Contribution de M. Pierre-Yves Collombat,
sénateur du Var

Pour être efficace un ensemble de propositions doit faire système.

S'agissant de la régulation des conflits d'intérêts, celui des États-Unis, pays où la réflexion sur ce sujet est engagée depuis le plus longtemps, associe (comme en Allemagne sous une forme atténuée) à l'obligation extensive de transparence publique des intérêts des parlementaires (durant leur mandat), un contrôle interne peu regardant. En fait, la véritable autorité de déontologie est censée être l'opinion publique, autrement dit, les médias qui détiennent l'essentiel du pouvoir de transformer l'information en arme politique

S'y ajoute, aux États-Unis, l'interdiction totale (au Sénat) ou très stricte (à la Chambre des représentants) d'exercer une profession.

En renforçant fortement les incompatibilités professionnelles avec le mandat parlementaire et en plafonnant les revenus tirés du cumul des activités parlementaires et professionnelles, le groupe de travail s'est inscrit dans cette logique. S'il n'est pas allé aussi loin qu'aux États-Unis, c'est qu'il a considéré qu'interdire tout cumul d'activités revenait de fait à réserver le Parlement aux fonctionnaires et aux rentiers.

Par contre, pour le reste, le choix de la majorité du groupe de travail a été, tout en renforçant les obligations de transparence pour les parlementaires (obligation nouvelle de déclaration d'intérêts) de limiter son champ publicitaire.

Je partage ce choix mais, sous condition de mise en place d'une instance déontologique de contrôle incontestable. Une instance extérieure aux Assemblées, forcément nommée, n'étant pas plus indépendante qu'un organe interne, la moins mauvaise solution serait que celui-ci soit élu à la majorité qualifiée. La présence d'un magistrat en son sein serait un gage supplémentaire d'indépendance et d'impartialité.

Pour ce qui me concerne, cette instance déontologique devrait pouvoir être saisie par tout parlementaire et dotée de moyens d'investigation et du pouvoir disciplinaire.

Le Bureau des Assemblées ne saurait en tenir lieu et encore moins d'instance d'appel surtout si ses décisions sont prises à la majorité simple.

EXAMEN EN COMMISSION

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - A la demande du Bureau du Sénat, un groupe de travail, représentant chacun des groupes politiques de notre Haute Assemblée et que j'ai eu l'honneur de présider, a été créé le 9 novembre dernier. Notre mission était de dégager les modalités de prévention et de gestion des conflits d'intérêts pour les sénateurs.

Je tiens à souligner l'esprit consensuel dans lequel se sont déroulés nos travaux et je remercie Mmes Borvo Cohen-Seat et Escoffier, MM. Vial, Anziani, Collombat et Détraigne, pour leur participation et leur contribution à ce groupe de travail. L'état d'esprit qui a guidé nos travaux nous a permis de dégager 41 propositions majoritaires, qui témoignent d'une volonté transpartisane de renforcer la confiance de nos concitoyens dans le Parlement.

La France est souvent accusée de laxisme en matière de prévention des conflits d'intérêts. Or, notre analyse nous a conduits à un constat plus nuancé. Contrairement à l'idée qu'il n'existerait pas de dispositifs préventifs dans notre pays, les parlementaires sont soumis à des obligations déclaratives fortes, déclarations de patrimoine et d'activités. De même, les incompatibilités parlementaires prévues par le code électoral constituent le volet le plus strict et le plus efficace de la prévention des conflits d'intérêts. Les incompatibilités valent par rapport aux fonctions ministérielles, à celles rémunérées par un État étranger ou une organisation internationale ; mais aussi par rapport aux fonctions de direction ou de conseil dans les entreprises nationales ou les établissements publics nationaux. Il est également interdit de commencer à exercer une activité de conseil en cours de mandat, sauf si elle est exercée dans le cadre d'une profession réglementée telle que celle des avocats.

Par ailleurs, les deux Assemblées ont mis en place des dispositifs internes destinés à réguler l'activité des lobbies au sein du Parlement. En octobre 2009, le Bureau du Sénat a mis en place un registre public sur lequel doivent s'inscrire les représentants des groupes d'intérêt, qui s'engagent ainsi à respecter un code de conduite.

Notre groupe de travail a comparé les situations de divers pays occidentaux ; nous nous sommes rendus aux États-Unis et en Allemagne. La France n'est ni en retard, ni laxiste, et le système français est globalement plus performant que celui de nombreux États. Tous doivent concilier deux impératifs contradictoires : garantir la probité apparente des parlementaires et ne pas les priver de la liberté inhérente à l'exercice de leur mandat.

Pour cette raison, les obligations créées par les pays étrangers ne sont pas trop rigoureuses. La prévention repose non sur la contrainte mais sur la transparence. Les obligations sont généralement déclaratives, n'ont pas une vocation punitive mais informent les citoyens et responsabilisent les parlementaires. Enfin, par respect de l'autonomie du Parlement, les sanctions sont généralement prononcées par l'assemblée concernée. La probité des parlementaires n'est pas proportionnelle à la rigueur des normes ni à l'intensité du contrôle. Je vous renvoie au rapport pour les détails et je laisse nos collègues présents à Washington et à Berlin faire un bilan éventuel de l'application -parfois molle- des normes de déontologie qui y ont cours.

Nous avons élaboré 41 propositions ; je vous présenterai les principales. Le premier objectif a consisté à définir la notion de conflits d'intérêts, afin de prendre en compte les spécificités du mandat parlementaire. Rappelons en effet que les parlementaires bénéficient d'un pouvoir législatif collectif et se prononcent sur des questions générales touchant l'ensemble des politiques publiques ; ils n'ont pas de « portefeuille » prédéfini. Nous vous proposons une définition souple et pragmatique : « un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un parlementaire détient des intérêts privés qui peuvent indûment influer sur la façon dont il s'acquitte des missions liées à son mandat, et le conduire ainsi à privilégier son intérêt particulier face à l'intérêt général. Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d'intérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale ainsi que les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes. »

Notre deuxième objectif est d'assurer la transparence des engagements des parlementaires. Les déclarations d'intérêts inciteront les parlementaires à s'interroger et seront aussi bien un instrument de contrôle qu'un outil pédagogique. Le rôle régulateur n'est pas non plus à négliger, par exemple pour les nominations de rapporteurs. Concrètement, la déclaration d'intérêts prendrait la forme d'un formulaire afin d'éviter un contenu subjectif. Elle serait souscrite en début de mandat et actualisée à mi-mandat.

Les parlementaires devraient déclarer leurs intérêts professionnels et financiers et l'ensemble des intérêts susceptibles de créer un lien de dépendance économique, financière ou matérielle vis-à-vis d'un organisme extérieur au Parlement. Seraient naturellement exclus les intérêts moraux. Notre groupe de travail s'est interrogé sur la déclaration des intérêts détenus par les proches des parlementaires. Nous nous sommes accordés sur l'idée que les « proches » sont les personnes constituant le « noyau dur » de la famille, à savoir le conjoint, le partenaire pacsé ou le concubin, ainsi que les ascendants et les descendants majeurs. Toutefois, au nom du respect de la vie privée des proches, la description de leurs intérêts serait moins détaillée que celles des intérêts des parlementaires.

Les déclarations d'intérêts seraient accessibles à l'ensemble des sénateurs, et chacun d'eux aurait le pouvoir d'interroger l'autorité en charge de la déontologie sur les intérêts détenus par ses collègues. En revanche, nous ne souhaitons pas que les déclarations soient communiquées au public : nous vous proposons donc un contrôle fondé sur la publicité interne. En espérant qu'une consultation ne donnera pas lieu immédiatement après à une diffusion sur Internet...

Enfin, le groupe de travail n'a pas souhaité instaurer une procédure de déport, qui interdirait préventivement à un parlementaire de participer aux débats et au vote sur un texte : ce dispositif nous a en effet paru poser des lourds problèmes juridiques, au regard notamment de l'article 27 de la Constitution.

J'en viens à notre troisième objectif : la création d'une autorité de déontologie chargée du contrôle. Nous avons retenu une autorité propre au Sénat, chargée du contrôle des déclarations et du conseil. Elle disposerait de pouvoirs d'investigation et de contrôle. Elle serait composée exclusivement de sénateurs et constituée de manière pluraliste -chaque groupe politique y aurait au moins un représentant et aucun groupe politique ne disposerait d'une majorité. Il s'agit d'éviter tout soupçon de décisions fondées sur des critères partisans.

Cette autorité pourrait prendre deux formes : une émanation du Bureau aurait l'avantage de conforter celui-ci dans son rôle traditionnel de garant de la discipline au sein des assemblées et de prolonger sa compétence en matière d'incompatibilités ; ou une entité ad hoc, plus novatrice, dont les membres seraient élus à la majorité qualifiée par l'ensemble des sénateurs sur des listes comprenant des représentants de chaque groupe. Il appartiendra à notre Haute Assemblée de choisir entre ces deux options. L'autorité doit, selon le groupe de travail, être assistée par un magistrat de l'ordre judiciaire, issu de la Cour de Cassation, élu par les magistrats du siège et parmi les magistrats en exercice.

Notre quatrième objectif est de renforcer la liste des activités professionnelles incompatibles par nature avec le mandat parlementaire et de plafonner les rémunérations et autres revenus au titre de fonctions ou d'activités accessoires. Ainsi, nous proposons notamment que seuls les parlementaires qui exerçaient une fonction de conseil avant le début de leur mandat puissent continuer d'exercer cette activité pendant le mandat, et de supprimer la dérogation applicable aux professions réglementées.

Nous préconisons également l'intégration de nouvelles incompatibilités parlementaires : présidence d'un syndicat professionnel, et fonctions de direction, d'administration ou de surveillance dans les sociétés-mères des entreprises visées par le code électoral, par exemple.

Notre cinquième objectif est de mieux encadrer les relations entre les parlementaires et les entités extérieures aux assemblées. Nous proposons une déclaration des dons et avantages en nature d'un montant supérieur à 150 euros. Seraient exemptés les cadeaux d'usage entre délégations parlementaires et les cadeaux des proches.

Afin de mieux réguler l'influence des lobbies au sein du Parlement, nous proposons d'encadrer, voire de prohiber, la présence de sénateurs dans des groupes de travail ou des colloques à financement privé, en tant qu'ils apparaissent comme des outils d'influence de grands groupes privés à destination des parlementaires.

De même, les incompatibilités professionnelles applicables aux assistants parlementaires pourraient être renforcées : il est arrivé, à l'Assemblée nationale au moins, que des assistants aient aussi une activité salariée auprès de groupes de conseil privés et exercent sans la déclarer une activité de lobbying auprès des parlementaires...

Enfin, notre sixième objectif est de garantir des sanctions effectives, dissuasives, adaptées et proportionnées. Feraient l'objet de sanctions le non-dépôt de la déclaration d'intérêts, le dépôt d'une déclaration d'intérêts mensongère, l'absence de réponse aux demandes d'éclaircissements formulées par l'autorité, le non-respect de ses observations ou encore, la découverte d'une situation de conflit d'intérêts réel grave. Les sanctions seraient principalement disciplinaires.

M. Alain Anziani , co-rapporteur. - Il existe deux façons de gérer les éventuels conflits d'intérêts. Soit la régulation se fait par la transparence et la communication à une autorité des informations, ensuite diffusées par internet, charge revenant au public -groupes de pression, presse, associations- de contrôler les éventuels conflits. C'est le système américain ou allemand, qui s'accompagne d'incompatibilités fortes et de dérogations limitées -aux Etats-Unis, un parlementaire ne peut être enseignant ni avocat. Soit le contrôle est effectué par un tiers, dans un système de contrôle externe. Mais c'est un non-sens de prévoir un double verrouillage. Il en résulterait dans l'opinion l'idée de « petits arrangements entre amis ». Il faut donc trouver une voie médiane.

Je comprends mal le sort qui est réservé aux avocats. Tous ne sont pas avocats d'affaires ! Prenons l'exemple de Mme Gisèle Halimi. Elle a été avocate et députée ; au nom de quel principe aurait-on pu lui interdire de mener, et comme avocate et comme députée, son combat pour le droit à l'avortement ? Autre exemple, un avocat de la cause anti-OGM, devenu parlementaire, ne pourrait plus plaider ? Au nom de quel conflit d'intérêts ?

Je suis globalement favorable au rapport, mais je suis également favorable à la mise en place d'une obligation de déport. Le parlementaire ne saurait être seul juge des conflits d'intérêts qu'il peut connaître. La proposition n° 14 concerne les proches du parlementaire : nous avons considéré qu'il n'avait pas à décider lui-même qui est proche et qui ne l'est pas.

La formulation de la proposition n° 17 ne reproduit pas exactement ce que le groupe de travail a voulu dire : pour nous, il s'agissait de pouvoir saisir une autorité de déontologie qui opère le contrôle -mais, sans que ce parlementaire ne soit personnellement destinataire des informations concernant son collègue. Sinon, chacun voit bien la publicité qui sera donnée par ce biais.

La proposition n° 19 indique que l'autorité de déontologie est composée de sénateurs ; la proposition n° 23 mentionne l'assistance d'un magistrat. Mieux vaut fusionner ces deux propositions pour bien souligner notre volonté de ne pas créer une structure renfermée sur elle-même. Le magistrat aurait un rôle similaire à celui du rapporteur public devant la juridiction administrative ; il donnerait son avis mais ne prendrait pas part au vote.

La proposition n° 25, qui donne une compétence au Bureau en matière de conflits d'intérêts, donner le sentiment qu'in fine, nous refermons les portes. Nous devons trouver une solution qui correspond à nos objectifs : lutter contre le sentiment de parlementaires qui s'arrangent entre eux.

M. Pierre-Yves Collombat , rapporteur. - Nous avons confronté nos points de vue et nos idées ont évolué. Peut-être reste-t-il à régler sinon des problèmes, des confusions, dans les dénominations ou les concepts. Nous nous sommes intéressés à un certain type de conflits, celui qui oppose l'intérêt public et un intérêt privé. Nous avons laissé de côté les conflits entre intérêts publics concurrents.

Le conflit d'intérêts -qui est une situation pas forcément répréhensible- n'est pas la prise illégale d'intérêt, qui est un acte délictueux. La presse confond allègrement les deux.

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Nous proposons d'ailleurs de modifier la définition du délit de prise illégale d'intérêt.

M. Pierre-Yves Collombat , rapporteur. - Au cas présent, il s'agit d'éviter une situation de conflit d'intérêts ; et les corrections ou les sanctions relèvent d'une autorité disciplinaire, non de la procédure pénale.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur. - S'il y a délit, l'article 40 du code de procédure pénale s'applique.

M. Pierre-Yves Collombat , rapporteur. - Les parlementaires ne prennent pas de décisions individuelles, ne votent pas des subventions spécifiques, ils font la loi, ce qui ne les expose guère à la prise illégale d'intérêt. Il est utile de savoir qui sont les personnes qui s'expriment, mais la discussion parlementaire réside dans le choc des arguments et la loi est issue de ce processus. Afin de ne pas biaiser la discussion, il est préférable que le rapporteur ne soit pas trop impliqué dans des affaires en rapport avec le texte discuté. Mais pour le reste, c'est la confrontation des arguments qui compte ! Et une bonne connaissance du secteur objet du texte de loi ne nuit pas à la qualité du débat. Nous sommes « partis joyeux pour des courses lointaines », mais il n'en résulterait qu'une pure hypocrisie si nous décidions de soumettre les parlementaires à des formulaires interminables sans prévoir de sanction pour les comportements contraires à la déontologie. Aux Etats-Unis, en trente ans, seulement deux sanctions ont été prononcées, dont une pour harcèlement sexuel.

Nous avons aujourd'hui un dispositif en quelques points, avec des incompatibilités renforcées : mais si des intérêts dans certaines sociétés interdisent l'accès au mandat de parlementaire, soyez le grand chef de la holding qui contrôle ces sociétés et vous n'aurez aucun obstacle !

Pour certaines professions, nous avons beaucoup hésité. Les professions de conseil posent problème. Mais on ne saurait interdire l'exercice de toutes les professions : si l'on interdit à un médecin d'exercer, que lui restera-t-il à la fin de son mandat ? Nous proposons une régulation par la rémunération, comme pour le cumul des mandats ; aux Etats-Unis, un parlementaire médecin ne peut exercer sa profession qu'à titre bénévole, sans en tirer de bénéfice financier.

Je déplore que l'on n'ait pas réglé le problème du pantouflage. Tant que l'on est parlementaire, on est très surveillé, mais ensuite, liberté totale ! Mais nous avons laissé ce point de côté, estimant que notre sujet était suffisamment complexe.

Nous avons des désaccords essentiellement de détail, sauf sur l'organe de contrôle. Je suis favorable à la mise en place d'un organe interne, solution à laquelle nous sommes parvenus. Et j'ajoute que l'on n'est pas plus honnête, plus compétent ou plus indépendant parce que l'on n'est pas élu !

Bureau ou commission ad hoc : notre groupe a laissé la question ouverte. Je préfère pour ma part une commission élue à la majorité qualifiée. La présence d'un magistrat, c'est l'avantage d'un oeil extérieur, d'une ouverture. Je suis favorable à une saisine par tous les parlementaires et non seulement les membres du Bureau.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat , co-rapporteur. - Nous avons des idées communes sur de nombreux points. Je n'ai pas partagé toutes les préconisations. Mais tous nous avions le sentiment que le conflit d'intérêts n'est pas une notion française, qu'elle vient d'ailleurs. La France a une autre conception de l'exercice des fonctions publiques et de l'intérêt général, cela est écrit dans le rapport d'une façon extraordinaire. « Le conflit d'intérêts s'inscrit difficilement dans la vision française, issue d'une conception élitiste du pouvoir. L'intérêt général est distinct de la somme des intérêts particuliers, c'est un concept transcendant ». Les missions d'intérêt général sont confiées à des fonctionnaires intègres, non corrompus -grâce à leur statut et pas à leur vertu. Quant aux parlementaires, ils doivent respecter un régime d'incompatibilités.

Mais tout ceci appartient à une autre époque. Aujourd'hui, l'imbrication est de plus en plus grande entre les fonctions politiques et les fonctions privées. De nombreux députés et sénateurs ont à titre personnel ou familial des intérêts dans des entreprises, des banques, des établissements financiers. Il y a une certaine contradiction entre des préconisations qui visent le conflit d'intérêts apparent et des situations de conflit d'intérêts sous-jacent.

On pourrait durcir le régime des incompatibilités, d'autant que les parlementaires ne sont pas des ministres, ils ne prennent pas des décisions mais votent la loi. Cependant, il est vrai qu'ils sont entourés par les lobbies, les groupes d'intérêt ou d'amitié...

Je ne me reconnais pas dans cette conception du conflit d'intérêts. Je ne partage pas votre refus de toute publicité. Sans adopter le système américain, je suis partisane en revanche d'une publicité étendue. Vous vous méfiez de la presse mais tous les jours déjà elle révèle des cas de conflits d'intérêts ! Il faut savoir quels sont les intérêts de chaque parlementaire.

On veut rester entre soi. Le Bureau serait saisi des cas de possible faute. Cela ne débouchera sur rien : dans le passé déjà il a été saisi à répétition concernant certains sénateurs, et avec quel résultat ? Aucun ! L'entre soi ne permet pas le contrôle du conflit d'intérêts. Je suis d'accord pour que l'on remplisse des déclarations, que l'on signale les dons, mais on nous dit aussi qu'il faut savoir si le conflit d'intérêts se pose réellement.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur. - Le conflit apparent n'est pas le conflit réel...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Je m'abstiendrai sur le rapport.

M. Yves Détraigne , co-rapporteur. - Le groupe de travail a très bien fonctionné. Le rapport est le reflet d'un travail commun, même si toutes les propositions n'ont pas fait l'unanimité. Mais ne nous culpabilisons pas : nous ne partons pas de rien ! Je songe à la réglementation des incompatibilités, aux déclarations de patrimoine, aux vérifications par le Bureau du Sénat, à la réglementation des financements politiques, qui n'existe pas ailleurs. Le système américain, dans lequel les élus font de copieuses déclarations, publiques et épluchées par les associations, n'aboutit pas à des résultats spectaculaires. Et les financements politiques y sont totalement libres. Des millions de dollars sont versés par les entreprises sans que les bénéficiaires aient de compte à en rendre. Nous ne sommes pas plus mauvais que de nombreux pays !

Le débat de l'été dernier concernant un ministre, la méfiance chronique de l'opinion publique et des électeurs, nous ont conduits à mettre en place un groupe de travail pluraliste pour réfléchir à ces questions. Cela était indispensable.

J'approuve la plupart des propositions. Nous n'avons pas retenu les déclarations sur la place publique comme les Américains ou les Allemands. Cela me paraît sage. Livrer en pâture à l'opinion le patrimoine, les revenus des uns et des autres ne réconcilierait pas les citoyens et leur classe politique, au contraire. Nous vivons dans un pays de liberté, Mme Escoffier et moi avions du reste présenté une proposition de loi -adoptée par le Sénat- sur la protection de la vie privée contre la diffusion via internet et les réseaux sociaux.

Mais allons-nous assez loin dans le traitement en interne des déclarations ? Je rejoins M. Anziani : on pourrait aller plus loin. Ne donnons surtout pas le sentiment de vouloir laver notre linge sale en famille, de nous autoamnistier. Est-ce le parlementaire qui doit juger de la nécessité de se déporter ? Le Bureau doit-il être l'instance d'appel ? Le magistrat doit-il être cantonné dans un rôle marginal ? Je souhaiterais qu'on lui donne une mission plus importante, dans le cadre d'une commission ad hoc, où il apporterait ses compétences.

Bref, des améliorations sont possibles, mais ce travail très intéressant traite des questions que nous ne nous étions jamais posées auparavant.

Mme Anne-Marie Escoffier , co-rapporteur. - Nous devons protéger les parlementaires en leur disant, au moment de leur prise de fonction, ce qu'ils peuvent faire et ne pas faire. Le parlementaire doit être protégé contre lui-même. Il y a des parlementaires qui ont agi sans savoir exactement ce qu'ils faisaient. Bien évidemment, il y en a d'autres qui franchissent la ligne jaune sciemment.

S'agissant de dons et de cadeaux, j'ai eu à en connaître en tant que préfet : lorsqu'on vous offre une caisse de vin, vous l'inscrivez à l'inventaire de la préfecture. Mais quand il s'agit de deux bouteilles, vous les buvez !

Enfin, le seuil proposé dans le rapport pour la déclaration des dons -150 euros- me semble ridiculement bas : il mériterait d'être relevé.

M. Jean-Pierre Vial , co-rapporteur. - Je souscris aux interventions de mes collègues. Une remarque sur la compatibilité des cumuls. A Berlin, nous avons rencontré des parlementaires allemands qui ont échangé sur la chasse : l'un, passionné par ce sport, s'estimait pleinement investi de son mandat en défendant la cause de la chasse alors qu'un autre, qui représentait les intérêts économiques des professionnels, aurait pu tomber sous le coup du conflit d'intérêts.

Aux États-Unis, un parlementaire ne peut pas avoir d'autre mandat. Ainsi, un médecin peut continuer à exercer son art à condition qu'il n'en tire aucun revenu. Ces règles ont été posées à la suite de certains scandales et imposent aux parlementaires d'exercer leur mandat à temps complet -et ce mandat seul.

Deuxième remarque sur les proches : il faut être extrêmement précis et limitatif. Ainsi, je pense qu'il ne faudra viser que les descendants mineurs et les seuls conjoints ou partenaires de PACS.

Et puis, n'oublions pas le cas des assistants : certains peuvent se retrouver dans une situation identique à celle du parlementaire. Là aussi, des règles précises devront être édictées pour éviter aux parlementaires de se trouver dans des conflits d'intérêts à cause de leurs collaborateurs.

M. Patrice Gélard , président. - La proposition n° 3 qui oppose intérêt personnel à intérêt général n'est pas d'une grande clarté.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - Il faut lire tout le texte !

M. Patrice Gélard , président. - Il faudra une définition stricte des proches : on ne doit pas pouvoir reprocher aux descendants majeurs leur activité professionnelle.

Autre remarque : constitutionnellement, on ne peut poursuivre un parlementaire pour les votes et les opinions qu'il a émis dans le cadre de son mandat. Il faudra rappeler cela.

La proposition n° 32 prévoit la mise en place d'une déclaration de dons et d'avantages en nature : il faudrait préciser.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - Par exemple, un billet d'avion gratuit, c'est un avantage en nature.

M. Patrice Gélard , président. - Ce n'est pas si simple : lorsque vous êtes invité à un colloque et que le billet d'avion est payé, s'agit-il d'un avantage en nature ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - C'est le cas si vous passez ensuite huit jours au soleil.

M. Patrice Gélard , président. - Et puis, quand on fait référence aux colloques ou aux groupes de travail financés sur fonds privés, c'est totalement irréaliste ! La quasi-totalité des colloques sont financés ainsi.

M. François Pillet . - La notion de conflit d'intérêts est extrêmement complexe à manier et elle n'est pas encadrée juridiquement. J'ai écouté avec grand intérêt le président Hyest présenter le rapport du groupe de travail et j'ai été rassuré d'apprendre que la situation en France n'était pas si mauvaise que cela. Arrêtons de nous auto-flageller ! Je suis très réservé sur certaines des propositions qui nous sont faites. Ainsi, la notion de conflit d'intérêts est bien difficile à mesurer : l'intérêt collectif peut très bien se doubler d'un intérêt personnel, notamment lorsqu'un parlementaire viticulteur intervient sur la loi Evin.

M. Pierre-Yves Collombat , co-rapporteur. - Le rapport exclut ce cas.

M. François Pillet . - Ce qui prouve bien qu'on arrive aux limites de la logique.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - Je vous renvoie à la rédaction de la proposition n° 32 qui est très claire : « un conflit d'intérêts est la situation dans laquelle un parlementaire détient des intérêts privés qui peuvent indûment influer sur la façon dont il s'acquitte des missions liées à son mandat ».

M. François Pillet . - Et que se passe-t-il si je possède dans le cadre de mon PEA 25 % des actions du laboratoire Servier ?

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - Vous devrez les déclarer.

M. François Pillet . - L'intérêt est une notion très infiltrante !

Par ailleurs, la définition des proches ne prend pas en compte les amis ou les concubins provisoires qui parfois peuvent être bien encombrants...

Vous réglez la question des incompatibilités par les rémunérations, mais celles-ci peuvent prendre des formes diverses. Certes, la question des salaires est assez facile à régler. Mais comment faire pour les bénéfices agricoles des personnes qui travaillent en entreprise individuelle ? Celui qui voudra s'exonérer de ses obligations pourra parfaitement privilégier temporairement l'investissement et récupérer ses gains en fin de mandat. Même chose pour ceux qui travaillent en entreprise individuelle : ils n'auront qu'à se verser des dividendes plutôt que des salaires pour ne pas être soumis aux obligations que vous voulez édicter.

Enfin, je n'envisagerai de voter vos propositions que lorsqu'on abordera la question du statut de l'élu. Un avocat qui se consacrerait exclusivement à son mandat se retrouverait sans clientèle, et donc sans revenus, au bout de six ans. Quelle différence de traitement par rapport aux fonctionnaires !

Et puis, va-t-on m'interdire de participer à des colloques pour expliquer le rôle du législateur sous prétexte qu'ils sont financés par des fonds privés ?

Je regrette que l'histoire se répète à cause de quelques élus défaillants. Par leur faute, on est en train de rejouer Les animaux malades de la peste de La Fontaine.

M. Jean-Pierre Vial , co-rapporteur. - Lors de l'audition des représentants des assureurs, ces derniers nous ont dit qu'ils n'invitaient plus les parlementaires à leurs groupes de travail : c'est une décision radicale ! A l'inverse, d'autres groupes importants continuent à nous convier. Ne pourrait-on pas encadrer, en toute transparence, ces participations ?

M. Alain Anziani , co-rapporteur. - Je comprends les réticences de certains de nos collègues, mais je ne les partage pas. On ne peut pas prétendre que la question des conflits d'intérêts ne se pose pas dans notre pays. D'ailleurs, le Président de la République lui-même a souhaité que nous avancions sur le sujet. Ayons le courage d'agir et arrêtons de prétendre que nous faisons mieux que les autres.

M. Pierre-Yves Collombat , co-rapporteur. - Faut-il anticiper ou attendre des scandales pour procéder à la régulation ? La réponse s'impose d'elle-même.

Sur les conflits d'intérêts, je crois que la définition à laquelle nous sommes parvenus est satisfaisante ; elle précise : « ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d'intérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale ainsi que les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes ». Pour le cas de l'élu viticulteur, une loi sur la viticulture n'entre ainsi pas dans la catégorie des conflits d'intérêts alors qu'un texte favorisant tel ou tel cépage serait susceptible d'être concerné.

M. Jean-Jacques Hyest , co-rapporteur. - Jusqu'à présent, tout notre système reposait sur les incompatibilités, et non pas sur la soft law. Nous sommes donc bien loin de la pratique anglo-saxonne. Si nous devions la mettre en oeuvre, il s'agirait de dispositions organiques. Ici, il ne s'agit que d'incompatibilités renforcées. Les conflits d'intérêts ne peuvent être tous réglés par les incompatibilités. Nous allons être saisis d'un projet de loi sur les fonctionnaires et sur les ministres. L'Assemblée nationale a décidé, quant à elle, de mettre en place un « déontologue ». Les conflits d'intérêts existent, mais la majorité d'entre nous ne sait pas ce que c'est. Ainsi, depuis que je suis parlementaire, je n'y ai jamais été exposé.

Certains voudraient que la Commission de déontologie -ou l'Autorité de déontologie de la vie publique dont le rapport Sauvé préconise la création- gère toutes ces questions mais je les mets en garde : il ne faut pas remettre en cause le principe de l'autonomie du Parlement. L'organisation que le Sénat va mettre en place devra être pluraliste pour ne pas prêter le flanc à la critique et elle devra prévoir et appliquer des sanctions disciplinaires -ce qui n'est pas le cas, je le rappelle, malheureusement, des sanctions prévues pour absentéisme.

Sur les colloques, vous savez bien que deux ou trois cabinets spécialisés invitent des parlementaires pour ensuite exhiber leurs noms auprès de partenaires privés en vue d'en obtenir des financements : ce n'est pas moral.

J'en viens au rapport : nous allons le présenter au Bureau du Sénat, sans doute le 25 mai. D'ici là, je vous demande la plus grande discrétion sur nos conclusions. Je remercie mes collègues pour l'excellence de ce rapport. In fine, tout ne sera pas retenu, et c'est bien normal.

M. Hugues Portelli . - Je demande que l'on reporte le vote sur ce rapport, car il faut nous donner le temps de réfléchir à son contenu.

M. Jean-Jacques Hyest , président. - On ne vous demande pas d'approuver ses conclusions, mais d'autoriser sa publication.

La publication du rapport est autorisée.

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