position que nous avons fait nôtre ne va pas tout à fait de soi dans le monde qui nous entoure. Nous allons donc dans cette direction.

M. François Autain, président - Prenez l'exemple de la commission d'enquête sénatoriale sur la grippe H1N1 : le président est totalement incompétent en matière de grippe ; il n'empêche qu'il préside.

Je pense qu'il faut de plus en plus éviter de recourir à des médecins qui ont des liens d'intérêts. Vous n'aurez ainsi plus de conflits d'intérêts. C'est l'objectif et je ne saurais trop vous encourager à vous engager dans cette voie.

Cette fois-ci, le conflit d'intérêts a été rendu public par le FORMINDEP ; la prochaine fois, ce sera peut-être quelqu'un d'autre ! Ce n'est pas selon moi une expérience qui doit être répétée.

M. Laurent Degos - C'est grâce à ces verges que nous nous améliorons. Nous nous sommes améliorés immédiatement après ! C'est grâce à ces moments difficiles que l'on essaie d'avancer.

M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.

M. Marc Laménie - Quelle est votre approche - rejoignant en cela la question du rapporteur - à propos de la notion de confiance vis-à-vis de la vaccination contre la grippe H1N1 ? Comment les maires de petites communes, que nous sommes parfois, peuvent-ils faire passer le message sur le terrain avec l'aide des préfets, des services de l'Etat ?

M. Laurent Degos - La confiance est à la base même de l'acte de santé publique. Un refus de la population empêche toute action. Il faut donc retrouver cette confiance. J'espère que cette commission pourra y aider.

Si on veut aller plus loin, à qui le citoyen fait-il confiance en matière de santé ? A son médecin, peut-être plus qu'à tout autre ! Il faut donc tenter de retrouver ce lien fort entre le médecin et son patient.

M. François Autain, président - Je reste sur une déception, le président Gilles Bouvenot n'ayant pas répondu à ma question concernant les 33,5 millions de doses d'oseltamivir. N'êtes-vous pas étonné que le Gouvernement n'ait pas suivi vos recommandations et ait commandé une telle quantité de ce médicament dont on ne sait plus que faire ? Peut-être avez-vous des idées en la matière. Je proposais qu'on en tapisse les routes ou qu'on ravale les façades avec la poudre de ce produit !

M. Gilles Bouvenot - J'ai en effet oublié de répondre à votre question. Il n'est pas ici question de l'éluder mais il est très difficile de répondre. J'ai une certaine conception de ce à quoi peut servir le Tamiflu et à qui le donner dans le cas général de la grippe saisonnière. Autrement dit, les recommandations de la HAS concernant le Tamiflu correspondent à des populations que nous avons chiffrées.

Sachez que, chaque fois que nous rendons un avis sur un médicament, nous sommes tenus de préciser la « population cible ».

Si, en cas de grippe saisonnière, on commande 34 millions de boites alors que la HAS estime la population cible à 600 000 personnes, cela fait plus que m'étonner.

En revanche, dans le cas d'une pandémie, alors que l'on se demandait qui tiendrait la barre si tout le monde était atteint, je ne sais combien de millions de boîtes il faudrait acheter !

M. François Autain, président - Pensez vous que 34 millions soient suffisants ?

M. Gilles Bouvenot - Cela me paraît confortable.

M. François Autain, président - Vous me rassurez ! On se contentera de cette réponse.

M. Gilles Bouvenot - Je ne peux en dire plus.

M. François Autain, président - Je comprends. Merci de votre contribution.

Audition de M. Daniel VITTECOQ,
président de la commission d'autorisation
de mise sur le marché de l'AFSSAPS
(mercredi 16 juin 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. le professeur Daniel Vittecoq, président de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'AFSSAPS.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Daniel Vittecoq prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Daniel Vittecoq - J'ai une déclaration de conflit d'intérêts par rapport aux essais thérapeutiques en route dans mon service, au nom soit de l'assistance publique, soit de l'association Robert Debré. Ces déclarations sont publiques et à mon sens ne comportent aucun lien spécifique avec les vaccins dont on parle.

M. François Autain, président - Vous n'avez aucun lien avec les laboratoires fabriquant des antiviraux ou des vaccins, Roche et GSK ?

M. Daniel Vittecoq - Pas avec Roche mais avec GSK. Je suis spécialiste des maladies infectieuses et chef de service à l'hôpital Paul Brousse - Assistance publique. En tant que chef de service, j'ai des essais thérapeutiques avec des antiviraux, essentiellement dans la gamme du VIH. Roche a été impliqué dans la lutte contre le VIH mais il y a fort longtemps. Il s'en est complètement désinvesti. GSK, en revanche, est investi contre le VIH.

J'ai actuellement un essai en cours avec un anti-intégrase dans la problématique du VIH ; il s'agit d'une nouvelle molécule. Je suis acteur dans le maillage international mais ceci est considéré par l'AFSSAPS comme un conflit d'intérêts mineur qui ne me pose aucun problème.

M. François Autain, président - Depuis combien de temps êtes-vous membre de la commission d'AMM ?

M. Daniel Vittecoq - C'était du temps de la DPHM (direction de la pharmacie et du médicament), avant que l'AFSSAPS et l'Agence du médicament soient créées.

M. François Autain, président - Votre nomination en tant que président est-elle plus récente ?

M. Daniel Vittecoq - J'ai fait deux mandats et j'en ai commencé un troisième.

M. François Autain, président - Combien de temps le mandat dure-t-il ?

M. Daniel Vittecoq - Trois ans.

M. François Autain, président - Vous entamez donc votre septième ou huitième année ?

M. Daniel Vittecoq - Oui.

M. François Autain, président - Merci.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

M. Daniel Vittecoq - De façon générale, je me réjouis en tant que médecin et citoyen que cette épidémie n'ait pas été aussi dramatique que prévu car, en tant que spécialiste des maladies infectieuses, on s'est fait du souci. Aujourd'hui, on est plutôt rassuré que les choses se soient passées plus facilement.

La confusion dans l'opinion publique sur l'ensemble de la problématique grippale me paraît compréhensible car le phénomène est complexe ; même la communauté médicale et scientifique est interpellée sur ce qui s'est passé. Cela légitimise en ce sens votre démarche en tant que représentant du peuple.

J'espère qu'au terme de toute cette problématique, l'OMS ne sortira pas trop meurtrie de cette crise. L'OMS joue un rôle considérable dans le domaine de la prévention et de l'hygiène. Beaucoup de pays n'ont pas les moyens de la France et pour beaucoup d'entre eux, l'OMS est un maillon essentiel.

Je veux rappeler ici le rôle capital qu'elle a joué dans la grippe aviaire ou dans le SRAS.

Il faut ne pas examiner cet événement seulement à l'échelle nationale mais aussi au niveau européen.

Par ailleurs, on ne peut comparer toutes les épidémies de grippe et certainement pas celle de 1917 à celle de 2009 pour au moins trois raisons. D'une part, une épidémie de grippe comporte aujourd'hui un nouveau paramètre, celui de la biologie moléculaire, qui donne à la fois un vernis très rassurant et complique aussi les choses.

D'autre part, les relais d'information sont devenus très invasifs pour ne pas dire trop ; en période de crise, le tri des informations est souvent délicat.

Enfin, les recommandations sont faites dans un double souci, collectif et individuel mais, en période de crise, les gens lisent le collectif à l'aune de l'individuel. Une réflexion sociétale me paraît nécessaire sur ce point.

Mon constat, en tant que médecin, au sortir de cette crise, est assez mitigé. La grippe est un défi très ancien et à mon sens très particulier. Sur le terrain, mon vécu est passé du phantasme à la réalité.

Durant la première période de l'épidémie, j'ai dit en tant que référent de l'Assistance publique que les choses que nous voyions étaient banales car il a fallu en effet rassurer les gens au moment des premières hospitalisations.

Dans un deuxième temps, les choses m'ont paru moins banales. Etant référent grippe pour le Val-de-Marne - mon hôpital est à Villejuif - j'ai été témoin de ce qui se passait dans la seconde école contaminée, l'école du Jeu de Paume. J'ai constaté le taux d'attaque, en juin, lorsque la directrice a détecté trois cas qui ont été testés dans mon service.

Dans la dernière phase, j'ai vu des patients parfaitement bien portants en consultation, des patients avec des formes sévères de grippe passer en réanimation et j'ai vu deux patients mourir de la grippe, deux jeunes gens, ce que ni moi ni l'ensemble de mes collègues - sauf les plus vieux - n'avaient jamais vu. Il y a donc bien eu un phénomène comportant à la fois des cas graves et d'autres qui ne l'étaient pas.

Pour en revenir à l'AMM et à l'évaluation du bénéfice-risque, il faut garder en mémoire le fait que celle-ci est radicalement différente en période de crise car on ne peut se targuer de certitudes. Il faut essayer de les anticiper et c'est là tout le débat des marqueurs biologiques qui permettent d'anticiper l'activité d'un traitement. On l'a vécu au moment du charbon aux Etats-Unis en 2001. L'efficacité de la ciprofloxacine n'était alors pas connue. On avait les arguments biologiques qui laissaient penser que ce serait efficace. On lui a octroyé une AMM en urgence ; cela a permis de sauver 30 000 vies.

L'AMM est aujourd'hui essentiellement européenne. Elle a donc été centralisée pour la plus grande partie des vaccins contre la grippe, à l'exception du Panenza, qui faisait l'objet d'une procédure décentralisée semi-européenne, dans laquelle la France était rapporteur. Cette procédure a impliqué cinq pays - dont l'Allemagne, l'Italie, et la Belgique.

J'ai assisté à la création de l'Agence européenne du médicament. Je pense en avoir été un acteur. Il est rassurant d'avoir un consensus à vingt-sept surtout si ce consensus peut se faire vers le haut. Je pense qu'on arrive à le faire dans les médicaments. En période de crise, c'est néanmoins un exercice difficile.

C'est en ce sens que l'EMA avait créé la task force, en 2003, instance parallèle du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) qui avait pour but de piloter les dossiers. Cela a bien fonctionné selon moi.

Pour ce qui est de l'industrie, elle a montré qu'elle savait malgré tout respecter les procédures ; elle a su mener des essais thérapeutiques dans des conditions de crise. Pour le Panenza, 3 500 patients ont participé aux essais, incluant enfants et adultes. C'est un challenge extraordinaire. La France a été impliquée puisqu'elle a compté le tiers de la population de patients dans les essais. Je rappelle que la pandémie est née en avril et que les AMM ont été accordées en octobre et en novembre pour le Panenza.

Pour ce qui est de l'AFSSAPS, j'ai trouvé que la prise en charge de l'épidémie a été cohérente à tous les niveaux, qu'il s'agisse de l'AMM, de la pharmacovigilance ou de la cellule des plans de gestion des risques.

Je n'ai pas été impliqué dans les interfaces avec la DGS mais, sur le fond, j'ai l'impression qu'elles ont été opérationnelles.

En ce qui concerne les dossiers d'enregistrement, la commission d'AMM, avec son groupe de travail, le GTA - le Groupe de travail anti-infectieux, dont je suis membre - a piloté les dossiers du Panenza, de l'oseltamivir et a participé à tous les débats pour l'Europe.

M. François Autain, président - Est-ce le GTA qui a émis un avis sur l'extension d'AMM de l'oseltamivir concernant les traitements préemptifs ?

M. Daniel Vittecoq - Absolument.

M. François Autain, président - Pourquoi a-t-on saisi le GTA et non la commission d'AMM ?

M. Daniel Vittecoq - Le GTA a vu le dossier ; la commission d'AMM l'a vu a posteriori.

M. François Autain, président - Vous aviez un avis sur cette extension ?

M. Daniel Vittecoq - Je sais qu'on a eu un débat ; la commission d'AMM était entièrement d'accord...

M. François Autain, président - Il ne suffit pas d'être d'accord ! Il faut qu'il y ait des traces ! Quand il y a extension d'AMM, il y a délibération de la commission et il existe une publication.

M. Daniel Vittecoq - Ce n'est pas une extension d'AMM mais une recommandation d'usage.

M. François Autain, président - Cela peut être considéré comme tel.

M. Daniel Vittecoq - En effet, mais cette recommandation d'usage est venue du fait qu'en période de crise, il faut bien s'adapter à l'acquisition des connaissances ; or, il est apparu clairement, tant dans l'expérience étrangère que française, que les émergences de résistance que l'on craint dans toute maladie virale se rencontraient essentiellement dans le cas d'une utilisation préventive. Ce risque était plus faible si l'on administrait une dose plus élevée du médicament sur une période plus courte - ce qui ne change pas grand chose à la quantité prescrite. Beaucoup de pays ont cautionné cette attitude.

M. François Autain, président - En temps normal, une telle recommandation serait-elle passée par le GTA ?

M. Daniel Vittecoq - Sauf urgence, tout passe devant la commission d'AMM si l'on est dans le registre national.

M. François Autain, président - Vous semblez dire que, cette fois-ci, cela n'a pas été formellement examiné par la commission d'AMM...

M. Daniel Vittecoq - Vous me prenez de cours. Il y a eu une discussion en Commission d'AMM...

M. François Autain, président - Je croyais avoir une réponse de votre part. Le directeur n'a pas su me répondre. Il devait d'ailleurs me répondre par courrier. Il ne l'a pas fait. Je ne l'ai pas relancé, sachant que j'allais vous recevoir ; je me suis dit que vous deviez connaître la réponse.

M. Daniel Vittecoq - Le problème du traitement préemptif a été vu par deux groupes de travail. Les membres du GTA ont considéré sans ambigüité qu'il fallait recommander de passer à des doses plus fortes...

M. François Autain, président - Je m'attendais à un avis négatif. Le contenu du texte me semble contradictoire avec la conclusion. C'est un peu comme le niveau 6 de pandémie.

M. Daniel Vittecoq - Deux groupes de l'AFSSAPS ont réfléchi à ce traitement préemptif, le GTA et un autre groupe, constitué à la demande de la DGS, le groupe de travail sur les grippes graves, que j'ai d'ailleurs coordonné. Il était composé de réanimateurs. L'objectif était d'apporter des réponses à des cliniciens qui rencontraient des situations gravissimes - heureusement limitées.

M. François Autain, président - Si on n'avait pas été en période de pandémie, cela passait donc par la commission d'AMM ?

M. Daniel Vittecoq - C'est évident !

M. François Autain, président - La pandémie étant terminée, allez-vous revoir ce dossier en commission d'AMM ?

M. Daniel Vittecoq - Non, car hors période de grippe pandémique comportant des cas graves, il n'est pas légitime de modifier l'AMM en ce sens.

M. François Autain, président - Cette recommandation n'a pas eu un succès énorme ! Sur 500 000 prescriptions, seulement 5 % ont été réalisées à titre préemptif.

Peut-être, si cette recommandation était passée en commission d'AMM, aurait-elle eu plus de chance...

M. Daniel Vittecoq - Je ne sais si cela aurait changé quelque chose. C'est un problème de communication.

L'objectif de ces traitements préemptifs est double : il part de l'hypothèse - dont on va voir ultérieurement si elle est confirmée - que le risque de résistance est diminué si l'on donne une dose plus élevée et qu'en cas de grippe grave, l'administration d'une double dose améliorait le pronostic.

Dans l'ensemble - cela a été vérifié avec les réanimateurs - les personnes atteintes de formes graves avaient déjà eu une double dose. Pour le reste de la population, je ne puis trop rien dire.

M. François Autain, président - En période normale, la commission d'AMM est saisie ; or, maintenant que nous sommes revenus dans une période normale, il n'y aura pas de rectification !

M. Daniel Vittecoq - C'est une recommandation liée à la pandémie.

M. Alain Milon, rapporteur - On revient à l'ancienne AMM...

M. Daniel Vittecoq - Bien sûr ! L'AMM n'ayant pas été modifiée, il n'y a pas lieu de la réexaminer. Je veux bien voir avec l'Agence sur le plan réglementaire mais il n'y a pas lieu de le prévoir.

M. Alain Milon, rapporteur - Il s'agissait d'une exception ; à présent, on revient à l'ancien système.

M. François Autain, président - On n'administre donc plus de traitement préemptif ?

M. Daniel Vittecoq - Absolument. On répond à une crise avec les moyens du bord. Cela paraissait logique à ce moment.

S'agissant de l'Europe, nous avons suivi tout ce qui a été fait en amont et en aval.

Enfin, sur le plan médical et scientifique, toute une partie du travail débute maintenant. Il s'agit de comprendre ce qui s'est passé afin de valider, en termes d'évaluation des vaccins, les aspects immunologiques, la présence des anticorps. Nos critères de mise sur le marché sont actuellement biologiques ; ils ne reposent pas sur une démonstration clinique mais sur le fait que le taux d'anticorps arrive à un certain seuil. La lecture rétrospective de l'épidémie va permettre d'apprécier ce que sont ces anticorps et quelle est leur valeur protectrice. On n'aura donc cette lecture finale qu'après un certain temps.

M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dit avoir constaté des cas extrêmement graves que vous n'aviez jamais rencontrés mais que les plus anciens avaient connus. A quelle époque ?

M. Daniel Vittecoq - Lors de la dernière pandémie, en 1967-1968. Dans les groupes de travail avec les réanimateurs, ceux qui connaissaient ce type de cas étaient les plus âgés. Je ne me réjouis pas d'en avoir été le témoin, car voir des gens jeunes mourir aujourd'hui de la grippe est une véritable interpellation !

Ces formes de pneumonies interstitielles qui provoquent l'asphyxie d'une personne en quarante-huit à soixante-douze heures nécessitent des techniques d'oxygénation extracorporelle très couteuses et très problématiques qui ne se rencontrent que chez les sujets jeunes. La létalité de la grippe, bien connue chez les personnes âgées qui ont été en partie épargnées dans la crise récente, est plutôt due à des complications liées à des surinfections.

M. Alain Milon, rapporteur - Les procédures d'AMM européennes et françaises paraissent avoir été plus lentes que les procédures américaines. Le laboratoire Sanofi a estimé que la livraison du vaccin Panenza, qui a reçu une AMM nationale, a été retardée d'un mois par rapport à son équivalent américain pour cette raison. A quoi tiennent ces différences de procédure ? Faut-il envisager une évolution des règles européennes et françaises pour permettre des décisions plus rapides ?

M. Daniel Vittecoq - Dans cette crise, je pense qu'on a répondu aux besoins. L'épidémie n'a d'ailleurs pas posé tant de problèmes que cela. Est-ce lié aux décisions ou au virus lui-même ? Je ne puis répondre...

Pour ce qui est des procédures, elles sont fondamentalement différentes entre les Etats-Unis et l'Europe. Aux Etats-Unis, les vaccins sont mis sur le marché uniquement avec un dossier biologique de « safety » sans chercher à savoir s'ils vont être efficaces ou non.

En France et en Europe, on demande depuis longtemps des critères d'immunogénicité. On veut tester le produit pour savoir s'il est capable de donner des anticorps et connaître la valeur de ceux-ci.

Les Américains ont peut-être en partie raison ; quand on fait des tests chez les volontaires sains, on arrive à induire des anticorps. La question serait plus intéressante de savoir s'ils ont vraiment une valeur protectrice. On ne peut le voir que lors de pandémies. Ces circuits sont donc beaucoup plus faciles.

L'Europe a pris sa décision il y a cinq ans, au détour de la pandémie aviaire, qui nous a beaucoup préoccupés. Sa létalité est de 50 % et elle n'est d'ailleurs pas finie.

M. François Autain, président - C'est une zoonose !

M. Daniel Vittecoq - En effet, mais il y a eu passage à l'homme.

M. François Autain, président - Il y a eu assez de panique comme cela pour ne pas aggraver les choses ! Il faudrait se mettre d'accord sur ce que l'on met derrière les mots !

M. Daniel Vittecoq - Je réponds par rapport aux critères de définition de l'immunogénicité. Globalement, pour un vaccin standard contre la grippe, la procédure nationale demande, dans le cadre d'un vaccin trivalent, un impact sur le taux des anticorps. Soit on mesure le pourcentage de patients ayant un taux d'anticoprs supérieur au 40 e , soit on regarde la moyenne géométrique du taux des anticorps ou le pourcentage de séroconversion.

M. François Autain, président - Vous arrive-t-il de refuser certains vaccins contre la grippe ?

M. Daniel Vittecoq - Très peu, d'où l'étonnement des Américains sur nos procédures, mais si l'on mettait sur le marché un vaccin et qu'il ne fonctionne pas, on aurait des griefs pour nous reprocher de ne pas avoir suffisamment étudié les choses. Il faut donc bien placer le curseur quelque part !

M. François Autain, président - Comment pourrait-on s'apercevoir qu'il ne fonctionne pas ?

M. Daniel Vittecoq - Il y a des études a posteriori !

M. François Autain, président - Il existe des études qui prouvent l'efficacité du vaccin ?

M. Daniel Vittecoq - Les méta-analyses Cochrane montrent le bénéfice du vaccin...

M. François Autain, président - C'est un bénéfice peu spectaculaire : sur deux groupes, deux des 100 personnes non vaccinées développent la grippe, contre une seule pour 100 personnes vaccinées !

M. Daniel Vittecoq - Les méta-analyses Cochrane se fondent sur trois paramètres pour déterminer si un vaccin est efficace : l'« efficacy », l'« effectiveness » ou l'impact clinique. Ce dernier, concernant la morbi-mortalité, ne se rencontre que chez les sujets âgés. En pratique, il s'agit d'hospitalisation ; or, en dehors d'une pandémie, on n'hospitalise pas pour une grippe. On a donc démontré, chez les patients âgés, un impact bénéfique de la vaccination contre la grippe saisonnière.

Pour ce qui est de l'« efficacy », on demande au patient vacciné de prendre l'engagement de venir faire un prélèvement pour isoler le virus en cas d'épisode grippal ; dans ce cas, on se rend compte qu'il existe une certaine efficacité.

Quant à l'« effectiveness », on leur demande seulement de téléphoner pour signaler un état de fièvre au cours des épisodes hivernaux. Il existe d'ailleurs beaucoup de virus saisonniers qui ne sont pas des virus grippaux. Il est donc très difficile de mesurer l'impact.

Objectivement, l'« efficacy » révèle un impact favorable de la vaccination, surtout sur la population adulte. Pour ce qui concerne l'« effectiveness » on le cherche et pour la morbi-mortalité, particulièrement chez les gens âgés, il est objectif quelle que soit la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - M. Thomas Jefferson est beaucoup moins optimiste que vous en ce qui concerne l'efficacité de la vaccination saisonnière.

M. Daniel Vittecoq - L'opinion s'est fait une idée. Faut-il se faire vacciner contre la grippe ? Je l'ai fait en tant que soignant ; je pense que c'est essentiel car si les soignants ne le font pas, cela peut poser des problèmes de transmissions nosocomiales et d'amplification. Globalement, le vaccin n'est pas très utilisé, sauf chez les sujets âgés et selon moi à juste titre, essentiellement du fait des surinfections.

Dans les institutions, on souhaite que les pensionnaires soient vaccinés. La transmission de la grippe y est un véritable problème de santé publique.

En tout état de cause, la grippe n'est pas la maladie que redoute l'opinion publique - sauf dans les périodes de pandémie.

M. François Autain, président - Aucun test randomisé n'a jamais été fait à propos du vaccin contre la grippe saisonnière...

M. Daniel Vittecoq - Des études ont été faites !

M. François Autain, président - Y a-t-il eu des essais comme pour d'autres médicaments ?

M. Daniel Vittecoq - Les essais d'« efficacy » ont démontré l'efficacité des vaccins antigrippaux.

M. François Autain, président - Il y a donc eu des essais randomisés en double aveugle versus placebo ?

M. Daniel Vittecoq - Non, ce sont des essais post-AMM, qui sont faits dans la vie quotidienne et qui comparent des populations vaccinées à des populations témoins. Ce ne sont pas des essais randomisés. Comment l'accepter quand un produit a l'AMM ?

M. François Autain, président - Pourquoi ? En pré AMM...

M. Daniel Vittecoq - Il faut voir en fonction du calendrier. Ce n'est guère réalisable entre le moment où le vaccin va être préparé, le moment où il est réalisé et le moment où commence la campagne de vaccination.

Ne me prenez pas pour un suppôt de l'industrie pharmaceutique mais le travail réalisé pour inclure 3 500 patients dans l'essai sur le Panenza, en l'espace de quelques semaines, a été fait dans les règles et de façon randomisée. C'est une expérience exceptionnelle qui s'explique par la pandémie. Dans les dossiers d'enregistrement, nous n'avons pas 3 500 patients mais quelques centaines. C'est pourquoi les Américains s'en affranchissent - je ne sais si c'est à juste titre - en disant que sur le fond, le résultat sera le même et que si le produit est de bonne qualité, c'est certainement suffisant.

M. François Autain, président - A l'expérience, cela a l'air de fonctionner.

M. Daniel Vittecoq - Selon moi, ils n'ont pas complètement tort - mais cela n'engage que moi.

M. Alain Milon, rapporteur - La procédure des vaccins dits « maquette » qui a été utilisée pour deux des vaccins contre le virus H1N1 permet-elle une adaptation suffisante du vaccin aux caractéristiques du virus ? Est-ce en raison de l'élaboration des vaccins maquette contre le virus H5N1 qu'une double injection a été retenue contre le H1N1 ?

M. Daniel Vittecoq - Le H5N1 a été une vraie préoccupation compte tenu de la létalité - 50 % des gens touchés avec un risque d'adaptation de l'animal à l'homme.

M. Alain Milon, rapporteur - A-t-elle été prouvée ?

M. Daniel Vittecoq - Non, pas à ce jour. Il existe encore quelques cas d'élevages qui sont touchés mais de façon anecdotique. Dans beaucoup de pays émergents qui vivent dans des conditions défavorisées, les conditions de sécurité sont améliorées. Le risque de transmission à l'homme est vraiment plus faible.

On avait souhaité développer un vaccin contre le H5N1. Ce virus pose des problèmes d'immunogénicité. L'immunité antigrippale - c'est peut-être aussi pour cela que les Américains s'affranchissent de cette thèse de l'immunogénicité - est un phénomène obscur. J'espère que cette pandémie amènera quelques éclairages. Ce n'est pas comme pour l'hépatite B où l'on sait que si le taux d'anticorps est supérieur au 10 e , on n'en développera jamais. Pour la grippe, on ne sait pas exactement ce que sont les anticorps que l'on étudie. Il faut savoir en outre s'ils sont adaptés au virus en question.

Pour le H5N1, on sait de façon certaine que, pour induire un taux d'anticorps correct, il faut donner beaucoup plus d'antigène ; ne pouvant en donner des quantités énormes, on a donc ajouté un adjuvant. Tous les essais sur le H5N1 ont montré que si l'on adoptait les procédures normales, on n'aurait pas la couverture nécessaire. Il a fallu monter la charge des deux côtés de l'Atlantique. On a mis beaucoup plus d'antigène avec un adjuvant. Une seule injection n'étant pas suffisante, on en avait prévu deux. On était alors heureux d'avoir un vaccin avec des données « safety » correctes.

L'EMA, après un long débat auquel la France a participé, a donc prévu d'appliquer cette démarche quel que soit le virus.

M. François Autain, président - Il est très rare que l'on préconise une double injection dans le cadre d'un vaccin antigrippal.

M. Daniel Vittecoq - Le vaccin maquette H5N1 préconisait deux injections.

Un enregistrement « au fil de l'eau » avait été décidé en fonction du résultat des études. Les résultats de la première injection ont permis d'atteindre un taux d'anticorps globalement satisfaisant. Rétrospectivement, la deuxième injection n'a pas apporté davantage.

Au niveau français du GTA et de la commission d'AMM - la décision étant cependant prise par la task force - une injection paraissait suffisante.

M. François Autain, président - A quelle époque l'avez-vous su ?

M. Daniel Vittecoq - En septembre-octobre.

M. Alain Milon, rapporteur - Non, on a lancé les vaccinations le 15 octobre.

M. François Autain, président - C'était en septembre pour l'EMA.

M. Daniel Vittecoq - En septembre, on s'est engagé vers une procédure d'AMM. Les industriels pouvaient donc commencer à produire. En pratique, on a eu les résultats vingt et un jours avant les résultats de la deuxième dose. Cela nous paraissait suffisant.

Si nous avions été dans le cadre d'une procédure nationale, je pense que nous aurions dit qu'une seule injection paraissait suffisante dans un premier temps.

Nous sommes dans un circuit européen ; nous sommes obligés de tenir compte de l'avis de l'ensemble des pays. Pourquoi l'Europe a-t-elle fait le choix des deux doses proposées par la task force et cautionnées par le CHMP ?

Pour deux raisons : il fallait attendre plus de résultats et avoir une meilleure réponse.

Autre élément : la pathogénicité de ce virus paraissant bien mystérieuse, on se demandait si la double injection ne permettrait pas d'éviter les cas graves.

Un autre élément très complexe a parasité le débat : le pourcentage de jeunes patients ayant des anticorps H1N1 non vaccinés était très largement supérieur à ce que l'on avait estimé.

M. François Autain, président - Même chez les jeunes ?

M. Daniel Vittecoq - Les très jeunes enfants n'avaient aucun anticorps mais les 3-17 ans en avaient. Cela a beaucoup parasité le débat.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourriez-vous nous faire parvenir les pourcentages de jeunes ?

M. Daniel Vittecoq - Je vous le ferai parvenir mais vous les avez sur le site de l'EMA.

M. Alain Milon, rapporteur - On peut les rechercher...

Les études post-AMM demandées sur les vaccins contre le virus H1N1 ont-elles été différentes de celles demandées pour d'autres vaccins et quelle était leur nature ?

M. Daniel Vittecoq - Elles ont été beaucoup plus importantes, particulièrement dans les plans de gestion du risque, avec le suivi des cohortes, etc.

Nous pensions que la population se ferait largement vacciner. Il y avait à la fois une part de bénéfice et une part de risque. On voulait évaluer celui-ci. L'Agence européenne l'a fait et la France l'aurait fait de toute façon. Elle a même fait plus que ce qui était demandé par l'Europe. Par ailleurs, on incitait fortement à se faire vacciner. Il s'agissait donc d'avoir le sens des responsabilités, sur des items très particuliers, dont le syndrome de Guillain-Barré ou sur tous les aspects gynécologiques et obstétriques. Le suivi a donc été très attentif.

M. Alain Milon, rapporteur - Y a-t-il eu beaucoup de complications graves ?

M. Daniel Vittecoq - Il y en a eu à hauteur de ce qui est généralement attendu. Pour ce qui est du syndrome de Guillain-Barré, dont la fréquence est de l'ordre de 3 pour 100 000 dans la population générale, c'est ce qui a été observé au regard de la population vaccinée. Il n'y a donc pas eu d'augmentation du nombre de syndrome de Guillain-Barré durant cette période. Je crois que c'est fini aujourd'hui sinon on l'aurait su.

M. Alain Milon, rapporteur - Y a-t-il eu des convulsions hyperthermiques ?

M. Daniel Vittecoq - Certaines nous ont été rapportées mais pas de façon excessive. Le rapport de pharmacovigilance qui est sur le site de l'AFSSAPS est selon moi très complet.

Si on pouvait au moins sortir de cette pandémie avec l'idée que ces vaccins ne sont pas si dangereux, ce serait une bonne chose.

M. Alain Milon, rapporteur - Enfin, comment sont gérés les liens d'intérêts entraînant des conflits au sein de la commission d'AMM ? Une évolution des procédures vous paraît-elle souhaitable ?

M. Daniel Vittecoq - C'est un débat récurrent et je savais donc que vous me poseriez la question. J'ai déjà comparu devant une commission de votre Assemblée au moment Vioxx.

Depuis cinq ou six ans, et notamment sous l'impulsion du directeur général, M. Jean Marimbert, la politique de gestion des conflits d'intérêts à l'AFSSAPS est devenue plus claire. Il en va de même des experts. C'est le souhait de la direction générale, de l'AFSSAPS, du ministère, le vôtre, celui du peuple de clarifier les choses.

Les procédures sont claires. Les experts déclarent leurs conflits d'intérêts. Il existe un niveau de gradation qui est globalement respecté.

Pour ce qui est de la commission d'AMM, j'ai décidé, depuis ma prise de fonction, que les membres n'assisteraient plus à une séance s'ils n'avaient pas une déclaration actualisée. Toutes les déclarations sont donc normalement à jour. En tant que président, je ne peux pas étudier toutes les déclarations mais on part du principe que les acteurs sont honnêtes. Ils font une déposition sous serment. Toutes les déclarations d'intérêts sont donc selon moi respectées.

M. François Autain, président - Cela s'est beaucoup amélioré, c'est vrai !

M. Daniel Vittecoq - C'est un exercice difficile et je rends hommage au travail fait par M. Jean Marimbert. Les experts membres des groupes de travail en ont pris ombrage un moment. Aujourd'hui, le discours est complètement inversé ; selon moi, le débat sur le Vioxx y a beaucoup aidé, ainsi que le débat sur la grippe. Les experts de l'AFSSAPS en ont assez de ces débats sur les conflits d'intérêts. Ils existent ou non. On a assaini, on fait nos déclarations et c'est à l'institution de trancher.

Aujourd'hui, à la commission d'AMM, une personne est responsable de cette question. Quand les membres s'expriment et qu'il existe un conflit d'intérêts, je suis informé. Les gens respectent cette procédure. Il existe même un problème avec les membres qui sortent de séance : on a parfois du mal à savoir s'ils sortent pour un besoin naturel ou parce qu'il y a un conflit d'intérêts. Heureusement, le tableau qui est en ma possession me permet de le dire.

Dans ma sphère de responsabilités, je pense que les choses sont claires aujourd'hui

M. Marc Laménie - Certes, la preuve de la réactivité a été faite mais quelles sont, selon vous, les insuffisances ? Quel système serait plus adapté ?

M. Daniel Vittecoq - Je crois que le système a été opérationnel dans sa globalité et au niveau européen, ce qui n'est pas rien du point de vue de la construction européenne.

Je suis plus réservé sur le fonctionnement de la task force qui était un groupe de travail satellite du CHMP recevant toutes les informations et se réunissant quotidiennement, contrairement à nous. Le CHMP s'est probablement beaucoup appuyé sur cette task force sans forcément nuancer ses avis. Cela a pu « squeezer » les échelons nationaux.

C'est un élément à prendre en compte dans la façon dont cela fonctionne. On nous avait demandé si nous étions satisfaits du système à deux doses. Nous avions donné une réponse. Nous aurions pu être entendus de façon différente. Cela n'a pas eu de conséquences sur la pandémie...

M. François Autain, président - Si, pour l'achat des vaccins. On en a acheté deux fois plus !

M. Daniel Vittecoq - C'est une donnée très tardive. J'imagine que les achats se sont faits largement en amont.

Cela aurait pu clarifier cette période compliquée pour la DGS. Les choses auraient peut-être été différentes pour l'intendance.

M. François Autain, président - Avec une seule dose, on aurait eu besoin non de 94 millions mais de la moitié ! Plus tôt on l'aurait su, mieux cela aurait été.

Le GPA ne double-t-il pas l'AMM ? Quelle est son utilité ?

M. Daniel Vittecoq - La commission d'AMM est un ensemble de personnes dont vous devez avoir la liste. Elle s'appuie, pour rendre ses conclusions, sur des avis déjà digérés. Le GTA fait un travail de déblayage mais il ne peut modifier une AMM d'un antibiotique suivant la procédure nationale.

C'est l'articulation entre le GTA, l'AMM et l'Europe qui mériterait peut-être d'être affinée.

M. François Autain, président - Pourquoi ne pas intégrer purement et simplement le GTA à la commission d'AMM ?

M. Daniel Vittecoq - Il en fait partie mais de façon informelle. Il nous arrive aussi de parler de questions d'actualité. On approuve les relevés des groupes de travail ; si l'un d'eux se sent en difficulté, il en réfère à la commission d'AMM. Ces groupes ont une certaine autonomie pour piloter un dossier.

M. François Autain, président - Combien avez-vous d'experts sans lien dans votre commission ?

M. Daniel Vittecoq - Je ne crois pas qu'il y en ait.

M. François Autain, président - Pensez-vous que ce soit un handicap de ne pas avoir de lien d'intérêts ?

M. Daniel Vittecoq - On a besoin, pour rendre des avis autorisés, de personnes qui ont l'expérience d'une pathologie, d'un traitement, etc. Je sais que la tendance de la HAS est de choisir des experts sans conflit d'intérêts mais, pour des thématiques très complexes, comme le VIH ou l'antibiothérapie nosocomiale, il est très difficile de faire appel à des personnes qui n'ont pas d'impact dans la spécialité.

M. François Autain, président - Vous pensez que des cliniciens, des hommes de terrain, ne pourraient pas avoir leur mot à dire sur certains médicaments par rapport à d'autres qui leur ressemblent étrangement et qui ont une certaine expérience ?

Je sais que l'essentiel de votre travail est de mettre sur le marché des « me too », des médicaments qui ont déjà leur équivalent. Selon les chiffres qui sont en ma possession, il existe un grand nombre d'AMR 5. Je sais que vous ne vous en apercevez pas à votre niveau mais faut-il vraiment une très grande technicité pour évaluer des « me too » ?

Je suis d'accord quand il s'agit de maladies très pointues, comme le VIH, mais est-ce le cas pour un nouveau traitement anti-épileptique, comme le Lyrika, qui n'est pas plus efficace que les anti-épileptiques qui existent déjà et que l'on met sur le marché pour le vendre deux fois plus cher ? La nécessité d'un expert ayant de multiples liens d'intérêts ne me paraît pas indispensable. Une personne de bon sens, qui n'a pas de liens d'intérêts mais qui a fait ses études de médecine, qui a fait du terrain et qui connaît son travail, serait peut-être d'un secours précieux pour ceux qui sont trop hospitaliers, trop expérimentateurs. Cela permettrait de réaliser un équilibre qui, à l'heure actuelle, n'existe pas ! C'est peut-être une idée un peu farfelue...

M. Daniel Vittecoq - Non, elle a du sens. Je pourrai même la compléter mais comment allez-vous évaluer que le médicament qui arrive est un « me too » ou non ?

M. François Autain, président - C'est la commission de la transparence qui fait ce travail mais on n'a pas besoin d'avoir des connaissances très poussées pour voir dans le dossier qu'il s'agit d'un « me too ». Dès l'AMM, vous devez le savoir !

M. Daniel Vittecoq - Aujourd'hui, les progrès de l'évaluation interne de l'AFSSAPS sont tels que l'on pourrait se passer de l'évaluation des « me too » par la commission d'AMM. Réglementairement, il le faut et cela se passe donc ainsi.

Sur le fond, ce qui motive l'ensemble des acteurs de l'AMM, dont moi-même, ce sont les progrès thérapeutiques.

M. François Autain, président - Pensez-vous qu'on ne pourrait pas vivre sans « me too » ?

M. Daniel Vittecoq - Bien sûr que si, par définition mais ce n'est pas moi qui les fais !

M. François Autain, président - On fera une commission d'enquête sur les « me too » ! C'est un sujet trop vaste et qui est étranger à l'objet de cette commission.

Plus personne ne demandant la parole, il me reste à vous remercier pour votre contribution qui nous sera certainement très utile.

Audition de M. Philippe KOURILSKY,
professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'immunologie moléculaire, membre de l'Académie des sciences
(mercredi 23 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'immunologie moléculaire, membre de l'Académie des sciences.

Conformément aux termes de l ' article 6 de l ' ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe Kourilsky prête serment.

M. François Autain, président - Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Philippe Kourilsky - Je n'ai pas de lien à l'heure actuelle, mais j'en ai eu par le passé, puisqu'entre 1993 et 1996, j'ai été directeur des recherches de Pasteur-Mérieux-Connaught qui est devenu Sanofi Pasteur, une des plus grandes entreprises de vaccins.

Je précise également que de 2000 à 2005, j'ai été directeur général de l'Institut Pasteur, lequel a des liens avec l'industrie pharmaceutique, notamment l'industrie du vaccin, puisque l'institut est lié notamment à Sanofi Pasteur par une convention qui est un droit de première information sur les productions de sa recherche, et cette convention s'accompagne de quelques retours.

A l'heure actuelle, je n'ai aucun lien avec l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions que vous posera M. Alain Milon, le rapporteur. Monsieur le professeur, vous avez la parole.

M. Philippe Kourilsky - Je dois vous dire que j'ai été un peu surpris d'être appelé.

M. François Autain, président - Vous avez, à une certaine époque, au siècle dernier, commis un rapport à la demande du Premier ministre sur le principe de précaution. Vous savez qu'on a, à tort ou à raison, invoqué ce principe, à propos de la grippe H1N1. Nous avons pensé, peut-être à tort, que vous étiez un spécialiste dans ce domaine. Je pense toutefois que nous avons eu raison.

M. Philippe Kourilsky - C'est vous qui en jugerez. J'ai été à l'époque un spécialiste du principe de précaution. Je ne suis plus sûr de l'être, puisque ce rapport date de 1999. Il a été rédigé avec une éminente juriste, Mme Geneviève Viney, et remis à M. Lionel Jospin, alors Premier ministre.

Je vous décrirai mes compétences qui sont avant tout des compétences de chercheur en immunologie. L'immunologie est proche de la vaccination, pas assez proche d'ailleurs, à mon avis, parce que la vaccination est restée une science relativement empirique.

J'ai également, comme je vous l'ai indiqué, une petite compétence ancienne dans le domaine de l'industrie du vaccin. Je pourrai m'en expliquer si vous le souhaitez.

J'ai par ailleurs quelques compétences en matière d'organisation de la recherche, puisque la direction de l'Institut Pasteur m'a amené à interagir avec la plupart des grands organismes de recherche et des ministères compétents.

En 2006, j'ai rendu un deuxième rapport au Gouvernement, sur l'optimisation que pouvait faire la France de ses moyens en matière de lutte contre les maladies infectieuses dans le monde, notamment dans les pays en développement, rapport qui fut rendu aux trois ministres des affaires étrangères, de la recherche et de la santé.

Comme vous l'avez indiqué, j'ai travaillé sur le principe de précaution. J'ajouterai pour finir, ce qui est de l'ordre du détail, que j'ai publié récemment un livre sur l'altruisme. Il y a dans la vaccination un aspect altruiste qui a fait que j'ai été invité à m'exprimer sur cette vaccination, sur le cas de H1N1, sur quelques plateaux de télévision ou de radio.

Si vous voulez, je commencerai le bref exposé auquel vous m'invitez par quelques remarques sur le principe de précaution. C'est évidemment, chacun le sait, un principe important du droit, mais très difficile à gérer, à manipuler. La représentation nationale s'en fait l'écho de façon assez régulière. Dans le rapport rendu il y a une dizaine d'années, Mme Geneviève Viney et moi-même avons donné un exposé essentiellement procédural sur le principe de précaution. La question est de suivre un certain nombre de procédures. Ces procédures doivent être raisonnables. Le principe d'ailleurs fait appel à la raison à peu près à toutes les étapes de sa définition et de son exécution, puisque les moyens dévolus à la précaution doivent être pondérés. Il faut faire preuve de raison à toutes les étapes, mais il faut également faire preuve d'une certaine rigueur procédurale, de façon à bien cadrer les problèmes et ce qui en découle, notamment en termes de dépense publique.

En l'espèce, et en ce qui concerne la vaccination H1N1, je voudrais marquer une différence entre l'utilisation de la prévention qui représente une quasi-obligation et l'exercice du principe de précaution. Dès lors que l'épidémie et la pandémie ont été avérées et qu'il a été avéré et prouvé qu'une nouvelle souche virale circulait et qu'elle causait des morts en Amérique du Sud, il est évident qu'il ne s'agissait plus d'un risque hypothétique, qui est le coeur même du principe de précaution, mais d'un risque avéré. Là, nous sommes dans la prévention.

En santé publique, quand on est dans la prévention, il faut prendre les moyens de la prévention. De mon point de vue, il était absolument logique, normal et impératif que le pays s'équipe pour vacciner, comme l'OMS l'avait recommandé. Le seul problème est que la souche était nouvelle. Il n'y avait pas d'anticipation. Il fallait produire les vaccins.

Pour dire les choses autrement et pour poser la question a contrario , il eût été criminel de ne pas s'équiper pour vacciner en sachant que, bon an mal an, on attendait plusieurs centaines de morts, provoquées par une nouvelle souche virale qui circulait. On était donc dans une obligation de prévention. Je ne crois pas, sur ce point, qu'il y ait beaucoup de débats possibles.

Il peut y avoir débat sur l'ampleur des moyens. J'en arrive à l'aspect précaution de cette opération. Ce dernier résidait dans la probabilité, faible mais significative, que le virus mute, devienne beaucoup plus dangereux. Là, on était bien dans l'hypothèse de risque et non pas dans le risque avéré. On était donc bien dans le principe de précaution, alors que l'obligation de vacciner était sur la table. La vaccination pour prévenir les infections par ce virus était une affaire de prévention. Le fait de s'équiper contre quelque chose de beaucoup plus brutal et létal, éventuellement en termes d'attaque virale, faisait partie de la précaution.

A partir de ces éléments, je pense que la question de la vaccination doit être décomposée en deux, que les coûts associés à la vaccination doivent être évalués selon ces deux tranches. Une des questions qu'on peut poser est de savoir si on en a trop fait concernant la précaution, la manière de se prémunir contre la mutation possible de ce virus qui deviendrait à ce moment-là, comme on l'a trop dit et répété, aussi dangereux que le virus de 1918-1919. De toute façon, je le répète, il fallait agir au niveau de la prévention, il y avait donc certainement un socle indispensable.

M. François Autain, président - L'articulation que vous faites entre le principe de précaution et le principe de prévention mérite peut-être d'être explicitée. Vous avez bien indiqué qu'en matière de grippe H1N1, on était dans le principe de prévention, car le risque était connu, son niveau et la date de sa survenue approximative aussi.

Vous avez indiqué ensuite que nous passions au principe de précaution, lorsque nous parlions de mutation du virus. Je veux bien accepter cette distinction, mais dans la pratique qu'est-ce que cela impliquait comme différence de mesures à mettre en oeuvre, notamment en matière de vaccination par exemple ?

Si on se place dans le principe de prévention, on fait la vaccination anti-H1N1. En passant dans le principe de précaution, que fait-on de plus ? C'est la question que je me pose. Est-ce le même vaccin ou est-ce un autre vaccin ?

M. Philippe Kourilsky - C'est l'ampleur de la vaccination. Bien que H1N1 ne soit pas une grippe saisonnière, la campagne de vaccination, dans la logique de la prévention, était la même que celle d'une vaccination saisonnière.

M. François Autain, président - Alors, le Gouvernement ne s'est pas placé dans cette logique.

M. Philippe Kourilsky - Je parle de la première logique de prévention, qui était la base. L'application du principe de précaution amenait à vacciner la population de façon générale.

M. François Autain, président - C'est la différence.

M. Philippe Kourilsky - De toute façon, il fallait fabriquer du vaccin. On ne pouvait pas faire autrement. Outre l'ampleur de la vaccination, la question était de vacciner au mieux, ce qui impliquait les deux doses, d'après les recommandations initiales de l'OMS. Là, on était effectivement dans la précaution. Dans une grippe saisonnière, on aurait eu des instructions de vaccination plus légères.

M. François Autain, président - Je ne vois pas en quoi le fait qu'on vaccine la totalité de la population protège mieux d'une mutation que de n'en vacciner qu'un pourcentage.

M. Philippe Kourilsky - Il y a plusieurs manières de l'expliquer. Il y a plusieurs arguments. Je vous en donne un qui est tout simple et qui est un argument numérique. Quand vous avez un réservoir de virus, chacun d'entre nous peut en être infecté, même si nous n'avons pas de manifestation symptomatique grave. On peut être infecté par un virus de la grippe, faire une grippe assez mauvaise dont on se rend à peine compte.

Autre exemple : un individu primo-infecté par le VIH, le virus du sida, ne s'aperçoit pas très souvent qu'il est infecté. Il se sent un peu fatigué une dizaine ou une quinzaine de jours après l'événement infectieux. En fait, il est porteur de 10 puissance 14 particules virales, c'est-à-dire dix mille milliards de particules virales.

La vaccination atténue considérablement le phénomène, donc vous développez très peu de virus. A l'échelle d'une population, de la population française, au lieu d'avoir un réservoir potentiel de 60 millions de personnes bourrées de virus, vous en avez beaucoup moins. Du coup, la probabilité qu'un virus beaucoup plus méchant émerge est bien moindre.

Dans la vaccination générale, vous avez deux effets importants : le premier est le blocage de la dissémination ; le second est d'appauvrir, de diminuer la probabilité de mutation, par un effet de nombre, tout simplement.

M. François Autain, président - Lorsqu'on a affaire à un virus qui n'est pas très méchant comme le H1N1, et qu'une grande partie de la population contracte le virus, cela n'a-t-il pas le même effet qu'une vaccination générale ?

M. Philippe Kourilsky - Non, car les nombres ne sont pas les mêmes.

M. François Autain, président - Les gens ne sont pas protégés contre une mutation du virus, comme s'ils étaient vaccinés.

M. Philippe Kourilsky - Le deuxième élément est qu'on ne savait pas, au début, que le virus serait beaucoup moins dangereux qu'il n'apparaissait à Mexico. Au début, on a pensé que cela pouvait être beaucoup plus dangereux que cela.

La grippe saisonnière fait en France entre 1 000 et 3 000 morts par an. Là, il y en a eu 300. C'était moins que ce qu'on pouvait craindre, mais enfin 300 morts, ce n'est pas nul. La prévention était, quoi qu'il arrive, justifiée. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pourrez poser sur ce sujet.

J'en arrive à un deuxième point : pourquoi ce virus a-t-il été nettement moins dangereux que ce qu'on pouvait attendre ? Je n'ai pas de réponse certaine. Avant de venir, j'ai fait une petite revue de la littérature scientifique, puisque je suis immunologiste. Je pense qu'il existe une explication assez plausible, même si elle n'est pas certaine.

Vous avez en immunologie deux segments du système immunitaire dits adaptatifs.

L'un est relatif aux anticorps. Vous faites des anticorps contre les virus, contre les agents infectieux. Les anticorps sont neutralisants. En matière de grippe, il est généralement admis que ce sont les anticorps qui, réellement, nettoient l'infection.

On sait également que le deuxième segment, qui s'appelle l'immunité cellulaire est un élément qui atténue la gravité de l'infection par des mécanismes qui font intervenir des cellules, dont les « cellules tueuses » ou CTL. Il s'agit de l'immunité cellulaire, laquelle est de nature à atténuer la force de l'infection.

Tout repose sur le problème suivant. On peut mesurer les anticorps très facilement. Des automates mesurent maintenant des centaines et des milliers d'échantillons. Analyser les réponses anticorps est quelque chose de facile, efficace et précis.

Analyser les réponses cellulaires est beaucoup plus difficile, ceci étant singularisé par le fait qu'elles sont typées selon les individus par ce qu'on appelle le HLA, sorte de carte d'identité immunitaire. On se souvient que le regretté Jean Dausset a eu le Prix Nobel pour la découverte du HLA, il y a une quarantaine d'années.

L'immunité cellulaire est très difficile à étudier. Elle est difficile à mesurer. Il n'existe pas beaucoup de mesures de l'immunité cellulaire, beaucoup moins que les mesures d'anticorps. La recherche à tous les niveaux - au niveau fondamental comme au niveau épidémiologique - est beaucoup moins solide sur l'immunité cellulaire qu'elle ne l'est sur l'immunité fournie par les anticorps.

Un certain nombre de résultats sont cependant disponibles. Des articles sont parus pendant l'année 2009 et certains au début de l'année 2010. Un bon article est sorti dans les Proceedings of the National Academy of Sciences aux Etats-Unis. Celui-ci fournit des indications intéressantes sur le fait que l'immunité cellulaire, que l'on a pu mesurer a posteriori , donnait pas mal de réactivité croisée avec le virus H1N1. Je veux dire que les individus qui avaient été exposés au virus saisonnier montraient des niveaux de réaction croisée avec le virus H1N1 qui étaient non négligeables. J'ai l'article. Si vous le voulez, on peut le verser au dossier, si cela intéresse des spécialistes. Je trouve cet article bien fait et assez convaincant.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, vous avez l'article avec vous. Pourrez-vous nous le laisser ?

M. Philippe Kourilsky - Je l'ai apporté pour vous. Je pense que c'est une explication plausible, même si elle n'est pas démontrée. Nous sommes tenus d'être constructifs pour l'avenir. Une des propositions que l'on peut faire est d'avoir plus de recherches sur cette question de l'immunité croisée au niveau essentiellement cellulaire, puisqu'il y a une chance que l'explication du phénomène se trouve là.

Cela amène plusieurs questions. Tout d'abord, pourquoi ces recherches n'ont-elles pas été faites suffisamment avant ? Je vous ai donné une des explications : c'est difficile à réaliser.

Je peux vous donner une autre référence qui est extraordinaire : celle du vaccin, malheureusement avorté, contre le sida. Il y a seulement vingt ans, on était incapable de mesurer l'immunité cellulaire. C'est donc tout à fait récent. Cela amène une autre question en matière de développement de vaccins.

Les standards de développement sont tous plus ou moins fondés sur les anticorps. On décrète qu'un vaccin est efficace lorsqu'il donne un certain degré d'anticorps neutralisants. Ces décrets et ces normes sont ceux qui sont endossés par les fabricants de vaccins à la suite des autorités de santé. Le système est borné par ces standards. Je pense qu'il y a sans doute une réflexion à mener pour essayer de faire doucement évoluer ces standards, sachant que l'aspect de l'immunité cellulaire que j'évoque est techniquement ardu.

Considérant maintenant ce qui s'est produit en France en termes de vaccination, je dois dire que j'ai été scandalisé par l'attitude des médecins. Je le dis très franchement. Je l'ai dit à la télévision et je peux le dire devant vous avec une égale simplicité.

M. François Autain, président - Nous sommes médecins tous les deux, mais ce n'est pas grave.

M. Philippe Kourilsky - Je veux parler de certains médecins et infirmiers. J'ai été scandalisé lorsque j'ai entendu certains médecins dire que ce vaccin était inutile, qu'il ne servait à rien de se faire vacciner et que la grippe n'était pas dangereuse. J'en reviens à mon discours sur l'altruisme. Si on se vaccine, ce n'est pas uniquement pour se protéger, c'est aussi pour protéger les autres, puisqu'on aide à bloquer la dissémination du virus. Même si vous ne faites qu'une grippe banale, qui n'est pas mortelle, vous êtes vecteur de virus qui peuvent être mortels pour vos voisins.

Les chiffres généralement admis sont bien connus. On admet qu'il faut vacciner 85 % de la population pour arriver à bloquer totalement la transmission d'un virus. C'est le chiffre standard qu'on lit dans les manuels. A 80 %, cela va encore, mais à 50 % cela ne va plus. Vous noterez que cela laisse une marge pour ceux qui ne veulent pas se faire vacciner. On sait bien que, dans notre pays comme dans d'autres, il y a des gens pour qui la vaccination n'est pas recevable, qui obtiennent des dispenses de vaccination, même quand celle-ci est obligatoire. Le bien public s'en accommode, dès lors que cela ne dépasse pas les 10 ou 15 %.

Cette attitude des médecins disant qu'ils ne se feraient pas vacciner, car cela ne sert à rien, m'a absolument scandalisé. Je voudrais rappeler un épisode très intéressant qui s'est produit en Grande-Bretagne il y a une vingtaine d'années. Malheureusement, je n'ai pas recherché les documents et je ne suis pas sûr qu'ils soient facilement accessibles.

Il s'est produit un épisode de rumeurs, très intéressant d'ailleurs en tant que phénomène sociologique, selon lequel la vaccination ROR (rougeole, oreillons, rubéole) était associée à l'autisme. Cela a beaucoup surpris les scientifiques comme moi, car il n'y avait vraiment aucun lien logique imaginable. Ceci étant, en sciences, nous sommes habitués à découvrir des liens logiques qu'on n'avait pas imaginés. Ce n'est pas une raison pour condamner l'hypothèse, sauf qu'elle a été condamnée a posteriori , parce que les statistiques ont montré qu'il n'y avait aucune association entre l'autisme et la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole.

Ce qui s'est produit est intéressant : les autorités britanniques, si ma mémoire est bonne, ont suspendu la recommandation de vacciner. Ceci a eu pour conséquence que la population s'est fait beaucoup moins vacciner. Quelque temps après, des foyers de rougeole se sont déclarés. Un certain nombre de gamins ont dû mourir ou être très sévèrement atteints de rougeole.

Du coup, les autorités britanniques ont voulu remettre la vaccination en route, mais cela ne marchait plus, car la population s'était habituée à l'idée qu'il y avait un problème. Les campagnes de publicité, m'a-t-on dit, n'ont pas donné les résultats attendus. Ce qui a vraiment donné un résultat, c'est lorsqu'on a payé les médecins pour qu'ils vaccinent. Je ne ferai pas de corrélation directe avec ce qui s'est passé en France, mais je me souviens que les négociations pour que les médecins se livrent à la vaccination avaient un petit enjeu financier attaché.

M. François Autain, président - Je vais passer la parole à notre rapporteur pour qu'il vous pose un certain nombre de questions.

M. Alain Milon , rapporteur - Certaines de mes questions vont recouper les principes de précaution et de prévention, et même l'immunité croisée cellulaire. Même s'il y a des redites, nous les écouterons volontiers, et toutes vos précisions seront utiles pour nous. Je vais vous poser neuf questions, l'une après l'autre, de manière à pouvoir établir un échange entre nous.

Plusieurs personnes ici même nous ont affirmé que le risque lié à l'apparition d'un nouveau virus de type H1N1 était qu'il mute et conduise à une deuxième vague meurtrière, comme le virus de la grippe espagnole. Avez-vous une opinion sur ce sujet ? J'imagine que oui.

En tant qu'immunologiste, pensez-vous que la vaccination A (H1N1) aurait pu protéger contre un A (H1N1) muté ? Vous avez dit tout à l'heure que oui. Une mutation de virus l'aurait-elle nécessairement rendu plus virulent ?

M. Philippe Kourilsky - Les mutations sont aléatoires. Un virus comme le virus de la grippe mute à haute fréquence, pas aussi vite que le virus du sida, mais il mute beaucoup, par des mécanismes qui ne sont pas tout à fait les mêmes d'ailleurs. Lorsqu'on se met à son bureau muni d'une feuille de papier et d'un crayon, et qu'on calcule les probabilités de mutation, on se dit que c'est tout à fait possible. L'idée de précaution de vacciner en masse m'a paru tout à fait logique.

Je vous dirai avec une égale honnêteté et franchise que j'ai trouvé qu'on en rajoutait un peu de temps en temps, en matière de risque. La communication, à tort ou à raison, a pris une sorte de dimension qui tentait de faire peur, mais on vit mal avec des probabilités. Si on vous dit que vous avez une probabilité de mutation d'1 sur 10, 1 sur 1 million ou 1 sur 1 milliard, de toute façon, vous ne retenez qu'une chose : il y a une probabilité. C'est très compliqué à gérer en communication et en vécu. Encore une fois, oui, pour moi, il était tout à fait possible, plausible qu'il y ait mutation.

M. François Autain, président - Une mutation a-t-elle forcément pour effet d'aggraver le risque que représente ce virus, de le rendre plus virulent ? Est-ce une fatalité ou est-ce un phénomène aléatoire ? Ce n'est pas parce qu'un virus mute qu'il est forcément plus grave que l'objet de la mutation.

M. Philippe Kourilsky - Absolument. Il y a une imprécision de langage, c'est-à-dire que dans les milliers de mutations qui se produisent, de toute façon, un petit nombre pouvait donner ce phénotype aggravé. Il y a d'autres mutations qui peuvent donner un virus moins dangereux, mais on ne voit pas ces mutations, parce qu'elles ne se répandent pas. Celles qu'on observe sont celles qui rendent le virus nettement plus dangereux.

M. Alain Milon , rapporteur - Comment peuvent s'expliquer les cas graves, spécialement chez les personnes qui, a priori , n'avaient aucun facteur de risque ?

M. Philippe Kourilsky - Je ne sais pas vous répondre. Je peux simplement vous dire que l'état global de la science sur cette question est de tenter de déchiffrer ce que les médecins appellent « le terrain », et ce que les biologistes moléculaires essaient de trouver dans les séquences des gènes.

On prend deux individus au hasard et on séquence leurs génomes complets. Nos génomes ont 3 milliards de paires de bases. Prenons deux d'entre nous au hasard : il existe plusieurs millions de bases de différence. On sait que, dans certains cas, certaines de ces différences sont associées à des différences de sensibilité, qui sont explicables par des différences de réactivité du système immunitaire, les différences du HLA incidemment.

Un très bel exemple de cela a été produit par l'un de nos collègues à l'hôpital Necker, qui travaillait sur les quelques cas d'enfants vaccinés contre la tuberculose avec le BCG et qui développent une BCGite. Le vaccin, comme vous le savez, est un vaccin vivant. Chez 99,99 % de la population, on vaccine, et c'est tout. Chez certains de ces enfants, cela provoque une maladie, la BCGite. Une petite cohorte a été constituée. Un certain nombre de gènes ont été analysés : le résultat est tout à fait frappant et démonstratif. Tous ces enfants qui développent une BCGite sont des mutants.

En fait, la vaccination révèle une immunodéficience qui n'était pas visible, parce qu'elle était faible. Le terrain, c'est cela. Ce cas est extrême. Il y a beaucoup de différences possibles dans la sensibilité à tel ou tel agent infectieux. On est au tout début d'une recherche qui débouchera dans les dix à vingt ans qui viennent.

M. Alain Milon , rapporteur - Que pensez-vous de l'abandon de la vaccination par le BCG ? Cela n'a rien à voir avec notre commission.

M. Philippe Kourilsky - Si on l'abandonne, on ferait mieux de trouver autre chose rapidement. La vaccination n'est plus obligatoire. On est très démuni devant les tuberculoses multirésistantes aux antibiotiques, et ceci est inquiétant.

M. Alain Milon , rapporteur - Certains doutent qu'il ait été rationnel de fonder un plan de pandémie sur l'idée que le H5N1 devenu transmissible d'homme à homme serait aussi virulent que le H5N1 actuel. Que pensez-vous de cela ?

M. Philippe Kourilsky - Ce n'était pas absurde. Encore une fois, on est dans un champ de probabilité. On ne sait plus où le bon sens doit fonctionner. J'aurais tendance à vous dire qu'en matière de principe de précaution, pour le segment qui touche à la précaution par rapport à la prévention, la logique, me semble-t-il, est que le surcoût, tel que je l'ai défini, même approximativement, doit faire l'objet d'une attention très particulière de la part de la puissance publique.

Que se passe-t-il en réalité ? Ce surcoût de la précaution est une sorte d'assurance. Nous acceptons de payer une assurance contre l'incendie de notre maison ou de notre appartement. Si l'assurance est trop chère, cela ne marche plus. Le problème des coûts de l'assurance est un problème posé. Le point auquel je veux arriver est que le débat public sur cette question de l'assurance en matière de santé publique est très difficile.

J'en veux pour preuve qu'une des notions basiques qui doit être utilisée dans le débat public est, en gros, le coût de la mort. Où voyons-nous dans les journaux le coût de la mort ? Il y a une vingtaine ou une trentaine d'années, des études dans les journaux mentionnaient le coût de la mort. On comparait le coût de la mort par le nucléaire, au coût de la mort par ceci ou par cela.

La question a complètement quitté le langage public. Le problème de la discussion publique à propos des mesures de précaution est important et essentiel. Aborder le coût de la mort est devenu extrêmement difficile, car c'est une espèce de tabou auquel on ne sait pas très bien répondre.

M. François Autain, président - D'autant plus, monsieur le professeur, que dans l'article 5 de la charte de l'environnement, il est bien dit qu'on ne connaît pas le risque, mais on doit prévoir des mesures qui soient proportionnées au risque. Je ne l'avais pas votée d'ailleurs. Il faut l'interpréter, si j'ai bien compris.

M. Alain Milon , rapporteur - Un plan pandémique H5N1 a été mis en place. Pour lutter contre la pandémie H1N1, les autorités se sont appuyées sur ce plan H5N1. Au fur et à mesure de l'évolution sur le terrain de la pandémie grippale, on s'est aperçu que ce plan était un peu trop puissant par rapport à ce qui se passait sur le terrain. On s'est trouvé pratiquement dans l'impossibilité de revenir en arrière et de freiner le plan mis en place. Ceci est dû à la définition donnée par l'OMS d'une pandémie.

Pensez-vous qu'il faudrait essayer de mettre en place différents types de plan en fonction de la gravité du virus, au fur et à mesure de son invasion sur la population ?

M. Philippe Kourilsky - Je suis assez peu compétent. En d'autres termes, je ne suis pas un expert en santé publique. Je fais plutôt de l'immunologie en laboratoire. Je marque mon niveau de compétence. Il me semble qu'il est bien, premièrement, d'avoir des plans. Au moins un. Or, il m'a semblé que nos écoles, nos différentes corporations n'étaient pas forcément « dans les clous » en matière de plans. Le bénéfice important de cette campagne a été d'inciter un certain nombre de corps constitués à mettre leurs plans à jour.

Ensuite, faut-il avoir plusieurs plans ? En théorie, oui, mais encore une fois, c'est déjà bien d'en avoir un seul. Très franchement, j'ai cru constater par endroit que ce n'était pas en ordre du tout. Je me suis demandé d'ailleurs si l'un des objectifs de l'Organisation mondiale de la santé - c'est une pure spéculation - n'était pas justement d'inciter à remettre un peu en ordre les affaires de la santé publique, au niveau basique : des sortes d'instructions de conduite élémentaires à convenir dans les cas d'infection. Je me suis posé la question, mais c'est une pure spéculation.

M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas qu'un plan comme le nôtre, d'ailleurs rectifié en juin 2009 - c'est donc très récent -, qui prévoyait une pandémie avec 200 000 morts, est contreproductif quand on s'aperçoit que cette pandémie ne fait que 300 morts ?

Nous voulons attirer votre attention sur ce point : n'est-il pas contreproductif de prévoir des plans avec des mesures qui sont disproportionnées par rapport aux risques ? C'est le vrai problème. Il me semble que le plan mis en place était prévu pour le H5N1, et pas pour le H1N1, le premier étant autrement plus virulent, s'il était passé chez l'homme.

M. Philippe Kourilsky - J'avais compris que les plans étaient gradués. Je croyais qu'ils l'étaient. Sur le principe, vous avez évidemment raison. J'ai mis un peu de temps à comprendre ce phénomène. La logique de la protection en cas de pandémie est une logique de fermeture, comme en matière militaire. Cela amène à fermer les frontières. C'est ce qui s'est produit pour le SRAS. On a vu à quelle vitesse un virus pouvait se diffuser et à quel point les techniques de fermeture, les instructions de renfermement ont été relativement efficaces.

Mais la logique de fermeture comporte des risques énormes. En fermant tout, si quelqu'un est victime d'un infarctus dans son appartement, il n'y aura plus personne pour aller le chercher. Evidemment, il y a des points d'équilibre. Même en termes de santé stricte, la paralysie du système de santé est un risque si le plan est mal conçu.

M. Jean - Jacques Jegou - Monsieur le professeur, il est très intéressant de vous avoir entendu sur le principe de précaution et le principe de prévention. Vous avez même eu des mots très forts : il était criminel de ne pas faire de vaccination et de ne pas se préparer à la vaccination.

Si on peut imaginer que le Gouvernement s'est bien préparé, que ce soit par l'acquisition de vaccins et par la mobilisation d'un certain nombre de ses services, on peut se demander pour quelle raison les Français n'ont-ils pas répondu, sinon massivement, mais de manière plus sensible. Vous avez évoqué le message contraire des médecins, pour des raisons que vous avez très pudiquement indiquées et qui me paraissent frappées au coin du bon sens.

Les messages du Gouvernement ont-ils été pour vous suffisants ? Dans les premiers temps, il y a eu une précipitation dans les centres de vaccination. Très vite, ensuite, il y a eu le sentiment dans l'opinion qu'il s'agissait d'une grippe de moindre gravité que la grippe saisonnière. Quelque chose s'est-il fait ou ne s'est-il pas fait qui a conduit à ne vacciner qu'un peu plus de 5 millions de personnes ?

M. François Autain, président - Je voudrais compléter la question de mon collègue. Pensez-vous que c'est par manque d'altruisme que les Français ne se sont pas précipités vers la vaccination ?

M. Philippe Kourilsky - Cinq millions de personnes seulement ont été vaccinées. Je pense qu'il serait très utile de conduire des analyses sociologiques poussées sur la question, ne serait-ce que pour connaître l'impact que cet échec - on peut le baptiser ainsi - aura sur les campagnes ultérieures de vaccination. Ce sera très intéressant de voir comment les Français vont se vacciner maintenant contre la grippe saisonnière.

En termes de communication, l'argument de l'altruisme n'a pas été mis en avant suffisamment tôt. Je le pense très profondément. On n'a pas expliqué tout de suite, je n'ai pas entendu, qu'il fallait se vacciner parce que cela bloquerait ainsi la propagation.

Le langage que j'ai essayé de vous tenir en indiquant des choses simples et compréhensibles par le grand public n'a pas été tenu immédiatement. C'était plutôt de dire : « Protégez-vous, cela va être dangereux. » Quand les gens se sont aperçu que ce n'était pas dangereux, ils ne se sont pas fait vacciner, alors qu'il y avait une fusée à deux étages, et qu'il fallait essayer de bloquer le premier, pour être sûr que le deuxième n'arriverait pas.

M. Alain Milon , rapporteur - Il y avait en outre le message des médecins.

M. Philippe Kourilsky - Ce message qui disait que les médecins ne se feraient pas vacciner a été dévastateur. Sur une population, c'est totalement dévastateur.

M. Alain Milon , rapporteur - Vous avez estimé dans le quotidien La Croix que les décisions du Gouvernement avaient été transparentes. Ceci vous paraît-il avoir été le cas également pour l'OMS ? Sachant que la définition de la pandémie donnée par l'OMS nous contrarie un peu, car elle a changé dans le temps, début mai. Le caractère de gravité d'une pandémie a disparu dans les quinze premiers jours du mois de mai.

M. François Autain, président - A tel point que l'OMS dit aujourd'hui qu'il n'y a plus de définition d'une pandémie. Elle ne définit plus la pandémie.

M. Philippe Kourilsky - Je ne connais pas très bien l'Organisation mondiale de la santé. Il m'est apparu que les grades 4, 5, 6 définissaient la pandémie, sans qualifier réellement la dangerosité. J'ai pensé qu'il y avait une faiblesse dans les définitions. L'OMS ferait mieux de réviser sa copie sur ce point, très franchement. Cela m'a paru très évident.

M. François Autain, président - Sur ce point, nous sommes d'accord avec vous...

M. Philippe Kourilsky - Sur le reste aussi, je l'espère.

M. François Autain, président - ...d'autant plus que, selon l'OMS, nous sommes encore en phase 6 de pandémie. On ne s'en rend pas compte, mais c'est pourtant le cas.

M. Philippe Kourilsky - Techniquement, en termes de pandémie, le virus s'est diffusé à toute allure. Des études faites dans les écoles anglaises montrent que près d'un tiers des enfants, dans certains endroits, ont été infectés alors que, cliniquement, la grippe pandémique n'a été observée que dans 10 % de la population.

M. Alain Milon , rapporteur - Toujours dans le même journal, vous avez expliqué que le principe de précaution avait entraîné « des décisions inefficaces pour un coût économique et souvent social élevé » . Tel ne vous semble-t-il pas avoir été le cas pour la gestion de la pandémie du virus H1N1 ?

L'achat massif de vaccins vous paraît-il relever du principe de responsabilité et d'altruisme que vous préconisez ? L'échec de la campagne de vaccination est-il un coup porté à l'altruisme ?

M. Philippe Kourilsky - Soit le Gouvernement remettait en cause les recommandations de l'OMS, soit il ne le faisait pas. Remettre en cause les recommandations de l'OMS est extrêmement compliqué. L'Organisation a un poids légitime qui, incidemment, résulte d'une philosophie qui n'est pas d'une totale clarté, dans la mesure où l'OMS est une agrégation de décideurs qui ont un droit de décision régalien dans leur propre pays avec, en même temps, une espèce de mandat pour définir ce qui est mieux pour le monde, sans avoir les moyens de l'imposer.

On voit bien que cela mène à une autre dimension dans l'altruisme dont nous avons un peu parlé. On voit bien que dans cette définition, l'OMS a failli certainement pour une chose : il n'y avait pas de plan pour vacciner les pays pauvres. Si la pandémie s'était développée, les pays pauvres en auraient probablement pâti d'une façon sérieuse. Cette attitude n'est même pas cohérente au plan mondial, puisque on a intérêt en tout endroit du monde à faire décroître les réservoirs de virus, plutôt qu'à les laisser croître. Il y avait donc transgression. L'OMS a un mandat qui est à deux facettes qui ne sont pas toujours très claires, comme celui de la plupart des grandes organisations internationales. Il a été dit - peut-être a posteriori pour se donner bonne conscience - que les surcroîts de doses que certains pays riches avaient organisés seraient redistribués, en cas de besoin dans d'autres pays qui n'avaient pas de vaccins.

Cela étant, je ne vois pas comment le Gouvernement français aurait pu remettre en question les recommandations de l'OMS, d'autant que cela aurait été s'exposer également à une critique d'un autre ordre : si la France, n'ayant pas suivi certaines recommandations de l'OMS, s'était trouvée malheureusement en situation difficile, celle-ci aurait été accusée en plus de faire le mal mondial.

M. François Autain, président - Je vous fais remarquer, monsieur le professeur, que la France n'a pas complètement suivi l'OMS, puisque nous en sommes restés au niveau 5. Je défends le Gouvernement en quelque sorte...

M. Philippe Kourilsky - Je voudrais ajouter un dernier mot. Dans notre rapport sur le principe de précaution, nous avions écrit un paragraphe ou une page sur la question des experts. C'est un message auquel je crois beaucoup, qui est partiellement réalisé, mais qui ne l'est pas encore totalement : je pense que l'expertise doit être très sérieusement contractualisée.

Il y a beaucoup trop d'expertises - cela ne vaut pas que pour la grippe H1N1 et de loin - faites de façon bénévole, et sans qu'elles soient contractualisées. Du coup, les droits et les devoirs des experts sont souvent mal spécifiés. Je pense que ce n'est pas bien répondre aux grands problèmes de santé publique qui sont traités que d'avoir une expertise scientifique mal encadrée.

Bien sûr, le devoir de transparence des déclarations d'intérêts des experts est un acquis. On voit bien d'ailleurs que c'est à peu près la seule méthode qui fonctionne. Je me souviens qu'aux Etats-Unis, il y a une vingtaine d'années, un désir de transparence, au demeurant légitime, avait conduit les autorités de santé à écarter des commissions compétentes tous les experts qui avaient des liens avec l'industrie. Le résultat est que les comités spécialisés ont pris un certain nombre de décisions totalement contreproductives parce qu'ils étaient privés d'une expertise importante.

Ce n'est pas par hasard que l'industrie va rechercher des experts dans le monde académique, car ils sont souvent les meilleurs. Qu'ils affichent, bien entendu, leurs intérêts est la moindre des choses, mais il y a un équilibre à trouver. On ne le trouve pas en déplaçant le curseur du côté de ceux qui ne connaissent absolument pas le monde industriel, où existent des compétences extraordinairement développées, qui ne le sont pas dans le monde académique. Ayant moi-même une expérience dans les deux sphères, je peux vous dire que j'ai énormément appris dans la sphère industrielle, et que cela me sert de manière considérable dans la recherche que je mène.

Je pense que la contractualisation de l'expertise scientifique doit être développée. L'Europe s'y est essayée, mais si on rend les choses trop technocratiques, cela est dissuasif. Il faut trouver un bon équilibre.

M. Gilbert Barbier - Monsieur le professeur, j'en viens aux problèmes d'immunologie. Il y a un mystère. Dans la grippe saisonnière, avec un virus qui mute chaque année, on s'aperçoit que ce sont les populations les plus fragiles, les personnes âgées, qui sont victimes de ce virus.

Comment se fait-il qu'il en soit autrement avec le H1N1 ? J'ai été frappé par les cas graves, notamment chez les jeunes enfants, avec des complications.

La gravité venait-elle des complications surajoutées à l'infection virale ? Comment se fait-il qu'on ait, comme l'a souligné le rapporteur, un tel décalage entre l'atteinte des personnes qui n'étaient pas considérées comme des personnes à risques, par rapport aux autres épidémies grippales ? L'immunologue a-t-il éclairci cette affaire ?

M. Philippe Kourilsky - L'immunologue n'est pas un vrai spécialiste de la grippe. Je peux vous donner simplement les éléments de réponse dont je dispose, mais ils sont partiels. Le premier élément est que l'immunité croisée liée à l'immunité cellulaire est mal évaluée. Fort logiquement, elle est moindre chez l'enfant que chez l'adulte. Il y a peut-être là le début d'une explication sur la sensibilité des enfants.

Deuxièmement, concernant les personnes âgées, il est bien connu que leur système immunitaire est partiellement défaillant. Jusqu'à présent, personne n'a vraiment trouvé de moyens de rétablir le système immunitaire des personnes âgées au niveau de l'adulte ou de l'adolescent. C'est un grand enjeu de santé publique. Il y a beaucoup de recherches sur ce point. Le problème est identifié, mais il n'y a pas de réponse efficace.

Il se passe en vérité probablement deux choses : plus nous vieillissons et plus notre système immunitaire se spécialise. Du coup, il laisse des zones de non-réponse. Il y a aussi la sénescence des cellules du système immunitaire, le non-renouvellement des cellules...

Les virus de la grippe ont des milliers de manière de muter, de changer leurs protéines de surface, de telle sorte qu'ils vont être plus agressifs dans les parties hautes du système respiratoire que dans les parties basses. Il y a toute une biologie des mutants du virus que je ne connais pas assez pour vous répondre précisément.

M. François Autain, président - J'ai encore une ou deux questions à vous poser. Je reviens sur cette articulation principe de précaution/principe de prévention. Vous avez indiqué tout à l'heure que la vaccination anti-H1N1 nous protégeait contre la mutation éventuelle de ce virus. Comment explique-t-on ce phénomène ?

On nous a dit que la vaccination contre la grippe devait être répétée tous les ans, parce que nous avions affaire justement à un virus qui mute sans arrêt. Autant on peut envisager d'éradiquer certaines maladies virales, comme la variole, autant il est illusoire de penser qu'on puisse le faire en ce qui concerne la grippe.

Comment peut-on dire aujourd'hui que la vaccination anti-H1N1 nous protège nécessairement d'une mutation du virus ? Imaginons qu'un virus H1N1 mutant survienne l'hiver prochain. Peut-on dire avec certitude que la vaccination anti-H1N1 reçue par certaines personnes à l'occasion de cette pandémie les protègera contre cette mutation ? Seront-elles mieux protégées que celles qui ont contracté la maladie ?

Il me semble que vous avez dit tout à l'heure qu'il valait mieux se faire vacciner que de contracter la maladie pour être protégé ultérieurement contre le retour du virus ou le retour d'un virus muté. Telles sont les questions que nous nous posons. Comme quelques-uns, je crois ne pas avoir bien compris votre propos. Vous m'en excuserez. Peut-être vous faut-il répéter.

M. Philippe Kourilsky - La vaccination protégeait largement contre l'émergence de la mutation, par effet de réservoir. En réduisant la taille du réservoir, on diminuait très fortement la probabilité d'émergence de la mutation.

M. François Autain, président - Dans le cas présent, on n'a vacciné que 5,8 millions de personnes. Cela n'a pas eu l'effet escompté.

M. Philippe Kourilsky - De ce point de vue, non. Mais du fait même que le virus est moins virulent que ce qu'on imaginait et du fait que l'on soupçonne des réactions croisées en termes d'immunité cellulaire, la situation n'est pas si mauvaise.

Si un mutant dangereux apparaît, il est probable que le fond d'immunité cellulaire fourni par le virus initial a de bonnes chances d'atténuer considérablement la virulence du mutant chez ceux qui auront été vaccinés. Un individu non vacciné sera exposé au risque maximum.

M. François Autain, président - J'ai une dernière question concernant le caractère radicalement nouveau de ce virus H1N1. Un certain nombre de livres sur les pandémies affirment qu'elles sont toujours provoquées par de nouveaux sous-types. C'est ce qu'on observe pour le H1N1 de 1914-1918. C'est ce qu'on observe en 1957 où il s'agissait d'un H2. On passe à un H3 pour 1968.

Bizarrement, là, on retrouve un H1N1. C'est donc une pandémie qui a été provoquée non pas par un nouveau sous-type, mais par un nouveau variant d'un sous-type déjà connu.

Je voulais savoir pourquoi, cette fois-ci, nous avons une pandémie avec un virus qui n'est finalement pas aussi radicalement nouveau qu'on veut bien le dire. Est-ce normal ? Devait-on parler de pandémie, dès lors que le virus n'était pas nouveau ?

Les personnes qui avaient plus de 65 ans avaient une certaine immunisation contre ce virus. La pandémie définit généralement un virus qui survient dans une population entièrement naïve, ce qui n'était pas le cas. Ce sont autant de questions que nous nous posons, qui n'ont peut-être pas lieu de se poser. Ce n'est pas facile à expliquer.

M. Philippe Kourilsky - La grippe ne peut être éradiquée, parce qu'il existe un réservoir animal d'une ampleur telle, qu'il y aura toujours de nouveaux variants qui émergent. Le premier élément est l'ampleur de ce réservoir, le fait que celui-ci est mobile, puisque les oiseaux constituent une partie importante du réservoir animal. Vous avez dans ce réservoir des milliers de mutants différents. De temps en temps, un variant se répand, affecte l'homme. On n'arrêtera jamais cela. La lutte contre ce type de virus est une lutte perpétuelle.

Concernant la nature des mutations, elles sont plus ou moins compliquées et brutales. Il s'agit toujours de questions de probabilité, et comme je vous l'ai dit, c'est très peu confortable de vivre avec les probabilités. Cela a été la même chose avec le virus du sida. La probabilité que ce dernier vienne du singe à l'homme s'est produite plusieurs fois, on le sait maintenant.

Concernant la probabilité que des virus entièrement nouveaux apparaissent, il faut se demander ce qu'on appelle entièrement nouveau. Le grand public ne le sait pas, mais ce qu'on appelle le virus du sida est un ensemble de virus. Il n'y a pas un seul virus du sida. Ce n'est pas vrai. Chez un même individu, on retrouve plusieurs centaines ou milliers de types différents. Il peut arriver que le virus de la grippe se combine avec je ne sais quel bout de virus qui traîne chez un oiseau ou chez un poulet pour donner un virus qui va avoir des caractéristiques assez nouvelles. Mais qu'appelle-t-on nouveau ? Si vous prenez la séquence avec ses 10 000 caractères, dites-vous que c'est nouveau lorsqu'il y a 10  caractères de différence, 1 caractère de différence ?

M. François Autain, président - Je me réfère aux précédentes pandémies. Il y a une rupture par rapport à ce qu'on observe sur les pandémies du XX e siècle.

M. Philippe Kourilsky - C'est une rupture fonctionnelle. Tout dépend des conditions mêmes de la pandémie. C'est pour cela qu'il y a beaucoup d'ambiguïtés.

M. François Autain, président - N'a-t-on pas « forcé la dose » ?

M. Philippe Kourilsky - Je requalifierai votre observation en disant que nous devons apprendre à évaluer et comparer les objectifs de santé publique par rapport à leurs coûts. Encore une fois, brutalement, la question essentielle est le coût de la mort. Qu'accepte-t-on ? Pour en discuter en public, ce n'est pas commode.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, je vais lever la séance en vous remerciant pour cette contribution qui sera très utile à notre rapporteur pour l'élaboration de son rapport.

Audition de MM. Frédéric Van ROEKEGHEM,
directeur général,
et Hubert ALLEMAND, médecin conseil national,
de la Caisse nationale d'assurance maladie
des travailleurs salariés
(mercredi 23 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui MM. Frédéric Van Roekeghem, directeur général, et Hubert Allemand, médecin-conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Conformément aux termes de l ' article 6 de l ' ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Frédéric Van Roekeghem et Hubert Allemand prêtent serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer par un exposé liminaire, monsieur le directeur général. Vous répondrez ensuite aux questions de notre rapporteur.

M. Frédéric Van Roekeghem - L'assurance maladie, qui, comme vous le savez n'est pas compétente pour l'élaboration des politiques vaccinales, a été associée par le Gouvernement, à compter du 9 juin 2009, à la préparation de l'organisation de la vaccination contre la grippe A, selon les modalités définies par les ministres.

Une première réunion s'est tenue le 9 juin, sous la responsabilité du cabinet du ministre de la santé, au cours de laquelle nous avons été informés du souhait du Gouvernement d'engager une opération de vaccination relativement importante. Il nous a été demandé de veiller à l'accélération de la vaccination de la grippe saisonnière pour pouvoir dégager, dans un second temps, l'organisation de vaccination contre la grippe A, et de faire des propositions pour cette organisation.

Nous avons obtenu confirmation de ces instructions par écrit, auprès du directeur général de la santé. Nous nous sommes réunis dès le 15 juin, de manière à déterminer les modalités d'organisation en interne et faire un certain nombre de propositions.

Le 17 juin, nous avons donné confirmation au Gouvernement que nous étions capables de segmenter nos bases de données et de les exploiter pour pouvoir préparer, selon les modalités définies par la direction générale de la santé et le ministère, l'organisation de la convocation des patients. Nous avons commencé à réfléchir à l'organisation que nous pourrions retenir, pour pouvoir assurer l'envoi des coupons de vaccination et leur exploitation.

Une des demandes du Gouvernement était notamment d'assurer la traçabilité. Je rappelle qu'à l'époque il était prévu deux injections. Pour des raisons de sécurité sanitaire, la deuxième injection devait être assurée avec le même vaccin, voire un vaccin appartenant au même lot que celui utilisé pour la première.

Au cours du mois de juin, la solution organisationnelle a été largement définie. A ma connaissance, les grandes hypothèses avaient été arrêtées, notamment au regard de la taille de la population-cible et du calendrier prévisionnel d'acquisition des vaccins.

A partir de ce moment, tout est allé relativement vite, puisque nous nous sommes organisés, dans le courant du mois de juillet, pour développer les applications permettant d'extraire les listes de personnes concernées. Nous avons sollicité une autorisation exceptionnelle pour déroger aux codes des marchés publics, notamment à la mise en concurrence, pour sous-traiter l'exploitation des coupons qui nécessitaient, dans les hypothèses qui avaient été prévues, des machines de lecture automatisée de données relativement performantes. Nous nous sommes adressés au marché, et nous avons sélectionné une entreprise qui nous paraissait être la seule à répondre dans les délais, et à même de faire face à cette charge potentielle.

Par un courrier du 31 juillet 2009, le directeur de cabinet de la ministre nous a autorisés à passer un marché d'urgence impérieuse, dans les conditions de l'article 35-II-1° du code des marchés publics.

Toutefois, alors que nous aurions pu nous contenter d'un simple marché à bons de commande, dans des formalités relativement allégées, nous avons tenu à passer un marché en bonne et due forme, comportant une tranche ferme et une part variable dans ce marché. La première correspondant à l'acquisition de la solution d'exploitation, d'un montant de 14 millions d'euros, dont 6 millions de machines, que nous avons récupérées.

La deuxième tranche comportait une rémunération pour l'exploitation des coupons, dégressive par tranches de 20 millions de coupons. Le choix de prévoir des tranches était lié à l'incertitude quant à la réaction de la population par rapport à la vaccination, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ayant une expérience dans ce domaine du fait de la vaccination saisonnière.

Dans les opérations de vaccination, on le sait, même dans des opérations de vaccination courante, il y a toujours une incertitude quant à la réaction de la population par rapport à la perception de l'utilité de cette vaccination.

Ainsi, l'extension de la vaccination antigrippale saisonnière aux populations à risque, qui s'est faite récemment, connaît une montée en charge progressive. Le taux de vaccination des personnes de moins de 60 ans à risque reste inférieur aujourd'hui à celui des personnes de plus de 65 ans, qui étaient la première cible de cette vaccination. On sait qu'il y a une incertitude dans ces programmes.

M. François Autain, président - Vous êtes-vous déjà lancé dans une vaccination massive de la population ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Non.

M. François Autain, président - C'était une première pour vous ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Oui. Néanmoins, notre anticipation était qu'il y avait une inconnue : le montant exact du nombre de personnes qui pourraient être vaccinées. Nous avons intégré ce fait dans notre réflexion sur l'acquisition de l'exploitation des coupons, sachant que nous n'étions pas, contrairement à ce qui se passait pour les vaccins, dans une situation où la ressource était rare. Si on a plus de coupons, on peut mobiliser plus de personnes pour les exploiter, plus de machines. La ressource n'était pas rare. On pouvait anticiper cette variabilité.

C'est dans ce contexte que nous avons opté pour une tranche entièrement variable en fonction du nombre de coupons exploités, ce qui nous a permis de ne payer que pour 6 millions de coupons, en fonction de ce qui était réellement « remonté » pour exploitation dans les centres.

J'ai omis de dire que toutes ces opérations ont fait l'objet d'une attention particulière de la Commission Nationale Informatique et Liberté. Il a fallu un décret pour les organiser, que le gouvernement a pris dans des conditions de délai relativement restreintes. Nous avons dû adapter le marché au fur et à mesure, notamment pour tenir compte du souhait qui a été exprimé dans le courant de l'opération, de pouvoir disposer d'une sécurité renforcée d'accès, à travers un système de sécurisation qu'on a appelé des « Token », des jetons, que nous avons distribués, et de la mise en place d'un site Web qui s'est faite dans le courant de l'automne.

Pour le reste, l'assurance maladie a été mise à contribution de façon relativement soutenue, puisque nous avons participé aux comités de pilotage départementaux mis en place par les préfets. Toutes les caisses primaires ont été sollicitées pour pouvoir recevoir les appels de nos assurés et les informer de l'organisation de la campagne, que ce soit au niveau de l'accueil physique, de l'accueil téléphonique, ou des pages locales de notre site ameli.fr.

Nous avons été sollicités pour éditer des bons de vaccination pour les publics prioritaires. Nous avions d'ailleurs accepté de prendre en charge l'édition des bons de vaccination pour les publics sensibles qui n'étaient pas dans nos bases, notamment les personnes en situation irrégulière qui pouvaient résider sur le territoire national.

Nous avons émis à la fois des demandes de réédition de coupons pour des publics prioritaires, par exemple des femmes enceintes, dont la maternité n'était pas connue au moment où les bases ont été exploitées, ou d'autres personnes : soit environ 250 000 bons de vaccination édités par les caisses primaires.

Nous avons mis en place une plate-forme spécifique : environ 400 000 contacts ont été traités sur le thème de la grippe A par les agents de l'assurance maladie. Nous avons enfin mis des personnels à disposition à la fin de l'année 2009. L'ordre de grandeur du nombre de personnels de l'assurance maladie, praticiens-conseils ou personnels administratifs, qui participaient à l'organisation des centres était de 800.

Voilà, monsieur le président, tracé relativement rapidement, en quoi l'assurance maladie a été sollicitée et a participé à l'organisation de cette vaccination.

M. Alain Milon , rapporteur - J'ai beaucoup de questions, monsieur le directeur général. Je vais vous les poser une par une de manière à établir un dialogue entre vous et nous. Il y aura des questions qui concernent la gestion de la pandémie directement. D'autres concerneront la participation de l'assurance maladie aux dépenses liées à la grippe. Certaines enfin auront trait à la vaccination contre la grippe saisonnière 2009-2010.

Nous allons commencer par deux questions sur la gestion de la pandémie. Mes collègues en auront peut-être d'autres en complément.

Aviez-vous un avis sur la place de la vaccination dans le dispositif de lutte contre la pandémie ? Avez-vous été consulté sur la résiliation d'une partie des commandes de vaccins ? Quel jugement portez-vous sur l'organisation logistique de la campagne de vaccination H1N1 ? Comment concevoir, selon vous, un dispositif de vaccination pandémique « révisable » en fonction de la gravité de la maladie et de la définition des populations-cibles ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Sur la question de la place de la vaccination dans le dispositif de lutte contre la pandémie, je passerai la parole à M. Hubert Allemand, puisque cela me paraît être une question d'ordre médical. Comme vous l'avez bien compris, notre intervention a été postérieure aux grandes décisions qui ont conduit le gouvernement à décider l'ordonnancement des opérations et qui, à ma connaissance, se sont déroulées dans le courant du mois de mai.

Sur la résiliation des commandes, j'ai fait une démarche personnelle, le 15 décembre, auprès du directeur de cabinet de Mme la ministre de la santé, pour lui recommander, après une discussion relativement approfondie, d'envisager de résilier un certain nombre de commandes de vaccins. Je ne crois pas d'ailleurs avoir été le seul à faire cette démarche.

Je rappelle que nous avons conservé assez longtemps l'hypothèse de la double vaccination au niveau européen. Assez tardivement, quand cette hypothèse a été levée et que les autorisations ont été clarifiées, il est apparu de façon évidente que le dispositif qui avait été calibré pour l'injection de deux vaccins n'était plus adapté.

En ce qui me concerne, j'ai considéré le 15 décembre que les choses étaient suffisamment claires pour que je puisse faire cette démarche. J'ai d'ailleurs renouvelé le même jour la même démarche auprès des directeurs du ministère de la santé, les incitant à la relayer auprès des autorités politiques.

A ma connaissance, les démarches faites en ce sens ont conduit le directeur de cabinet de la ministre à examiner les conditions dans lesquelles pouvait être envisagée une résiliation des contrats, et notamment à mener un certain nombre d'études juridiques qui permettaient de sécuriser cette résiliation au regard des conséquences prévisibles, c'est-à-dire des demandes d'indemnisation des différents laboratoires concernés. Ce qui a conduit à la décision prise par le Gouvernement et annoncée au début du mois de janvier.

En ce qui concerne l'organisation logistique de la campagne de vaccination H1N1, nous en avons discuté avec M. Hubert Allemand qui, comme vous le savez, a beaucoup oeuvré dans le domaine de la prévention et de la vaccination grippale. La difficulté de cette opération, si on essaie de prendre un peu de recul, est qu'il est assez difficile de prévoir, dans les opérations de cette nature, quelle va être la réaction de la population concernée par rapport à la perception du risque et du rapport bénéfice-risque que représente le vaccin.

Nous avions nous-mêmes fait un sondage à l'automne qui montrait clairement que la population française était relativement réservée à l'idée de la vaccination, à hauteur de 60 % des Français. Néanmoins, dans l'hypothèse où le virus aurait été considéré comme dangereux, où la situation se serait aggravée, 75 % des Français considéraient qu'ils se seraient fait vacciner. On était face à une « volatilité » de la décision qui n'était pas simple à gérer.

A posteriori , il est facile de dire que le virus s'est avéré moins dangereux que ce qu'on avait craint. Tant mieux d'ailleurs. Pour la décision publique, évidemment, comme elle est prise ex ante , ce n'est pas très simple d'anticiper tout cela. En matière d'organisation, notre question a posteriori a été de se demander comment mieux faire demain. C'est une question qui peut se poser.

On peut distinguer des cas relativement différents, suivant qu'on est face à un virus dont la létalité est extrêmement élevée, ou relativement mesurée - ce qui n'est pas toujours facile à anticiper - et que le vaccin est rare ou qu'il est disponible.

Dans un cas où un virus est relativement peu dangereux et où le vaccin n'est pas rare, on voit que la distribution de monodoses par un ensemble d'acteurs est beaucoup plus efficace qu'une organisation de type centre de vaccination, car on ne paie que les vaccins effectivement consommés.

A l'inverse, face à un virus très létal et à un vaccin rare, voire très rare, la question de la priorisation, au regard de la responsabilité vis-à-vis de la population et du risque pour la population, se pose. La maîtrise de la distribution et de l'injection du vaccin est vraisemblablement la solution adaptée.

Restent les deux autres cas : le virus est moins grave et les vaccins sont rares ; le virus est très grave et le vaccin est disponible.

Si le virus est très grave et que le vaccin est disponible, plus on a de gens pour le distribuer et le rendre accessible à la population, mieux c'est. Initialement, dans cette affaire, je crois que l'analyse de risque menée était que le virus risquait d'être grave par une recombinaison d'un virus H1N1 partiellement humain, porcin et aviaire. Je parle sous le contrôle de M. Hubert Allemand. Donc, existait la crainte d'un virus relativement létal et d'un vaccin relativement rare.

Au moment où la vaccination est arrivée, le vaccin n'était pas abondant. On s'est aperçu que le virus était finalement moins agressif que ce qu'on pouvait craindre. On est resté, en tout cas dans les premières semaines, dans une situation de relative rareté du vaccin. Ce dernier est arrivé, par la suite, en grand nombre.

Tout cela pour dire qu'on peut toujours s'améliorer. C'est évident. Il ne faut cependant pas ignorer que, dans ces affaires, il existe une grosse incertitude qui touche à la létalité du virus et à sa capacité de se diffuser plus ou moins rapidement au sein de la population.

Les pouvoirs publics qui sont en situation de prendre les commandes ont à gérer cette incertitude, ce qui n'est pas simple. Indépendamment du fait que nous souhaitons récupérer une partie des sommes engagées - nous allons peut-être y venir - il faut objectivement tenir compte du fait que la décision publique, au moment où elle doit être prise, doit gérer l'incertitude. Evidemment, la précaution tend à ce qu'on gère...

M. François Autain, président - Quand vous parlez de précaution, ce n'est pas le principe de précaution.

M. Frédéric Van Roekeghem - Si.

M. François Autain , président - On vient de nous rappeler qu'en ce qui concerne la grippe, ce n'était pas le principe de précaution auquel il fallait faire référence. Il est important pour nous de savoir ce qu'on met derrière les mots.

M. Frédéric Van Roekeghem - La décision publique, au moment où elle est prise, doit gérer ces incertitudes, et ce n'est pas simple. Finalement, on s'est aperçu que certaines hypothèses faites initialement sur la dangerosité du virus n'étaient pas tout à fait confirmées. La question qui peut se poser pour l'avenir est de savoir si on peut disposer d'une organisation plus modulable, qui puisse évoluer de façon relativement souple sur une période de l'ordre de quelques mois.

M. François Autain, président - Par exemple, un contrat par tranche.

M. Frédéric Van Roekeghem - Pour les acquisitions de vaccins, c'est une autre affaire. Je ne vous cache pas qu'ayant un peu d'expérience sur ces sujets, s'il était possible de négocier les réservations de capacité, comme on le fait dans le cadre des produits optionnels dans le monde économique, je pense que ce serait souhaitable.

M. François Autain, président - C'était possible.

M. Frédéric Van Roekeghem - Il ne m'appartient pas de le dire, car nous n'avons pas été associés à la négociation, et je ne considère pas avoir la compétence pour porter un avis sur ce point. En théorie, ce serait souhaitable. On s'est trouvé face à une situation dans laquelle la très grande majorité des Etats souhaitaient acquérir des vaccins. Le nombre de producteurs de vaccins au niveau mondial est relativement limité. La rareté créant la rente...

M. François Autain , président - Ils sont trente-cinq. Etes-vous d'accord avec ce chiffre de trente-cinq fabricants de vaccins ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Je ne sais pas, honnêtement. Il n'en apparaît pas trente-cinq en tout cas. Si on regarde les acquisitions faites par la France, les gros producteurs ne doivent pas être aussi nombreux.

M. François Autain, président - Il ne me semble pas. C'est le directeur général de la santé qui nous a cité ce chiffre.

M. Frédéric Van Roekeghem - Alors, il doit être juste. Plus l'organisation est souple et adaptable, mieux c'est.

M. Alain Milon , rapporteur - Ce sera une des conclusions du rapport. Pendant l'évolution de l'épidémie sur le territoire national, aviez-vous des remontées de vos caisses primaires sur la gravité ou l'absence de gravité de cette épidémie ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Non. Comme vous le savez, nos bases de données ne comportent pas d'éléments de diagnostic.

M. Alain Milon , rapporteur - Je ne parle pas au niveau du diagnostic, mais au niveau des arrêts de travail.

M. Frédéric Van Roekeghem - Nous n'avons pas suivi la grippe A sur la base des remontées du réseau de l'assurance maladie, mais M. Hubert Allemand exploitait régulièrement toutes les publications internationales, notamment américaines et anglaises, sur l'analyse de la situation.

M. Hubert Allemand - Comme beaucoup, nous suivions l'actualité au jour le jour sur cette question, notamment sur la dangerosité du virus - sa virulence - et sa capacité à se transmettre. Il est vrai qu'à la fin de l'épisode - vous allez être étonnés - on a vécu un certain nombre de surprises. Tout ce qui vient d'être dit, je le souligne, a été vécu dans un contexte qui dépassait celui de notre pays. Il y avait même des organismes internationaux qui prenaient des positions importantes, comme l'OMS. Tout cela a été pris en compte par nos responsables.

On n'a pas eu de remontées sur les caractéristiques de l'épidémie, pour répondre précisément à votre question, mais des remontées spontanées, « au fil de l'eau » et qui n'avaient pas de caractère officiel. Elles reflétaient plutôt les réactions de la population et des professionnels face à la proposition de vaccination. Il nous a été dit qu'il y avait peu d'adhésion, notamment de la part des professionnels, mais c'était connu de tout un chacun. C'était plutôt ce type d'informations qui remontait.

Pour ce qui est de la place de la vaccination dans les épidémies, nous avons surtout l'expérience de la grippe saisonnière. On peut dire un mot de cela. On verra que la pandémie H1N1 nous pose un certain nombre de questions. Pour la grippe saisonnière, on sait que le vaccin est efficace chez les jeunes et chez les adultes. Cela a été montré. C'est efficace sur le plan immunologique, c'est efficace pour diminuer le nombre de syndromes grippaux, mais, dans le cas de la grippe saisonnière, ces populations ne font pas beaucoup de complications. Je parle bien des jeunes et des adultes.

M. François Autain, président - Sur quel niveau de preuves vous fondez-vous pour dire que le vaccin est efficace ?

M. Hubert Allemand - Sur les études, sur les données acquises de la science, appuyées sur une bibliographie internationale abondante. Il existe énormément d'études qui ont analysé, dans de bonnes conditions scientifiques, la réaction des jeunes et des adultes jeunes au vaccin. En revanche, c'est beaucoup plus controversé et difficile à montrer chez les populations dites âgées, au-delà de 65 ans.

M. François Autain , président - Celles qu'on vaccine habituellement.

M. Hubert Allemand - Pourquoi en est-il ainsi ? Le système immunitaire des personnes âgées est moins réactif face à un vaccin mais cela ne veut pas dire que l'organisme ne répond pas. Il répond de manière moins forte. Par contre, l'âge a une forte incidence sur le risque de complications, et donc de décès. Ce risque augmente de manière exponentielle à partir de 65 ans. Et le risque de complication se traduit aussi par un nombre d'hospitalisations très important.

C'est pourquoi, paradoxalement, même si la vaccination est moins efficace pour les personnes âgées, elle est recommandée, en raison du risque de complications. Beaucoup d'études ont été faites sur l'efficacité de la vaccination chez les personnes âgées. Et l'on peut s'appuyer sur les méta-analyses réalisées - une centaine d'études. Vous savez que l'essai thérapeutique est ce qui apporte la preuve : il n'y a qu'un essai, il va dans le bons sens, mais ce n'est pas significatif. Mais toutes les études sont des études de cohortes, c'est-à-dire qu'on compare des populations vaccinées à des populations non vaccinées, ou bien des populations avant et après une campagne de vaccination.

La grande majorité de ces études confirment les bénéfices de la vaccination chez les personnes âgées pour réduire les hospitalisations et les décès. Comme ce sont des études de cohortes, elles sont soumises à un certain nombre de biais.

Un biais important, que je veux souligner, est que la mortalité des personnes âgées pendant la période hivernale est liée pour 5 %, en moyenne, aux syndromes grippaux. Cela m'a frappé quand on parcourt la littérature. Cela veut dire que si on a un vaccin efficace - l'hypothèse est faite car c'est souvent ce qu'on retrouve - il diminue de 20 % la mortalité. Vous allez diminuer de 20 % les 5 %, c'est-à-dire que vous diminuez la mortalité de 1 %.

C'est difficile à prouver dans les grandes études de cohortes, sur une population générale. C'est d'autant plus difficile que, parmi ces 5 % de décès liés à la grippe, il y a des personnes extrêmement fragiles et qui ont moins de chance que les autres personnes âgées d'être vaccinées. Ce sont des personnes qui sont hospitalisées pour cancers, pour accidents vasculaires cérébraux... Si la grippe les atteint, elles vont décéder.

Même quand vous couvrez une population âgée à 70 % par la vaccination, vous voyez bien que, de toute façon, la mortalité se concentre sur une population assez réduite qui est la plus fragile. Cela doit d'ailleurs nous poser quelques questions.

Je rappelle que les valences qui sont dans le vaccin saisonnier sont décidées en février par l'OMS, pour l'épidémie de l'hiver qui arrive. Vous serez d'autant plus efficace sur la vaccination que votre vaccin va correspondre au virus circulant. Or, ce n'est pas toujours le cas. Nous en avons l'exemple cette année, puisqu'on a eu une couverture qui est plus satisfaisante que les années précédentes pour la grippe saisonnière, mais c'est surtout le virus H1N1 qui a circulé.

Vous voyez que beaucoup d'éléments interviennent quand on fait ces études. Il est vrai que, dans la littérature, les meilleurs experts aujourd'hui recommandent de vacciner les personnes de plus de 65 ans contre la grippe, mais d'autres personnes plus qualifiées que moi le diront sans doute, comme les membres du Comité technique des vaccinations.

Il semble donc que la vaccination soit efficace dans la grande majorité des cas, et elle est en outre efficace d'un point de vue coût-efficacité, notamment parce que la vaccination évite beaucoup d'hospitalisations.

Evidemment, la pandémie H1N1 nous a surpris par la facilité de transmission du virus, certainement par l'importance des formes inapparentes qui a contribué à ce qu'on a observé, par l'importance des formes graves chez les sujets jeunes. On dit qu'il n'y a pas eu beaucoup de décès, mais on a eu beaucoup plus de personnes jeunes en réanimation qu'au cours des grippes saisonnières. Ce qui est surprenant et ce qui montre bien...

M. François Autain, président - Avez-vous des chiffres sur ce point ?

M. Hubert Allemand - L'InVS a donné le nombre exact des personnes qui ont été admises en réanimation.

M. François Autain, président - Le chiffre est de l'ordre de 350.

M. Hubert Allemand - Ce sont les décès.

M. François Autain, président - Vous avez raison. Pour les hospitalisations en réanimation, le chiffre est je crois de l'ordre de 1 350.

M. Hubert Allemand - J'ai compris que le nombre de personnes hospitalisées dans les services de soins intensifs était supérieur à 1 000. Pour la mortalité, c'est plutôt le chiffre que vous avez dit précédemment, qui ne semble pas très important.

M. François Autain, président - Il y a eu 15 % de formes graves et de décès chez les jeunes.

M. Hubert Allemand - Ceci montre bien que ce virus avait un génie propre. Je ne sais pas s'il sera identique dans les années à venir, mais cela a été une très grande surprise par rapport à ce que nous pouvions observer en avril/mai 2009. Quand on fait le constat de ce qui s'est finalement passé, on est surpris par un certain nombre d'éléments. Cela montre bien la modestie que nous devons avoir devant ces phénomènes biologiques.

M. François Autain, président - Si j'ai bien compris - c'est là tout le paradoxe -, on conseille la vaccination pour diminuer de 1 % la mortalité des personnes à qui cette vaccination s'adresse. En revanche, on ne préconise pas la vaccination pour les jeunes et les adultes, pour lesquels elle est beaucoup plus efficace. Pourriez-vous dire si l'absence de vaccination a pour effet d'entraîner un surcroît de mortalité chez les enfants et chez les jeunes ?

M. Hubert Allemand - Pour la grippe saisonnière, l'affection n'étant pas habituellement d'une très grande gravité, il n'est pas recommandé de vacciner l'ensemble des jeunes et des adultes, sauf les personnes fragiles, c'est-à-dire celles qui ont déjà une pathologie chronique, comme toutes les personnes en ALD de moins de 65 ans.

Concernant la vaccination des jeunes enfants face aux épidémies grippales, une question se pose : est-ce une bonne stratégie de vacciner les jeunes enfants pour protéger les personnes à risque, c'est-à-dire les personnes en ALD et les personnes âgées, puisque c'est par les jeunes, on le sait bien, que se diffusent ces épidémies ?

Certains pays ont essayé d'expérimenter cette stratégie. Cela n'a pas été couronné de succès, mais c'est sans doute aussi parce que la logistique n'était pas parfaite pour les pays qui l'ont tentée à l'époque. Cela n'a pas été fait depuis, à ma connaissance. Des modèles montrent que cela pourrait rester pertinent dans certains cas, mais il faut se méfier des modèles. Il y a aussi une inconnue importante. J'ai posé la question mais je n'ai pas eu de réponse très pertinente sur ce point : on ne sait pas ce que cela ferait de stimuler un organisme, par un vaccin, tous les ans pendant des années et des années. Si vous commencez à cinq ans, quand arrêtez-vous ? Quarante ans de stimulation itérative du système immunitaire - je donne un chiffre au hasard - c'est une inconnue à laquelle la communauté scientifique ne peut pas répondre.

M. François Autain, président - C'est le principe de précaution.

M. Hubert Allemand - D'après les recommandations et les acquis de la science, il s'agit de s'orienter vers les populations dites à risque. Après, on peut plus ou moins affiner la définition de ces populations.

M. François Autain, président - En résumé, la vaccination qu'on préconise pour les plus de 65 ans a pour effet, chaque année, de réduire la mortalité. Dans quelle proportion ? Il y a 3 000 morts pour la grippe.

M. Hubert Allemand - C'est l'ordre de grandeur.

M. François Autain, président - Un pour cent, cela fait 30 morts.

M. Frédéric Van Roekeghem - Cela dépend de l'épidémie et de son ampleur.

M. Hubert Allemand - Certaines épidémies font 7 000 ou 8 000 décès par an.

M. François Autain, président - Disons moins d'une centaine de décès.

M. Hubert Allemand - Faut-il raisonner ainsi ?

M. François Autain, président - C'est une approche médico-économique.

M. Hubert Allemand - Là, on ne raisonne que sur les décès, mais vous avez aussi toutes les morbidités qui nécessitent des hospitalisations, et qui ont un coût humain important et un coût financier. C'est souvent une déstabilisation pour les personnes âgées qui risquent d'être institutionnalisées à cette occasion, alors qu'elles avaient un équilibre de vie. Chez les personnes âgées, les conséquences de la grippe ne se réduisent pas aux décès. La campagne de vaccination apporte aussi une baisse de la morbidité, donc une meilleure qualité de vie pour l'ensemble de cette population.

M. Alain Milon , rapporteur - On va passer aux participations de l'assurance maladie et aux dépenses liées à la grippe A. A combien estimez-vous actuellement le coût final de la gestion de cette grippe pour la CNAM ? A combien estimez-vous la participation de la CNAM aux dépenses de l'EPRUS concernant l'achat de vaccins, l'indemnisation des laboratoires, les achats de consommables et les dépenses logistiques ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Sur les dépenses internes de l'assurance maladie, c'est-à-dire hors achat de vaccins et participation à l'EPRUS, nous avons dépensé :

- 14,1 millions d'euros au titre de l'infrastructure, c'est-à-dire logiciels, conception de la solution, exploitation des coupons, etc. ;

- 28,6 millions d'euros pour l'éditique et surtout l'affranchissement : 26 millions d'euros d'affranchissement sont allés bénéficier au chiffre d'affaires de La Poste, pour l'acheminement d'un peu plus de 65 millions de convocations, donc de coupons.

M. François Autain, président - Pour combien de personnes vaccinées ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Pour 5,7 millions de personnes vaccinées d'après les remontées de la base.

M. François Autain, président - Ce sont 5,7 millions de personnes vaccinées sur 65 millions d'envois.

M. Frédéric Van Roekeghem - C'est assez proche du montant de la vaccination.

Nous avons eu des dépenses diverses à hauteur de 2,02 millions d'euros, ce qui fait un peu moins de 45 millions d'euros au total en interne.

M. François Autain, président - Que représentent ces 45 millions d'euros ?

M. Frédéric Van Roekeghem - C'est le total des coûts internes.

Le chiffre de 5,7 millions correspond aux coupons qui ont été remontés vers la base d'exploitation spécifique de suivi qui a été mise en place. On peut vous donner les derniers chiffres car cela varie encore un peu. On verra tout à l'heure que des vaccinations ont été faites par les médecins libéraux qui n'ont pas donné lieu nécessairement à renvoi de coupon en fin de période.

Les montants les plus importants sont constitués par les sommes que nous avons versées à l'EPRUS. Il faut distinguer d'un côté le montant des dotations ouvertes par la loi de financement et les lois de financement successives au titre des versements à l'EPRUS, dont le total depuis 2007 s'élève à 612,3 millions d'euros, dont 175 millions d'euros en 2007, 55 millions d'euros en 2008, 338,3 millions d'euros en 2009, et 44 millions d'euros en 2010, et de l'autre les versements.

Les versements à l'EPRUS ont été notablement inférieurs aux autorisations de la loi de financement puisque nous avons versé 40 millions d'euros en 2007, rien en 2008, 312 millions d'euros en 2009. Au total, à ce stade, sur les 612 millions d'euros autorisés au titre du versement à l'EPRUS par les régimes d'assurance maladie, nous n'avons versé que 352 millions d'euros.

M. François Autain, président - Qu'est-ce qui relève de la grippe H1N1 ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Cela figure dans les comptes de l'EPRUS. L'EPRUS est le plus à même de vous le dire. Un conseil d'administration de l'EPRUS s'est tenu en mai, auquel M. Hubert Allemand a participé. Pour 2009, d'après les données fournies par l'EPRUS, mais je pense que l'EPRUS sera auditionné...

M. François Autain, président - Il l'a été.

M. Frédéric Van Roekeghem - Le montant initialement prévu de 764 millions d'euros de dépenses de l'EPRUS a été ramené à 456 millions d'euros au titre de l'année 2009, dont 440 millions d'euros au titre de la grippe A.

Pour la seule grippe A, nous avons versé à ce stade, par rapport à la somme de 352 millions d'euros, 160 millions d'euros.

Je dois vous dire que, dès lors que le Gouvernement a annoncé qu'il souhaitait remettre en cause, et lorsqu'il a remis en cause, l'acquisition de 50 millions de doses de vaccins, j'ai sollicité les ministres de tutelle au début de l'année 2010, pour obtenir des instructions claires sur l'inscription dans nos comptes des sommes portées dans la loi de financement. C'était le 29 janvier 2010. Je leur ai proposé de suspendre tout versement à l'EPRUS, dans l'attente d'un réexamen de ses besoins de trésorerie. Je les ai interrogés sur la possibilité de constater ou non, dans les comptes des régimes d'assurance maladie, une recette résultant du non-versement de la totalité des sommes inscrites en loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Dans nos comptes, les règles actuelles sont que toutes les sommes inscrites dans la loi de financement sont portées systématiquement en dépenses dans les comptes des régimes d'assurance maladie, qu'elles donnent lieu ou pas à versement.

Dès lors que la loi de financement prévoit un montant, nous sommes obligés de verser ces sommes à une date qui sera ultérieurement définie. Nous avons porté en charges, en 2009, dans nos comptes, la totalité des sommes qui étaient inscrites dans la loi de financement. Néanmoins, il me paraissait clair que la remise en cause de l'achat de 50 millions de doses devait se traduire par un reversement au régime.

Par lettre du 5 mars 2010, les ministres m'ont répondu qu'il était obligatoire, au niveau comptable, de porter en dépenses les sommes inscrites dans la loi, mais qu'ils s'engageaient, une fois que les coûts de la grippe A (H1N1) et les conditions d'indemnisation des laboratoires seraient connus...

M. François Autain, président - Ils ne sont pas encore connus ?

M. Frédéric Van Roekeghem -... à reverser au régime d'assurance maladie la fraction non utilisée des dotations qui lui ont été attribuées. Cette restitution devrait être supérieure à 100 millions d'euros. Son montant exact sera définitivement arrêté dès lors que les conditions finales seraient connues et inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

M. François Autain, président - Avec GSK, les négociations ne sont pas terminées.

M. Frédéric Van Roekeghem - Je l'ignore. Nous ne sommes pas en charge de la négociation. Ce sont l'EPRUS et le ministère qui la mènent.

M. François Autain, président - D'accord, nous avons la réponse.

M. Frédéric Van Roekeghem - Nous attendons donc la constatation des conséquences économiques de la résiliation par le Gouvernement dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

M. Alain Milon , rapporteur - Devez-vous participer au financement des doses de vaccins destinées à des dons à l'OMS ou à des pays étrangers, en particulier de l'hémisphère Sud ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Je pense que nous y participerons indirectement, à travers l'EPRUS. L'EPRUS a été en charge d'acquérir les vaccins. Nous finançons à 50 % les opérations de l'EPRUS qui touchent aux postes de dépenses d'épidémiologie, de risques nucléaires, bactériologiques ou chimiques, de pandémies, et de certaines dépenses transversales - transport, stockage informatique, pharmaceutique, destruction de produits de santé - liées à ces risques. De ce fait, l'assurance maladie a supporté la moitié des sommes concernées.

M. François Autain, président - Qu'en est-il pour les sommes versées par les mutuelles ou les assurances complémentaires ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Il n'y a pas d'affectation des sommes versées par les mutuelles aux dépenses liées à la grippe H1N1.

M. Alain Milon , rapporteur - A combien s'élèvent actuellement les dépenses de la CNAM correspondant à l'indemnisation des professionnels de santé ? Une partie de ces dépenses doit-elle rester à la charge de l'assurance maladie ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Au 20 juin 2010, le coût de l'indemnisation des professionnels de santé libéraux s'élève à 12,36 millions d'euros, dont 8,5 millions d'euros au titre des médecins, 3,2 millions d'euros au titre des infirmiers, et des sommes pour l'instant très faibles au titre des médecins retraités.

L'indemnisation des professionnels de santé salariés s'élève à 1,47 million d'euros mais, comme vous le savez, ces indemnisations ne sont pas terminées du fait que nous ne pouvons payer que lorsque les sommes à verser nous sont notifiées.

M. Alain Milon , rapporteur - C'est la raison pour laquelle j'ai dit « actuellement ».

M. Frédéric Van Roekeghem - L'Etat devrait rembourser 120 000 euros au titre des réquisitions hors temps de service des personnels de l'assurance maladie, sur environ 2,3 millions d'euros. La valorisation de la charge des personnels salariés sur leur temps de travail n'est pas faite. Ce sont des sommes relativement modestes au regard de l'ampleur de l'opération.

M. Alain Milon , rapporteur - Depuis la mise en oeuvre de la vaccination ambulatoire, avez-vous une estimation du nombre de vaccinations réalisées depuis le 1 er février dans les cabinets médicaux ? A combien se sont élevées les dépenses de remboursement correspondantes ? Ces vaccinations ont-elles été effectuées dans le cadre de consultations ou sur la base de tarifs spécifiques ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Au 21 juin, 165 738 doses ont été délivrées par les officines de ville. Mais ce chiffre est à confirmer.

M. François Autain, président - 165 000 doses environ, donc.

M. Frédéric Van Roekeghem - Oui, dont 8 538 monodoses et 3 930 kits de 40 doses.

Le nombre d'actes de vaccination (VAC) est de 3 364. Le nombre de coupons renvoyés par les médecins de ville est de 17 000.

Il y a un écart assez important, car la vaccination peut se faire au décours d'une consultation. Les études faites dans les années antérieures sur la grippe saisonnière ont en effet montré que, pour les personnes âgées qui, comme vous le savez, consultent beaucoup plus régulièrement leur médecin que les personnes plus jeunes, à l'exception des enfants en bas âge, une vaccination sur deux environ était faite au décours d'une consultation pour une autre raison. C'est l'ordre de grandeur. Une personne âgée, ou qui va consulter pour son diabète ou une maladie cardio-vasculaire, va, au passage, se faire vacciner.

M. Alain Milon , rapporteur - Je pose ma dernière question. Je pense que vous avez répondu aux autres. Pouvez-vous nous dresser le bilan de la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2009-2010, c'est-à-dire le nombre de personnes vaccinées, le taux de couverture des populations à risques et le coût pour l'Assurance maladie ? Disposez-vous d'estimations du nombre de vaccinations effectuées hors achats en officine ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Sur la grippe saisonnière, on dispose effectivement d'une visibilité sur les chiffres. Ont été invités à se faire vacciner environ 12 millions de Français, tous régimes confondus, dont 9 080 000 personnes pour le régime général.

Nous estimons le nombre de personnes vaccinées au titre de la grippe saisonnière à 7 120 000 personnes, tous régimes d'assurance maladie confondus.

Le taux de vaccination est de l'ordre de 60 % du public ciblé. Il est plus élevé pour les personnes de plus de 70 ans. C'est la raison pour laquelle on essaie de faire monter le taux de vaccination entre 65 et 70 ans. Il ne s'élève dans cette dernière tranche d'âge qu'à hauteur de 55 %, mais il dépasse 65 % pour les personnes de plus de 70 ans. Plus on monte en âge, plus le taux est élevé, jusqu'à un certain âge où il décroît. La prise en charge des personnes de plus 85 ans est d'ailleurs un sujet de santé publique.

Nous avons aussi un taux de vaccination qu'il faudrait améliorer pour les personnes en affection de longue durée (ALD). Comme vous le savez, l'extension du champ de la vaccination de la grippe saisonnière à ces personnes à risque est relativement récente. Nous ne sommes donc encore qu'à 55 % de couverture vaccinale, hors champ des personnes âgées, pour les personnes à risques. Nous essayons d'augmenter ce taux.

M. Hubert Allemand - On peut même apporter une précision. On a un taux qui n'est pas très élevé avant 18 ans, et pourrait être amélioré, mais il y a surtout une chute très importante entre 18 et 22-23 ans pour les personnes en ALD. Cela correspond à une période où les jeunes quittent leur famille, prennent en charge personnellement leur santé et entrent dans un nouveau régime d'assurance maladie, qui est souvent le régime étudiant. Cela arrive par exemple pour des jeunes atteints de mucoviscidose ou d'asthme grave : on a un taux très faible de couverture vaccinale entre 17-18 et 24-25 ans.

A partir de 25 ans, cela remonte progressivement en fonction de l'âge, jusqu'à 65 ans. Je parle du taux de participation à la vaccination pour les ALD. Autrement dit, on a une participation qui est effectivement très variable selon l'âge. Cela doit nous inciter à avoir des actions plus ciblées sur les situations les plus préoccupantes.

M. Frédéric Van Roekeghem - Pour la campagne de vaccination de grippe saisonnière, le coût peut être estimé en 2009/2010 à environ 115 millions d'euros, tous régimes confondus, les vaccins représentant un peu moins de 50 millions d'euros, et les consultations des médecins et des infirmiers environ 65 millions d'euros. Les coûts d'envoi et d'affranchissement sont de l'ordre de 5 millions d'euros.

Il faut bien voir que, par rapport à la campagne de grippe A, la cible est beaucoup plus petite, puisqu'elle ne représente que 12 millions de personnes, c'est-à-dire un peu plus que cinq fois moins que la cible qui a été retenue en population générale pour la grippe A.

Le poste des dépenses vaccins est uniquement lié à la consommation. On achète à travers les réseaux d'officines. Seules les personnes qui se font vacciner paient le vaccin. Pour le poste consultation, ce n'est qu'une estimation. Il est en effet assez difficile, pour des personnes à risque ou de plus de 65 ans, d'estimer quelle est la part des consultations qui va être uniquement motivée par la vaccination.

Pour diminuer le coût de cette vaccination, nous avons introduit la possibilité de vaccination par des infirmières pour les personnes non primo-vaccinantes. Nous considérons que cette introduction a permis de faire baisser les coûts de la vaccination d'environ 13 % sur deux ans.

Concernant les achats réalisés hors officine, nous n'avons pas les informations, puisque le GERS (Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques), qui transmet au Comité économique des produits de santé les données statistiques, couvre les ventes en officine, les ventes en établissement de soins au sens large, mais le GERS ne tient en principe pas compte des ventes directes aux entreprises privées ou aux administrations. Nous n'avons dans nos bases de données que les chiffres de ce qui donne lieu à remboursement. Je pense que les données du GERS ne sont pas suffisamment exhaustives pour avoir ces données.

M. François Autain, président - J'ai encore quelques questions à vous poser. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que 5,7 millions de personnes s'étaient fait vacciner contre la grippe H1N1. Vous a-t-il été possible de déterminer, parmi ces personnes, celles qui étaient à risques, de manière à pouvoir déterminer le taux de couverture des personnes à risques ?

M. Frédéric Van Roekeghem - C'est possible en exploitant la base de données qui a été constituée. C'est d'ailleurs l'objectif de cette base de données d'avoir un retour relativement précis de cette situation. Je précise que l'exploitation de cette base de données est soumise à des règles qui ont été fixées par la Commission Nationale Informatique et Libertés.

Elle peut être faite, de façon anonyme, par les caisses d'assurance maladie, ce qui suppose d'arriver à mettre en relation, de manière anonyme, nos bases de risques et de connaissances des situations médicales et la base qui a été utilisée pour la grippe. Nous ne l'avons pas encore fait. Nous avons une demande de l'AFSSAPS en ce sens, mais les autorités sanitaires, notamment l'InVS sont autorisées à traiter directement ces données en interne. Cette exploitation a été faite par l'InVS.

M. François Autain, président - Donc l'InVS pourrait nous répondre.

M. Frédéric Van Roekeghem - Oui.

M. François Autain, président - Pouvez-vous évaluer le nombre de consultations et d'indemnités journalières liées à la grippe H1N1 ?

M. Frédéric Van Roekeghem - C'est un sujet qui n'est pas simple. Vous savez qu'en 2009, il y a eu deux épidémies de grippe, en début d'année et en fin d'année. C'est une année un peu exceptionnelle. Nous avons procédé par différence. Nous avons regardé quelle était la différence par rapport au nombre de consultations que nous constatons d'habitude au titre de la grippe saisonnière traditionnelle, qui arrive entre septembre et janvier, et la grippe A.

Nous considérons que le surcroît de consultations par rapport à la moyenne d'une épidémie normale a été de l'ordre de 3,4 millions de consultations. Ce n'est pas exactement le montant du total des consultations au titre de la grippe A, c'est la différence entre une année normale et l'épisode épidémique A.

M. François Autain, président - Que faut-il conclure, si vous comparez cela avec les chiffres observés des épidémies antérieures ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Cela correspond à un surcoût. Chaque année, il y a une épidémie de grippe. La grippe A représente, par rapport à une année habituelle, un surcoût d'environ 114 millions d'euros pour le régime général. Je dirai que 95 millions d'euros sont imputables à H1N1 et 19 millions d'euros au titre de l'intensité plus importante que normale de la grippe de début d'année 2009. Cela a pesé sur les dépenses de soins de ville, comme sur les dépenses hospitalières. L'évaluation que je vous donne est bien sûr limitée aux soins de ville.

M. François Autain, président - En vertu de cet article qui avait fait débat - je dirai même polémique - de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010...

M. Frédéric Van Roekeghem - Je parle de 2009.

M. François Autain, président - Oui, mais pour 2010 maintenant.

M. Frédéric Van Roekeghem - Il n'y a pas eu pour 2010 d'épisode de grippe A.

M. François Autain , président - On n'aura donc pas l'occasion de mettre en oeuvre cet article qui prévoyait de ne pas prendre en compte les dépenses qui relèvent de la grippe H1N1 pour le déclenchement de la procédure d'alerte en cas de risque de dépassement de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

M. Frédéric Van Roekeghem - Sauf s'il y avait un deuxième épisode de H1N1 en 2010.

M. François Autain, président - Il faut être optimiste, vous avez raison !

M. Alain Milon , rapporteur - Avez-vous constaté, au niveau des médecins généralistes qui n'étaient pas concernés par la vaccination antigrippale H1N1, une action importante dans le cadre de la vaccination contre les infections à pneumocoque ?

M. Frédéric Van Roekeghem - Nous avons effectivement constaté une augmentation extrêmement sensible des vaccinations contre le pneumocoque. Nous avions relayé les recommandations de la Direction générale de la santé, via notre lettre aux médecins. Nous avions d'ailleurs envoyé copie de la lettre de la Direction générale de la santé par une lettre aux médecins, datée du 7 juillet 2009. Dans notre numéro d'août-septembre, nous avons relayé la recommandation d'augmenter la prévention contre la bactérie concernée.

Tous régimes, on estime à 1,08 million le nombre de vaccins « pneumo 23 » remboursés par l'assurance maladie entre juin 2009 et mai 2010. Cela représente 800 000 vaccins de plus que sur la même période de l'année précédente. Il y a eu une multiplication par 5 du nombre de vaccinations contre le pneumocoque. Nous avons les courbes de vaccination depuis 2003. On voit qu'il y a effectivement une explosion par rapport à la vaccination habituelle de la vaccination contre le pneumocoque. Les sommes en jeu sont relativement faibles puisque le prix du vaccin est de 13,87 euros. Il est remboursé au taux moyen de 77 %, cela représente 8,7 millions d'euros.

M. Alain Milon , rapporteur - Et c'est un vaccin qui dure cinq ans et qui protège contre toutes les complications pulmonaires de la grippe. On n'a peut-être plus besoin de se vacciner contre la grippe après.

M. Frédéric Van Roekeghem - Effectivement, il y a eu une mobilisation des médecins libéraux sur le pneumocoque. Il y a eu aussi d'assez bons résultats sur la grippe saisonnière. J'ai omis de vous dire que, par rapport à l'année précédente, nous avons, conformément aux instructions qui avaient été données par la ministre de la santé, anticipé la vaccination et réduit les délais de la vaccination de la grippe saisonnière très substantiellement, tout en gardant une couverture vaccinale de l'ordre de grandeur de celle de l'année précédente, même légèrement meilleure.

Pour cela, on a changé notre organisation pour pouvoir gagner quelques semaines, par rapport à l'année précédente. Les coupons de vaccination de la grippe saisonnière ont été envoyés dès que le vaccin a été disponible. Nous étions organisés spécifiquement avec La Poste pour cela.

M. François Autain, président - Vous avez été tenus à l'écart de la négociation pour les contrats.

M. Frédéric Van Roekeghem - Cela n'est pas de notre responsabilité.

M. François Autain, président - C'est tout à fait normal, vous êtes là uniquement pour payer. On est bien d'accord.

M. Frédéric Van Roekeghem - Je ne dirais pas cela.

M. François Autain, président - Alors que diriez-vous ?

M. Frédéric Van Roekeghem - La négociation doit être menée par celui qui est acheteur.

M. François Autain, président - Vous n'êtes pas acheteurs, vous êtes payeurs, c'est tout.

M. Frédéric Van Roekeghem - Nous ne sommes pas acheteurs, c'est l'EPRUS qui l'est. Nous payons dans les conditions qui sont définies par le Parlement. Néanmoins, comme vous l'avez bien compris, nous nous sommes mobilisés, au moment qui nous est paru opportun, pour remettre en cause des acquisitions qui nous paraissaient relativement importantes et allaient au-delà de ce qui était raisonnable.

M. François Autain, président - Celui qui paie décide.

M. Frédéric Van Roekeghem - Ce n'est pas l'organisation qui est retenue en matière de vaccination.

M. François Autain, président - S'il n'y a plus de questions, je vais lever la séance en vous remerciant, monsieur le directeur général, de votre contribution qui nous aura été très utile.

Audition de M. Didier HOUSSIN,
directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports
(mercredi 30 juin 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons une nouvelle fois, et toujours avec le même intérêt, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, pour faire le point avec lui sur un certain nombre de questions, puisque nous arrivons au terme de nos auditions.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Houssin prête serment.

M. François Autain, président - Si vous le souhaitez, vous pouvez faire une intervention liminaire, à moins que vous ne préfériez qu'on passe directement aux questions.

M. Didier Houssin - Je n'ai pas prévu d'intervention liminaire.

M. François Autain, président - Monsieur le rapporteur, vous avez donc la parole.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai trois groupes de questions, sur le H5N1 et le H1N1, l'OMS, et les contrats. Je vais vous poser les questions concernant les virus d'abord.

Quelle est l'importance du stock de vaccins H5N1 acquis par la France ? A quoi vont servir ces vaccins et jusqu'à quelle date sont-ils utilisables ?

Pour le A (H1N1), vous avez indiqué, lors de votre audition par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, que vous saviez dès le courant du mois de mai, par des études génétiques, que le virus H1N1 ne portait pas de gènes de virulence connus. Pourriez-vous nous en dire plus ? Vos propos faisaient-ils référence à des études réalisées en France ou aux informations publiées début mai par le Wall Street Journal par le scientifique américain Peter Palese ? Surtout, n'aurait-il pas fallu communiquer clairement sur ces éléments d'information plutôt que d'entretenir les incertitudes et de favoriser l'alarmisme ?

M. Didier Houssin - En ce qui concerne le virus H5N1, comme vous le savez, l'extension de l'épizootie s'était fortement intensifiée durant l'été 2005 - ce qui m'a valu d'être désigné comme délégué interministériel le 30 août 2005 - et la question se posait du choix d'une stratégie vaccinale dans l'éventualité où ce virus acquerrait un potentiel de transmission interhumaine.

C'est la raison pour laquelle le ministère de la santé a lancé un appel d'offres, avec deux objectifs. D'abord tenter de produire des vaccins dits prépandémiques, en vue de protéger certaines populations.

Ensuite, établir des contrats de réservation auprès d'industriels, des contrats « dormants » ou Advance Purchase Agreements , pour d'éventuels achats de vaccins pandémiques, au cas où le virus se propagerait de manière très importante.

Quelle était l'idée de ces vaccins prépandémiques ? Il s'agissait de pouvoir proposer une réelle production à certaines catégories de professionnels, en particulier ceux de la filière avicole, dès lors qu'il y aurait une amorce de contamination en France. Celle-ci est d'ailleurs survenue : souvenez-vous de cet élevage de l'Ain qui avait été atteint par le virus au mois de novembre ou décembre 2005.

Avec un vaccin nous pouvions protéger les éleveurs, les professionnels chargés de l'abattage des oiseaux et, éventuellement, tout voyageur qui, pour des raisons professionnelles, serait susceptible d'aller dans des pays fortement contaminés.

L'acquisition d'un stock de vaccins prépandémiques H5N1 était, en même temps, une incitation pour des industriels à développer ce type de vaccins, qui n'étaient pas encore disponibles. Trois industriels avaient répondu à l'appel d'offres : Solvay, Chiron, qui était le prédécesseur de Novartis, et Sanofi Pasteur.

GSK n'avait pas répondu à l'appel d'offres pour des raisons que je n'ai jamais très bien comprises. Il est possible qu'ils ne s'estimaient pas prêts.

M. François Autain, président - C'est ce qu'ils nous ont dit.

M. Didier Houssin - La commission d'appel d'offres a retenu deux industriels : Chiron et Sanofi.

Dans les deux contrats, était prévu l'achat ferme d'une petite quantité de vaccins prépandémiques, 2,4 ou 2,5 millions de doses au total, réparties entre les deux industriels.

Il y avait aussi la partie contrats de réservation qui, elle, a été activée lors de la pandémie, mais cette fois-ci contre un autre virus : ce cas était prévu.

Les doses de vaccins H5N1 sont toujours stockées auprès des industriels. La validité de ces antigènes, qui sont conservés en vrac, est régulièrement évaluée, mais elle ne durera pas cinquante ans !

J'avoue qu'on n'a pas fait récemment le point. Si vous le souhaitez, je pourrai obtenir cette information sans difficulté.

La deuxième question que vous posez m'amène à revenir sur la question suivante : qu'est-ce qui rend un virus dangereux ? Il y a, un peu schématiquement, deux manières pour un virus d'être mortel.

Soit, comme le virus Ebola, il a une forte virulence. Un virus est un parasite. Il essaie de s'installer, si possible, de rester, de se multiplier et de se transmettre. C'est sa stratégie d'ensemble. Un virus comme Ebola, qui entraîne une mortalité de l'ordre de 80 %, est considéré comme un virus très virulent. Un virus très virulent n'a pas une grande capacité à se propager.

M. François Autain, président - Vous dites qu'un virus tueur se propage moins qu'un virus qui l'est moins. Est-ce fondé scientifiquement ?

M. Didier Houssin - On le constate chaque fois qu'il y a des émergences du virus Ebola, par exemple. On est très inquiet, car il peut toujours y avoir un voyageur, et dix ou vingt personnes peuvent être contaminées, mais ce sont des virus qui tuent tellement vite et souvent, que le processus de propagation s'interrompt.

Si vous prenez dix personnes contaminées par le virus, vous avez huit morts. Si vous prenez un virus beaucoup moins virulent, qui ne tue qu'une personne sur dix mais qui a, en revanche, une capacité de propagation importante, il est capable de contaminer cent personnes et, au bout du compte, vous allez avoir le même nombre de morts, mais par un autre mécanisme, qui est ce qu'on appelle le taux d'attaque, c'est-à-dire la capacité du virus à pénétrer plus ou moins dans la population.

Ce petit développement m'amène à parler de ce qu'on a constaté début mai, concernant le virus H1N1. Les analyses de séquençage génétique du virus ont été faites, principalement dans des pays étrangers, car le virus circulait essentiellement aux Etats-Unis et au Mexique. Il a été constaté que ce virus ne portait pas les gènes de virulence connus du virus de la grippe espagnole ou du H5N1.

Des virologues comme M. Bruno Lina ou Mme Sylvie Van der Werf pourraient vous en dire plus, car ils ont une vision très précise de ce qu'est un gène de virulence : c'est un gène qui pilote certaines protéines, que ce soit au niveau de l'expression de la membrane, au niveau du mécanisme de réplication du virus, ou au niveau de son adaptation à certains environnements thermiques.

Parmi les gènes de virulence des virus de la grippe, nous en connaissons certains. On ne les retrouvait pas dans le virus H1N1.

Ce qui, dans un sens, était un petit peu rassurant, mais pas suffisamment pour nous faire considérer que l'affaire était sans gravité.

Pourquoi ? Il y avait malgré tout la possibilité que survienne une mutation capable de conférer des gènes de virulence à ce virus, comme celle qui s'est produite en novembre en Norvège - Dieu merci, ce virus ne s'est pas propagé - et puis l'analyse du virus ne nous disait rien sur son taux d'attaque.

On avait toutes les raisons de penser de mai à septembre, et je dirai même jusqu'à la fin de l'année 2009, que, compte tenu du caractère nouveau de ce virus, la population était immunologiquement naïve, en dehors d'informations assez précoces sur les personnes de plus de 65 ans, dont certaines avaient peut-être une mémoire d'anticorps identifiable.

Les analyses et les scénarios offerts par l'InVS identifiaient des taux d'attaque plutôt élevés, ce qui d'ailleurs a été constaté dans certaines zones de l'hémisphère Sud. En revanche, ce qui n'était pas prédit et qui a été la bonne surprise, c'est que, en dépit d'un taux d'attaque élevé, dans la grande majorité des cas, la maladie s'est révélée bénigne.

Mais, si nous sommes bons en épidémiologie et en virologie, nous ne le sommes pas assez en immunologie. Ce n'est que très tard qu'on a eu une idée précise de la réelle réceptivité de la population à un virus de ce type.

A cet égard, une publication de Daron Greenbaum, dans Proceedings of the National Academy of Sciences , à la fin de l'année 2009, est très intéressante, en particulier, sur le rôle des cellules T, un des vecteurs de l'immunité. On avait probablement sous-estimé le fait que ce virus partageait des éléments communs avec d'autres anciens virus, qui ont peut-être conféré une immunité à une grande partie de la population.

Une des leçons à tirer, c'est que face à un phénomène d'allure épidémique grave, il faut être en mesure, très vite si possible, d'apprécier la réceptivité de la population, pas seulement par des études sérologiques mais aussi par des études de l'immunité acquise même si ce n'est pas simple.

M. François Autain, président - Concernant ces études qui vous permettaient dès le mois de mai de savoir que la virulence de ce virus était relativement modérée, pouvez-vous nous donner quelques références bibliographiques ?

M. Didier Houssin - Je ne les ai pas de tête, mais je peux vous les obtenir très facilement. On a essayé de mobiliser le plus tôt possible la recherche. J'ai le souvenir d'un séminaire qu'on a organisé en France avec l'ensemble des équipes de recherche concernées au mois de juillet. Il y avait eu en particulier un exposé de M. Bruno Lina sur les gènes de virulence du virus H1N1.

M. François Autain, président - Pourquoi n'avez-vous pas rendues publiques ces informations à l'époque ? Cela aurait certainement été important dans la situation que nous connaissions. Cela aurait pu éviter d'éventuelles paniques : il n'y en a pas eu, mais on pouvait craindre ce risque, compte tenu des informations venues du Mexique qui, ensuite, ne se sont pas révélées fiables.

M. Didier Houssin - J'ai le souvenir d'avoir dit, y compris dans les médias, que nous avions des éléments rassurants et des éléments qui l'étaient moins. Dans les éléments rassurants, il y avait le fait que ce virus ne portait pas de gènes de virulence connus. Dans les éléments moins rassurants, on ne pouvait pas totalement écarter l'idée d'une mutation, notamment en termes de résistance aux antiviraux, mais aussi en termes de virulence, ce qui s'est produit en Norvège. Il y avait aussi le caractère préoccupant lié au taux d'attaque élevé.

M. François Autain, président - Vous n'aviez pas connaissance de cette tribune du Wall Street Journal qui a été écrite par un microbiologiste américain, M. Peter Palese ?

M. Didier Houssin - Je faisais plutôt référence à des articles de revues scientifiques.

M. François Autain, président - C'est scientifique aussi, mais je reconnais que ce n'est pas dans une revue scientifique. Vous avez communiqué sur la bénignité du virus comme sur le risque de mutation ?

M. Didier Houssin - Je peux essayer de retrouver dans les différentes interventions que j'ai pu faire dans les médias. J'ai voulu respecter cette sorte de balancement entre les aspects rassurants et moins rassurants, justement pour essayer de montrer le caractère malgré tout incertain de ce qu'on pouvait prédire.

M. Alain Milon, rapporteur - S'il y a quelque chose à retenir de la discussion que nous venons d'avoir, c'est qu'il faut essayer d'avoir les moyens de mesure de réceptivité de la population afin de pouvoir adapter le plan de lutte contre la pandémie.

M. Didier Houssin - Face à un phénomène infectieux émergent, je crois qu'il est très important de se pencher sur le virus, sur ce qui est en train de se passer du point de vue clinique, d'identifier les symptômes. Il faut aussi essayer de connaître très vite la réaction du système immunitaire par rapport à un élément émergent.

On pensait qu'il y avait une réceptivité très grande. Prenons un exemple : la situation du chikungunya à la Réunion à la fin 2005. C'était un virus a priori connu, dont a posteriori on a constaté qu'il avait génétiquement bougé. D'où un taux d'attaque extrêmement élevé.

Face à un tel phénomène ou à d'autres phénomènes analogues, il est important d'essayer de connaître très vite la réceptivité de la population.

M. Alain Milon, rapporteur - Il faut se donner les moyens de le faire.

M. Didier Houssin - Oui, c'est surtout un problème de préparation. Je retire la leçon suivante de cette pandémie : par rapport au chikungunya, on a été meilleurs sur la mobilisation de la recherche, mais on a encore une difficulté : on n'est pas capables aujourd'hui de mobiliser facilement des fonds en urgence en faveur de la recherche.

Il faudrait pouvoir anticiper cela. On a des idées sur la question. Je réfléchis à une solution. Au même titre qu'on a fait des dossiers mock-up pour les autorisations de mise sur le marché de médicaments, je verrais bien une sorte de « dossier de recherche mock-up » qui aurait les composantes recherche fondamentale, recherche clinique, en sciences sociales et humaines, qui seraient scientifiquement évaluées. Celui-ci resterait un dossier générique qui serait sélectionné par l'Agence nationale de la recherche. Il serait « mis au réfrigérateur » et, le moment venu, il ressortirait, tout en étant à nouveau évalué. Cela permettrait de gagner du temps et de résoudre les problèmes de financement. C'est une idée qui mérite d'être expertisée.

M. François Autain, président - M. Jean-François Delfraissy se plaint amèrement de ne pas avoir à sa disposition les moyens qui lui permettraient de poursuivre cette recherche, tout au moins de la mener quand elle est opportune.

M. Didier Houssin - Je suis très reconnaissant à M. Jean-Fançois Delfraissy. Lorsque je lui ai écrit le 4 mai, pour se mobiliser, il a été très réactif. L'alliance AVISAN l'a désigné. Il a animé cela de manière tout à fait excellente.

Nous avons tous constaté qu'une des difficultés qu'il faut anticiper est l'organisation du financement. Il n'y a pas de financements de la recherche « en attente ». Il faut arriver à organiser cette capacité à mobiliser rapidement des moyens. Il faut aussi le faire dans des conditions d'évaluation scientifique rigoureuse.

C'est pourquoi on pourrait imaginer une évaluation a priori sur une stratégie de recherche. Concernant les agents infectieux, cela va toujours être la même chose : identifier l'agent, sa virulence, monter des projets de recherche clinique, déterminer le corps médical concerné, la vaccinologie... Cela va toujours être un peu pareil.

M. François Autain, président - Toujours sur cette question de l'évaluation des risques, vous avez dit qu'il y avait de bonnes raisons, dès le mois de mai, de penser que cette grippe ne serait pas plus grave qu'une grippe saisonnière. Je caricature votre pensée, pardonnez-moi.

M. Didier Houssin - Je n'ai pas dit cela. Nous n'étions pas du tout rassurés sur le taux d'attaque, donc sur la mortalité au bout du compte.

M. François Autain, président - Je vais vous informer de ce que disait l'InVS un mois après. Il indiquait qu'en juin « il se confirme que la majorité des cas sont bénins, et la létalité du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. La pandémie est qualifiée de modérément grave sur l'échelle de l'OMS, les hypothèses les plus pessimistes sont donc abandonnées » . Je ne fais que citer le texte que nous a remis Mme Françoise Weber, la directrice de l'InVS, lors de son audition.

J'ai eu la surprise de constater que l'InVS vous avait rendu, le 28 septembre 2009, c'est-à-dire deux mois après, un avis qui n'a pas du tout cette tonalité plutôt rassurante, puisqu'il se termine sur cette phrase : « Enfin, le nombre de décès varie entre 6 400 et 96 000, soit deux à trente fois plus pour la grippe saisonnière » .

N'y a-t-il pas eu quelques contradictions dans l'évaluation du risque ? Quand l'InVS est-il crédible ? Est-ce lorsqu'il indique au mois de juin que le risque est inférieur à celui d'une grippe saisonnière ou lorsqu'il dit, le 28 septembre, que ce risque est de deux à trente fois plus élevé que pour la grippe saisonnière ? Il y a quelque chose qui mériterait peut-être d'être clarifié.

Vous me direz que c'est une question que j'aurais dû peut-être poser à Mme Weber. Malheureusement, je n'avais pas tous ces documents à ce moment-là. Si vous pouvez clarifier cette apparente contradiction, cela nous aiderait beaucoup.

M. Didier Houssin - C'est une question absolument fondamentale. Il est clair que l'appréciation de la situation faite par l'Institut de veille sanitaire et les organismes du même type, CDC d'Atlanta, etc., était un élément déterminant de la conduite à tenir. Ils nous disaient : soit cela peut être grave, soit il n'y a pas de souci.

Je comprends votre perception d'une contradiction, mais je crois que c'est une perception qui mérite d'être analysée. La position de l'InVS a été une position stable, jusqu'à l'avis du mois de septembre. L'InVS faisait une estimation qui, même dans le scénario le plus optimiste, ne pouvait pas nous laisser inertes, et a conduit à ce que nous préconisions à la ministre le lancement de la campagne de vaccination.

C'est la raison pour laquelle il faut bien analyser les trois évaluations faites par l'InVS. De ce point de vue, un document très intéressant vient de paraître dans le tout dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire qui s'appelle : « De l'estimé à l'observé » . On perçoit très bien les trois demandes qu'on avait faites dans le temps à l'Institut de veille sanitaire. On a vu les positions qu'ils ont prises en termes d'estimation de ce qui pouvait se passer. Vous verrez que ces estimations, même si elles se sont un petit peu améliorées dans le temps, conservaient une dimension tout à fait préoccupante en termes de risques d'hospitalisation et de mortalité.

Il faut lire les mots de Mme Françoise Weber, au mois de juin, que vous venez de citer, comme une appréciation par rapport à une situation qui aurait pu être encore pire. Nous avions effectivement en tête la pandémie de 1918. Ce qui se dessinait en mai-juin n'était pas la pandémie de 1918. Ce n'était pas, pour autant, une affaire qui semblait si bénigne que cela. Si vous voulez avoir une comparaison objective des positions qui ont été prises par l'InVS, l'article du BEH y fait référence.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aimerais savoir quel jugement vous portez sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale. Estimez-vous justifié le maintien récemment décidé, au moins jusqu'à la mi-juillet, d'une alerte de niveau 6 ? Qu'attendez-vous des travaux du comité d'examen du Règlement sanitaire international présidé par M. Harvey Fineberg ? Quels renforcements vous paraissent appeler les procédures de contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ? Que pensez-vous de l' European Scientific Working Group on Influenza (ESWI) et de ses rapports avec l'OMS en tant que telle et à travers les scientifiques qui en font partie ?

M. Didier Houssin - Ces questions vont me permettre de revenir sur l'hypothèse de la résolution qui a conduit à la création de la commission d'enquête, c'est-à-dire celle d'une gigantesque manipulation fomentée par l'industrie pour vendre des vaccins et des médicaments.

Cette hypothèse s'appuyait sur l'idée qu'à tous les échelons, nationaux, européens et internationaux, notamment de l'OMS, l'expertise était influencée, sinon aux mains de l'industrie, et que celle-ci avait préparé la construction d'une fausse pandémie. Lors de ma précédente audition, j'avais avancé trois arguments qui me semblaient être des arguments à l'encontre de cette hypothèse. Depuis, des éléments nouveaux méritent d'être mis en avant. Ils me semblent aller aussi contre la thèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique.

Le premier est le rapport du Conseil de l'Europe « Gestion de la pandémie H1N1, Nécessité de plus de transparence » , adopté le 24 juin 2010. Il faisait suite à la motion déposée en décembre 2009, intitulée « Fausse pandémie, une menace pour la santé » . Ce rapport du Conseil de l'Europe reconnaît l'extrême complexité des décisions qui ont dû être prises en urgence sur tous les niveaux, mais surtout, et c'est le point central, il reconnaît, aux pages 10 et 11, « que l'OMS n'a pas eu l'intention de modifier la définition d'une pandémie pour accélérer l'annonce d'un tel événement en juin 2009, que les modifications apportées aux descriptions et aux indicateurs de la maladie, au moment où une infection majeure de grippe était imminente, étaient inopportunes et ont été réalisées d'une manière qui peut être considérée comme manquant de transparence. Ces modifications ont également alimenté les doutes sur une pression morale exercée sur les décideurs, et les observateurs critiques de la situation en sont venus à se demander si cette modification intempestive était absolument nécessaire et à qui elle profitait le plus » . Je viens de citer le rapport du Conseil de l'Europe.

Même le rapport du Conseil de l'Europe, qui est un rapport très critique, ne retient pas l'hypothèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président - Il pose tout de même la question « A qui profite le crime ? » . Chacun peut répondre comme il veut. Votre thèse n'est pas la mienne.

M. Didier Houssin - Il y a un élément d'information nouveau : le rapport du Conseil de l'Europe est un rapport critique sur l'OMS - je vais dire sur quels points -, mais il ne retient pas l'hypothèse d'un complot fomenté par l'industrie pharmaceutique. Il fait d'autres critiques, mais il ne retient pas celle-là.

M. François Autain, président - Nous n'avons jamais employé le terme de complot. On ne peut pas déduire de ce rapport que l'industrie pharmaceutique n'exerce aucune influence sur l'OMS. On ne peut pas en arriver là. Ce n'est pas ma conclusion, mais c'est peut-être la vôtre. Un article du British Medical Journal , publié la veille du rapport, va dans ce sens. Des liens très importants existent entre les experts qui travaillent à l'OMS et les laboratoires où ils travaillent dans le même temps. Il y a une confusion des genres qui, au minimum, doit nous donner à réfléchir. C'est dans ce sens que nous devons essayer de travailler.

M. Didier Houssin - J'en viens à la question que posait M. le rapporteur. Les critiques qui peuvent être faites au niveau de l'OMS portent plus sur la question de la transparence vis-à-vis de l'indépendance de l'expertise à certains niveaux. Il reste toute une série de recommandations qui sont à retenir. Une décision récente vient d'être prise au niveau de l'OMS : les deux personnes qui siégeaient au sein du Comité d'urgence et du Comité d'évaluation se retirent du Comité d'évaluation.

C'est une initiative qui va dans le sens d'une plus grande transparence concernant l'indépendance du processus d'évaluation. Par ailleurs, les initiatives prises récemment au niveau de l'OMS, pour renforcer le dispositif de déclaration des liens d'intérêts et de gestion des potentiels conflits d'intérêts, décisions prises par la directrice générale, il y a trois jours, sont également des éléments qui vont dans le sens de la recommandation du Conseil de l'Europe et du British Medical Journal, dans le sens d'un renforcement de la garantie qu'on peut apporter en termes d'indépendance de l'expertise.

La première chose qu'on peut dire, pour répondre à votre question, est qu'il faut tirer des leçons en termes de crédibilité de l'expertise. Cela passe vraisemblablement par des procédures peut-être mieux appliquées concernant la publicité des liens d'intérêts et la gestion d'éventuels conflits d'intérêts. Par ailleurs, je crois qu'il ne faut pas sous-estimer le rôle positif que l'OMS a joué dans la première mise en application du Règlement sanitaire international (RSI).

Le RSI est un acquis mondial extrêmement important, puisqu'il oblige les Etats à signaler des événements sanitaires de portée internationale. Souvenons-nous de l'épidémie de SRAS : un Etat a été mis en accusation au bout d'un certain temps, parce qu'il n'avait pas signalé un phénomène épidémique qui survenait en son sein.

Dans cette première circonstance, un signalement a été fait à l'OMS par les autorités mexicaines, auxquelles il faut rendre hommage. Le dispositif a fonctionné comme prévu, c'est-à-dire que l'OMS a été réactive. Il y a eu la mise en place du Comité d'urgence. Des décisions et des recommandations ont été prises. Je crois qu'on ne peut pas faire le reproche à l'OMS d'avoir incité les Etats à se préparer durant toute la période de la grippe aviaire et d'avoir réagi au moment de cette émergence du virus H1N1.

L'OMS a effectué un travail de préparation, elle a été réactive, elle a mis en route le RSI, activé ce processus, fait des recommandations aux Etats, y compris dans la retenue, car une des recommandations formulées par l'OMS le 12 ou le 13 juin a été de ne pas fermer les frontières et de ne pas suspendre les vols. C'était une mesure proportionnée. En revanche, il y a des leçons à tirer sur la question de l'expertise, c'est un point tout à fait clair.

M. François Autain, président - D'après ce que vous dites, l'OMS n'a pas grand-chose à se reprocher, mis à part un manque de transparence. Pourquoi a-t-elle estimé nécessaire de faire cet audit, si tout fonctionne bien ? A ma connaissance, le Gouvernement n'a pas demandé d'audit en ce qui concerne la gestion de la grippe dans notre pays, car tout a bien fonctionné. A l'OMS, tout a bien fonctionné aussi. Pourtant, il y a un audit. Je ne comprends pas pourquoi, mais vous allez me l'expliquer.

M. Didier Houssin - Le Règlement sanitaire international prévoit une évaluation par un Comité d'évaluation. La directrice générale a dit, sans hésiter, que l'OMS se soumettrait à une évaluation indépendante. La personne nommée pour animer le comité d'évaluation est M. Harvey Fineberg qui dirige l' Institut of Medicine aux Etats-Unis. Il a une bonne expérience de l'évaluation de la pandémie grippale, du moins de la vaccination contre la grippe aux Etats-Unis en 1976.

Ce matin, j'ai été entendu par le comité d'évaluation qui est en train de commencer ces travaux. L'OMS s'est elle-même spontanément soumise à un travail d'évaluation indépendant.

M. François Autain, président - Spontanément ?

M. Didier Houssin - J'en ai l'impression, en lisant les déclarations de Mme Margaret Chan. Elle a dit, sans hésiter, que l'OMS se soumettrait à une évaluation indépendante. Elle tient déjà compte, je crois, de certaines recommandations, notamment celles du Conseil de l'Europe et du British Medical Journal à travers les deux initiatives qui viennent d'être prises les jours passés.

M. Alain Milon, rapporteur - La dernière ayant été prise vendredi dernier.

M. François Autain, président - Je voulais vous poser une question concernant l' European Scientific Working Group on Influenza. Que pensez-vous de l'ESWI et de ses rapports avec l'OMS en tant que telle et à travers les scientifiques qui en font partie ? Nous en avons auditionné au moins un, sinon deux, qui font partie de cette organisation.

M. Didier Houssin - Un des points soulignés par le British Medical Journal est le suivant : un guide produit par l'OMS sur l'utilisation des antiviraux a pour auteur principal une personne qui a, sans qu'il y ait de conflit, des liens d'intérêts avec un producteur de médicaments antiviraux. Cela fait partie des éléments qui devront être améliorés. C'est susceptible effectivement de générer le soupçon inutilement. Ces points font partie, à juste titre, des points identifiés par le British Medical Journal.

M. François Autain, président - Puisqu'on est sur la gestion des conflits d'intérêts, estimez-vous satisfaisante la façon dont ces conflits ont été gérés par votre direction générale ? Vous avez reconnu devant l'Assemblée nationale que la gestion des conflits d'intérêts dans les agences sanitaires s'est considérablement améliorée. On peut dire aujourd'hui qu'elle est relativement satisfaisante.

Mais en ce qui concerne la gestion des conflits d'intérêts des instances qui relèvent de l'autorité de la direction générale, on a pu observer que cela n'était pas parfait, c'est le moins qu'on puisse dire. Il y a eu beaucoup de manquements. Je voudrais avoir votre avis là-dessus. Estimez-vous cela satisfaisant ? Envisagez-vous des réformes ?

M. Didier Houssin - Depuis déjà plusieurs années, la direction générale de la santé se préoccupe de cette question de l'expertise, de sa compétence et de son indépendance. A la demande du ministre d'alors, en 2007, j'ai chargé une personne de la Direction générale de la santé, que vous avez d'ailleurs entendue, Mme Marie-Dominique Furet, de faire un travail sur le thème de l'indépendance et de la valorisation de l'expertise.

Ce travail a été effectué et rendu public en 2009 à la Documentation française. Nous avons lancé deux actions sur la base de ce travail : une première en direction de l'enseignement supérieur et de la recherche, afin de voir de quelle manière l'expertise peut être valorisée dans la carrière des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Aujourd'hui, dans ce domaine, on a tendance à valoriser les travaux de recherche et les brevets, mais pas tellement l'activité d'expertise pourtant productrice de connaissances et très utile pour les pouvoirs publics.

Ce travail a été initié en lien avec la conférence des présidents d'université.

Par ailleurs, nous visons l'élaboration d'un projet de charte commune sur l'expertise en lien avec les différentes agences et le Haut Conseil de la santé publique. La ministre, après la proposition que je lui avais faite, a mis en place en mai 2008 le Comité d'animation du système d'agences (CASA).

Un des premiers travaux demandés à ce comité a été d'élaborer une charte de l'expertise qui rassemble en particulier les expériences et les acquis d'un certain nombre d'agences qui travaillent depuis déjà pas mal de temps sur ces sujets. Je pense à l'AFSSAPS, à la Haute Autorité de santé, en particulier. Le Haut Conseil de la santé publique s'inscrit également dans ce cadre.

M. François Autain, président - Nous avons interrogé des membres du Haut Conseil de la santé publique, le président de la Commission des maladies transmissibles, le président du Comité technique des vaccinations. Leurs réponses sont loin d'être satisfaisantes.

Le président du Haut Conseil de la santé publique a indiqué qu'il n'avait pas pu appliquer ce texte sur les liens d'intérêts, pour des problèmes de panne informatique.

Quant au Comité de lutte contre la grippe, créé en 2008, nous n'avons connu les liens d'intérêts de ses membres que fin 2009. Le moins qu'on puisse dire est que vous n'avez pas appliqué les dispositions législatives dans ce domaine.

M. Didier Houssin - Je vais distinguer deux situations : la situation du Haut Conseil de la santé publique et la situation du Comité de lutte contre la grippe.

Le Haut Conseil de la santé publique est une entité autonome qui a, malgré tout, mis en oeuvre, peut-être avec un certain retard, la publicité des déclarations d'intérêt. Sous réserve d'une analyse approfondie, je n'ai pas le sentiment qu'il y ait beaucoup de choses à lui reprocher.

S'agissant du Comité de lutte contre la grippe, il a été mis en place par décret au mois de juillet 2008. La question s'était posée de l'intégrer au Haut Conseil de la santé publique. Il existait déjà, mais sans base juridique véritablement établie. Le Comité de lutte contre la grippe est un organisme composé d'experts internes, de représentants de la DGS, de l'AFSSAPS, de l'InVS et de membres extérieurs.

Il a été installé le 10 septembre 2008. Nous avons enclenché la préparation d'un règlement intérieur et la récupération des déclarations publiques d'intérêt. Elles n'étaient pas toutes parvenues à la fin de l'année 2008. Nous avons fait une relance pour les obtenir.

Je reconnais, et je prends sous ma responsabilité, le fait qu'il y a eu un retard dans la publicité donnée à ces déclarations publiques d'intérêt. A partir de fin avril, il a été nécessaire de faire travailler ce comité très souvent, intensément et longtemps. Entre le 25 avril et le 31 janvier, il a rendu quarante-trois avis, en moyenne un avis tous les cinq jours, dans des réunions qui duraient deux à trois heures. Il s'agissait soit de réunions physiques, soit de réunions téléphoniques.

Ce n'est qu'au mois d'octobre que le règlement intérieur a été adopté, quand on a pu se focaliser sur des sujets qui étaient « moins urgents ». L'ensemble des déclarations publiques d'intérêt ont été rendues publiques le 3 novembre. Je reconnais, et je dis que c'est la responsabilité de la DGS, qu'il y a eu un retard dans la formalisation de ces aspects s'agissant du Comité de lutte contre la grippe.

En revanche, je ne crois pas qu'il y ait de reproches à faire ni à la Haute Autorité de santé, ni à l'AFSSAPS, ni au Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - En ce qui concerne le Haut Conseil de la santé publique - je parle sous le contrôle du rapporteur - son président nous a dit que s'il n'avait pas pu mettre en oeuvre les dispositions relatives aux liens d'intérêts, c'était parce qu'il n'avait pas de secrétariat, donc par manque de moyens. Est-ce une raison valable ou pas ?

M. Didier Houssin - On va renforcer le dispositif de déclarations, vérifications, gestion des conflits, pilotage de toute cette dimension d'expertise. On a commencé à préparer ce travail, et on a un nombre important de commissions du même type. Il faut bien mesurer que cela demande du travail.

M. François Autain, président - Etes-vous favorable à l'application des recommandations du rapport de Mme Marie-Dominique Furet ? Son rapport a été rendu public. Je voulais savoir si on avait quelque chance de voir ce rapport appliqué un jour ou s'il était destiné à rester dans un tiroir.

M. Didier Houssin - Ce rapport a pour nous d'autant plus d'importance que la DGS en est l'auteur. Mme Marie-Dominique Furet est à la direction générale de la santé. Ce rapport est pour nous extrêmement important. Nous n'avons eu qu'une idée en tête : le faire appliquer. En matière de valorisation, cela n'est pas facile parce que cela relève beaucoup de l'enseignement supérieur et de la recherche, et suppose l'accompagnement par les conseils supérieurs des universités.

Le travail fait dans le cadre du Comité d'animation du système d'agences est typiquement une suite du rapport de la direction générale de la santé. Nous considérons ce rapport comme non seulement nôtre, mais destiné à prospérer.

M. François Autain, président - Mme Marie-Dominique Furet en sera certainement ravie.

M. Alain Milon, rapporteur - J'en arrive aux contrats. Pour quelles raisons les marchés Sanofi et Novartis de 2005 prévoyaient-ils déjà des clauses de responsabilité de l'Etat équivalentes à celles des avenants et contrats de 2009 ? Ces clauses pouvaient-elles légalement déroger aux dispositions de la loi française et des textes communautaires ?

Les contrats de 2005 portaient sur la fourniture de « traitements » pouvant correspondre à une ou deux doses de vaccin H5N1, car le schéma de vaccination était alors incertain. Le schéma de vaccination H1N1 étant tout aussi incertain, lors de la conclusion, en 2009, des avenants à ces contrats et des contrats Baxter et GSK, pourquoi les commandes ont-elles été exprimées en doses de vaccins plutôt qu'en traitements ?

Les calendriers purement indicatifs de livraison prévus par les contrats laissaient-ils le moindre recours à l'administration en cas de retards anormaux ou de défaut de livraisons imputables aux fournisseurs ?

Vous aviez à juste titre indiqué, lors de votre première audition, que les laboratoires n'étaient tout simplement pas prêts à répondre à une demande importante de vaccins, et vous l'avez répété tout à l'heure.

M. Bruno Lina a confirmé à la commission d'enquête que les vaccins étaient arrivés trop tard pour assurer un effet barrière et « à la limite de l'intérêt individuel » . Un autre de nos interlocuteurs avait affirmé, dès le mois d'août, qu'ils ne seraient pas livrés avant octobre et ne serviraient donc à rien. Que se serait-il passé si la pandémie avait été grave ?

Pourquoi les résiliations partielles de commandes n'ont-elles été signifiées qu'au début du mois de janvier, plus d'un mois après la confirmation, d'ailleurs tardive, par l'EMA qu'une seule dose de vaccin suffisait dans la plupart des cas ?

M. Didier Houssin - Je vais essayer de répondre à toutes les questions. Si par malheur j'en oublie, n'hésitez pas à me le rappeler.

La question de la responsabilité, s'agissant de vaccins susceptibles d'être utilisés à grande échelle, doit s'envisager sous deux angles. La première responsabilité est celle dite du fait du produit qui est de la responsabilité du producteur. Si par malheur, il survient une contamination durant le processus de production, une impureté, c'est de la responsabilité du producteur. En dehors d'un des industriels, très transitoirement, cette responsabilité du producteur n'a pas été contestée par les producteurs.

La deuxième responsabilité est celle liée à l'utilisation. Celle-ci tourne autour de la question des effets indésirables liés à la vaccination qui, dans la très grande majorité des cas, sont mineurs, ne prêtent pas à conséquence et sont identifiés préalablement dans le cadre des essais cliniques. On a une petite idée, lorsque le vaccin est utilisé et qu'il a une autorisation de mise sur le marché, de ce qui peut se passer en termes d'effets indésirables.

Il peut y avoir cependant des effets indésirables inattendus. Les Etats - c'est la position adoptée en France, mais pas seulement en France - ont pris cette responsabilité pour une raison très simple : les industriels ne peuvent pas prendre cette responsabilité, car ils ne sont pas en mesure de l'assurer. C'est du moins l'explication donnée dans l'analyse faite en 1976 par l'Institute of Medicine de la grippe porcine américaine. C'est une responsabilité qui n'est pas assurable. Les industriels, dans ces conditions, disent qu'ils ne mettront pas à disposition les vaccins, si c'est eux qui doivent prendre cette responsabilité. Il y a une discussion possible en pratique. C'est la raison pour laquelle la France a pris la charge de cet aspect de la responsabilité.

M. Alain Milon, rapporteur - En 1976, aux Etats-Unis, ils ont été obligés de changer les lois pour permettre justement la prise en charge de la responsabilité par l'Etat, puisque ce n'était pas possible autrement. Ce que vous venez de dire est-il légal en France ou va-t-on devoir modifier quelque part certaines lois pour cela ?

M. Didier Houssin - Sous réserve de vérifications du point de vue juridique, le dispositif qui était prévu en France est clairement un dispositif qui s'appuie sur l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) dans le cadre de quelque chose qui ressemble à l'aléa thérapeutique. C'est là que nous avions éventuellement une décision à prendre. S'il était apparu des effets indésirables sévères, la question qui aurait pu se poser est la suivante : y a-t-il lieu de suspendre la campagne de vaccination ? C'est quelque chose auquel nous étions éventuellement prêts, mais qui n'a pas eu à être décidé.

M. François Autain, président - Vous avez indiqué que les Etats, dans leur ensemble, à votre connaissance, ont pris cette responsabilité. Tous les Etats ont-ils adopté la même position que la France, à savoir des clauses de responsabilité particulières ? A votre connaissance, existe-t-il des Etats qui ont obtenu des laboratoires que ceux-ci prennent la responsabilité de ces effets indésirables, contrairement à ce qui s'est passé en France ?

M. Didier Houssin - Je n'ai pas eu une connaissance intime de la rédaction des contrats. D'après les échanges informels que j'ai eus, aucun Etat, je crois, n'a accepté la responsabilité du fait du produit. La ministre d'ailleurs avait, de ce point de vue, avec ses collègues européens, dit que nous ne devions pas accepter la responsabilité du fait du produit.

Je ne suis pas sûr que des industriels aient accepté la responsabilité liée à l'utilisation et aux effets indésirables inattendus, mais il faudrait vérifier dans les contrats de chacun des pays. Nous ne l'avons pas fait, mais peut-être avez-vous pu le faire.

M. François Autain, président - Je le découvrirai dans le rapport élaboré par le rapporteur, comme vous, si la commission d'enquête a pu effectuer ces contrôles.

M. Didier Houssin - La deuxième question concernait le nombre de doses et le fait que les avenants aient été passés en doses et non en traitements. En mai 2009, la question s'est réellement posée en termes de capacité de production et de rendement de la production. Nous n'étions plus dans une situation d'anticipation comme en 2005. Nous étions « le nez sur le carreau » avec une question : la capacité de production va-t-elle permettre d'aboutir à des livraisons et en quelles quantités ? C'est la raison pour laquelle les choses ont été envisagées non plus en traitements, mais en doses. Il s'agissait véritablement de compter les doses soit, au départ, deux doses pour chaque personne.

Concernant les calendriers de livraisons, je peux être extrêmement précis. Ces derniers, qui nous ont été fournis par les industriels, étaient toujours indicatifs, c'est-à-dire que ce n'étaient pas des engagements. Les industriels ont fait leurs meilleurs efforts pour que les livraisons soient les plus précoces et les plus abondantes possibles. Ils y sont plus ou moins bien parvenus. Il y a d'ailleurs toujours eu des glissements par rapport au calendrier indicatif.

Quand je disais de façon un peu abrupte que l'industrie n'était pas prête, je pense qu'elle n'était pas prête à produire des quantités très importantes, dans un délai très bref. La résultante de cela a été que les livraisons ont été échelonnées, progressives, avec parfois des hoquets. Les hoquets étant liés non tant à des problèmes de production qu'à des problèmes d'embouteillage.

On a bien vu qu'un des facteurs limitant de la production des vaccins en grande quantité peut être la capacité de mettre en bouteille, d'avoir des façonniers. Si vous examinez les avenants déposés par les industriels auprès de l'EMA, entre octobre et décembre, ils portent souvent sur de nouveaux opérateurs en matière de mise en bouteille, pour essayer de faire face sous cet angle.

M. François Autain, président - Je voudrais vous demander encore une fois s'il n'aurait pas été possible d'introduire dans ces contrats des clauses de révision en fonction des recommandations internationales, en l'occurrence une dose ou deux doses. Cela n'a pas été possible en France. A votre connaissance cela a-t-il été possible dans d'autres pays européens ?

M. Didier Houssin - Sous l'angle des mesures dites conditionnelles, lesquelles portaient essentiellement sur la notion de tranches conditionnelles, pour les Etats qui avaient ce qu'on appelle des contrats de réservation, des APA (Advance Purchase Agreement), les tranches conditionnelles existaient. Dans le contrat que nous avions avec Sanofi et Novartis, il y avait des tranches conditionnelles. Nous avions pu négocier ce dispositif à l'avance.

M. François Autain, président - En disant cela, à quels pays pensez-vous ?

M. Didier Houssin - Je parle de la France. La France avait des tranches conditionnelles avec Sanofi.

M. François Autain, président - On peut imaginer que certains pays avaient des tranches conditionnelles avec GSK par exemple. C'est en cela que je vous demande à quel pays vous pensez.

M. Didier Houssin - Je crois savoir que la Grande-Bretagne avait des tranches conditionnelles avec GSK. Je ne voudrais pas m'avancer, car je n'ai pas mémorisé les cas de l'ensemble des pays.

M. François Autain, président - L'Allemagne peut-être aussi.

M. Didier Houssin - Peut-être l'Allemagne, mais j'en suis quasiment certain pour l'Angleterre. En revanche, il est vrai que nous n'étions pas en position de force vis-à-vis de GSK, puisque nous n'avions pas de contrat de réservation avec eux.

Pour GSK, il a fallu s'insérer dans un dispositif de production, mais nous n'étions pas en position de force pour négocier des tranches conditionnelles. Il fallait surtout essayer d'avoir accès à une part de la production. C'est la raison pour laquelle cela nous est apparu être un point important.

M. François Autain, président - Novartis avait pourtant exigé des commandes fermes, et nous avions pourtant un « Advance Purchase Agreement » .

M. Didier Houssin - Je crois qu'il y avait des tranches conditionnelles avec Novartis aussi. Je ne voudrais pas vous dire d'erreurs. Pour Sanofi, j'en suis certain, mais je le crois aussi pour Novartis. Je vais vérifier ce point.

M. François Autain, président - Selon vous, un Etat n'ayant pas de contrat de réservation n'avait pas la possibilité d'obtenir une clause de révision en fonction du nombre d'injections ?

M. Didier Houssin - Ce n'était pas facile. Je n'ai jamais eu le sentiment qu'on était en position de force suffisante pour pouvoir négocier ce genre de conditions, mais c'est une impression personnelle évidemment.

M. François Autain, président - Il y a peut-être meilleurs négociateurs que les négociateurs français. C'est possible. Pourquoi pas ?

Mme Marie-Thérèse Hermange - Avez-vous essayé de négocier ?

M. Didier Houssin - Bien sûr, nous avons essayé de négocier. Pour faire la comparaison, il faudrait poser la question également à des Etats qui n'avaient pas non plus de contrats de réservation, et savoir s'ils ont obtenu des tranches conditionnelles. J'en serais un petit peu surpris.

Comme je l'avais expliqué à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le fait qui nous a mis en difficulté est que le vaccin adjuvanté Emerflu, susceptible d'avoir une autorisation en début 2009, ne l'a pas eue. Notre principal prestataire ne pouvait donc pas livrer ce vaccin adjuvanté. On s'est donc tourné vers le seul susceptible de livrer rapidement, c'est-à-dire GSK.

M. François Autain, président - Dans cette affaire, le laboratoire, GSK pour ne pas le nommer, n'a-t-il pas un peu chargé la barque ? Ne pensez-vous pas qu'ils se sont comportés beaucoup plus en commerçants qu'en agents comptables d'une certaine conception de la santé publique ? Vous me direz que ce n'est pas leur métier, mais enfin !

M. Didier Houssin - Il faut malgré tout voir les aspects positifs. Nous avions la possibilité de mettre à disposition un vaccin qui nous paraissait être une mesure de prévention importante. Ces laboratoires sont des entreprises de dimension mondiale. Nous avions comme interlocuteurs la représentation française, mais l'affaire se jouait au niveau des usines de production à l'échelle mondiale. Je n'ai jamais eu le sentiment que nous avions en face de nous des gens qui n'avaient pas une vision sanitaire. D'un autre côté, vous avez raison, ce sont aussi des gens qui vendent un produit.

M. François Autain, président - Vous avez le sentiment d'avoir bien négocié. Avez-vous des regrets ? Comme vous le dites souvent dans les interviews que je lis de vous dans la presse, si c'était à refaire, vous referiez sensiblement la même chose.

M. Didier Houssin - Je disais que je referais la même chose, si j'avais les mêmes éléments de connaissance.

M. François Autain, président - Je n'ai pas lu cela. Je fais référence à votre interview dans Libération . Il y en a peut-être d'autres. J'avais été frappé, et je m'étais dit que vous ne tiriez pas vraiment de leçon.

M. Didier Houssin - Au contraire, monsieur le président, nous tirons des leçons, car il y a énormément de choses à apprendre. Effectivement, si nous étions confrontés au même événement, avec les connaissances que nous avons aujourd'hui, bien sûr que nous agirions différemment.

M. François Autain, président - Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, bien entendu, sinon ce serait trop facile.

M. Didier Houssin - En revanche, je veux dire que beaucoup de décisions ont été prises sous contraintes, qui ne permettaient pas véritablement des choix. Les vrais choix n'ont d'ailleurs pas attiré une grande attention. Ils étaient les suivants : gratuité ou pas gratuité, ordre de priorité, obligation vaccinale ou pas, là, des options ont été prises par le Gouvernement et qui auraient pu être différentes. Beaucoup d'autres décisions ont été prises sous contraintes et ne laissaient pas beaucoup de place à des options.

M. François Autain, président - Pouvez-vous répondre à la troisième question de M. le rapporteur ?

M. Didier Houssin - Concernant la question du retard dans la livraison des vaccins, j'ai toujours eu le sentiment que nous faisions un petit peu la course avec le virus, et qu'il n'était pas certain que nous allions pouvoir atteindre notre objectif qui était de vacciner si possible ceux qui le souhaiteraient, mais en quantité suffisamment importante avant le pic pandémique. Effectivement, les choses se sont un peu superposées.

On a eu la chance que la fermeture des classes, au début de novembre en Ile-de-France, ait ralenti la propagation du virus. Il y a eu, malgré tout, un certain parallélisme entre la dynamique de l'épidémie et la dynamique de livraison des vaccins. Je suis d'accord avec M. Bruno Lina, quand il dit qu'on n'a malheureusement pas été en avance comme on l'aurait souhaité. C'était déjà très inattendu qu'on puisse même espérer être en même temps.

M. François Autain, président - Vous avez commandé des vaccins alors que vous étiez à peu près persuadé qu'ils arriveraient trop tard.

M. Didier Houssin - Non, nous espérions clairement qu'il puisse y avoir une quantité de vaccins suffisamment importante avant l'accentuation du phénomène épidémique.

Quant à la résiliation, elle a été décidée par la ministre, lorsqu'il nous est apparu que les données étaient suffisamment claires sur la question concernant une ou deux doses, ça n'a été le cas qu'en novembre. Par ailleurs, nous voulions être suffisamment approvisionnés pour ne pas nous exposer à des phénomènes d'interruption d'approvisionnement. C'est la raison pour laquelle la décision a été prise lorsqu'il nous a semblé possible qu'elle soit prise.

M. François Autain, président - Vous ne faisiez pas beaucoup confiance à vos fournisseurs...

M. Didier Houssin - Ce n'est pas cela, mais nous constations qu'il y avait des glissements dans les calendriers de livraison. On se disait qu'il ne fallait pas s'exposer à un glissement majeur.

M. Alain Milon, rapporteur - Nous avons le calendrier sous les yeux. Il est vrai que GSK a commencé à livrer à partir de la semaine 41. Sanofi n'a commencé à livrer qu'à partir de la semaine 46. Il y a des écarts énormes, avec des semaines sans aucune livraison : semaine 45 pour GSK, semaine 51, etc. Il y a eu des trous importants.

M. Didier Houssin - En sachant que pour Sanofi, un rétablissement est intervenu qui, au départ, n'était pas véritablement prévu et s'est fait autour du vaccin non adjuvanté. Je dois dire que cela a été une solution très satisfaisante, notamment pour les personnes pour lesquelles ce type de vaccin était recommandé. Au départ, on s'attendait à un retard beaucoup plus important du côté de Sanofi, du fait que l'autorisation du vaccin Humenza adjuvanté n'est intervenue qu'en février 2010.

M. François Autain, président - Du coup, après la bataille. Je voudrais que nous revenions sur les conditions dans lesquelles vous avez fixé les 94 millions de doses, et plus si affinité, jusqu'à 130 millions de doses.

Lors de votre première audition, vous avez indiqué que vous vous en étiez référé aux experts. J'ai beaucoup cherché, car vous n'avez pas été très explicite. Peut-être est-ce aussi notre faute, nous n'avons peut-être pas posé les questions qu'il fallait. En consultant les avis du Haut Conseil de la santé publique, je n'ai pas trouvé la réponse à cette question.

J'ai consulté les comptes rendus du Comité de lutte contre la grippe, quand je les ai reçus, mais cela n'a pas suffi non plus. Je me suis reporté au petit rapport qui se trouvait dans une note annotée du Comité de lutte contre la grippe. C'était le compte rendu d'une réunion téléphonique du 10 mai 2009. Il y avait en référence le texte de recommandation du Comité, accompagné d'une note de proposition d'achat de vaccins transmise à la ministre en charge de la santé. Je n'avais pas ce document.

Quand je l'ai eu, j'ai un peu mieux compris, puisque ce document était accompagné d'une lettre de saisine de votre part, datée du 8 mai. Je crois savoir qu'il fallait faire vite, puisque le laboratoire vous tenait. Si le 12 mai à minuit, vous n'aviez pas signé, c'était fini, vous n'auriez plus rien. Le chantage a remarquablement bien fonctionné.

Pour vous couvrir, vous avez demandé l'avis du Comité de lutte contre la grippe, qui a, en vingt-quatre heures, élaboré ce document, ce qui, en d'autres circonstances, nécessite plus de temps, pour une structure comme le Haut Conseil de la santé publique. C'est d'ailleurs cette procédure que vous avez utilisée pour le H5N1 en 2008, puisque vous aviez saisi le Haut Conseil de la santé publique pour savoir quelles étaient les modalités de vaccination H5N1 qu'il fallait retenir.

Une réponse est intervenue fin 2008. La réponse qui vous a été fournie pour H1N1 par le Comité de lutte contre la grippe n'était finalement qu'une copie du rapport qui avait été effectué pour le Haut Conseil de la santé publique, mais sur le H5N1.

Je comprends qu'en quarante-huit heures, malgré leur grande compétence, les membres du Comité de lutte contre la grippe n'avaient pas le temps d'élaborer un rapport, tel qu'il aurait été nécessaire, dans une crise comme celle de la grippe H1N1. Mais je voudrais savoir pour quelles raisons vous n'avez pas saisi le Haut Conseil de la santé publique, comme vous l'aviez fait en 2008.

Vous me direz que la réponse est peut-être dans la question. Le temps pressait, et c'est sans doute pour cette raison que vous avez saisi le Comité de lutte contre la grippe, car vous estimiez, avec quelque raison, obtenir une réponse beaucoup plus rapide que si vous saisissiez le Haut Conseil de la santé publique.

Mais la réponse qui vous a été apportée offre moins de garanties que si elle émanait du Haut Conseil de la santé publique, surtout s'agissant du nombre de doses à commander. Dans cet avis du Comité de lutte contre la grippe, j'ai recherché les données scientifiques qui permettaient d'expliciter l'indication sur le nombre de doses à commander. Malheureusement, je n'en ai pas trouvé.

Les recommandations qui étaient faites étaient assez vagues : avoir des vaccins pour toute la population et, à défaut, vacciner certaines tranches de la population en fonction de l'efficacité estimée par la modélisation sur l'évolution de la pandémie.

Il n'y avait absolument aucune base scientifique qui permettait d'expliquer le recours à un nombre aussi important de vaccins. Je comprends qu'il vous était nécessaire de vous entourer d'un certain nombre de garanties, mais comme l'a très bien dit le président du Comité technique des vaccinations, la décision d'acheter 94 millions de doses est une décision politique. J'ai cru comprendre que le président du CTV - Daniel Floret - ne voulait pas assumer cette responsabilité mais peut-être est-ce une interprétation de ma part.

M. Didier Houssin - Pour répondre à votre question, il faut resituer tout le travail préparatoire qui a été fait autour de la question des vaccins en situation pandémique. Comme vous l'avez dit, nous avions depuis plusieurs années réfléchi à la question de la vaccination, aussi bien dans le contexte du Comité de lutte contre la grippe, que dans celui du Haut Conseil de la santé publique, puisque nous avions un avis de 2008 sur ce sujet, bien sûr dans le contexte H5N1, mais qui n'était pas un contexte malgré tout si différent sur certains aspects du contexte H1N1. Lorsque l'affaire a démarré, nous n'étions pas absolument certains de la manière dont les choses allaient tourner.

M. François Autain, président - Jusqu'au mois de mai ?

M. Didier Houssin - Non, jusqu'aux mois de septembre, octobre, novembre. Rappelez-vous l'avis et les prévisions de l'InVS.

M. François Autain, président - Au mois de juin pour l'InVS, ce n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière. Je vous l'ai lu tout à l'heure.

M. Didier Houssin - J'ai bien compris, mais vous avez lu aussi l'avis de septembre. Nous avions de quoi nous inquiéter.

M. François Autain, président - D'où le problème.

M. Didier Houssin - J'ai essayé d'expliquer qu'il n'y avait pas de contradictions dans les avis de l'InVS, qu'il y avait au contraire une continuité, seulement une apparence d'instabilité.

M. François Autain, président - Méfions-nous des apparences.

M. Didier Houssin - J'en reviens à votre question. Nous avions également l'avis du Comité consultatif national d'éthique du mois de février 2009, qui nous donnait un éclairage important sur un aspect concernant la vaccination.

M. François Autain, président - Il est relatif au H5N1 aussi.

M. Didier Houssin - Il était relatif à la préparation à une pandémie grippale. C'était générique. Je voudrais bien préciser les choses. Il est vrai que dans une situation un peu urgente, nous avons été amenés à saisir le Comité de lutte contre la grippe le 8 mai, comme vous l'avez dit, mais il ne s'agissait là que de dessiner une orientation. Je tiens à bien préciser que la décision formelle d'acquisition a été prise par le Premier ministre, le 3 juillet 2009.

Tout ce qui a précédé n'était que du domaine de l'intention. Je voudrais appeler votre attention sur la saisine du Haut Conseil de la santé publique le 11 juin et sur les réponses qui ont été apportées par le Haut Conseil de la santé publique d'abord, par le Comité technique des vaccinations, puis par le Haut Conseil dans sa formation commission spécialisée maladies transmissibles, qui ont clairement indiqué l'importance, à leurs yeux, d'une vaccination large.

M. François Autain, président - Ceci était postérieur.

M. Didier Houssin - Pas du tout. C'était antérieur à la décision du 3 juillet. C'était fin juin.

M. François Autain, président - C'est quand même postérieur au mois de mai.

M. Didier Houssin - Au mois de mai, nous n'avions pas pris de décision. On avait simplement dit à GSK qu'on était intéressés.

M. François Autain, président - Monsieur le directeur, on n'avait pas pris de décision, mais enfin...

M. Didier Houssin - Il s'agissait d'une lettre d'intention.

M. François Autain, président - Je lis le passage manuscrit de la lettre que vous avez adressée à Mme la ministre : « Il me semble que la proposition faite par GSK doit être acceptée car elle est à même d'offrir la solution de vaccination la plus précoce dans l'éventualité d'une vague pandémique à l'automne. » Effectivement, la décision n'était pas prise, mais on était sur la voie ! C'était le 11 mai.

M. Didier Houssin - Nous étions tout à fait sur la voie, mais il n'y avait pas de décision prise. C'était simplement une préconisation qui permettait de valider, si la ministre en était d'accord, les lettres d'intention, ce qui a été fait. Je rappelle que la décision formelle a été prise par le Premier ministre le 3 juillet. D'ailleurs, la notification des contrats n'a été faite qu'à partir du 15-20 juillet.

On a bien tenu à essayer de faire en sorte - c'était d'ailleurs une des leçons du rapport de l'Institute of Medicine - que les décisions politiques soient appuyées sur l'expertise et qu'on tienne compte de l'avis de l'InVS, de l'AFSSAPS et de la synthèse du Haut Conseil. C'est la raison pour laquelle on a interrogé le Haut Conseil le 11 juin. Le Comité technique des vaccinations a donné un avis le 22 juin. Le Haut Conseil, dans sa séance du 25 juin, a validé l'avis du Comité technique des vaccinations.

M. François Autain, président - Pour moi, la commande a eu lieu le 14 mai 2009. Il y a quand même eu cette lettre d'intention. Ce n'était pas gratuit puisque vous versiez avec cette lettre 75 millions d'euros hors taxes. « Cette commande fera l'objet d'une réservation immédiate, dont le coût sera facturé par GSK à raison de 1,5 euro hors taxes par dose de vaccin, soit la somme totale de 75 millions d'euros hors taxes. »

Vous me direz qu'il est toujours possible de revenir là-dessus, mais pour moi, le 14 mai - la suite le prouve - les choses étaient faites. Les avis du Haut Conseil ont été ensuite de simples formalités. L'essentiel a eu lieu au cours de ces quatre journées du mois de mai sur des bases scientifiques très légères. La pathogénicité du virus n'est absolument pas prise en compte. Ils n'ont pas eu le temps. Il ne faut pas demander l'impossible. Ils n'ont eu que quarante-huit heures. C'est troublant.

M. Didier Houssin - Je dois dire, monsieur le président, que je ne partage pas du tout votre analyse.

M. François Autain, président - C'est bien le problème, justement.

M. Didier Houssin - Je ne partage pas du tout votre analyse. Une expertise a été effectivement demandée au Comité de lutte contre la grippe - comme c'était son rôle - qui nous a donné une orientation, laquelle nous a permis de poursuivre les pourparlers et d'aller vers une lettre d'intention. On a bien pris la précaution de solliciter l'avis du Haut Conseil de la santé publique, en particulier du Comité technique des vaccinations, qui est sa composante la plus compétente en matière de vaccination. On a eu un avis le 22 juin, puis l'avis final de la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil le 26 juin.

Sur cette base, il a été possible de recommander à la ministre la décision politique d'acquisition de vaccins. Je dois dire que, parallèlement, on a bien sûr essayé de savoir ce que faisaient les pays voisins. Nous avions également le sentiment que l'ensemble de ces pays, en tout cas les Etats européens, les Etats-Unis et le Canada, s'engageaient également vers une acquisition de vaccins dans des quantités qui parfois étaient identiques, voire supérieures, mais en tout cas dans des proportions tout à fait voisines. Nous ne pensions donc pas avoir un comportement aberrant en matière de commandes de vaccins.

M. François Autain, président - Heureusement, tous les pays en Europe n'ont pas commis les erreurs que vous avez commises.

M. Alain Milon, rapporteur - Si le Haut Conseil avait infirmé la possibilité d'une pandémie, aurait-on pu revenir sur les contrats qui avaient été prévus le 14 mai et les arrêter ?

M. Didier Houssin - Je tiens à bien préciser que le 14 mai, il n'y a pas eu de contrats.

M. Alain Milon, rapporteur - Il y a eu 72 millions d'euros de versés.

M. Didier Houssin - Ils n'ont été payés qu'en septembre.

M. François Autain, président - Il y a eu un engagement quand même.

M. Didier Houssin - C'est une lettre d'intention.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aimerais avoir une réponse à ma question. Si le Haut Conseil avait dit qu'il n'y avait pas de risque, pouvait-on tout arrêter ?

M. Didier Houssin - C'est la raison pour laquelle nous avons pris la précaution de nous assurer, avant le lancement de la campagne, que nous avions des feux verts du côté de l'expertise. On a interrogé l'Institut de veille sanitaire qui nous a donné son avis - qui n'était pas si rassurant que cela. Deuxièmement, nous avons réinterrogé le Haut Conseil de la santé publique pour savoir s'il y avait lieu de lancer la campagne. La réponse a été oui.

M. Alain Milon, rapporteur - Et si la réponse avait été non ?

M. Didier Houssin - On aurait dit à la ministre que le Haut Conseil de la santé publique ne nous recommandait pas de lancer la campagne. Je dois dire que nous avons également concerté avec nos collègues, et nous avons constaté que l'ensemble des pays déclenchaient leurs campagnes dans les mêmes proportions.

Si, effectivement, le Haut Conseil avait dit qu'il ne se passait plus rien, et qu'il n'y avait pas lieu de lancer une campagne de vaccination, si l'Institut de veille sanitaire nous avait dit que ce virus avait arrêté de circuler et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, et si on avait constaté que nos collègues dans les autres pays faisaient la même observation, nous aurions renoncé, et nous aurions peut-être, à ce moment-là, résilié ou pris une décision concernant les contrats.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est important. Dans cette démarche, vous avez mis régulièrement des garde-fous qui vous permettaient, d'avancer, d'arrêter ou même de faire marche arrière dans certaines conditions.

M. Didier Houssin - J'ai eu en permanence à l'esprit les conclusions du rapport de l'Institute of Medicine sur ce qui s'était passé en 1976. Mon homologue du CDC américain avait « mis dans une même seringue » l'acquisition des vaccins, l'ordre de priorité et le lancement de la campagne. Le président Gérald Ford avait pris une décision globale.

La conclusion du rapport de l'Institute of Medicine est celle-ci : il ne faut pas mettre les responsables politiques dans une telle situation, il faut faire en sorte qu'ils aient la possibilité, s'ils le jugent nécessaire, de stopper et de revenir en arrière. D'où l'importance que nous avons attaché à faire en sorte, pour chacune des trois décisions importantes - l'acquisition, l'ordre de priorité, le lancement de la campagne et les questions d'organisation de la campagne de vaccination qu'on peut ranger dans ce cadre - que la décision politique soit précédée d'un travail d'expertise, l'administration faisant ensuite une préconisation aux responsables politiques, dans le cadre de sa mission.

M. Alain Milon, rapporteur - Je trouve cette démarche intéressante. Si on arrive à la phase 3, qu'on se rend compte que ce n'est pas utile et qu'on arrête cette phase 3, y a-t-il des possibilités de revenir en arrière dans le plan qui est mis en place ?

M. Didier Houssin - On avait envisagé cette situation essentiellement sous l'angle d'effets indésirables inattendus, c'est-à-dire d'une vaccination qui se serait révélée « à risques ».

Effectivement, on avait des possibilités de stopper l'organisation de la campagne. On n'aurait pas installé les centres de vaccination. Sur les contrats, on se serait retrouvé dans la situation qu'on a connue trois mois plus tard, autour de la question de la résiliation.

M. Alain Milon, rapporteur - D'où la nécessité de réfléchir à l'avenir.

M. Didier Houssin - C'est certain. C'est une leçon extrêmement importante. A l'avenir, il faut qu'on arrive à faire en sorte de ne pas se trouver sous la pression du temps et de l'industrie et de pouvoir imposer l'obtention de tranches conditionnelles, de conditions, etc.

M. François Autain, président - Je trouve que le problème ne se posait pas en ces termes. La lettre d'intention a été envoyée le 14 mai 2009. Vous avez saisi le Haut Conseil de la santé publique à plusieurs reprises. Il y a eu cet avis du mois de juin, qui ne portait pas du tout sur la quantité. A chaque fois, vous avez informé le Haut Conseil de la santé publique que vous aviez commandé tant de millions de vaccins. Vous ne lui avez jamais demandé son avis sur la quantité de vaccins à commander.

La seule chose qu'il s'est permis de dire est qu'il fallait faire attention en raison des adjuvants mal connus et de l'ignorance sur l'immunogénicité de ce nouveau vaccin. Il n'a jamais donné un avis, contrairement au Comité de lutte contre la grippe, sur le nombre de vaccins.

Quand vous avez ensuite saisi, au mois d'août, je crois, le Haut Conseil sur les publics prioritaires, il était évidemment trop tard. Vous aviez des commandes fermes. Ou vous résiliez tout, ou vous ne résiliez rien. Vous n'aviez aucune possibilité, aucune marge de manoeuvre. C'était tout ou rien. C'est complètement absurde. Il est évident qu'on n'avait pas besoin d'autant de vaccins, mais il serait tout aussi absurde de dire qu'on n'avait pas besoin de vaccin du tout, même si ce vaccin est intervenu, on le reconnaît tous, trop tard.

Je ne vois vraiment pas en quoi l'avis du Haut Conseil de la santé publique sollicité pouvait en quoi que ce soit modifier la commande que vous aviez faite, même si la lettre d'intention ne formalise pas la commande. Cette décision étant intervenue en juillet, je pense qu'il était trop tard après pour pouvoir la remettre en cause, même si l'avis du Haut Conseil avait été très négatif, ce qui, à l'époque, était très improbable.

M. Didier Houssin - Sur ce point, je pense que vous avez raison. On ne peut pas demander aux experts plus que ce qu'ils peuvent dire. Leur analyse était fondée sur l'état des connaissances, dans un domaine où il y avait de grandes incertitudes. Il est vrai que la décision politique se fait au croisement, malgré tout, d'une doctrine qui avait été élaborée préalablement, dans le cadre de la préparation à une pandémie, d'un avis éthique qui a son importance concernant l'accès à la vaccination, d'informations disponibles sur ce qu'on savait de la compliance vaccinale possible et de l'insensibilité de certaines populations au virus.

Il est vrai que ce n'est pas au Haut Conseil de la santé publique qu'on a demandé un dimensionnement précis. Les avis que nous avons eus, malgré tout, sur l'opportunité, la pertinence de la vaccination, l'identification des catégories pour lesquelles il pourrait y avoir un intérêt à vacciner, nous ont conduits à échafauder un dimensionnement qui a été une décision - je le reconnais - politique, qui a été le point d'équilibre entre différentes analyses.

M. François Autain, président - Nous sommes d'accord sur ce point.

M. Didier Houssin - Je ne pense pas qu'il aurait été correct, compte tenu de ce qu'on savait, de demander aux experts du Haut Conseil de la santé publique qu'ils nous disent la quantité qu'il fallait acheter.

M. François Autain, président - Le Comité de lutte contre la grippe a été très clair. Il n'allait pas jusqu'à 130 millions de doses, c'est vrai.

M. Didier Houssin - Il a rappelé l'importance de la vaccination. Il a rappelé quelles pourraient être les catégories concernées. Il est vrai que l'avis du mois de juin nous a confortés dans cette orientation.

M. François Autain, président - Il recommandait l'achat de 108 millions de doses, dans l'hypothèse d'une vaccination à deux doses. Vous alliez un petit peu plus loin, puisque vous êtes allé jusqu'à 130 millions de doses, dont 94 millions de doses en commande ferme.

De manière étonnante, le Comité de lutte contre la grippe peut donner des avis concernant la quantité, mais vous venez de dire que le Haut Conseil de la santé publique ne le pouvait pas. Ceci m'étonne car ce dernier est une structure qui a beaucoup plus de poids que le Comité de lutte contre la grippe. Cela m'étonne que vous ne lui ayez pas demandé cette information, ce conseil en tout cas.

M. Didier Houssin - Il ne faut pas sous-estimer le Comité de lutte contre la grippe, qui a des représentants des différentes agences concernées et également une compétence particulière en matière de grippe.

M. Alain Milon, rapporteur - Le président a dit que GSK avait imposé à l'Etat français la commande ferme d'un certain nombre de vaccins au 12 mai, à minuit. Est-ce le cas ?

M. Didier Houssin - GSK a demandé qu'il y ait une expression d'intérêt claire de la part de la France à une date qui était effectivement précoce, mais ce n'était pas une intention de commande ferme. Il est vrai qu'une contrainte de temps était mise et tenait au fait simplement que GSK avait la nécessité de répartir sa production en fonction des différents pays demandeurs. Nous devions apporter une réponse sur l'intérêt que nous avions pour ce produit le 12 mai à minuit.

M. François Autain, président - Il nous reste à vous remercier, monsieur le directeur général, de vous être prêté avec autant de patience au jeu des questions. Nous vous remercions aussi des réponses que vous nous avez apportées.

Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
ministre de la santé et des sports
(mercredi 30 juin 2010)

M. François Autain, président - Madame la ministre, je vous donne la parole puisque vous souhaitez faire une intervention liminaire. Ensuite, le rapporteur vous posera ses questions.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je jure bien entendu que je dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Au terme de vos auditions sur les éléments d'informations délivrés aux gouvernants et au Gouvernement par les experts, leur indépendance, les éventuelles incidences des possibles conflits d'intérêts dans les prises de décision des pouvoirs publics, je me réjouis d'avoir à nouveau l'occasion de m'exprimer devant votre commission.

Lors de ma première audition, j'avais tenu à vous présenter les valeurs qui m'avaient animée en tant que ministre de la santé, face à une menace potentiellement grave et chargée d'une grande incertitude. Aujourd'hui, vous arrivez à l'étape finale de votre travail. Je suis la dernière à nouveau auditionnée.

M. François Autain, président - Vous avez été la première, madame.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je boucle la boucle. Je sais que vous avez à coeur, comme moi, de tirer les enseignements de cette pandémie. Il est de notre responsabilité, chacun à notre place politique, de préparer l'avenir pour garantir la sécurité et préserver la santé des Français.

Je sais que vous entendez faire des propositions concrètes au Gouvernement, pour rendre plus opérationnels, plus efficaces et plus impartiaux les avis d'experts qui forment le socle de la décision des gouvernants.

Pour commencer et répondre aux critiques que j'entends ici ou là, je veux le dire avec force : face à cette pandémie grippale, nous avions l'impérieuse nécessité de nous préparer. Nous ne partions pas de rien, au contraire. Le contexte récent - les années 2003-2005 - était marqué par l'irruption de nouvelles menaces : l'émergence de la grippe aviaire ou du SRAS.

Sous l'impulsion de l'Organisation mondiale de la santé, la France a fait un important travail de préparation dans le domaine de la veille sanitaire, de l'expertise et de la planification. Dès 2005, nous avons disposé d'un plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale qui reprenait l'architecture du plan OMS.

Ce plan, nous n'avons cessé de l'adapter, de le fignoler au cours des années. Cinq ans plus tard, dans sa quatrième édition, il a singulièrement gagné en adaptabilité, prenant en compte, au-delà des seules questions sanitaires, la nécessité de la solidarité et la continuité de la vie sociale.

Le plan, j'ai employé l'image, a été la première victime du virus H1N1. On s'y attendait d'ailleurs. Nous le savons bien, la menace ne prend jamais la forme que l'on avait attendue. Nous attendions un virus aviaire, virulent, venant d'Asie. Nous avons eu un virus porcin, très contagieux, venant d'Amérique. Nous nous étions préparés au pire. Le pire n'est pas venu, tant mieux, même si, au passage, je n'oublie pas les centaines de familles endeuillées.

Aujourd'hui, certains nous reprochent de nous être trop préparés. Nous nous serions, selon certains, laissés enfermer d'emblée dans un carcan, un scénario noir trop pessimiste, ne correspondant pas à la réalité de la menace, telle qu'elle s'est ensuite concrétisée. C'est sur ces deux points que je voudrais revenir.

Le premier point d'abord : en tant que responsables politiques, nous avons une obligation de préparation. Tous les autres Etats qui ont des systèmes de santé comparables au nôtre l'ont fait. Cette obligation est sans doute particulièrement importante dans notre pays, qui a traversé de grandes crises sanitaires, au cours desquelles il a été reproché au pouvoir politique, quel qu'il soit et quelle que soit sa couleur, de n'avoir pas su se préparer.

Je peux rappeler les termes très durs de la mission conduite au Sénat sur la canicule en 2003 : « La vague de chaleur de l'été 2003 a déclenché avec une rapidité fulgurante une catastrophe sanitaire à laquelle notre pays n'était manifestement pas préparé. (...) Au plus fort de la crise, la réponse de la société française dans son ensemble a été tardive, insuffisante, inadaptée et désordonnée. »

Je rappelle également les conclusions de la commission d'enquête de vos collègues de l'Assemblée nationale, toujours à propos de la canicule : « Une gestion de crise empirique, une catastrophe imprévue et mal décelée , une crise subie » .

Aujourd'hui, je ne suis pas la seule à le dire : la menace H1N1 a été mieux gérée que bien d'autres épisodes précédents, et les intenses efforts de préparation qui ont été consentis ont permis de mobiliser très rapidement tous les acteurs, de détecter précocement la menace, de déclencher des mesures adaptées.

Le deuxième point est que nous n'avons pas appliqué aveuglément un plan. J'ai souvent employé le terme de boîte à outils, et j'utilise à nouveau cette image. Nous avons utilisé cette boîte à outils quand cela a été nécessaire. Je rappellerai que nous ne sommes jamais passés en situation 6, car la réalité de la menace, modérée, n'amenait pas à avoir besoin d'utiliser les mesures qui sont prévues dans cette phase 6.

C'est la raison pour laquelle j'ai amené un tableau récapitulatif que je tiens à la disposition de votre commission, pour qu'il soit porté en annexe. Il montre que nous n'avons pas appliqué un modèle autoritaire et centralisé, que nous nous sommes sans cesse adaptés aux éléments d'information qui nous parvenaient.

Cette souplesse est d'ailleurs inscrite dans le plan. Je cite l'avertissement qui apparaît dès la deuxième page : « Le plan est un outil opérationnel, fondé sur des mesures normées que les autorités peuvent décider d'appliquer en fonction de la situation concrète rencontrée. »

C'est ce que nous avons fait. La gravité d'une pandémie n'est pas seulement la résultante de la virulence du virus : c'est la résultante de la confrontation de cette virulence à la préparation de notre système de soins. Nous nous sommes donc prémunis de l'incertitude sur la gravité, en proposant la vaccination à tous. Nous avons préparé notre système de soins. Il ne faut pas, comme je l'ai vu, balayer le plan pandémie d'un revers de main.

Il ne faut pas s'y tromper : le virus H5N1 n'a pas disparu. Il était considéré comme une menace crédible hier. Rien n'est changé, et ce sera peut-être l'alerte de demain. N'oublions pas que ce qui a été le plus difficile pour l'Etat est de mettre en oeuvre la campagne de vaccination. C'est l'une des rares mesures que le plan ne prévoyait pas, et nous avons souffert de cette impréparation. Personne n'avait imaginé qu'on pourrait avoir un vaccin avant une première vague pandémique.

Nous nous étions donc préparés, et je reste certaine que nous avons bien fait. En avons-nous trop fait ensuite ? C'est la question qui est posée. Beaucoup jugent trop importante - certains ont dit démesurée - l'ampleur des moyens que nous avons mobilisés et, en particulier, le dimensionnement de nos acquisitions de vaccins.

Nous avons su très tôt que le H1N1 n'était pas le H5N1, que sa virulence était beaucoup plus modérée. Je l'ai dit d'ailleurs quelques jours après la première alerte. Je tiens à votre disposition les discours que j'ai tenus.

L'OMS a assorti, dès le 11 juin, c'est-à-dire un mois et demi après l'alerte, son passage en phase 6 d'une appréciation de la sévérité de la grippe : « Mild » a-t-elle dit, en y ajoutant toutes les réserves nécessaires sur l'imprévisibilité de l'évolution du virus.

Une virulence modérée, mais nous avons dû supporter tout au long de la pandémie l'incertitude quant à une possible mutation, l'acquisition de facteurs de virulence, voire de résistance, de contagiosité. Je vous ai amené une autre fiche qui indique bien les différents éléments d'information et d'incertitude qui, tout au long de cette crise pandémique, arrivent à notre connaissance et qui font que nous nous adaptons, nous réagissons.

Face à ce virus, nous avons disposé d'un moyen de prévention : la vaccination. Il aurait été irresponsable de ne pas l'utiliser.

Début juillet, nous étions face à un avenir incertain. J'ai proposé au Gouvernement de permettre à chacun de se protéger et un premier élément de choix, soit 94 millions de doses, correspondant à 47 millions de vaccins, puisque nous étions dans le cadre d'un schéma vaccinal à deux doses, en tenant compte de ce que nous pouvions savoir sur l'adhésion de nos concitoyens à la vaccination.

Je suis restée très attentive et vigilante. J'ai observé ce qui se passait dans l'hémisphère Sud. En septembre, l'expérience de ces territoires nous a apporté des indications pour le moins contrastées. Avec un taux d'attaque modéré, les structures de réanimation et de soins intensifs ont parfois été, comme en Australie, au bord de la rupture. Objectivement, je ne pouvais pas être complètement rassurée.

Fin novembre, le virus mutait en Norvège. Cette mutation était responsable de formes graves. Heureusement, mais cela n'a été visible, avéré, qu'au bout de plusieurs semaines, ce virus mutant n'a pas acquis la capacité de se transmettre, mais au début le signalement n'indiquait pas qu'il ne se transmettrait pas. En novembre, je n'avais donc toujours pas d'éléments pour être rassurée.

Ce n'est qu'une fois le pic pandémique atteint que nous avons acquis la certitude - nous sommes exactement le 22 décembre - que la morbidité et la mortalité seraient modérées. J'ai pris alors les mesures nécessaires en allégeant le dispositif de vaccination et en résiliant plus de la moitié de nos commandes de vaccins.

Je le disais il y a quelques instants, les acquisitions ont été dimensionnées pour pouvoir proposer la vaccination à l'ensemble de la population, selon un schéma vaccinal à deux injections. Il y avait une exception pour la tranche la plus âgée de la population, à laquelle il était envisagé de ne proposer qu'une seule injection, compte tenu de l'état d'immunité préexistant au virus H1N1, immunité historique, oserais-je dire dont nous avons eu connaissance tôt.

En se fondant sur la compliance observée lors des campanes de vaccination sur la grippe saisonnière - de l'ordre de 65 % pour les catégories de population à qui elle est offerte - et contre la méningite B en Seine-Maritime où elle est supérieure à 85 %, nous avons considéré l'hypothèse que 25 % de la population choisiraient de ne pas se faire vacciner. C'est ce que les spécialistes appellent un taux d'attrition. Le dimensionnement des acquisitions a ainsi été fixé à 47 millions de vaccins, soit 94 millions de doses et validé en réunion interministérielle le 3 juillet 2009.

J'entends aujourd'hui qu'atteindre un tel taux de compliance était illusoire et qu'il aurait été utile d'écouter l'opinion des Français sur le sujet. Je l'ai fait ! Je rappelle qu'à l'époque - je vous ai amené l'évolution des études d'opinion qui est extrêmement intéressante - 67 % de la population disaient avoir l'intention de se faire vacciner en juillet 2009. Nous sommes le 23 juillet.

M. François Autain, président - M. Setbon nous a dit que cela correspondait à 30 % de personnes qui se feraient vacciner.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je dis simplement que 67 % nous disent à l'époque qu'ils ont l'intention de se faire vacciner. Quelque chose est très éclairant dans ces tableaux : comme l'indiquent les sondages, nos concitoyens ont voulu, puis n'ont plus voulu se faire vacciner. Je vous ai amené un document nouveau. Je ne vous l'avais pas amené lors de la première audition, pas plus que les autres tableaux que je vais vous montrer. Il s'agit d'un tableau récapitulatif des sondages d'opinion commandés par le Gouvernement. On peut se poser des questions sur ce changement de cap.

Là encore, les sondages nous indiquent que nos concitoyens ont pris peur, car trop de choses sans doute ont été dites sur les adjuvants, le thiomersal, la rapidité de la préparation des vaccins. On a même parlé d' « expérimentation grandeur nature » .

Puis-je parler à mon tour de désinformation ? Il suffit de regarder aujourd'hui nos résultats de pharmacovigilance pour apprécier l'inutilité de ce faux débat sur la sécurité des vaccins, alors que j'ai toujours dit que je m'entourerais de toutes les garanties nécessaires. J'ai ainsi attendu de disposer des autorisations de mise sur le marché, garantes de qualité et de sécurité, pour les utiliser. A contrario, j'entends aujourd'hui qu'on reproche aux autorités de régulation sanitaires du domaine pharmaceutique d'avoir un système trop procédural, qui a retardé ces autorisations.

J'entends qu'il aurait été bon de l'alléger et de nous aligner sur ce qui a été fait aux Etats-Unis, qui n'ont pas fait pratiquer d'essais cliniques. En fait, j'entends tout et son contraire. Quant à moi, la sécurité était essentielle, je continuerai à m'entourer de toutes les garanties nécessaires. Je reviendrai autant que de besoin sur tous les éléments avec vos questions.

A présent, c'est bien l'avenir que nous devons préparer ensemble. C'est pourquoi je voudrais, avant de conclure, m'attarder un instant sur la question de la coordination européenne. Le dimensionnement de nos acquisitions en juillet 2009 tient beaucoup à la rigidité des contrats d'acquisition qui nous ont été proposés. Nous n'avons pas eu la possibilité de négocier une partie de nos acquisitions en tranches optionnelles, car les industriels avaient besoin de lisibilité pour leur production. Diminuer nos tranches fermes, c'était nous exposer à des livraisons tardives, ce que nous ne voulions pas. L'intérêt était de vacciner la population le plus tôt possible, dans cette grande période d'incertitude. On comprend d'une certaine façon des industriels qu'ils demandent, pour lancer des séries de production, de savoir très clairement nos intentions.

Demain, face à une menace similaire, je suis persuadée que les enjeux seront les mêmes : d'un côté des gouvernements qui veulent disposer du maximum de flexibilité, de l'autre des industriels qui veulent avoir des certitudes pour lancer un processus de fabrication. Pour mieux argumenter face aux industriels, il me semble que la France n'a pas la taille critique nécessaire. L'offre était réduite. M. Didier Houssin vous a cité le chiffre de vingt-sept industriels producteurs.

M. François Autain, président - M. Didier Houssin nous a dit trente-cinq.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Trente-cinq sont capables et vingt-sept ont fait réellement. Ce n'est pas parce qu'on est capable de faire des vaccins qu'on en fabrique réellement.

M. François Autain, président - M. le directeur n'avait pas introduit cette précision qui est absolument indispensable. Je trouvais que trente-cinq, cela faisait beaucoup. Vingt-sept, c'est beaucoup, mais c'est moins.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont effectivement trente-cinq industriels producteurs capables de faire les vaccins et vingt-sept qui en ont fait. Seulement quatre sont capables de fabriquer les vaccins selon les normes européennes et sont susceptibles d'avoir une autorisation de mise sur le marché européen. Vous comprenez la gradation. Nous avons des procédures d'autorisation.

M. François Autain, président - En fait, ils sont quatre, pas trente-cinq.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Quatre sont capables de satisfaire aux normes extrêmement sophistiquées d'une autorisation de mise sur le marché européen. Hélas, tous les pays n'ont pas la rigueur de nos législations. C'est une offre extrêmement réduite.

M. François Autain, président - Il n'y a donc pas de concurrence.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il serait nécessaire de mieux structurer la demande européenne, face à cette offre réduite, pour être plus fort. Je souhaite y revenir plus au fond.

Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne - rappelez-vous, nous sommes au deuxième semestre 2008 - j'avais fait du thème de la sécurité sanitaire le thème de la réunion du conseil qui s'était tenu à Angers en septembre 2008.

Cette réunion a porté ses fruits, puisque nous nous sommes bien coordonnés en matière de surveillance et d'évaluation des mesures de gestion à prendre. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), l'Agence européenne du médicament (EMA), le Comité de sécurité sanitaire (HSC), toutes ces instances ont bien fonctionné.

A mon sens, nous n'avons cependant pas eu le temps d'aller assez loin en matière de coordination sur les acquisitions de stocks stratégiques.

Même si les compétences déléguées à l'Union européenne en matière de santé sont très restreintes - c'est tout à fait vrai, nous y tenons, et je pense que personne ici ne voudrait d'une harmonisation qui, étant donné le très haut niveau de protection sociale et de qualité des soins dans notre pays, ne pourrait être qu'un nivellement par le bas - il me semble que la coordination de nos acquisitions est un champ que nous pouvons explorer plus avant dans le respect des traités.

Lorsque j'ai réuni à Angers mes collègues ministres de la santé, j'ai proposé un exercice de simulation de crise sanitaire, qui reposait sur deux scénarios : une crise de type SRAS venu d'Asie et une crise de type fièvre jaune venue d'Amérique du Sud.

Ces scénarios étaient accompagnés de questions. Les ministres y répondaient anonymement à l'aide d'un boîtier électronique. L'objectif était simple : voir comment les ministres, donc les Etats, se positionnaient face à une alerte sanitaire majeure et dans quelle mesure ces choix souverains étaient compatibles les uns avec les autres. Ainsi, la question de savoir si les ministres envisageaient un stock communautaire de vaccins remporta, en septembre 2008, une écrasante majorité de « contre ».

Seule la France et cinq autres pays se sont prononcés pour le stock commun. Pourquoi ? Sans doute parce que pour les pays les plus riches, l'acquisition de ce que l'on nomme les contre-mesures médicales pouvait se faire en toute indépendance. Sans doute, parce que, pour les pays les moins favorisés, les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour investir dans ce secteur.

M. François Autain, président - Ils peuvent emprunter.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est ainsi qu'à Angers, nous avons progressé sur tous les aspects de la gestion d'une menace sanitaire grave, sauf sur ce volet des contre-mesures médicales. Lorsque la mesure s'est concrétisée, à peine huit mois plus tard, nous ne pouvions plus inverser cette logique. Ainsi, quand à Luxembourg, en octobre 2009, en réunion interministérielle, la Commission européenne est revenue à la charge avec l'idée de gérer au niveau communautaire une partie des stocks de vaccins achetés par les Etats membres, tous lui ont répondu très logiquement qu'il était trop tard. Nous sommes allés en ordre dispersé négocier avec l'industrie pharmaceutique et nous en avons payé le prix. Nous pouvons progresser sur cette question.

Vous l'avez compris, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je souhaitais, pour ma dernière intervention devant vous, conclure sur ce volet européen de la gestion de la pandémie de grippe A (H1N1). La présidence belge de l'Union européenne qui démarre demain, entend mener dans quelques jours un retour d'expérience au niveau communautaire, ce qui est à mes yeux une absolue nécessité. Je ne doute pas que vous pourrez contribuer par vos réflexions à ce nouvel aspect du dossier.

M. François Autain, président - Merci madame la ministre, je passe immédiatement la parole à monsieur le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Mes questions ont trait prioritairement à la recherche. Un groupe de questions concerne la vaccination, les mesures d'hygiène, le renforcement des infrastructures, la lutte contre les pandémies grippales et la coordination européenne. Mes dernières questions porteront sur l'OMS.

En ce qui concerne la recherche, il s'agit plus de questions sur l'avenir. Nous avons entendu le professeur Jean-François Delfraissy qui nous a exposé le programme de recherche sur la grippe H1N1 qu'il a coordonné. Nous avons été un peu surpris d'apprendre qu'à la différence de certains Etats européens, il n'avait pas été prévu de moyens de financement pour ces recherches. Pouvez-vous nous assurer que les projets prévus pourront être financés ?

Un récent communiqué de presse de l'INSERM évoquait l'un de ces projets qui vise à évaluer au plan immunologique et génétique les cas de grippe sévères survenus sans facteur de risque. Ce projet serait en cours de validation par les autorités réglementaires. Pouvez-vous là aussi nous assurer qu'il sera mené à bien car il nous paraît très important pour l'avenir d'élucider les causes des formes graves ou mortelles de la grippe H1N1 ?

D'une manière plus générale, la grippe H1N1 ne met-elle pas en évidence l'importance de développer les recherches en immunologie ? Ce sont sans doute, comme l'ont montré les travaux dont a fait état devant nous le professeur Philippe Kourilsky, des phénomènes d'immunité cellulaire qui expliquent le caractère généralement bénin de la grippe A et le nombre de cas asymptomatiques. Ne serait-il donc pas souhaitable de développer les recherches sur l'immunité croisée au niveau cellulaire ?

Pouvons-nous également continuer de nous satisfaire d'une mesure incertaine de l'efficacité des vaccins ? Ne faudrait-il pas, par conséquent, mener des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale ?

Je suis un petit peu loin de votre discours introductif, mais je voudrais arriver aux conclusions de mon rapport et aux propositions que je pourrais faire.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je vais aller dans votre sens et dire l'absolue nécessité de développer la recherche sur ces sujets globaux. Les crédits consacrés à la recherche, en particulier à la recherche biomédicale, sont une priorité. Des crédits, dans le cadre de ces dépenses à venir, sont consacrés à des cohortes. Une cohorte spécialement dédiée à la grippe est à l'étude pour être retenue. Nous avons un certain nombre de programmes dans le cadre du PHRC (programme hospitalier de recherche clinique). Je vais passer la parole, si vous m'y autorisez, à M. Didier Houssin. C'est lui qui pilote tout cela avec le comité recherche. Il va vous en dire beaucoup plus.

M. Didier Houssin - Il faut souligner l'importance de la recherche en immunologie, comme cela a été indiqué. Je rejoins tout à fait l'opinion exprimée par M. Philippe Kourilsky, dans son audition. Il a une vision tout à fait claire des nécessités en matière de recherche dans ce domaine. On peut joindre à cela toutes les problématiques relatives à la démonstration de l'efficacité vaccinale sur le plan immunologique.

C'est un des points qui méritera d'être développé : comment, dans une situation d'urgence pouvoir mobiliser des moyens suffisants ? L'idée qui a été évoquée, lors de la discussion précédente, était qu'au même titre qu'on a préparé ces dossiers « mock-up » pour les autorisations de produits de santé, on pourrait imaginer faire des dossiers « mock-up » d'autorisation de recherche, qui auraient des contingents de recherche fondamentale, recherche clinique, recherche sciences sociales et humaines, et qui seraient soumis à l'évaluation de l'Agence nationale de la recherche. Ces projets seraient en quelque sorte présélectionnés, comme des coquilles qu'on pourrait remplir le jour venu, ce qui permettrait de sanctuariser des financements autour de ce type d'approche.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je retiens qu'il n'y a pas tant de problèmes de financement de la recherche, car on est vraiment décidé à « mettre le paquet » de façon tout à fait considérable. Dans les cohortes, on me signalait même que ce n'est pas une cohorte qui est consacrée à la grippe mais bien deux. Tout cela mobilisera aussi des chercheurs qui souhaitent s'y consacrer. Si vous souhaitez avoir la liste des programmes, nous vous les ferons porter.

M. Alain Milon, rapporteur - Je le souhaiterais en effet.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Un rapport a été fait. Vous pouvez le mettre en annexe de votre rapport.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant la dernière question posée relative aux mesures de l'efficacité sur la vaccination antigrippale, je parlais de la grippe saisonnière, de manière à savoir si cette vaccination est efficace. Je suppose que oui, mais j'aimerais en avoir des certitudes scientifiques.

J'en viens aux vaccinations. Le directeur général de la CNAM nous a annoncé, la semaine dernière, que le nombre de vaccinations antipneumococciques, dont nous avons déjà parlé dans votre première audition, a pratiquement quintuplé en 2009, ce qui est, en soi, une très bonne nouvelle et ce qui montre aussi que les médecins généralistes savent promouvoir les actions de prévention. Comptez-vous continuer à encourager le développement de la couverture vaccinale antipneumococcique ? Comment, selon vous, restaurer, s'il faut le faire, la confiance en la vaccination, à laquelle l'épisode de la grippe H1N1 aura sans doute porté une nouvelle atteinte ?

M. François Autain, président - Il faut se louer que cette progression de la vaccination soit observée. En général, on assiste à un recul continu de la vaccination dans notre pays. C'est assez préoccupant. L'épisode que nous venons de vivre va peut-être redonner une certaine actualité à la vaccination. On peut aussi estimer que cela la fasse plutôt reculer.

Je fais partie de ceux qui pensent que cet épisode grippal ne va pas apporter du grain à moudre à ceux qui sont favorables à la vaccination. Je dirais plutôt que ce sont les ligues antivaccinales qui vont malheureusement en profiter.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Merci de me poser cette question sur le vaccin antipneumococcique. C'est une politique délibérée du ministère de la santé, que nous avons menée, de mobilisation sur le vaccin antipneumococcique, alors que j'entends parfois que nous aurions tout misé sur la vaccination anti-H1N1.

Nous avons déployé des politiques globales, politique de prévention avec les gestes barrières, politique d'isolement de certains malades. Nous avons, de façon continue, adapté, selon les indications de la littérature scientifique, les préconisations en matière d'antiviraux. Nous avons rappelé aux médecins la recommandation que nous faisons sur le vaccin antipneumococcique. Je dois dire que ces recommandations ont porté leurs fruits, puisque le nombre a été multiplié par cinq en juillet. Est-ce bien cela ?

M. Didier Houssin - Oui, au point que nous avons été victimes de ce succès, puisque nous nous sommes retrouvés, à un moment donné, en quasi-rupture de stocks. Il est fort possible que cette vaccination a évité un nombre considérable de complications grippales.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On se félicite de la bénignité ou de la moindre sévérité de la grippe A, mais c'est aussi parce que le déploiement des mesures que nous avons prises était extrêmement important, comme par exemple aussi l'achat d'un certain nombre d'appareils de réanimation sophistiqués ou d'oxygénation extracorporelle. Ceci a permis de sauver des gens, avec une gestion qui a pu mettre ces appareils où on en avait vraiment besoin. Nous n'avons pas pratiqué une stratégie du tout vaccin H1N1, comme je l'ai entendu dire stupidement ici ou là.

M. François Autain, président - Cela l'a masqué de façon regrettable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis heureuse de le dire ici. Je note que c'est toujours l'affaire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Dans cette campagne, j'observe toutefois que l'adhésion des professionnels de santé à la vaccination, et à la vaccination antigrippale a considérablement augmenté. Si on considère le taux constaté pour la grippe saisonnière, c'est beaucoup plus important. Nous avons vu, dans un contexte véritablement défavorable, le taux d'adhésion des professionnels à la vaccination augmenter.

Je regrette évidemment les déclarations obscurantistes de certains responsables professionnels.

M. François Autain, président - Infirmiers ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'étais sûre que cette déclaration pour le moins étrange ne vous avait pas échappé. Un peu de sérieux scientifique, que diable !

Il faut reconnaître que nous avons une marge de progression dans ce secteur. Le personnel soignant est à l'origine de 50 % des cas de grippes nosocomiales. Le personnel se contamine sur son lieu de travail. L'absentéisme à cause de la grippe est évidemment source de désorganisation dans les établissements hospitaliers et de dégradation de la qualité des soins. J'ai donc demandé que la vaccination contre la grippe saisonnière soit un des indicateurs ICALIN (indice composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales) que nous utilisons pour évaluer les performances des établissements de santé en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

Je me fixe, comme vous, une perspective qui est double et que j'identifie comme une obligation pour le ministère dont j'ai la charge : celle de faire grandir notre culture de santé publique et celle de regagner la confiance de nos concitoyens. Des millions de personnes ont été vaccinées. Les discours catastrophistes qui ont été lancés sur de multiples plateaux de télévision par des responsables politiques de tous niveaux se sont révélés infondés. On ne peut pas dire que nous n'avons pas fait une pharmacovigilance de qualité. Certains ont même reproché le côté pointilleux de notre pharmacovigilance.

M. François Autain, président - De manière générale, madame la ministre, je pense qu'on peut dire que si on peut douter de l'efficacité de la vaccination antigrippale, on peut tous être d'accord au moins sur un point : elle est dépourvue de toute nocivité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Vous faites bien de le rappeler ici.

M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais revenir sur la vaccination des personnels hospitaliers. C'est une loi qui l'avait prévue, mais le Haut Conseil de la santé publique avait donné un avis contraire, du temps de votre prédécesseur, sur la vaccination obligatoire des personnels hospitaliers. Cela signifie-t-il qu'on revient à l'application de la loi ? Ou n'écoute-t-on plus le Haut Conseil de la santé publique ?

M. François Autain, président - C'est même un amendement du Sénat, qui avait été déposé avant qu'on ne recueille l'avis du Comité technique des vaccinations.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La notion de vaccination obligatoire se heurte à la notion d'éthique, de démarche personnelle et de responsabilité.

J'ai tendance à respecter la liberté dans ce domaine et à souhaiter qu'une démarche volontariste et une démarche de conviction permettent de surmonter cela et de gagner des marges tout à fait indispensables. Je note que pour ce qui concerne la grippe H1N1, nous avons enregistré ces marges de progression et de conviction.

M. François Autain, président - J'ai fait état devant M. Michel Setbon des modalités de calcul pour établir le taux d'attrition. Je n'y reviens pas. Vous en avez dit quelques mots lors de votre intervention liminaire.

Vous avez fait un mixte, je crois, entre la vaccination contre la méningite et la vaccination obligatoire. M. Setbon contestait cette méthode et il proposait le recours au taux de vaccination contre la grippe saisonnière qui est de 27 %. Si on avait considéré que pour cette grippe H1N1, le taux global de vaccination n'était pas supérieur à 27 %, on se serait peut-être rapproché un peu plus de la réalité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je dis avec beaucoup de respect à M. Michel Setbon qu'il a simplement oublié une chose : on ne propose pas la vaccination contre la grippe saisonnière à la totalité de la population. Il considère la population totale. Or, le taux de vaccination dans la population à qui on propose la vaccination contre la grippe saisonnière est de 65 %. C'est cela qu'il convient de voir. A cause de facteurs d'incertitude majeurs et d'une démarche éthique, basée sur les recommandations du Conseil national d'éthique, on proposait la vaccination contre la grippe A (H1N1)v, certes, selon un ordre de priorité, mais à l'ensemble de la population.

Nous étions sur la notion de population-cible. M. Michel Setbon se réfère au taux de 27 %, alors qu'il y a toute une partie de la population à qui on ne propose pas la vaccination contre la grippe saisonnière. Avouez qu'il y a au moins un biais dans cette appréciation. Il n'est pas un spécialiste d'épidémiologie. Cela m'étonnerait beaucoup.

M. François Autain, président - Il est sociologue.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il n'est pas épidémiologiste.

M. François Autain, président - Effectivement. C'est la raison pour laquelle il fait de telles propositions.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce sont des confusions regrettables.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai une question peut-être un peu plus embarrassante sur le graphique que nous avons vu tout à l'heure.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Aucune question ne m'embarrasse.

M. Alain Milon, rapporteur - Sur ce graphique, nous voyons 67 % d'intentions. Disposiez-vous des données relatives à ce sondage en temps réel ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui.

M. Alain Milon, rapporteur - Dès juillet, on avait des intentions à 67 %. Si j'ai bien vu, la commande prévoyait 94 millions de doses, c'est-à-dire qu'on prévoyait de couvrir 75 % de la population. On allait au-delà des intentions.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous tenions compte aussi d'un sentiment d'irréalité, puisque la menace n'était pas constatée par la population. Nous avons fait rentrer plusieurs chiffres dans cette évaluation, c'est-à-dire l'évaluation de l'opinion publique qui n'est pas encore mobilisée contre un risque éventuel, et le chiffre de 65 % de la population qui sont appelés à se faire vacciner contre une grippe qu'ils ne considèrent pas non plus comme dangereuse.

Les gens ne sont pas effrayés par la grippe saisonnière, heureusement, et ils sont vaccinés à 65 %. Ils n'ont pas envie d'attraper la grippe. Le taux de vaccination pour la méningite à méningoccoques, dont la gravité est beaucoup plus perceptible pour les gens, est de 85 %. On a tenu compte de ces chiffres. On peut toujours pinailler sur ces chiffres : aurait-il fallu prendre 72, 71 ou 76 ? On est dans la cible.

M. Alain Milon, rapporteur - J'arrive aux mesures d'hygiène. Au cours de la campagne contre la grippe A (H1N1)v, les mesures d'hygiène ont montré leur efficacité et ont été très largement suivies par la population. Nous l'avons déjà dit quand nous nous sommes rencontrés. Comptez-vous renouveler, l'automne prochain, des campagnes de sensibilisation dans ce domaine ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Absolument. Nous avons eu un double effet bénéfique. Nous avons très certainement stoppé la propagation du virus H1N1, mais aussi nous avons très notablement diminué les gastroentérites et les bronchiolites, alors que nous étions en plein pic pandémique au mois de décembre. Ceci a été observé dans l'ensemble du système médical français, aussi bien en médecine de ville qu'en médecine hospitalière.

Nous avions pratiquement un million de consultations supplémentaires liées à la grippe A (H1N1)v, pas tout à fait 900 000. Nous savions très bien que la bascule se fait vers le système hospitalier et entraîne des désordres à partir de 700 000 consultations supplémentaires. Quand il y a tout d'un coup 700 000 consultations supplémentaires dans le système, il y a un effet de bascule vers le système hospitalier. Nous ne l'avons pas observé, ce qui est tout à fait extraordinaire, et c'est la première fois depuis des années.

Bien sûr, il y a eu des tensions sur le système hospitalier, il y en a toujours en hiver, mais nous faisions un million de consultations supplémentaires, le système devrait basculer et il ne bascule pas. Nous avions pris aussi un certain nombre de dispositions. Nous avions mobilisé des personnels, etc., mais nous n'avons pas observé de désordres. C'est dû aussi au fait qu'il y a eu moins de bronchiolites et moins de gastroentérites. Il faut recommencer, car la mobilisation s'épuise. Nous avons des chiffres : 40 % des Français ont modifié leur comportement. C'est énorme pour une campagne de communication.

M. Alain Milon, rapporteur - On nous a dit aussi que certains Etats, comme les Etats-Unis, veillent à consacrer une partie de leurs dépenses de réponse aux crises sanitaires en infrastructures pérennes. D'autres, comme l'Italie ont également créé des établissements spécialisés dans les maladies infectieuses. En France, le renforcement des moyens de réanimation a certainement été un élément très positif de la réponse à la pandémie grippale. Ne serait-il pas indiqué, dans la perspective probable de nouvelles maladies infectieuses émergentes, de développer des moyens d'accueil adaptés dans les établissements de santé ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Votre question comporte plusieurs éléments. Il y a évidemment la question hospitalière, la question de la prise en charge des cas graves. Des choses ont été faites. Nous avons eu une bonne réactivité. Nous avons apporté les moyens nécessaires au secteur hospitalier. Nous avons rencontré des urgentistes, des neurologues, des pédiatres avec lesquels nous avons travaillé sur tous ces sujets. Nous avons fait jouer toutes les techniques que nous avons, par exemple de déprogrammation, pour pouvoir adapter notre système hospitalier aux besoins.

La structuration de la médecine de ville est un sujet qui est posé, et je sais, monsieur le rapporteur que vous vous y êtes attaché. C'est un sujet qui est devant nous. L'adaptation de la médecine de ville, de la médecine de proximité à une grande crise sanitaire n'est pas faite. Le premier élément est la création des agences régionales de santé. La première réponse est cela. Dans cette crise, je me suis souvent dit que ces agences régionales auraient pu mutualiser les moyens entre l'hôpital, la médecine de ville, le médico-social et l'assurance maladie.

Nous avons toujours eu des problèmes pour trouver les interfaces au niveau d'une administration sanitaire. Nous avons une administration sanitaire et médico-sociale trop morcelée pour affronter une crise, mais c'est aussi le cas pour l'organisation de la médecine de ville.

Bien entendu, un médecin est capable de vacciner. La question n'a jamais été là. C'est même un luxe que de faire vacciner un patient par un médecin généraliste. C'est appeler un polytechnicien pour changer le joint de son lavabo. Il n'y a pas de mépris vis-à-vis des médecins. Des étudiants en soins infirmiers, dès la première année, ont vacciné, car c'est un acte extrêmement simple. Avoir laissé croire que je pensais qu'un médecin n'était pas capable de vacciner est un procès absurde qui m'a été fait par certains, mais qui sont d'une mauvaise foi tout à fait évidente.

L'organisation de la médecine de ville en crise est un modèle qui reste à construire. C'est la raison pour laquelle, en rencontrant les médecins, je leur ai demandé de réfléchir à cela. Nous allons, à partir du mois de septembre, faire tout un travail de retour d'expérience. J'ai demandé de réfléchir à cette organisation sanitaire en temps de crise, qui doit reposer sur une structuration dormante, capable de se réveiller, de devenir opérationnelle au moment d'une crise sanitaire. Je ne veux pas préempter les résultats de ces travaux. On voit bien que ce n'est pas la volonté d'une personne isolée qui peut permettre de résoudre les problèmes logistiques insensés - on a parlé d'enfer logistique - qui se poseraient si la vaccination devait reposer en totalité ou partiellement sur la médecine de ville.

J'utilise une expression que j'ai déjà employée devant d'autres instances. Il ne s'agit pas de transformer notre système en une succession de forts Bastiani où des médecins transformés en lieutenant Drogo attendraient une quelconque invasion. Je ne refais pas Le Désert des Tartares de Dino Buzatti.

M. François Autain, président - En matière de grippe H1N1, on a attendu quelque chose qui n'est jamais venu. Le virus n'était pas le bon. Ce n'était pas celui qu'on attendait.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Rappelez-vous la fin du livre de Dino Buzatti : les envahisseurs arrivent et c'est Drogo qui part parce qu'il est trop malade et qu'il est en train de mourir. C'est le beau message du Désert des Tartares.

M. Alain Milon, rapporteur - J'aime bien ce livre, mais nous n'allons pas en discuter ici.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Dino Buzatti est un auteur que tout le monde voudrait avoir lu mais que personne ne désire lire. Je parle souvent du Désert des Tartares et j'engage ceux qui ne l'ont pas lu à le faire. Vous réfléchirez à la grippe H1N1.

M. Alain Milon, rapporteur - Je passe aux questions que j'ai préparées sur la lutte contre la pandémie grippale. Depuis le début de la préparation à une éventuelle pandémie de grippe H5N1, l'OMS a largement recommandé le soutien des Etats membres au développement de la production de vaccins antipandémiques par divers moyens - développement des capacités de production, de la culture sur cellules, incitations financières ou fiscales.

Elle n'a cependant pas mis l'accent, comme l'avait regretté l'an dernier le représentant du Royaume-Uni au Conseil exécutif de l'OMS sur une stratégie vaccinale à long terme orientée vers la recherche et le développement de vaccins dits « à large spectre » ou universels. Des recherches dans ce domaine sont pourtant en cours aux Etats-Unis. La France ne devrait-elle pas soutenir une telle orientation ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui !

M. Alain Milon, rapporteur - Une des personnalités entendues par la commission a fait observer que la grippe a peu de chance de nos jours d'être une maladie très dangereuse dans les pays développés qui sont pourtant les plus à même de stocker des antiviraux et d'acheter des vaccins. Les dons prévus au bénéfice des pays les plus pauvres, dont la population est vulnérable, ne semblent pas de nature à réduire ce déséquilibre. Comment pourrait-on, selon vous, rendre plus équitable l'accès aux moyens de lutte contre une pandémie grippale ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La question que vous posez me permet de rappeler d'abord que la France, comme les Etats-Unis, est un pays qui a accepté de donner une part importante, par le biais de l'OMS, de ses acquisitions de vaccins, et dès le début de la pandémie. Elle a accepté d'en donner 10 %.

M. François Autain, président - Le don que vous avez effectué représente à peu près 75 millions d'euros. Viendra-t-il en déduction du coût global de la vaccination ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, mais on le met quand même dans les tableaux. Cela fait partie de l'aide au développement, de même que la France est le deuxième contributeur mondial sur le Sida ou le premier contributeur européen. Je crois qu'il est de la dignité et de l'honneur de la France de développer des politiques de coopération. Alain Milon a bien fait de dire que c'est dans ces pays que l'effet de la grippe est certainement beaucoup plus important et déstabilisant.

M. François Autain, président - Pour peu qu'il y en ait.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Bien sûr.

M. François Autain, président - En Afrique, ils attendent toujours. Il y a d'autres virus.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On ne peut que le regretter, mais je pense qu'il serait hasardeux, étant donné les déficiences du réseau de veille sanitaire, de tirer la moindre conclusion sur l'existence ou non de la pandémie grippale en Afrique.

La France continuera bien sûr à apporter son aide. La France s'honore à se déployer dans deux axes : renforcer les capacités des systèmes de santé de ces pays ; apporter son expertise à développer des systèmes d'assurance maladie universelle. Avant de donner des produits, il faut permettre aux gens de s'en servir et d'y avoir accès. Les mesures d'urgence doivent s'accompagner d'actions en profondeur. C'est ce que nous faisons.

M. Alain Milon, rapporteur - J'en viens à quelques questions sur l'OMS. Quel jugement portez-vous sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale ? Estimez-vous justifié le maintien récemment décidé, au moins jusqu'à la mi-juillet, d'une alerte de niveau 6 ? Qu'attendez-vous des travaux du Comité d'examen du Règlement sanitaire international (RSI) présidé par M. Harvey Fineberg ? Quels renforcements vous paraissent appeler les procédures de contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je voudrais vous passer un nouveau tableau, si vous me le permettez. Beaucoup des incompréhensions et des procès qui ont été faits à l'OMS sont partis d'un prétendu changement de la définition de la pandémie entre 2005 et 2009. Ce tableau va permettre de lever un certain nombre de difficultés.

Des fiches de couleur vont vous permettre de mieux voir. Les premières lignes directrices de l'OMS, en matière de pandémie, sont parues en 1999 et ont été régulièrement actualisées. Cette actualisation prend en compte celle des connaissances. Une première a eu lieu en 2005, puis une deuxième en 2009. Un nouveau travail d'actualisation est en cours et devra aboutir en 2014.

C'est une coïncidence s'il y a eu un travail d'actualisation qui est paru au moment du surgissement de la pandémie H1N1. Ce n'est pas la pandémie qui a entraîné une actualisation de la définition de l'OMS. Ce travail était en préparation en continu. A partir du moment où la version est sortie en 2005, il y avait un travail de préparation qui continuait et qui est sorti en 2009. Je crois que cette actualisation est à mettre au crédit de l'OMS. Nous l'avons fait de la même façon pour le plan pandémique grippal dans notre pays.

Il faut vraiment séparer deux notions : la définition de la pandémie et la définition des phases de pandémie. Il y a, là aussi, beaucoup de confusions. L'OMS n'a pas cherché à définir la pandémie, ni dans le document de 2005, ni dans le document de 2009. La définition de la pandémie n'a pas varié au cours du temps.

Les trois critères sont la globalité de l'épidémie, un caractère planétaire, l'émergence d'un virus nouveau, et la naïveté immunitaire d'une majeure partie de la population, même si nous avons vu que les personnes de plus de 65 ans avaient rencontré sans doute le virus ou étaient susceptibles de l'avoir rencontré. Pour ce qui concerne le H1N1, les critères de définition de la pandémie qui sont déjà anciens n'ont pas varié.

La gravité n'est pas un critère de la pandémie. Je pense que c'est à chacun d'évaluer la gravité de la pandémie. Cette gravité peut rencontrer différentes appréciations selon chaque pays. Les critères qui sont actuellement retenus nous permettent de considérer cela. La notion de gravité est une notion qu'il conviendrait là aussi de définir selon des critères scientifiques qui restent à préciser.

M. Alain Milon, rapporteur - On voit clairement que la gravité à Paris et à Mexico n'est pas la même.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est pas du tout la même chose, et on peut penser qu'un virus qui va se propager dans un pays où il n'y a pratiquement pas d'organisation sanitaire, avec une majorité de population très jeune, va rencontrer, comme c'est souvent le cas dans des pays en voie de développement, donc très pauvres, une mortalité considérable. La gravité sera considérée comme sévère dans ce pays et elle ne le sera pas dans le nôtre qui a une population plus âgée, non naïve immunitairement, mieux préparée. La notion de gravité est une notion difficile, monsieur le docteur Autain, à apprécier.

M. François Autain, président - On peut avoir des pandémies de rhumes de cerveau.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On parle de pandémie d'obésité.

M. François Autain, président - Ce sont des pandémies qui durent. Ce sont des endémies.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, des pandémies peuvent se transformer en endémies.

M. François Autain, président - Il y a même des pandémies perpétuelles. On est bien parti pour un renouvellement semestriel de pandémies.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Non. Dans les trois critères, nous avons l'émergence d'un nouveau virus.

M. François Autain, président - Ce virus n'était pas aussi nouveau qu'on a bien voulu le dire.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je ne vais pas rentrer dans un débat d'experts en épidémiologie.

M. François Autain, président - Les experts sont très divisés sur ce point.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les critères me paraissent pertinents.

En revanche, la définition des phases pandémiques est intéressante pour nous, car elle détermine l'utilisation ou non des outils de la fameuse boîte à outils dont je parlais tout à l'heure.

Contrairement à ce qui a été annoncé - c'est la raison pour laquelle j'ai apporté le tableau car j'ai entendu dire beaucoup d'âneries sur le sujet -, cette nouvelle classification proposée en 2009 n'est pas plus extensive. Elle est au contraire plus restrictive et plus précise. Je vais prendre l'exemple de la phase 6, puisque c'est elle qui pose problème.

En 2005, la phase 6 était définie par une « transmission accrue et durable dans la population générale » . Elle ne comprenait aucun caractère objectif. Elle pouvait donner lieu à des interprétations variées. Elle aurait très probablement entraîné un déclenchement beaucoup plus précoce de la phase 6.

En 2009, la phase 6 est définie par la diffusion du virus de façon soutenue dans au moins deux régions OMS. Il s'agit d'un critère objectif qui a été appliqué.

M. François Autain, président - Cela n'a pas traîné, même pas deux mois.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il a été dit que l'OMS avait révisé ses définitions à cause de la pandémie - c'est faux -, qu'elle les avait révisées d'une manière édulcorée - c'est faux aussi. C'est tout. Je ne peux que constater que ce procès est infondé.

M. Alain Milon, rapporteur - Quand on regarde le site Internet de l'OMS, on s'aperçoit qu'entre le 1 er mai et le 15 mai 2009, la définition de la pandémie a changé. Je suis d'accord avec vous, mais sur le site cela a changé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Cela n'a pas empêché l'OMS, même si cela ne rentrait pas dans ses critères de définition, de qualifier l'épidémie de modérée.

M. Alain Milon, rapporteur - Tout à fait, dès le 15 mai, mais la définition a changé entre le début mai et le 15 mai 2009. C'est ce qui pose problème.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les définitions qui nous étaient données étaient parfaitement claires. Concernant l'expertise au niveau de l'OMS, à travers toutes les commissions d'enquête qui ont été faites, le concept de complot mondial a volé en éclats. Nous sommes revenus à des choses plus raisonnables.

Il y a deux comités d'experts, le groupe consultatif stratégique d'experts de la vaccination, dans lequel il n'y a pas d'ailleurs d'experts français, depuis 2005, et le Comité d'urgence de la grippe, dont on a à disposition les différentes convocations et les différents rapports. La directrice générale de l'OMS souhaite rendre plus transparentes les procédures, pour améliorer les choses. Je souscrirai à toute démarche allant en ce sens.

M. François Autain, président - Connaît-on les membres du Comité d'urgence ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous ne connaissons que M. John Mackenzie. Il vient de démissionner.

M. Didier Houssin - M. John Mackenzie était le président du Comité d'urgence. C'est le seul dont l'identité était connue. Il a été désigné pour faire partie du Comité d'évaluation du Règlement sanitaire international, ce qui a soulevé des interrogations légitimes. Il y a quarante-huit heures ou trois jours, l'OMS a enregistré la démission de M. John Mackenzie du Comité d'évaluation, ce qui paraît une sage initiative.

M. François Autain, président - Voilà un conflit d'intérêts réglé. Concernant la commande des 94 millions de doses de vaccins, je voulais savoir pourquoi la lettre d'intention que le ministère a envoyée le 14 mai 2009 n'a pas été signée par vous mais par votre directeur de cabinet. Je rappelle que celle-ci portait sur cette commande dont le coût sera facturé par GSK à raison de 1,5 euro hors taxes par dose de vaccin, soit la somme totale de 75 millions d'euros hors taxes, c'est-à-dire que vous engagiez les finances de l'Etat pour 75 millions d'euros.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Mon directeur de cabinet a une délégation de signature de sa ministre. En l'occurrence, la signature de mon directeur de cabinet vaut ma signature.

M. François Autain, président - Je l'entends bien. Vous considérez que c'est une lettre pour laquelle il n'est pas nécessaire que le ministre signe.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est une lettre d'intention, ce n'est pas une lettre de commande. Cette affaire a fait l'objet de discussions approfondies entre mon directeur de cabinet et moi-même, et au plus haut niveau de l'Etat. Il n'y a absolument aucun problème. Ce n'est pas une lettre qui a été signée dans mon dos par mon directeur de cabinet.

M. François Autain, président - Ce n'est pas le sens de ma question, ou alors je me suis mal exprimé. Vous ne pouvez pas signer toutes les lettres bien entendu, mais il y a des lettres qui sont plus ou moins importantes. J'aurais tendance à classer cette lettre parmi les lettres importantes. C'est la raison pour laquelle j'ai trouvé étonnant que vous ne l'ayez pas signée, c'est tout.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je donne délégation générale de signature.

M. François Autain, président - Sur ce plan, il n'y a aucun problème. Une seconde question concerne l'état des négociations avec GSK : où en êtes-vous ? Dans le décompte que vous faisiez des dépenses liées à la campagne de vaccination, j'ai eu l'heureuse surprise de constater que ce chiffre diminuait au fil des mois. C'est bien, ce qui fait qu'aujourd'hui le prix de l'injection n'est plus qu'à 100 euros. Ce qui est évidemment beaucoup plus acceptable. Je voulais savoir où vous en étiez. Vous intégrez à ces dépenses 48 millions d'euros, qui incluent la totalité du montant des résiliations pour l'ensemble.

Pour GSK, où en êtes-vous ? Quelle est la nature des demandes de GSK ? Ont-elles des chances d'aboutir ? J'ai lu le compte rendu de l'Assemblée nationale, il y a quinze jours, de l'audition de son directeur, où il était question de ces problèmes. Les négociations étaient bloquées. Je voulais savoir si, depuis quinze jours, la situation avait évolué.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'ai indiqué très clairement que je n'entendais pas faire de différence entre les montants des résiliations, qu'il n'y avait aucune raison que certains laboratoires bénéficient d'un traitement de faveur. Je dois dire que deux laboratoires ont accepté cela. J'ai notifié, dans le cadre de ces démarches, il y a deux mois, à GSK, les conditions de la résiliation qui ont été celles des deux autres laboratoires. J'attends.

M. François Autain, président - Combien de temps pouvez-vous attendre ? Quelle est la suite ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ou ils accepteront la notification ou ils n'accepteront pas.

M. François Autain, président - De quel délai disposent-ils pour former un recours ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Jusqu'en septembre.

M. François Autain, président - Si en septembre il n'y a pas de recours, c'est terminé. S'il y a un recours ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous verrons bien.

M. François Autain, président - Vous êtes optimiste. C'est l'essentiel.

M. Alain Milon, rapporteur - Quand nous sommes allés à Berlin, nous avons appris que les Allemands ont été un petit peu plus subtils que nous. Ils ne paient pas d'indemnité, mais ils versent une subvention à GSK.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ils ont été aussi moins exigeants que nous. Je ne veux pas m'avancer et je ne veux pas crier victoire, mais quand on fera les comptes, à la fin de cette affaire, vous verrez que la France se sera bien débrouillée et que nous aurons bien négocié.

M. François Autain, président - Ce n'est pas l'impression qui ressort des premières investigations que nous avons faites.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous comparerons.

M. François Autain, président - Nous sommes allés à Berlin, à Londres, à Genève, à Madrid. Cela ne nous est pas apparu comme tel. Je ne parle pas de la Pologne.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est un sujet sur lequel je me suis expliquée.

M. François Autain, président - Il n'est pas nécessaire qu'on revienne sur ce sujet. On s'est tout dit. A l'issue des déplacements que nous avons menés dans ces pays, il n'apparaît pas que la France soit le pays qui ait le mieux négocié avec les laboratoires.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Pour quel pourcentage de leurs commandes ?

M. François Autain, président - Voulez-vous, s'il vous plaît, préciser la question ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Le pourcentage de la commande résilié par les Allemands était beaucoup moins important.

M. François Autain, président - Je ne parle pas de cela. Je parle des modalités de passation des contrats. C'est autre chose.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je parle de la résiliation.

M. François Autain, président - Il est vrai que quand on en est là, cela veut dire qu'on a beaucoup péché en amont.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Cette qualification de « péché » n'engage que vous et je la réfute de la façon la plus claire.

M. François Autain, président - Je n'avais pas l'intention de parler au nom de quiconque. Je parlais en mon nom personnel.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis devant une commission d'enquête. Le simple fait de ne pas réagir vaut acceptation. Je m'honore d'avoir voulu proposer la vaccination à l'ensemble de la population. J'ai mené, dans cette affaire, une démarche éthique et technique. On peut postérieurement dire un certain nombre de choses. Cette façon de me comporter comme ministre de la santé, non seulement je ne m'en excuse pas, mais je la revendique.

M. François Autain, président - Je l'ai bien compris.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les choses vont sans dire, mais je préfère les redire.

M. François Autain, président - On peut très bien imaginer qu'on ait pu opérer différemment, d'autant plus qu'on observe que certains pays se sont comportés différemment.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Certainement, des pays se sont comportés différemment, d'autres pays ont décidé d'acheter un nombre de doses qui correspondait au double de leur population, comme le Royaume-Uni. D'autres pays ont fait des choix autres. Je m'honore que la France ait fait le choix qu'elle a fait. Nous avons chacun notre façon de se comporter. Je note toutefois que je n'ai pas rencontré beaucoup d'acteurs politiques qui ont contesté les choix de la France au mois de juillet.

J'ai quand même été interpellée par un député de la gauche. Un député Vert m'a sommée d'acheter 120 millions de lunettes de piscine et 120 millions de combinaisons de peinture, ainsi que 7 milliards de masques ! Je reconnais que je n'ai pas acheté les 120 millions de lunettes de piscine et les 120 millions de combinaisons de peinture, ni les 7 milliards de masques.

M. François Autain, président - Il y en a déjà 1,5 milliard !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Puisque vous avez parlé de péché, je le confesse.

M. François Autain, président - Vous voyez bien que vous avez péché !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - J'en ai à me faire pardonner. Demain, quand vous serez ministre de la santé et que vous aurez à faire repeindre votre garage, vous pourrez faire appel à nos services, mais bien entendu, comme tout homme de gauche résolu, vous allez en vélo.

M. François Autain, président - Revenons à notre sujet. On fait état de vos accords en ce qui concerne la commande des 94 millions de doses, étant entendu qu'il y avait à l'époque possibilité d'agir autrement, puisque des gouvernements se sont comportés autrement avec beaucoup de succès.

Je reconnais que vous n'avez jamais, dans vos déclarations pour ces commandes de vaccins, fait référence ni au principe de précaution ni au principe de prévention. Vous vous êtes sans cesse référée à l'éthique. Mais si l'éthique imposait de permettre que toute personne qui souhaite se faire vacciner puisse avoir accès à la vaccination, on peut s'interroger pour savoir s'il était nécessaire pour cela de commander autant de doses de vaccins. Vous nous avez montré des courbes d'intention tout à l'heure. Il est évident que la lecture de ces courbes aurait dû permettre au Gouvernement de se montrer plus modéré en matière de commandes. A l'époque, on avait des sondages en très grand nombre. Il n'y avait pas seulement celui de M. Michel Setbon.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - M. Michel Setbon n'a pas fait de sondages.

M. François Autain, président - Pour le HCSP.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je croyais que M. Setbon avait fait faire des sondages en tant que personne privée.

M. François Autain, président - Nous ne l'avons pas auditionné en tant que personne privée. Nous l'avons auditionné en tant que membre du CNRS.

Il aurait été, me semble-t-il, plus rationnel de se fonder sur les sondages plutôt que sur une hypothétique demande des Français, d'autant plus qu'il s'agissait d'une première en matière de vaccination. Cette vaccination universelle était quelque chose de tout à fait nouveau, qui n'avait jamais eu lieu.

On a commandé ces vaccins alors qu'on ne savait pas quelle allait être la stratégie de la vaccination. C'est cela qui n'est pas très satisfaisant, au moins pour l'esprit. Quand on s'aperçoit, avec le recul, des résultats, on se dit qu'il aurait peut-être mieux valu, avant de commander les vaccins, avoir une certaine idée de la stratégie. Or, ce n'est absolument pas le cas. On a fait les choses à l'envers.

On a commencé par commander les vaccins. Ensuite, on a élaboré une stratégie. On avait prévu que cette vaccination devait se faire en quatre mois. On devait vacciner 75 % de la population. Heureusement, le risque n'a pas été celui qu'on pensait. Si les gens se sont détournés de la vaccination, c'est parce qu'ils regardaient autour d'eux. Ils s'apercevaient qu'il n'y avait pas de grippe autour d'eux, qu'il n'y avait pas ce risque qu'on leur présentait, à la télévision notamment, en dramatisant. Cela ne correspondait pas à ce qu'ils observaient sur le terrain.

J'aurais compris qu'on se fonde sur des données scientifiques, qu'on recueille sur ce sujet l'avis d'experts, mais cela n'a pas été le cas.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je suis assez étonnée qu'un médecin, donc un scientifique comme vous, tienne ce discours. Nous avons su très tôt que nous aurions des vaccins à notre disposition. C'est cela la difficulté de la chose. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on a des vaccins avant de rencontrer le flux pandémique. C'est une chance.

D'une certaine façon, les extraordinaires évolutions de la science, l'extraordinaire réactivité de l'industrie pharmaceutique nous ont permis cela. Evidemment il eût été beaucoup plus facile de dire qu'on allait laisser se développer le flux pandémique, sans avoir ce qu'il serait. J'ai entendu un médecin généraliste dire qu'il savait que ce n'était pas grave parce qu'en juillet il n'avait rencontré aucun cas de grippe dans son cabinet de consultations. Il faut un minimum de sérieux sur le plan scientifique.

Je ne fais pas confiance aux « radios trottoirs ». J'essaie de consulter un certain nombre d'experts qui, tous, m'ont dit leur grande incertitude sur les évolutions de la pandémie. Je réponds ici à la deuxième question que vous m'avez posée.

Je me trouve, moi ministre de la santé, avec la perspective d'une grippe qui, dans l'état actuel des connaissances, peut être une grippe qui aura des conséquences notables sur la santé de mes concitoyens, qui peut causer des morts, et j'ai la possibilité d'avoir un vaccin. Imaginez-vous, monsieur François Autain, que vous êtes ministre de la santé confronté au pic pandémique du 11 décembre, alors que la France est le seul pays d'Europe occidentale où l'épidémie continue de progresser...

M. François Autain, président - On n'avait pas besoin de 94 millions de vaccins pour cela.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - C'est pour cela qu'il faut acheter 94 millions de vaccins et qu'il faut avoir une capacité de vaccination. Enfin, 47 millions de vaccins.

M. François Autain, président - On s'est compris. Mais il n'y avait pas besoin d'en avoir 94 millions. C'est cela le problème.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Vous me dites qu'il faut attendre, avec une capacité de production de l'industrie pharmaceutique qui est limitée. La capacité totale de production de vaccins des fabricants à haut niveau technologique est réduite ; ils sont quatre, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, soit une capacité de 900 millions de vaccins.

Le président Obama voulait, à ce moment-là, préempter 600 millions de doses pour vacciner l'ensemble de sa population. Il ne va pas pouvoir le faire à cause des faibles capacités de production de l'industrie pharmaceutique. C'est vous dire la tension qu'il y avait.

Bien entendu, les laboratoires ont besoin de savoir le niveau de commandes. Vous ne passez pas de commandes à une entreprise, qu'elle fabrique des voitures, des vélos ou des machines à laver en disant : « Je souhaite acheter une machine à laver, mais sous condition. Je vais vérifier si dans six mois j'ai assez de linge sale. » On arrive tout d'un coup à une absurdité en termes industriels, vous voudrez bien le considérer. Les modulations que vous préconisez n'existent pas.

M. François Autain, président - Nous en avons rencontré.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Les laboratoires demandent un certain nombre de tranches fermes. Des pays ont eu la possibilité d'obtenir des tranches conditionnelles, mais en raison d'engagements qui avaient été pris auparavant, et que la France n'avait pas pris. Ce sont des cas sur lesquels nous nous sommes déjà expliqués.

Il est vrai que je n'ai pas mis en avant le principe de précaution. J'ai bien mis en avant une démarche éthique.

M. François Autain, président - Vous avez eu raison car ce n'est pas de la précaution.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je le dis et je le redis. La précaution est face à un danger non avéré, et ce danger était avéré.

M. Alain Milon, rapporteur - Il me semble qu'en 1976, le vaccin existait.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Oui, c'est possible.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans le cadre de ce qui s'est passé aux Etats-Unis, lorsque Gérald Ford est intervenu, le vaccin existait. C'est la deuxième pandémie où on a un vaccin à disposition. La différence avec 1976, c'est que cette fois-ci, les actions des ministres peuvent être fragmentées. Il peut y avoir une phase d'achat, une phase de prise de décision de vaccination, puis une phase de lancement de campagne de vaccination, comme on l'a dit tout à l'heure.

J'aimerais revenir un instant sur le graphique qui a été montré tout à l'heure. On se rend compte qu'il y a une diminution importante des intentions de vaccination vers le début novembre, puis une augmentation fin novembre, probablement parce que le vaccin est arrivé entre-temps.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - On voit bien que deux choses contribuent à la baisse, c'est en tout cas mon analyse. Elle s'explique d'abord par la campagne active de méfiance vis-à-vis de la vaccination qui est menée, mais elle tient aussi à la constatation partagée de plus en plus par la communauté scientifique que l'épidémie va être moins sévère que ce à quoi on pouvait s'attendre. Ce qui fait relever la courbe, c'est qu'on voit que la grippe arrive vraiment, qu'on voit des cas.

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous les sondages de décembre ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous pourrons vous les trouver.

M. Didier Houssin - Aux Etats-Unis, en 1976, on a eu la possibilité de fabriquer un vaccin, un peu dans les conditions que nous avons rencontrées. La situation a été très différente en raison de l'absence totale de circulation du virus. Là, nous avons été confrontés à un phénomène pandémique qui a une réalité.

Concernant les sondages, qui ont été nombreux, on observe, en gros, un plateau sur la période juillet/août. Il y a une très nette cassure dans les quinze premiers jours de septembre, puis une diminution progressive. Le phénomène de rupture, au niveau des sondages, est vraiment sur les quinze premiers jours de septembre.

Mme Christiane Kammermann - Je commencerai tout simplement par féliciter notre ministre. Monsieur le président, j'ai bien observé, bien écouté tout ce qui s'est passé, comme tout le monde d'ailleurs, pendant cette période difficile. J'ai trouvé qu'elle s'est comportée d'une façon merveilleuse. Elle a été attaquée. Elle a eu de très grosses responsabilités qu'elle a su prendre avec courage.

Je vous félicite, madame la ministre. Je sais que si la situation l'exige, vous serez à la hauteur de la même façon.

Vous disiez que la France doit être à la hauteur, si jamais quelque chose se représentait et qu'il faut développer la recherche en immunologie. Avez-vous un plan à ce sujet ? Ce n'est pas facile, mais je pense que c'est important pour l'avenir.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Il y a deux choses. Ai-je un plan sur la recherche ? Ai-je un plan sur la pandémie grippale elle-même ? Les deux peut-être ?

M. Didier Houssin - Sur le plan concernant la recherche en immunologie, l'idée pourrait être que dès qu'émerge un phénomène d'allure épidémique, on soit aussi attentif à la connaissance de l'agent infectieux, ce qui est fait en matière de virologie, de génétique du virus.

En matière d'épidémiologie, il s'agit de continuer à faire ce que nous faisons actuellement en termes d'analyses de situations cliniques, de les collecter, de faire des synthèses. Il faut, sans attendre, engager immédiatement des analyses sur la réceptivité de différents types de population, en différents endroits, à la fois sur le plan de la sérologie, des anticorps vis-à-vis de cet agent infectieux, et aussi de l'immunité cellulaire.

Cela nécessite la mise en place de toute une organisation qui se fera d'autant mieux qu'on sera sensibilisé et qu'on anticipera.

Je voudrais revenir sur un point qui a été évoqué tout à l'heure. On a eu les dossiers « mock-up » pour les autorisations de vaccins. Il s'agirait pour l'avenir de constituer un programme de recherche générique avec des composantes de recherche fondamentale et clinique, de recherche en vaccinologie, en sciences sociales et humaines. Il s'agirait de soumettre ce dossier générique à une expertise scientifique qui, si elle le sélectionne, nécessitera la prévision d'un financement.

Pour un agent infectieux, comme cela a été le cas pour le chikungunya ou pour la pandémie grippale, on aurait en quelque sorte en réserve un projet de recherche financé dont on n'aurait plus qu'à remplir les contenus, ce qui nous permettrait d'avoir sanctuarisé un financement. S'il n'est pas utilisé dans l'année, il pourrait être reporté l'année suivante. Cela permettrait d'anticiper ce problème du financement de la recherche.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Je voulais apporter ma réponse à la question de Mme Christiane Kammermann. Elle me permet de répondre à une question lancinante, récurrente, qui est la question des leçons qu'on peut tirer de cette pandémie. C'est peut-être la conclusion que je pourrais apporter grâce à vous, en vous remerciant de ce que vous avez dit. Il est vrai que j'ai voulu être une ministre en responsabilité. Je ne dis pas que j'ai tout fait bien, bien entendu. J'ai essayé de faire au mieux pour mes compatriotes.

Tout cela, je ne l'ai pas fait seule. C'est ce qui est important et il convient aussi de remercier la communauté soignante, les fonctionnaires, les médecins libéraux, les professionnels de santé, les administrations territoriales qui se sont déployées sur le terrain. Finalement, il y a eu de nombreux points positifs dans cette épidémie H1N1. Je souhaiterais que les travaux de votre commission d'enquête instruisent le procès à charge et à décharge.

Des points sont extrêmement positifs. D'abord, la réactivité à l'alerte. On peut se plaindre que l'alerte ait été trop importante, mais cette alerte a existé, c'est extrêmement précieux. Nous avons, à travers le monde et dans notre pays, mis en place des clignotants qui nous permettent en temps réel d'agréger les résultats et de connaître très précisément tout ce qui se passe à tout moment sur la planète. Il y a eu une très grande réactivité à l'alerte.

Il y a eu une grande adéquation des mesures proposées face à ce nouveau virus : les centres 15 ont effectué la régularisation de la prise en charge, signalé les cas à l'Institut de veille sanitaire. Les services d'urgence et de maladies infectieuses ont isolé et mis sous traitement les patients. Les laboratoires hospitaliers ont réalisé les diagnostics biologiques. Nous avons pu ainsi ralentir la pénétration du virus dans notre pays.

Je constate qu'il s'est écoulé près d'un mois entre l'apparition des premiers cas apportés du Mexique et l'apparition de cas secondaires qui signent une transmission virale autochtone.

Je signale également que nous avons eu des différences d'évolution tout à fait notables avec le Royaume-Uni, qui n'avait pas fait la même démarche que nous. Cela nous a permis de nous préparer, ce qui est extrêmement important.

Concernant le deuxième point, vous en avez déjà parlé. C'est l'acceptation par nos concitoyens des mesures barrières. En termes de santé publique, nous avons remporté une grande victoire. Elle reste à conforter, car elle n'est jamais définitive.

Le troisième point est la capacité de notre système de soins à faire face à une épidémie nouvelle. Les établissements de santé, les médecins traitants ont su s'adapter aux particularités de la prise en charge. Ils ont été nombreux dans les centres de vaccination et ils ont pris en charge les malades. Quand il y a un million de consultations supplémentaires en ville, qui les prend en charge ? De nombreux pays ont créé de telles structures.

M. François Autain, président - Nous sommes le seul pays à avoir créé des structures ad hoc.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est pas vrai, de nombreux pays ont créé des structures ad hoc . Ne dites pas de contre-vérités. Le quatrième point a trait au vaccin.

Nous pouvons vous faire la liste des pays qui ont créé des centres de vaccination en Europe : le Canada, les Etats-Unis et d'autres pays qui ne sont pas des pays sous-développés.

M. François Autain, président - En Allemagne, en Espagne et en Pologne, il n'y avait pas de centres dédiés à la vaccination.

M. Alain Milon, rapporteur - L'organisation de la médecine générale est différente, il est vrai.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Comme l'a écrit Alfred Jarry : « Quant à l'action, elle se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part. »

M. Alain Milon, rapporteur - C'est dommage pour la Pologne.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Ce n'est qu'une citation littéraire !

Le cinquième point positif est la rapidité avec laquelle l'Institut Pasteur a pu mettre au point, dès le 5 mai, un test de diagnostic fiable alors que l'alerte avait été donnée fin avril. Cela nous a permis de suivre l'épidémie, c'est-à-dire de dire que cette grippe qu'on rencontrait était bien du H1N1. On a pu affirmer le diagnostic d'infection liée au virus pandémique.

Le sixième point a trait à la mobilisation de l'appareil d'Etat. J'ai été dans de nombreux centres de vaccination. Bien sûr, on peut ergoter, on peut dire qu'il y a eu des dysfonctionnements, mais ces structures étaient des structures non pérennes, dans lesquelles se sont réunis un médecin de PMI, une secrétaire de préfecture, un bénévole de la Croix-Rouge, un contrat aidé. Ces gens-là ont mis tout leur coeur à se mobiliser pour faire de la vaccination, avec des structures qui ont pratiquement surgi de terre, spontanément, pour répondre aux besoins de la population.

Cela a fonctionné dans 90 % des cas. Les dysfonctionnements qui ont été enregistrés ont été réparés en une semaine. L'administration a montré une capacité d'adaptation extraordinaire et je souhaite rendre hommage à ses personnels.

Il y a donc des points qu'il faut enregistrer et qui me donnent confiance dans la capacité de notre pays à affronter une pandémie plus grave.

Il y a aussi des points négatifs qu'il faut enregistrer ou des points améliorables qu'il faut noter.

Le premier point est sans doute la difficulté de communication. Comment communiquer avec la population, avec les médecins, avec un certain nombre d'acteurs ? Nous n'avons sans doute pas suffisamment tenu compte des nouvelles techniques de communication. Non pas pour nous, car nous avons déployé tous les sites Internet et autres objets de communication. Lorsque j'interrogeais certains professionnels de santé, ils me disaient qu'ils n'étaient pas suffisamment informés. Je leur demandais ce qu'ils voulaient, les assurant que je le ferais pour eux. On constatait que tout avait été fait.

Nous n'avons pas mesuré, en revanche, que tous les moyens de communication actuels permettent à n'importe quel expert autoproclamé d'aller publier n'importe quels messages. Ceci est extrêmement troublant. J'ai fait le constat, à maintes reprises, que la voix d'un grand scientifique ne pesait pas plus que le témoignage anecdotique ou la croyance d'un auditeur ou d'un lecteur. On est dans une société où il n'y a aucune hiérarchie entre les émetteurs, ce qui constitue un gros problème.

Le deuxième point apparaît comme un paradoxe. J'ai toujours voulu tenir un langage de vérité. Finalement, vous avez vu les incertitudes se lever. J'ai sans arrêt voulu adapter le plan et la communication à ce qui se passait. C'était parfois difficile, car je mesurais les marges d'incertitude. Je disais qu'il fallait faire comme cela à un certain moment, puis nous avons eu connaissance du virus et tout d'un coup on pouvait passer le relais à la médecine de ville, le 21 juillet.

La vérité dans la communication se retourne parfois contre l'émetteur. Il faut responsabiliser nos concitoyens sans être anxiogènes. Si vous pouvez faire ce travail de proposition d'outils de communication, j'en serais tout à fait heureuse.

Le troisième point est directement corrélé au premier : il s'agit de la marge de progression qu'on a spécifiquement avec les professionnels de santé. J'ai mis en oeuvre tout l'ensemble des moyens de communication que nous avons développés avec les professionnels de santé.

Pourtant, un certain nombre d'entre eux estiment qu'il n'y avait pas assez d'information. C'est à se demander si aucun n'est abonné à un quotidien. Se rajoutent à cela les lettres que j'ai faites personnellement à chaque médecin, les sites du ministère, les réunions organisées par les préfets. Il faut sans doute développer d'autres moyens de communication, je ne sais lesquels, qui permettraient de mieux informer les médecins.

Quatrième élément : il faut rétablir le climat de confiance entre experts et opinion publique. Le principal problème n'étant pas de reconstituer la confiance entre l'opinion publique et les experts, mas bien entre les experts et l'opinion publique. Je vous garantis que l'expertise est irremplaçable et le risque est qu'elle peut nous faire défaut demain.

Les experts ont été soumis à un procès en incompétence et à une mise en cause de leur honorabilité qui sont préoccupants. Je redoute qu'un certain nombre de nos meilleurs spécialistes refusent de s'engager dans une démarche de conseil et d'expertise lors d'une prochaine pandémie.

Autre progression : l'acceptation de la vaccination, nous en avons déjà parlé. Même si l'acceptation a progressé chez les professionnels de santé, nous avons des marges de progression dans la population. Comment organiser un système de vaccination de grande ampleur ? C'est à cela que nous sommes confrontés en urgence. C'est ce que nous sommes en train de bâtir avec l'ensemble du système de santé.

Nous ne nous faisons pas d'illusion : la réponse qui consisterait à dire de façon un peu simpliste que l'on n'avait qu'à inviter les généralistes à vacciner montre très vite ses limites. Les difficultés qu'on a rencontrées, on les aurait rencontrées, de la même façon, dans les cabinets de médecins.

Je terminerai en disant qu'il faut garder notre capacité d'adaptation. Il faut des plans, mais il faut aussi rester souple. Il faut que nous puissions, sans arrêt, nous remettre en cause. On adore les cathédrales administratives dans notre pays. Il faut savoir s'en extraire.

Tout au long de la pandémie grippale, j'ai voulu m'extraire des cathédrales administratives. J'y suis finalement assez bien parvenue. Je me demande parfois si nos compatriotes n'auraient pas voulu un grand plan, construit telle une maison en pierre de taille, dont on ne serait jamais sorti, pour avoir éternellement le même message. J'ai préféré, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, leur tenir un langage de vérité, d'adaptabilité, et avant tout éthique.

M. Alain Milon, rapporteur - Les cathédrales, madame la ministre, n'attirent plus personne. Ce sont les stades qui attirent du monde.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Après la Coupe du monde d'Afrique du Sud, je vous retrouve avec plaisir. Même vous, monsieur François Autain, je vous retrouve avec plaisir.

Connaissez-vous la chanson punk qui dit : « The lunactics have taken over the asylum... » .Ce qui signifie « Les fous avaient pris la commande de l'hôpital psychiatrique » .

M. François Autain, président - Madame la ministre, nous tenons à vous remercier pour cette contribution. Je crois que vous avez dit qu'il fallait savoir se remettre en cause. Je pense que les uns et les autres nous nous quitterons sur cet engagement, car il est vrai que si nous ne nous remettons pas en cause, nous n'avancerons pas. Je suis persuadé que la commission d'enquête aura de nombreuses propositions à formuler dans son rapport.

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