Rapport d'information n° 476 (2010-2011) de MM. Dominique de LEGGE et Jacques MÉZARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 avril 2011

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N° 476

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 avril 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par le groupe de travail (2) sur le bilan d' application de la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant ,

Par MM. Dominique de LEGGE et Jacques MÉZARD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. Yves Détraigne , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung, François Zocchetto.

(1) Ce groupe de travail est composé de : MM. Dominique de Legge et Jacques Mézard.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le législateur s'est attelé, depuis plusieurs années, au vaste chantier de la réforme du code civil. Il s'agit d'adapter la constitution civile de la France aux évolutions de notre société, et d'apporter aux nouvelles questions qui se posent les réponses idoines, sans pour autant remettre en cause les fondements de notre droit. La liste des matières déjà traitées est longue : divorce, partenariat et concubinage, filiation, autorité parentale, tutelles et curatelles, prescriptions, successions et libéralités... L'oeuvre ainsi engagée procède par touches, chaque réforme répondant à une difficulté ou une matière clairement identifiée.

La loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral ne fait pas exception à cette règle. Elle trouve son origine dans le constat unanimement dressé à l'époque de la situation défavorable du conjoint survivant lorsque le défunt n'avait pas réglé, en amont, sa succession. Cette situation précaire pouvait même se dégrader encore, pour peu que s'y ajoutent la maladie, des difficultés dans la réversion de la pension ou un conflit avec des enfants d'un autre lit. Le sort ainsi réservé au conjoint survivant apparaissait en décalage avec l'importance renouvelée conférée aux liens d'affection, comme les règles successorales l'étaient avec les évolutions sociales qui touchaient les familles, en privilégiant la lignée sur le lien.

L'enjeu pratique d'une telle réforme était évident. Il se doublait d'un enjeu symbolique majeur, ainsi que le rappelait notre ancien collègue Nicolas About, rapporteur en première lecture de la proposition de loi au Sénat pour votre commission : « au-delà de questions purement techniques et procédurales, les règles fixées par le législateur pour la dévolution successorale légale sont fondamentales en ce qu'elles reflètent une conception de l'organisation sociale. Déterminer les droits du conjoint survivant conduit ainsi à revoir la place du conjoint par rapport à la famille par le sang, donc celle du mariage par rapport au lignage, et à s'interroger sur les conséquences de la multiplication des familles conjugales recomposées » 1 ( * ) .

À ce double enjeu, le Sénat en a ajouté un troisième. La réforme des successions, dont l'intérêt n'était pas contesté, était en débat depuis vingt ans et sans cesse ajournée. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a souhaité saisir l'occasion de la remise à plat des règles successorales qu'imposaient l'amélioration des droits du conjoint survivant, pour entamer les travaux parlementaires sur cette plus vaste réforme, qui a finalement abouti avec la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Le pari engagé en 2001 était ambitieux autant que nécessaire. Consciente de l'importance des choix effectués à l'époque et soucieuse d'exercer un contrôle vigilant sur la portée des lois adoptées par le Parlement, votre commission a souhaité, dix ans après le vote de la loi relative aux droits du conjoint survivant, s'assurer qu'elle avait correctement rempli son office et répondu aux attentes qui s'étaient exprimées lors des débats, sans susciter de difficultés nouvelles auxquelles il lui appartiendrait de porter remède.

À cette fin, elle a constitué le 22 décembre 2009 un groupe de travail, composé de vos deux rapporteurs, chargé de dresser le bilan de l'application de la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant.

En dépit de l'importance qu'ont revêtues les dispositions de cette loi relatives à la refonte générale du droit des successions et à la reconnaissance de l'égalité des droits successoraux des enfants légitimes et des enfants naturels ou adultérins, vos rapporteurs les ont écarté de leur champ d'étude, parce qu'elles relèvent de réformes plus vastes et doivent être envisagées dans cette perspective 2 ( * ) . Le présent rapport se concentre donc sur l'amélioration des droits du conjoint survivant, qui a constitué l'objectif premier du texte étudié.

Au terme des travaux qu'ils ont menés et des auditions qu'ils ont conduites, vos rapporteurs souhaitent souligner un fait parfois trop rare pour ne pas s'en féliciter, lorsqu'il est acquis : la loi du 3 décembre 2001 a donné pleine et entière satisfaction à toutes les parties intéressées. Il s'agit d'une bonne et paisible loi, en phase avec les évolutions de la société française, qui a largement amélioré la situation du conjoint survivant, sans susciter jusqu'à présent de contentieux abondant ni de difficultés majeures et qui n'appelle aucune modification importante.

I. UNE LOI ATTENDUE QUI A NETTEMENT AMÉLIORÉ LA SITUATION DU CONJOINT SURVIVANT

A. LES FONDEMENTS DE LA RÉFORME

La loi du 3 décembre 2001 trouve son origine dans un double constat, d'ordre juridique et sociologique.

En premier lieu, le droit successoral était défavorable au conjoint survivant, qui ne pouvait voir sa situation améliorée qu'à la condition que le défunt ait pris des dispositions testamentaires expresses ou procédé antérieurement à des libéralités en sa faveur (1). Le vieillissement de la population et l'allongement de la durée de vie des veufs ou veuves rendaient ce problème d'autant plus prégnant.

En second lieu, les règles de dévolution successorale, qui traduisaient une certaine conception de l'ordre familial et de l'organisation sociale apparaissaient en décalage avec les évolutions de la société (2).

1. Un droit successoral antérieur défavorable au conjoint survivant

Traditionnellement, et jusqu'à l'adoption de la loi du 3 décembre 2001, le conjoint survivant était présenté comme le « parent pauvre » du droit des successions, qui lui était défavorable.

Cet opprobre remontait au code Napoléon qui ne permettait au conjoint d'hériter qu'en l'absence d'héritiers jusqu'au douzième degré. Le conjoint qui souhaitait améliorer le sort de celui qui lui survivrait devait se tourner soit vers les dispositions de son régime matrimonial, et notamment celles relatives à la communauté universelle, soit vers celles des libéralités entre vifs ou à cause de mort, par exemple les donations au dernier vif, c'est-à-dire celles qui iront à celui qui survivra à l'autre.

En l'absence d'un régime matrimonial favorable, le conjoint survivant ne pouvait prétendre à aucun droit dans les successions ab intestat , c'est-à-dire sans testament.

Afin de porter remède aux situations les plus dramatiques, qui survenaient notamment lorsque le décès frappait un couple jeune qui n'avait pas encore préparé sa succession, la loi a progressivement amélioré la protection offerte au conjoint survivant.

Ainsi, une première loi du 9 mars 1891 lui reconnaît un droit limité d'usufruit sur la succession, variable selon le degré de parenté des autres successibles avec le défunt. Son rang d'inscription dans la succession est ramené par la loi du 31 décembre 1917 du douzième au sixième. Le conjoint survivant accède ensuite, avec les lois du 3 décembre 1930 et du 26 mars 1957 à des droits en pleine propriété sur la succession, même en l'absence de testament, à la condition cependant qu'il n'y ait plus d'ascendants et de collatéraux dans au moins une ligne successorale. En revanche, il ne se voyait reconnaître aucun droit particulier sur le domicile commun, le régime matrimonial étant censé y pourvoir en lui permettant de recevoir, dans le cas d'une communauté, la moitié des biens communs.

Avant le vote de la loi du 3 décembre 2001, la situation du conjoint survivant était en conséquence la suivante :

Parents laissés par le défunt

Sans testament
ou donation

Avec testament
ou donation

- Descendants
(enfants, petits enfants)

¼ en usufruit

- ¼ en propriété et ¾ en usufruit
- ou la totalité en usufruit
- ou, en propriété :

½ si un enfant

? si deux enfants
(¼ si trois enfants)

- Enfants adultérins uniquement :

en présence d'ascendants dans chaque ligne ou de collatéraux privilégiés (frère, soeur, neveu, nièce)

½ en usufruit



- ¾ des biens en propriété

en présence d'ascendants dans une seule ligne (sans collatéraux privilégiés)

¼ en propriété

- ou ½ en propriété et ½ en usufruit
- ou totalité en usufruit

en l'absence d'ascendants et de collatéraux privilégiés

½ en propriété

- En l'absence de descendants :

- Des ascendants dans les lignes paternelle et maternelle (père, mère ou grands-parents)

½ en usufruit

½ en propriété et ½ en nue propriété

- Des ascendants dans une seule ligne :

- présence de collatéraux privilégiés (frère, soeur, neveu ou nièce)

½ en usufruit

¾ en propriété et ¼ en nue propriété

- pas de collatéraux privilégiés

½ en propriété

¾ en propriété et ¼ en nue propriété

- Pas d'ascendants :

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

totalité en propriété

- pas de collatéraux privilégiés

totalité en propriété

totalité en propriété

Le droit en vigueur à l'époque permettait certes de pourvoir par testament aux besoins du conjoint survivant, puisque ce dernier pouvait recevoir ainsi, même en présence d'enfants, l'usufruit sur la totalité ou sur les trois quarts avec un quart en propriété, ou une autre part en propriété. De la même manière il pouvait être institué bénéficiaire d'une assurance vie. Mais, à l'inverse, rien n'interdisait au défunt de le priver de tous ses droits. En outre, en l'absence de testament, le conjoint survivant ne recueillait qu'une part d'usufruit, limitée à un quart en présence de descendants. Or, les successions ab intestat (c'est-à-dire sans testament) représentaient chaque année, selon les évaluations fournies par les notaires, environ 20 % des successions ouvertes à la suite du décès de l'un des deux époux, soit environ 44 000 conjoints survivant 3 ( * ) , dont plus des trois quarts étaient des veuves 4 ( * ) .

2. La volonté d'adapter les règles applicables aux évolutions économiques, sociales et culturelles qui ont touché la famille

Les évolutions sociologiques et économiques qui ont affecté la famille ont joué un grand rôle dans les arbitrages réalisés par la loi du 3 décembre 2001, puisqu'elles ont construit le cadre dans lequel la réflexion s'est déployée et justifié le rééquilibrage de la place du conjoint survivant par rapport à celle de la famille dans la dévolution successorale légale.

La première évolution prise en compte a été « le resserrement des liens autour du noyau conjugal, la famille « nucléaire » prenant le pas sur la famille élargie. Le conjoint n'est plus perçu comme l'étranger dont il faut se défier mais comme le co-fondateur de cette famille nucléaire. Le mariage n'est plus considéré comme une institution à des fins patrimoniales unissant deux familles mais comme la consécration de deux volontés individuelles de s'unir pour des raisons affectives » 5 ( * ) . Le ménage a pris de l'importance au détriment du lignage, l'alliance au détriment de la parenté. La place prépondérante occupée par le conjoint est alors apparue en décalage avec la vocation successorale amoindrie dont il bénéficiait.

Concomitamment, les modèles familiaux se sont diversifiés, avec l'apparition des familles recomposées, ce qui rendait plus difficile l'application d'une solution successorale uniforme.

Le droit des successions organisant une transmission patrimoniale, le changement dans la composition des fortunes a lui aussi imposé de reconsidérer les règles en vigueur : le patrimoine des ménages se composait ainsi, plus qu'avant, de biens acquis pendant le mariage et moins de biens hérités de la famille, ce qui diminuait d'autant la nécessité de les conserver dans la même ligne successorale.

Enfin, l'allongement de la durée de vie a eu pour conséquence que les enfants héritent à un âge où ils ont constitué leur patrimoine et ont moins besoin de recueillir un patrimoine pour s'établir. Le conjoint survivant est, lui, plus âgé, parfois malade - ce qui renchérit considérablement les dépenses qui lui sont nécessaires, et il ne bénéficie plus que de revenus de substitution, ce qui peut justifier qu'il soit plus doté.

B. LE CONTENU DE LA RÉFORME

La loi du 3 décembre 2001 trouve juridiquement son origine dans deux propositions de loi, la première déposée à l'Assemblée nationale et adoptée en première lecture le 8 février 2001 6 ( * ) , la seconde jointe à l'examen de cette dernière par la commission des lois du Sénat 7 ( * ) . Mais intellectuellement, elle constitue l'aboutissement d'une réflexion engagée alors depuis près de dix ans, faisant suite aux travaux du groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et le professeur Catala, au rapport de Mme Irène Théry 8 ( * ) et à celui du groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Défossez 9 ( * ) , ainsi qu'à un premier projet de loi déposé en 1991 sur le bureau de l'Assemblée nationale par M. Michel Sapin 10 ( * ) et un second, plus général, par M. Pierre Méhaignerie en 1995 11 ( * ) .

1. Les principes retenus

Le législateur a été guidé par plusieurs principes qui, de l'aveu de notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur de votre commission des lois lors de la seconde lecture du texte, ont pu être difficile à concilier 12 ( * ) .

Il s'est agi, en premier lieu, de permettre au conjoint de garder les conditions de vie les plus proches possibles de ses conditions de vie antérieures. C'est ce qui a motivé la position du Sénat sur la possibilité pour l'intéressé de choisir l'usufruit et sur le droit d'habitation du logement servant de résidence principale.

La seconde préoccupation a été de tenir compte de la présence d'enfant d'un premier lit, ce qui imposait de différencier les solutions en fonction des situations familiales. Il fallait en effet veiller à ce que les premiers enfants ne voient pas les biens de leur parent divertis au profit des enfants du conjoint survivant, parce qu'ils seraient entièrement revenus à ce dernier. De la même manière, il convenait d'éviter qu'un conjoint de la même génération que les enfants du premier lit, puisse conserver durablement l'usufruit de biens dont ces derniers n'auraient été que nus-propriétaires.

Le législateur a souhaité ne pas écarter complètement la famille par le sang, ce qui conduisait à reconnaître des droits successoraux aux frères et soeurs et aux grands-parents et apporter une protection aux biens de famille en prévoyant un droit de retour légal. Ainsi que le rappelait notre collègue Nicolas About, dans son rapport de première lecture, « il ne convient pas de passer d'une situation où le conjoint était exclu par la famille par le sang à une situation où il exclurait lui-même cette famille. Il faut trouver un équilibre entre ces deux extrêmes » 13 ( * ) .

Un dernier principe a été pris en compte dans les débats : le respect de la liberté testamentaire du défunt. En effet, les liens d'affection n'imposent pas les mêmes restrictions que les liens du sang, ce qui autorise à ne pas conférer au conjoint survivant la qualité d'héritier réservataire au même titre que les enfants.

2. L'amélioration de la vocation successorale légale du conjoint survivant

Améliorer le sort des conjoints survivants a principalement consisté à améliorer leur vocation successorale légale, c'est-à-dire les droits successoraux qui sont les leurs à défaut de testament (a), et à leur reconnaître la qualité d'héritiers réservataires subsidiaires (b). Les principes régissant le calcul et l'exercice des droits successoraux ont été adaptés afin de préserver les intérêts des successibles réservataires, ainsi que la liberté testamentaire du défunt (c).

a) Nature et montant des droits légaux du conjoint survivant

En présence de descendants du couple :

La loi a créé pour le conjoint survivant une option entre l'usufruit de la totalité de la succession et le quart en propriété (art. 757 du code civil). L'usufruit est la solution la plus adaptée au maintien du conjoint dans ses conditions de vie antérieure, mais il peut donner lieu à des difficultés de gestion avec les enfants, nus-propriétaires, ou porter sur une masse bien supérieure aux besoins de l'intéressé, ce qui rend la part en pleine propriété plus attractive.

Tout héritier a la possibilité d'inviter le conjoint à exercer son option dans les trois mois. En l'absence d'option, l'usufruit est présumé avoir été choisi (art. 758-3 et 758-4). Le conjoint, un héritier ou le nu-propriétaire peut demander la conversion de l'usufruit en rente viagère. La conversion en capital n'est possible qu'avec l'accord du conjoint lui-même. La même règle s'applique d'ailleurs à l'usufruit portant sur le logement occupé par le conjoint à titre de résidence principale et sur les meubles le garnissant (art. 759 à 762).

En présence d'enfants qui ne sont pas tous communs au couple :

Le conjoint ne peut recevoir que le quart en propriété (art. 757).

Ce choix du législateur s'explique par la volonté d'éviter les conflits entre le conjoint et les enfants d'une autre union. En outre l'usufruit est apparu susceptible de préjudicier aux droits des enfants d'une autre union si le dernier conjoint du défunt était de la même génération que ces derniers : privés de la jouissance du bien dont ils n'auraient eu que la nue-propriété, les enfants n'en auraient connu que la charge, sans pouvoir raisonnablement prévoir que le conjoint décède avant eux pour leur permettre de récupérer la pleine propriété du bien.

En présence des père et mère du défunt :

Le conjoint recueille la moitié de la succession au titre de la vocation successorale légale, s'ils sont tous les deux en vie, et les trois quarts si un seul des parents demeure (art. 757-1).

En l'absence de descendants ou de parents :

Le conjoint recueille la totalité de la succession (art. 757-2), sous réserve d'un droit de retour légal de moitié , au bénéfice des frères et soeurs du défunt, sur les biens reçus des parents qui se retrouveraient en nature dans la succession (art. 757-3). Ce droit de retour légal vise à conserver partiellement les biens de famille dans la lignée : il permet aux frères et soeurs de revendiquer la moitié de ces biens en propriété, l'autre moitié des biens revenant au conjoint. À défaut d'une répartition équilibrée des biens, une indivision est créée entre le conjoint survivant et les frères et soeurs du défunt sur les biens restant à partager.

Les droits successoraux ab intestat du conjoint survivant avant et après les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006

Parents laissés par le défunt

Situation antérieure

Dispositions de la loi du
3 décembre 2001

Modifications apportées par la loi du 23 juin 2006

Descendants (enfants, petits enfants)

¼ en usufruit

Si tous les enfants sont communs :

- option entre le ¼ en propriété ou la totalité en usufruit

Si les enfants sont de lits différents :

- ¼ en propriété

Enfants adultérins uniquement :

Distinction devenue sans objet

en présence d'ascendants dans chaque ligne ou de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

en présence d'ascendants dans une seule ligne (sans collatéraux privilégiés)

¼ en propriété

en l'absence d'ascendants et de collatéraux privilégiés

½ en propriété

En l'absence de descendants :

Des ascendants dans les lignes paternelle et maternelle

½ en usufruit

½ en propriété

Suppression de la qualité d'héritier réservataire des ascendants au profit d'un droit de retour légal sur les biens donnés au défunt par la loi du 23 juin 2006

Des ascendants dans une seule ligne :

¾ en propriété

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

- pas de collatéraux privilégiés

½ en propriété

En l'absence d'ascendants et de descendants :

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

totalité en propriété, sous réserve d'un droit de retour légal, au bénéfice des frères et soeurs du défunt, sur les biens reçus des parents qui se retrouveraient en nature dans la succession

- pas de collatéraux privilégiés

totalité en propriété

totalité en propriété

b) La qualité d'héritier réservataire subsidiaire

À l'origine, le conjoint s'est vu reconnaître la qualité d'héritier réservataire subsidiaire (art. 914-1), en l'absence d'enfant ou d'ascendant du défunt, pour le quart de la succession.

Ceci signifiait que le défunt ne pouvait, même par testament, priver son conjoint du quart de la succession (sa réserve). Cependant cette réserve n'était que subsidiaire, puisqu'elle ne jouait qu'en l'absence d'enfant ou d'ascendant, ces derniers ayant, eux, la qualité d'héritiers réservataires de premier et second rang.

Ce point a été modifié en 2006 . Les parents ont perdu leur qualité d'héritiers réservataires de second rang, venant après les enfants (anc. art. 914). Les seuls héritiers réservataires sont donc maintenant les enfants, et, à défaut, le conjoint survivant.

En compensation, le législateur a prévu que les parents bénéficient, en l'absence de descendants, d'un droit de retour légal sur les biens qu'ils ont eux-mêmes transmis au défunt (art. 738-2), qui s'exerce cependant dans les limites de la quote-part (un quart pour chacun) à laquelle ils ont droit si d'autres héritiers viennent en concurrence.

c) L'exercice des droits successoraux

Une fois les droits successoraux du conjoint survivant fixés en fonction des successibles venant en concurrence, il convenait de déterminer la masse successorale à partir de laquelle ils seraient calculés et celle sur laquelle ils s'exerceraient.

Le choix du législateur pouvait porter sur deux masses de biens distinctes : celle qui se réduit aux biens dits « existants », c'est-à-dire à ceux qui composent le patrimoine du défunt au moment de son décès ; ou bien, celle qui s'étend à certaines des libéralités que le défunt avait pu consentir auparavant, en anticipant ainsi sur la distribution des biens qui devrait être opérée à sa mort. Ce dernier choix pouvait être motivé par l'idée que la succession ne se limite pas au seul patrimoine existant au moment du décès, mais aussi aux biens déjà répartis par le défunt de son vivant, qui s'assimilent à une avance sur la succession (ou « avancement d'hoirie »). L'opération consistant à reconstituer fictivement la masse des biens existants et celle des biens donnés par le défunt en avancement d'hoirie porte le nom de « rapport successoral ».

Finalement, le législateur a choisi de consacrer la règle antérieure, en distinguant la masse de calcul et la masse d'exercice des droits.

Les droits successoraux du conjoint survivant sont ainsi calculés à partir de l'ensemble des biens existants fictivement augmentés des legs et donations consentis par le défunt et dont il n'a pas exclu qu'ils puissent faire l'objet d'un rapport (art. 758-5).

En revanche, conformément à la position du Sénat, et contrairement à celle initialement défendue par l'Assemblée nationale, le conjoint n'est autorisé à exercer ces droits, c'est-à-dire à prélever la part qui lui revient sur la succession, que sur les biens existants, sans préjudice des droits de retour et de réserve des autres héritiers.

En effet, permettre au conjoint survivant de prélever sa part sur d'autres biens que les biens existants aurait eu pour conséquence, si ces droits étaient supérieurs à la valeur des biens existants, de remettre en cause certaines des libéralités consenties par le défunt. Or, ainsi que l'observait notre collègue Nicolas About, « le rapport des donations joue au bénéfice des héritiers réservataires de manière à garantir à chacun l'intégralité de sa réserve. En l'absence de volonté contraire du défunt, ce rapport permet en outre de préserver une stricte égalité entre les héritiers. Mais il n'aurait pas de justification à l'égard du conjoint survivant qui se trouve dans une situation spécifique » 14 ( * ) . En outre, la volonté de maintenir ce dernier dans ses conditions de vie antérieures impose de lui permettre ne disposer que des biens existants, c'est-à-dire de ceux dont il avait la jouissance quand il partageait la vie du défunt. Enfin, il convenait aussi de préserver la réserve des enfants et d'éviter que l'exercice par le conjoint de ses droits successoraux n'y porte atteinte.

Cette distinction entre la masse d'exercice et la masse de calcul et le fait que les droits en propriété du conjoint ne peuvent préjudicier aux droits des héritiers réservataires est cependant susceptible de réduire à néant la vocation successorale du conjoint survivant. Comme le relève M. le professeur Pierre Catala, « en présence de descendants du défunt, le conjoint survivant se trouve confronté à des héritiers réservataires alors qu'il ne l'est pas lui-même. Il est donc normal que les réservataires soient servis par priorité ; si tous les biens existants sont employés à les pourvoir, l'époux survivant ne recueillera rien. [...] Il suffit que le prémourant ait donné ou légué le disponible à d'autres qu'au conjoint pour que celui-ci ne trouve rien à prendre dans la succession. Exemple : libéralité hors part 300, biens existants 600, 2 enfants. Réserve = 600 [soit les 2/3 de la masse de calcul (bien existant+biens rapportés) 600+300]. Part du conjoint = 0 » 15 ( * ) . Il ne s'agit là cependant que de la conséquence du respect combiné de la réserve et de la liberté testamentaire du défunt, qui peut organiser sa succession au détriment de son conjoint.

L'article 1094-1 du code civil prévoit que le prémourant peut doter son conjoint à hauteur d'une « quotité disponible spéciale », égale soit à la quotité disponible ordinaire (c'est-à-dire à ce dont le défunt peut disposer en faveur d'un tiers au-delà de la réserve), soit à un quart en propriété et trois quarts en usufruit, soit à la totalité en usufruit.

Lorsque le conjoint survivant a été doté par le défunt, en plus de sa vocation successorale légale, la question se pose de la réserve des enfants, puisque cette libéralité ne peut y porter préjudice. À l'origine, la loi du 3 décembre 2001 n'a pas tranché cette question, ce qui a suscité une incertitude juridique, levée par la loi du 23 juin 2006 16 ( * ) qui a posé le principe d'une imputation des libéralités reçues par le conjoint sur ses droits dans la succession ( cf. ci-dessous).

3. La création de droits complémentaires visant à maintenir le conjoint survivant dans ses conditions de vie antérieures

Le souci de conserver au conjoint ses conditions de vie antérieures s'est traduit par la reconnaissance à son profit de deux nouveaux droits.

a) Le droit au logement temporaire et le droit viager au logement

L'importance du domicile pour le conjoint survivant est double. Dans les petites successions, il s'agit souvent du bien principal ; le maintien des conditions de vie antérieures du couple se confond souvent, pour le conjoint survivant, avec le maintien au domicile commun.

Pour cette raison, la loi a créé, à l'initiative du Sénat, deux types de droits afférents au logement.

Le premier correspond à un droit de jouissance gratuit et temporaire, pendant un an, du logement occupé par le couple et des meubles le garnissant. Dans le cas où le logement est loué, la succession doit acquitter les loyers. Ceci permet à l'intéressé de parer à l'urgence et d'attendre le règlement de la succession en étant maintenu à domicile.

Le second est un droit viager d'habitation sur le logement et un droit d'usage sur le mobilier le garnissant. Contrairement au précédent, ce droit s'exerce en diminution de la part de la succession revenant au conjoint. Cependant le conjoint ne doit aucune récompense à la succession si le droit viager d'habitation est supérieur dans son montant à la part qui lui revient, ce qui est très protecteur lorsque le conjoint a vu ses droits sur la succession réduits à néant en raison de libéralités antérieures. Ce droit s'exerce dans l'année suivant le décès et il peut être converti en rente viagère ou en capital. Le conjoint a de plus la possibilité si le logement est inadapté de le louer et d'utiliser les loyers pour un autre logement plus adapté.

Un point a fait l'objet d'un vif débat : le droit viager d'habitation est subordonné à l'absence de volonté contraire du défunt exprimé dans un acte authentique, ce que certain ont jugé contraire avec l'un des objectifs de loi qui était de garantir le maintien du conjoint dans son cadre de vie. Le principe de la liberté testamentaire a cependant prévalu.

b) Un droit à pension

La loi a créé un droit à pension auprès de la succession au bénéfice du conjoint qui se trouverait dans le besoin à la mort de son époux. Il s'agit là de la matérialisation d'une obligation alimentaire qui échoit à la succession et qui constitue le dernier « filet de sécurité » pour le conjoint qui aurait été évincé de la succession en raison des libéralités antérieurement consenties par le défunt.

II. L'EXEMPLE HEUREUX D'UNE LOI QUI A PLEINEMENT SATISFAIT SON OBJECTIF

A. L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION DES CONJOINTS SURVIVANTS

1. Un constat unanime

Appréhender l'impact de la réforme intervenue en 2001 n'est pas chose aisée. La matière successorale se prête mal aux statistiques : chaque succession est un cas particulier qui ne s'agrège pas aux autres.

Ni le conseil supérieur du notariat (CSN), ni la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) du ministère de la justice n'ont pu fournir à vos rapporteurs de données statistiques agrégées sur la situation des conjoints survivants après la succession ou sur la pratique suivie en matière d'organisation de successions incluant un conjoint survivant. On ne connaît ainsi pas le nombre de successions ab intestat ou avec testament, incluant ou non des enfants d'un autre lit, ni la part des conjoints survivants optant pour l'usufruit ou la pleine propriété lorsque l'option leur est offerte, ni encore la pratique des donations entre époux, etc.

À l'inverse, l'absence d'alerte ou de contestation semble indiquer que la loi ne suscite ni mécontentement ni contentieux particulier. M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du Sceau, a ainsi indiqué à vos rapporteurs que ses services n'avaient été destinataires d'aucune plainte particulière ni reçu aucune alerte sur l'application de la loi du 3 décembre 2001, laquelle n'avait, en dehors de la question de l'imputation des libéralités consenties au conjoint, posé que très peu de difficulté aux tribunaux. Il a aussi noté qu'aucun parlementaire n'avait saisi le ministre de problèmes ou de difficultés liées à la mise en oeuvre de la loi précitée.

À défaut d'une appréhension statistique du phénomène, vos rapporteurs ont interrogé les professionnels et les représentants des intérêts des familles, afin qu'ils leur indiquent quelle appréciation ils portaient sur cette législation.

Or, et le point est assez rare pour s'en féliciter, l'avis rendu par tous a été unanime : cette loi a été une bonne loi .

Pour reprendre les termes employés par les représentants du CSN, la loi de 2001 a été selon eux, bien conçue et favorable au conjoint survivant. Le texte a « bien collé à la pratique » et il n'a pas présenté de vices majeurs.

Mme Andrée Mengin, présidente de la fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC) a dressé le même constat, regrettant toutefois que l'information relative aux droits de chacun ainsi qu'aux possibilités qu'ont les époux de préparer leur succession notamment par des donations au dernier vif ne fasse pas l'objet d'une diffusion plus importante.

M. le professeur Pierre Catala qui a joué un rôle éminent dans la préparation universitaire de la réforme des successions a observé que le conjoint survivant français était très bien défendu, puisqu'il bénéficie à la fois des droits successoraux étendus et des droits sur le logement que la loi du 3 décembre 2001 lui a reconnus et de transferts sociaux importants (pension de réversion, allocation vieillesse) 17 ( * ) . Il a estimé qu'un équilibre satisfaisant avait été atteint, compte tenu par ailleurs des options offertes par les régimes matrimoniaux.

Il a en particulier considéré que la situation du conjoint âgé et dépendant sans ressource avait été améliorée lorsqu'on lui a ouvert le droit de louer le logement dont il a l'usufruit pour financer son accueil dans des institutions.

Il a enfin noté que la loi avait été une « loi paisible » qui n'avait pas suscité beaucoup de contentieux, à l'exception de celui tranché par la loi du 23 juin 2006, relatif à l'imputation des libéralités faites au conjoint, ce que Mmes Dominique Bignon et Nathalie Auroy, conseillers à la Cour de cassation ont confirmé. La loi du 3 décembre 2001 ne lui a pas paru nécessiter d'autres modifications que des ajustements mineurs 18 ( * ) .

Ces auditions fournissent, à défaut d'une évaluation statistique, une évaluation qualitative très favorable de la loi relative aux droits du conjoint survivant. Vos rapporteurs constatent par ailleurs que la loi n'a suscité ni reproches ni critiques majeures de la part de la doctrine, des professionnels ou des représentants des familles. Les services de l'État n'ont pas été saisis de plaintes particulières, pas plus que les parlementaires. Interprétant ce silence paisible à la lumière de la satisfaction exprimée par ceux qui pratiquent quotidiennement le droit des successions, vos rapporteurs en concluent, pour s'en féliciter, que la loi du 3 décembre 2001 a su parfaitement remplir l'objectif qui lui était assigné et que les équilibres qu'elle a dessinés ont été bien adaptés à la vie et aux demandes des familles .

2. Un degré de protection élevé par comparaison aux législations des autres États européens

L'étude comparative réalisée par la quatrième commission du 106 e congrès des notaires de France montre que le dispositif français de protection du conjoint survivant soutient la comparaison avec les dispositifs européens les plus avancés. La loi du 3 décembre 2001 a comblé le retard de la France en la matière.

Si la France se situe dans le dernier tiers des pays les moins favorables quant à la place du conjoint dans l'ordre des héritiers, puisque celui-ci vient après les descendants, contrairement à l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas et le Danemark, et si en droit français le conjoint n'est qu'un héritier réservataire subsidiaire, en revanche, il est assuré d'une vocation successorale en propriété et peut bénéficier d'un usufruit sur la totalité de la succession, ce qui classe la France dans le peloton de tête avec les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et la Suède. Vos rapporteurs relèvent à cet égard que les droits théoriques reconnus au conjoint comptent moins pour assurer le maintien de ses conditions de vie que les droits qu'il est pratiquement en mesure d'exercer : le droit français qui permet au conjoint venant en concurrence de descendants de percevoir un usufruit sur la totalité peut ainsi apparaître plus protecteur qu'un autre droit inscrivant le conjoint au premier rang des successibles, mais limitant sa réserve au tiers de l'usufruit.

Par ailleurs, les droits accessoires qui lui sont reconnus, en particulier sur le logement situent la France dans les cinq pays sur dix qui prévoient de telles garanties de maintien des conditions de vie. Cet accès au logement, qui constitue, pour les successions moyennes ou modestes, le principal bien en jeu, assure au conjoint survivant français une protection avantageuse.

Comparaison européenne : droits des conjoints survivants en l'absence de testament

Définition du conjoint successible

Ordre des héritiers

Qualité d'héritier réservataire

Vocation totale en propriété

Avantages spécifiques

Espagne

non séparé de fait
ou de droit

? en usufruit avec descendant

? usufruit commuable

après descendant
et ascendant

Italie

marié

1 er avec descendant

? en présence d'un descendant et ¼
si + d'un descendant

½ après ascendant
et collatéraux

Portugal

marié

1 er avec descendant partage par tête

½ si seul, en concours
¼ descendant,
2/3 ascendant

après descendant
et ascendant

Allemagne

divorce non introduit

1 er avec descendant, ½ si un descendant, ? si plusieurs descendants

½ et ¼ en présence descendant

après descendant, ascendant
et collatéraux

Belgique

marié

totalité en usufruit
en présence de descendant sans les exclure

½ en usufruit dont l'immeuble formant le logement de la famille

en l'absence d'autre successible que l'État

Pays-Bas

marié

1 er avec descendant une part d'enfant

non

après descendant

Suède

marié

totalité sauf en présence de descendant

oui
4 fois le montant de base

succession différée
au décès du survivant ½ revient aux descendants du prédécédé

Norvège

en l'absence de possibilité de divorce

en concours avec descendant ¼ en pleine propriété

réservataire à défaut d'avoir été informé de son vivant de l'exhérédation
¼ si desc.
et ½ si asc. et coll.

après descendant, ascendant et collatéraux

communauté continuée par le survivant

Danemark

marié

comme descendant ? en pleine propriété en leur présence

1/6 en pleine propriété

après descendant

Finlande

divorce non introduit ni condition d'un divorce remplie

administration des biens de la succession, jouissance du logement familial et des meubles

non

après descendant

hérite de tout, puis succession avec parentèle vers familles respectives

France

marié

2 e ordre après descendant et en concours avec eux

¼ en l'absence de descendant

en présence descendant commun totalité usufruit sinon ¼ en pleine propriété

Source : Rapport du 106 e congrès des notaires de France, mars 2010, p. 906.

B. DE RARES DIFFICULTÉS JURIDIQUES, LEVÉES EN 2006

1. L'imputation, sur sa part successorale, des libéralités antérieurement consentie au conjoint

Cette question n'a fait l'objet d'aucune disposition spécifique en 2001, alors qu'antérieurement, la règle était celle de l'imputation sur sa part successorale des libéralités reçues par le conjoint survivant. Ce qu'il avait reçu de son vivant venait ainsi en diminution de ce qu'il était appelé à recevoir au décès de son conjoint. Cette règle préservait la réserve des enfants, puisque le conjoint survivant ne pouvait ainsi cumuler la part qui lui revenait au titre de sa vocation successorale légale avec des libéralités antérieures, si le montant total dépassait ce dont le défunt aurait pu disposer, en dehors de la réserve.

Dans le silence de la loi, la doctrine a été divisée, et le législateur est intervenu dans la loi du 23 juin 2006 pour rétablir cette règle antérieure à l'article 758-6 du code civil, ce qui correspondait à l'interprétation dominante de la doctrine.

La Cour de cassation a tiré de ce rétablissement la conséquence qu'entre la date de prise d'effet de la loi du 3 décembre 2001 et celle de la loi du 23 juin 2006, le législateur avait implicitement entendu supprimer la règle de l'imputation des libéralités reçues par le conjoint sur ses droits successoraux 19 ( * ) . Les successions ouvertes dans cette période sont ainsi réputées ne pas être soumises à cette règle, qui s'applique en revanche pour les successions ouvertes avant ou après. En revanche, lorsque la libéralité consentie remonte à une période antérieure à 2001, la Cour de cassation estime que le juge du fond doit apprécier au cas par cas si le testateur a entendu ou non soumettre sa donation au régime de la loi nouvelle 20 ( * ) . Il en résulte un désordre juridique limité, qui constitue la seule véritable difficulté créée par la loi de 2001.

2. Le cantonnement

La pratique a montré que la rigidité de la triple option ouverte au défunt pour doter spécialement son conjoint aboutissait parfois à des résultats inopportuns.

Aux termes de l'article 1094-1 du code civil, en présence de descendants, l'époux peut disposer en faveur de son conjoint soit de la quotité disponible, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois quarts en usufruit, soit de la totalité de ses biens en usufruit (il s'agit là d'une dévolution successorale testamentaire et non de la dévolution légale).

Or, notamment lorsque les enfants sont communs, il arrive que le choix, par exemple de la totalité en usufruit soit plus contraignant qu'opportun parce que cet usufruit dépasse très largement les besoins du conjoint, qui souhaiterait plutôt que ses enfants soient dotés d'une pleine propriété. Il ne peut être remédié à cette solution de manière neutre par une donation d'usufruit, puisque celle-ci est fiscalement imposable.

C'est pourquoi, la loi de 2006 a prévu la possibilité pour le conjoint de cantonner son émolument (c'est-à-dire ce qu'il reçoit de la succession) à ce qui lui semble nécessaire, au bénéfice des autres successibles. Ainsi, plutôt que de recevoir une masse de bien équivalente à la quotité disponible, à un quart en propriété et le reste en usufruit ou à la totalité de l'usufruit, il peut choisir de n'en recevoir qu'une portion. Il s'agit là, pour Me Jacques Combret, représentant du CSN, d'une disposition heureuse qui permet au parent survivant d'aider les enfants du couple.

C. UNE LÉGISLATION QUI N'APPELLE PAS DE REMISE EN CAUSE, MAIS UN SUJET QUI PEUT JUSTIFIER DE NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS

1. Des propositions d'ajustement limitées formulées par le Conseil supérieur du notariat

Lors de leur audition par vos rapporteurs, les représentants du Conseil supérieur du notariat, Me Florence Gemignani, présidente de la commission « Transmettre » du 106 e Congrès des notaires de France qui s'est tenu à Bordeaux du 30 mai au 2 juin 2010 et Me Gilles Bonnet, rapporteur de ladite commission, ont présenté quatre propositions se rapportant aux droits du conjoint survivant, formulées à l'occasion du 106 e congrès précité.

Sans les reprendre à leur compte, vos rapporteurs jugent utiles de les verser au débat, en dépit des réserves que certaines semblent appeler à leurs yeux.

1 ère proposition : la suppression du droit de retour légal dont bénéficient les pères et mères 21 ( * ) avec, en contrepartie, son remplacement par une obligation alimentaire viagère à la charge des héritiers acceptant.

Les parents ayant perdu la qualité d'héritier réservataire, il ne leur a été conservé que la possibilité de disposer d'un droit de retour impératif sur les biens qu'ils auraient donnés à leur enfant.

Le CSN note que ce droit de retour, difficile à exécuter, fragilise le règlement successoral et conduit à un certain immobilisme préjudiciable à l'entretien et la conservation du patrimoine familial. En outre, il entre parfois en conflit avec les droits impératifs reconnus au conjoint survivant, par exemple sur le domicile du couple, lorsque ce dernier a été donné au défunt par ses parents.

Le droit de retour légal privilégie la préservation du patrimoine familial au profit du lignage (par opposition à l'union). L'obligation alimentaire viagère répond plutôt à l'impératif de solidarité familiale entre les descendants et les ascendants. Elle se retrouve, sous une autre forme, à l'article 758 du code civil, qui permet aux ascendants du défunt, autres que les père et mère, qui sont dans le besoin de bénéficier d'une créance d'aliments contre la succession du prédécédé, lorsque le conjoint survivant recueille la totalité ou les trois quarts des biens.

Vos rapporteurs notent que, paradoxalement, supprimer le droit de retour aux père et mère aboutiraient à les traiter différemment des frères et soeurs, qui, eux, disposent de ce droit, obtenu par compensation de leur perte de rang de successibilité par rapport au conjoint survivant. Il est vrai cependant que la part successorale revenant aux père et mère est bien supérieure à celles des collatéraux privilégiés et que l'obligation alimentaire peut être plus adaptée à leur situation que le retour d'un bien précédemment donné. En revanche, la créance d'aliments est intransmissible et lèse, in fine , les intérêts des frères et soeurs qui ne la recevront pas de leurs parents à leur décès, contrairement au bien sur lequel a été exercé le droit de retour légal.

La proposition formulée engage par conséquent un équilibre différent de celui retenu par le texte actuel entre les intérêts du lignage et ceux de l'alliance.

2 e proposition : suppression de la règle de l'imputation sur sa part successorale, des libéralités antérieurement consenties au conjoint par le défunt, lorsque le conjoint opte pour l'usufruit sur la totalité des biens au titre de sa vocation successorale légale et que les libéralités ont elles-mêmes été consenties en usufruit. Le défunt pourrait toutefois, par disposition expresse contraire, prévoir cette imputation.

La situation visée par cette proposition est la suivante : les époux donnent à leurs enfants la nue-propriété de la maison qu'ils possèdent, en prévoyant une clause d'attribution de l'usufruit au dernier vif. Lorsque l'un des deux décède, l'autre reçoit donc, en vertu de cette clause et au titre d'une libéralité consentie avant le décès, l'usufruit du domicile commun.

Si le conjoint opte, par ailleurs, pour l'usufruit de la totalité des biens du défunt au titre de la part successorale qui lui revient du fait de la loi, ces biens ne recouvrent pas le domicile, puisque la nue-propriété en a été donnée aux enfants, ni son usufruit, octroyé par la clause du dernier vif, à ce conjoint. En revanche, l'article 758-6 du code civil impose d'imputer sur cette masse de bien une valeur équivalente à l'usufruit antérieurement consenti sur le domicile.

Ceci revient, pour des patrimoines modestes dont le principal élément est le domicile commun, à réduire très sensiblement l'usufruit supplémentaire dont le conjoint peut en principe bénéficier au titre de sa vocation légale 22 ( * ) . Dans une telle situation, il aura intérêt à plutôt opter pour le quart en propriété.

Cette situation est, pour les représentants du CSN, doublement paradoxale : tout d'abord parce qu'en principe, en consentant un usufruit de son vivant au profit de son conjoint, le défunt a, selon toute vraisemblance souhaité majorer et non diminuer les droits de son conjoint et ensuite, parce que le conjoint se doit à lui-même un rapport, puisqu'il est le seul successible en usufruit.

Il convient de préciser que l'exception à la règle de l'imputation proposée par le CSN ne concernerait que les libéralités et les successions uniquement dévolues en usufruit.

M. le professeur Pierre Catala a souligné la difficulté plus large que cause la règle de l'imputation des libéralités sur les droits successoraux du conjoint survivant, qui n'autorisent pas à faire au conjoint de libéralités préciputaires (c'est-à-dire qui ne donnent pas lieu à rapport vis-à-vis de la succession). Il a considéré que si l'on ne touchait pas à cette règle, il fallait, pour équilibrer, éviter de toucher aux règles de l'assurance-vie, qui sont actuellement utilisées pour améliorer la situation du conjoint survivant.

Il a par ailleurs estimé que, même en présence d'enfants d'un autre lit, il pourrait être possible d'autoriser le conjoint survivant à opter pour l'usufruit. Constatant cependant que lorsque le conjoint et les autres enfants sont de la même génération ceci aurait pour conséquence de les priver à vie de la jouissance du bien dont ils sont nus-propriétaires, il a proposé que l'usufruit ne s'exerce alors que sur la réserve des seuls enfants communs.

Il s'agirait cependant là d'une remise en cause importante de l'équilibre de la loi de 2001 relative à l'option entre le quart en propriété et la totalité en usufruit.

3 e proposition : permettre à l'époux bénéficiaire d'une clause de partage inégal de la communauté, de moduler, lors de la dissolution du régime matrimonial, l'émolument qu'il est appelé à recevoir à ce titre.

Les époux qui souhaitent préserver la situation du survivant peuvent utiliser certains mécanismes du régime matrimonial. L'un d'entre eux est la clause de partage inégal qui vise, lors de la dissolution de la communauté pour cause de décès, à prévoir une répartition des biens différente de celle que le régime matrimonial prévoyait : les époux peuvent ainsi décider que le survivant recevra, au moment du partage des biens matrimoniaux consécutif au décès, les trois-quarts de ces biens plutôt que la moitié, comme le prévoit ordinairement le régime légal. Dans ce cas, la succession du défunt portera non pas, comme cela aurait dû être, sur la moitié des biens du ménage, mais seulement sur le quart restant. Pour cette raison la clause de partage inégal diminue la masse des biens susceptibles de revenir aux enfants à l'occasion de ce décès.

Les représentants du CSN observent que parfois, le choix initial des époux s'avère inadapté plusieurs années après, alors que la situation des intéressés a été profondément modifiée. Tel est par exemple le cas lorsque le choix des époux a eu lieu à un moment où le patrimoine propre de l'époux en faveur duquel la clause de partage inégal a été décidée, était peu important. Par la suite cet époux a pu recevoir en héritage de ses parents des biens qui ont considérablement amélioré sa situation patrimoniale et rendu moins nécessaire qu'il reçoive une part majorée lors du partage des biens matrimoniaux.

Si, dans ce cas, les époux négligent de remettre en cause la clause de partage inégal, la masse des biens du défunt qui reviendront aux enfants s'en trouve mécaniquement diminuée, alors même que la situation du conjoint survivant ne justifie plus forcément ce partage inégal, et que lui-même préférerait que ces enfants reçoivent plus au titre de la succession, dans la mesure où il est assuré d'être maintenu dans ses conditions de vie antérieures.

Pour remédier à cette situation, les représentants du CSN ont proposé d'importer du droit des successions au droit matrimonial, le mécanisme du cantonnement de l'émolument perçu par le conjoint.

Le cantonnement de l'émolument désigne la faculté offerte au conjoint de limiter volontairement ce qui peut lui revenir de la succession, afin que les autres héritiers reçoivent la différence. Appliqué à la clause de partage inégal, il s'agirait de permettre à l'intéressé de limiter la part qu'il reçoit de la communauté en vertu du partage inégal, afin que la patrimoine du défunt ouvert à la succession recouvre une masse plus importante des biens matrimoniaux. Ainsi un conjoint survivant bénéficiaire d'une clause de partage inégale des trois-quarts pourrait décider de cantonner sa part à seulement moitié, le reliquat d'un quart revenant à la succession du défunt.

M. le professeur Pierre Catala s'est déclaré favorable à cette proposition.

Vos rapporteurs observent cependant qu'il s'agirait là d'une remise en cause des règles régissant la dissolution des communautés matrimoniales, qui ôterait toute prévisibilité au partage des biens matrimoniaux, puisque celui-ci dépendrait, in fine , de la décision du survivant de limiter ou non la part qu'il pourra recevoir.

En outre, la faculté ainsi offerte au conjoint pourrait se retourner contre lui s'il devait subir des pressions ou être soumis à l'influence de ses proches ou des enfants du défunt pour l'amener, contre son intérêt, à limiter son émolument et renoncer ainsi au bénéfice de la protection que lui garantissait la clause de partage inégal.

4 e proposition : affirmer l'absence d'incidence du décès d'un époux en cours de changement de régime matrimonial. Cette disposition ne concerne cependant qu'une modification apportée par la loi de 2006, qui a réformé le droit de l'homologation judiciaire des changements de régimes matrimoniaux en permettant, en l'absence d'opposition, que l'acte notarié prenne effet sans qu'il ait été homologué par le juge (art. 1397 du code civil).

La situation visée est la suivante : deux époux souhaitent changer leur régime matrimonial et accomplissent les formalités à cet effet. Cependant l'un décède avant que les formalités de publicité et de notification aux enfants ou aux créanciers aient été accomplies. Une telle situation intervient notamment lorsque l'un des époux est gravement malade et que les conjoints souhaitent organiser les conditions de vie de celui qui lui survivra.

Il y a alors deux possibilités :

- si le décès est survenu après ces formalités, et qu'il n'a pas été formé opposition dans le délai de trois mois, l'acte notarié conserve sa validité et le changement est réputé être intervenu à la date de sa signature. En revanche, si une opposition a été formée contre lui il est soumis à l'homologation du juge. Dans ce cas, le juge considèrera que le décès a eu pour conséquence la dissolution du régime et qu'il n'est pas possible de tenir compte du changement 23 ( * ) ;

- si le décès intervient avant la notification, l'acte notarié reste sans effet et la procédure est interrompue. Les représentants du CSN proposent que la notification soit alors possible et que la procédure suive son cours en dépit du décès de l'intéressé, sauf opposition. L'opposition imposerait de renvoyer au juge qui, compte tenu de sa jurisprudence, refusera de prononcer l'homologation.

Une telle modification est susceptible de porter remède à la situation difficile dans laquelle peuvent se trouver certaines familles lorsque le décès annoncé de l'un des époux survient avant l'achèvement de la procédure de changement de régime matrimonial.

Cependant vos rapporteurs s'inquiètent du pouvoir que l'on remettrait ainsi à celui qui , ayant la possibilité, en s'opposant et en provoquant ainsi la saisine du juge, d'empêcher le changement de régime matrimonial, aurait le pouvoir de négocier un arrangement en sa faveur .

Tel est certes d'ores et déjà le cas lorsque le décès survient après l'accomplissement des formalités de publicité. Mais, inversement, on peut relever qu'en présence d'enfants mineurs, l'acte notarié étant toujours transmis au juge, jusqu'à sa décision, le décès d'un des époux interrompt la procédure. La proposition appelle, pour cette raison, une certaine réserve.

2. L'amélioration de la situation des conjoints survivants relève maintenant d'autres champs que celui du droit civil

Les auditions conduites par vos rapporteurs leur permettent de conclure que les équilibres construits par la loi sur les droits du conjoint survivant, entre la nécessaire protection de ce dernier et la préservation du droit des descendants et des intérêts des membres de la famille du défunt, sont satisfaisants. Ils n'appellent pas, après les quelques modifications intervenues en 2006, de nouveaux ajustements, ou seulement à la marge.

En revanche, plusieurs des personnes entendues ont confirmé que la situation du conjoint survivant, améliorée au plan civil, reste préoccupante lorsque le patrimoine légué est insuffisant ou que la maladie dégrade ses conditions de vie. À cet égard a été évoquée à plusieurs reprises au cours des auditions la question des pensions de réversion et celle de la dépendance.

3. La question des partenaires ou concubins survivants

Si le conjoint survivant est aujourd'hui bien protégé en droit français, ce qui est conforme à la destination de l'institution matrimoniale, la question se pose, compte tenu de l'importance du phénomène des unions stables hors mariage, de la protection apportée aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou aux concubins survivants 24 ( * ) . Mme Andrée Mengin, présidente de la FAVEC a notamment abordée cette préoccupation au cours de son audition, insistant toutefois sur le fait qu'il n'y avait pas d'unanimité sur la question au sein de la fédération d'association.

Le conjoint ou le partenaire sont traités comme de simple tiers à la succession, contrairement au conjoint.

Cette solution traditionnelle a cependant été partiellement remise en cause par la loi de 2006 qui a reconnu au bénéfice du partenaire de PACS survivant un droit d'occupation temporaire du domicile commun, pour un an, identique à celui reconnu au conjoint survivant (il ne s'agit cependant pas de l'usufruit sur le logement), ainsi que la possibilité de bénéficier de l'attribution préférentielle d'une entreprise ou de parts sociales d'une entreprise à laquelle il participait avant le décès 25 ( * ) . Il s'agit ici de garantir le maintien temporaire des conditions de vie de celui qui a partagé la vie du défunt, sans pour autant le placer en concurrence avec les héritiers privilégiés du défunt.

Me Jacques Combret, représentant du CSN, a considéré que le dispositif actuel était équilibré. Donner un accès plus important à la résidence principale porterait atteinte à la réserve des descendants. En matière de successions, les droits reconnus à l'un viennent nécessairement en diminution de ceux reconnus à l'autre et bouleversent mécaniquement les équilibres construit entre les intérêts de chaque partie en présence.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 27 avril 2011

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La loi de 2001 a modifié le droit des successions afin de mieux protéger le conjoint survivant, en lui réservant notamment un quart de la succession en pleine propriété en présence d'enfants, et, la moitié en pleine propriété en l'absence d'enfants et en présence des parents, tandis que la loi de 2006 supprimait la qualité d'héritier réservataire subsidiaire pour les parents. Si ces droits n'ont pas été ouverts aux signataires d'un Pacs, ceux-ci se sont néanmoins vu conférer certains droits, comme la conservation du logement pour une période d'un an.

Ces textes n'ont pas donné lieu à contentieux : la direction des affaires civiles et la Cour de Cassation n'ont rien relevé, tandis que les notaires se disent satisfaits de ces dispositions jugées équilibrées - hors quelques difficultés sur lesquelles reviendra M. Mézard.

Les objectifs visés sont atteints ; introduisant plus de souplesse dans les successions familiales, ces dispositions répondent aux souhaits et aux évolutions de la société en même temps qu'à l'impératif de solidarité intergénérationnelle, en assurant un équilibre entre les droits des enfants et le devoir qui est le leur de prendre en charge ceux qui leur ont donné le jour.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'application de ces textes montre en effet qu'ils donnent satisfaction. Trois objectifs étaient poursuivis : donner au conjoint survivant les moyens de conserver les conditions de vie qui étaient les siennes avant le décès de son conjoint ; ne pas pénaliser les enfants nés d'un premier lit ; conserver au défunt sa liberté testamentaire. Ils sont atteints.

Nos sollicitations n'ont suscité que quelques observations de la part du Conseil du notariat (CSN), qui ne requièrent pas de véhicule législatif spécifique. Est demandée la suppression du droit de retour légal des pères et mères, et son remplacement par une obligation alimentaire viagère à la charge des héritiers acceptants. Mais une telle mesure aboutirait à traiter différemment les pères et mères et les frères et soeurs, et provoquerait un déséquilibre entre intérêts du lignage et intérêts de l'alliance. Sans doute la question méritait-elle, techniquement, d'être posée, mais la solution ne me paraît pas la bonne. Une autre demande concerne la suppression de la règle d'imputation des libéralités antérieurement consenties au conjoint lorsqu'il opte pour l'usufruit et que les libéralités ont été consenties en usufruit. Cette règle est susceptible de créer des difficultés pour les patrimoines modestes, limités au domicile commun. Autre proposition du CSN : que l'époux bénéficiaire d'une clause de partage inégal de la communauté matrimoniale puisse moduler, lors de la dissolution, les émoluments qu'il est appelé à recevoir à ce titre. Le professeur Catala s'est déclaré favorable à cette disposition, qui présente cependant cet inconvénient, outre qu'elle remettrait en cause les règles régissant la dissolution de la communauté matrimoniale, qu'elle rendrait possible que des pressions s'exercent sur le conjoint survivant lors de la dissolution...

La dernière demande, enfin, a trait à l'incidence du décès d'un époux en cours de changement de régime matrimonial. Les notaires souhaitent que la volonté des époux prévale, y compris si le décès survient avant l'achèvement de la procédure. Idée intéressante, mais qui donnerait barre à qui, ayant intérêt à agir, peut provoquer la saisine du juge : j'y suis donc réticent.

Restent pendants, pour finir, les problèmes appelés à se poser à l'avenir, soit ceux qui découlent d'autres modes de vie commune que le mariage. Mais c'est là un autre débat.

M. Laurent Béteille . - Introduire ces modifications pour le changement de régime matrimonial serait mettre le doigt dans l'engrenage : gardons-nous d'aller contre les principes. Il est vrai que la question se pose fréquemment, et j'ai en plusieurs occasions été sollicité par des couples pressés par la perspective d'un décès. Ils auraient dû s'y prendre plus tôt, je ne vois pas d'autre réponse.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - D'autant que nous avons simplifié la procédure pour le changement de régime matrimonial.

Je constate, pour conclure, que loin des difficultés que nous annonçaient certains lors du vote de ces textes, l'absence de contentieux montre au contraire que le législateur a atteint son but. Je vous remercie pour votre travail.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

ANNEXE 1 - GLOSSAIRE DU DROIT DES SUCCESSIONS

Ab intestat

Qualité des héritiers venant à une succession en vertu de la loi et non en vertu de dispositions testamentaires.

Action en retranchement

Ouverte aux enfants d'un premier lit à l'encontre du beau-parent qui bénéficie d'un avantage matrimonial portant atteinte à leur réserve héréditaire.

Attribution préférentielle

Droit que la loi confère à une personne de se voir déclarer propriétaire exclusif d'un bien ou d'un ensemble de biens indivis, à charge pour elle de désintéresser ceux qui avaient normalement vocation à participer au partage. La somme par laquelle le titulaire de ce droit préférentiel dédommage les copartageants se nomme une soulte.

Avancement d'hoirie / Avancement de part successorale

Effet d'une libéralité qui consiste à faire peser cette dernière sur la part de réserve d'un héritier. La libéralité en avancement d'hoirie est rapportable au moment du partage. Opposé de préciput .

Collatéraux

Parents d'un individu qui ne font pas partie des personnes appartenant à la ligne directe, c'est-à-dire : les frères et soeurs, les oncles et tantes et leurs descendants, les cousins et cousines.

Degré

Nombre de générations entre les personnes : les enfants et les parents d'une personne sont ses parents au premier degré, ses petits-enfants et ses grands-parents sont ses parents au deuxième degré, etc.

En ce qui concerne la ligne collatérale, il faut additionner le nombre de générations entre l'ascendant commun et la personne concernée et le nombre de générations entre le parent et l'ascendant commun : son frère et elle sont, par exemple, parents au deuxième degré.

Donataire

Bénéficiaire d'une donation.

Donateur

Auteur d'une donation.

Envoi en possession

Procédure par laquelle le tribunal de grande instance est appelé à autoriser certaines personnes désignées par la loi à entrer en possession des biens ou de la quotité des biens dépendants de la succession du défunt qui leur sont dévolus. Les autres héritiers, qui n'ont pas besoin d'avoir recours à cette procédure pour entrer en possession des biens, sont dits « saisis de plein droit ».

Exécuteur testamentaire

Personne désignée par le défunt afin de veiller au respect des dispositions testamentaires prises. Il peut délivrer les legs, vendre certains biens.

Fruits

Revenus périodiques d'un bien : intérêts d'emprunts et d'obligations, dividendes d'actions de sociétés, loyers, redevances des inventions...

Héritage / Héritier

Au sens large, le mot « héritier » désigne toute personne qui dispose d'un droit dans la succession.

La preuve de la qualité d'héritier s'administre par tous moyens, en particulier la production d'un acte de notoriété.

- Héritier réservataire : les descendants, en l'absence de descendants, les ascendants ; en l'absence de descendants et d'ascendants, le conjoint survivant.

- Héritier universel : héritier ayant vocation à recevoir l'ensemble du patrimoine.

- Héritier à titre universel : héritier recevant une quote-part de l'universalité des biens ;

- Héritier de rang subséquent : héritier de degré plus éloigné, primé par l'héritier de rang plus favorable, qui ne vient à la succession qu'en cas de renonciation ;

- Héritier successible : héritier n'ayant pas encore opté ;

- Héritier présomptif : celui qui, au jour d'un acte de donation par exemple et si le disposant décédait à cette date, serait héritier légal. Ainsi, les enfants sont des héritiers présomptifs de leurs parents ; en l'absence d'enfants, ce sont les collatéraux ; un petit-fils n'est pas l'héritier présomptif de son grand-père paternel si, au jour de l'acte, son père est vivant et n'a pas renoncé à la succession.

Imputation des libéralités

Technique qui consiste à faire peser sur une quotité (réserve héréditaire ou quotité disponible) les libéralités adressées à des héritiers ou tiers.

Indivision

Situation dans laquelle se retrouvent les héritiers avant le partage des biens d'une succession. Ils ont chacun un droit de propriété sur l'ensemble des biens sans avoir de droits exclusifs.

Institution contractuelle

Acte par lequel l'instituant dispose pour après son décès de tout ou partie de ses biens en faveur de l'institué qui l'accepte. En principe prohibée, elle ne peut être consentie que par contrat de mariage ou entre époux au cours du mariage.

Legs

Disposition testamentaire selon laquelle le défunt lègue certains biens à un légataire.

Libéralité

Acte juridique fait entre vifs ou dans une disposition testamentaire par lequel une personne transfère au profit d'une autre un droit ou un bien dépendant de son patrimoine. Une libéralité est faite avec ou sans charges. Une charge consiste dans une ou plusieurs prestations qu'en acceptant la libéralité le bénéficiaire s'engage à accomplir.

Masse

La masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible ne doit être confondue ni avec la masse successorale ni avec la masse partageable. Elle est plus étendue puisqu'elle réunit aux biens existants tous les biens dont le de cujus a disposé par donation alors que la masse successorale est limitée aux biens dévolus à cause de mort et ne comprend donc les biens donnés que dans la mesure où ils doivent être restitués et la masse partageable est plus restreinte encore puisqu'elle ne rassemble que les biens dévolus à cause de mort et distraction faite de ceux qui le sont à titre particulier

Ordre

Groupe de parents qui peuvent prétendre à la succession d'une personne. Il existe quatre ordres : 1 er ordre : descendants directs ; 2 e ordre : frères et soeurs et parents ; 3 e ordre : ascendants ; 4 e ordre : oncles et tantes ou leurs descendants. En principe, seul l'ordre le plus élevé hérite.

Partage

Opération consistant à mettre fin à une indivision et à attribuer à chacun des co-indivisaires un lot destiné à le remplir de ses droits. Le partage peut être fait à l'amiable ou judiciairement.

Préciput

Effet d'une libéralité qui consiste à faire peser cette dernière sur la quotité disponible et non sur la part de réserve d'un héritier. La libéralité préciputaire (ou hors part successorale) n'est pas rapportable au moment du partage. Opposé d'avancement d'hoirie.

Propriété

Le droit de propriété peut être démembré en deux droits distincts :

- d'une part, la nue-propriété qui est le droit de disposer de son bien à sa guise, et éventuellement de le modifier ou de le détruire ;

- d'autre part « l'usufruit »  qui est le droit de se servir de ce bien ou d'en recevoir les revenus, par exemple encaisser des loyers, des intérêts ou des dividendes.

Quotité disponible

Part des biens successoraux qui n'est pas réservée à une catégorie d'héritiers par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. Elle varie par exemple en fonction du nombre d'enfants laissés par le défunt : la moitié en présence d'un enfant, le tiers en présence de deux enfants et un quart au-delà.

Rapport successoral

Opération préalable au partage consistant pour les co-partageants à reconstituer fictivement une masse de calcul des biens à liquider à partager ou à réaliser. Chaque co-partageant restitue à la masse les sommes dont il est débiteur envers la masse ou les biens (en nature ou en valeur) dont il avait été gratifié par le défunt.

Une donation rapportable constitue une avance sur la succession : on dit qu'elle est faite en avancement d'hoirie.

Réduction

Sort réservé à une libéralité dont le montant dépasse la quotité disponible.

Une donation réductible est une libéralité excessive qui, à la demande des héritiers dont elle entame la réserve, doit être amputée de ce qui excède la quotité disponible.

Réserve héréditaire

Part des biens successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent.

Usufruit : voir « propriété »

ANNEXE 2 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Cour de cassation

- Mme Dominique Bignon , magistrat

- Mme Nathalie Auroy , magistrat

Conseil Supérieur du Notariat

- Me Jacques Combret, notaire, rapporteur général au 95 ème congrès des notaires (1999) dont le thème était « Demain la Famille »

- Me Bruno Delabre , notaire, président de l'Institut Notarial
du Patrimoine et de la Famille (I.N.P.F )

- M. Jean-François Peniguel, administrateur à la direction
des affaires juridiques

- Me Florence Gemignani

- Me Gilles Bonnet

DACS

- M. Laurent Vallée , directeur

Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC)

- Mme Andrée Mengin, administrateur

Professeur de droit

- M. Pierre Catala


* 1 Rapport n° 378 (2000-2001) au nom de la commission des lois sur la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et la proposition de loi visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins, par M. Nicolas About, p. 11-12. http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl00-224.html

* 2 En revanche, la suppression du sort moins favorable réservé aux enfants adultérins en présence d'un conjoint survivant entre pleinement dans le champ de ce rapport et a été traité à ce titre.

* 3 En 1999, sur 530 000 décès, 220 000 concernaient un couple, ce qui permettait d'évaluer à 44 000 le nombre de conjoint survivant qui ne recueillaient de la succession que ce que la loi prévoyait pour eux.

* 4 Le rapport précité de notre collègue Nicolas About précise ainsi que 84 % des conjoints survivants sont des veuves âgées majoritairement de plus 60 ans (87 % avaient plus de 60 ans, et la moitié plus de 75 ans).

* 5 Rapport précité, p. 18.

* 6 Proposition de loi n° 224 (2000-2001), relative aux droits du conjoint survivant.

* 7 Proposition de loi n° 211 (2000-2001) de M. Nicolas About, visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins.

* 8 Couple, filiation et parenté aujourd'hui , mai 1998, rapport remis à la ministre de l'emploi et de la solidarité et au garde des Sceaux.

* 9 Rénover le droit de la famille , rapport remis en septembre 1999 au garde des Sceaux.

* 10 Projet de loi modifiant le code civil et relatif aux droits des héritiers, n° 2530, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23 décembre 1993.

* 11 Projet de loi modifiant le code civil et relatif aux successions, n° 1941, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 1995.

* 12 Cf. le rapport de notre collègue M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois du Sénat, n° 40 (2001-2002), p. 10. http://www.senat.fr/rap/l01-040/l01-040.html

* 13 Rapport n° 378 (2000-2001), précité, p. 34.

* 14 Rapport précité, p. 30.

* 15 Jurisclasseur civil , art. 756 à 767, fasc. 10, n° 82.

* 16 Cf. infra .

* 17 À quoi s'ajoute aujourd'hui l'exonération totale de droits de succession pour le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant, adoptée dans la loi dite TEPA (n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat).

* 18 Cf. infra.

* 19 Avis de la Cour de cassation du 26 septembre 2006 (n° 00-60.009, Bull. n° 8).

* 20 Civ. 1 ère , 4 juin 2009, n° 08-15.799, Bull. civ. I , n° 122.

* 21 Ce droit de retour légal a été créé par la loi de 2006 en compensation de la suppression de la réserve des parents, et non par celle de 2001 qui avait maintenu leur qualité d'héritier réservataire.

* 22 Par exemple : supposons que le patrimoine du couple se divise en une maison, évaluée à 200 et en des biens financiers, pour la même somme. Par une donation au dernier vif, les époux prévoient que celui qui survivra à l'autre recevra l'usufruit de la maison (soit un usufruit sur une somme équivalente à 200). Assurés que le survivant pourra ainsi continuer à résider dans le domicile commun, ils donnent à leurs enfants la nue-propriété de la maison. À l'issue de cette opération, leur patrimoine n'est plus constitué que des biens financiers, soit une valeur de 200. Lors du décès d'un des deux époux, le conjoint survivant choisit, au titre de la part de succession qui lui revient du fait de la loi, l'usufruit sur les biens restants, c'est-à-dire l'usufruit sur les biens financiers d'une valeur de 200. Comme il a été antérieurement doté de l'usufruit sur le domicile, il convient, en vertu de l'article 758-6 du code civil, d'imputer cette libéralité sur sa part successorale, pour calculer ce qui lui reviendra in fine. Or : usufruit sur la totalité des biens existants au moment du décès (200 en biens financiers) - usufruit sur le domicile (évalué à 200)=0. Le conjoint survivant ne recevra finalement rien de la succession.

* 23 Civ. 1 ère , 12 juillet 2001, Bull. civ. I , n° 223.

* 24 La même préoccupation s'est exprimée à plusieurs reprises s'agissant de la possibilité pour les partenaires liés par un pacte de percevoir une pension de réversion au même titre que les conjoints survivants, notamment à travers la proposition de loi n° 461 (2008-2009) tendant à renforcer les droits des personnes liées par un pacte civil de solidarité, débattue en séance publique et rejetée par le Sénat le 9 décembre 2009.

* 25 Article 515-6 du code civil.

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