3. Aperçus critiques

Malgré son essor, la soft law apparaît, en l'état, comme un instrument soumis à la critique.

De nombreux reproches ont été adressés à la soft law par des tenants de l'ordre juridique établi : sa prétention à créer des normes de source non étatique, ses effets juridiques de ce fait indéterminés qui introduisent ainsi une incertitude dans le droit existant, le fait que son application pose de difficiles problèmes d'interprétation, pour le juge, et d'évaluation pour les experts chargés de vérifier le respect des engagements pris en son nom...

Un éminent spécialiste du droit public français, Prosper Weil, s'est inquiété notamment, dès les années quatre-vingt, de ce que la soft law portait atteinte à la hiérarchie des normes en droit international.

La création de références par des organisations ou des collectivités dépourvues de personnalité juridique provoquait selon lui le passage d'une normativité graduée à une normativité diluée, d'un droit établi à un droit désiré. Cette relativisation de la normativité antérieure tendait à affaiblir, d'après ses analyses, le droit international dans son ensemble.

On pouvait légitiment s'inquiéter de ce que le droit international public ne soit pas seul en cause, les entreprises ayant, elles aussi, eu recours de plus en plus à la soft law.

S'agissant de la RSE, les obligations faites aux sociétés cotées par la loi NRE (nouvelles régulations économiques) de 2001 ont été étendues par les lois Grenelle I et surtout Grenelle II aux sociétés non cotées, s'agissant de la publication, en même temps que de leurs comptes annuels, d'informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités.

Les multinationales peuvent souscrire aussi, en la matière, des engagements volontaires, formalisés notamment dans des chartes rendues publiques ou des codes de bonnes pratiques.

Pour certains 219 ( * ) , la RSE n'est qu'une tentative de nature politique tendant à permettre aux dirigeants d'entreprise de gérer, dans le nouveau contexte post-Fordien, leurs relations avec leurs actionnaires, leurs clients et leurs partenaires, sans que la situation des salariés s'en trouve transformée de façon évidente.

De fait, se conformer à des engagements environnementaux, éthiques ou autres, déterminés de façon unilatérale ou avec des partenaires ou des organisations de consommateurs, implique généralement, pour l'encadrement et les employés, des contraintes supplémentaires, voire de nouveaux motifs de licenciement éventuel pour faute grave 220 ( * ) .

Se pose aussi le problème de l'objectivité de l'évaluation du respect par l'entreprise de ses engagements, surtout lorsqu'il s'agit d'auto-réglementation, plutôt que d'une réglementation négociée (« co-réglementation »), selon la distinction à laquelle la Commission européenne tient à se référer.

Il règne un flou certain en ce qui concerne aussi bien les critères et les méthodes de cette évaluation qu'il s'agisse des personnes qui en sont chargées ou des sanctions encourues par les entreprises en cas de manquement à leurs obligations d'information et d'action.

Les agences de notation sociale et environnementale, clientes de l'entreprise, ne vont-elles pas se montrer trop complaisantes envers celle-ci ?

La priorité, en tout cas pour les dirigeants, est de donner au consommateur, dans le monde entier, la meilleure image possible de leur société qui doit apparaître comme irréprochable sur le plan environnemental et éthique. Les préoccupations sociales peuvent sembler davantage « externes » (respect des droits les plus fondamentaux des travailleurs dans les filiales des pays les plus pauvres) que tournées réellement vers l'amélioration des relations professionnelles dans les sociétés mères.

La RSE risque ainsi d'être récupérée pour devenir essentiellement un instrument de la politique de communication de l'entreprise, sans autre ambition.

Au total, il paraît dangereux que la « soft law » puisse dessaisir le législateur de ses prérogatives et faire apparaître comme la poursuite d'objectifs d'intérêt général, la satisfaction des intérêts privés de l'entreprise.


* 219 Revue de la régulation n° 1. Juin 2007. La responsabilité sociale des entreprises comme innovation institutionnelle.

* 220 Cf. jurisprudence de la Cour de cassation.

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