3. L'épigénétique
a) Définition

L'augmentation de l'incidence de pathologies comme l'obésité et le diabète dans les pays industrialisés pose la question de la responsabilité respective des gènes et de l'environnement. Or, il apparaît en effet de plus en plus clairement que le phénotype d'un individu n'est que partiellement conditionné par son héritage génétique. Une nouvelle voie de recherche est donc apparue : l'épigénétique 22 ( * ) .

Le terme épigénétique (du grec epi, signifiant "sur" l'ADN) désigne les processus moléculaires permettant de moduler l'expression des gènes par un remodelage de la chromatine, de manière durable et potentiellement réversible, et qui ne sont pas fondés sur des changements dans la séquence de l'ADN.

Concrètement, le fond génétique transmis par nos parents et inscrit dans la séquence de l'ADN est immuable, sauf mutations somatiques comme dans le cancer.

Toutefois il existe déjà une certaine flexibilité au gré de l'environnement. Certains polymorphismes génétiques peuvent par exemple se montrer protecteurs ou non en fonction de l'alimentation.

Sur la base de cet « inné », vient se greffer « l'acquis », constitué par une multitude de marques épigénétiques situées sur l'ADN et aussi dans les histones autour desquels l'ADN s'enroule.

Le code épigénétique comprend plusieurs strates interconnectées et interdépendantes : le code de méthylation de l'ADN, le code des histones (acétylation, méthylation, phosphorylation...) et celui des co-activateurs et co-répresseurs. Ces codes sont mis en place et interprétés par une machinerie complexe d'enzymes et de co-facteurs qui assurent un remodelage adéquat de la chromatine autour des gènes et son accessibilité aux facteurs de transcription.

b) Le rôle de l'environnement

L'assortiment de gènes que possède chaque individu est unique et constitué d'une multitude de gènes dont certains portent des mutations ou des épimutations. Cet assortiment génétique + épigénétique confère à l'individu un certain profil de vulnérabilité.

Selon la période de la vie et le type d'activité du génome, l'environnement peut se comporter comme un agent de vulnérabilité en induisant des modifications épigénétiques ou bien comme le révélateur d'une vulnérabilité qui aura été apposée au préalable, en particulier au cours du développement.

Les marques épigénétiques qui confèrent aux gènes une certaine potentialité d'expression sont principalement acquises au cours du développement foeto-placentaire et postnatal de l'individu, lorsque le génome est en période d'activité intense de division et de remaniement.

De nombreuses études ont ainsi montré la responsabilité des expositions environnementales précoces dans la programmation métabolique.

Par exemple, lorsque des foetus sont soumis à de faibles apports nutritionnels, la croissance du cerveau et des organes vitaux est privilégiée, notamment au détriment des membres inférieurs et supérieurs. Une fois nés, ces individus sont particulièrement susceptibles à des variations nutritionnelles.

Au cours de la vie, les gènes subissent encore des modifications épigénétiques dont certaines sont réversibles, au gré de l'environnement.

Les nutriments (et notamment les acides gras), mais également la désynchronisation biologique (diminution de la quantité de sommeil, grignotage alimentaire, horaires de sommeil ou de repas « décalés ») sont des régulateurs puissants de l'expression des gènes.

Les marques épigénétiques sont par nature réversibles, sauf si à un moment donné de la vie de l'individu, un « point de non retour » a été atteint. Un régime alimentaire particulier ou une dérégulation persistante du rythme circadien peuvent ainsi « verrouiller » certains états épigénétiques.

c) La transmission de marques épigénétiques

De multiples données concordantes suggèrent que des modifications épigénétiques altérant durablement l'expression génique pourraient être transmises aux générations suivantes par des effets transgénérationnels.

Chez l'homme, il a été démontré dans une étude épidémiologique suédoise que le risque de développer des complications cardiovasculaires ou un diabète de type 2 est partiellement déterminé par l'alimentation des parents et grands-parents lors de leur préadolescence. Un grand-père bien nourri pendant sa période prépubertaire transmettra à ses petits-enfants (de sexe masculin) un risque multiplié par quatre de développer un diabète de type 2.

Par ailleurs, des expériences sur des modèles animaux montrent que certaines influences de l'environnement (nourriture, perturbateurs endocriniens, toxiques, tabagisme...) subies par les générations antérieures pourraient également être véhiculées grâce à des marques épigénétiques non effacées d'une génération à l'autre et sont responsables d'effets transgénérationnels.

De même, le comportement de « mauvaise » mère d'une rate se traduit dans la descendance par une réponse accrue au stress, liée à une méthylation d'un récepteur aux glucocorticoïdes de l'hippocampe. Cette modification peut ensuite être transmise de mère en fille. Elle peut en revanche être « effacée » si la rate présente un comportement de « bonne » mère après la naissance, ce qui confirme que le paysage épigénétique peut, dans certains cas, être réversible.

d) Quelles conséquences pour la science ?

Les perspectives de recherche ouvertes par l'épigénétique sont nombreuses et peuvent être résumées de la manière suivante :

- établir la relation entre les changements de profil épigénétique et un phénotype physiologique particulier à travers l'identification de signatures épigénétiques spécifiques ;

- analyser et caractériser chez l'Homme les modifications épigénétiques induites par l'environnement nutritionnel ;

- déterminer la réversibilité des modifications épigénétiques à travers les interventions nutritionnelles.


* 22 Ce paragraphe s'inspire largement de l'intervention du professeur Claudine Junien aux XVI e rencontres scientifiques de nutrition organisées par Danone.

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