N° 272
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2011 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur le dialogue entre l' État et les collectivités territoriales,
Par Mme Jacqueline GOURAULT et M. Didier GUILLAUME,
Sénateurs.
(1) Cette délégation est composée de : M. Claude Belot, président ; MM. Dominique Braye, Philippe Dallier, Yves Krattinger, Hervé Maurey, Jacques Mézard, Jean-Claude Peyronnet, Bruno Sido, Jean-François Voguet, vice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, secrétaires ; M. Jean-Michel Baylet, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Gérard Collomb, Jean-Patrick Courtois, Yves Daudigny, Yves Détraigne, Éric Doligé, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Didier Guillaume, Pierre Hérisson, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Claude Jeannerot, Antoine Lefèvre, Roland du Luart, Jean-Jacques Mirassou, Rémy Pointereau, François Rebsamen, Bruno Retailleau, René Vestri, Mme Dominique Voynet.
INTRODUCTION
Selon les termes de l'article premier de la Constitution, l'organisation de la France est décentralisée, ce qui nécessite, de fait, que les relations entre les élus locaux et l'État soient les plus harmonieuses possibles dans l'intérêt de nos concitoyens. En effet, la réussite des politiques publiques est conditionnée par « l'entente cordiale » et apaisée entre les différents acteurs y concourant .
Cependant, les dernières réformes qu'ont connues les collectivités territoriales (réforme des collectivités territoriales, réforme de la taxe professionnelle et de la fiscalité locale, gel des dotations budgétaires de l'État) ont montré combien les relations entre l'État et ses partenaires locaux sont fragiles et empreintes de défiance. Que ce soit en raison de malentendus, d'incompréhensions, d'une connaissance imparfaite des politiques publiques, d'un manque d'évaluation lors de l'élaboration des projets de lois ou d'une mauvaise communication, les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales se sont particulièrement dégradées au cours des dernières années. Les débats au Sénat autour de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales ont montré que, aujourd'hui, la fracture entre les deux partenaires est désormais bien réelle : combien de fois n'a-t-on pas entendu ou lu que les élus locaux dépensaient trop, embauchaient trop ou, plus globalement, n'étaient pas assez vertueux ?
Si les dernières réformes ont révélé cette crise du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, il s'avère nécessaire d'en comprendre ses origines pour tenter d'y apporter les solutions les plus appropriées. Vos rapporteurs ont souhaité, pour cela, distinguer deux niveaux de dialogue : celui organisé au niveau national, entre le Gouvernement et l'administration centrale avec les associations nationales d'élus, que sont notamment l'Association des régions de France (ARF), l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Association des maires de France (AMF) et l'Assemblée des Communautés de France (AdCF), et celui, quotidien, existant au niveau local entre les élus « de base » et les préfets et sous-préfets.
Au niveau national, le dialogue entre l'Etat et les collectivités apparaît empreint de défiance. Ce constat s'avère surprenant en raison de l'existence d'une multitude d'instances de concertation. En matière financière par exemple, il existe le Comité des finances focales, la Commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), la Conférence sur les déficits publics et le Conseil d'orientation des finances publiques. Une telle profusion d'instances dans le domaine très sensible des finances locales auraient dû permettre un échange serein sur ces questions. Or, il n'en est rien. Deux facteurs ont retenu l'attention de vos rapporteurs pour expliquer cette situation : d'une part, l'absence de connaissance partagée des politiques décentralisées, avec des données indéniables et acceptées par les différentes parties et, d'autre part, la confusion entre les notions de dialogue et de proclamation, largement illustrée par le fonctionnement actuel de la Conférence nationale des exécutifs (CNE), pourtant mise en place afin d'améliorer ce dialogue.
S'agissant du niveau local, le dialogue entre l'Etat et les collectivités apparaît moins structuré, reposant essentiellement sur le préfet, de département principalement, ou les sous-préfets plutôt que sur des instances de concertation. Si le représentant de l'Etat dans le département est un vecteur essentiel du dialogue avec les élus, force est de constater que son rôle est fragilisé par la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui favorise le préfet de région, plus éloigné géographiquement et, de facto , moins au fait de la complexité de certaines problématiques de terrain. Par ailleurs, le rôle du sous-préfet est amené à évoluer mais les conséquences sur ses relations avec les élus ne sont pas encore connues. Vos rapporteurs renvoient aux conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, qui seront rendues publiques en juin 2011.
Seul un dialogue constructif entre l'Etat et les collectivités territoriales favorisera l'émergence d'une démocratie apaisée . Elus locaux et Etat, chacun de ces partenaires doit bénéficier de la mise en oeuvre d'un dialogue plus harmonieux. En effet, les élus ont besoin de l'Etat et ce dernier peut difficilement entreprendre des projets d'envergure sans l'aide des collectivités territoriales. Le succès du plan de relance de 2009 en est un excellent exemple. Dans cette perspective, vos rapporteurs et plus largement, votre Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, soucieuse de contribuer à un développement harmonieux de la décentralisation française, préconisent un certain nombre de recommandations pour parvenir à cet objectif.
Sur la question du dialogue entre l'Etat et les élus locaux au niveau national, plusieurs propositions font directement écho à la table ronde organisée par votre Délégation en octobre 2010 sur cette thématique. S'agissant de la CNE, la Délégation répond aux attentes formulées aussi bien par les associations nationales d'élus que par la direction générale des collectivités territoriales : elle préconise, d'une part, l'institutionnalisation de la CNE, par sa consécration dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) et, d'autre part, une rénovation de sa composition et de ses missions. Cette réforme de la CNE est indissociable de la mise en place d'un secrétariat technique permanent , permettant de coordonner et organiser ses différentes actions.
Tisser des relations plus harmonieuses entre l'Etat et les collectivités implique également de relancer le dialogue au niveau local. C'est pourquoi l'une des propositions du rapport vise à consacrer dans le CGCT la possibilité, pour la Conférence des exécutifs régionaux, d'associer à ses réunions, à son initiative, le préfet de région ou les préfets de département selon les thématiques abordées.
Au-delà de ces propositions concrètes et pragmatiques, dont vos rapporteurs espèrent que l'application permettra une amélioration sensible des conditions du dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, ce rapport a pour ambition de rappeler à l'ensemble des partenaires publics l'importance de la culture du dialogue . Si cette tradition de concertation semble plus ancienne et naturelle dans certaines régions françaises comme la Bretagne, il apparaît désormais essentiel de la développer dans l'ensemble des territoires.
Améliorer les relations entre l'Etat et les collectivités afin de nouer un véritable « contrat de confiance » constitue une gageure, dont l'énoncé est certes sans surprise dans un tel rapport, mais dont la réussite sera ô combien déterminante pour une décentralisation harmonieuse et efficiente.
LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE VOTRE DELEGATION
Proposition n° 1 : Institutionnaliser la conférence nationale des exécutifs (CNE) par sa consécration dans le CGCT. Proposition n° 2 : Modifier la composition de la CNE actuelle en ajoutant a minima une association nationale d'élus représentant les EPCI à fiscalité propre et quatre parlementaires. Proposition n° 3 : Mettre en place une CNE aux missions rénovées qui aurait vocation à se prononcer sur : - les perspectives de réformes dont la mise en oeuvre est susceptible de toucher les différents niveaux de collectivités territoriales ou leurs groupements ; - les problématiques liées aux politiques publiques décentralisées nécessitant un partenariat entre l'Etat et les collectivités ; - l'évolution de la situation des finances publiques et la lutte contre les déficits publics ; - les projets de loi ainsi que les projets d'actes législatifs de l'Union européenne touchant à l'organisation, aux compétences et aux finances des collectivités territoriales ; - la définition des clauses de revoyure prévues dans le cadre des réformes des collectivités territoriales et tout autre sujet intéressant les collectivités territoriales ou le Gouvernement. Proposition n° 4 : Fusionner les missions de la conférence nationale des déficits publics au sein d'une CNE rénovée. Proposition n° 5 : Mettre en place un secrétariat permanent de la CNE et prévoir la présence de fonctionnaires parlementaires au sein de ce secrétariat. Proposition n° 6 : Consacrer dans le CGCT la possibilité pour la conférence des exécutifs régionaux d'associer à ses réunions, à son initiative, le préfet de région ou les préfets de département. Proposition n° 7 : Prévoir la communication, dans un délai suffisamment rapproché, au sein des assemblées délibérantes des collectivités représentées à la conférence des exécutifs régionaux, des orientations retenues par cette conférence. Proposition n° 8 : Créer dans chaque département une conférence départementale des exécutifs , chargée d'organiser la coordination locale et de favoriser le dialogue entre les représentants de l'Etat et les élus locaux. |
I- DES INSTANCES MULTIPLES, UN DIALOGUE IMPOSSIBLE ?
A. AU NIVEAU NATIONAL : UN DIALOGUE EMPREINT DE DÉFIANCE
Parallèlement à la mise en oeuvre de la décentralisation et à l'approfondissement de la déconcentration, plusieurs instances de dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales ont été instaurées par le législateur ou le Gouvernement. En effet, afin de garantir des politiques publiques locales efficientes mais également une gestion optimale des services publics locaux, la nécessité d'instaurer un dialogue fructueux entre l'Etat et ses partenaires locaux s'est progressivement imposée.
Cependant, le climat de défiance qui pèse actuellement sur les relations entre l'Etat et les collectivités souligne combien l'efficacité de telles instances est encore perfectible.
1. La création d'instances nationales témoigne d'une volonté commune de créer les conditions d'un dialogue réussi
De la création du Comité des finances locales (CFL) en 1979 à celle de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) en 2008, le législateur a fait preuve d'un souci constant de créer les conditions d'un dialogue harmonieux entre l'État et les collectivités territoriales. Seule la mise en place de la Conférence nationale des exécutifs (CNE) est issue d'une volonté gouvernementale.
a) Un dialogue protéiforme en matière de finances locales
Le nombre d'instances de dialogue est élevé et recouvre l'ensemble des politiques publiques décentralisées. Vos rapporteurs n'ont pas souhaité se livrer à une énumération exhaustive, au demeurant fastidieuse. Ils ont pris le parti de concentrer leur analyse sur certaines d'entre elles. Il en est ainsi au niveau financier, domaine dans lequel il existe de nombreuses instances : CFL, CCEC, CCEN et Conférence nationale des déficits publics. A ces instances s'ajoute la CNE, qui n'a pas été formellement institutionnalisée mais dont la récente création vise à renforcer et à unifier le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales.