2. Les limites de l'Agence nationale de la recherche

La création de l'Agence nationale de la recherche (ANR) en 2007 a permis d'accroître le nombre de projets de recherche, venant de toute la communauté scientifique, financés après mise en concurrence et évaluation par les pairs.

En outre, elle a contribué à diminuer le nombre de guichets de financement.

Néanmoins, selon de nombreux chercheurs rencontrés par votre rapporteur, les mécanismes de l'ANR se heurtent à certaines limites.

D'abord, les sommes distribuées restent relativement faibles (le directeur de l'I2MC de Toulouse a avancé le chiffre de 60 000 euros par équipe et par an pour les sciences de la vie), ce qui oblige les chercheurs ayant obtenu l'attribution d'une subvention de cet organisme à chercher des financements complémentaires.

Ainsi, l'ANR n'a pas réussi à s'imposer comme guichet unique du financement public de la recherche française.

Par ailleurs, et malgré l'augmentation de la part des projets « blancs » (projets non thématiques) par rapport aux projets thématiques, il semblerait que l'ANR permette difficilement à des équipes d'émerger.

En effet, aux dires des chercheurs, les comités de sélection se révèlent assez conservateurs et bien que l'intérêt du projet devrait être jugé au cas par cas, permettant à de nouvelles équipes d'être tirées vers l'excellence, dans les faits, la renommée du chercheur porteur du projet de recherche joue in fine un rôle déterminant dans la sélection des projets.

Cet état de fait est d'autant plus mal vécu par les chercheurs qu'il n'existe pas d'évaluation scientifique contradictoire des projets présentés et ceux-ci se plaignent que la décision de refus d'un projet soit souvent mal ou pas étayée scientifiquement.

Enfin, les champs de recherche retenus par l'ANR ne seraient pas forcément en phase avec les priorités stratégiques retenues par les établissements de recherche, les ITMO et les alliances.

3. La multiplicité des évaluations
a) L'évaluation réalisée par l'Agence de l'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (AERES)

La mise en place de l'Agence de l'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (AERES) en 2006 traduit une double volonté des pouvoirs publics.

Il s'agissait de doter le pays d'un outil d'évaluation de la qualité des établissements d'enseignement supérieur et des organismes de recherche et de confier à une instance unique les missions d'évaluation des établissements, des unités de recherche et des formations, jusqu'alors assumées de manière éclatée par différentes structures.

Ainsi, l'AERES a remplacé le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNE), la Mission scientifique, technique et pédagogique (MSTP) et le Comité national d'évaluation de la recherche (CNER). Par ailleurs, elle a repris les compétences d'évaluation des unités de recherche jusqu'alors assurées par les commissions internes de chaque organisme de recherche (CoNRS, commission scientifique spécialisée de l'INSERM, etc.).

Chaque commission reste compétente pour l'évaluation des personnels de son organisme.

Si la création de l'AERES a instauré une harmonisation dans la procédure d'évaluation des unités de recherche et des établissements d'enseignement supérieur, elle n'a pas réduit le nombre des évaluations auxquelles sont soumis les chercheurs.

L'évaluation commanditée par l'AERES est une procédure lourde et coûteuse 39 ( * ) : 6 mois avant la visite de l'organisme de recherche par le comité d'évaluation, un questionnaire très complet est envoyé à ce dernier.

Après la visite pendant laquelle l'ensemble des équipes de recherche sont entendues, un rapport est rédigé par le comité d'évaluation, qui est envoyé à l'organisme de recherche pour lui permettre de faire ses observations et une note est attribuée à chaque unité de recherche(C, B, A ou A+).

b) L'évaluation réalisée par les organismes de recherche

Les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) restent cependant responsables de l'évaluation et de la notation des chercheurs.

En outre, l'AERES n'est pas chargée de l'accréditation des unités de recherche, qui constitue une prérogative des établissements publics à caractère scientifique et technologique.

Par conséquent, même si l'évaluation de l'AERES ne devrait pas être complétée par une évaluation de la part de ces derniers, dans les faits, lesdits organismes sont amenés à la réexaminer attentivement avec le directeur de l'unité concernée dès que la note attribuée est un B ou un C.

D'après les informations obtenues par votre rapporteur, aucune unité notée C n'a été reconduite par l'INSERM. Néanmoins, dans la mesure où les chercheurs sont des fonctionnaires, les EPST ont le devoir de leur trouver une nouvelle affectation.

En ce qui concerne les unités notées B, 40 % ont été renouvelées. En effet, l'évaluation de l'AERES ne tient pas compte des stratégies de recherche des EPST. Ce dernier peut donc souhaiter conserver une unité de recherche qui, certes, n'est pas encore excellente, mais correspond à une priorité de l'organisme de recherche. Ainsi, la répartition des notes pour les équipes de recherche en matière de santé publique et recherche clinique de la vague D était la suivante : 10 % de A+ et de C, 30 % de A et 50 % de B.

Compte tenu de l'importance stratégique de ce type de recherche, il est dans l'intérêt de l'INSERM de soutenir non seulement les équipes A+ et A, mais également les équipes B afin de renforcer leur qualité et s'assurer qu'un grand nombre d'entre elles, lors de la prochaine évaluation, améliorent leur notation.

Par ailleurs, l'évaluation peut intervenir à un moment peu favorable pour l'unité : la mise en place de protocoles, la reconstitution d'une équipe, l'orientation vers un « nouveau » sujet d'étude, des retards pris dans le projet en raison de l'octroi tardif des financements etc. sont autant de facteurs qui peuvent temporairement jouer en défaveur de l'unité de recherche.

A cet égard, il convient d'insister qu'il serait naïf de croire que toutes les équipes de recherche dans toutes les disciplines peuvent produire régulièrement des études de grande qualité au vu des fluctuations des financements et des mouvements au sein de la population étudiante, qui constitue une main d'oeuvre déterminante dans les équipes de recherche.

Enfin, votre rapporteur souhaite rappeler les propos de l'ancien directeur de l'INSERM qui estimait que si « l'excellence » concerne les équipes A+ et A (soit respectivement 26 % et 41 % des équipes de la vague D évaluées par l'AERES),  « B, c'est bien !». Néanmoins, la course à l'excellence tend à disqualifier les équipes classées B (et les personnels qui les composent) alors que l'objectif recherché devrait être au contraire de les aider à se hisser à un meilleur niveau.

L'excellence, un terme galvaudé

Dans son rapport sur la loi de finances rectificative pour 2010 (concernant le grand emprunt), le rapporteur général de la commission des finances du Sénat faisait la remarque suivante :

« A titre liminaire, votre rapporteur général souhaiterait mettre en garde contre un usage excessif du mot « excellence » qui qualifie la quasi-totalité des investissements financés notamment dans le cadre de cette mission : instituts thématiques d'excellence, projets thématiques d'excellence, pôles d'excellence, campus d'excellence, laboratoire d'excellence... Or, selon le mot de Talleyrand « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». La recherche systématique de l'excellence est une ambition légitime dont la crédibilité dépendra avant tout des résultats obtenus, l'excellence d'un organisme se définissant par comparaison avec d'autres organismes ».

Votre rapporteur rappelle ainsi que l'évaluation des unités de recherche en sciences de la vie de la vague D (2010/2013) s'est traduite par l'attribution à 20 % des équipes d'une note A+, 45 % des équipes d'une note A, 30 % des équipes d'une note B et 5 % des équipes d'une note C.

Ces éléments chiffrés montrent donc que seuls 5 % des équipes de recherche posent de réels soucis et que 65 % des équipes sont compétitives au niveau international.

c) Les évaluations réalisées par les agences de financement

La notation de l'AERES n'a pas de conséquence directe en matière de financement des projets dans la mesure où, quelle que soit la note obtenue par l'unité de recherche, cette dernière doit chercher des financements à travers les appels à projet.

Par ailleurs, tout projet sélectionné est soumis à une évaluation. Concrètement, les équipes de recherche doivent fournir un dossier expliquant l'état d'avancement du projet, les sommes utilisées etc. Dans la mesure où chaque projet est financé par plusieurs organismes, il y a donc autant de dossiers d'évaluation à remplir que de partenaires financiers, ce qui engendre une grande bureaucratie et une baisse d'efficacité.


* 39 Elle est coûteuse en soi, mais également coûteuse pour l'unité de recherche évaluée. Selon nos interlocuteurs, la seule impression du rapport d'évaluation remis aux experts coûterait 1.500 euros.

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