Audition de Mme Françoise WEBER, directrice
générale,
et de M. Jean-Claude DESENCLOS, directeur
scientifique,
de l'Institut de veille sanitaire (InVS)
(mercredi 24 mars
2010)
M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Françoise Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire (InVS) et M. Jean-Claude Desenclos, directeur scientifique de l'InVS que nous allons entendre sur le bilan épidémiologique, en France, de la grippe A (H1N1)v et sur les résultats des mesures prises pour la combattre.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Françoise Weber et M. Jean-Claude Desenclos prêtent serment.
M. François Autain , président - Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire. Vous aurez ensuite à répondre aux questions de notre rapporteur Alain Milon et des membres de la commission ici présents. Madame la directrice générale, vous avez la parole.
Mme Françoise Weber - Merci beaucoup monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs. Vous m'avez proposé d'intervenir brièvement en préliminaire à cette audition. Je souhaite essentiellement éclairer la commission en lui apportant quelques éléments sur le déroulement de la pandémie et sur son bilan.
Il est important au préalable de rappeler quelles sont les missions de l'Institut de veille sanitaire, missions définies par la loi de 1998 puis de 2004. C'est, d'une part, la surveillance permanente de l'état de santé de la population et, d'autre part, la veille et l'alerte sur les menaces sanitaires, quelle qu'en soit la nature.
Comment travaillons-nous ? Nous nous basons sur l'analyse et la synthèse permanente et réactive des données épidémiologiques. Nous recueillons ces données dans le cadre de nos activités de veille et de surveillance nationale et internationale, et au travers de réseaux de surveillance, d'études épidémiologiques et de la littérature scientifique. Il est très important que nos sources soient parfaitement claires.
L'expertise de l'InVS est une expertise interne, menée par les agents de l'InVS qui sont épidémiologistes, biostatisticiens ou experts en santé publique. Dès le 23 avril 2009, l'InVS a été fortement mobilisé par la pandémie. Il a alerté les pouvoirs publics, documenté, analysé et évalué la menace en permanence. C'est sur la base de ce travail qu'il a appuyé les autorités de santé pour la gestion de la crise.
Une de ses missions clés était notamment de réévaluer très régulièrement les hypothèses, les scénarios possibles et plausibles pour l'évolution de cette pandémie, ceci dans le but d'aider les pouvoirs publics à décider des mesures de prévention et de préparation du système de soins à la prise en charge des malades. C'était un des objectifs principaux.
Mesdames et messieurs les sénateurs, pour répondre aux questions qui vous occupent, il me paraît également important de rappeler comment ont évolué, au cours du temps, les connaissances et les estimations de l'impact plausible de cette pandémie. Il faut rappeler au préalable que le potentiel évolutif des virus grippaux est immense. Ceci rend l'évolution des pandémies grippales extrêmement difficile, voire impossible à prévoir. Je crois que d'autres experts se sont largement exprimés sur ce sujet.
Ainsi, si les pandémies qui sont survenues au XX e siècle ont eu un taux d'attaque à peu près identique, de l'ordre de 25 %, leurs niveaux de létalité, c'est-à-dire le nombre de décès par rapport au nombre de malades, ont été très différents. La pandémie la plus grave a été celle de 1918, qui a tué à peu près 1 % de la population européenne. La moins grave a été celle de 1968-1969 qui a, malgré tout, entraîné un excès de 20 à 30 000 décès en France. Il est à noter que la plus grande partie de cette mortalité n'a pas eu lieu en 1968, mais en 1969 et au début de 1970. Le comportement des pandémies est extrêmement variable et difficile à prévoir.
Depuis la fin d'avril 2009, comment a évolué la connaissance que nous avions de cette pandémie ?
On peut décrire cette évolution en trois phases.
Tout d'abord, une première phase, entre avril et septembre, pendant laquelle certaines caractéristiques de la pandémie se sont dégagées assez rapidement, alors que son évolution possible restait très difficile à prévoir. On a constaté assez rapidement qu'il s'agissait bien d'une pandémie, au sens scientifique et épidémiologique du terme, c'est-à-dire que c'était un virus nouveau qui s'est répandu très rapidement sur tous les continents. Il se transmettait de plus très aisément chez les jeunes. C'était donc bien une pandémie.
En mai, les premières données en provenance du Mexique, fortement touché, évoquent un taux d'attaque et une létalité supérieurs à la grippe saisonnière. On n'en sait pas beaucoup plus à ce moment-là. Dès le mois de juin, il se confirme que la majorité des cas sont bénins et que la létalité est du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. La pandémie est qualifiée de « modérément grave » sur l'échelle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
A ce moment-là, on peut abandonner les hypothèses les plus pessimistes. Il se confirme néanmoins, au même moment, que certaines populations sont touchées par des formes beaucoup plus graves, plus sévères que celles de la grippe saisonnière, notamment les femmes enceintes et les adultes de moins de 65 ans, avec ou sans facteurs de risque. En France, les premiers cas très sévères, nécessitant un recours prolongé à l'oxygénation extracorporelle, sont rapportés fin juin.
On a un double tableau, celui d'une pandémie modérément grave du point de vue populationnel, et néanmoins une proportion que l'on ne connaît pas de cas sévères, qui commencent à apparaître et qui nécessitent des mesures de réanimation extrêmement lourdes, que l'on n'utilise pas habituellement au moment de la grippe saisonnière, en particulier l'oxygénation extracorporelle.
Il est à noter qu'on ne peut à ce stade abandonner l'hypothèse selon laquelle une létalité même identique à celle de la grippe saisonnière, si elle s'appliquait à un taux d'attaque important, conduirait à un nombre de cas graves et de décès très important. Le dénominateur du nombre de malades augmentant, la même proportion de décès et de cas graves donnerait un nombre extrêmement important de patients en réanimation, avec des mesures de réanimation très lourdes et des décès. Voilà où nous en étions cet été.
A partir de septembre, nous avons abordé une seconde phase, au cours de laquelle nous avons vu se préciser les projections, notamment sur les caractéristiques des cas graves, mais où des inconnues persistaient.
Nous avons pu préciser certains paramètres sur la base des données internationales les plus récentes, notamment des observations réalisées au cours de l'hiver austral et de l'épidémie estivale aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Mais les données recueillies au cours de ces épisodes ne permettent toujours pas de faire une projection univoque sur la sévérité de la vague à venir dans l'hémisphère Nord.
Par exemple, le taux d'hospitalisation était de 3 pour 100 000 aux USA, de 22 pour 100 000 en Nouvelle-Zélande et de 19 pour 100 000 en Australie. Ce taux d'hospitalisation semble croître. On ne sait pas s'il va rester stable ou s'il va continuer à croître, voire devenir exponentiel.
Il persiste également des inconnues sur le comportement de la pandémie lors de son passage hivernal dans l'hémisphère Nord, parce que le virus peut évoluer ou muter entre les deux hémisphères. On a vu, lors des pandémies précédentes, des aggravations entre l'hiver austral et celui de l'hémisphère Nord. Fin septembre, en France, néanmoins, comme dans les autres pays, ce sont les valeurs les plus basses des hypothèses de gravité d'une pandémie qui sont retenues comme les plus plausibles.
La troisième phase est celle de la précision de l'ensemble des paramètres, et notamment du taux d'attaque. Nous pouvons établir cette précision à partir des observations réalisées à partir de la seconde quinzaine de novembre, c'est-à-dire du pic dans la plupart des pays européens. Jusqu'à ce pic, nous voyons une épidémie croître, mais nous ne savons pas jusqu'où elle allait croître. Nous ne disposons d'aucun élément pour savoir jusqu'où elle allait croître, sachant que l'ensemble des pays européens, à quinze jours près, évoluait de la même façon.
Nous avons pu finalement conclure que l'impact de la pandémie resterait, pour cette première vague, en deçà de toutes les projections réalisées, y compris les plus récentes, et on ne peut que s'en réjouir. Nous pourrons revenir ultérieurement, monsieur le président, sur les facteurs qui ont joué un rôle dans cette évolution favorable.
Quel est précisément le bilan que nous pouvons faire aujourd'hui de cette vague hivernale en France ?
Lorsqu'on la compare à l'épidémie saisonnière la plus forte de ces dix dernières années - celle de 1999-2000 -, elle a été plus précoce, un peu plus longue et d'intensité légèrement supérieure. Son impact a été particulièrement important chez les enfants.
Autre caractéristique : les formes asymptomatiques ou peu symptomatiques ont été, probablement, plus nombreuses que pendant la grippe saisonnière. Le nombre de personnes atteintes par le virus, symptomatique ou non, pouvait être estimé en janvier entre 8 et 15 millions de personnes, soit entre 12 et 24 % de la population. Si on ajoute environ 5 millions de personnes protégées par la vaccination, ce sont 13 à 20 millions de personnes qui seraient aujourd'hui immunisées, soit entre 20 et 30 % de la population française, proportion à laquelle on doit ajouter une partie importante des personnes âgées de plus de 50 ans dont on sait maintenant qu'elles étaient d'emblée protégées.
En ce qui concerne les hospitalisations et les formes graves qui constituent une des caractéristiques de cette pandémie, le nombre d'hospitalisations parmi les consultations des services d'urgence a été multiplié par huit par rapport à la saison grippale précédente. L'amélioration du codage intervient probablement pour une part dans cette progression, néanmoins c'est un nombre beaucoup plus important que pour une grippe saisonnière.
La distribution des âges des personnes hospitalisées est aussi très différente de celle qu'on observe en grippe saisonnière, avec une augmentation portant essentiellement sur les tranches 10-19 ans et 20-64 ans.
Le nombre de patients admis en soins intensifs et en réanimation est estimé à au moins 1 330, chiffre en cours de consolidation, mais d'ores et déjà très supérieur à ce qui est observé en période de grippe saisonnière. Nous pourrons revenir sur ces chiffres. Il atteste d'une sévérité particulière du virus A (H1N1)v 2009 par rapport au virus saisonnier, avec une fréquence beaucoup plus importante de syndromes de détresse respiratoire aiguë, liés directement au virus, et de la nécessité du recours à l'oxygénation extracorporelle.
Enfin, 20 % des personnes hospitalisées en unités de soins intensifs ou de réanimation ne présentaient pas de facteurs de risque, et l'âge de ces patients était beaucoup moins élevé qu'avec la grippe saisonnière.
Le nombre des décès notifiés à ce jour comme directement liés à la grippe est de 310. Ce chiffre ne prend cependant pas en compte un grand nombre des décès, notamment ceux qui sont survenus hors établissements de santé, ou ceux qui ont été causés indirectement par le virus chez des personnes porteuses d'affections chroniques. C'est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas comparer ces 310 décès aux 2 000 à 6 000 qui sont enregistrés chaque année avec la grippe saisonnière.
M. François Autain , président - Ils ne sont en effet pas comparables.
Mme Françoise Weber - On peut cependant mettre en perspective cette pandémie par rapport aux 2 000 à 6 000 morts, à l'excès de mortalité habituelle de la grippe saisonnière. Je pourrais, monsieur le président, vous montrer tout à l'heure comment on peut approcher cette comparaison aux 2 000 à 6 000 morts.
Nous avons 310 décès directs qui sont notifiés, ceux-là chez des patients qui étaient en réanimation et qui ont fait des grippes extrêmement sévères, nécessitant des moyens de réanimation très lourds, voire des patients qui sont décédés pour certains à domicile.
Seules des études menées a posteriori permettront d'estimer précisément la part de la mortalité attribuable directement ou indirectement au virus. C'est ce que l'on fait d'ailleurs pour les épidémies saisonnières. On ne compte pas sur le moment les 2 000 à 6 000 morts ; c'est toujours un travail rétrospectif. Nous pourrons revenir sur ce sujet.
On peut néanmoins, d'ores et déjà, dire que cette mortalité a été plus faible que celle envisagée par tous les scénarios. Je crois qu'on peut aujourd'hui l'affirmer.
M. François Autain , président - On peut le dire.
Mme Françoise Weber - On peut le dire, ces données nécessitant néanmoins d'être consolidées. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de mortalité. Encore une fois, j'aurai l'occasion d'y revenir. Les données rassurantes sur l'impact épidémiologique de la première vague se sont accumulées progressivement au cours du temps. En France, comme dans la plupart des pays, le bilan se révèle en deçà des estimations de septembre 2009, malgré une sévérité particulière, très différente par ses formes physiques de celle de la grippe saisonnière, et surtout touchant une population beaucoup plus jeune.
Que faut-il attendre des mois qui viennent ? Compte tenu du bilan que je viens d'esquisser, notamment du taux estimé d'immunisation de la population et des données les plus récentes de la littérature internationale, et à condition que le virus reste stable dans les mois qui viennent, la survenue d'une épidémie de grande ampleur apparaît très peu probable avant l'hiver prochain. Des foyers localisés dans des groupes de population peu immunisés ne peuvent néanmoins être totalement exclus.
En ce qui concerne la prochaine saison grippale, sur la base de l'expérience des pandémies précédentes, l'hypothèse la plus probable est que le virus A (H1N1)v 2009 circulera à nouveau. L'ampleur de sa circulation et de celle des autres virus, ses caractéristiques de sévérité ne peuvent toutefois pas être précisées à ce jour.
C'est donc un scénario pandémique particulièrement favorable qui s'est déroulé jusqu'à présent. Il est néanmoins nécessaire de rester toujours extrêmement vigilant, car il peut évoluer encore entre son premier passage et son retour dans l'hémisphère Nord. L'InVS maintient une vigilance élevée sur cette menace, comme il le fait sur les quelque 90 alertes qu'il traite chaque année. Il faut aussi préciser qu'il reste tout aussi mobilisé sur des menaces moins visibles et de plus long terme, que ce soit en matière de maladies chroniques, de menaces environnementales ou d'alertes infectieuses.
M. François Autain , président - Merci, madame la directrice générale. Maintenant nous allons pouvoir poser les questions et je vais donner la parole à monsieur le rapporteur.
M. Alain Milon , rapporteur - Madame la directrice générale, j'ai quatre questions à vous poser.
Première question : l'Institut de veille sanitaire (InVS) a réalisé avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en septembre 2008, des modélisations des effets du vaccin pandémique H5N1. Ces modélisations ont été un des éléments pris en compte pour mesurer l'intérêt du recours à la vaccination contre le virus H1N1 et l'ampleur qu'elle devrait prendre selon le temps écoulé depuis le début de l'épidémie.
Pourriez-vous nous dire si ces modélisations, dont le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait relevé dans son avis du 26 juin 2009 les «aléas potentiels», ont été confirmées par les faits ? Quels étaient les effets estimés sur la pandémie en cas de vaccination de l'ensemble de la population après le début de la pandémie en France ?
Deuxième question : dès le mois de juin, le HCSP soulignait que la morbidité et la létalité de la grippe A (H1N1)v étaient modérées et proches de celles de la grippe saisonnière. Peut-on affiner cette comparaison entre la grippe A (H1N1)v et les grippes dites saisonnières, dont la sévérité est d'ailleurs très variable ?
Troisième question : comment expliquez-vous que, malgré des stratégies, notamment vaccinales, très différentes selon les pays, la grippe A (H1N1)v ait revêtu à peu près partout les mêmes caractères, tant en ce qui concerne la bénignité et la forte contagiosité du virus, que le taux d'attaque, la létalité et la durée de l'épidémie ?
Enfin, les mesures prises dans le cadre de la préparation à une éventuelle pandémie H5N1 ont certainement permis d'accélérer la mise au point de la réponse vaccinale à la grippe A (H1N1)v. Malgré cela, même dans les pays qui ont consenti de très importants efforts pour mettre en place la vaccination dans les plus brefs délais, le virus a été plus rapide que le vaccin.
Cette constatation ne doit-elle pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la « réponse vaccinale » aux pandémies grippales, d'autant plus que l'efficacité clinique des vaccinations antigrippales est, semble-t-il, relative ? Dans quelles voies devrait, selon vous, s'orienter la recherche d'une réponse efficace aux pandémies grippales ?
Mme Françoise Weber - En ce qui concerne les modélisations - sur lesquelles je demanderai au directeur scientifique de l'Institut de veille sanitaire de nous apporter des précisions - je crois que les termes « aléas potentiels » sont tout à fait adaptés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les modélisations s'appliquent à un virus grippal, qui est un des virus qui a le plus grand potentiel de variabilité et de mutation.
Les travaux que nous menons et que nous réalisons avec l'INSERM, notamment ceux que nous avons réalisés dans le cadre de la pandémie H5N1, s'appuient essentiellement sur l'expérience que nous avons des pandémies précédentes, de la grippe saisonnière et tous les enseignements que nous avons pu en tirer. Mais nous n'avons pas tous les modèles existants ni toutes les hypothèses. A chaque fois que ces modélisations sont effectuées, il est rappelé que ce ne sont que des hypothèses basées sur ce que nous savons du virus. L'expérience a montré encore une fois que le virus avait des potentiels extrêmement variés. Je vais laisser la parole à M. Jean-Claude Desenclos qui souhaite commenter ce point.
M. Jean-Claude Desenclos - Dans ces situations, en France comme dans beaucoup d'autres pays, la modélisation est surtout utilisée pour analyser l'impact relatif de différents scénarios de couverture vaccinale et de combinaison de différentes stratégies - si on associe de la prospective, du traitement, de la vaccination - et montrer à partir de quand cela reste relativement efficace.
Dans la perspective du H5N1, cette modélisation a été faite pour voir si cela paraissait légitime, sur la base d'hypothèses, de recommander ou non, pour le Haut Conseil de la santé publique, l'acquisition d'un stock de vaccins H5N1.
D'après ce que je sais, et malgré ces aléas qui ont été mentionnés, cela a aidé le Conseil à s'orienter vers la décision de recommander la constitution progressive d'un stock de vaccins H5N1.
Comme le virus H1N1 semblait présenter, d'après les premières données en provenance du Mexique, des caractéristiques de transmissibilité proches de celles du virus H5N1 - je ne parle pas de sa gravité - cet investissement, qui avait eu lieu avant, a été réutilisé pour aider à la décision, parmi d'autres éléments. Car un modèle ne permet pas de prédire ; il permet, sur la base d'hypothèses consenties et partagées, dans une perspective d'aide à la décision, d'aider ou de formaliser la démarche, de comprendre un peu comment on peut comparer différentes stratégies.
Dans un modèle, on ne connaît pas l'efficacité des vaccins. On fait des hypothèses sur cette efficacité. Après il y a différentes orientations. Soit on se dit qu'on va vacciner pour réduire la transmission - dans ce cas-là, on vise les enfants jeunes - soit on protège les personnes les plus fragiles. Ce qui sort du modèle n'est que le reflet de ce que l'on met dans le modèle.
L'efficacité clinique du vaccin n'est actuellement pas connue. Des travaux ont été faits, ils ne sont pas encore publiés au niveau européen. On essaie de voir si ceux qui sont vaccinés contractent beaucoup moins souvent la maladie. Nous n'avons pas encore les résultats. Nous ne pouvons pas les inventer avant, nous sommes donc obligés de faire des hypothèses. Même sur une base d'une inefficacité vaccinale de 30 ou 40 %, on a un gain, dans un scénario grave, en termes de prévention et de nombre d'hospitalisations, d'écrêtage du pic et de décès évités, pour peu qu'on puisse vacciner avant, ce qui est très intéressant par rapport à des stratégies collectives.
M. Alain Milon , rapporteur - Ma question ne concernait pas la vaccination avant, mais après le début de la pandémie.
M. Jean-Claude Desenclos - Après le début de la pandémie, on ne peut plus agir sur la transmission. Il faut vacciner les populations connues comme étant les plus fragiles. C'est ce qui a été fait en France et dans tous les pays européens. C'est probablement une des raisons qui expliquent, pour répondre à une autre question, que les stratégies vaccinales ont été différentes, avec des niveaux de vaccination différents. Elles ont toutes débuté alors que la pandémie était commencée ou était en train de se terminer. Clairement, elles n'ont pas pu avoir d'effets sur la première vague pandémique, ou alors très peu d'effets.
Mme Françoise Weber - Il faut peut-être rappeler que la vaccination a deux objectifs : le premier est un effet barrière. Une vaccination qui se ferait, pour la majorité de la population, au moment où l'épidémie est en train de croître, n'a pas, ou de façon très limitée, cet effet barrière.
Le deuxième objectif est un effet de protection individuelle des patients qui sont la cible de la maladie. Que ce soit pour la méningite en Seine-Maritime ou pour n'importe quelle autre maladie infectieuse qui menace une population, on va chercher à protéger la population-cible. Pour la grippe saisonnière, on connaît bien cette population : ce sont les patients porteurs d'un certain nombre de facteurs de risques, immunodépression, maladies respiratoires, et les patients de plus de 65 ans. On vaccine cette cible.
Avec cette pandémie, le problème est que la population-cible - surtout au moment où on n'avait pas identifié l'immunité préalable forte des sujets âgés - était les gens avec des facteurs de risques, mais aussi avec des facteurs de risques nouveaux qu'on n'arrivait pas très bien à comprendre, comme les populations indigènes en Amérique ou dans le Pacifique ; par ailleurs, pour 20 %, des personnes sans aucun facteur de risque se retrouvaient en réanimation dans des états très graves ou décédaient très rapidement.
La population-cible, c'était quasiment toute la population, si on prend en compte ces 20 % de sujets jeunes sans facteur de risques.
M. Alain Milon , rapporteur - Madame la directrice générale, vous nous dites que la nouveauté du virus est un élément de définition de la pandémie, et vous nous parlez en même temps de populations qui sont immunisées pour avoir été en contact avec des virus sensiblement identiques. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et où il y a nouveauté ?
Mme Françoise Weber - Nous nous sommes rendu compte qu'une partie de la population disposait d'une immunité préalable, non pas parce qu'elle avait rencontré ce virus qui est vraiment nouveau, - c'est un virus réassortant, qui n'existait pas - mais, probablement, par immunité croisée, suite à un contact avec un autre virus H1N1, voire avec un autre virus grippal qui aurait certaines caractéristiques communes avec ce virus.
Il est beaucoup trop tôt pour comprendre cette immunité croisée. Cela a été probablement une des raisons pour lesquelles cette pandémie a été très en deçà de tous les modèles de pandémie dont nous disposions : nous n'étions pas en face d'une population totalement non-immune par rapport à ce virus. Il était impossible de prévoir ceci au moment où le virus est apparu : c'est quelque chose qu'il est très important de prendre en compte. Nous avons mis du temps à consolider cette donnée.
M. Jean-Claude Desenclos - La population protégée par la circulation d'un virus, dont celui-ci descend, est la population de plus de 50 ans ; cela commence peut-être même avant 50 ans. Ainsi, les plus de 65 ans et les très âgés ont très peu fait de grippe à cause de ce virus, mais quand ils en faisaient une, ils décédaient plus que les autres groupes d'âge. Le fait qu'il y ait eu très peu de malades dans cette population âgée a limité énormément les décès et contribué probablement, pour une grande part, à une mortalité beaucoup plus faible que lors des grippes saisonnières.
Mme Françoise Weber - Ai-je répondu à la deuxième question, monsieur le rapporteur ? Peut-être, monsieur le président, souhaitez-vous avoir des précisions sur la mortalité ?
M. François Autain , président - Concernant la mortalité, on ne peut pas, si j'ai bien compris, se référer à la létalité enregistrée et évaluée chaque année, dans des conditions assez mystérieuses, pour la grippe saisonnière. Ce sont des chiffres et des fourchettes assez variables. J'aurais voulu savoir, en ce qui concerne cette grippe, selon quelles références évaluer la létalité ?
J'ai constaté, par exemple, que la courbe de mortalité totale enregistrée pendant l'épidémie de grippe A (H1N1)v ne révèle pas de surmortalité, contrairement à ce qui a été observé lors de la grippe saisonnière 2008-2009. J'ose à peine vous poser la question. Tout à l'heure, vous avez dit qu'on ne pouvait plus se référer à quelque chose.
J'aimerais que vous me donniez, malgré tout, quelques conclusions à tirer. Il paraît que c'est tout à fait nouveau. Nous avons un chiffre de quelque trois cents morts. C'est un début. Il nous servira certainement de référence dans les années qui viennent. C'est une ère nouvelle qui s'ouvre en quelque sorte.
On avait par le passé une connaissance différente, partielle, incomplète. C'est maintenant qu'on commence à pouvoir déterminer exactement la létalité en termes de causalité liée au virus lui-même.
Quelles raisons avons-nous de n'être pas rassurés ? Parce que, si j'ai bien compris, nous avons « mangé notre pain blanc ». Vous avez cité des exemples où les deuxième et troisième vagues étaient plus graves que les premières.
Je voulais savoir si, malgré tout, on n'avait pas là affaire à une grippe moins grave. Elle a ses caractéristiques, comme vous l'avez dit : elle ne frappe pas les mêmes catégories d'âge, il y a eu plus de personnes en réanimation. Mais en tout cas, en termes de mortalité, on a observé un taux très faible. Je dirais même qu'il le serait encore plus, si on connaissait exactement le dénominateur, c'est-à-dire le nombre effectif de personnes ayant contracté la grippe A (H1N1)v, qui paraît singulièrement difficile à évaluer, parce qu'il y a beaucoup de grippes asymptomatiques, on l'a dit.
Ce sont des éléments qui nous semblent intéressants à prendre en considération pour établir une comparaison entre ce qui s'est passé cet hiver, ce qui va se passer et ce qui s'est passé au cours des années précédentes. Vous avez sous-estimé, me semble-t-il, dans votre exposé, l'exemple incomparable que pouvait constituer pour nous le fait que les pays de l'hémisphère austral étaient touchés avant nous.
Nous avions là une référence qu'eux, en particulier, n'avaient pas. Je ne suis pas sûr qu'on en ait tiré toutes les conséquences sur le plan des mesures à prendre. Je n'ai pas perçu qu'on avait baissé la vigilance, à partir du moment où on était assuré, pratiquement, que la grippe se déroulerait dans notre pays sur le même mode que dans les pays australs. En particulier, on l'a vu : dix-sept semaines, le pic, c'est tout. Il n'y a pas encore deux vagues. Vous considérez qu'il y a eu une vague seulement.
Tout le monde attend la deuxième vague. Les virologues s'étaient trompés en prédisant 60 000, 30 000 décès. Ils se sont dits : heureusement, il va y avoir peut-être une deuxième vague, une troisième vague.
On nous l'a promise en février. Elle n'a pas eu lieu. On nous l'a promise en mars, mais mars n'est pas terminé. Ils sont moins nombreux à nous la promettre pour avril, et je n'ai entendu personne nous la promettre pour le mois de mai.
Je me méfie, et je me méfie d'autant plus des virologues qu'ils disent tous que la grippe est imprévisible, mais ils ne peuvent pas s'empêcher de faire des prévisions ! Il y a là aussi un paradoxe.
Mme Marie-Thérèse Hermange - Je voudrais savoir si les hypothèses de modélisation que vous avez faites au sein de votre Institut ont été réalisées en liaison avec les autorités gouvernementales, si elles ont été commandées ou non ?
Deuxièmement, travaillez-vous déjà sur les hypothèses pour l'année prochaine ? Selon quels critères ? Avez-vous discuté le dossier avec les autorités gouvernementales ?
Mme Françoise Weber - Si vous permettez monsieur le président, je vais d'abord répondre à Mme Marie-Thérèse Hermange et je reviendrai ensuite aux questions que vous avez posées. La réponse, madame la sénatrice, est dans l'intitulé des missions de l'InVS.
L'InVS a une mission de surveillance, de veille et d'alerte, et l'un des principaux objectifs de sa mission est l'appui au gouvernement en matière de décision et de gestion des crises. Même sans qu'on nous le demande, il est dans les missions de l'InVS d'alerter, de décrire, de proposer des hypothèses et de donner une visibilité au gouvernement sur ce qui va se passer.
Nous travaillons, bien sûr, en lien avec les autorités, mais aussi avec tout le dispositif de santé publique, comme nous le faisons sur tous les sujets de santé publique, en donnant les éléments épidémiologiques, scientifiques et de modélisation qui vont être nécessaires pour prendre une décision. Voilà le rôle de l'InVS, c'est sa mission principale.
Vous avez évoqué, monsieur le président, différents points, notamment la gravité de cette pandémie. Vous avez évoqué le fait qu'elle serait moins grave. Sur le plan quantitatif et populationnel, elle a eu un impact moindre, très nettement moindre que les autres pandémies.
En revanche, cette pandémie - je le redis - a présenté une sévérité particulière chez un nombre beaucoup plus important de sujets que la grippe saisonnière. Le nombre de cas graves et d'hospitalisations a été beaucoup plus important que pour une grippe saisonnière, en particulier en réanimation, et il a nécessité des moyens de réanimation d'une très haute technicité.
Sur ce sujet, vous m'interrogez pour savoir pourquoi nous aurions sous-estimé l'exemple de l'hémisphère austral. Comme je le disais tout à l'heure, nous avons observé de très près l'hémisphère austral. Nous avons organisé, le 19 novembre, un séminaire avec des réanimateurs, des scientifiques, des responsables de santé publique de l'hémisphère austral, à la fois des territoires français du Pacifique, d'Australie et de Nouvelle-Zélande, pour essayer de comprendre exactement ce qui se passait, et pour en tirer les leçons.
Nous en avons tiré la leçon suivante : comme je le disais tout à l'heure, nous avions un taux d'hospitalisation, notamment en réanimation, qui était beaucoup plus élevé que pour la grippe saisonnière. Les services de réanimation ont réussi à faire face, au prix d'un investissement extrêmement important. Le taux d'hospitalisation en réanimation était plus élevé, de façon assez nette, que lors des épisodes estivaux aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Nous ne pouvions pas savoir si, au moment du passage dans l'hémisphère Nord, le taux allait rester au niveau de ce que nous avions vu dans l'hémisphère austral ou si, comme nous l'avions vu dans les pandémies précédentes, ce taux allait continuer à augmenter et s'aggraver à la faveur du passage dans l'hémisphère Nord.
Baser les mesures de gestion uniquement sur ce qu'on avait constaté dans l'hémisphère austral, et considérer que ce qui se passait dans l'hémisphère austral était exactement ce qui allait se passer lors de l'hiver de l'hémisphère Nord eût été hasardeux.
Scientifiquement, nous avions à prendre en compte des hypothèses d'aggravation progressive, notamment l'hypothèse que l'épidémie s'aggrave, comme elle l'avait fait pendant hiver austral, en ce qui concerne le nombre d'hospitalisations et la surcharge des services de réanimation, et que cette tendance à l'aggravation se poursuive. Nous ne pouvions pas ne pas prendre en compte cette hypothèse. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu comme plausibles des hypothèses d'aggravation.
En ce qui concerne l'évolution pour l'hiver qui va venir, j'ai cité des exemples où les scénarios s'étaient aggravés en 1969 et 1970. Cela ne veut pas dire que c'est inéluctable. Dans les hypothèses que nous prenons en compte, il y a, d'une part, une hypothèse de type 1968-1970 avec une aggravation lors du second hiver et d'autre part, une hypothèse selon laquelle une bonne partie de la population étant immunisée, nous verrions de moins en moins de cas sévères et, petit à petit, même très rapidement, le virus prendrait le profil d'un virus saisonnier.
Je n'ai aujourd'hui aucun élément scientifique me permettant de dire laquelle de ces deux hypothèses choisir. La seule chose que nous savons est que s'il se confirme que le nombre des cas asymptomatiques est plus important que pour les grippes saisonnières, si l'immunité vaccinale et l'immunité acquise pendant cette épidémie sont des immunités qui persistent, nous avons de moins en moins de risques de voir une vague de grande ampleur et un très grand nombre de cas sévères.
Nous n'avons pas encore suffisamment d'éléments pour savoir lequel de ces scénarios nous aurons à vivre lors de l'hiver prochain. Nous ne sommes pas catastrophistes, monsieur le président, mais nous disons seulement que chacun de ces scénarios doit être pris en compte, y compris celui du passage très rapide à un modèle de grippe saisonnière, ce virus rentrant, en quelque sorte, dans l'ordre de la grippe saisonnière.
M. Jean-Jacques Jégou - En parlant de grippe saisonnière, madame la directrice générale, j'ai cru comprendre que le virus H1N1 serait inclus dans le vaccin saisonnier de l'hiver prochain. Est-ce exact ?
M. François Autain , président - Est-ce que cela confirme l'hypothèse d'évolution vers un virus saisonnier ?
Mme Françoise Weber - Je voudrais être sûre que nous n'aurons plus de formes graves chez des sujets jeunes, avec ou sans facteur de risque, et être sûre de la proportion de ces formes sévères pour l'hiver prochain. Aujourd'hui, je ne peux pas garantir que nous n'aurons pas, à nouveau, l'hiver prochain, des formes graves, sévères chez des sujets jeunes, voire chez des sujets qu'on aurait pu croire immunisés et qui ne le sont pas tout à fait. Nous ne sommes pas encore tout à fait sûrs que ce virus deviendra gentiment un virus saisonnier, même s'il est inclus dans la vaccination saisonnière.
M. Jean-Jacques Jégou - Je ne sais pas si je m'adresse à la bonne personne, mais vous avez été exposée, sur le plan médiatique, à un moment où la pandémie était avérée. Peut-on imaginer que vous puissiez conseiller à la DGS une autre forme de communication pour faire en sorte que les jeunes puissent être vaccinés dans d'autres conditions qu'ils l'ont été lors de la pandémie ? Parce que la communication en direction des jeunes a été assez insignifiante, pardonnez-moi de le dire.
Moins de 5 % des jeunes scolarisés ont pu être vaccinés, simplement par le fait qu'ils devaient accepter la vaccination, y compris les mineurs. Si on considère encore que les jeunes sont les plus exposés au danger, comment les inciter à se vacciner avec un peu plus de succès, pour éviter qu'ils soient touchés par des formes graves ?
Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, je considère que je n'ai pas les compétences pour donner des conseils en matière de communication au gouvernement.
M. Jean-Jacques Jégou - On vous a mise pourtant sur le devant de la scène à plusieurs reprises.
Mme Françoise Weber - Lorsqu'on m'a mise sur le devant de la scène, comme vous le dites, je crois que c'était pour faire passer un message important pour l'ensemble de la population. J'ai, d'une part, essayé de décrire la situation de la façon la plus transparente et la plus claire possible ; d'autre part, le message qui accompagnait cette description était toujours le même : une très grande vigilance, sans pour autant s'alarmer, et une information la plus claire possible sur le fait que la majorité des cas étaient bénins, mais que dans de rares cas qu'il était difficile de prévoir, plus susceptible d'arriver qu'un autre, il pouvait y avoir, de façon très brutale, des formes graves et sévères. Je crois que c'est un élément de communication extrêmement important pour motiver les sujets jeunes à se faire vacciner. Mais mes compétences ne me permettent pas de faire d'autres commentaires ou d'autres recommandations sur les modalités de communication.
M. Jean-Jacques Jégou - Ne regrettez-vous pas que la vaccination ait été confidentielle ?
Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, un professionnel de santé publique ne peut que regretter qu'une mesure de prévention n'ait pas complètement abouti. C'est le seul commentaire que je peux faire sur ce sujet.
M. François Autain , président - Je n'ai peut-être aucune autorité pour vous répondre, mon cher collègue. Il n'empêche que pour la vaccination antigrippale qu'elle soit saisonnière ou pandémique - encore que, en ce qui concerne le H1N1, je ne voie pas très bien la différence, mais la commission d'enquête est là pour apporter les réponses que je cherche sur ce point - quand on a commencé à se faire vacciner contre la grippe, il faut se faire vacciner tous les ans.
Si un jeune se fait vacciner contre la grippe A (H1N1)v avec deux injections à trois semaines d'intervalle, il faudra renouveler tous les ans cette vaccination. Parce qu'autrement, on n'est pas protégés. La propriété des virus grippaux est de varier. C'est donc nécessaire de se faire vacciner chaque année. Il ne suffit pas de se faire vacciner une fois avec un rappel tous les dix ans, comme on peut l'observer dans d'autres vaccinations. C'est un problème de choix, qui est aussi un choix politique, un choix de santé publique. J'avoue que je ne peux pas répondre sur ce point. Encore moins peut-être, madame la directrice générale de l'Institut de veille sanitaire (InVS). C'est une question qu'il faudra peut-être poser à des virologues que nous auditionnerons, sauf si vous avez une réponse à apporter qui soit plus pertinente.
Mme Françoise Weber - Monsieur le président, je ne pense pas avoir de réponse. Je n'ai en tout cas pas de compétence de virologie. Je ferai un simple commentaire. La vaccination antigrippale chaque année est dirigée contre les virus qui circulent, et en fonction du risque que présentent ces virus.
On peut très bien imaginer que si un jeune a été vacciné contre le virus A (H1N1)v pandémique et que ce virus devient un virus saisonnier, qui ne menace plus, comme les virus saisonniers, qu'une partie très restreinte de la population, on n'a absolument plus besoin de poursuivre la vaccination.
La vaccination, comme toute mesure de prévention, doit être adaptée à la cible de la maladie infectieuse et aux risques encourus. Si ce virus ne menace plus les sujets jeunes de faire des formes sévères de grippe, il n'y a probablement aucune raison de continuer à les vacciner.
M. Jean-Claude Desenclos - Vous avez dit, monsieur le président, que les virologues annonçaient une vague en janvier, etc. Je ne ferai pas de commentaire sur ce point. Simplement, l'Institut de veille sanitaire n'a pas annoncé de deuxième vague en janvier, février, mars et avril. Comme l'a très bien rappelé Mme Françoise Weber, il a dit que la probabilité de voir survenir, sur la base de ce qui s'était passé, une vague importante était très faible.
M. François Autain , président - Lorsque j'ai parlé des virologues, je ne pensais pas à l'InVS. Excusez-moi si vous vous êtes sentis visés.
M. Jean-Claude Desenclos - En tant que directeur de l'InVS, j'essaie de défendre l'institut. Dès janvier, à la demande du ministère, nous avons indiqué que la probabilité d'une nouvelle grande vague avant la fin de la saison dite hivernale était très faible.
M. Alain Milon , rapporteur - J'aimerais que la directrice générale de l'InVS réponde à la question que j'avais posée sur l'efficacité de la vaccination, et aussi à la possibilité d'autres systèmes de lutte contre la pandémie.
Mme Françoise Weber - Monsieur le rapporteur, votre question porte sur la constatation que le virus a été plus rapide que le vaccin. Vous demandez si cette constatation ne doit pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la réponse vaccinale. La réponse à une pandémie est une réponse multiple. Il y a différentes mesures de prévention qui sont, vous le savez, les mesures barrière, les mesures de distanciation sociale et le vaccin. Ce dernier reste une des réponses de prévention les plus efficaces, comme pour beaucoup de maladies infectieuses.
Le fait que ce vaccin soit arrivé dans une phase relativement tardive de la pandémie ne doit pas pour autant remettre en cause la vaccination. Même si le bénéfice populationnel, ou sur la dynamique de l'épidémie, sera beaucoup plus faible, compte tenu du fait qu'elle a déjà démarré, le bénéfice individuel de protection des sujets, d'abord de ceux qui sont les plus à risques et ensuite du reste de la population qui souhaiterait se faire vacciner, reste une mesure de prévention individuelle extrêmement importante.
Même s'il faut travailler sur l'ensemble des mesures de prévention, à partir du moment où la dynamique de l'épidémie est déjà engagée et même si on doit renoncer à un effet populationnel massif, il ne faut pas pour autant renoncer à la vaccination.
M. Jean-Claude Desenclos - Les mesures d'hygiène, en particulier l'utilisation des masques et le lavage des mains, sont des mesures qui ont été promues récemment pour la lutte contre la grippe et sur lesquelles il y a encore un travail de recherche, en particulier sur leur acceptabilité et sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur une pandémie.
Pendant cette pandémie, ces messages ont été donnés et suivis par un peu plus de personnes que d'habitude. Tout de même, il y a eu beaucoup d'agitation. On a beaucoup plus utilisé l'oseltamivir PG que d'habitude. Il est apparu très efficace en France et dans d'autres pays. On s'est beaucoup plus lavé les mains. On a relativement peu utilisé les masques, car malheureusement, on n'a pas la même culture que certains pays asiatiques. Sur ce point, il reste un travail à accomplir, car ce sont des mesures qu'il faut faire entrer dans la pratique.
M. Jean-Jacques Jégou - Grâce à elles, il y a eu aussi moins de gastroentérites.
M. François Autain , président - Il y en a eu quand même.
Mme Marie-Christine Blandin - Elles sont arrivées plus tardivement.
M. Claude Domeizel - L'Institut de veille sanitaire est-il consulté sur le recours au vaccin, et à quel moment ?
Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, l'InVS n'est pas consulté sur ce sujet précis. En revanche, comme je le disais tout à l'heure, il fournit les éléments épidémiologiques qui permettent de baser et d'éclairer les mesures de gestion qui vont être prises. En fournissant les hypothèses et les scénarios possibles, notre rôle principal, dans une situation d'imprévisibilité comme celle-ci, est d'expliquer quel est le champ du possible et du plausible.
Nous ne faisons pas de prévision, ni de prédiction, nous n'avons pas les éléments scientifiques pour le faire. Personne, ni en Europe, ni dans le monde, n'avait d'ailleurs de tels éléments scientifiques. Nous nous servons de l'ensemble des données dont nous disposons pour définir le champ du plausible et du possible en disant : « Voilà les scénarios possibles. Si vous souhaitez prendre des mesures de prévention et préparer le système de soins à ces hypothèses et à ces scénarios possibles, voilà ce qu'il faut prendre en compte » . Tel est le rôle de l'Institut de veille sanitaire. Il n'est pas d'intervenir dans les mesures de gestion, et encore moins dans des mesures qui sont des mesures d'approvisionnement.
M. François Autain , président - A quelle date situe-t-on en France le début de la circulation du virus H1N1 ? Pour que la vaccination ait une efficacité populationnelle, il faut qu'elle ne commence pas plus d'un mois après le début de cette circulation active. Il est important de savoir à quelle date vous la situez. A partir de là, on pourra dire si la vaccination à laquelle nous avons procédé a eu une influence ou non sur l'évolution de l'épidémie.
Mme Françoise Weber - Le virus a commencé à circuler à peu près vers la mi-mai ou la fin mai. Je pourrai vous préciser cette date ultérieurement, je ne l'ai plus en tête. Il a circulé de façon très limitée au début. Je peux vous montrer cette courbe, qui est la courbe du réseau Sentinelle : nous avons eu une circulation qui était non seulement celle du H1N1, mais aussi celle d'autres virus respiratoires jusqu'à la semaine 46 ou 48, avant que nous n'ayons plus que du H1N1, et que nous ayons une circulation de type épidémique.
Le virus a commencé très rapidement à circuler, au moment de l'épisode de l'école de Toulouse. Il a commencé à circuler fin mai, début juin, mais de façon très limitée.
M. François Autain , président - La vaccination a commencé en novembre. Elle a donc été vraiment inutile...
Mme Françoise Weber - Je souhaite souligner à nouveau que la vaccination gardait et garde toujours un intérêt en termes de protection individuelle. Je crois que c'est ce qui est important. Monsieur le président, si vous le souhaitez, je peux vous donner des explications sur le mode de calcul de la mortalité, parce que je crois que c'est un point qui n'est pas très clair.
M. François Autain , président - Non, mais il s'éclaircira à l'avenir.
Mme Françoise Weber - Je peux vous aider à le clarifier très rapidement. Je souhaite juste donner un point de méthode sur la façon dont on calcule les 2 000 à 6 000 morts annuels de la grippe saisonnière. On le fait à partir d'un travail épidémiologique répété sur plusieurs années sur ce type de courbe. Ces 2 000 et 6 000 morts représentent la mortalité en excès que l'on constate au moment de l'épidémie grippale. C'est une comparaison entre la mortalité hors grippe et la mortalité au moment de l'épidémie grippale. On n'« étiquette » pas chacun de ces décès comme un décès dû à la grippe. C'est un excès de mortalité et il représente, sur la moyenne des épidémies, entre 2 000 à 6 000 morts. Il est assez variable d'une épidémie à l'autre en fonction du type de virus ou de la conjonction de certains facteurs. Ainsi, plus il y a de pathogènes qui circulent en même temps, plus il y a de pathogènes susceptibles de co-infecter ou de surinfecter une grippe, plus il y a de mortalité. Plus les autres épidémies de type virus respiratoire syncytial (VRS) tombent en même temps, plus on observe de mortalité. Plus il fait froid au même moment, plus on observe de mortalité.
Si vous vous en souvenez, nous avions beaucoup travaillé au début de cette année sur le pic de mortalité de la grippe 2008/2009, qui avait montré un excès de mortalité de 6 000 morts, non pas parce que le virus était plus virulent, mais parce que nous avons assisté à la conjonction, pendant quinze jours à trois semaines, de l'ensemble de ces facteurs : le grand froid, les co-infections, les cocirculations. Ces facteurs ont frappé particulièrement les sujets les plus sensibles à cette mortalité, c'est-à-dire les sujets âgés.
En revanche, que s'est-il passé cette année ? Vous avez en rouge, sur cette courbe, les variations saisonnières habituelles, c'est-à-dire la mortalité grippale habituelle. Nous ne sommes pas très loin de la mortalité grippale habituelle. Nous sommes un tout petit peu en dessous, particulièrement pour une génération, les plus de 65 ans.
Pourquoi ? Non pas parce que ce virus tue moins que les virus saisonniers. Mais parce que les personnes qui représentent ces 2 000 à 6 000 morts dus à la grippe saisonnière, c'est-à-dire les sujets âgés, étaient cette année immunisées contre le seul virus qui a circulé. Les autres virus, ceux qui les tuent habituellement, n'ont pas circulé cette année. Celui-là était tout seul, et il se trouve qu'elles étaient immunisées.
Par ailleurs, nous n'avons eu pratiquement aucune cocirculation au même moment de VRS ou d'autres cofacteurs. Nous avons assisté à quelque chose qu'il était impossible de prévoir, c'est-à-dire à la fois la présence d'une immunité préexistante, notamment chez les personnes habituellement les plus touchées par la mortalité, et l'absence totale de cocirculation, qui est une part importante de la mortalité du virus saisonnier.
En revanche, nous avons observé une mortalité exceptionnelle chez des sujets jeunes par rapport à la grippe saisonnière, mais pas dans des proportions équivalentes à la grippe saisonnière.
Dans ces conditions, vous comprendrez qu'il est très difficile de dire si cette pandémie était plus ou moins grave qu'une grippe saisonnière.
Elle était différente, elle a chargé les services de réanimation beaucoup plus qu'une grippe saisonnière, avec des sujets jeunes dans des états graves, mais, quantitativement, on ne retrouve pas la même mortalité qu'avec une grippe saisonnière, parce que les sujets âgés qui meurent habituellement de la grippe saisonnière n'en sont pas morts.
Voilà comment on peut définir à peu près la gravité de cette grippe saisonnière. Nous ne sommes pas dépourvus de moyens de comparaison. Il faut simplement comprendre que nous ne comparons pas les mêmes choses, quand on parle de 2 000 à 6 000 morts pour la grippe saisonnière et quand on parle de 310 décès pour la grippe A (H1N1)v. Quand on fera le bilan définitif de la mortalité, il faudra comprendre que ces chiffres ne s'appliqueront pas du tout aux mêmes populations ni aux mêmes formes cliniques.
Cette année, si on doit faire un bilan pour la population âgée, on peut dire qu'elle a été exceptionnellement protégée du seul virus qui circulait.
M. François Autain , président - Croyez-vous que cette situation va durer pour les personnes âgées ?
MmeFrançoise Weber - Il est difficile de prévoir comment vont circuler les autres virus. Je ne suis pas en mesure de faire des diagnostics.
M. François Autain , président - Je le sais bien, je plaisantais.
M. Jean-Jacques Jégou - Est-il bien sérieux de donner des chiffres qui semblent assez provisoires ? Je parle de ceux des personnes qui auraient eu la grippe A (H1N1)v. Pour tous ceux qui n'ont pas été hospitalisés - je pense qu'il y en a un certain nombre -, les médecins n'étaient pas chargés de faire de déclaration. Alors comment peut-on évaluer le nombre de nos concitoyens qui auraient été frappés par la grippe A (H1N1)v ? On avait envisagé, je crois, de prévoir des déclarations des cas, puis on a abandonné pour la raison que cela coûtait cher. Que pensez-vous de cela ?
Mme Françoise Weber - Monsieur le sénateur, il était hors de question de surcharger les médecins généralistes avec la déclaration de grippes tout à fait bénignes. Sachant par ailleurs qu'il y a eu des formes asymptomatiques, cela n'aurait pas été extrêmement efficace. Les épidémiologistes sont des gens très humbles. Ils ne vous parlent pas de comptes, ils vous parlent d'estimations. Le service que nous essayons de rendre à la santé publique est d'estimer au mieux, en fonction des moyens dont nous disposons, l'impact d'une maladie. Nous n'étions pas totalement dépourvus de moyens. Ce sont des moyens que nous mettons habituellement en oeuvre pour la grippe saisonnière. Nous avons bâti depuis quinze ans des systèmes de surveillance qui sont des réseaux sentinelles, des réseaux GROG, la surveillance hospitalière, les centres nationaux de référence pour la surveillance virologique. Nous nous sommes basés, comme d'habitude, sur ces systèmes pour donner une estimation.
Vous verrez que ces estimations sont extrêmement larges, et cela témoigne de l'humilité que nous avons vis-à-vis de ces chiffres ; ils ne sont absolument pas péremptoires. Nous donnons des fourchettes qui permettent de baser des estimations pour prendre des mesures, en disant que ces mesures doivent se rapporter à ces fourchettes d'estimations. Je crois qu'aucun pays n'a les moyens de faire mieux que cela et de compter un par un les cas, mais ce n'est pas pour cela qu'il ne faut rien faire. Nous faisons ce qu'il est possible de faire, c'est-à-dire des estimations.
Ce que nous avons fait, et que nous ne faisions pas les autres années, est la mise en place d'un système de notification des cas sévères et des décès en milieux hospitaliers auprès des services de réanimation, parce que nous savions que c'était là que nous allions voir la différence avec une grippe saisonnière. C'est là que nous avions à prévoir et à suivre la situation au plus près, parce que le grand risque de cette pandémie, au-delà du risque individuel, était la surcharge des hôpitaux et des services de réanimation.
C'est là que nous devions mettre nos capteurs. Nous avons déjà des capteurs aux urgences hospitalières, dans les services d'urgence de ville. Nous les avons consolidés par un système de déclarations systématiques auquel les réanimateurs, les sociétés savantes, ont coopéré de façon remarquable : il y a donc eu un système de notifications des cas graves, pour que nous puissions dire s'il y aurait des tensions de ces services de réanimation ou si, par exemple, les possibilités de faire de l'oxygénation extracorporelle allaient être débordées.
Un des rôles principaux que joue l'InVS est d'être capable d'alerter, non seulement sur les caractéristiques d'une pandémie ou d'une maladie, mais aussi sur le risque de surcharge du système de soins ou de non-disponibilité des mesures de traitement ou de prévention. Nous avons fait ce que l'état de la science et l'état du système de santé nous permettent de faire dans un pays comme la France.
M. Jean-Jacques Jégou - A quoi correspond le chiffre de 5 millions de nos concitoyens qui auraient été frappés par la grippe A (H1N1)v ? Est-ce une probabilité ?
Mme Françoise Weber - C'est une estimation.
M. Jean-Claude Desenclos - C'est une estimation très raisonnable et, si je puis dire, relativement précise dans son imprécision. Par ailleurs, on a pu aussi affiner cette année, ce qu'on ne fait pas d'habitude, cette estimation, au travers d'une enquête par téléphone. On a pu ajouter des questions à des enquêtes qui étaient menées et estimer, parmi les gens qui déclaraient avoir contracté la grippe, combien avaient consulté leur médecin : 60 % en moyenne, 100 % chez les enfants, donc beaucoup moins chez les adultes. A partir de là, on est en mesure de faire des redressements des estimations, qui correspondent assez bien à ce qu'on était en droit d'attendre pour ce type de pandémie, et d'estimer, en y rajoutant une proportion d'asymptomatiques, la proportion de la population qui a été immunisée après le passage de cette première vague. Dans une relative imprécision, ce sont des données relativement focalisées qui donnent des évaluations raisonnables.
M. François Autain , président - Madame la directrice générale, monsieur le directeur, je vous remercie infiniment pour ces explications très claires et qui nous ont beaucoup apporté.