2. Mobiliser les universités et les grandes écoles sur les projets industriels
a) La nécessité d'assurer une meilleure continuité du processus d'innovation, de la recherche fondamentale à la production industrielle

Ainsi que l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission, une des principales faiblesses de la France dans le domaine de la recherche-développement (R&D) réside dans sa difficulté à traduire les découvertes des chercheurs en innovations industrielles, c'est-à-dire en création de valeur ajoutée et d'emplois en France.

Deux raisons expliquent principalement ce manque de continuité dans le processus d'innovation :

- d'abord, l'insuffisance des liens entre entreprises , laboratoires de recherche et universités. Il s'agit donc de développer les partenariats dans ce domaine, en veillant à ce que les besoins des entreprises soient mieux pris en compte en termes de formation et de programmation des travaux de recherche ;

- ensuite, la difficulté à traduire les travaux des chercheurs en innovations industrielles . Pour progresser dans ce domaine, la mission suggère de réactiver les incubateurs technologiques créés par les universités et les grandes écoles pour favoriser la création d'entreprises innovantes à partir de travaux de recherche matures.

b) Développer la recherche partenariale finalisée et les partenariats « Grandes écoles - Universités - Entreprises »

Depuis une dizaine d'années, de nombreuses écoles et universités ont développé des activités de recherche en cohérence avec leur vocation pédagogique, en mettant l'accent sur la recherche partenariale finalisée , c'est-à-dire en associant plus largement les entreprises locales, les grands groupes nationaux et internationaux, pour qu'ils puissent orienter et contribuer au financement de la recherche publique ou pour mettre en oeuvre des projets mixtes associant laboratoires de recherche publiques et privés.

À cet égard, la plus grande autonomie accordée aux universités grâce à la réforme initiée par la loi sur les libertés et responsabilités des universités du 11 août 2007, devrait permettre d'accélérer la constitution de partenariats entreprises-universités.

En témoigne l'évolution de la représentation des entreprises dans les conseils d'administration des universités. Désormais, deux représentants, en moyenne, sont issus du monde socio-économique, au-delà du minimum prévu par la loi (un représentant). Plus d'une centaine d'entreprises sont recensées, aussi bien des grands groupes (près de 50 %) que des PME (près de 40 %), avec une représentation de tous les secteurs économiques.

Ainsi un nouveau paysage universitaire est en train d'émerger. Dans le même temps, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), créés en 2006, se développent : dix-neuf ont déjà été installés, dont quatre nouveaux en 2010. Ils permettent aux universités, grandes écoles et organismes de recherche, de mutualiser leurs activités et leurs moyens, avec pour objectif de proposer une offre de recherche et de formation plus cohérente, plus lisible et mieux adaptée aux besoins des territoires.

Par ailleurs, la loi d'orientation et de programme pour la recherche du 18 avril 2006, traduction législative du « Pacte pour la recherche », a permis de réelles avancées, notamment avec la création de l'Agence nationale de la recherche (ANR).

Le Pacte pour la recherche

Le Pacte pour la recherche poursuit six objectifs essentiels :

1. renforcer les capacités d'orientation stratégique de la recherche publique ;

2. bâtir un système d'évaluation unifié, cohérent et transparent de la recherche publique ;

3. rassembler les énergies et faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche ;

4. offrir aux chercheurs des carrières attractives et évolutives ;

5. intensifier la dynamique d'innovation et rapprocher davantage la recherche publique et la recherche privée ;

6. renforcer l'intégration du système français de recherche dans l'espace européen de la recherche.

Source : ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

L'Agence contribue ainsi au développement :

- d'une part, de la recherche partenariale de nature collaborative, issue des projets de recherche réalisés en réponse aux appels à projets de l'agence ;

- d'autre part, de la recherche contractuelle, qui lie étroitement des laboratoires publics et des entreprises au travers de contrats de recherche .

Les missions de l'Agence nationale de la recherche

L'Agence nationale de la recherche (ANR), établissement public à caractère administratif créé le 1 er janvier 2007, est une agence de financement de projets de recherche. Son objectif est d'accroître le nombre de projets de recherche, venant de toute la communauté scientifique, financés après mise en concurrence et évaluation par les pairs.

L'ANR s'adresse à la fois aux établissements publics de recherche et aux entreprises avec une double mission : produire de nouvelles connaissances et favoriser les interactions entre laboratoires publics et laboratoires d'entreprise en développant les partenariats.

La sélection des projets retenus dans le cadre d'appels à projets est effectuée sur des critères de qualité pour l'aspect scientifique auxquels s'ajoute la pertinence économique pour les entreprises.

Le financement de la recherche sur projets est un mécanisme très répandu dans de nombreux pays étrangers et constitue un facteur de dynamisme pour explorer les frontières de la science. Ce mode de financement est adapté tant à la recherche cognitive qu'à la recherche finalisée, qu'elle soit conduite dans la sphère publique ou en partenariat public-privé.

L'ANR bénéficie, pour l'année 2009, d'une capacité d'engagement de 840 millions d'euros pour des projets de recherche d'une durée maximale de quatre ans.

Source : site Internet de l'Agence nationale de la recherche .

Lors de ses déplacements, la mission a eu l'occasion d'observer plusieurs exemples de réussites en matière de développement des partenariats « entreprises-enseignement-recherche » :

- le technopôle de Sophia Antipolis, avec la présence sur le site d'une antenne de l'École des mines et de plusieurs centres de recherches spécialisés (Centre scientifique et technique du bâtiment [CSTB], Centre d'animation régional en matériaux avancés [Carma]) ;

Le travail en réseau de l'École des Mines à Sophia Antipolis

L'École des Mines forme des doctorants et des ingénieurs spécialisés plutôt que des ingénieurs civils.

Elle s'est installée à Sophia Antipolis, dans le cadre de la construction du technopôle voulu par Pierre Laffitte 158 ( * ) , en 1976, ce qui a permis de décentraliser les compétences et la formation de haut niveau de l'École du boulevard Saint-Michel dans le sud de la France.

La particularité et le succès de cette école résident dans le fait qu'elle travaille en réseau, en étroite symbiose avec les entreprises installées sur le site du technopôle et dans la région. Elle a acquis une telle notoriété qu'elle reçoit des commandes de recherche financées par plusieurs grands groupes d'envergure nationale, européenne et internationale, tels qu'EDF, Areva, Total ou encore Arcelor Mittal. Au total l'école a signé près de 1 000 contrats avec plus de 200 entreprises dont 30 % avec des partenaires étrangers. La plupart de ces études sont réalisées dans le cadre des pôles de compétitivité dont elle est partenaire ou dans le cadre de différents centres ou associations de recherches et d'études (Centre énergétique et de procédés [CEP], Pôle d'études et de recherches de Sophia Antipolis Nice [Persan]). Les sujets d'étude portent notamment sur : la mise en forme des matériaux, la sécurité industrielle (coeur de métier de l'école qui travaillait à l'origine en 1783 sur la prévention des risques miniers), sur les processus de production, les énergies renouvelables et les réseaux, les procédés de conversion,

Source : présentation de l'École des Mines par le professeur Jean-François Agassant, lors du déplacement de la mission à Sophia Antipolis.

- l' Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis (UVHC), qui s'est imposée comme le pilote à l'échelle régionale en matière de recherche dans le domaine des transports durables, en proposant des formations d'excellence, notamment un master en « systèmes de transports ferroviaires et guidés » destiné à former les experts de demain ;

L'Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis

Avec 10 500 étudiants et 650 chercheurs (dont 200 dans le domaine des transports), l'UVHC dispose de plusieurs laboratoires de référence dédiés à ces problématiques dont le Laboratoire d'Automatique et de Mécanique et d'Informations Industrielles et Humaines (LAMIH), possédant le label CNRS. Ce dernier pilote le CISIT, Campus Interdisciplinaire de recherche, d'innovation technologique et de formation à vocation internationale, centré sur la Sécurité et l'Intermodalité des Transports de surface. Le CISIT regroupe 350 chercheurs à l'échelle régionale qui travaillent pour douze laboratoires et trois centres de développement technologique régionaux, dont le Centre technologique en transports terrestres (C3T). Ainsi, dotée d'équipements importants dans le domaine du transport, l'UVHC aide les entreprises dans leur démarche de recherche, innovation et développement. Géré par une filiale de valorisation, Valutec SA, le C3T dispose de moyens d'essais importants répartis dans différents ateliers sur une surface totale de plus de 1 700 m 2 : catapulte, puits de chute, banc chocs piétons, vérins, chambre acoustique, simulateur de conduite, banc de manoeuvre et de freinage, simulation numérique, etc.

Source : présentation de l'UVHC par son président, M. Ourak,
lors du déplacement de la mission à Valenciennes.

- les partenariats noués entre laboratoires de recherche, grandes écoles et entreprises au sein des pôles de compétitivité à Toulouse , que ce soit dans le domaine de l'aéronautique avec « Aerospace Valley » ou de l'agroalimentaire avec « AgriMip ».

L'exemple du projet « Géowine » dans la région Midi-Pyrénées

Le projet « Géowine » vise à développer un système de géotraçabilité et d'authentification pour les producteurs de vins de Midi-Pyrénées, mais aussi de France et d'Europe. Il fournira aux producteurs une réponse à forte valeur ajoutée à la future directive vins en cours d'élaboration à la Direction générale de l'agriculture de la Commission européenne.

Son partenariat réunit une entreprise leader de la filière en Midi-Pyrénées, les producteurs Plaimont, la jeune entreprise innovante Prooftag qui a développé un système unique et breveté d'authentification, la Chambre de commerce et d'industrie du Gers qui a coordonné trois projets [...] sur la géotraçabilité, deux laboratoires des Universités Toulouse 1 et 3 (LEREPS et IRIT) et l'école d'ingénieurs en agronomie de Purpan. C'est un projet transversal labellisé par le pôle AgriMip Innovation qui devrait intéresser d'autres pôles, tel Vitagora.

Toutes les nouvelles étiquettes des vins européens appellation d'origine protégée (nouvelle directive européenne sur les vins) devraient être concernées par la solution de géotraçabilité proposée par « Géowine » qui permettra de certifier l'origine géographique tout au long de la chaîne jusqu'au consommateur. En termes d'authentification des bouteilles par les codes à bulles proposée par Géowine, le marché potentiel dépendra directement des coûts d'industrialisation étudiés dans le projet. En tout cas, la solution s'appliquera immédiatement aux vins de très grande qualité et aux alcools. Dans le cadre du projet, dix emplois en CDD seront crées sur une période de trois ans avec en particulier un service R&D chez Plaimont.

Au delà des chiffres d'affaires et des emplois, il s'agit de valoriser les vins français dans la nouvelle compétition mondiale qui s'instaure avec l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, la baisse relative de la consommation individuelle. En résumé, la solution Géowine doit contribuer à restaurer les parts de marché des vins européens à l'exportation.

Source : pôle de compétitivité AgriMip.

Dans les trois cas, on observe :

- une forte imbrication des enseignements et des structures de recherche ;

- le développement d'une logique contractuelle entre entreprises et centres de recherches, qui conduit à drainer des financements privés vers la recherche universitaire et à orienter la programmation des travaux de recherche de l'École et de l'Université en fonction des commandes des entreprises ;

- la volonté de mettre en place des formations en adéquation avec les besoins identifiés par les entreprises.

Toutefois, le développement de cette logique partenariale n'a pas encore eu toutes les conséquences que l'on pourrait en attendre :

- les doctorants sont encore trop faiblement payés (de l'ordre de 300 euros par mois). La mission considère que leurs travaux pourraient être rémunérés en partie par les entreprises qui les commandent, augmentant ainsi leur rémunération ;

- le système de mise à disposition de doctorants auprès des PME et TPE est encore trop peu utilisé. La mission préconise en la matière une certaine flexibilité de l'organisation en permettant au chercheur de consacrer une à deux demi-journées par semaine à une entreprise et d'être rémunéré au moyen d'un « chèque emploi-recherche ». Ainsi que l'a souligné un des interlocuteurs rencontrés lors de la visite du CSTB, il s'agit d' « irriguer les PME avec de la matière grise » . Une partie de la mission est attentive à ne pas précariser ainsi des doctorants et suggère au préalable une concertation avec le monde la recherche qui pourrait préférer des contrats plus protecteurs sur le mode de groupements d'employeurs.


* 158 Pierre Laffitte a été sénateur des Alpes-Maritimes de mai 1985 à septembre 2008.

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