2. L'amélioration de la vocation successorale légale du conjoint survivant

Améliorer le sort des conjoints survivants a principalement consisté à améliorer leur vocation successorale légale, c'est-à-dire les droits successoraux qui sont les leurs à défaut de testament (a), et à leur reconnaître la qualité d'héritiers réservataires subsidiaires (b). Les principes régissant le calcul et l'exercice des droits successoraux ont été adaptés afin de préserver les intérêts des successibles réservataires, ainsi que la liberté testamentaire du défunt (c).

a) Nature et montant des droits légaux du conjoint survivant

En présence de descendants du couple :

La loi a créé pour le conjoint survivant une option entre l'usufruit de la totalité de la succession et le quart en propriété (art. 757 du code civil). L'usufruit est la solution la plus adaptée au maintien du conjoint dans ses conditions de vie antérieure, mais il peut donner lieu à des difficultés de gestion avec les enfants, nus-propriétaires, ou porter sur une masse bien supérieure aux besoins de l'intéressé, ce qui rend la part en pleine propriété plus attractive.

Tout héritier a la possibilité d'inviter le conjoint à exercer son option dans les trois mois. En l'absence d'option, l'usufruit est présumé avoir été choisi (art. 758-3 et 758-4). Le conjoint, un héritier ou le nu-propriétaire peut demander la conversion de l'usufruit en rente viagère. La conversion en capital n'est possible qu'avec l'accord du conjoint lui-même. La même règle s'applique d'ailleurs à l'usufruit portant sur le logement occupé par le conjoint à titre de résidence principale et sur les meubles le garnissant (art. 759 à 762).

En présence d'enfants qui ne sont pas tous communs au couple :

Le conjoint ne peut recevoir que le quart en propriété (art. 757).

Ce choix du législateur s'explique par la volonté d'éviter les conflits entre le conjoint et les enfants d'une autre union. En outre l'usufruit est apparu susceptible de préjudicier aux droits des enfants d'une autre union si le dernier conjoint du défunt était de la même génération que ces derniers : privés de la jouissance du bien dont ils n'auraient eu que la nue-propriété, les enfants n'en auraient connu que la charge, sans pouvoir raisonnablement prévoir que le conjoint décède avant eux pour leur permettre de récupérer la pleine propriété du bien.

En présence des père et mère du défunt :

Le conjoint recueille la moitié de la succession au titre de la vocation successorale légale, s'ils sont tous les deux en vie, et les trois quarts si un seul des parents demeure (art. 757-1).

En l'absence de descendants ou de parents :

Le conjoint recueille la totalité de la succession (art. 757-2), sous réserve d'un droit de retour légal de moitié , au bénéfice des frères et soeurs du défunt, sur les biens reçus des parents qui se retrouveraient en nature dans la succession (art. 757-3). Ce droit de retour légal vise à conserver partiellement les biens de famille dans la lignée : il permet aux frères et soeurs de revendiquer la moitié de ces biens en propriété, l'autre moitié des biens revenant au conjoint. À défaut d'une répartition équilibrée des biens, une indivision est créée entre le conjoint survivant et les frères et soeurs du défunt sur les biens restant à partager.

Les droits successoraux ab intestat du conjoint survivant avant et après les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006

Parents laissés par le défunt

Situation antérieure

Dispositions de la loi du
3 décembre 2001

Modifications apportées par la loi du 23 juin 2006

Descendants (enfants, petits enfants)

¼ en usufruit

Si tous les enfants sont communs :

- option entre le ¼ en propriété ou la totalité en usufruit

Si les enfants sont de lits différents :

- ¼ en propriété

Enfants adultérins uniquement :

Distinction devenue sans objet

en présence d'ascendants dans chaque ligne ou de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

en présence d'ascendants dans une seule ligne (sans collatéraux privilégiés)

¼ en propriété

en l'absence d'ascendants et de collatéraux privilégiés

½ en propriété

En l'absence de descendants :

Des ascendants dans les lignes paternelle et maternelle

½ en usufruit

½ en propriété

Suppression de la qualité d'héritier réservataire des ascendants au profit d'un droit de retour légal sur les biens donnés au défunt par la loi du 23 juin 2006

Des ascendants dans une seule ligne :

¾ en propriété

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

- pas de collatéraux privilégiés

½ en propriété

En l'absence d'ascendants et de descendants :

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

totalité en propriété, sous réserve d'un droit de retour légal, au bénéfice des frères et soeurs du défunt, sur les biens reçus des parents qui se retrouveraient en nature dans la succession

- pas de collatéraux privilégiés

totalité en propriété

totalité en propriété

b) La qualité d'héritier réservataire subsidiaire

À l'origine, le conjoint s'est vu reconnaître la qualité d'héritier réservataire subsidiaire (art. 914-1), en l'absence d'enfant ou d'ascendant du défunt, pour le quart de la succession.

Ceci signifiait que le défunt ne pouvait, même par testament, priver son conjoint du quart de la succession (sa réserve). Cependant cette réserve n'était que subsidiaire, puisqu'elle ne jouait qu'en l'absence d'enfant ou d'ascendant, ces derniers ayant, eux, la qualité d'héritiers réservataires de premier et second rang.

Ce point a été modifié en 2006 . Les parents ont perdu leur qualité d'héritiers réservataires de second rang, venant après les enfants (anc. art. 914). Les seuls héritiers réservataires sont donc maintenant les enfants, et, à défaut, le conjoint survivant.

En compensation, le législateur a prévu que les parents bénéficient, en l'absence de descendants, d'un droit de retour légal sur les biens qu'ils ont eux-mêmes transmis au défunt (art. 738-2), qui s'exerce cependant dans les limites de la quote-part (un quart pour chacun) à laquelle ils ont droit si d'autres héritiers viennent en concurrence.

c) L'exercice des droits successoraux

Une fois les droits successoraux du conjoint survivant fixés en fonction des successibles venant en concurrence, il convenait de déterminer la masse successorale à partir de laquelle ils seraient calculés et celle sur laquelle ils s'exerceraient.

Le choix du législateur pouvait porter sur deux masses de biens distinctes : celle qui se réduit aux biens dits « existants », c'est-à-dire à ceux qui composent le patrimoine du défunt au moment de son décès ; ou bien, celle qui s'étend à certaines des libéralités que le défunt avait pu consentir auparavant, en anticipant ainsi sur la distribution des biens qui devrait être opérée à sa mort. Ce dernier choix pouvait être motivé par l'idée que la succession ne se limite pas au seul patrimoine existant au moment du décès, mais aussi aux biens déjà répartis par le défunt de son vivant, qui s'assimilent à une avance sur la succession (ou « avancement d'hoirie »). L'opération consistant à reconstituer fictivement la masse des biens existants et celle des biens donnés par le défunt en avancement d'hoirie porte le nom de « rapport successoral ».

Finalement, le législateur a choisi de consacrer la règle antérieure, en distinguant la masse de calcul et la masse d'exercice des droits.

Les droits successoraux du conjoint survivant sont ainsi calculés à partir de l'ensemble des biens existants fictivement augmentés des legs et donations consentis par le défunt et dont il n'a pas exclu qu'ils puissent faire l'objet d'un rapport (art. 758-5).

En revanche, conformément à la position du Sénat, et contrairement à celle initialement défendue par l'Assemblée nationale, le conjoint n'est autorisé à exercer ces droits, c'est-à-dire à prélever la part qui lui revient sur la succession, que sur les biens existants, sans préjudice des droits de retour et de réserve des autres héritiers.

En effet, permettre au conjoint survivant de prélever sa part sur d'autres biens que les biens existants aurait eu pour conséquence, si ces droits étaient supérieurs à la valeur des biens existants, de remettre en cause certaines des libéralités consenties par le défunt. Or, ainsi que l'observait notre collègue Nicolas About, « le rapport des donations joue au bénéfice des héritiers réservataires de manière à garantir à chacun l'intégralité de sa réserve. En l'absence de volonté contraire du défunt, ce rapport permet en outre de préserver une stricte égalité entre les héritiers. Mais il n'aurait pas de justification à l'égard du conjoint survivant qui se trouve dans une situation spécifique » 14 ( * ) . En outre, la volonté de maintenir ce dernier dans ses conditions de vie antérieures impose de lui permettre ne disposer que des biens existants, c'est-à-dire de ceux dont il avait la jouissance quand il partageait la vie du défunt. Enfin, il convenait aussi de préserver la réserve des enfants et d'éviter que l'exercice par le conjoint de ses droits successoraux n'y porte atteinte.

Cette distinction entre la masse d'exercice et la masse de calcul et le fait que les droits en propriété du conjoint ne peuvent préjudicier aux droits des héritiers réservataires est cependant susceptible de réduire à néant la vocation successorale du conjoint survivant. Comme le relève M. le professeur Pierre Catala, « en présence de descendants du défunt, le conjoint survivant se trouve confronté à des héritiers réservataires alors qu'il ne l'est pas lui-même. Il est donc normal que les réservataires soient servis par priorité ; si tous les biens existants sont employés à les pourvoir, l'époux survivant ne recueillera rien. [...] Il suffit que le prémourant ait donné ou légué le disponible à d'autres qu'au conjoint pour que celui-ci ne trouve rien à prendre dans la succession. Exemple : libéralité hors part 300, biens existants 600, 2 enfants. Réserve = 600 [soit les 2/3 de la masse de calcul (bien existant+biens rapportés) 600+300]. Part du conjoint = 0 » 15 ( * ) . Il ne s'agit là cependant que de la conséquence du respect combiné de la réserve et de la liberté testamentaire du défunt, qui peut organiser sa succession au détriment de son conjoint.

L'article 1094-1 du code civil prévoit que le prémourant peut doter son conjoint à hauteur d'une « quotité disponible spéciale », égale soit à la quotité disponible ordinaire (c'est-à-dire à ce dont le défunt peut disposer en faveur d'un tiers au-delà de la réserve), soit à un quart en propriété et trois quarts en usufruit, soit à la totalité en usufruit.

Lorsque le conjoint survivant a été doté par le défunt, en plus de sa vocation successorale légale, la question se pose de la réserve des enfants, puisque cette libéralité ne peut y porter préjudice. À l'origine, la loi du 3 décembre 2001 n'a pas tranché cette question, ce qui a suscité une incertitude juridique, levée par la loi du 23 juin 2006 16 ( * ) qui a posé le principe d'une imputation des libéralités reçues par le conjoint sur ses droits dans la succession ( cf. ci-dessous).


* 14 Rapport précité, p. 30.

* 15 Jurisclasseur civil , art. 756 à 767, fasc. 10, n° 82.

* 16 Cf. infra .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page