Audition de M. Didier HOUSSIN,
directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports
(mercredi 24 mars 2010)

M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons de nouveau M. Didier Houssin, directeur général de la santé, qui a participé, hier après-midi, à la demande Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, à son audition.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Didier Houssin prête serment.

M. François Autain , président - Je vous donne la parole, monsieur le directeur général, pour un bref exposé liminaire avant les questions que vous poseront d'abord notre rapporteur, Alain Milon, et ensuite les membres de la commission ici présente. Vous avez la parole, monsieur le directeur.

M. Didier Houssin - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice, messieurs les sénateurs, je souhaite, en préambule, situer brièvement le cadre de mon action. J'ai été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005, il y aura cinq ans bientôt. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus H5N1, j'ai aussi été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA).

Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, j'ai dû affronter, dès 2005, l'épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l'état d'hyperendémie lié au méningocoque B14 : P1-7.16 dans la zone de Dieppe. Très tôt, j'ai été sensibilisé aux menaces épidémiques. Pour conclure ce préambule, j'ajoute que je suis médecin et que je n'ai pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux.

A la question du rôle de l'industrie pharmaceutique dans la gestion par le gouvernement de la pandémie liée au virus H1N1 2009, je répondrai trois choses.

Premièrement, oui, le Gouvernement a géré la pandémie H1N1 2009. Cette gestion a été suivie par le Président de la République. Il y a eu cinq réunions autour de lui.

Des arbitrages importants ont été rendus par le Premier ministre sur :

- l'application du plan national « Pandémie grippale » ;

- la mise en place du centre interministériel de crise ;

- le passage en phase 5 ;

- l'acquisition de vaccins ;

- la gratuité et caractère non obligatoire de la vaccination.

D'autres arbitrages ont été rendus par son cabinet. Vingt-deux réunions ont été organisées à ce niveau.

La ministre de la santé et des sports a été naturellement en première ligne sur beaucoup de sujets dans son domaine, pour apprécier la situation et son évolution, préconiser ou prendre des mesures de gestion, mobiliser le système de santé, informer le public et les professionnels de santé, ainsi que dans le cadre du centre interministériel de crise (CIC) qui a tenu quarante-trois réunions, auxquelles la ministre de la santé a été présente ou représentée par son cabinet. La Direction générale de la santé a tenté d'appuyer son action, dans le souci de protéger la santé des Français, soit en lui proposant des décisions, soit en mettant en oeuvre les décisions qu'elle prenait.

La gestion gouvernementale de la pandémie a mobilisé de nombreux acteurs.

Elle a mobilisé, en premier lieu, la population : il y a eu des recommandations, par exemple, pour les voyages, pour la prise en charge médicale en cas de grippe, pour les personnes contacts, pour les mesures d'hygiène, l'incitation à la vaccination...

Elle a aussi mobilisé de très nombreux professionnels.

Hors du champ de la santé ont été concernés les ministères, les préfets, leurs services territoriaux, les collectivités territoriales, le système scolaire, le secteur médico-social, les établissements pénitentiaires, les postes diplomatiques, les médias, etc.

Dans le champ de la santé, elle a mobilisé les médecins, les pharmaciens d'officine, les infirmières, les établissements de santé et l'industrie pharmaceutique.

L'industrie pharmaceutique a contribué à cette gestion dans le domaine des produits de santé de deux manières.

Premièrement, elle a eu un rôle de fournisseur de produits de santé dans les règles usuelles d'évaluation de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité de ceux-ci, soit antérieurement à la pandémie - et c'est le cas notamment des stocks d'antiviraux, de masques chirurgicaux, d'aiguilles, de seringues qui avaient été constitués ; soit dans le cours de la pandémie avec les acquisitions, en particulier, d'antiviraux à usage pédiatrique, de vaccins, de respirateurs, d'appareils d'oxygénation extracorporelle.

En tant que directeur général de la santé, je me suis efforcé de préserver la continuité de ce rôle de fournisseur de produits de santé joué par l'industrie pharmaceutique, d'abord, avant la pandémie, c'est-à-dire entre 2006 et 2009, puis dans le cours de celle-ci durant le printemps et l'été 2009, en appelant l'attention des entreprises sur trois points qui nous semblaient extrêmement importants.

Dans le cadre de la préparation par les industriels de leur plan de continuité d'activité, j'ai rencontré à plusieurs reprises les représentants du LEEM - les entreprises du médicament -, du Syndicat national de l'industrie et des techniques et équipements médicaux. J'ai rencontré le conseil d'administration du LEEM et j'ai été amené à intervenir, à deux reprises, lors de séminaires organisés par l'industrie pharmaceutique.

Un exercice « pandémie » du secteur pharmaceutique était d'ailleurs prévu en septembre 2009. En tant que délégué interministériel, comme le secteur pharmaceutique me semblait le plus mobilisé dans le domaine des plans de continuité d'activité, j'y voyais un possible exemple pour la préparation d'autres secteurs économiques à une pandémie grippale.

Deuxièmement, il a été mis en place un dispositif en vue d'assurer la continuité d'approvisionnement de médicaments indispensables en situation de pandémie. Je pense que M. Jean Marimbert a dû vous en dire un mot. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) de mener les travaux avec la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour identifier dans toute la liste des médicaments, puis dans la liste des dispositifs médicaux, ceux pour lesquels la continuité d'approvisionnement était indispensable. Par exemple, on ne peut pas imaginer de discontinuité d'approvisionnement pour l'insuline, pour certains médicaments à visée cardiologique, etc.

Ce travail très important a été effectué par l'AFSSAPS avec de nombreuses sociétés savantes, la commission d'AMM. Les listes de médicaments ont été mises en ligne sur le site de l'AFSSAPS.

Troisième mesure prise en matière de prévention, du point de vue de la continuité d'approvisionnement des produits : ce sont les rencontres qui ont eu lieu, en particulier avec Sanofi Pasteur, Bristol Myers Squibb et les génériqueurs, autour de la continuité d'approvisionnement en antibiotiques et en antipyrétiques, car notre crainte était que nous nous trouvions à court sur ce type de produits.

Le dernier point que je voudrais évoquer avant de terminer - j'ai lu attentivement la résolution qui a été adoptée et qui fonde la création de votre commission d'enquête - est l'hypothèse que vous formulez dans la conclusion de cette résolution, c'est-à-dire l'hypothèse que l'industrie pharmaceutique ait été tentée de manipuler, voire d'instrumentaliser la gestion gouvernementale au niveau national, mais aussi éventuellement au niveau européen et mondial.

Afin de vendre des produits de santé, la manipulation aurait conduit l'industrie pharmaceutique, si j'ai bien lu, à, premièrement, influencer la décision de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de qualifier l'urgence sanitaire, signalée par le Mexique, comme une urgence de portée internationale, puis celle de déclarer un état de pandémie, pour créer une pandémie qui n'existait pas.

Le deuxième élément de cette manipulation aurait été d'orienter les avis d'experts susceptibles de peser sur les décisions d'acquisition ou d'utilisation, notamment de vaccins ou d'antiviraux au niveau national, européen ou international.

Il est toujours extrêmement difficile de démontrer que quelque chose n'existe pas. Il est encore plus difficile de le démontrer quand ce quelque chose se veut, par définition, caché, comme un complot ou une manipulation.

Je vais cependant avancer trois arguments qui me semblent plaider contre l'hypothèse d'une manipulation fomentée par l'industrie pharmaceutique.

Le premier argument est un argument de faisabilité. L'identification, puis le signalement, enfin l'analyse des faits épidémiologiques sont hors de portée de l'industrie pharmaceutique. Cela se passe en effet de la façon suivante. Des médecins ou des hôpitaux observent, puis signalent aux autorités sanitaires d'un pays que des personnes sont malades, que c'est inhabituel par le type de maladie observée ou l'âge des malades recensés, qu'il y a des décès.

L'analyse de ces signalements, au niveau national, puis international, relève alors d'une expertise qui porte sur la qualification de la situation : que se passe-t-il ? Que peut-il se passer ensuite ?

Cette expertise est déterminante, car elle dimensionne ce qu'on peut redouter, elle conditionne donc la définition de ce qu'il faudrait pouvoir faire.

Cette expertise est celle des épidémiologistes. Sauf à imaginer des liens occultes, les épidémiologistes des organismes concernés - Institut de veille sanitaire en France, European Centre for Disease Control en Europe, le CDC d'Atlanta aux Etats-Unis par exemple - sont sans lien avéré avec les industries pharmaceutiques.

L'industrie pharmaceutique ne pouvait donc pas, de mon point de vue, préparer l'étape initiale essentielle d'une telle manipulation.

Le deuxième argument est un argument de cohérence au niveau mondial. Si l'industrie pharmaceutique avait vraiment tenté de préparer une telle manipulation, le travail de préparation des trente-cinq firmes pharmaceutiques productrices de vaccins dans le monde aurait été considérable en termes d'anticipation et de concertation dans un domaine, dont je rappelle par ailleurs qu'il est excessivement concurrentiel.

Comment admettre alors que l'industrie pharmaceutique qui se serait si bien préparée ait eu tant de mal à produire ces vaccins en grande quantité ? Comment aurait-elle pu ne pas anticiper la préparation, somme toute techniquement simple, de la présentation des vaccins en monodose, ce qui aurait beaucoup simplifié l'organisation de la vaccination dans nombre de pays ? L'industrie pharmaceutique, de mon point de vue, n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins.

Je voudrais développer pour terminer un second argument de cohérence. Si l'industrie pharmaceutique tenait dans sa main, au niveau européen et national, les experts de l'AFSSAPS, du Comité de lutte contre la grippe, du Comité technique des vaccinations et de la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique, de l'Agence européenne du médicament, comment aurait-elle pu les laisser dire à l'automne 2009 que les résultats des essais cliniques montraient que dans beaucoup de cas une seule dose suffirait ?

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, en mai, en août, jusque tard en septembre 2009, notre crainte était que cette pandémie liée au virus A (H1N1)v 2009 se traduise par une hécatombe. Nous avons tout fait pour éviter cela, pour protéger au mieux la santé des Français. Nous nous sommes efforcés d'adapter les actions à l'évolution des connaissances dans un contexte longtemps marqué par de grandes incertitudes. Cette hécatombe n'a pas eu lieu. Chance inespérée, erreur d'appréciation ou action efficace, ou les deux ou les trois ? Votre commission d'enquête va pouvoir en juger. Je vous remercie de votre attention.

M. François Autain , président - Merci, monsieur le directeur général de la santé. L'objet de cette commission d'enquête est en effet de répondre à un certain nombre de questions que nous nous posons.

La situation actuelle alimente un peu votre plaidoyer. Même si l'industrie pharmaceutique a joué un rôle, et même s'il n'est pas prépondérant, dans la décision prise par l'OMS de faire de cette épidémie de grippe une pandémie, elle s'est quand même trompée en ce sens qu'elle a produit beaucoup plus de vaccins qu'il n'était nécessaire. Les bénéfices attendus seront sensiblement inférieurs à ceux qui étaient prévus. Si j'ai bien compris, ne serait-ce qu'en France, ils vont perdre pas loin de 350 millions d'euros, ce qui n'est pas totalement négligeable. L'affaire, semble-t-il, n'est pas terminée, mais en tout cas ils n'auront pas atteint l'objectif qu'ils auraient pu atteindre.

Naturellement, la conclusion de la proposition de résolution n'était qu'une hypothèse : si nous avions pu répondre à la question que nous nous sommes posée, il n'était pas nécessaire de créer une commission d'enquête. Cette commission d'enquête a précisément pour objet d'établir si, oui ou non, et comment, l'industrie pharmaceutique a pu jouer un rôle dans le fait que l'OMS a érigé en pandémie ce qui, me semble-t-il, pouvait être considéré comme une banale grippe saisonnière, même si elle a présenté certaines spécificités.

N'allons pas trop vite. Ce que vous avez indiqué constitue un élément à verser au dossier. J'espère que d'autres témoignages nous permettront d'établir la parfaite indépendance de toutes les institutions sanitaires vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. Je ne vous demande pas de l'établir, car c'est trop compliqué. Il existe un certain nombre d'interrogations, pour ne pas dire plus, sur l'indépendance d'un certain nombre d'experts par rapport à ces industries.

Je ne reproche pas, à titre personnel, à des chercheurs, des experts de travailler en étroite collaboration avec l'industrie pharmaceutique, avec les fabricants de vaccins, les fabricants d'antiviraux, au contraire, je pense qu'ils ont besoin d'eux. Ce que je critique, c'est que ce soient les mêmes qui conseillent les entreprises et qui conseillent le gouvernement. Quelquefois d'ailleurs, on ne le sait même pas. On commence à le savoir : il est vrai qu'il y a à cet égard une amélioration. On ne va pas revenir sur le débat d'hier, mais il a fallu beaucoup de temps et de pressions de la part, notamment, des médias pour que cette amélioration se produise.

Je vous remercie des indications que vous nous avez données, et de nous avoir fait part de votre sentiment. Je donne la parole à notre rapporteur, qui va vous poser un certain nombre de questions.

M. Alain Milon , rapporteur -  Monsieur le directeur général, je voudrais vous poser d'abord des questions sur l'expertise nationale.

L'intervention de très nombreuses instances d'expertise dans la gestion des aspects sanitaires de la crise a-t-elle permis, dans un contexte d'urgence, d'optimiser les conditions de prise de décision ? Les compétences de chacun de ces organismes et leur composition sont-elles de nature à apporter une information plurielle et collégiale au décideur politique ou entraînent-elles un brouillage dans l'information ? C'est une question que j'ai déjà posée à madame la ministre hier. Comment les différents avis exprimés ont-ils été pris en compte ?

En ce qui concerne l'expertise internationale : dans le cadre de vos fonctions, avez-vous formulé des observations ou des suggestions sur la stratégie de l'OMS et les conditions de déclaration de la pandémie grippale ?

En dehors même des questions que peut poser l'évolution, entre 2005 et 2009, de la définition des pandémies donnée par l'OMS, ne doit-on pas s'interroger, en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, sur le caractère opérationnel d'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité ?

Dernière question sur les conflits d'intérêts : le fonctionnement des instances nationales et internationales d'expertise au cours de cette crise fait-il, selon vous, apparaître la nécessité de repenser l'organisation et les conditions d'application des dispositifs de prévention des conflits d'intérêts ?

Quelles suites comptez-vous donner, notamment, aux conclusions du rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise en santé publique que vous aviez demandé à Mme Marie-Dominique Furet-Garabiol ?

M. Didier Houssin - Première réponse. Dans cette affaire, j'ai été très tôt sensibilisé par ce qu'on appelle « l'affaire de la grippe porcine » de 1976 aux Etats-Unis, et en particulier par le rapport de l'Institute of Medicine, piloté par M. Fineberg.

C'est à la lumière de ce rapport que j'ai souhaité orienter mon action dans le sens suivant : ne pas enfermer la ministre dans une seule décision, et faire en sorte que soient successivement proposées, et appuyées chaque fois, autant que possible, sur une expertise, des décisions qui conduisaient à une action progressive. Il fallait éviter de faire ce qui avait été fait en 1976 aux Etats-Unis où le Président Ford avait, en une seule décision, acheté les vaccins, organisé la campagne, décidé son lancement, sans qu'il y ait possibilité véritablement de retour en arrière.

Il fallait donc sérier les décisions à prendre. Une première grande décision était celle de l'acquisition de vaccins. Il fallait malheureusement la prendre très tôt pour les raisons que la ministre a expliquées hier, qui étaient des raisons de faible marché d'offre et d'une importante demande.

Une deuxième décision importante était dans le domaine de l'organisation des soins, le passage de la phase hospitalière à l'élargissement au secteur ambulatoire.

La troisième décision importante était la suivante : comment décider de l'organisation de la campagne ? Quelles devaient être les principales modalités de cette organisation ?

La quatrième décision importante concernait l'ordre de priorité de la vaccination. Curieusement, c'est celle où je m'attendais à ce qu'il y ait le plus de difficultés et finalement, c'est celle qui, au bout du compte, en a peut-être posé le moins.

Dernière décision importante, mais il y en a eu beaucoup d'autres : le lancement de la campagne.

Nous avions préparé une autre décision qui aurait d'ailleurs été la plus lourde à prendre : celle d'arrêter la campagne, en particulier si on observait des effets indésirables supérieurs aux bénéfices qu'on pouvait attendre de la vaccination.

L'objectif a été que chacune de ces décisions, pour lesquelles on peut rentrer dans le détail si vous le souhaitez, soit appuyée sur une expertise, dont la nature était évidemment un petit peu différente en fonction de la nature de la décision.

Nous nous sommes appuyés, au niveau national, essentiellement sur trois types d'organismes.

L'organisme de base fondamental est l'Institut de veille sanitaire. J'en ai dit un mot tout à l'heure. C'est lui qui est compétent pour qualifier la situation, formuler des hypothèses de planification et des scénarios qui se produisent ou qui ne se produisent pas. Je dois dire qu'on a toujours eu, grâce à l'InVS, une vision extrêmement précise de ce qui se déroulait au niveau français et international. Par rapport à d'autres crises dans le passé, c'est un élément extrêmement positif.

Nous avions un deuxième grand expert, c'est l'Agence française de sécurité des produits de santé qui est, si j'ose dire, notre « expert produits », soit directement, soit en relayant ce qui se passe au niveau européen, pour ce qui est des produits autorisés à ce niveau, selon la procédure centralisée. Cette expertise est interne à l'Agence et s'appuie également sur la commission d'AMM ou la commission de pharmacovigilance.

Nous nous sommes appuyés aussi sur le Haut Conseil de la santé publique, avec sa commission maladies transmissibles, le Comité technique des vaccinations qui lui est rattaché.

Nous avons ensuite le Comité de lutte contre la grippe (CLCG) qui n'est pas une composante du HCSP mais un comité thématique et pluridisciplinaire, créé en 1995, et dont le rôle et le statut ont été renforcés et définis par décret en 2008. Ce comité a participé à la gestion de la crise et a fonctionné, sur les questions relatives à la vaccination, comme un groupe de travail pour le Comité technique des vaccinations (CTV).

Voilà, schématiquement, quel était l'appareil d'expertise sur lequel nous pouvions nous appuyer, auquel j'ajouterai encore deux éléments importants : l'avis du Comité consultatif national d'éthique de février 2009, et le travail que j'ai lancé en juin 2008 autour de la question de l'allocation des vaccins. Ce groupe de travail interministériel a travaillé à partir de juin 2008 et a rendu son rapport en juin 2009.

Nous nous sommes bien sûr appuyés sur des éléments d'expertise au niveau international et européen. Je peux vous faire parvenir, si cela vous intéresse le visuel que nous avons réalisé, lequel essaie de montrer le cheminement du processus d'expertise vers la décision.

Quel a été le rôle de la direction générale de la santé ? La direction générale de la santé pose des questions aux experts, sauf si les événements sont si rapides que les experts s'autosaisissent ; elle recueille des réponses qu'elle transforme en préconisation, en proposition de décision présentée à la ministre avec, éventuellement des scénarios ou des arbitrages possibles, pour que la ministre puisse prendre sa décision en tenant compte de l'avis d'experts.

L'idée était que, autant que possible, la décision de la ministre ait un fondement scientifique, même si, évidemment, une décision politique intègre d'autres éléments, d'autres dimensions - psychologiques ou psychosociologiques - et si l'expertise scientifique ne suffit pas à faire en soi la décision politique.

Une fois que la décision politique était prise, la direction générale de la santé la mettait en oeuvre. Beaucoup de choses étaient décidées au niveau interministériel, par la cellule interministérielle de crise notamment, à l'intention des préfets. Il y avait cependant des actions proprement sanitaires qui étaient autorisées par la direction générale de la santé ou la direction de l'offre de soins.

Je réponds maintenant à votre deuxième question : ce processus de décision mériterait-il d'être optimisé ?

Aujourd'hui, je pense que le positionnement du Comité de lutte contre la grippe mériterait d'être réexaminé. Ce sera peut-être une des conclusions qu'on tirera. On pourrait imaginer que ce comité soit intégré au Haut Conseil de la santé publique comme un comité technique, qu'il se situe dans ce positionnement un peu intermédiaire entre le Haut Conseil de la santé publique et la direction générale de la santé. Je pense qu'il y a quelque chose à clarifier.

M. François Autain , président - Et sur sa composition ?

M. Didier Houssin - La question de sa composition peut se poser aussi.

M. François Autain , président - Il faudrait faire un peu de place aux médecins généralistes.

M. Didier Houssin - Je partage votre avis sur ce point. Le Comité de lutte contre la grippe était, au départ, essentiellement tourné vers la préparation et l'organisation de la gestion de la grippe saisonnière. Il est vrai que la dimension préparation d'une pandémie grippale nous a conduits à devoir le mobiliser en urgence. Le texte de 2008 prévoyait cela. On a pensé, à un moment donné, qu'il était important de renforcer la compétence en pneumologie.

M. François Autain , président - Il faudrait plus de cliniciens et de personnes proches du terrain...

M. Didier Houssin - Disons du terrain de médecine générale, sûrement.

M. François Autain , président - ... Et un peu moins de virologues qui travaillent sur ordinateur.

M. Didier Houssin - En ce qui concerne l'expertise internationale, on a vraiment été alimenté de façon complémentaire, en matière d'épidémiologie, par l'European Centre of Disease Control, à travers l'Institut de veille sanitaire. L'OMS, elle, avait une vision mondiale et jouait un rôle d'« ensemblier épidémiologique », rassemblant les données fournies par les différents Etats.

Nous avions aussi des liens avec nos collègues de certains pays européens ou nord-américains, avec lesquels, dans le cadre des réunions, au début journalières, du Health Security Comittee, le Comité de sécurité sanitaire, ou dans le cadre des pays du G7, nous échangions sur des éléments d'expertise.

Vous m'avez ensuite posé une question importante : la gravité devrait-elle être un critère de la définition de la pandémie ?

La ministre a évoqué ce point hier, je crois.

M. François Autain , président - Elle n'a pas l'air d'être de cet avis.

M. Didier Houssin - Des travaux ont été menés dans le cadre de la révision du plan OMS, et la question s'est posée. Ne devrait-on pas introduire un élément de gravité ? On s'est heurté à ce que la ministre a dit hier : la gravité est assez difficile à mesurer. Compter les décès peut paraître simple, mais c'est très compliqué, sauf à se dire qu'on les comptera quinze jours, un mois, six mois, un an plus tard.

Compter les décès en temps réel, de façon fiable, est très difficile. Cela suppose un système de recensement. Par exemple, en France, on essaie d'améliorer continuellement ce système. On essaie de faire en sorte que dans les hôpitaux, on ait la certification électronique des décès. On en est loin. On commence à mettre en place la certification électronique en ville, mais pour ce qui est des décès à l'hôpital, on n'en est pas encore capable aujourd'hui.

Deuxièmement, la mortalité doit être appréciée, comme l'a dit la ministre, à l'aune de ce qu'un système de santé peut faire. Imaginer que l'OMS soit capable de produire un critère de gravité à vocation mondiale, ce n'est pas si facile que cela. Malgré tout, et je crois que c'est une des leçons de ce qui s'est passé, il va falloir creuser cette question.

Est-ce que personnellement, j'ai été amené à intervenir ou à être en lien avec l'OMS sur ces questions ? Je ne fais pas partie, bien sûr, du comité d'urgence de l'OMS, mais je suis membre du conseil exécutif, qui est plutôt un conseil d'administration. A ce titre, j'ai participé à l'Assemblée mondiale de la santé au mois de mai. J'ai assisté aux interventions, qui ont été mentionnées hier, des représentants suisse et britannique. Le ministre britannique Alan Johnson était intervenu. Nous étions justement, alors, dans une période de grande incertitude : fallait-il ou non passer à la phase 6 ? Les positions étaient un peu divergentes. Je me souviens d'une conférence téléphonique à laquelle j'ai participé à la demande de la directrice générale de l'OMS quand la question s'est posée de qualifier la pandémie lors du passage en phase 6.

La directrice générale se posait la question. Elle pensait bien que nous étions dans une situation qui n'était pas celle de 1918. En même temps, certains éléments, certains aspects n'étaient pas rassurants. Dans ce contexte, la qualification de « gravité modérée » a semblé adaptée.

Pour terminer, je vais répondre à la question relative aux conflits d'intérêts. C'est un sujet extrêmement important et comme vous le dites, monsieur le président, des progrès ont été faits, mais on peut encore probablement en faire.

Des progrès ont été faits, car la loi de 2002 a mis en place un dispositif de déclaration de liens d'intérêts, de publication de ces liens, qui permet de mieux gérer les conflits d'intérêts. C'était l'objet du rapport auquel faisait allusion le sénateur Alain Milon. On est pris entre deux exigences : il nous faut des experts compétents, sinon l'expertise n'a pas de sens, et il nous faut des experts indépendants.

Les comités techniques autour de la direction générale de la santé sont souvent des comités techniques de suivi de plans de santé publique, où la question des conflits d'intérêts ne se pose pas, parce qu'il n'y a pas véritablement de décisions à prendre ; mais s'agissant du Comité de lutte contre la grippe, il y en a.

On pourrait imaginer par exemple - le sujet a été évoqué - de faire en sorte qu'une autorité soit capable de contrôler la véracité de ce qui se dit ou se fait en termes de déclaration de liens d'intérêts et en termes de gestion des conflits d'intérêts. Comme l'a dit la ministre, cela pourrait aboutir à un dispositif très complexe. Est-ce une garantie absolue ? Ce n'est pas non plus évident, mais c'est peut-être une piste.

Une autre piste est très importante : la valorisation de l'expertise. Une manière de conforter le rôle des experts est que leur rôle soit reconnu, dans les milieux universitaires notamment. Tout un travail a été réalisé sur ce thème, dont traite le rapport que vous évoquiez. J'ai eu des contacts avec mes collègues du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour savoir si dans les conférences nationales d'université, on pourrait introduire la notion d'expertise, comme un élément de valorisation du travail des chercheurs ou des enseignants-chercheurs. C'est une piste. Il y a bien sûr, aussi, la question de la rémunération.

Une troisième piste serait de trouver une manière de neutraliser les liens qui peuvent s'exercer entre un expert et un industriel, de mutualiser ces liens, en quelque sorte, ce qui n'est pas non plus forcément évident, et qui risque beaucoup d'alourdir le dispositif. Ce peut aussi être, malgré tout, une piste.

On a sans doute à notre disposition des perspectives. La question est la nécessité de trouver un bon équilibre pour ne pas être dissuasif vis-à-vis de l'expertise et, en même temps, améliorer la confiance que tout le monde peut avoir dans notre dispositif d'expertise.

M. François Autain , président - Imaginons une société idéale où tous les experts des instances placées auprès des autorités sanitaires n'auraient pas de lien d'intérêts. Considérez-vous que pour être un expert compétent, il faut avoir forcément des liens d'intérêts ?

M. Didier Houssin - Non.

M. François Autain , président - J'ai constaté que 25 % des experts de l'AFSSAPS n'ont pas de lien d'intérêts. Sur un total de 1 300 experts, 350 d'entre eux environ n'ont pas de lien d'intérêts. Ils sont certainement compétents, puisque l'AFSSAPS les fait travailler.

Je pense que les experts compétents et qui n'ont pas de lien d'intérêts avec les laboratoires sont très nombreux. Ils permettraient, je le crois, dans des conditions tout à fait satisfaisantes, de faire marcher les institutions sanitaires qui existent aujourd'hui, de manière à ne pas faire peser de suspicions sur les décisions qui sont prises. Il est important que ce qui est du domaine privé soit du domaine privé, et que ce qui est du domaine public reste du domaine public. On ne peut pas faire les deux en même temps, ce n'est pas possible. Autrement, on crée des suspicions.

Je note au passage que vous n'appliquez pas, comme vous devriez le faire, même au sein du ministère, la loi telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Je l'ai dit hier, je ne vais pas me répéter. Il y a un travail considérable à accomplir : malheureusement, on en est encore fort éloigné d'une transparence suffisante.

Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué l'instance spécifique d'évaluation des protocoles d'expertise que nous avons votée à l'unanimité dans le cadre du Grenelle. Madame la ministre, hier, a répondu : « Ah ! Oui, mais c'était pour l'environnement ! » Non, c'était dans le volet santé du Grenelle qu'on a fait voter cela. Cela concerne directement l'ensemble de l'expertise : la toxicologie, etc. Je tenais à le préciser.

Par ailleurs, le Sénat, dans la loi sur la recherche - qui avait été défendue par M. François Goulard -, a fait voter un texte définissant l'expertise comme un des piliers fondamentaux des missions de la recherche. On avait même parlé de rémunération majorée, etc. Il faudrait s'appuyer sur les textes pour progresser.

M. Claude Domeizel - Je suis membre d'une commission d'enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A(H1N1)v. Je voudrais savoir qui a décidé qu'il fallait 94 millions de doses. Je sais comment ce calcul a été fait. Qui a décidé qu'il fallait deux injections ? Dans quelles conditions cette décision a-t-elle été prise ? Il s'est avéré ensuite qu'une seule injection suffisait. Ce n'est pas rien, on est passé de 47 millions à 94 millions ! Il est évident que les firmes pharmaceutiques préféraient vendre 94 millions de doses plutôt que 47 millions. Excusez-moi de le dire comme cela.

Deuxièmement, en ce qui concerne les liens entre les firmes pharmaceutiques et le monde médical, on me dit qu'il n'y en a pas. Mais on les voit tous les jours : des visiteurs médicaux vont de cabinet médical en cabinet médical pour vendre leur marchandise. Il y a des liens permanents.

Enfin, monsieur le directeur, je vous précise que je ne suis pas médecin. Je suis un sénateur, et certains dans mon entourage ont su que j'étais membre de cette commission d'enquête. J'ai reçu, comme d'autres, des messages. Je voudrais vous lire un article qui m'a été transmis et sur lequel je souhaiterais connaître votre réaction :

« Il est désormais de notoriété publique que plusieurs chercheurs et médecins de l'Organisation mondiale de la santé sont rémunérés par des firmes pharmaceutiques. Le quotidien Le Parisien a mis en évidence des liens d'intérêts pour six d'entre eux. Trois font partie du principal groupe consultatif, deux du comité spécial de vaccination et le Français M. Bruno Lina du Comité de suivi de l'évolution de la pandémie... »

Je ne sais pas, je vous le précise, ce que sont ces organismes, et je ne connais pas M. Bruno Lina. Je poursuis :

« Dans le Comité français de lutte contre la grippe, il n'y a que deux experts indépendants sur les sept. Le groupe d'expertise et d'information sur la grippe est financé à 100 % par cinq laboratoires produisant le vaccin contre la grippe. »

Je me devais de vous demander votre réaction sur cet article.

M. Jean-Jacques Jégou - L'intervention liminaire du professeur Didier Houssin est une sorte de mémoire. Il paraît important qu'il soit annexé à nos travaux. C'est la première fois que nous entendons des choses aussi claires et argumentées.

M. François Autain , président - Il va naturellement nous servir de référence, mais nous ne faisons que débuter.

M. Jean-Jacques Jégou - On a dit tout à l'heure qu'il n'était pas obligatoire pour être expert d'être rémunéré par des industriels. Mais je voudrais aller plus loin : qu'est-ce qu'un expert ? Tout lien avec l'industrie doit-il être interdit ?

Selon moi, un expert est capable de rendre en son âme et conscience un avis, de prendre une décision éventuellement. Pour cela, faut-il qu'il soit coupé de tout ? Je ne sais pas comment travaillent les industries pharmaceutiques, mais c'est un monde qui est lié à celui de la recherche, de la médecine. Sommes-nous en état de définir ce que serait l'expert idéal ?

Il ne suffit pas de dire qu'il ne faut pas qu'il ait de liens. Il faut savoir exactement ce qu'est un expert... Je vais prendre un exemple « au ras des pâquerettes », celui des experts automobiles : combien sont vraiment des experts ? J'ai fait partie de la mission d'enquête sur la sécheresse. C'est assez extraordinaire, quand on a entendu les organismes officiels dire : « l'expertise en question faite chez les particuliers consistait simplement à dire : `je suis passé et vous pouvez être indemnisé' » . La langue française est très riche, on devrait pouvoir définir plus précisément la notion d'expert !

Je serais intéressé de savoir ce que le professeur Didier Houssin pense sur ce qu'un expert doit être autorisé à faire ou à ne pas faire sur le plan français, sur le plan mondial ou sur le plan de l'OMS.

M. Didier Houssin - Concernant la première question relative au schéma vaccinal à deux doses - le débat sur cette question est assez symptomatique de ce qui s'est passé -, on en a très vite su beaucoup plus sur le virus que sur ses effets.

Les progrès de la virologie ont permis, presque en quelques jours, de connaître la structure génétique de ce virus, d'observer que c'était un virus tout à fait nouveau, qui comportait des composantes d'origine porcine - on a parlé de virus porcin - d'origine aviaire et d'origine humaine. C'est-à-dire un virus qui est une sorte de recomposition, à partir de différents fragments de génomes. C'est donc un virus nouveau, ayant a priori , comme tout virus nouveau grippal, un potentiel pandémique, ce qui s'est d'ailleurs vérifié, puisqu'en quelques jours ou semaines ce virus a montré sa capacité à se propager à la surface du globe. Il est vrai que face à un virus nouveau, l'hypothèse qui est...

M. François Autain , président - Je vous interromps, monsieur le professeur, mais un virus nouveau est un virus auquel personne n'a été confronté. Tout le monde peut être atteint par ce virus. J'entends par là qu'aucune personne n'est a priori protégée contre lui. Il semble cependant que le H1N1 ne soit pas aussi radicalement nouveau que vous le dites, puisqu'un certain nombre de personnes étaient protégées contre ce virus, qu'il y avait une protection naturelle. La définition d'une pandémie - qui est en constante évolution - se rapporte, me semblait-il, à un virus, auquel personne n'avait jamais été confronté au cours de sa vie ; or ce n'est pas le cas.

On ne peut pas dire que ce soit un virus totalement nouveau. Ce n'est pas un H5N1, c'est un H1N1, voisin de virus que nous connaissons et auxquels la population a été confrontée : peut-être en 1919, peut-être en 1957. La preuve : beaucoup de ceux qui sont nés avant 1957, semble-t-il - c'est ce que nous expliquait madame la directrice générale de l'InVS - étaient protégés contre ce virus, ce qui est assez mystérieux. Il y a eu relativement peu de cas chez les personnes âgées. On ne peut donc pas dire que ce soit un virus pandémique puisque des gens étaient déjà immunisés contre ce virus.

M. Didier Houssin - Je suis navré, mais je ne partage pas votre analyse. Ce virus n'était pas nouveau au sens où c'était un virus de la grippe, c'était un virus H1N1, mais malgré tout sa composition génétique en faisait un « objet nouveau » dans la famille des virus H1N1.

C'est un élément dont on ne pouvait pas ne pas tenir compte, car l'argument que vous avancez du relatif faible impact sur certaines parties de la population est un argument quelque peu a posteriori . Lorsque nous étions au mois de mai, dans les quinze premiers jours de mai, c'était un virus nouveau.

M. François Autain , président - On peut avec le temps apporter des corrections...

M. Didier Houssin - Exactement, mais cette correction est venue plus tard. Si vous le souhaitez, je vous apporterai un élément que j'ai évoqué hier un peu rapidement, qui me parait extrêmement important pour la compréhension de ce qui s'est passé.

Avec les atténuations de sémantique apportées par le président, nous pouvons parler d'un virus « un peu nouveau ». Dans ce contexte, a priori , lorsqu'on veut induire une protection, faire en sorte que le système immunitaire réagisse suffisamment pour protéger vis-à-vis d'un virus aussi nouveau, la vaccination peut faire appel à deux, voire trois injections. Vous savez que dans beaucoup de vaccinations on est amené à faire une, deux, trois injections, voire un rappel. C'est la raison pour laquelle l'hypothèse, au départ, a été qu'il serait nécessaire d'avoir deux, sinon trois injections. L'hypothèse qui prévalait dans la communauté scientifique était que deux injections au minimum seraient nécessaires.

M. François Autain , président - C'était parce qu'on a pris le H1N1 pour le H5N1. On s'est trompé d'épidémie, c'est tout. On a appliqué au H1N1 le plan H5N1.

M. Didier Houssin - Cette orientation vers un schéma à deux doses était celle de l'ensemble des experts qui se sont prononcés sur ce sujet, au sein de l'EMA, en particulier. Disons que l'orientation qui s'est dessinée était celle qu'il faudrait deux doses. C'est la raison pour laquelle, partant sur cette hypothèse, le dimensionnement des acquisitions que vous évoquiez a été fixé à 94 millions de doses.

Si vous voulez en savoir plus sur le processus de décision lui-même, celui-ci s'est appuyé sur un scénario de planification formulé en matière épidémiologique par l'Institut de veille sanitaire. Il s'est basé sur les perspectives en termes de fournisseurs de vaccins de ce type. On a assez vite fait le tour des trois ou quatre fournisseurs qui étaient susceptibles d'être disponibles. Nous nous sommes fondés aussi sur l'avis du Haut Conseil de la santé publique, qui avait déjà formulé des hypothèses d'ordre de priorité de vaccination des populations, et de dimensionnement de populations qu'il serait nécessaire de vacciner.

M. François Autain , président - La décision d'acheter est intervenue très vite.

M. Didier Houssin - Tout à fait.

M. François Autain , président - L'avis du Haut Conseil est postérieur : il est au mois de septembre.

M. Didier Houssin - Non, on avait déjà eu des avis du Haut Conseil aux mois de mai et de juin. La direction générale de la santé a fait la préconisation auprès de la ministre en disant : compte tenu des informations dont nous disposons, de l'avis du Haut Conseil, de ce qu'on sait de ce virus ; compte tenu de ce que disent l'InVS, l'AFSSAPS, les industriels ; compte tenu de l'avis du Comité consultatif national d'éthique, voilà, en gros, le dimensionnement qu'il faudrait réaliser, avec plusieurs scénarios entre 90 et 130 millions de doses. C'est ce qui a été préconisé.

La ministre a ensuite analysé ces préconisations. Les négociations ont été engagées avec les industriels. Comme vous le savez, la décision in fine a été une décision du Premier ministre, intervenue le 3 juillet, qui a retenu un dimensionnement à 94 millions de doses, soit 47 % de la population. Je ne reviens pas sur le raisonnement qui a conduit à considérer que 25 % de la population ne souhaiteraient pas se faire vacciner.

M. François Autain , président - Vous me permettrez, monsieur le directeur général, d'indiquer que la décision d'acheter 94 millions de doses est intervenue avant les avis du Haut Conseil de la santé publique concernant les personnes à vacciner et la stratégie vaccinale. Je dirais même qu'on ne connaissait pas la stratégie vaccinale, lorsqu'on a commandé les 94 millions de doses. Je ne sais pas si cette décision relevait du principe de précaution ou d'un principe d'éthique ? Je ne sais pas comment l'appeler. En tout cas, cette mesure n'était pas scientifiquement fondée. Politiquement, elle l'était certainement, mais elle ne l'était pas scientifiquement.

M. Didier Houssin - Si je peux me permettre, monsieur le président, je dirais simplement que dès le 10 mai, le Comité de lutte contre la grippe évoquait la question de la stratégie vaccinale, en recommandant une couverture vaccinale large. Nous avons un avis du Comité technique des vaccinations le 22 juin, puis un avis du Haut Conseil de la santé publique le 26 juin.

L'aspect du dimensionnement des acquisitions a été expertisé entre le 8 mai et la fin juin, ce qui a abouti à une décision politique prise début juillet.

M. François Autain , président - Nous vérifierons tout cela.

M. Didier Houssin - Les documents sont à votre disposition.

Mme Christiane Kammermann - Ce sont des documents officiels ?

M. François Autain , président - Oui, bien entendu.

M. Didier Houssin - Sur la question concernant les liens entre les médecins et l'industrie, je crois que personne ne nie qu'il y ait des contacts entre les médecins et l'industrie.

Vous évoquiez la question des visiteurs médicaux. C'est un peu un autre problème. Le sujet qui mérite qu'on s'y arrête précisément est la question du lien, non pas entre les médecins et l'industrie, mais entre l'industrie et ceux qu'on identifie comme des experts, et qui sont susceptibles de donner des avis aux pouvoirs publics.

Ces experts, selon la loi, doivent remplir ce qu'on appelle une déclaration publique d'intérêts, dans laquelle on recense un certain nombre d'éléments. Des formulaires permettent de caractériser ces liens. Il y a différents types de liens. Il y a d'abord ce qu'on appelle la participation financière au capital d'une entreprise. C'est un lien majeur mais il est exceptionnel. Parmi les experts que nous avons, nous n'en avons pas recensé ayant ce type de liens.

En revanche, il y a des hypothèses très variées d'« activités exercées personnellement en lien avec l'industrie ». Cela peut conduire à des liens durables et permanents : par exemple, un chercheur ou un enseignant-chercheur peut être consultant permanent auprès d'une industrie. C'est une activité exercée personnellement, pour laquelle il est en général rémunéré et qui est considérée comme un lien d'intérêts durable, permanent et extrêmement important. On ne peut pas imaginer que cette personne puisse être amenée à porter un jugement sur un produit qui relèverait de cette entreprise.

Il y a ensuite toute une série d'interventions ponctuelles, c'est-à-dire que l'enseignant-chercheur ou le chercheur n'est pas rémunéré régulièrement par l'entreprise. Il peut simplement, de temps en temps, participer à un travail scientifique, être amené à donner un avis sur un projet mené par l'entreprise, ou faire un rapport d'expertise.

On peut demander, par exemple, à un virologue comment étudier la résistance de tel virus à tel médicament et de faire une étude d'expertise ponctuelle sur ce sujet. Il peut y avoir, ou ne pas y avoir de rémunération de cette intervention ponctuelle.

Il peut y avoir également des activités de conseil : par exemple, la participation à un groupe de travail. On peut imaginer qu'un industriel souhaite l'avis de spécialistes pour savoir si tel développement dans le traitement du diabète pourrait être une solution pour tel type de malades.

Dans le cadre de la participation à un groupe de travail ou groupe de réflexion, il peut aussi y avoir ou non rémunération.

Les interventions ponctuelles peuvent encore prendre la forme de participation à des conférences ou à des colloques. Un colloque de cardiologie a lieu aux Etats-Unis : on demande à tel spécialiste en cardiologie d'intervenir au sein de ce colloque sur un sujet. Un expert peut aussi simplement participer en auditeur à un congrès ou à une réunion scientifique.

Dans tous ces cas, il peut y avoir ou ne pas y avoir de rémunération. Quand il y a un déplacement, il y a en général la prise en charge des frais de déplacement. Evidemment, ce n'est pas l'enseignant-chercheur qui va payer le billet d'avion.

Un lien peut aussi résulter de l'exercice d'une activité qui donne lieu à un versement au budget d'un organisme. On a parlé, par exemple, dans la presse d'un chercheur finlandais, qui fait partie du Comité d'experts de l'OMS, dont on a découvert que l'institut de recherche auquel il appartient a, par ailleurs, un contrat avec un industriel. Dans ce cas, le lien est plus ténu, puisqu'il n'est pas concerné directement, ni scientifiquement ni financièrement, mais l'organisme dans lequel il travaille a un lien.

D'autres liens peuvent être des liens sans rémunération, mais peuvent, malgré tout, constituer des liens d'intérêts importants. Si vous êtes chercheur ou enseignant-chercheur sans lien avec une industrie, mais qu'en revanche votre femme, ou votre fils, ou votre fille, a un rôle déterminant dans une entreprise, on peut imaginer que cela constitue un lien d'intérêts qui peut peser.

M. François Autain , président - Ce dernier type de lien n'est jamais mentionné dans les déclarations qui sont rendus publiques.

M. Didier Houssin - Il devrait l'être. Aux Etats-Unis, par exemple, la question se pose actuellement de savoir si on doit indiquer à titre de lien d'intérêts le fait de participer à un même environnement de convivialité, par exemple en étant membre du même club de golf ou de je ne sais quoi. C'est un élément qui, malgré tout, peut créer un lien, et un lien parfois même très étroit.

Les organismes qui ont en charge la conduite des structures d'expertise doivent recueillir ces déclarations d'intérêts, s'assurer qu'elles sont actualisées et faire en sorte, lorsque la séance d'expertise commence, que l'on puisse juger ou pas s'il y a un lien d'intérêts susceptible de conduire à un conflit d'intérêts.

Ensuite, il y a la manière dont on gère ce conflit d'intérêts. On peut faire en sorte que la personne qui est en situation de conflit d'intérêts ne participe ni à la discussion ni à l'avis qui est formulé. Mais il y a toute une gradation dans la gestion de ces liens d'intérêts. Celle-ci est très importante et elle est faite le mieux possible par les organismes nationaux et internationaux, mais je ne doute pas qu'il y ait des marges de progrès et des moyens de resserrer encore ce dispositif.

J'ajoute que ces questions ne concernent pas seulement le domaine sanitaire.

Concernant la question des experts de l'OMS évoquée dans l'article, l'OMS, qui couvre le champ général de la santé, a plusieurs groupes d'experts dans de nombreux domaines. Pour ce qui est de la grippe, il faut avoir présent à l'esprit qu'il y a principalement deux groupes d'experts : le premier est le groupe qui s'appelle SAGE (Groupe stratégique consultatif d'experts), dont la ministre a parlé hier. Ce groupe d'experts est composé de virologues, et sa principale tâche est d'identifier, parmi les virus qui circulent, quels sont ceux qui constitueraient le meilleur choix pour la préparation d'un futur vaccin saisonnier.

Ces virologues analysent les données d'écologie virologique et annoncent la recommandation du SAGE qui deviendra la recommandation de l'OMS : pour la composition du futur vaccin saisonnier on recueille la souche H1N1 Brisbane, etc., H3N2 California, etc., à partir de la fréquence de circulation de ces virus dans les espaces géographiques.

Ce groupe SAGE, de mon point de vue, n'a pas d'impact pour la question évoquée par le président, c'est-à-dire la question de l'éventuel rôle de l'industrie pharmaceutique. Il est neutre de ce point de vue.

M. François Autain , président - C'est la raison pour laquelle on connaît sa composition.

M. Didier Houssin -  Le Comité d'urgence est un comité plus important. Il a été mis en place dans le cadre du Règlement sanitaire international. La ministre a parfaitement expliqué hier les raisons pour lesquelles l'OMS avait jugé préférable de ne pas communiquer l'identité des membres du Comité d'urgence. Souhaitez-vous que j'explique ces raisons ?

M. François Autain , président - Non, puisque la ministre l'a déjà fait.

M. Didier Houssin - Elle a expliqué en effet que c'était pour éviter des pressions des Etats.

Ensuite, pour ce qui est des comités nationaux, là aussi les déclarations publiques d'intérêts permettent de recenser ces liens. Ces liens constituent-ils pour autant des situations de conflit d'intérêts ? C'est une autre question. Lorsqu'il s'agit d'interventions ponctuelles très anciennes, pour ce qui est des comités qui sont dans l'orbite du Haut Conseil de la santé publique, c'est aux responsables de ce comité de juger si, oui ou non, il y a lieu de demander à l'expert de participer ou non au débat, de voter ou de ne pas voter.

Je vais terminer par la question que vous avez posée sur le Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG). Il s'agit d'une structure associative qui est d'origine industrielle. Cette association a trois buts à ma connaissance : tout d'abord, faire en sorte que les industriels mettent à disposition, à la même date, les vaccins saisonniers, dans un souci d'harmonisation logistique et de bonne organisation de la campagne de vaccination. Ils organisent à cette occasion un point presse où l'on annonce la date à laquelle les industriels vont pouvoir mettre les vaccins à la disposition des pharmacies.

La deuxième action du GEIG est d'organiser une réunion scientifique autour du thème de la grippe saisonnière, avec un souci de mise en avant de l'importance de la vaccination et d'amélioration de la couverture vaccinale. Je crois que M. Bruno Lina est président du conseil scientifique de cette association.

M. François Autain , président - Nous l'auditionnerons.

M. Didier Houssin - Il a essentiellement pour fonction d'élaborer le programme de cette réunion scientifique. Si vous avez envisagé de lui poser la question, il vous répondra mieux que moi.

M. Claude Domeizel - Vous aviez parlé de trois actions.

M. Didier Houssin - En fait, il y en a deux que j'ai rassemblées. Il y a aussi la mission de fixer la date de la réunion scientifique et la promotion vis-à-vis de la presse.

M. le sénateur Jean-Jacques Jégou a posé une question difficile : comment trouver une issue à cette question de la compétence et de l'indépendance ? J'entends bien le message qui serait de dire que tout serait plus simple en termes d'indépendance, si les experts étaient totalement coupés de la dimension privée. Cela peut peut-être fonctionner dans certains domaines disciplinaires, mais je ne suis pas sûr que cela puisse fonctionner dans tous.

Vous savez que beaucoup d'efforts sont faits actuellement pour faciliter les partenariats public-privé, pour faire en sorte que ce qui sort de la recherche académique puissent conduire à des développements, à des créations d'entreprises, à des créations d'emplois. Cela suppose une bonne articulation entre le secteur privé et le secteur public, entre la recherche publique et la recherche privée.

Deuxièmement, on voit bien que dans le domaine de la recherche clinique, on met beaucoup l'accent sur ce qu'on appelle la recherche translationnelle : comment faire, lorsqu'une nouvelle molécule est mise au point par un industriel, pour la mettre très vite au service des malades et la proposer ?

M. Jean-Jacques Jégou - On n'imagine pas qu'un médecin hospitalier, qu'un professeur ou qu'un spécialiste mondialement connu puisse être complètement coupé de l'industrie.

M. Didier Houssin - On est dans une période où on voit les avantages de beaucoup d'aspects de cette promotion du partenariat et des liens entre le public et le privé. Pour autant, vous avez raison, il faut qu'il y ait des garde-fous et qu'on fasse en sorte que les questions de liens d'intérêts soient bien identifiées et bien gérées.

Je reviens à ce qui a été dit au début. C'est une amélioration permanente du dispositif qui peut peut-être conduire à rétablir cette confiance. Je n'en suis pas certain, mais en tout cas on peut sans doute le tenter.

M. François Autain , président - Merci monsieur le directeur général. Je vais maintenant poser des questions que le rapporteur, qui a dû nous quitter, voulait vous poser. Si vous le permettez, j'en ajouterai une qui est de mon cru.

La première question est la suivante : comment se sont déroulées les négociations avec les laboratoires pharmaceutiques, entre l'alerte lancée par l'OMS fin avril, et la transmission des lettres d'intention de la ministre ? Et quelle a été la part de la coordination interministérielle ?

M. Didier Houssin - Les discussions avec les industriels ont commencé, je dirais, fin avril. Je pourrai vous dire précisément, pour chacun des laboratoires, à quelle date les discussions ont commencé. Concernant GSK, ce fut le 30 avril ; on a reçu un mail de proposition de GSK le 30 avril. La première réunion avec Sanofi Pasteur remonte au 30 avril. Le premier contact avec Baxter date du 7 mai, et celui avec Novartis du 14 mai.

Comment cela s'est-il passé ? Cela s'est traduit, après un échange de mails ou de contacts téléphoniques, par une première réunion au niveau de la DGS, où un point de la situation a été fait. Quand on avait des contrats, pour Sanofi et Novartis, on a évoqué la manière de procéder dans le cadre contractuel existant. Pour les autres, on a évoqué les possibilités et les produits. La discussion à ce stade a été essentiellement technique : livraisons possibles, quantités, nature de vaccins, type de vaccins... C'est essentiellement dans ce contexte que les choses se sont faites. Lorsqu'on a eu une première expression écrite de la part d'un industriel, on est passé à la phase des lettres d'intention à partir du 14 mai.

M. François Autain , président - A quelle date avez-vous transmis les lettres d'intention à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ?

M. Didier Houssin - Il y a eu d'abord un échange de messages avec les industriels qui exprimaient un intérêt. On ne peut pas parler de lettre d'intention formelle, mais en tout cas de la manifestation d'un intérêt. Cela a eu lieu fin mai, début juin pour Baxter, le 2 juin pour Novartis. Les choses ont été facilitées par les cadres contractuels qui préexistaient.

M. François Autain , président - Avec les contrats de 2005, vous pouviez déjà avoir 40 millions de doses.

M. Didier Houssin - En théorie.

M. François Autain , président - Ce n'était déjà pas mal.

M. Didier Houssin - On avait la notion très claire que Sanofi était dans une situation difficile, compte tenu de l'absence d'AMM du vaccin Emerflu, ce qui était une information très importante. Les anticipations d'obtention d'une AMM pour un vaccin adjuvanté Sanofi étaient pour nous tardives, et elles se sont vérifiées puisque Sanofi a eu son AMM le 18 février.

Pour Novartis, on avait une idée à peu près précise du dimensionnement possible. On avait beaucoup d'incertitudes sur les aspects de capacité de production, ce qui s'est aussi vérifié. En revanche, on avait la notion que GSK était sans doute le laboratoire qui était le mieux à même de livrer rapidement de grandes quantités, d'où l'iintérêt que nous avons porté à GSK.

M. François Autain , président - Autre question : quel est l'intérêt de confier la négociation des contrats à l'EPRUS, dès lors que les cocontractants et les quantités à commander sont fixés par la ministre de la santé ?

M. Didier Houssin - On a créé l'EPRUS en 2007, à l'initiative sénatoriale.

M. François Autain , président - On l'a même modifié en 2008.

M. Didier Houssin - Cet EPRUS a pour mission justement de remplir cette fonction d'acquisition et de logistique. On avait bien perçu dans les années 2005-2006, à la suite de tous les travaux engagés dans le cadre de la préparation à des menaces terroristes et dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, que le ministère de la santé avait besoin de capacités, qu'il avait du mal à assumer lui-même les fonctions de logistique, d'acquisition de produits, d'établissement pharmaceutique. Je précise que l'EPRUS est devenu un établissement pharmaceutique en janvier ou février. Cet établissement a été créé pour acquérir, stocker, gérer, faire de la logistique, gérer la réserve sanitaire. Assez naturellement, la ministre et la DGS se sont tournées vers l'EPRUS pour procéder à ces acquisitions. C'est apparu normal.

M. François Autain , président - Une question du rapporteur concerne l'organisation de la vaccination. Au 18 janvier 2010, selon les chiffres cités par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) le 29 janvier, 5,74 millions de personnes avaient été vaccinées contre la grippe A (H1N1)v. Au 31 janvier, 5,5 millions de personnes avaient répondu à la campagne vaccinale contre la grippe saisonnière organisée comme tous les ans par l'assurance maladie en direction de certaines populations à risques.

La comparaison entre ces deux chiffres ne doit-elle pas conduire à s'interroger sur l'efficacité du dispositif de vaccination pandémique qui a été mis en place ?

M. Didier Houssin - Monsieur le président, il est difficile de comparer ce qui n'est pas comparable. La vaccination grippe saisonnière est une vaccination qui se fait chaque année, qui a une cible bien identifiée, qui s'appuie sur des vaccins livrés en monodoses qu'on va acheter à la pharmacie, avec un système rodé, qui démarre de façon anticipée à partir du mois de septembre. C'est une affaire qui se joue dans la sérénité.

La campagne de vaccination contre le H1N1 s'est faite dans des conditions considérablement plus contraintes. Cela a été une sorte de course contre la montre dans un océan d'incertitudes. Allions-nous disposer de vaccins autorisés ? Ces vaccins seraient-ils en quantités suffisantes ? Comment gérer le fait qu'il y ait quatre producteurs, quatre types de vaccins, voire un peu plus éventuellement ? Comment faire face au fait que ces vaccins seraient livrés en multidoses et que, si on ne voulait pas gâcher, il fallait organiser une forme collective de vaccination ?

M. François Autain , président - On a gâché quand même.

M. Didier Houssin - On a essayé de gâcher le moins possible. Je crois qu'on a peu gâché. Le fait que des doses n'aient pas été utilisées...

M. François Autain , président - A combien va revenir la vaccination ? Vous n'avez pas fait de calculs encore ?

M. Didier Houssin - Quels calculs ?

M. François Autain , président - Ceux du coût de la vaccination que vous avez faite. Les premières estimations que j'ai faites reviennent à considérer que chaque vaccination a coûté à la collectivité pas moins de 200 euros. Ce qui n'est pas tout à fait du même ordre que le coût de la vaccination saisonnière. Et encore est-ce un chiffre tout à fait approximatif qui demande à être affiné et qui risque d'être très supérieur ! C'était une parenthèse pour dire que le système artisanal de la grippe saisonnière a peut-être certains avantages...

M. Didier Houssin - On aurait bien aimé faire comme pour la grippe saisonnière.

M. François Autain , président - Peut-être était-ce possible, mais il est trop tard.

Je voudrais vous poser une dernière question. Pourquoi avez-vous cru devoir procéder à une modification très subtile de la définition de la grippe ?

M. Didier Houssin - Pandémie ou grippe ?

M. François Autain , président - J'ai sous les yeux la fiche mémo relative à la stratégie nationale de prise en charge que vous avez adressée à tous les médecins. Vous dites maintenant que la grippe, ce n'est plus ce que c'était. Il y avait une définition officielle de la grippe qui était partagée par tous, depuis le 22 juin 2009, et qui reprenait la définition de l'Institut de veille sanitaire : « un cas possible - c'est important - de grippe H1N1 est une personne représentant un syndrome respiratoire aigu, à début brutal - signes généraux (fièvre supérieure à 38°C ou courbatures ou asthénie) et signes respiratoires (toux ou dyspnée) ».

Vous avez donné une autre définition de la grippe. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Vous avez supprimé la possibilité du cas : il n'y a plus d'hésitation. Automatiquement un cas est défini par « un malade présentant un syndrome respiratoire aigu à début brutal, associant les signes respiratoires... » . C'est très subtil, parce que vous n'avez pas changé grand-chose ; vous avez simplement ajouté un « ou » là où il y avait un « et » dans la première définition. Ce qui veut dire qu'avec votre définition, quelqu'un qui a la goutte au nez, qui a quelques courbatures et a 38° de fièvre a automatiquement la grippe A (H1N1)v...

Quand on constate que cette modification de la définition de la grippe coïncide avec la recommandation que vous avez adressée aux médecins, de prescrire des antiviraux selon des modalités hors AMM, on peut se poser un certain nombre de questions, puisque cette modification a pour conséquence de prescrire beaucoup plus d'oseltamivir qu'on en prescrivait avant.

Evidemment, les esprits malveillants diront qu'il y a des stocks d'oseltamivir dont on ne sait pas comment se défaire. Pour les écouler, on va faire en sorte qu'on les prescrive pour des cas qui ne sont pas forcément des grippes H1N1, ou en tout cas qui ne répondent pas à la définition telle qu'elle était connue depuis le mois de juin 2009.

On s'imagine bien que ce n'est pas pour cette raison que vous avez modifié cette définition. Cela n'a rien à voir, mais cette coïncidence est malencontreuse. Il faudrait, je crois lever cette ambiguïté et dire que les modifications n'ont rien à voir avec la volonté d'écouler des produits comme l'oseltamivir, qui risque de se périmer assez rapidement. C'est une question à laquelle il est facile de répondre.

M. Didier Houssin - Elle est facile et difficile, monsieur le président. Je n'ai pas le souvenir de cette évolution. Je vais regarder de très près les différents textes que nous avons produits sur ce sujet. Sincèrement, je n'étais pas au courant de ce glissement.

M. François Autain , président - Il y a eu un glissement. C'est un petit peu comme le H1N1. Il y a un v, une variation, une mutation. Ce n'est pas une cassure.

M. Didier Houssin - Je vais regarder cette mutation textuelle, et me renseigner pour savoir si elle a été délibérée. Il faut revoir l'avis du Comité de lutte contre la grippe, en particulier l'avis du 12 novembre, qui a formulé cette recommandation que nous avons évidemment suivie.

Je voudrais simplement rappeler qu'à ce moment-là notre inquiétude était qu'un certain nombre de personnes meurent de cette grippe. Vous allez me dire qu'il n'en est pas mort beaucoup, mais malgré tout, pour celui qui meurt, c'est quand même un inconvénient.

Nous avons essayé de faire en sorte de formuler des recommandations les mieux à même de protéger la santé. Sincèrement, l'idée que nous ayons eue en tête essentiellement la volonté d'écouler des stocks...

M. François Autain , président - Je provoquais un peu.

M. Didier Houssin - De plus, cela n'a aucun lien avec l'industrie, car en pratique il s'agissait d'écouler des stocks de l'Etat qui étaient gratuits. Nous souhaitions que les gens n'aient aucune difficulté d'accès.

M. François Autain , président - C'était gratuit, bien entendu, et produit gratuitement.

M. Didier Houssin - Il n'y avait pas du tout d'idée de ce type. L'idée était vraiment de faire en sorte que les personnes soient le mieux protégées possible. Si la question de la formulation autour de ce « et/ou » vous inquiète et vous laisse soupçonner quelque chose, je veux bien regarder.

M. François Autain , président - Une dernière question. N'aurait-il pas fallu, monsieur le directeur, prévoir la possibilité de modifier l'importance des commandes de vaccins en fonction des dates auxquelles elles pourraient être livrées, de l'intérêt de la vaccination, son utilité pour enrayer la pandémie dépendant du moment de sa mise en place ? La protection individuelle contre le virus justifiait-elle l'achat de 47 millions de traitements ?

M. Didier Houssin - La ministre a répondu hier à cette question. J'aurais tendance à répondre oui, cela aurait été bien, mais on n'a pas pu, car on était dans une situation de négociation qui faisait que ce n'était pas un paramètre sur lequel on pouvait jouer. On a joué sur l'exigence de l'AMM. On voulait être sûr de mettre à disposition des vaccins les mieux sécurisés possible. On a joué beaucoup sur la question des calendriers de livraisons qui était en fait notre préoccupation principale. C'étaient nos deux critères. Concernant le prix, cela a été dit par la ministre, et je pense que M. Noël Renaudin a dû vous en parler.

M. François Autain , président - Complètement. A la limite, il trouve que vous avez fait une affaire. Si, sérieusement.

M. Didier Houssin - La ministre s'est battue sur la clause de responsabilité du fait du produit, car il était hors de question qu'on accepte de prendre cette responsabilité, et je crois que ce combat a été gagné en France. Sur la question de la clause de sauvegarde, c'est vrai que cela aurait été bien, mais cela n'a pas été possible.

M. François Autain , président C'est sur ce constat que nous allons devoir, mes chers collègues, lever cette séance. Je vous remercie et vous rends hommage d'être restés jusqu'à la fin, parce que ce n'était pas toujours facile. Je remercie, bien entendu, monsieur le directeur général de la santé qui a répondu avec beaucoup de soin aux questions souvent difficiles que nous lui avons posées.

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