B. INTENSIFIER LES ÉCHANGES ENTRE LE MONDE DE L'ENTREPRISE ET CELUI DE LA RECHERCHE
1. Faire des pôles de compétitivité des « moteurs de l'innovation industrielle » dans les territoires
Lancée en 2004, la politique des pôles de compétitivité vise à rapprocher sur un même territoire des entreprises, des centres de formation et des unités de recherche d'un même secteur d'activité, afin de dégager des synergies et d'élaborer des projets innovants. Cette politique s'inscrit dans la droite ligne des théories économiques qui font du progrès technique et de l'innovation un des moteurs principaux de la croissance et du développement. Lors de leur mise en place, l'objectif était alors de « renforcer le potentiel industriel de la France, créer les conditions favorables à l'émergence de nouvelles activités à forte visibilité internationale et ainsi améliorer l'attractivité des territoires et lutter contre les délocalisations. » 154 ( * )
À la suite de différents appels à projets, 71 pôles ont finalement été créés au lieu de la quinzaine initialement prévue 155 ( * ) . Ils se répartissent en trois catégories : 7 pôles mondiaux, 10 pôles à vocation mondiale et 54 pôles nationaux. Financés par l'État selon une programmation triennale, ils ont reçu 1,5 milliard d'euros de la part de l'Agence nationale de recherche (ANR), d'Oséo, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de l'Agence de l'innovation industrielle sur la période 2006-2008. S'ajoutent à cette enveloppe 308 millions d'euros financés par les collectivités locales sur la même période .
Confortés à la suite d'une annonce du président de la République le 23 juin 2007, les pôles de compétitivité ont fait l'objet d'une évaluation confiée aux cabinets CM International et Boston Consulting Group (BCG), dont les conclusions ont été rendues en juin 2008. Au vu des résultats très positifs de cette étude sur la pertinence de ce dispositif, le président de la République a confirmé le lancement d'une seconde phase de cette politique pour la période 2009-2011, en reconduisant l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros dont elle avait bénéficié au cours de la période précédente. Pour cette seconde phase, il a été décidé de renforcer les exigences relatives au mode d'organisation des pôles et à leur développement et de ne pas labelliser de nouveau pôle, sauf à titre exceptionnel dans le domaine des écotechnologies.
Pour définir le programme de cette seconde période, un nouvel appel à projet a été lancé le 27 février 2009 dans le cadre du Fonds unique interministériel (FUI). Il a permis de sélectionner 93 projets de R&D, émanant de 48 pôles de compétitivité. Ces projets devraient bénéficier d'une participation de l'État de 109 millions d'euros et des collectivités territoriales de 62 millions d'euros.
Dans leur rapport consacré aux pôles de compétitivité 156 ( * ) , MM. Michel Houel et Marc Daunis ont confirmé le succès de ce dispositif, soulignant en particulier la mobilisation des acteurs (petites et grandes entreprises, centres de recherche, centres de formation...) et des financeurs (État et collectivités territoriales, en particulier) ainsi que l'impact positif de la présence des pôles pour l'attractivité des territoires.
En outre, les pôles ont indéniablement contribué à l'accélération des projets de R&D, jouant véritablement le rôle de « moteurs de l'innovation » dans les territoires . Ainsi, entre 2005 et 2008, 1 400 projets ont pu être lancés, impliquant 23 000 chercheurs (11 000 originaires d'organismes publics de recherche et 12 000 chercheurs d'entreprise) et mobilisant plus d'1,8 milliard d'euros auprès des collectivités publiques et 3,3 milliards auprès des industriels.
Un bilan plutôt positif pour les pôles de compétitivité Selon l'enquête annuelle de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) auprès des pôles de compétitivité, 7 200 établissements d'entreprises étaient membres d'au moins un pôle fin 2009. Ces établissements appartenaient à 6 500 sociétés. Les trois quarts de ces sociétés étaient des filiales de PME, 15 % des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 12 % des grandes entreprises. 43 % de ces sociétés étaient contrôlées par des groupes, dont 24 % étaient des groupes étrangers, 39 % des groupes français internationaux et 37 % des groupes ayant uniquement des filiales en France. ? Une contribution active des jeunes entreprises innovantes En 2009, 17 % des établissements membres des pôles appartenaient à des sociétés de moins de cinq ans. Ces 1 246 établissements avaient une activité très spécifique par rapport aux autres établissements impliqués dans les pôles : les trois quarts travaillaient dans les secteurs de l'information et de la communication et les activités spécialisées, scientifiques et techniques, contre 41 % pour l'ensemble des établissements membres des pôles, alors que 15 % seulement d'entre eux avaient une activité industrielle (41 % pour l'ensemble). Logiquement, une part notable (36 %) des sociétés de moins de cinq ans membres des pôles bénéficiait du dispositif « Jeunes entreprises innovantes » (JEI) en 2009 et un tiers des JEI étaient membres d'un pôle de compétitivité. ? Des effets favorables sur l'emploi Les établissements membres des pôles employaient 760 000 salariés, dont 268 000 cadres et professions intellectuelles supérieures, au 31 décembre 2008. Ils représentaient 3,3 % de l'emploi salarié total. Plus de 60 % de ces salariés étaient employés dans l'industrie, 15 % dans le secteur des activités spécialisées, scientifiques et techniques et 6 % dans l'information et la communication. ? Les projets financés en 2009 En 2009, le Fonds unique interministériel (FUI) a financé 184 projets pour un montant de 216 millions d'euros. Les collectivités locales ont émis l'intention d'en cofinancer la quasi-totalité (174 sur les 184 projets) pour un montant de 129 millions d'euros. Elles financent aussi, pour 41 millions d'euros, des projets de R&D des pôles non retenus par le FUI. Par ailleurs, en 2009, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a financé 251 projets pour un montant de 192 millions d'euros et Oséo a financé 554 projets pour un montant de 70 millions d'euros (hors programme ISI), ces projets ne regroupant pas ceux financés par le FUI. Si les projets financés par le FUI sont systématiquement des projets de R&D collaboratifs, ce n'est pas le cas des projets financés par Oséo et l'ANR, qui consistent aussi en des projets de R&D individuels. Enfin, on estime que les fonds européens ont financé 136 projets de R&D des pôles pour un montant de 117 millions d'euros. ? Des résultats encourageants Fin 2009, plus de 700 projets de R&D des pôles avaient abouti. La moitié d'entre eux ont permis l'introduction sur le marché de nouveaux produits ou la mise en oeuvre de nouveaux procédés de fabrication. 30 % visaient à produire de la connaissance en vue d'élaborer de nouveaux produits ou procédés et 20 % de la connaissance pure sans application commerciale directe. Par ailleurs, plus de 2 300 projets de R&D étaient en cours de réalisation.
Source : extraits des résultats de
l'enquête annuelle de la DGCIS
|
Malgré un bilan plutôt positif, l'évaluation des pôles de compétitivité a mis en évidence trois domaines dans lesquels le dispositif pourrait être amélioré :
- en matière de formation , ce dernier volet du triptyque « entreprises-recherche-formation » étant encore trop peu développé. Il conviendrait de prévoir par exemple que les pôles de compétitivité soient systématiquement représentés au conseil d'administration et/ou au conseil scientifique des universités spécialisés dans leur domaine de compétence , afin de permettre l'émergence de véritables « stratégies concertées » entre les deux structures. En la matière, l'Université de Valenciennes, étroitement associée au pôle de compétitivité I-Trans dans le domaine de la recherche sur les transports ferroviaires, constitue un exemple à suivre. Outre la programmation concertée des travaux de recherche avec le pôle, elle a mis en place des formations dédiées qui préparent les étudiants aux métiers d'avenir de la filière, telles que le Master en « systèmes de transports ferroviaires et guidés » ;
- des efforts sont également attendus en direction des PME , celles-ci n'étant pas encore systématiquement associées lors de la constitution des pôles. Le rapport précité de MM. Daunis et Houel signale toutefois des progrès dans ce domaine depuis le lancement du dispositif, puisque 90 % des nouvelles entreprises qui intègrent aujourd'hui les pôles sont des PME. D'ailleurs, les équipementiers de rang 1 ou 2 membres de pôles de compétitivité rencontrés par la mission se sont montrés plutôt positifs sur les effets bénéfiques de leur participation aux pôles de compétitivité 157 ( * ) . Ils ont ainsi fait valoir l'intérêt de « jouer groupés » autour des projets structurants pour ne pas « jouer contre la filière » , car le défi à relever est celui de l'exportation. Les PME ne craignent pas particulièrement la captation de leurs efforts de recherche par les grands groupes, mais elles souhaitent pouvoir, en contrepartie, s'adosser à eux pour affronter la concurrence des pays à bas coûts ;
- enfin, les délais de versement des crédits d'animation par le FUI doivent à l'avenir être réduits , certains crédits ayant été débloqués très tardivement et ayant retardé le démarrage de certains projets.
• À plus long terme, la mission considère que les pôles de compétitivité doivent être mis au service d'une véritable politique industrielle nationale . Or, jusqu'à présent, dans la majorité des cas, les pôles de compétitivité se sont constitués spontanément et localement, résultant le plus souvent de la présence historique de telle ou telle filière dans les territoires. Il convient désormais d'identifier en amont les secteurs d'avenir, afin de déterminer quels seront les axes de développement des pôles pour la troisième phase qui pourrait s'ouvrir à compter de 2012 . Le secteur des écotechnologies a d'ores et déjà été retenu ; il s'agit d'en identifier d'autres, afin que la France se positionne au plus tôt dans la compétition mondiale et prenne l'avantage dans « la course à l'innovation » qui s'engage dans ces secteurs.
• Par ailleurs, la visibilité internationale des pôles doit être améliorée. Seuls 25 % des pôles existants ont une vocation mondiale et à peine 10 % ont atteint la taille critique pour en avoir l'envergure. Il s'agit de développer des relations avec d'autres pôles ou clusters à l'échelon européen et international, voire d'envisager la mise en place de pôles européens dans le cadre d'une stratégie industrielle européenne. Pour y parvenir, certains ont évoqué la nécessité de regrouper certains pôles ou de les fusionner. Cette option n'est pas à écarter selon les cas, mais elle n'est pas dépourvue d'inconvénients, en particulier pour les territoires qui verraient disparaître un des pôles qu'ils ont contribué à développer.
• Reprenant certaines des préconisations du rapport précité de MM. Houel et Daunis, la mission estime également qu'il convient de :
- sécuriser les données industrielles produites par les pôles en les protégeant à la fois de la « délocalisation des centres de recherche » et du « pillage technologique » par certaines entreprises, avec des mécanismes juridiques conditionnant le versement des aides aux entreprises au dépôt d'une caution ;
- développer l'instauration de plateformes d'innovation mutualisant les moyens, les services et les ressources humaines au sein des pôles, ce qui permettra d'offrir aux PME une logistique et une ingénierie en matière de recherche et de conception qu'elles n'ont pas les moyens de financer seules, suivant ainsi le modèle des districts italiens, qui permettent aux PME de s'appuyer sur des créateurs ou des chercheurs financés par le district et non directement par l'entreprise ;
- mieux associer les régions au développement des pôles , en s'inspirant d'initiatives prises par certaines d'entre elles avec la constitution de pôles régionaux d'innovation et de développement économique solidaire (Prides) et en mobilisant davantage leur soutien financier et stratégique (aide régionale, participation à la définition de projets régionaux dans le cadre des appels à projets).
• Enfin, la mission considère nécessaire de mieux intégrer les PME/TPE et les ETI au sein des pôles de compétitivité . Ces entreprises doivent y trouver un accès à l'innovation, un réseau de compétences (recherche publique, formation, grands groupes), une ouverture à l'international, une ingénierie d'émergence de projets à l'intérieur de leur structure respective. Les pôles de compétitivité doivent également agir en liaison avec les pôles d'excellence rurale (PER).
La mission propose ainsi :
- d'engager une réflexion pour subordonner les aides de l'État à l'intégration effective des PME dans les projets soutenus par les pôles et à leur soutien à l'internationalisation ;
- d'orienter le soutien financier du FUI aux PME vers des subventions ou des prêts à taux zéro (de préférence aux prêts à intérêt) afin d'augmenter leur trésorerie et leur permettre des levées de fonds auprès d'investisseurs privés, indispensables pour leur accroissement.
• Par ailleurs les pôles doivent assumer leurs ressources de fonctionnement, mais ne peuvent pas faire payer leurs prestations. Quant à l'État, il s'est engagé dans un plan d'économies.
La mission propose en conséquence que les cotisations aux pôles de compétitivité soient éligibles au crédit d'impôt recherche . Cette éligibilité pourrait être totale pour les PME et les ETI, partielle pour les grands groupes, en fixant un plafond.
Le coût pour l'État paraît négligeable par rapport aux retombées économiques résultant de la valeur ajoutée amenée aux PME, d'autant qu'une telle mesure pourrait permettre de réduire plus rapidement les subventions publiques versées au fonctionnement des pôles.
Cela favorisera par ailleurs les pôles dynamiques qui s'efforcent de rassembler autour d'eux le plus grand nombre d'acteurs possible.
* 154 Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCID), « Le 4 Pages », n° 3, mai 2009.
* 155 67 pôles ont été labellisés par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) le 12 juillet 2005, puis plusieurs fusions de pôles et de nouvelles labellisations ont été décidées lors d'une deuxième et troisième vagues les 6 mars 2006 et 5 juillet 2007.
* 156 Rapport d'information (2009-2010) n° 40, « Les pôles de compétitivité : bilan et perspectives d'une politique industrielle et d'aménagement du territoire », fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, octobre 2009.
* 157 Voir le compte rendu de la table ronde avec les membres du pôle de compétitivité I-Trans à l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC) lors du déplacement de la mission dans le Nord le 9 novembre 2010.