PREMIÈRE PARTIE : MALAISE DANS L'ENTREPRISE
CHAPITRE I - DES GAINS SALARIAUX RALENTIS ET DES INÉGALITÉS SALARIALES QUI S'AMPLIFIENT

RÉSUMÉ DU CHAPITRE

Le pouvoir d'achat des salaires individuels augmente de moins en moins. Il n'avait fallu qu'une quinzaine d'années entre 1959 et 1974 pour doubler le pouvoir d'achat du salaire par tête. Trente ans plus tard, celui-ci n'a gagné qu'environ 50 % tandis que le salaire net par tête n'a que très faiblement progressé en monnaie constante. Son niveau en 2007 ne représente que 1,2 fois celui de 1983.

En outre, les trajectoires salariales se sont diversifiées ce qui a accru les inégalités de salaires. L'individualisation croissante des rémunérations (notamment via l'intéressement et la participation) a joué mais les composantes décisives de ces inégalités ont été le développement des emplois atypiques et la persistance du chômage ainsi que l'effet des restructurations du tissu d'entreprises et l'envolée des plus hautes rémunérations salariales.

Il existe un consensus pour lier la faiblesse de la progression des salaires avec le ralentissement des gains de productivité. La productivité n'augmente plus que très peu, notamment sous l'effet d'un ralentissement de la productivité globale des facteurs. Ce constat, insuffisant en soi, invite à approfondir les motifs du ralentissement de la productivité. En effet celui-ci représente une forme de remise en cause pour une organisation économique de plus en plus productiviste.

Schématiquement, il en existe deux interprétations polaires et contradictoires.

La première l'attribue aux rigidités et fait la part belle aux rigidités du pacte social et à ses effets sur la création de richesses par les entreprises.

Elle débouche sur des propositions de flexibilisation, recourant à des « modèles » étrangers, où la préconisation de décentraliser le pacte social en restaurant l'entreprise comme lieu à privilégier de sa définition s'impose avec vigueur.

La seconde interprétation de l'« échec productiviste » contredit tous les termes de la première, l'échec en question étant attribué à la crise du capitalisme financier, qui, pour être globale, trouve un point de fixation dans la crise de l'entreprise.

Les modifications du pacte social dans l'entreprise qui ont tendu à plus de dérégulation sont marquées par un « désinvestissement » de la composante proprement entrepreneuriale (le capital humain, l'investissement, la recherche et l'innovation) de ce pacte.

Tout approfondissement de ce processus ne ferait qu'aggraver la crise, notamment en découplant toujours plus, jusqu'aux points de rupture, la production de ses conditions d'expansion, c'est-à-dire en accentuant le déséquilibre entre la dynamique de l'offre et celle de la demande 3 ( * ) .

Parmi les manifestations de ce découplage, il convient de faire une place particulière au partage de la valeur ajoutée.

La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée est un facteur controversé de l'atonie salariale.

Elle est avérée pour les années 80 mais vue comme un retour à la « normale ». Au-delà, des constats d'une stabilité de la répartition de la valeur ajoutée ont été posés mais ils peinent à convaincre, diverses interrogations, sur les concepts de richesse produite et sur les méthodes de mesure, venant conforter l'intuition que les changements de paramètres d'équilibre des relations sociales ont été propices à la rémunération du capital plus qu'à celle du travail. Quoi qu'il en soit, même dans un diagnostic de stabilité de la répartition de la valeur ajoutée, en raison de la dynamique des « très hauts salaires », la part des rémunérations du travail de la quasi-totalité des salariés a diminué.

I. PEU DE SALAIRES, DE PLUS EN PLUS D'HÉTÉROGÉNÉITÉ SALARIALE

Le ralentissement du pouvoir d'achat des salaires - accentué au niveau du salaire net en raison de la hausse des prélèvements sociaux - est une tendance lourde de l'économie française. En outre, les gains salariaux évoluent différemment si bien que sur fond de chômage 4 ( * ) (et d'inégalités face à ce risque), les disparités salariales s'accroissent quand on les saisit avec des données concrètes.

A. LE POUVOIR D'ACHAT DES REVENUS SALARIAUX PROGRESSE PEU

Les gains de pouvoir d'achat des salaires sont faibles et ils ont considérablement ralenti.

VALEUR AJOUTÉE, PRODUCTIVITÉ APPARENTE DU TRAVAIL ET SALAIRES PAR TÊTE
INDICES D'ÉVOLUTION EN EUROS CONSTANTS, BASE 100 EN 1959

Source : Rapport « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France », par M. Jean-Philippe COTIS. INSEE.

Il n'avait fallu qu'une quinzaine d'années entre 1959 et 1974 pour doubler le pouvoir d'achat du salaire superbrut par tête (salaire + toutes cotisations sociales). Trente ans plus tard, celui-ci n'a gagné qu'environ 50 % tandis que le salaire net par tête n'a que très faiblement progressé en monnaie constante. Son niveau en 2007 ne représente que 1,2 fois celui de 1983.

Sans doute, en raison de créations nettes d'emplois, la masse salariale a-t-elle un peu plus progressé. Mais, le ralentissement des rémunérations unitaires trouve son pendant dans celui du pouvoir d'achat de la masse des salaires.

MASSE SALARIALE, ET SALAIRE SUPERBRUT PAR TÊTE
TAUX DE CROISSANCE EN EUROS CONSTANTS

Note : au prix de la demande intérieure finale.

Source : Rapport « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France », par M. Jean-Philippe COTIS. INSEE.

En tendance, salaire par tête et masse salariale évoluent généralement de façon étroitement parallèle 5 ( * ) si bien que l'impact des différentes dynamiques salariales sur l'emploi ne ressort pas avec évidence.

En particulier, l'épisode (long) de modération salariale débuté à la fin des années 70 ne s'est traduit par un enrichissement de la croissance en emplois qu'au cours des quelques phases de forte expansion de la production, à la toute fin des années 80 et au tournant des années 90.

En première analyse, les performances d'emploi de l'économie française paraissent moins directement corrélées avec la modération salariale qu'avec ses performances en termes de croissance 6 ( * ) .

De la courbe figurée dans le graphique ci-dessus, on peut également tirer l'observation que les périodes de fortes créations d'emploi sont aussi des périodes où le pouvoir d'achat du salaire par tête est plus dynamique. Toutefois, le lien entre créations d'emplois et augmentation du pouvoir d'achat n'apparaît pas entièrement déterministe. Autrement dit, les fluctuations du taux de chômage n'ont pas d'effets univoques sur les gains de pouvoir d'achat par tête ce qui suggère que le taux de chômage structurel (le taux de chômage en dessous duquel il existe des tensions inflationnistes résultant notamment des augmentations salariales) n'a pas une valeur unique. Au demeurant, on relève, empiriquement, que les rythmes d'augmentation des salaires par tête constatés depuis plus de trente ans n'ont, pris globalement, jamais provoqué de tensions inflationnistes telles que la croissance du volume de la production en paraisse devoir être plafonnée.

Même si les comparaisons internationales doivent être prises avec beaucoup de précaution (les structures économiques et les prix peuvent tant différer qu'elles n'aient qu'une signification médiocre), la France se classe plutôt mal dans le classement des salaires en Europe.

Comme le montre le tableau ci-dessous, elle est dans les derniers rangs des pays fondateurs de l'Europe.

SALAIRES ANNUELS BRUTS MOYENS
DANS QUELQUES PAYS DE L'UNION EUROPÉENNE

2007

Allemagne

40 200

Autriche

37 716

Belgique

38 659

Bulgarie

2 626

Danemark

53 165

Finlande

36 114

France

32 413

Hongrie

8 952

Lettonie

6 690

Luxembourg

45 284

Portugal

15 345

Roumanie

4 828

Royaume-Uni

46 051

Slovaquie

8 400

Suède

36 871

Champ : salariés à temps plein des entreprises industrielles ou de services de 10 salariés ou plus.

Source : Eurostat


* 3 Sauf à compter, comme le font les pays excédentaires, comme l'Allemagne, sur la demande étrangère pour maintenir la production.

* 4 La question du chômage n'est évidemment pas éludée dans le présent rapport. Toile de fond du salariat, elle contribue à modeler le « pacte social du travail ». Mais elle appellerait un rapport à elle seule et n'est analysée dans la présente étude que sous l'angle de ses liens avec son sujet principal qui est la question de la place du travail dans l'entreprise.

* 5 Il existe cependant deux périodes (fin des années 80 et 90) où la masse salariale augmente nettement plus vite que le salaire par tête. Dans ces périodes, un enrichissement de la croissance en emplois s'est produit mais les taux de croissance du pouvoir d'achat du salaire par tête semblent alors moins compter que l'accélération de la croissance du PIB pour expliquer ce phénomène.

* 6 Ce qui ne signifie pas que la modération salariale n'exerce pas d'effets sur la dynamique de l'emploi mais qu'à elle seule elle ne suffit pas ; toute la question étant de savoir comment combiner modération salariale et croissance dans une économie où la demande domestique est de loin le premier contributeur à la croissance.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page