EXAMEN EN COMMISSION

Lors d'une réunion tenue le 7 décembre 2010, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu le rapport d'étape de M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc, rapporteur . - J'avais souhaité étudier la question de l'eau et c'est sur votre proposition, Monsieur le Président, que j'ai eu la chance de conduire cette mission sur la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France. J'avoue que j'ai découvert le sujet et ses véritables enjeux, qui sont essentiels. Depuis le premier choc pétrolier, on mesure l'importance des matières premières énergétiques, charbon, hydrocarbures et gaz, et on a, depuis 1973, pris des mesures pour mieux gérer les stocks et diversifier les approvisionnements. Mais on mesure encore mal combien nous sommes devenus dépendants des matières premières stratégiques minérales que sont le cuivre, le titane ou le diamant et ce que l'on appelle les terres rares ainsi que des matières premières stratégiques végétales comme les céréales et les terres arables.

Ce n'est qu'avec l'expansion économique très rapide de nouveaux acteurs comme la Chine, l'Inde et le Brésil, que les pays du Nord ont réalisé que leur propre accès aux matières stratégiques pouvait devenir problématique, du fait de l'accès des pays émergents aux technologies de transformation primaire des matières premières, mais aussi parce que les nouvelles technologies, particulièrement dans le domaine des télécommunications, dépendent de ces matériaux rares.

Ainsi, les éléments chimiques désignés aujourd'hui sous le terme de « terres rares » ont longtemps été considérés comme des curiosités de laboratoire. Mais leur utilisation croissante dans des techniques de pointe a démontré leur caractère stratégique, et souligné que la seule Chine en produisait, aujourd'hui, 95 % des quantités consommées.

Quelques exemples illustrent leur caractère crucial : les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne, qui confèrent aux armées occidentales un avantage décisif dans les conflits en cours, notamment celui d'Afghanistan.

Quant aux matières stratégiques végétales, les nombreuses initiatives venant de pays très divers par la richesse et la densité de population, pour s'assurer la maîtrise de terres arables, en démontrent l'intérêt.

La très active diplomatie chinoise en Afrique illustre la stratégie élaborée par ce pays pour sécuriser ses approvisionnements, non seulement alimentaires, mais également énergétiques et miniers.

Des exemples récents soulignent les interrogations d'autres pays sur la pérennité de leur accès aux produits agricoles : ainsi la Corée du Sud ou l'Egypte, qui vient de conclure un accord sur ce point avec le Soudan, s'engagent dans des démarches de location à long terme de terres arables dans des pays où des espaces restent disponibles comme l'Éthiopie ou Madagascar.

Face à cette forte concurrence pour l'accès aux matières premières, l'Union européenne a pris conscience de sa vulnérabilité dans ce domaine. Une communication de la Commission européenne au Parlement et au Conseil, en novembre 2008, souligne la nécessité d'une « initiative dans le domaine des matières premières », constatant que la majorité des ressources métalliques utilisées dans l'Union européenne sont importées. Deux groupes d'experts ont été réunis pour établir une liste des ressources stratégiques et pour élaborer un plan d'action destiné à sécuriser les approvisionnements européens de ces ressources, sachant que l'importance des investissements requis, comme la complexité de la mise en production de nouveaux gisements miniers, nécessitent un délai de dix à vingt ans entre la recension des besoins, et le début de leur satisfaction.

L'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et la France ont été les pays les plus actifs au sein de l'Union européenne pour amorcer cette réflexion, qui s'appuie sur deux constats : tout d'abord, il est faux de croire que les ressources minérales européennes sont épuisées. En effet, les progrès technologiques permettent d'exploiter les gisements recensés jusqu'à des profondeurs de 1 500 mètres aujourd'hui, pouvant aller jusqu'à 3 000 mètres dans un avenir proche, alors qu'on se limitait au XXe siècle à quelques centaines de mètres.

Ensuite, l'analyse économique récente a développé une hypothèse, fallacieuse, d'un développement économique « dématérialisé », alors que la valeur ajoutée par le secteur des services réclame toujours plus de matières premières et notamment des métaux rares. C'est le cas des écrans plats des téléviseurs, des trains à grande vitesse ou des voitures électriques. Chaque voiture construite aujourd'hui contient 25 kg de cuivre ; en 2030, les voitures hybrides ou électriques en réclameront le double.

La France, du fait de sa tradition industrielle, a longtemps gardé un intérêt marqué pour les ressources minérales. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a ainsi été chargé d'effectuer, de 1975 à 1992, un inventaire minéral de la France, axé sur le cuivre, le plomb et le zinc.

L'approvisionnement en énergie a également fait l'objet, en 2008, d'un rapport du secrétariat général de la défense nationale (SGDN), qui est classifié, ce qui en empêche la communication. Cet organisme mène actuellement une étude sur les métaux stratégiques, indispensables à l'approvisionnement des secteurs d'activités jugés prioritaires comme l'automobile, l'armement ou les nanotechnologies.

Enfin, le conseil des ministres du 27 avril 2010 a créé une mission de préfiguration d'un futur comité interministériel pour les métaux stratégiques (COMES), confiée à M. François Bersani, ingénieur général des mines. Le décret créant ce comité devrait être pris dans les prochaines semaines.

Voici les premiers éléments recueillis lors des cinq auditions auxquelles j'ai procédé, en commençant par un entretien avec M. Francis Delon, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui a estimé très opportun que le Parlement se penche sur ce sujet. Les informations recueillies soulignent la grande actualité de cette problématique au sein des pays occidentaux qui ont longtemps été les premiers consommateurs de matières premières, et dont ils ont tenu l'obtention facile et peu coûteuse pour acquise.

La donne a changé, car les ressources mondiales sont limitées et très inégalement réparties, alors que la demande est en forte expansion.

Je me propose donc de poursuivre mon travail d'information et de vous en livrer une conclusion globale à la fin du mois de février 2011.

M. Josselin de Rohan, président . - Vous identifiez clairement les enjeux : il s'agit de rien moins que de l'accès aux ressources indispensables à notre défense nationale, donc à notre indépendance. La Chine achète et loue des terres arables dans le monde, elle va chercher à l'extérieur de ses frontières ce qui lui manque, tout en étant plus exigeante sur l'accès aux ressources stratégiques qu'elle possède. On réalisera plus tard les effets de cette stratégie, qu'on peut dire défensive tout autant qu'offensive, et il faut compter aussi que l'accès aux matières premières stratégiques peut constituer une source de conflit. N'oublions pas le rôle que cet accès a joué dans la défaite allemande lors de la Première guerre mondiale et dans l'entrée en guerre du Japon lors de la deuxième.

Pour étudier des questions aussi importantes, n'hésitez pas à prendre le temps qu'il vous faudra. Je ne crois pas que l'accès aux matières stratégiques ait fait l'objet d'un rapport d'une commission parlementaire : la question est cruciale et je me félicite que le Sénat démontre encore une fois sa capacité d'innovation.

M. Raymond Couderc . - Monsieur le rapporteur, avez-vous examiné la question du recyclage des terres rares ? Des filières sont-elles en gestation ?

M. Jacques Blanc, rapporteur . - En plus du stockage - comme on le fait pour le pétrole ou l'uranium - et de la recherche de nouveaux gisements, en creusant toujours plus profond dans le sous-sol, le recyclage est effectivement une piste à examiner. Pour autant que j'en sache, nous en sommes aux balbutiements, mais j'étudierai ce point plus avant.

Mme Dominique Voynet . - Le recyclage est effectivement une piste, le Conseil des ministres l'a même qualifié de « gisement complémentaire précieux ». Deux écoles des mines au moins y travaillent, celle de Douai et celle de Saint-Etienne.

Je me demande, cependant, si votre champ d'études n'est pas trop vaste. La sécurité des approvisionnements énergétiques est une question étudiée de longue date. Depuis la crise de 2008, la sécurité des approvisionnements alimentaires a également fait l'objet de travaux nombreux. En revanche, on connaît effectivement moins la situation des terres rares, une fois dit que la Chine est en position de quasi monopole. Cependant, la question ne s'arrête pas aux seules terres rares. Il y a aussi les métaux qui ne sont pas rares, mais qui sont de plus en plus chers, en particulier un produit aussi courant que l'acier. Il y a encore les matières premières dont l'accès n'est pas garanti, en particulier le gaz.

Je crois donc qu'il serait utile de resserrer le champ de l'étude, en examinant bien les différents cas de figure.

M. Jacques Blanc, rapporteur . - Vous rejoignez la préoccupation de notre président. Au départ, je voulais m'intéresser à l'eau, question éminemment importante pour le membre de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée que je suis. Mais l'eau est un sujet largement étudié. Aussi, la question des terres rares est-elle plus propice à une contribution utile de notre part : c'est un sujet majeur, dont on ne parle pas. Je crois que nous aurons tout à leur consacrer l'essentiel de nos investigations.

M. Jacques Gautier . - Une information intéressant l'inflation des prix des métaux : une joint venture s'est créée, entre la France et le Kazakhstan, pour la production d'éponges de titane, indispensables à l'industrie aéronautique : nous apportons la technologie, les Kazakhs les deux minerais constitutifs du titane. C'est peut-être aussi dans cette direction qu'on pourra compenser notre manque de minerais.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Mme la ministre des affaires étrangères vient d'évoquer la question des métaux rares dans une interview, en retenant le niveau européen. C'est encourageant car l'immense territoire eurasiatique de la Russie offre des possibilités. Nous devons examiner les bonnes pratiques, faire sur cette question un peu de benchmarking pour optimiser notre accès aux terres rares.

M. Jacques Blanc, rapporteur . - Mme la ministre a aussi souligné nos intérêts communs avec le continent africain, en matière de sécurité aussi bien que d'accès à certains minerais.

M. Josselin de Rohan, président . - L'IFREMER n'a-t-il pas été chargé d'une mission sur les nodules polymétalliques ?

M. Jacques Blanc, rapporteur . - Le Conseil des ministres du 27 avril dernier confie effectivement à l'IFREMER une mission exploratoire sur les métaux stratégiques, avec une première campagne à Wallis-Et-Futuna, dans le cadre d'un groupement associant encore le BRGM et des acteurs privés.

M. Josselin de Rohan, président . - Merci encore pour vos travaux. Je crois la remarque de Mme Voynet tout à fait pertinente. Nous devons faire oeuvre utile et parvenir à des recommandations claires sur la stratégie à conduire, sur les alliances et les accords à passer en vue de garantir à notre défense nationale un accès aux métaux rares qui soit pérenne et sûr.

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Réunie sous la présidence de M. Josselin de Rohan, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa réunion du 9 mars 2011 .

M. Jacques Blanc, rapporteur - Je vous rappelle brièvement l'historique de ce travail : au mois de juin 2010, j'ai informé notre président, M. Josselin de Rohan, de mon souhait de mener une réflexion sur la problématique de l'eau, qui constitue une priorité pour l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, dont je suis membre.

Après un examen de cette proposition, le président de Rohan a constaté que ce sujet avait déjà été amplement traité et qu'il semblait donc préférable d'orienter ma réflexion vers le thème, plus global, des ressources stratégiques, évoqué par le Livre blanc sur la défense et la sécurité comme une source potentielle de tensions géopolitiques.

La lettre de mission que vous m'avez envoyée, Monsieur le président, le 16 juin 2010, me fixait donc cet objectif, dont j'ai pu mesurer combien il était judicieux. En effet, depuis l'automne 2010, l'actualité démontre le caractère vital, pour les économies développées, de la pérennisation de leurs approvisionnements en ressources stratégiques.

Lors de ma communication d'étape du 7 décembre 2010, j'avais présenté à la commission un tableau d'ensemble des différents éléments pouvant être considérés comme stratégiques pour notre pays. Je vous rappelle que, parmi les « ressources stratégiques » citées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité, figurent « l'eau, les matières premières stratégiques, notamment alimentaires et énergétiques » dont l'obtention est tellement vitale pour les nations qu'elle est susceptible d'engendrer des crises majeures dans le monde.

Les auditions complémentaires auxquelles j'ai procédé depuis cette communication m'ont conduit à constater que, dans un contexte général de tensions géopolitiques, accrues par la croissance actuelle des prix des matières premières agricoles, énergétiques et minières, notre pays dispose d'atouts, mais doit également surmonter des vulnérabilités.

Parmi les avantages comparatifs dont bénéficie la France figure la disponibilité, en quantité comme en qualité, des ressources en eau et des approvisionnements alimentaires nécessaires à la population. La vigilance est, certes, de mise, pour pérenniser ces atouts : les ressources en eau doivent être gérées de façon économe, et un point d'équilibre doit être trouvé, au niveau européen, entre l'ouverture de nos marchés agricoles aux productions d'autres continents, et la préservation de la qualité, tant gustative que sanitaire, de nos approvisionnements.

En revanche, notre pays est dépendant de pays étrangers non européens dans deux grands secteurs : l'énergie et les minerais.

Dans le domaine énergétique, l'embargo pratiqué par l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en 1973 a poussé les pays consommateurs à prendre un ensemble de décisions très positives pour leur autonomie d'approvisionnement. Je rappellerai, à titre d'exemple, que 70 % de l'électricité française était produite à base de fioul en 1973, proportion réduite à zéro aujourd'hui, essentiellement grâce à l'équipement de notre pays en centrales nucléaires civiles. Cet embargo a également conduit à la création de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), instance de régulation des approvisionnements pétroliers qui regroupe 28 Etats membres. La France reste, bien sûr, dépendante de l'étranger pour ses approvisionnements en pétrole et en gaz, mais des décisions, tant nationales qu'européennes, ont concouru à sécuriser et diversifier ces flux, ainsi qu'à promouvoir une utilisation plus rationnelle et économe des ressources énergétiques. Par mesure de sécurité, notre pays a constitué un stock pétrolier, à hauteur de 90 jours de consommation.

Je précise que seul le pétrole utilisé pour les transports -aérien, maritime, ferroviaire ou routier- n'a, à ce jour, pas de substitut, et constitue donc un approvisionnement vital pour notre économie. En revanche, les autres types de consommation d'énergie, comme le chauffage et l'éclairage des logements, par exemple, peuvent être satisfaits par des alternatives diverses.

De plus, notre pays a entrepris un effort très significatif pour se doter de sources d'énergies renouvelables, tant pour des raisons de respect de l'environnement que d'indépendance nationale. Le « Grenelle de l'environnement » en constitue l'exemple le plus récent.

Si, donc, l'approvisionnement de la France en énergie reste un domaine de vulnérabilité, celle-ci a été identifiée dès avant les années 1970 par les responsables publics, et divers scénarios de crise ont été établis pour en conjurer les effets. On peut donc considérer que la situation est maîtrisée dans ce domaine.

Aujourd'hui, c'est dans le domaine de notre approvisionnement en métaux qu'un effort analogue à celui qui a été effectué en matière énergétique doit impérativement être réalisé.

J'avais évoqué ce point dans ma communication du 7 décembre 2010, et un accord s'était fait, au sein de notre commission, pour que mes travaux ultérieurs portent sur ce domaine. J'ai donc axé mes auditions en ce sens, et en ai tiré les conclusions que je vais vous exposer.

Il faut savoir qu'il y a encore 30 ans, l'industrie minière française était florissante. Cette situation s'est ensuite dégradée du fait d'une évaluation trompeuse de notre destin économique, qui a conduit la France et d'autres pays européens comme l'Allemagne, à estimer que le métier minier, risqué, polluant et à faible rentabilité, ne méritait pas d'être maintenu. Cette erreur stratégique reposait sur l'idée que l'économie de services, vers laquelle s'orientaient les pays développés, n'utiliserait désormais que très peu de ces ressources de base.

Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien, et une prise de conscience se fait jour, en France, au sein de l'Union européenne et dans les grands pays développés, sur la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers, comme l'ont été, dans les années 1970, les approvisionnements énergétiques.

Cette nouvelle approche s'accompagne d'un point de vue renouvelé sur la place de l'industrie au sein de notre tissu économique. La réunion, au premier trimestre 2010, « d'Etats généraux de l'industrie », qui a fait l'objet d'une communication de M. Christian Estrosi, alors ministre de l'industrie, au conseil des ministres du 10 mars 2010, témoigne de ce changement de perspective. C'est ainsi qu'une « semaine de l'industrie » se tiendra du 4 au 10 avril prochain.

La nouvelle perception des enjeux miniers s'est concrétisée lors du conseil des ministres du 27 avril 2010, qui a confié une mission de préfiguration d'un futur comité pour les métaux stratégiques (COMES) à M. François Bersani, ingénieur général des mines.

Ce comité a été créé le 27 janvier 2011 dans le but de « renforcer la sécurité d'approvisionnement de la France ». Son président, M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, a présenté cette création en ces termes :

« L'industrie utilise un nombre croissant de métaux rares, comme le lithium, utilisé pour les batteries des téléphones portables et des véhicules électriques. Face à ce défi, les puissances industrielles, Etats-Unis et Chine en tête, ont développé une stratégie offensive. La France doit aujourd'hui se mettre à niveau ».

Le comité a pour fonction de réunir les services de l'Etat, les organismes publics contribuant à la politique d'approvisionnement en métaux stratégiques, et les représentants des industries intervenant dans leur extraction, leur transformation ou leur utilisation. Ce dialogue doit permettre d'établir un bilan des besoins de notre pays, à court et moyen termes, et de déterminer les différentes actions pouvant être menées pour les satisfaire.

A ce point de mon exposé, il me semble opportun de rappeler que, n'ayant pas une formation d'ingénieur, je me suis efforcé de m'en tenir à ma mission d'homme politique consistant à tracer les orientations générales requises par les constats qui m'ont été présentés par les divers spécialistes que j'ai consultés. Je tiens aussi à préciser quelques éléments de terminologie : les métaux peuvent être classés en deux grandes catégories :

- les métaux de base, comme le cuivre, le zinc ou l'étain ;

- et les autres métaux, certains étant dénommés « stratégiques » en France, ou « critiques » par la Commission européenne.

Le territoire français ne produit plus de ressources métalliques, hormis le nickel de Nouvelle-Calédonie, et l'or de Guyane. Les nodules polymétalliques sont sans doute présents dans la zone d'économie exclusive (ZEE) de cette île, mais ne pourront être exploités qu'au prix d'équipements spécifiques coûteux. J'y reviendrai.

Cette situation expose notre économie et nos industries de défense à une forte vulnérabilité aux aléas des marchés, tant pour les prix que pour les quantités.

S'agissant des métaux de base, la forte demande des pays émergents, conjugués à des éléments financiers mal maîtrisés ou spéculatifs, conduisent à une croissance continue de leurs coûts, alors que la crise de 2008 avait exercé un effet modérateur. Je m'en tiendrai à l'exemple du cuivre, qui a franchi le seuil des 10 000 dollars (7 315 euros) la tonne, le 4 février dernier, soit le triple de son prix au début de l'année 2009.

Nous observons les effets pervers de cette hausse dans les vols qui se multiplient sur les chantiers, et les infrastructures ferroviaires. En effet, le cuivre est un bon conducteur électrique et thermique, ce qui lui confère de multiples utilisations, seul ou en alliage.

L'essentiel de sa production, de 16 millions de tonnes en 2010, était assuré par quatre principaux pays : le Chili (34 %), le Pérou (8 %), la Chine (7 %) et les Etats-Unis (7 %).

J'en viens maintenant aux métaux rares, ou stratégiques. Une liste de ces métaux et de leurs principaux usages a été établie par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), sachant que cette liste est évolutive en fonction d'utilisations potentielles qui se révèleront avec l'avancée des technologies. A sa lecture, on constate la multiplicité de leurs usages dans les technologies de pointe, qu'il s'agisse, par exemple, des télécommunications, de l'armement, ou des énergies renouvelables. Je relève quelques exemples de leur utilisation : les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne.

Pour nous en tenir aux compétences de notre commission, je vous confirme que nos industries de défense utilisent, de façon croissante, ces métaux, ainsi que me l'ont confirmé leurs principaux responsables.

Il faut préciser que, contrairement à ce que laisse croire leur dénomination, les « terres rares » ne le sont pas. Si la Chine produit aujourd'hui près de 95 % des quantités consommées dans le monde, ceci découle du désintérêt manifesté, jusqu'à ces derniers temps, par les pays développés à l'égard des problématiques minières. C'est pourquoi ces minerais, dont l'intérêt s'est considérablement et récemment accentué du fait de leur utilisation croissante dans les technologies de pointe, sont importés de Chine, pays qui a saisi tout le prix, politique et financier, qui pouvait être tiré de ce quasi-monopole. Des gisements importants existent cependant hors de Chine, notamment aux Etats-Unis, en Inde et en Australie. Mais la transformation de ces minerais, après extraction, passe aujourd'hui par des opérations très polluantes, beaucoup plus facilement tolérées en Chine que dans les pays développés, qui ont, de ce fait, tacitement consenti à ce que ce pays concentre la quasi-totalité de la production.

L'exploitation des gisements présents hors de Chine réclamera du temps et des investissements importants. Dans cette attente, ce quasi monopole pose un réel problème de sécurité d'approvisionnement pour l'ensemble des utilisateurs.

La préservation de la compétitivité de notre industrie dans ces domaines à haute valeur ajoutée requiert donc la pérennité de leur obtention, par l'utilisation de plusieurs leviers.

Il convient, tout d'abord, de nouer des coopérations bilatérales avec les pays européens ayant une tradition minière, comme l'Allemagne, et les pays scandinaves.

Ce terme de « terre » est issu du vocabulaire français du XVIIIe siècle, qui désignait ainsi ce que nous appelons aujourd'hui les métaux ou leurs composés.

La Suède est toujours un grand producteur de fer. L'offensive alliée de mai 1940 sur le port norvégien de Narvik, par lequel transitait le fer provenant des mines suédoises de Kiruna, constitue une illustration de l'importance de ce métal. Ce pays a été un berceau de découverte des terres rares, et pourrait en redevenir productrice.

Des coopérations, fondées sur une communauté d'intérêts et de compétences dans le domaine minier, permettront d'affermir les actions à mener pour restaurer ce secteur.

Une deuxième piste prometteuse, mais dont les difficultés pratiques sont multiples, réside dans le développement de la collecte et du recyclage des nombreux équipements de notre vie courante qui contiennent, même en quantité réduite, des substances rares, comme les téléphones portables, les ordinateurs, les lampes à basse consommation, ou les pots catalytiques des véhicules, ensemble que les spécialistes regroupent sous le terme de « mines urbaines ». A l'heure actuelle, ces opérations de récupération se heurtent, souvent encore, à une faible rentabilité économique, du fait des coûts élevés de collecte et de transformation.

Il n'existe donc aujourd'hui en France, comme en Europe, qu'un petit nombre d'usines de recyclage. Une amélioration des opérations de collecte permettrait d'éviter la « fuite », de ces produits qui sont actuellement recyclés, pour l'essentiel, dans des pays émergents. Ceux-ci recourent à des procédés industriels peu performants, pouvant être optimisés grâce à des technologies plus avancées.

Pour l'avenir, il faut définir une nouvelle politique industrielle, passant par une étroite coopération entre les services de l'Etat et les industriels pour détecter, le plus en amont possible, les besoins en métaux stratégiques induits par les avancées technologiques de nos secteurs de pointe. Ceci suppose l'établissement d'un climat de confiance entre acteurs étatiques et économiques, ces derniers étant légitimement soucieux de préserver leurs « secrets » de fabrication.

Cette coopération permettrait de réduire les quantités de matières critiques utilisées, comme d'en rechercher de possibles alternatives. L'Allemagne a l'expérience de cet exercice, qu'elle a pratiqué en d'autres temps, avec la politique de « l'ersatz ».

Plus largement, il conviendrait de définir, en liaison avec les industries françaises impliquées, une conception de la chaîne des produits utilisés permettant d'évaluer, le plus tôt possible, la problématique de leurs approvisionnements.

Cette coopération pourrait également permettre la mise au point de produits « éco-conçus », c'est-à-dire minimisant le recours aux minerais critiques, et permettant leur récupération lors de la fin de vie des objets en contenant.

Un tel résultat ne pourra être obtenu qu'au prix de recherches technologiques coûteuses, et de l'adaptation de notre cadre réglementaire.

Avant de vous présenter mes principales recommandations, je ferai un bref récapitulatif des réflexions menées au sein de l'Union européenne, et des décisions qui commencent à y être prises.

C'est à l'occasion de la réunion tenue à Heiligendamm, du 6 au 8 juin 2007, en conclusion du G8 présidé par l'Allemagne, que la Chancelière Angela Merkel a évoqué la nécessité de sécuriser l'approvisionnement des pays développés en matières premières stratégiques. Le patronat allemand avait beaucoup oeuvré pour attirer l'attention de la Chancelière sur les fragilités qui se faisaient jour en ce domaine.

Ce thème a été repris lors d'un discours prononcé à Madrid, en juin 2010, par M. Antonio Tajani, vice-président de la commission européenne, et commissaire à l'industrie, qui s'inquiétait de la dépendance de l'économie européenne à « 14 matières critiques ».

Un calendrier de travail a été alors établi, qui doit aboutir, prochainement à l'adoption de premières conclusions par le Conseil.

La Commission européenne a, en effet, déjà publié, le 2 février dernier, une communication présentant « une vision stratégique intégrée tendant à surmonter les obstacles sur les marchés des matières premières ».

Parmi les objectifs, figurent :

« - l'identification des matières premières critiques ;

- l'amélioration d'un cadre réglementaire facilitant l'extraction durable des matières premières au sein de l'Union européenne ;

- la dynamisation de l'efficacité des ressources, et la promotion du recyclage ;

- et le renforcement de la promotion des efforts de recherches et d'innovations durant toute la chaîne de valeur des matières premières, de l'extraction à la substitution, en passant par le traitement, le recyclage et l'utilisation efficace des ressources. »

De leur côté, les Etats-Unis d'Amérique ont également identifié ce problème, qui a été évoqué au Congrès et dans différents cercles de réflexion. La presse française a ainsi récemment rapporté que des scientifiques américains avaient demandé d'encourager la production de terres rares, minéraux essentiels à l'industrie de la haute technologie. Ces experts américains recommandaient également à leur Gouvernement de ne pas faire de stocks de ces matériaux, car cela découragerait l'innovation.

Je précise qu'une politique de stocks, analogue à celle qui existe pour le pétrole, avait été entreprise en France à la Libération, puis reprise en 1980, avec la création de la caisse française des matières premières (CFMP). Cette caisse avait pour mission de constituer et gérer un stock de précaution de matières premières. Cette initiative s'est révélée peu pertinente sur le plan économique, et la CFMP a été dissoute en 1997.

Je conclurai ce rapide tour d'horizon par quelques recommandations principales :

- il ne faut pas considérer les grands producteurs mondiaux de matières premières comme la Chine, la Russie ou le Brésil, comme des adversaires, aussi justifiées que puissent être les critiques sur certains de leurs procédés commerciaux. Ces pays ont des éléments de vulnérabilité qui devraient les conduire à souhaiter un dialogue avec les pays consommateurs, susceptibles de leur apporter leur expertise, notamment dans le domaine minier ;

- l'UE et la France doivent ouvrir des négociations en ce sens, mais notre pays ne doit pas s'en remettre uniquement aux institutions européennes, et envisager la conclusion d'accords bilatéraux avec certains pays producteurs avec lesquels nous avons des relations spécifiques, notamment sur le continent africain ;

- un nouvel inventaire des ressources minières françaises doit être entrepris, et l'ouverture ou la réouverture de mines doivent être envisagées si cela est susceptible d'être économiquement rentable, tout en assurant le respect de la santé du public, des travailleurs, et celui de l'environnement. Cela suppose, outre l'inventaire lui-même, pour lequel notre pays dispose des compétences du BRGM, d'informer l'opinion publique des évolutions qui conduisent à la nécessité de « rapatrier » des exploitations minières dont l'éloignement dans des pays à faible coût de main d'oeuvre et à contraintes environnementales limitées a été entouré d'un large consensus. La discrétion est contre productive, comme viennent de le souligner les polémiques liées aux sondages de recherche sur d'éventuelles exploitations de gaz de schiste ;

- plus largement, il faut envisager la renaissance d'une politique industrielle d'Etat, qui permettrait de mobiliser les investissements requis pour produire un effet de levier effectif. Ces investissements, qui associeraient capitaux publics et privés, pour des raisons d'opportunité comme de coûts, permettraient, par exemple, de concevoir et de réaliser un navire adapté à la collecte des nodules polymétalliques sans doute présents au large des côtes néo-calédoniennes.

Cette nouvelle politique industrielle devrait s'accompagner d'actions, à définir, de valorisation du métier d'ingénieur, à contre courant de l'évolution observée ces deux dernières décennies.

D'ores et déjà, des industriels opérant dans le secteur des métaux envisagent d'accroître leurs investissements dans le secteur minier. C'est notamment le cas d'ArcelorMittal, qui développe une vision d'intégration en amont de ses approvisionnements en minerai de fer et en charbon pour garantir la pérennité.

Il s'agit là de perspectives dont l'ampleur pourrait paraître excéder le domaine de compétence de notre commission. J'estime néanmoins que nous sommes dans notre rôle en évoquant les « axes d'effort », pour reprendre un langage militaire, nécessaires au maintien de notre indépendance économique.

En conclusion, je vous demande donc d'approuver les termes de cette communication, et d'autoriser la publication du rapport d'information qui en développera les éléments.

M. Josselin de Rohan, président - Votre exposé démontre qu'une politique de sécurité nationale cohérente requiert une base industrielle autonome, non seulement dans le domaine énergétique, mais également dans celui des métaux rares indispensables à notre industrie de défense. Nous devons en tirer les conclusions nécessaires sur les actions à mener au sein de l'Union européenne, et par notre politique étrangère. Il faudrait ainsi envisager la conclusion de partenariat entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique d'une part, la Chine d'autre part.

M. Xavier Pintat - Il me semblerait opportun que notre commission soit mieux informée des projets d'exploitation de schiste bitumineux. Pour les Etats-Unis, comme pour le Canada, cela a entraîné un changement de stratégie, avec notamment l'abandon des projets de ports méthaniers, et je relève que d'importants stocks ont été identifiés en Estonie. Il serait donc nécessaire qu'un bilan de leurs coûts, notamment environnementaux, rapportés à leurs avantages soit réalisé de façon objective.

M. Jacques Blanc, rapporteur - Les techniques d'extraction initialement utilisées étaient très polluantes et nécessitaient de fortes consommations d'eau. Ces techniques sont en cours d'amélioration. J'ai été surpris qu'un permis de recherche ait été délivré sans information, ni des élus, ni du public, pour une zone de mon département classé dans le parc national des Cévennes. Il est indispensable que l'information soit, à l'avenir, mieux organisée, et que les éventuels permis d'extraction soient délivrés dans la transparence, et en cohérence avec les autres priorités nationales, dont la préservation des espaces naturels.

M. Josselin de Rohan, président - Il faut s'interroger sur le caractère indispensable ou non de ces schistes pour suppléer les énergies classiques. Cela étant, aussi importantes que soient les questions liées à l'exploitation et à l'environnement, ce qui intéresse notre commission c'est la problématique de la sécurité d'approvisionnement, en particulier pour la défense.

M. Jean-Louis Carrère - Je m'interroge sur la dénomination de « métaux rares » et souhaiterais savoir si l'uranium en fait partie.

M. Jacques Blanc, rapporteur - L'uranium n'est pas « rare » mais son approvisionnement est bien évidemment stratégique. A ma connaissance, il n'y a pas pour l'instant de problème puisque l'approvisionnement est diversifié et sécurisé. L'uranium ne figure donc pas au sein des « métaux rares » dont la définition est donnée par le BRGM.

M. Marcel-Pierre Cléach - J'ai récemment conduit, comme président du groupe d'amitié France-Canada, un déplacement en Alberta centré sur l'exploitation des schistes bitumineux. De nombreuses sociétés françaises y sont associées. Mes interlocuteurs canadiens ont reconnu que les premières années d'exploitation avaient été dévastatrices pour l'environnement et la santé des populations, mais un nouveau système de traitement, moins polluant, vient d'être mis au point. J'ai par ailleurs constaté à quel point cette source d'énergie avait dynamisé l'économie de l'Alberta.

M. Josselin de Rohan, président - Je tiens à rappeler que, dans le cas de la France, seules des autorisations de recherche ont été accordées en vue d'établir une cartographie.

M. Bernard Piras - Le simple établissement d'une carte des ressources en gaz de schistes nécessite des forages qui suscitent de fortes oppositions au sein de l'opinion publique.

M. Michel Boutant - Il semble en effet tout à fait judicieux qu'une nouvelle cartographie du sous-sol français soit réalisée. S'agissant des nodules polymétalliques que vous avez évoqués, et dont les ressources potentielles justifient notre souveraineté sur l'îlot de Clipperton, revendiqué par le Mexique, il faudrait s'assurer de l'étendue des gisements.

M. Jacques Blanc, rapporteur - Ces connaissances requièrent la réalisation d'un navire scientifique dont la mise au point sera coûteuse.

M. Josselin de Rohan, président - L'actualité récente nous montre à quel point nos approvisionnements en énergie dépendent du contexte politique mondial. Nous savons que la majorité des ressources pétrolières sont situées dans des zones instables, et l'exploitation de ces schistes confèrent une autonomie d'approvisionnement appréciable pour les Etats-Unis et le Canada. S'agissant des nodules polymétalliques, nous devons préserver nos intérêts sur les territoires qui sont susceptibles d'en recéler, comme Clipperton ou la Nouvelle-Calédonie, je me félicite de l'analyse contenue dans ce rapport. Nos approvisionnements en métaux ont évidemment une forte interaction sur nos industries de défense.

Puis la commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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