Audition de M. Jean MARIMBERT,
directeur général de
l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits
de santé
(mercredi 24 mars 2010)
M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean Marimbert prête serment.
M. François Autain, président - Merci, monsieur le directeur général. Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire de votre part. Vous aurez ensuite à répondre aux questions de notre rapporteur, Alain Milon, et des membres de la commission ici présents. Monsieur le directeur général, vous avez la parole.
M. Jean Marimbert - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, comme m'y a invité votre président, je vais développer en une dizaine de minutes quelques considérations introductives en rapport avec l'objet des travaux de votre commission d'enquête.
Je rappellerai brièvement, dans un premier temps, les principales activités que l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) a déployées dans le cadre de la préparation, puis de la gestion de la pandémie grippale, avant d'évoquer l'organisation même des processus de travail, notamment, mais pas uniquement, d'expertises sur la base desquelles elle a apporté sa contribution à ce chantier, impliquant de très nombreux acteurs publics.
L'évocation de ce processus de travail me permettra d'aborder la question des liaisons opérationnelles avec les industriels concernés et celle de l'expertise externe.
Cette préparation avait commencé bien avant l'apparition du virus pandémique A (H1N1)v ; l'Agence avait participé à la préparation d'un plan, pour faire face à une probable pandémie, pour laquelle on redoutait surtout une évolution du virus H5N1 qui aurait permis de le rendre facilement transmissible entre humains.
Dans toute cette phase qui précède l'apparition du virus A (H1N1)v et son identification, nous avons apporté un certain nombre de contributions aux travaux menés par le ministère de la santé. Sans entrer dans le détail, je citerai en particulier :
- le contrôle des stocks stratégiques de produits de santé détenus par l'Etat, ce qui a permis, par exemple, de certifier à l'Etat, à l'automne 2008, que l'on pouvait utiliser plus de cinq ans les stocks de Tamiflu. Le Committee for Medicinal products for Human Use (CHMP) de l'Agence européenne des médicaments (EMA) a officiellement entériné l'extension de la durée de validité du Tamiflu à sept ans au mois de mai 2009 ;
- la préparation d'une liste de médicaments et de dispositifs médicaux indispensables ou nécessaires en cas de pandémie ; cet exercice moins connu est probablement unique en Europe ;
Bien évidemment, l'apparition du virus A (H1N1)v, le passage à la pandémie ensuite, vont démultiplier les actions de l'Agence, comme celles de l'ensemble des acteurs publics qui ont été impliqués dans le courant du printemps. Par commodité, on peut les regrouper en deux catégories.
La première catégorie regroupe les activités liées à l'exercice des missions propres de l'AFSSAPS - je veux dire par là - qui débouchent sur des décisions de son directeur général au nom de l'Etat. Il s'agit notamment, pour les vaccins, des autorisations d'essais cliniques accordées durant l'été 2009 pour des essais ou des études de suivi concernant le virus A (H1N1)v, des autorisations d'importation de vaccins, des certificats de libération de lots de vaccins délivrés par le site de Lyon de la direction des laboratoires et des contrôles de l'AFSSAPS.
Il faut rappeler à ce stade que, contrairement à tous les médicaments, chaque lot de vaccins doit faire l'objet d'un certificat de libération par un organisme public de contrôle habilité. L'AFSSAPS libère ainsi environ 40 % des vaccins commercialisés en Europe, et plus de la moitié des lots commercialisés en France.
Il s'agit aussi, dans les missions propres de l'AFSSAPS, de l'évaluation, en tant que pays de référence - j'y reviendrai -, du vaccin non adjuvanté Panenza, en vue d'une autorisation délivrée par l'AFSSAPS le 16 novembre 2009, mais également de l'évaluation de l'oseltamivir PG, c'est-à-dire une forme de Tamiflu. Je ne devrais pas dire cela, car le Tamiflu est un nom commercial. Je rectifie tout de suite : il s'agit de l'oseltamivir PG, développé par la pharmacie centrale des armées, sous forme de comprimés sécables, et qui a fait l'objet d'une autorisation le 26 novembre 2009.
Il faut y ajouter un ample dispositif de suivi des effets de l'utilisation des vaccins conjuguant, pour faire court, un dispositif renforcé de pharmacovigilance que nous avons ouvert, pour la circonstance, à la déclaration par les patients eux-mêmes, et une série d'études de suivis épidémiologiques centrées sur certaines populations, les femmes enceintes par exemple, ou certains risques comme le syndrome de Guillain-Barré.
L'AFSSAPS a également inspecté elle-même - ou participé à l'inspection - de sites de production de vaccins ou adjuvants.
En dehors de ce domaine, il faut mentionner aussi les évaluations qui ont été faites sur les antiviraux, pour lesquels se posait notamment la question des formes pédiatriques les plus adaptées, ou encore les solutions hydroalcooliques qui ont donné lieu à des recommandations publiques de l'Agence.
Cette première catégorie recouvre les activités de l'Agence débouchant sur des décisions qui lui sont propres. Il en existe une deuxième.
L'Agence a fourni au ministère de la santé les éléments d'expertise et des avis susceptibles de l'éclairer dans les décisions qui lui incombaient en propre, et à la ministre in fine . L'Agence a participé, notamment dans ce cadre, aux travaux du Haut Conseil de la santé publique, où elle est représentée. Elle a également donné régulièrement des informations et des interprétations au ministère sur la portée des avis d'étape pris à l'échelon européen par le CHMP.
Elle a également participé aux travaux du Comité de lutte contre la grippe et du comité technique des vaccinations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), où elle était représentée par deux de ses agents.
Enfin, l'Agence a participé à l'effort beaucoup plus large de production et de diffusion d'informations concernant les produits de santé utilisés en période pandémique pour les professionnels de santé et pour le grand public. C'est dans cet esprit que nous avons organisé deux conférences de presse, l'une le 25 septembre 2009, juste après que le CHMP, à l'échelon européen, a pris une position favorable aux deux premiers vaccins pandémiques centralisés. Nous avons tenu une deuxième conférence de presse le 16 novembre 2009, dans les heures qui ont suivi l'octroi de l'autorisation du vaccin non adjuvanté Panenza, pour présenter les éléments de l'évaluation.
Le plus souvent, j'ai été amené, ou mon adjoint, à présenter également, dans le cadre des points de presse organisés par le ministère de la santé, un point hebdomadaire de pharmacovigilance, à partir de la première quinzaine de novembre. Un bulletin hebdomadaire a été mis en ligne dans la foulée. Nous avons fait, à intervalles un peu plus espacés, un bulletin analogue pour les antiviraux.
Comment ont été organisés les processus d'intervention de l'AFSSAPS ? Tout ce que je viens de vous présenter concerne la liste des différents types d'intervention.
Il faut d'abord souligner que beaucoup de ces processus sont assurés intégralement par des agents de l'établissement public. C'est le cas pour le contrôle en laboratoire ; c'est le cas pour les inspections sur site.
Pour la pharmacovigilance, le processus a reposé essentiellement sur la collaboration entre les équipes internes du service concerné de l'AFSSAPS et le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance qui sont, comme vous le savez, logés pour la plupart dans les CHU, et qui recevaient les signalements des professionnels de santé et des patients avec, pour la circonstance, un rôle de coordination donné au centre régional de pharmacovigilance de Toulouse.
Pour la mise au point des études de suivi, des échanges ont eu lieu entre les équipes de l'AFSSAPS et un certain nombre de centres académiques, ou pour le problème spécifique du syndrome de Guillain-Barré qui, vous vous en souvenez, notamment au mois de septembre et octobre, suscitait beaucoup de débats et d'interrogations, avec un réseau de cliniciens spécialisés dans le traitement de ce syndrome.
Concernant les travaux d'évaluation des vaccins, il faut distinguer deux niveaux : le premier niveau est la participation de l'Agence aux travaux européens menés au sein du CHMP, où elle dispose d'un représentant titulaire et d'un représentant suppléant en permanence. Le second niveau concerne les travaux d'évaluation menés en dehors du cadre centralisé. Je fais ici allusion notamment à l'évaluation du vaccin Panenza.
Cette évaluation de Panenza a reposé, pour l'essentiel, sur le travail d'une équipe d'évaluateurs internes, qui a interagi avec quelques experts externes et avec les évaluateurs des agences des quatre autres pays qui étaient parties à la procédure dite « de reconnaissance mutuelle ».
C'est une procédure non pas centralisée, mais de reconnaissance mutuelle où un Etat fait un rapport. Le pays de référence était la France, en l'occurrence. Il confronte son point de vue avec tous les autres Etats intéressés à prendre une autorisation de mise sur le marché (AMM) sur ce produit. S'ils sont d'accord, ils prennent, chacun de leur côté, la même décision. C'est ce qui s'est passé.
Pour Panenza, nous avons appliqué une méthodologie homogène avec celle utilisée dans le cadre de la procédure centralisée, c'est-à-dire utilisant les mêmes critères d'immunogénicité - j'y reviendrai si nécessaire. La méthodologie était la même, mais le cas de figure était un peu différent, parce que l'évaluation de Panenza s'effectuait plutôt par référence à un vaccin de grippe saisonnière préexistant.
L'évaluation de l'oseltamivir PG par la pharmacie centrale des armées a également reposé sur un processus associant les compétences des évaluateurs internes de l'Agence et de leurs collègues des laboratoires, avec la consultation des groupes de travail de la commission d'AMM compétents pour les questions de qualité pharmaceutique, puis en plénière, de la commission d'AMM.
On peut aussi mentionner les avis que l'AFSSAPS a demandés, au fil de l'automne, à un groupe d'experts cliniciens sur l'utilisation des antiviraux hors AMM ou sans AMM, dans le cadre d'autorisations temporaires d'utilisation pour les cas graves de grippe A (H1N1)v.
M. François Autain, président - Pas seulement pour les cas graves.
M. Jean Marimbert - Je fais allusion aux cas graves, mais vous avez tout à fait raison. Il y a un autre aspect.
M. François Autain, président - C'est là où est le problème.
M. Jean Marimbert - Nous en parlerons. Ce groupe était chargé de donner un avis sur les cas graves. Le deuxième aspect a été le débat sur l'usage préemptif début décembre. Je crois que vous faites allusion à cela, mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.
Toutes ces démarches d'évaluation ont été mises en oeuvre dans le respect des principes de base qui gouvernent cette activité à l'Agence, c'est-à-dire principalement : la collégialité et la pluridisciplinarité ; la déclaration des intérêts et leur prise en compte, pour écarter de l'évaluation ou des délibérations les experts qui présenteraient un conflit d'intérêts élevé pour le produit concerné ; et la transparence du processus qui se traduit par la mise en ligne de documents de synthèse, comme nous l'avons fait pour Panenza et pour les vaccins pandémiques centralisés, des rapports publics d'évaluation. Il se traduit également par la mise en ligne des comptes rendus des séances des commissions. Celle-ci est régulière depuis le premier trimestre 2006 pour la commission nationale de pharmacovigilance. Elle est obligatoire depuis 2007 pour d'autres commissions, comme la commission de contrôle de la publicité et la commission d'AMM.
Ces différents processus s'accompagnent de contacts fréquents, d'ordre opérationnel avec les firmes, et principalement les laboratoires pharmaceutiques. En particulier, l'instruction de dossiers de demande d'autorisation implique souvent un va-et-vient de questions et de réponses à caractère scientifique et technique. Il en va de même pour les processus de libération des lots, au cours desquels la direction des laboratoires et des contrôles de l'AFSSAPS étudie les dossiers des lots de vaccins fournis par les producteurs, mais procède également, de son côté, à des contrôles internes sur échantillon, pour vérifier des paramètres essentiels de conformité du produit, par exemple la conformité microbiologique du produit.
Il faut ajouter enfin que, dans le contexte d'incertitude et de changement de données qui a caractérisé la période de gestion de la pandémie, des réunions, en particulier l'été dernier, ont parfois été organisées délibérément par l'Agence avec les laboratoires pharmaceutiques pour obtenir, en cours de route, des éléments d'information actualisés sur certains paramètres essentiels pour la gestion de ce chantier par l'Agence. Des réunions ont également été organisées avec les autorités sanitaires en général, sur les rendements vaccinaux sur lesquels il y avait des incertitudes, et la montée en charge de la production, qui conditionnait le respect des calendriers de livraison.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, les quelques points essentiels que je voulais souligner dans le cadre de cette présentation initiale.
M. Alain Milon, rapporteur - Monsieur le directeur général, je vous remercie pour ce propos introductif. Permettez-moi de vous poser des groupes de questions.
La ministre de la santé a indiqué que l'AFSSAPS et ses experts avaient, avec le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) et le directeur général de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), participé à la négociation collégiale des marchés de fournitures de vaccins. Pouvez-vous nous dire quelle a été sa participation ? A partir de quand avez-vous été inclus dans la participation aux négociations ? Quel a été, en dehors de la négociation des contrats, le rôle que vous avez joué dans la gestion de la grippe ?
Deuxième groupe de questions concernant l'articulation nationale et européenne : pouvez-vous nous présenter l'articulation des compétences entre l'AFSSAPS et l'Agence européenne des médicaments dans les procédures d'autorisation de mise sur le marché de ces vaccins ? Pouvez-vous nous présenter le rôle de l'AFSSAPS au sein du réseau européen des laboratoires ? Quelles relations l'AFSSAPS entretient-elle avec ses « homologues » européens ?
Afin de pouvoir vous préparer, j'aurai ensuite des questions sur les procédures accélérées d'AMM, sur la surveillance des effets indésirables, et enfin sur les modalités de la vaccination. Je vous laisse d'abord répondre aux premières questions.
M. Jean Marimbert - Sur votre première question relative à la participation à la négociation des vaccins, j'ai participé, à partir d'un certain stade que je vais préciser, à la phase plutôt finale de la négociation des vaccins, car elle a commencé plus tôt, en mai, je crois.
M. Alain Milon, rapporteur - Le 15 mai.
M. Jean Marimbert - La ministre de la santé, son directeur de cabinet plus précisément, m'a demandé, aux côtés de M. Noël Renaudin qui était également associé, de participer à une dernière phase de négociations avec les laboratoires. La justification de cette intervention n'était pas tant l'aspect directement économique car je n'ai pas, sur ces sujets, de compétences institutionnelles ni personnelles. Il y avait des discussions âpres sur les questions de responsabilité. J'ai été amené à analyser les termes proposés par les fabricants, tels qu'ils se présentaient au début de la deuxième quinzaine de juin. Cela a commencé durant la troisième semaine de juin.
En dehors de cette analyse, j'ai été amené à participer, de mémoire, à deux réunions terminales de négociations avec deux des trois producteurs, dont on pouvait penser que leur vaccin allait être autorisé d'ici quelques mois, et qui avaient des offres en quelque sorte. Ces réunions ont eu lieu au tout début du mois de juillet.
Pour finir de répondre sur ce point, mon apport dans la négociation était d'essayer de contribuer à une amélioration des clauses de responsabilité par rapport aux termes initiaux, tels qu'ils étaient proposés par certains laboratoires, qui posaient des difficultés majeures. Nous avons été notamment confrontés, à un moment donné de la négociation - c'était le cas lorsqu'on m'a demandé d'y participer - à une clause qui entendait exclure toute forme de responsabilité pour le laboratoire, quelle qu'elle soit, y compris dans le cas où les dommages causés seraient dus à un défaut de fabrication du produit.
M. François Autain, président - Pensez-vous que cette responsabilité en matière de défaut de fabrication est plus importante ou plus coûteuse, pour les laboratoires, que celle qui consiste à prendre en charge les conséquences que peut avoir le vaccin en matière d'effets indésirables ? J'ai le sentiment que ce n'est pas tout à fait égal. Dans un cas, on risque beaucoup, et dans l'autre, on risque un peu moins.
M. Jean Marimbert - Dans le droit commun de la responsabilité pharmaceutique d'un producteur de vaccins, il n'y a pas que la responsabilité pour les dommages liés à un défaut de fabrication. Ce n'est qu'une partie de la responsabilité. Encore fallait-il qu'elle soit bien introduite dans les contrats et que les laboratoires assument au moins cette part de responsabilité-là. Ce qui n'était pas le cas, encore une fois, dans le cadre des versions de contrats qui m'avaient été soumises, pour avis, au début de la deuxième quinzaine de juin. Il y a eu ce débat assez âpre sur ce point, je ne vous le cache pas.
Dans le droit commun, cela va plus loin que cela. Il faut se souvenir que le droit commun doit être tempéré par l'article L. 3131-3 du code de la santé publique qui institue, en cas de menace sanitaire d'ampleur, la possibilité d'un régime spécifique, qui déplace la responsabilité dans un sens plus favorable aux laboratoires, et plus défavorable à l'Etat. Ce régime national de l'article L. 3131-3 a une base communautaire : une directive communautaire, dont j'ai oublié la référence dans l'instant présent mais que je pourrai vous donner, a prévu, quelques années auparavant, ces dispositions en cas de menace sanitaire d'ampleur.
L'enjeu de la négociation, vu du point de vue du participant que j'étais, était d'essayer de tirer les contrats signés vers quelque chose qui soit le plus près possible de l'article L. 3131-3, plus que du droit commun, ce qui, pour terminer ma réponse, n'était pas complètement trivial dans la mesure où nous étions manifestement dans une période de négociation et où le rapport de force - si vous me permettez cette expression - était assez favorable aux offreurs, qui étaient les producteurs. C'est en tout cas la perception que j'ai eue.
M. François Autain, président - En d'autres termes, grâce à vous, le contrat dont nous disposons est moins défavorable à l'Etat qu'il aurait pu l'être.
M. Jean Marimbert - Je ne dirai pas cela, monsieur le président. J'ai été un intervenant dans la négociation. J'ai dit ce que j'avais à dire, dans le sens que je vous ai expliqué. Je pense que d'autres le pensaient comme moi.
En ce qui concerne mon rôle dans la gestion de la grippe, j'ai peut-être déjà répondu, au moins partiellement, dans mon intervention initiale. J'ai essayé d'identifier les types d'intervention de l'Agence dans la gestion de la grippe.
Concernant l'articulation des compétences entre l'Europe et la France pour l'évaluation des vaccins, on ne peut pas dire dans cette affaire que, de manière générale, tous les vaccins soient soumis à la procédure centralisée. La procédure centralisée européenne, menée au niveau de l'Agence européenne des médicaments (EMA), dans un comité où sont représentées toutes les agences nationales, est obligatoire pour un certain nombre de types de médicaments, en particulier, historiquement, tous les médicaments issus des biotechnologies. S'est ajoutée une série de rubriques dans la révision de 2004, qui a été transposée par le législateur français en 2007, mais qui ne vise pas les vaccins en général, en tant que tels.
Concernant les vaccins, il existe une distinction entre les vaccins qui utilisent des mécanismes de recombinaison génétiques, et les autres. Pour les premiers, on va en procédure centralisée obligatoirement ; pour les autres, on n'est pas forcé d'aller en procédure centralisée. Cela vous explique que, par exemple, les vaccins « grippe saisonnière » qu'on utilise régulièrement ne sont pas en procédure centralisée. Ils sont dans une procédure de reconnaissance mutuelle.
Cela explique aussi que pour le vaccin Panenza, on ait pu utiliser une procédure de reconnaissance mutuelle, qui se termine par une décision juridiquement nationale. En fait, il s'agit d'un partage de compétences dans ce domaine des vaccins. Un point est important, et je reviens à ce que je disais dans ma présentation introductive : même si les voies d'examen sont juridiquement différentes, il faut que la méthodologie puisse être homogène.
Vous m'avez également interrogé sur le rôle de l'AFSSAPS au sein du réseau européen des laboratoires. Je suis content que vous me posiez cette question, monsieur le rapporteur, parce que l'action publique dans le domaine des laboratoires n'est pas l'aspect le plus connu de la régulation sanitaire, et pourtant elle est très importante dans le domaine des vaccins. C'est le seul domaine - vaccins et médicaments dérivés du sang - pour lequel il y a obligation d'un certificat de libération de lots par une autorité publique. Ce n'est pas le cas pour l'ensemble des médicaments.
Notre site de Lyon est amené à libérer des lots qui ne sont pas tous les lots utilisés sur le marché français. La règle est que chaque lot de vaccins, quelle qu'en soit la marque, doit avoir un certificat de libération délivré par ce qu'on appelle un OMCL, un organisme public de contrôle en laboratoire. Il doit pouvoir le produire. Cela peut être l'organisme de contrôle français, l'organisme allemand, ou tout autre organisme européen compétent. Ce qui est indispensable, c'est d'avoir un certificat de libération de lot. Il y a de fait une reconnaissance mutuelle ensuite au sein de l'Europe de ces certificats de contrôle.
Nous sommes un membre très actif de ce réseau des laboratoires, lequel est animé au niveau européen, non pas par la Commission de Bruxelles, non pas par l'EMA, mais par un organisme qui s'appelle la Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM) et qui est rattachée au Conseil de l'Europe.
Comme je l'ai dit enfin en introduction, les laboratoires de l'AFSSAPS jouent un rôle important dans cette activité de libération publique des lots, puisque cela concerne plus de la moitié des lots de vaccins libérés sur le marché français, et un peu moins de 40 % des lots libérés sur le marché européen.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé aussi sur...
M. Alain Milon , rapporteur - Sur vos relations avec vos homologues européens.
M. François Autain, président - Sur ce point, Mme Hermange souhaite intervenir.
Mme Marie-Thérèse Hermange - L'Agence européenne a donné l'indication des deux doses uniquement le 24 novembre. En tant que responsable de l'AFSSAPS, pourquoi ne pas avoir sollicité plus tôt l'Agence européenne, pour savoir s'il fallait une ou deux doses en temps voulu, avant les commandes ?
M. Alain Milon , rapporteur - Je m'excuse auprès de Mme Marie-Thérèse Hermange. Je passe aux AMM. Quand nous arriverons à la question des vaccins, nous pourrons reposer la question.
Mme Marie-Thérèse Hermange - D'accord.
M. Alain Milon , rapporteur - Je passe aux procédures accélérées d'autorisations de mise sur le marché. Pour disposer rapidement d'un vaccin pandémique, l'EMA a adapté ses procédures d'évaluation pour réduire, dans la mesure du possible, le délai d'attribution des AMM.
Pouvez-vous nous présenter le calendrier précis de délivrance des AMM des différents vaccins ? Dans quels cas ces procédures accélérées peuvent-elles être mises en place ? Le recours à ces procédures était-il subordonné à une modification de la définition de la notion de pandémie par l'OMS ? Quelles sont les spécificités de ces procédures et leur fiabilité ?
Alors que les vaccins des laboratoires GSK, Novartis et Baxter ont obtenu une AMM avant la fin du mois de septembre et le début du mois d'octobre 2009, le vaccin Humenza du laboratoire Sanofi Pasteur n'a reçu son AMM qu'au mois de février 2010. Comment s'explique la différence plus tardive de l'AMM de ce vaccin ?
M. Jean Marimbert - Sur les procédures européennes, quelle a été la philosophie du dispositif européen ? Comme je vous l'ai dit, on s'est préparé, à partir de 2005, à une menace pandémique dont on pensait plutôt qu'elle serait une menace H5N1, avec la crainte d'un passage à une transmission interhumaine du virus H5N1 qui était terriblement virulent, avec plus de 60 % de mortalité, mais pas facilement transmissible d'humain à humain, heureusement.
Dans ce cadre, au niveau européen, l'EMA, avec la participation de toutes les agences, a pensé qu'il fallait anticiper : si nous commencions le processus d'évaluation des vaccins seulement au moment où nous aurions identifié la souche pandémique, nous ne pourrions pas arriver à une situation où des vaccins pourraient être mis à disposition à temps pour couvrir des populations très importantes.
Cela a débouché sur une procédure en deux temps, qu'on baptise procédure « mock-up » en anglais. Je parlerai plutôt d'une procédure en deux temps, fondée sur un vaccin prototype.
Premier temps : les laboratoires, à partir de 2005/2006, développent des dossiers de vaccins assez complets, comportant une partie qualité pharmaceutique et une partie essais cliniques sur des milliers de personnes, avec un antigène H5N1. Ils développent des vaccins prototypes H5N1. Le CHMP, c'est-à-dire l'EMA, évalue ces dossiers prototypes. Cela s'est passé fin 2008 et début 2009 pour vérifier si ces dossiers sont solides par rapport aux critères, en particulier ceux relatifs à la qualité et à l'immunogénicité des vaccins, sur la base d'essais cliniques. On leur donne un premier label. C'est une AMM de première phase pour ces vaccins prototypes.
Arrive ensuite la souche pandémique. Elle est identifiée au premier trimestre 2009. L'organisation mondiale de la santé (OMS) la caractérise et la rend publique. A partir de ce moment-là, les laboratoires vont, dans le cadre de ce qu'on appelle une « variation pharmaceutique », produire le vaccin pandémique en gardant les mêmes processus de fabrication que ceux qui étaient dans le dossier prototype « mock-up » et les mêmes modalités de contrôle des vaccins, mais en changeant l'antigène, c'est-à-dire en remplaçant l'antigène H5N1 par l'antigène H1N1.
On leur accorde ensuite une variation d'AMM qui, en quelque sorte, prend acte du changement d'antigène, le reste des paramètres de fabrication, de contrôle, de contenu de dossier n'étant pas modifié. Sur quelles bases ? Sur la base d'un raisonnement d'extrapolation qui consiste à dire : on a de bonnes raisons scientifiquement de penser que si un vaccin, dans le cadre d'essais cliniques sur le H5N1, a été efficace, a rempli les critères d'immunogénicité avec une population « naïve », c'est-à-dire n'ayant pas rencontré le virus auparavant, il sera aussi efficace au substitut, l'antigène H1N1, en n'ayant changé aucun des paramètres fondamentaux de fabrication et de contrôle.
C'est la base du raisonnement d'extrapolation qui a été suivi au niveau européen et qui a été développé scientifiquement, dans des documents publics qui ont été mis en ligne et que nous avons fait traduire en français. Ils sont en ligne sur le site de l'AFSSAPS depuis fin septembre ou début octobre. Les Américains ont fait aussi un raisonnement d'extrapolation, mais au lieu d'extrapoler par rapport à un dossier complet clinique et de qualité pharmaceutique H5N1, ils ont extrapolé par rapport à des dossiers classiques de vaccin grippe saisonnière. C'est la principale différence.
M. François Autain , président - Il n'est pas inutile, monsieur le directeur général, de rappeler que les Américains, contrairement aux Français, ont utilisé des vaccins qui ne comportaient pas d'adjuvants et qui étaient fabriqués selon les méthodes traditionnelles. Je pense que ce sont des mesures de précaution que notre pays aurait bien fait d'adopter. Personnellement, je le regrette. Cela me permet de poser une question : pourquoi ce qui est possible aux Etats-Unis ne l'est-il pas en France ?
M. Jean Marimbert - Pourquoi, au niveau européen, a-t-on accepté des dossiers prototypes H5N1, puis des dossiers H1N1 avec des adjuvants ? La raison principale est la suivante : mettre des adjuvants dans un vaccin vous permet d'avoir a priori le même effet d'immunogénicité et le même niveau d'efficacité.
M. François Autain , président - Biologique.
M. Jean Marimbert - On y reviendra. Vous avez tout à fait raison. Immunogénicité et efficacité clinique sont deux choses différentes. Cela permet le même niveau d'immunogénicité en utilisant une quantité moindre d'antigènes, c'est-à-dire de matières premières vaccinales. C'est extrêmement important quand il s'agit de mettre à la disposition très vite, avec quelques mois de fabrication, un vaccin pour couvrir des populations très larges. Pour vous donner une idée, l'utilisation d'adjuvants dans les vaccins pandémiques centralisés amène à utiliser, selon les produits, deux à quatre fois moins d'antigènes pour avoir une dose et pour couvrir quelqu'un. Ce n'est pas rien quand il faut couvrir tout le monde très vite.
La deuxième justification - je fais état de ce que disent les scientifiques, mais ils pourront être interrogés sur ce point -, sur la base des études cliniques faites avec H5N1, on a constaté que, lorsqu'il y avait une variation du virus, le fait d'avoir un vaccin adjuvanté donnait un plus large spectre, une capacité à couvrir en cas de variation du virus, ce qui n'est pas différent avec les virus grippaux. Les virus grippaux ont pour caractéristique essentielle de muter. Ils bougent : c'est une de leurs complexités. Pour ces deux raisons, le choix de l'adjuvanté a été retenu au niveau européen.
Cela me permet de répondre à la deuxième question. Si je n'ai pu autoriser Panenza qu'un mois et demi après que les vaccins centralisés aient été autorisés par la commission, c'est que, s'agissant d'un vaccin non adjuvanté, pour avoir un niveau de quantité important, il faut plus de temps pour le produire. Il y a eu « un retard à l'allumage », mais il n'a pas été très important au final. C'est-à-dire que, malgré tout, le producteur a fait diligence sur ce point. Nous nous sommes efforcés - il faut le dire aussi - de faire diligence : nous avons évalué le produit en six ou sept semaines.
M. François Autain , président - Sans compromettre les règles de sécurité, il faut le préciser.
M. Jean Marimbert - Sans compromettre les règles de sécurité. C'est une des choses que j'ai dites dès le mois d'octobre quand tout le monde m'a interrogé : on prendra le temps nécessaire minimum pour faire un bon travail. Voilà pour les adjuvants, mais on pourra y revenir.
Pourquoi Humenza plus tard ? C'est une des questions que vous m'avez posées, mais j'en ai peut-être oublié. Humenza est le vaccin non adjuvanté de Sanofi-Aventis. Pardonnez-moi, je dis une bêtise. Sanofi-Aventis a fait deux vaccins centralisés. En fait, il en a fait trois d'une certaine manière. Il y a aussi Panenza non adjuvanté.
Par ailleurs, Sanofi-Aventis, en 2008, avait déposé un dossier dans le cadre de la procédure centralisée « mock-up » prototype. Ce dossier était le vaccin Emerflu, mais à l'époque Sanofi-Aventis n'a pas eu l'AMM dans le cadre du « mock-up », le CHMP et l'EMA estimant que les critères d'immunogénicité pour ce vaccin n'étaient pas atteints pleinement. Il n'a donc pas pu avoir l'AMM, ce qui fait que ce laboratoire, pour la partie vaccin adjuvanté, a changé son fusil d'épaule et a dû se mettre à développer un dossier complet en dehors de la procédure « mock-up ». On n'est plus dans la procédure « mock-up », on est dans une procédure accélérée classique.
C'est Humenza, mais pour Humenza il y a, si je puis dire, « un retard à l'allumage », du fait de l'échec d'Emerflu, c'est-à-dire de l'échec de ce vaccin « mock-up » prototype. Ceci explique ces quelques mois de retard de l'autorisation d'Humenza par rapport à l'autorisation des trois autres vaccins centralisés.
M. Alain Milon , rapporteur - Il me reste deux séries de questions. Des procédures particulières de surveillance pharmacologique des effets indésirables des vaccins ont-elles été mises en place ? En avez-vous constaté ?
Avez-vous constaté des effets indésirables des adjuvants ? Je reviendrai sur la question de Mme Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange - L'Agence européenne du médicament a indiqué une dose et non deux doses.
M. Alain Milon , rapporteur - Je vais compléter la question. Lorsque la commission des affaires sociales a entendu, en janvier dernier, les laboratoires pharmaceutiques fournisseurs des vaccins H1N1 utilisés en France, un de leurs représentants - je ne dirai pas lequel - nous a expliqué que le choix du vaccin à deux injections n'avait pas été fait par les laboratoires, mais par les autorités des différents pays, qui avaient supposé que deux doses étaient nécessaires compte tenu du précédent H5N1, ce que vous nous avez appris tout à l'heure. N'aurait-on pu, dans ces conditions, poursuivre un peu plus loin les essais des vaccins H5N1 pour résoudre ces questions avant l'apparition du virus H1N1 ?
Pourriez-vous nous apporter une réponse que nous attendons ? Pourquoi le choix de l'injection unique a-t-il été fait aux Etats-Unis en septembre 2009 et seulement fin novembre en Europe ?
Mme Marie-Thérèse Hermange - Pourquoi, à votre avis, la délibération de l'Agence a-t-elle été si tardive alors que des éléments existant antérieurement pouvaient montrer qu'une dose, et non deux, suffisait ?
M. Jean Marimbert - Je suis un peu surpris par ce que vous me dites et la déclaration que vous me rapportez. Dans le cadre des dossiers prototypes et de leur évaluation, je n'ai pas eu connaissance d'un désaccord qui aurait existé, entre les laboratoires et l'Agence européenne, sur le fait que, sur la base des essais menés pour ces vaccins prototypes, le vaccin H5N1, sur plusieurs milliers de personnes, deux doses étaient nécessaires dans la généralité des cas. De fait, quand fin septembre, le CHMP examine ces dossiers, c'est sur cette base, et tout naturellement d'ailleurs, qu'il dit a priori deux doses. Que se passe-t-il à ce moment-là ?
On commence à avoir des résultats préliminaires d'études cliniques faites sur le vaccin A (H1N1)v, étude ayant débuté très tard, après la fabrication, donc durant l'été. Ils le resteront jusqu'à fin octobre, et tendent à montrer que dans la population adulte, avec Focetria et Pandemrix, mais pas avec Celvapan, une dose paraît susceptible de remplir les trois critères d'immunogénicité. Ces résultats sont préliminaires. Ils portent sur un nombre faible de personnes.
C'est ce qui conduit le CHMP, le 23 octobre, quand il se penche de nouveau sur le sujet, à sortir un communiqué très prudent qui dit : il se peut que le passage à une dose soit suffisant, mais les données sont encore trop préliminaires ; on veut avoir des données complémentaires pour pouvoir se prononcer, de façon ferme, sur le caractère suffisant d'une ou deux doses.
En tant que directeur général de l'AFSSAPS, lorsqu'on m'a demandé mon avis, j'ai dit qu'il fallait rester prudent à ce stade et ne pas se démarquer de la position prudente prise par le CHMP. Livrer le message univoque à toute la population, selon lequel deux doses étaient nécessaires jusqu'à présent, mais que maintenant une dose suffit, ne peut se faire que lorsqu'on est vraiment sûr de son fait. C'est en tout cas l'avis que j'ai donné. Sur la base de données préliminaires, ce serait bien hasardeux de le dire.
Que s'est-il passé ? Un mois plus tard, le CHMP en a de nouveau débattu dans sa séance de fin novembre ; il a infléchi sa position, estimant avoir une masse critique d'éléments et de données suffisantes, compte tenu de tout ce qui était sorti dans l'intervalle, pour dire qu'une dose suffit chez les adultes, dans la tranche 18-65 ans, et même sur une partie des tranches enfants.
J'attire votre attention sur le fait qu'il ne l'a toujours pas dit pour Celvapan. Pour le troisième vaccin, ce sont toujours deux doses qui sont jugées nécessaires. Pour ce qui me concerne, j'assume parfaitement l'avis que j'ai donné sur ce point, mais je n'étais pas le seul.
Envoyer un message consistant à dire aux gens que contrairement à ce qu'on avait dit jusqu'à présent, ils pouvaient être rassurés, qu'une seule dose était suffisante, ne peut se faire que lorsqu'on en est vraiment sûr.
Concernant les effets indésirables, c'était un enjeu très important. Malgré tout le sérieux mis dans l'évaluation des dossiers prototypes centralisés, puis la variation, puis l'évaluation en cours d'automne des premiers résultats qui tombaient semaine après semaine, des essais cliniques sur H1N1, cette fois-ci, on n'avait pas un recul énorme. En particulier, il n'y avait pas de données cliniques sur les femmes enceintes et sur les très jeunes enfants. Il existait beaucoup de raisons de mettre en place un dispositif très solide de suivi.
C'est ce que nous avons choisi de faire. La France n'a pas été la seule ; cela s'est fait dans d'autres pays d'Europe. On a choisi de faire un dispositif renforcé, en donnant aux patients la possibilité de déclarer par simple téléchargement et envoi aux centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Cela a eu un résultat, car un quart des signalements qui nous sont parvenus, dans le cadre de cette campagne pandémique, sont venus des patients et trois quarts des professionnels de santé.
On a pensé qu'il était absolument indispensable de fournir aux professionnels de santé et à l'opinion un point hebdomadaire sur cette question, un point le plus possible en temps réel sur les effets indésirables. C'est ce que nous avons fait. C'est ce qui m'a amené à présenter, souvent moi-même, ou des proches collaborateurs, le bulletin pandémique toutes les semaines.
Parallèlement, il est très important de souligner qu'on ne peut pas se contenter de la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée. Pour suivre les effets indésirables de ces vaccins, il faut aussi mettre en place des études de suivi épidémiologiques à plus long terme, pour suivre des cohortes de femmes enceintes qui ont été vaccinées, suivre la question du syndrome de Guillain-Barré pour voir si on en a plus ou moins, par rapport au bruit de fond, c'est-à-dire au taux annuel de signalements que nous avons régulièrement. En dehors de toute campagne de vaccination, il faut des études à côté de la notification spontanée.
Qu'avons-nous constaté en pratique ? Je vais être bref, car il faudrait beaucoup de temps pour répondre à cette question. Le suivi, semaine après semaine, n'a pas montré de signal préoccupant. Il faut le dire.
M. François Autain , président - Sauf à une exception. Elle a fait l'objet d'une lettre à Mme la ministre concernant une sclérose en plaques.
M. Jean Marimbert - Je ne parle pas de cas individuels.
M. François Autain , président - Ceci a été signalé depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
M. Jean Marimbert - Attendez. On ne peut pas déduire un rôle du vaccin et un lien de cause à effet d'un cas individuel.
M. François Autain , président - On peut en parler.
M. Jean Marimbert - On peut, et il faut en parler.
M. François Autain , président - Ce que je reproche, c'est de ne pas en avoir parlé du tout. Sur aucun de vos bulletins n'est signalée cette sclérose en plaques.
M. Jean Marimbert - Les bulletins de pharmacovigilance publiés en ligne ont fait état de tous les cas qui nous étaient signalés comme suspicion, surtout si cela portait sur des maladies graves. Croyez-moi, en tant que directeur général de l'AFSSAPS, j'y ai veillé, c'est une condition de crédibilité de l'action publique dans ce domaine. J'ai présenté publiquement le premier cas, sans savoir si c'était lié au vaccin. Il y a eu une mort intra-utérine ; je l'ai annoncé publiquement. Les cas de sclérose en plaques, de poussées ou de rechute de sclérose en plaques qui nous ont été signalés en pharmacovigilance ont été mis en ligne. Nous rajouterons au bulletin et au point hebdomadaire ceux qui n'ont pas été signalés en pharmacovigilance et qui sont signalés aujourd'hui. La transparence a été totale sur ce point, monsieur le président.
Après, nous pouvons nous rejoindre. On constate dans les jours ou les semaines qui suivent, chez une personne qui a été vaccinée le jour J, la survenance d'une maladie : pour savoir s'il y a un lien de cause à effet, il faut faire deux types d'analyse : une analyse clinique individuelle de l'imputabilité et une analyse collective. Compte tenu du nombre que j'ai répertorié pendant la période de poussée de scléroses en plaques, du nombre de syndromes de Guillain-Barré, est-ce, oui ou non, supérieur au nombre que je constate habituellement ? Nous avons essayé de le faire petit à petit pour chacune des grandes catégories, si vous regardez nos bulletins.
M. François Autain , président - Je consulte vos bulletins.
M. Jean Marimbert - Je n'en doute pas, monsieur le président.
M. François Autain , président - Madame Blandin, vous avez la parole.
Mme Marie-Christine Blandin - Pour des raisons de sécurité biologique, il était nécessaire qu'il y ait un additif, le Thiomersal, pour garantir la pureté du produit. Franchement, la population s'est émue au-delà du raisonnable sur Internet, mais on lui a aussi donné des raisons de s'inquiéter. Je vais dire pourquoi. Sur le site de l'AFSSAPS, depuis 1999, il y a la déclaration de l'Agence européenne d'évaluation des médicaments, à propos du Thiomersal.
Vous rappelez sur votre propre site qu'il ne faut surtout pas l'employer pour les jeunes enfants et nourrissons, qu'il est exigé que les laboratoires producteurs de vaccins soumettent un plan d'action pour achever de retirer le Thiomersal de tous les vaccins. Vous recommandez l'utilisation de vaccins sans Thiomersal quand ils étaient disponibles, au minimum pour la vaccination des nouveau-nés.
La crise arrive. Sur votre site, il est écrit : « Les propriétés du Thiomersal sont particulièrement utiles dans le cadre de campagnes de vaccination où les conditionnements multidoses sont utilisés. Le Thiomersal est actuellement présent dans tous les vaccins à des doses tout à fait sans risque de toxicité, etc. »
Le changement de ton est troublant pour les gens qui ont en mémoire ce qu'il y avait sur votre site. Il y a quelques années, il fallait le retirer parce que c'était inquiétant : ce n'était pas bon que le mercure reste dans le tissu des jeunes enfants. Là, d'un seul coup, on en a besoin, cela devient inoffensif. Je voulais vous alerter et vous interroger sur ce changement de ton qui n'est pas propre à créer la confiance.
M. Jean Marimbert - Madame la sénatrice, si M. le président le permet, je réponds à votre question. L'évaluation sur le Thiomersal a commencé au niveau européen, comme au niveau français, à la fin des années quatre-vingt-dix. Il y a eu plusieurs prises de position en 1999, et dans les années 2000. La dernière a été prise par le CHMP, en particulier, en 2007. Je ne me souviens pas aujourd'hui si nous l'avons répercutée ; en tout cas, nous avons été parties prenantes. Celle de 2007 à coup sûr, et peut-être celle d'avant, était déjà sur la ligne de ce que nous avions mis sur le site après la conférence de presse fin septembre. Elle rappelait les propriétés utiles du Thiomersal dans le cadre d'un conditionnement multidoses, des propriétés de conservateur en particulier, comme vous l'avez rappelé.
Elle rappelait aussi que, selon les études toxicologiques qui ont été faites, mais qui sont discutables et sujettes à débats comme toute donnée scientifique, les doses de Thiomersal contenues dans une dose de vaccin sont très inférieures aux doses considérées comme susceptibles de produire des effets indésirables. Cette position de 2007 rappelait aussi que les débats sur le lien avec les manifestations de type autisme en particulier - vous vous souvenez - surtout dans les pays anglo-saxons, ont été discutés scientifiquement. Au niveau de l'évaluation européenne, on a jugé que ce lien ne pouvait pas être considéré comme établi.
Ce qui a pu se produire - je ne l'exclus pas, madame, car si vous le dites, c'est bien que vous avez perçu cette différence -, c'est que nous n'ayons pas suffisamment répertorié sur notre site les positions de 2007, dont pourtant nous étions parties prenantes, et qu'on ait eu cette impression de « changement de pied » au moment de la pandémie, auquel cas il est fâcheux que ce maillon que je viens de rappeler soit manquant. Sur le fond, il n'y a pas eu du tout de rupture de position de notre part sur ce point.
M. Michel Guerry - On nous dit depuis deux jours qu'on a des relations avec les autres pays européens. On nous a dit aussi que les Etats-Unis voulaient acheter 600 millions de doses de médicaments. Une dose, deux doses, etc. J'aimerais bien savoir comment les choses se sont passées. Si j'ai bien compris, tout s'est passé pour que les vaccins puissent être acceptés plus tôt que ce qui s'est passé en Europe. Dans cette affaire, les services européens ont-ils suivi ce qu'il s'est passé aux Etats-Unis ? Aux Etats-Unis, comme au Canada, il y a eu une vaccination très large de la population, et même un peu forcée. On nous a parlé de ces commandes qui empêchaient que nous en ayons nous-mêmes un nombre suffisant. Etait-ce les mêmes vaccins ou quelque chose d'autre ? Je n'ai pas bien compris.
M. Jean Marimbert - Non, ce n'était pas tout à fait les mêmes vaccins. J'ai un peu esquissé le sujet dans ma présentation tout à l'heure. Le choix qu'ils ont fait aux Etats-Unis est aussi le choix d'extrapoler par rapport aux vaccins classiques utilisés dans le cadre de la grippe saisonnière tous les ans.
Ceci pourrait nous retenir peut-être, au passage, d'un éloge trop rapide des choix américains. Cela veut dire que les vaccins américains sont autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) sans l'once d'un essai clinique, contrairement aux vaccins européens, par simples variations par rapport aux vaccins de la grippe saisonnière : donc sur dossier, sans essai clinique. C'est l'extrapolation pure.
Deuxièmement, aux Etats-Unis, le choix a été fait de vaccins sans adjuvants. Oui, mais il y a eu une conséquence : vous vous souvenez qu'à la mi-octobre, il y a eu un début de panique. On manquait de vaccins. Les gens se sont précipités vers les centres de vaccination, et les autorités, à l'époque, n'étaient pas en mesure de satisfaire rapidement toute la demande. Une des raisons est que le choix avait été massivement celui du non adjuvanté.
On doit produire beaucoup plus d'antigènes pour couvrir le même nombre de personnes - deux à quatre fois plus. Cela met plus de temps de mettre le nombre de doses nécessaires sur le marché. Il y avait un aspect de pari considérable dans le choix des autorités américaines de faire prioritairement - pas tout à fait exclusivement - le choix du sans adjuvant. Si on avait eu un développement épidémique plus radical, avec un taux d'attaque beaucoup plus large que celui qu'on a eu, les difficultés d'approvisionnement auraient pu être importantes et durables.
Je dis cela pas du tout pour critiquer le choix des collègues américains : chacun fait ses choix. Au final, telles que les choses se sont passées, il n'y a pas eu de difficultés majeures, il y a eu une période de pénurie appuyée dans le courant du mois d'octobre, aux Etats-Unis. Je voulais souligner que ces choix ont été différents pour partie, et qu'ils reposaient sur un certain pari de la part des autorités américaines sur le profil d'évolution qu'aurait cette pandémie.
Mme Christiane Kammermann - Je n'ai pas compris quelque chose. Une personne, par exemple, aurait en elle une maladie de sclérose en plaques, qui n'est pas apparue : le vaccin pourrait-il la déclarer ? Le fait de vacciner cette personne pourrait-il déclencher cette maladie ?
M. Jean Marimbert - Tout un débat a eu lieu. On a donné les explications qui nous paraissaient importantes dans le courant de l'automne, deux points principalement.
Premièrement, le syndrome de Guillain-Barré apparaît dans près de trois quarts des cas au décours de syndromes infectieux, grippaux ou paragrippaux. Autrement dit, la grippe ou des syndromes paragrippaux produisent du Guillain-Barré, ce qui d'ailleurs contribue à expliquer, qu'en dehors de toute campagne de vaccination, on ait chaque année en Europe entre deux et quatre cas pour 100 000 de syndromes de Guillain-Barré. Deux tiers à trois quarts des cas sont consécutifs à un épisode infectieux. La grippe produit du Guillain-Barré.
En sens inverse, si j'ose dire, la question scientifique et sanitaire se posait dans les termes suivants : peut-on imaginer que le vaccin lui-même puisse déclencher le syndrome de Guillain-Barré ?
Mme Christiane Kammermann - Ou des scléroses en plaques.
M. Jean Marimbert - C'est très différent. Pour le syndrome de Guillain-Barré, la question a été posée à partir d'un épisode aux Etats-Unis en 1976. On a vacciné massivement la population - plusieurs dizaines de millions de personnes -, et on a constaté, à cette époque, une montée temporaire du nombre de cas de Guillain-Barré. Un certain nombre d'études ont été réalisées ensuite qui tendent plutôt à écarter le lien causal, ou à estimer qu'un effet déclencheur de Guillain-Barré par les vaccins contre la grippe saisonnière, pour lesquels on avait du recul, est très faible ; beaucoup plus faible en termes de pour cent millièmes que le risque que la grippe elle-même produise du Guillain-Barré.
J'ai été amené à dire ceci publiquement. On ne peut pas nier qu'il y ait un petit risque - plutôt du genre du millionième - que la vaccination saisonnière ou H1N1 puisse produire du syndrome de Guillain-Barré. Cependant, on sait que la grippe provoque plutôt deux à quatre cas sur 100 000 de Guillain-Barré.
Mme Christiane Kammermann - Cela peut-il se produire à retardement, c'est-à-dire dans quelques années, comme cela a été dit, dans la mesure où on n'a pas de recul ?
M. Jean Marimbert - Vous interrogerez des médecins sur le sujet, mais tout ce que j'ai lu en tant que non scientifique, c'est que le Guillain-Barré très retardé, comme syndrome neurologique, paraît peu probable.
M. François Autain , président - Comme vous me l'avez suggéré au début de votre audition, je reviens sur l'oseltamivir, puisque la direction générale de la santé vous avez demandé le 3 décembre 2009 d'émettre un avis sur une nouvelle utilisation, une utilisation hors AMM, qui avait l'avantage de permettre aux médecins de prescrire beaucoup plus d'oseltamivir qu'ils n'en prescrivaient habituellement. Je ne dis pas que c'est pour écouler les stocks que nous avons, mais cela avait au moins cet avantage marginal.
Vous avez donc émis cet avis, mais au lieu - comme il m'aurait paru normal, semble-t-il - de saisir la commission d'AMM, puisqu'il s'agit de modification de l'AMM, vous avez saisi le groupe de travail antibiotiques et antiviraux. L'avis que vous avez émis est favorable, bien qu'il soit assorti d'un certain nombre de réserves qui correspondent plutôt à un avis défavorable.
Pourquoi n'avez-vous pas saisi la commission d'AMM ? Pourquoi, pour cette nouvelle utilisation de l'oseltamivir, préconisez-vous que la pharmacovigilance soit assurée par Roche, le producteur de l'oseltamivir, au lieu d'être assurée par la commission qui a été créée à cet effet au sein de votre institution et qui assure cette surveillance pour les prescriptions de l'oseltamivir ?
J'ai une troisième question concernant l'indépendance des experts. Vous avez fait d'énormes progrès dans ce domaine depuis quelques années. Il en reste encore un certain nombre à réaliser. Disposez-vous d'une instance dotée de moyens adéquats pour exercer un contrôle, ne serait-ce que ponctuel, sur la sincérité des déclarations d'intérêts des experts ? Actuellement, il n'y a pas de sanction, ni de contrôle. Les experts sont tous de bonne foi, mais ils peuvent se tromper, faire des erreurs, avoir des oublis. Il serait intéressant que vous puissiez disposer d'une telle instance. Existe-t-elle et de quelle nature est-elle ?
Mme Marie-Christine Blandin - L'AFSSAPS a-t-elle modifié, à la demande du ministère, les dates de péremption d'antiviraux situés dans les stocks, par une analyse ?
M. Jean Marimbert - Je commence par la dernière question qui est factuelle. J'ai fait une petite allusion rapide dans la présentation. Dès avant la pandémie, dans le cadre d'une démarche plus globale, qui est un programme de contrôle des stocks stratégiques, sous l'angle AFSSAPS, contrôle en laboratoire, le ministère nous avait demandé de faire des contrôles pour voir si le Tamiflu, qui faisait partie des stocks de l'Etat et qui était sur le point d'approcher la péremption prévue par l'AMM des cinq ans, était toujours stable, avec une bonne composition, donc valable et utilisable. On a fait des analyses et j'ai pu écrire au directeur général de la santé, en octobre ou novembre 2008, qu'on pouvait porter la péremption de cinq à sept ans. Cela a été validé au niveau européen. L'AMM a été modifiée en mai ou juin 2009 pour porter la péremption de cinq à sept ans. C'est un type d'approche qui peut ensuite être utilisé pour d'autres éléments du stock de l'Etat.
Pour ce qui concerne les recommandations d'usage de l'oseltamivir, je vérifierai, monsieur le président, car mon souvenir n'est pas précis sur ce point. Je ne veux pas donner d'informations inexactes.
M. François Autain , président - J'ai la même source sous les yeux.
M. Jean Marimbert - Je vérifierai ce que vous avez dit. On a consulté le groupe de travail antibiotiques, mais on n'est pas du tout allé en commission d'AMM.
M. François Autain , président - Pourquoi ?
M. Jean Marimbert - Je vais vérifier.
M. François Autain , président - Vous ne pouvez pas me répondre ?
M. Jean Marimbert - Pas tout de suite. Je m'engage à vous répondre le plus vite possible sur cette question. Je ne suis pas sûr de mon fait sur ce point.
Sur le fond, ce qui est essentiel, c'est que nous avons donné cette position le 7 décembre, dans un contexte qu'il faut rappeler. Nous sommes avant le pic pandémique, avant le début de la baisse, qui ne va commencer à se manifester que mi-décembre ou troisième semaine de décembre, à un moment où cela continue à monter.
M. François Autain , président - On savait ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud. On savait très bien que ce n'était pas exceptionnel.
M. Jean Marimbert - Pourquoi l'Agence est-elle saisie dans ce contexte ? Nous avions discuté en son sein d'une possible évolution des recommandations d'usage pour permettre un usage de type préemptif, c'est-à-dire un usage en prévention, notamment pour des personnes qui sont au contact de personnes ayant le virus ou étant fortement suspectées de l'avoir.
M. François Autain , président - Cela permet de multiplier la prescription par trois ou quatre.
M. Jean Marimbert - La prescription, auparavant, se faisait à demi-dose. Le préemptif était de dire : dose complète pour ces catégories de personnes. L'Agence est saisie pour donner son avis. Sur la base de la proposition du groupe, comme d'ailleurs en interne - les experts internes - l'avis a été favorable. Pourquoi favorable ? L'argument était de dire : cela peut présenter l'avantage de diminuer les résistances, même s'il y en a peu. De façon générale, les traitements préemptifs ou prophylactiques sont généralement à dose curative complète et non pas à demi-dose.
En revanche, on a souligné - je pense que vous faisiez allusion à cela, monsieur le président, pour cette note - qu'il faut prendre en compte le risque de toxicité. Les experts que nous avons consultés, dans le cadre du groupe, ont considéré que ce risque de toxicité n'était pas tant, de leur point de vue, lié à la dose à donner pendant cinq jours qu'à la durée du traitement. Ils ont clairement dit qu'ils étaient d'accord pour le passage à une dose complète, à condition que le traitement soit limité à une durée de cinq jours, pour se prémunir contre d'éventuels risques de toxicité qui seraient plutôt « durée dépendante » que « dose immédiate dépendante ». J'ai repris cet avis.
Pour la pharmacovigilance, j'ai écrit dans cette note - nous avons les mêmes sources - que l'on allait demander un suivi détaillé de pharmacovigilance à la firme. Il ne faut pas prendre tout au pied de la lettre.
M. François Autain , président - Ce n'est pas terrible. Ce sont des exclusivités.
M. Jean Marimbert - Non, pas du tout, c'est une interprétation. Je rappelle simplement qu'il y a une responsabilité de base du producteur en matière de pharmacovigilance. Il faut la garder. Il faut surtout que les laboratoires ne désinvestissent pas dans leur système interne de pharmacovigilance. Il fait partie de leurs obligations de contribuer à suivre les effets indésirables des produits qu'ils mettent sur le marché. Nous nous rejoindrons peut-être sur ce point, monsieur le président. La pharmacovigilance ne saurait reposer uniquement sur les déclarations des laboratoires.
Il y a d'abord la déclaration par les professionnels de santé. C'est extrêmement important. Elle est, vous le savez, non négligeable en milieu hospitalier. Elle est beaucoup plus limitée, il est vrai, en ville ; il faut le reconnaître. Nous avons des progrès à faire sur ce point. Par ailleurs, il y a la déclaration par les patients qui ont leur mot à dire.
M. François Autain , président - Je crois que cela a été voté.
M. Jean Marimbert - Vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Il s'agit de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).
M. François Autain , président - C'est très récent. Cela a été très difficile.
M. Jean Marimbert - Le législateur, en 2009, dans la loi HPST a voté l'obligation d'organiser une pharmacovigilance « patients ». Nous y travaillons - soyez-en sûr - de façon générale. La pandémie nous a servi de banc d'essai. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cela a donné des résultats assez intéressants : près d'un quart des signalements nous sont venus par le canal signalement patient.
M. François Autain , président - Je considère que vous ne voulez pas me répondre sur cette question : avez-vous une instance qui permette de contrôler la sincérité ?
M. Jean Marimbert - C'est une omission. Ce n'est pas un acte manqué. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir donné acte aux équipes de l'Agence des efforts que nous avons faits depuis quelques années.
M. François Autain , président - Ce n'était pas difficile, il n'y avait rien.
M. Jean Marimbert - En tout cas, j'en prends acte. Je le prends comme un encouragement pour faire encore mieux.
M. François Autain , président - C'est ainsi qu'il faut le prendre.
M. Jean Marimbert - Il y a encore des progrès à faire, nous ne le cachons pas. Je suis d'accord, pour avoir été longuement auditionné par la commission à deux reprises en 2005 et 2008. Je me permets aussi de dire que cela a été un aiguillon pour nous, c'est indéniable. La décision stratégique de la mise en ligne des comptes rendus de pharmacovigilance, je l'ai prise avant, car les auditions de 2006 que vous avez pratiquées ont achevé de me convaincre de la nécessité d'une plus grande transparence. C'est une exigence aujourd'hui. Si on veut être plus crédible, il faut montrer comment on travaille, sans cacher les progrès qu'on a encore à réaliser.
M. François Autain , président - La transparence ne suffit pas.
M. Jean Marimbert - Monsieur le président, je n'ai pas encore totalement répondu à votre question. La déclaration que j'ai là, que nous faisons signer aux experts, est une déclaration sur l'honneur. Cela veut dire ce que cela veut dire. Si un expert ne déclare pas des éléments et des liens, c'est une faute.
M. François Autain , président - Il n'y a pas de sanction.
M. François Autain , président - Avez-vous sanctionné des experts ?
M. Jean Marimbert - Il m'est déjà arrivé d'inviter les experts à venir dans mon bureau et de leur dire : « voilà ce qui s'est passé ». Je n'ai jamais été confronté à des déclarations mensongères. J'ai été confronté à des retards de production de déclaration. Ils peuvent encore exister. L'Agence avait, en l'an 2000, 84 % de taux de déclaration. Nous en avions 99 % en 2008. Ce n'est pas encore assez. Il faut aller aux 100 %.
M. François Autain , président - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Sur les 99 %, il y en avait qui dataient de deux ans.
M. Jean Marimbert - Vous avez raison. Nous avons encore des retards de déclaration. A partir de maintenant, en tant que directeur général, je demande à avoir des indicateurs en cours d'année sur les taux de déclaration. C'est la raison pour laquelle j'ai adressé un courrier au président de la commission d'AMM et à tous les présidents de groupe, il y a encore quinze jours, trois semaines, à l'occasion de leur nomination, leur rappelant les trois ou quatre règles absolument essentielles sur les conflits d'intérêts. Il disait en substance : vous êtes comptables, avec nous, avec la direction générale, avec les équipes de l'Agence, mais vous, en tant que président d'une instance, vous êtes comptable du bon respect de toutes ces règles qui doivent être appliquées.
M. Jean-Jacques Jégou - Je voudrais, monsieur le directeur général, revenir sur les réponses que vous avez faites à Mme Marie-Christine Blandin. C'est parfaitement exact que l'AFSSAPS a fait un travail en réponse à la question du gouvernement relative à la péremption du Tamiflu. Il est vrai, comme j'ai pu le constater, lors de ma mission de contrôle sur l'EPRUS, que vous avez envoyé une lettre indiquant que la molécule était intacte cinq ans après et qu'on pouvait prolonger de deux ans sa durée de validité, d'où une réaction mitigée d'ailleurs du laboratoire concerné, pour des raisons qu'on peut imaginer. Il n'y a pas eu cependant de décision prise sur les questions d'étiquetage. Il en est de même pour les masques. Je suis cela avec attention.
Indépendamment de la pandémie, quelles vont être les conséquences concernant ce que vous avez indiqué sur la possibilité de prolongation du Tamiflu ? Quelle va être la réaction d'un de nos concitoyens si, en cas de besoin, on lui remet une boîte sur laquelle la date serait périmée ?
Peut-être ne suis-je pas tout à fait en face du bon interlocuteur, mais peut-être aurez-vous un avis sur ce point : je m'étonne tout de même qu'on ait stocké autant de millions de traitements et que les personnes touchées par la grippe A (H1N1)v aient reçu peu de Tamiflu. Avez-vous un avis sur ce point ?
Dans le cadre de mon rapport, je m'étais renseigné pour savoir si le Tamiflu est efficace. Certains m'ont dit oui, d'autres non. Il fallait, en tout cas, le prescrire très vite sinon il n'avait pas d'efficacité.
Il paraît que 5 millions de nos concitoyens ont été touchés par la grippe A (H1N1)v. Je ne vois pas d'ailleurs comment on peut les compter puisqu'on n'a pas fait de déclaration, mais on peut l'estimer. En tout cas, si 5 millions de nos concitoyens ont été touchés, pourquoi n'y a-t-il pas eu plus de prescription de Tamiflu dans ce cas ?
M. Jean Marimbert - Sur le premier point, il est clair que si une péremption est allongée, sur la base d'un avis de laboratoire qui montre que le produit est bon pour l'usage au-delà de sa péremption initiale, il n'est pas concevable que le produit soit distribué, sans que l'utilisateur, que ce soit le professionnel de santé ou le patient lui-même, ait une information qu'il est valable sept ans et non pas cinq ans.
Cela peut poser des problèmes logistiques, vous avez raison. Parfois on les résout. Ceci nous est arrivé pour d'autres médicaments que ceux qui sont dans le stock de l'Etat par un système de stickers. Quand on ne peut pas refaire le conditionnement très vite, on met un sticker sur le conditionnement extérieur et, éventuellement sur le conditionnement intérieur si on veut aller jusqu'au bout, qui indique la modification, c'est-à-dire que c'est valable jusqu'à telle date et non pas telle date. C'est difficile, mais ce n'est pas complètement insurmontable.
Votre deuxième question est la suivante : pourquoi une prescription relativement limitée pendant la pandémie ? Vous avez vous-même apporté certains éléments de réponse. Le discours sur le Tamiflu, y compris le discours public, de manière générale, - je ne parle pas de l'usage pour les formes graves, car c'est un autre sujet - était un discours qui a toujours été nuancé, consistant à dire : cela peut être utile, mais cela ne l'est que s'il est utilisé très vite, c'est-à-dire dans les quarante-huit heures maximum après l'apparition des signes cliniques. Encore faut-il que le médecin soit amené à intervenir moins de quarante-huit heures après l'apparition des signes cliniques.
On m'a prescrit une fois du Tamiflu dans ma vie. J'ai fait une grippe le premier jour d'une semaine de vacances, malheureusement. J'étais dans le premier jour des signes cliniques. Je pense que les médecins avaient bien intériorisé ce message. Cela pouvait les amener, dans un certain nombre de cas, surtout si le patient venait après plusieurs jours, à ne pas leur prescrire de Tamiflu dans ces conditions.
Il y a aussi d'autres médicaments pour traiter les symptômes. Le discours n'a jamais été univoque sur le Tamiflu. C'est une explication, beaucoup plus qu'une crainte pour la sécurité du produit. Les éléments qu'on a encore aujourd'hui sur la sécurité du produit ne sont pas particulièrement inquiétants en pharmacovigilance. Je pense que d'autres personnes, plus compétentes que moi, pourront donner des éléments d'explication à cette consommation assez faible de Tamiflu. Cela ne m'étonne pas tant que cela.
M. François Autain , président - Monsieur le directeur général, je tiens à vous remercier pour avoir répondu complètement à toutes les nombreuses questions qui vous ont été posées. Je remercie aussi les collègues de l'attention qu'ils ont portée à votre intervention.