3. Le problème de la prise en compte de certains transferts publics

Malgré le raffinement des méthodes d'évaluation de la valeur ajoutée, toute interférence avec le système de prélèvements n'est pas éliminée, même avec la méthode de mesure de la valeur ajoutée au coût des facteurs .

Supposons qu'intervienne une hausse de la TVA compensée par une baisse des cotisations sociales.

La hausse de la TVA n'aurait pas d'impact sur la valeur ajoutée. En effet, la TVA n'est pas incluse dans la production à partir de laquelle on calcule la valeur ajoutée.

En revanche, la baisse des cotisations sociales conduirait à ajuster le calcul de la masse salariale et la part des salaires dans la valeur ajoutée en serait réduite d'autant.

On peut en dire autant des substitutions d'impôts sur les produits à des cotisations sociales. Comme les impôts sur les produits (la TIPP, les droits sur le tabac, les accises...) ne sont plus pris en compte dans l'estimation de la valeur ajoutée au coût des facteurs, leur augmentation n'a pas d'effet sur le dénominateur du ratio tandis que la baisse des cotisations sociales a pour incidence de diminuer éléments de salaire pris en compte au numérateur du ratio (et par conséquent la part des salaires dans la valeur ajoutée).

Inversement, une baisse des impôts indirects que viendrait compenser une hausse des cotisations sociales se traduirait par une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée. En résulterait-il pour autant une détérioration du taux de marge des entreprises ? Oui, mais cette détérioration ne serait qu'apparente car elle serait compensée par l'allègement des prélèvements dus au titre des impôts indirects.

En réalité, une multitude d'interactions déclenchées par la structure du système de prélèvements sont susceptibles d'affecter la significativité des indicateurs de partage de la valeur ajoutée.

Du fait des conventions statistiques, le choix du mode de financement des administrations publiques n'est pas neutre sur le partage apparent de la valeur ajoutée des lors que ce choix implique des prélèvements qui ne sont pas l'objet de traitements comptables homogènes .

Les observations ici formulées trouvent un prolongement avec l'effet des subventions versées aux entreprises. On a fait le choix de principe de considérer que ces subventions ne « profitent » pas aux entreprises mais directement aux consommateurs. Dans ces conditions, elles sont exclues du calcul des revenus procurés à l'entreprise par leur activité.

Cette convention n'est pas complètement adéquate aux effets théoriques des subventions. Celles-ci peuvent en principe 372 ( * ) :

- soit bénéficier à l'entreprise seule en constituant un revenu de complément (1) ;

- soit permettre de mieux rémunérer les salariés en place (2) ;

- soit permettre l'emploi de salariés qui, sans elles, n'auraient pas été employés (3).

Dans le cas (1), la valeur ajoutée est inchangée de même que la part des salaires dans la valeur ajoutée mais le rendement du capital est accru.

Dans le cas (2), la valeur ajoutée est également inchangée, la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente sous l'effet du surcroît de rémunération mais, pour autant, la rentabilité du capital ne change pas.

Dans le dernier cas (3), la valeur ajoutée augmente puisque des facteurs de production, jusque là inemployés, sont mobilisés. Comptablement, la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente puisque, théoriquement, les emplois créés sont moins productifs que ceux existants. Mais, la rentabilité du capital n'est pas modifiée quand on la corrige du versement des subventions.

Il reste que les indicateurs de répartition de la valeur ajoutée entre salaires et profits sont dédiés à la description du partage primaire des richesses , et c'est pourquoi ils évacuent, en théorie, (et en pratique, pour leur presque totalité) les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques correspondant à la redistribution du revenu, à son partage secondaire.

Cependant, il ne paraît pas douteux que :

- le niveau de la redistribution secondaire du revenu est susceptible de modifier le partage primaire de la valeur ajoutée ;

- les conditions de financement de la redistribution secondaire exercent un effet sur le partage primaire du revenu, indépendamment même du niveau de la redistribution.

Compte tenu de la complexité des phénomènes d'incidence provoqués par les interventions publiques et des biais indirects par les méthodes de valorisation de la valeur ajoutée et de ses composantes, il paraît illusoire d'imaginer disposer d'indicateurs de partage primaire de la valeur ajoutée parfaitement significatifs.

Les difficultés rencontrées dans l'analyse des évolutions macroéconomiques du partage de la valeur ajouté témoignent d'ailleurs des incertitudes quant aux effets de la redistribution publique.

Sur ce plan, les diagnostics ont évolué. Les études sur le partage de la valeur ajoutée les plus anciennes tiraient généralement du constat des heurts du partage de la valeur ajoutée dans les pays d'Europe continentale à fort taux de redistribution, face à sa relative stabilité dans les pays anglo-saxons réputés plus « libéraux », la question de la responsabilité de celle-ci et les rigidités qu'elle est censée induire, sur les évolutions contrastées de la part du revenu national allant à chaque facteur de production. Autrement dit, le problème de la rigidité des coûts salariaux était évoqué comme une explication possible aux déformations du partage de valeur ajoutée au détriment de la rémunération du capital.

Les études les plus récentes qui mettent plus l'accent sur la similarité des conditions du partage de la valeur ajoutée entre pays à niveau de redistribution publique très différenciés sont conduites à tirer d'autres conclusions : structurellement, le taux de redistribution n'agirait pas sur le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits.

Cette conclusion est en particulier implicitement celle du récent rapport de M. Jean-Philippe Cotis qui indique que l'extension de la couverture sociale et son financement par les cotisations employeurs et de salariés n'a pas entraîné d'augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée puisqu'elle a été financée par un décrochage de la croissance du salaire net par rapport aux gains de productivité du travail.

Sans doute, doit-on ajouter à cette explication les effets du recours à l'emprunt pour financer une partie des interventions publiques, recours qui a permis de contenir les prélèvements obligatoires tout en dispensant des revenus indirects susceptibles d'atténuer les exigences de rémunération des facteurs de production.


* 372 Les effets des subventions sont symétriques des effets des allégements de prélèvements sur les facteurs de production.

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