DES TENDANCES QUI DESSINENT LES VILLES DU FUTUR

Il est relativement aisé d'imaginer la ville à l'horizon 2030. Elle est déjà pour une large part inscrite dans l'espace, compte tenu de l'inertie des phénomènes urbains. En revanche la ville à l'horizon 2050 sera sans doute profondément différente .

Pour tenter de dessiner les villes de 2050, et malgré les incertitudes sur les sauts technologiques possibles, on peut tenter de cerner les évolutions à venir en fonction de contraintes déjà identifiables comme la démographie, la consommation énergétique, la localisation des logements et des emplois ou l'évolution du crédit. En revanche d'autres variables, comme le modèle géopolitique mondial, l'évolution des technologies, le coût du bâti ou l'avenir de l'agriculture sont moins bien identifiables.

A titre d'illustration, on peut noter que les quartiers pavillonnaires de 2050 ont été construits dans les années 70 engendrant une forte consommation d'espace. Certains prospectivistes annoncent qu'il sera difficile à ces occupants de supporter les charges d'entretien et de rénovation en 2050. Sans doute, verra-t-on, parallèlement à l'évolution démographique, le rétrécissement et la répression de ces quartiers comme on le voit déjà dans certaines villes américaines.

Les technologies vont influencer aussi la manière de « faire la ville ». Déjà le GPS et la révolution numérique transforment les modes de déplacements des personnes et des marchandises. Mais dans le même temps, les exigences de mobilité dans les grandes conurbations se heurtent aux besoins budgétaires colossaux qu'exigent l'entretien des réseaux de transport qui ne peuvent, à terme, pour continuer à fonctionner, que s'appuyer sur une socialisation de leur coût.

Le coût des matières premières, de l'énergie et du bâti va poser inexorablement la question de l'arbitrage entre l'habitat individuel et l'habitat collectif et aussi du choix de la vie à proximité de la nature ou en ville.

Ces remarques conduisent aux conclusions suivantes :

1. Comme la ville dure et dure longtemps, les tendances sont déjà écrites dans les pierres des quartiers .

La ville puise ses racines dans son passé. Elle se développe en fonction de son histoire : d'abord une ville flexible, celle des nomades ; puis une « polis », ville des piétons ; désormais une megapolis avant d'être de plus en plus gigacity 173 ( * ) , vaste nappe urbaine sans contours définis. Seules les villes nouvelles poussent sur des pages blanches, mais elles sont de moins en moins nombreuses.

Il n'est donc pas absurde de prolonger les tendances pour connaître le visage des villes du futur .

Le passage à ces différents stades a correspondu à un mouvement de structuration de la ville. Au XIXème siècle, avec la construction des grands réseaux de transport, d'eau, d'électricité, de métros, la ville s'organise de telle sorte qu'elle n'est évidemment plus déménageable comme l'était la ville des nomades. Avec les gigacity , les villes des trains à grande vitesse, de la fibre optique, mondialisées, tout dans la forme des villes devient plus haut, plus dense, plus étendu. La ville lieu de commerce devient un gigantesque marché de concurrence aux dimensions mondiales rassemblant des entreprises planétaires. Les choix structurants deviennent irréversibles et les procédures habituelles deviennent inadaptées compte tenu de l'importance des enjeux qui engagent bien au-delà de la durée des mandats électifs.

2. Le second élément à prendre en compte est celui des modèles de ville.

Le retour vers le passé permet de constater que les peuples anciens avaient développé de nombreux modèles en fonction de la géographie, du climat ou de la population : villes en damier, villes linéaires, villes concentriques, villes étalées, villes plates, villes en collines etc...

Mais avec la mondialisation, les modèles urbains se sont raréfiés . La diversité s'est appauvrie au profit d'un modèle globalisé qui est souvent plaqué sur les quartiers historiques. C'est le quartier des affaires avec son sky-line , type New-York, Dubaï ou Shanghaï. Toute la question est de savoir si le modèle uniformisé d'une ville mondialisée continuera à se développer partout ou si on s'orientera à nouveau vers une pluralité des modèles, des formes d'urbanisme, d'architecture, d'habitat, de rapport à l'environnement.

Il y a un paradoxe de la prospective qui « dénombre » à l'infini des futurs comme s'ils procédaient d'évolutions mécaniques, pré-écrites en quelque sorte. Alors que la fonction du politique est de préparer un (ou des) futur (s) soumis aux choix des citoyens, puis de les mettre en oeuvre. La question de savoir si ce futur des villes relèvera d'un modèle uniforme ou procédera de diversités voulues et assumées est une question profondément politique. C'est une question de choix et de volontés.

3. Dans le même temps, l'aggravation des inégalités constatées partout dans les mégapoles du fait du mode de fonctionnement de l'économie mondialisée, tend à aggraver le phénomène de l'étalement urbain dans des banlieues informelles , bidonvillagisées , destructurées, soumises à la précarité, à la violence urbaine et à l'insalubrité. Corollaire de ce phénomène : celui des quartiers ghettos de riches, communautarisés dans des enclos boboïsés . La cassure sociale se traduit dans la pierre . Si elle perdure et se renforce, cela risque d'aviver et de renforcer les affrontements sociaux, faute de mixité sociale, de solidarité et de « vivre ensemble ». D'autres scenarii sont bien sûr possibles. Et c'est encore une question de choix et de volonté politiques.

4. Pour prolonger les évolutions, il faut enfin faire appel à la dimension temporelle. Le passé des villes, les modèles urbains disponibles, les effets de la mondialisation et les cassures sociales conduisent à des modifications du processus de construction de la ville dont on peut présager les évolutions en fonction du temps. Ces processus dépendent de la vitesse de croissance des ensembles urbains, de l'intensité de l'accroissement de la démographie, des échanges et de l'efficacité des modèles économiques.

5. Seule restriction possible à la croissance inéluctable des villes monde , la menace des « cygnes noirs », ces évènements totalement imprévisibles comme l'attentat du 11 septembre 2001 à New-York ou le tremblement de terre et le tsunami au Japon en 2011. Ces événements sont liés aux effets du changement climatique, aux pandémies sanitaires, aux catastrophes industrielles, à l'épuisement des ressources énergétiques fossiles, à la destruction de l'environnement naturel, aux limites des modèles de développement compétitifs. Pour autant, ces évènements, si terribles soient-ils dans leurs effets, ne modifient pas radicalement sur la durée les tendances identifiées au plan mondial.

En résumé, les villes du futur peuvent être, si l'on prolonge les courbes et si l'on extrapole à partir de l'existant :

- de vastes nappes urbaines énergivores inadaptées pour faire face aux catastrophes de demain, qui draineront l'essentiel de la population et qui occuperont de plus en plus d'espace aux dépens de la nature ;

- des ensembles urbains sans limites, sans cesse menacés de thromboses dans le fonctionnement des réseaux de transport avec d'immenses banlieues inorganisées où s'accumulera un monde de déshérités côtoyant quelques ghettos de riches ;

- des quartiers mondialisés denses plaqués sur les vastes ensembles urbains, comme autant de vitrines provocantes et arrogantes de l'égoïsme de quelques uns face au désespoir du plus grand nombre ;

- des pôles de grandes villes en réseaux au sein des nappes urbaines profitant des effets d'entraînement des villes mondes attirant à elles les capitaux et les talents ;

- quelques petites villes de taille moyenne qui subsisteront difficilement, voire disparaîtront, faute de populations et de ressources captées pour l'essentiel par les vastes métapoles.

Il ya là des tendances lourdes -ce qui n'est pas rien !

Mais il n'y a rien d'inéluctable .

Tout dépend une fois encore des politiques qui seront menées.

Mais il est temps maintenant de synthétiser les pistes que nous pouvons dégager pour le devenir de nos villes, pistes qui seront étayées et discutées dans les tomes 2 et 3 du présent rapport.

DES ÉVOLUTIONS INÉLUCTABLES ?

Ces évolutions sont sans doute déjà à l'oeuvre de manière inéluctable dans toutes les villes du monde à un horizon 2030. Mais ce caractère inéluctable peut faire l'objet d'infléchissement -voire de modifications plus profondes- à un horizon 2050 si des options politiques sont engagées dès à présent dans le contexte des basculements en cours et des transitions engagées dans de nombreux domaines.

Quels sont les domaines dans lesquels des inflexions, mais aussi impulsions et « changements de cap » sont possibles ?

Les auditions auxquelles il a été procédé 174 ( * ) laissent entrevoir de larges pans de l'activité humaine sur lesquels le Politique peut intervenir :

- la gouvernance des nappes urbaines et la participation des habitants aux décisions collectives ;

- la planification des réseaux ;

- la gestion des transitions ;

- le choix des modes de transport et de la localisation des activités ;

- la préservation de l'environnement ;

- la lutte contre la ségrégation sociale ;

- la maîtrise du foncier ;

- l'orientation des financements de la ville et l'engagement du secteur public.

1. la gouvernance des nappes urbaines et la participation des habitants aux décisions collectives

Devant l'avancée inexorable de la ville informelle des nappes urbaines et de leurs quartiers misérables, on constate souvent -trop souvent ?- une forme de fatalisme ; c'est le résultat d'un système de pouvoir en place, de modèle économique et financier mondial qui ne peut changer à court ou même à moyen terme. La conséquence en est que les centres mondialisés, pour échapper au magma urbain des quartiers de villes informels, ont tendance à se déplacer vers les périphéries des grandes agglomérations. C'est dans ces périphéries que se développent de plus en plus des « gated communities » lesquelles contribuent à l'accroissement de la ségrégation sociale.

Cette situation n'est pourtant pas inéluctable. La ville peut être autre chose que le jeu des marchés mondialisés. Elle peut retrouver du sens et s'inventer un projet. C'est tout l'enjeu de la gouvernance. Jusqu'en 2020, les villes vont continuer à se développer sur la base des tendances lourdes actuellement connues. Mais les politiques publiques peuvent modifier cette évolution à partir de 2030 si des décisions sont mises en oeuvre dès maintenant dans le cadre de périodes de transition.

La question de la gouvernance s'inscrit dans l'espace entre le mouvement et l'inertie . Elle est en particulier sensible pour les communes périurbaines : un millier en Ile-de-France avec une population moyenne de 1.200 habitants par commune.

Il est clair qu'il est indispensable de mettre en place des instances démocratiques de gouvernance des entités urbaines ou aires urbaines considérées dans leur ensemble. Il est tout aussi clair que des pouvoirs locaux de rang inférieur sont indispensables et que l'une des questions est d'articuler les uns et les autres : la commune, le quartier, l'agglomération, l'aire urbaine agglomérée et, au-delà, le bassin de vie et d'habitat cohérent.

En terme de gouvernance, l'habitant reste rattaché à sa commune, ne serait-ce que par le registre de naissance mais les villes du futur ne peuvent être de toute manière pensées qu'en fonction de leur fonctionnement institutionnel à venir.

L'organisation des nappes urbaines autour des pôles secondaires dans le cadre de réseaux de villes permet aux entreprises d'apporter plus facilement des réponses techniques, car, outre des problèmes de gouvernance, au-delà d'une certaine dimension, la ville perd de son efficacité et la production économique de son efficience . Au niveau de la zone urbaine, il faut une réflexion globale menée dans le cadre d'une gouvernance adaptée. Mais une gouvernance globale n'est pas nécessairement une gouvernance centralisée si les différents pôles s'équilibrent dans leurs tailles, dans leur attractivité et dans leurs fonctions. Il faut surtout que les habitants se sentent bien là où ils ont choisi de vivre et de travailler.

Il est donc clair que de tels schémas vont de pair avec le concept d'une ville ou d'une agglomération multipolaire.

Derrière les invariants urbains -ou prétendus tels- il y a toujours des politiques possibles. Il y a toujours la possibilité de choisir autre chose que le laisser-faire. Le rôle du politique reste essentiel pour maitriser l'urbain généralisé. C'est pourquoi il est paradoxal de vouloir continuer à piloter les agglomérations à partir des communes alors que les politiques structurantes ne peuvent être décidées qu'au niveau de l'agglomération. Le résultat est que les citoyens sont de fait écartés des grands choix structurants parce que le projet municipal peut l'emporter sur le projet de la communauté alors que ces décisions relèvent incontestablement de la communauté.

2. La planification des réseaux

Les mégapoles mondiales vont construire dans les prochaines années un deuxième monde urbain avec l'arrivée dans les villes de deux milliards supplémentaires d'habitants. Aucune ville dans le monde n'est en réalité réellement parvenue à maîtriser le phénomène de la prolifération urbaine.

La croissance des villes dans le futur est en fait inéluctable . Mais entre les 17 millions d'habitants du Grand Paris et les 21 millions d'habitants de Mumbai, la situation n'est pas la même, en terme de densité comme en terme de vitesse de croissance des villes. Téhéran est passé en 30 ans de 4 à 14 millions d'habitants, mais en 30 ans, Paris n'a pratiquement pas gagné d'habitants.

Cette apparition de nappes urbaines n'est pas nécessairement une catastrophe si elle est accompagnée par la création d'infrastructures adaptées qui tiennent compte de la spécificité de chaque espace urbain . Dans une nappe urbaine, le plus important pour une autorité municipale, c'est de mettre en place le programme qui permettra dans le temps de réaliser les infrastructures de réseaux en commençant par les plus essentielles (assainissement, eau, transports etc...), notamment pour anticiper les nouveaux risques urbains.

Il faut noter que les réseaux étaient jusqu'à présent souvent construits et exploités dans les grandes villes par des entreprises placées en situation de monopole dans le cadre d'une délégation de puissance publique. Les évolutions technologiques, mais aussi économiques dans le cadre des politiques généralisées de concurrence, conduisent à imaginer des solutions décentralisées de construction et de gestion des infrastructures du fait de la présence de nouveaux prescripteurs (promoteurs, constructeurs, architectes, industriels...).

Améliorer les conditions de vie en milieu urbain
dans les pays en développement : quel rôle pour ONU Habitat ?

Créé en 1978, ONU-Habitat (ou UN-Habitat en anglais) est le programme des Nations Unies pour les établissements humains et a pour but d'aider « les citadins pauvres en transformant les villes pour en faire des lieux plus sûrs, plus sains et plus verts offrant davantage d'opportunité et où chacun peut vivre dans la dignité » 175 ( * ) . Cette volonté d'aider les populations pauvres des pays en développement à surmonter les problématiques liées à l'urbanisation est affirmée par la présence du siège de l'organisation à Nairobi, au Kenya. Devenu en 2001 un Programme des Nations Unies à part entière, ONU-Habitat est désormais dirigé par un conseil d'administration composé de 58 Etats qui en assurent le financement aux côtés d'autres institutions des Nations Unies et de la Banque Mondiale qui contribuent à certains projets.

Afin d'assurer au mieux ses missions, ONU-Habitat collabore avec des organisations à tous les niveaux (collectivités, multinationales, centres de recherches, ONG) en vue « de construire, gérer, planifier et financer le développement urbain durable » 176 ( * ) . Cette forte collaboration permet à l'heure actuelle la mise en oeuvre de plus de 90 programmes dans quelques 60 pays en voie de développement. Dans le cadre du Plan stratégique pour la période 2008-2013, ONU-Habitat s'est fixé quatre priorités : promouvoir un logement convenable pour tous, améliorer la gouvernance urbaine, réduire la pauvreté dans les villes, gérer la reconstruction après catastrophes. Pour y parvenir, ONU-Habitat mène des actions de formation dans le domaine de la gestion et de la prise de décision auprès des acteurs locaux afin que ces derniers soient en mesure de faire face aux problèmes économiques, sociaux, environnementaux qu'ils rencontrent. ONU-Habitat est également à l'origine du Réseau pour le développement urbain durable (SUD-Net) qui réfléchit à des stratégies susceptibles de minimiser l'empreinte écologique des villes.

A travers ces différentes actions, ONU-Habitat a réussi à mettre la lumière sur la problématique du logement en milieu urbain déshérité. Sa revue Le Monde Urbain ainsi que la création du Forum urbain mondial et de la Journée mondiale de l'habitat participent à la sensibilisation de l'opinion publique mondiale sur ce sujet.

C'est pourquoi ONU-Habitat doit plutôt être vu comme un support technique à destination des pouvoirs publics locaux : mise en place de formations, création de réseaux d'échanges scientifiques, d'outils d'évaluation. Ces outils sont primordiaux, surtout pour des pays qui sont dans l'incapacité de mener à bien des réflexions approfondies par manque de budget et de spécialistes. Néanmoins, il semble aujourd'hui urgent de renforcer le rôle d'ONU-Habitat en lui donnant les moyens nécessaires lui permettant d'intervenir concrètement sur le terrain avec le déblocage de fonds suffisants sans commune mesure avec ceux dont il dispose actuellement pour la réhabilitation de l'habitat précaire.

Ces nouveaux réseaux (par exemple de communication), en raison aussi de la multiplication des opérateurs, échappent aux formes traditionnelles de régulation publique . Le modèle économique où les actifs lourds étaient équilibrés par une tarification au volume est remis en question par l'arrivée de nouveaux entrants dont la contribution au fonctionnement des réseaux met en question leur pérennité.

Le financement des grandes infrastructures structurantes risque, de surcroît, d'être contraint à l'avenir par la montée de l'endettement des collectivités publiques . Le recours aux partenariats public-privé se développe de façon contrastée (on y a davantage recours aujourd'hui en France, moins en Grande-Bretagne). S'il peut, dans certaines conditions, apporter des solutions, il ne faut pas méconnaître qu'il a pour effet de faire payer sous forme de loyers aux générations suivantes ce qui n'est pas payé aujourd'hui.

Le financement de la ville -et particulièrement de ces nouvelles infrastructures- implique, dans la plupart des cas, le fait que, à côté de l'impôt et des redevances, la rente foncière soit mobilisée par ou au profit de la puissance publique : en Chine, elle intervient à hauteur de 45 % par le jeu d'une propriété du sol amoindrie permettant aux collectivités aménageuses de récupérer une large part de cette rente.

L'urbanisme consiste à faire la trame viaire et sanitaire d'une aire urbaine. C'est ce qu'ont fait les grandes villes européennes au XIXe siècle. C'est le rôle du cadastre, mais le parcellaire ne suffit pas pour structurer un ensemble urbain. La superposition des cartes de l'aire urbaine dans le temps permet d'identifier les leviers de structuration d'un ensemble informel dans une nappe urbaine.

C'est la réaction du mouvement hygiéniste du XIXème siècle qui est à l'origine de la séparation des fonctions dans la ville, en éloignant les industries des lieux d'habitation. L'automobile, le rôle de la construction après la première mondiale ont distendu ces fonctions qui restaient avant dans une certaine proximité du fait des déplacements qui continuaient à se faire à pied. C'est la diversité des fonctions qui fait la mixité sociale.

3. La gestion des transitions

La question des transitions incontournables se pose dès à présent compte tenu d'évolutions certaines :

- démographiques (par l'effet de l'élévation du niveau scolaire dans les villes du Sud) ;

- énergétiques , du fait de l'étalement urbain ;

- économiques , par les effets du renchérissement des produits faits en Chine ;

- alimentaires avec la nécessaire revalorisation du métier d'agriculteur.

C'est d'ailleurs parce que le phénomène urbain est actuellement dans une phase de transition que la ville est surtout ressentie à travers ses nuisances : bruit, pollution, congestion, etc. Elle est essentiellement le résultat d'un développement qui, jusqu'à présent, avait été surtout conçu par grands domaines sectorisés.

Pour traiter les transitions qui s'imposent afin de pouvoir orienter les villes d'après 2030, il faut en fait créer de nouvelles solidarités économiques et sociales sur la base des éléments constitutifs de la ville que sont l'eau, l'énergie et le foncier . Dans son fonctionnement actuel, la ville, du fait de ses fractures, produit de l'insécurité. L'intelligence collective permet d'inventer de nouvelles formes d'autonomie des villes autour de ces éléments constitutifs.

Pour autant la ville est moins le problème que la solution car les avantages métropolitains sont en effet nombreux : effets de taille, augmentation des échanges intellectuels, avantages des complexes portuaires. Mais les préoccupations environnementales vont conduire à remettre en cause certains flux de marchandises.

La réflexion doit se faire à l'échelle mondiale parce que ce qui se passe dans nos villes, voire dans nos quartiers, dépend aussi de ce qui se passe à l'autre bout du monde . Il faut penser à la fois le global et le local comme le montre le projet franco-vaudo-génevoix portant sur l'urbanisme de la région de Genève et traitant des déplacements domicile-travail, de la structure inter-territoires.

Faut-il une ville « dirigiste » ou une ville « libérale » ? Le foncier et l'infrastructure doivent pour la plus grande part relever de la partie publique, car il faut que le plus grand nombre d'habitants puisse accéder à des espaces publics. Le domaine public doit rester préservé et ne pas être cessible sauf exceptions et compensations. En revanche, la forme de la ville, ses modes de construction, son attractivité relèvent de la multiplicité des choix individuels. Mais le rôle de la gouvernance est de les orienter dans le sens du projet collectif.

Une ville, c'est un réseau d'infrastructures publiques, stable dans le temps, et d'évènements privés qui changent. Cette mixité entre puissance publique et initiatives des acteurs de la ville est la condition d'un développement maîtrisé.

Pour que cette gouvernance soit efficace, encore faut-il qu'elle échappe au clientélisme, à la corruption et aux lobbyes . En Syrie et en Egypte, les municipalités, qui sont -ou plutôt étaient- élues dans le cadre du parti unique, ont peu de pouvoir. Elles cherchent parfois à améliorer la situation, mais elles n'ont que peu de marges d'action et l'Etat ne s'occupe des banlieues que lorsqu'il y a des problèmes. C'est sans doute en Jordanie, à Amman, qu'il y a une réflexion sérieuse sur l'évolution de l'urbanisme ; le souverain éclairé a facilité la venue de consultants ; des infrastructures routières ont été créées et des terrains viabilisés. Dans d'autres pays, les services urbains et les infrastructures ne sont réalisées qu'en échange d'une forme d'allégeance politique des habitants.

4. Mixité sociale et fonctionnelle : sortir du ghetto et des zonages

Dans les aires urbaines du futur on doit souhaiter que toutes les fonctions soient mélangées . Il faut rompre avec le modèle souvent hérité des XIX e et XX e siècles se traduisant par l'affectation d'une fonction à chaque espace, qu'il s'agisse d'une fonction dominante ou exclusive de toute autre. Aussi bien pour des raisons de mixité sociale que pour des raisons fonctionnelles, car c'est la diversité des activités qui va attirer les habitants de diverses origines, de différents métiers, de différentes cultures et, in fine, apporter créativité et innovation rendant une aire urbaine attractive.

Certaines d'activités, comme l'artisanat ou comme le commerce, peuvent se réintroduire dans le centre des villes au moment où le modèle des hypermarchés atteint ses limites ; d'autres, à l'inverse, d'ordre industriel, resteront à l'écart des zones denses. Pour les activités tertiaires qui peuvent être indifféremment localisées, de nouvelles formes d'organisation du travail peuvent apparaître avec la révolution numérique comme des hôtels ou des centres de travail intelligents où les salariés d'entreprises différentes peuvent non seulement y installer provisoirement leurs outils numériques, mais aussi échanger humainement. Ce sont de nouveaux lieux de convivialité adaptés à l'ère numérique ; ils transforment les modes de transport, facilitent la garde des enfants.

L'alternative à l'étalement urbain, qui engendre une consommation excessive d'espace et induit de nombreux coûts, est clairement la densification de la ville sur la ville . Cela passe par la maîtrise du foncier. Quant aux difficultés à introduire de la mixité fonctionnelle dans les espaces urbains, elles tiennent pour une large part aux contradictions dans l'usage des espaces publics, les flux routiers par exemple faisant pression sur cet espace. Mais la mixité fonctionnelle doit aller de pair avec la mixité sociale si souhaitée et si difficile à mettre en oeuvre maintenant.

Les hypermarchés périphériques des zones commerciales sont des prédateurs du commerce de centre ville. C'est une spécialité française. Mais il serait possible de réintroduire une certaine diversité fonctionnelle en introduisant des espaces culturels ou sportifs dans les zones commerciales. Il faut mettre du gratuit ou du quasi-gratuit -comme des bibliothèques- à côté du marchand. Une ville, c'est un réseau d'infrastructures publiques, stable dans le temps, et des évènements privés qui changent .

Dans les territoires complexes de la ville moderne, le périurbain n'existe pas. Les territoires autour des centres deviennent des mosaïques où s'installent la pauvreté, des populations vieillissantes exclues des services à la personne, des couches sociales qui vivent juste au-dessus des minimas sociaux. La cohérence urbanistique des villes en réseau sera trouvée dans une approche globale qui intègre la mixité sociale . La question est posée de savoir quels seront les efforts de solidarité nécessaires dans le cadre des futures mégalopoles. Pour éviter que les ghettos de riches ne créent des ghettos de pauvres, pour éviter que les banlieues informelles ne soient le terreau des futures violences urbaines, la ville doit replacer le « vivre ensemble » au centre de la réflexion politique et urbanistique. Faire la ville, c'est vivre ensemble.

Cela appelle d'abord des choix politiques forts en matière de lutte contre les inégalités. Il est vain d'appeler à la résorption des bidonvilles, à la mixité sociale et de discourir sur les futures villes harmonieuses si l'on ne met pas la solidarité à l'ordre du jour. Le meilleur urbanisme du monde ne dispensera en rien la nécessité d'affecter une part importante des ressources financières disponibles aux quartiers pauvres et donc aux êtres humains qui vivent dans la pauvreté.

La mixité sociale dans les villes sera, de surcroît, le fruit de politiques volontaristes faisant le choix -par des lois, des règles, des contrats, des dispositifs financiers- de favoriser l'implantation de logements sociaux, de logements d'insertion, de logements de transition entre le bidonville et l'habitat dit « ordinaire » dans un vaste éventail de sites à l'intérieur de la « nappe urbaine » - idéalement sur tous les sites.

Mais cela ne suffit pas, ne suffira pas. L'idée même de déplacer, en quelque sorte, les populations des bidonvilles pour qu'elles essaiment dans l'ensemble de la ville est une abstraction . Les choses ne se passent pas globalement ainsi, même si elles se passent ainsi pour un certain nombre -pas la majorité- des habitants des quartiers pauvres qui bénéficient de l'ascenseur social, quand il existe.

Ces quartiers, il faut donc en même temps, les rénover eux-mêmes, par eux-mêmes, sur eux-mêmes. Contrairement aux visions simplistes ou misérabilistes, ils se caractérisent par des réseaux de sociabilité complexes. Il y a aussi, là, une urbanité, qui coexiste avec la misère . Il y a donc une tâche considérable à mener à l'intérieur : faire les réseaux indispensables pour des raisons sanitaires et l'accès aux ressources vitales : assainissement, électricité, eau, voirie, câble, etc. ; rénover l'habitat par des démarches visant, selon les cas la réhabilitation ou la reconstruction sur place ; organiser des services publics, des espaces publics, développer la démocratie et la participation, etc.

Pour sortir des ghettos et de la ségrégation sociale, il faut donc indissociablement agir au niveau de chaque quartier pauvre et au niveau de l'aire urbaine et promouvoir la mixité .

Encore un mot sur la mixité. Même si les lois et les règlements l'imposent à juste titre (pensons à la loi SRU en France), il est illusoire de croire que l'on pourrait se contenter de simplement décréter la mixité.

Tant que les logements sociaux étaient assimilés dans l'esprit public à des tours et à des barres ou à des logements connotés comme étant visiblement des logements sociaux, il pouvait paraître difficile d'imposer dans chaque partie de l'aire urbaine un pourcentage de logements sociaux déterminés. Mais dès lors -et c'est une évolution notable dans nombre de pays- que les logements sociaux sont des logements de qualité comme les autres , ne donnant donc pas lieu par leur configuration même, à une quelconque stigmatisation, la mise en oeuvre de la mixité sociale est beaucoup plus aisée. Mais la mixité des populations et du bâti peut rester malgré tout une vue abstraite si on n'appréhende pas simultanément la question de la mixité fonctionnelle.

Nous l'avons dit : nous avons hérité des XIX e et XX e siècles dans nombre de pays de villes fonctionnellement fractionnées : centre ville patrimonial, zones périphériques vouées au seul habitat, qu'il soit vertical (barres et tours) ou horizontal (nappes pavillonnaires) ; entrées de villes vouées au commerce ; parc d'activités voués aux entreprises ; campus universitaires voués à l'enseignement ou à la recherche ; parcs de loisirs voués aux divertissements, etc.

Quelles que soient les justifications de ce zonage - lié notamment à l'idéologie du tout automobile -, il est clair que la ville du futur devra revenir sur ces autres ségrégations, les ségrégations fonctionnelles.

On voit en effet que le modèle du zonage fonctionnel est en crise . Les zones vouées quasi exclusivement à l'habitat manquent d'éléments forts créateurs d'urbanité ; les hypermarchés connaissent leurs limites et l'on revient à des commerces de centre ville ou de quartiers ; les campus universitaires paraissent lointains et isolés et on s'emploie à les rapatrier dans la ville ; à l'heure de l'Internet, de la télématique et de la montée du tertiaire et des services, les raisons qui incitaient à assigner des zones spécifiques, loin de la cité, aux entreprises ne sont plus pertinentes -ou plutôt elles ne le sont plus dans nombre d'activités.

En résumé la ville de demain sera faite indissociablement de mixité sociale et de mixité fonctionnelle.

5. Le choix des modes de transport et de localisation des activités

La question de la densité urbaine est essentielle. Mais il faut distinguer densité et intensité, l'intensité permettant un accès à plus de services et de potentialités . Certaines études récentes montrent que la densité ne serait pas dans tous les cas la meilleure réponse en terme d'environnement. La ville moyennement dense du type « faubourg » serait selon ces études le modèle le plus adéquat pour éviter en particulier les déplacements réguliers des urbains vers la nature.

Mais il faut être prudent. La densité présente deux avantages incontestables : elle réduit la consommation d'espace et aussi d'énergie, alors que le mitage accroît les coûts de déplacement . Il faut aussi ajouter que la densité peut (et doit) aller de pair avec parcs, coupures vertes et jardins. On peut sur un espace donné marier de fortes densités avec des espaces publics conséquents voués au sport, aux parcs, à la verdure. C'est au total plus pertinent qu'un urbanisme lâche, relativement peu dense, dépensier en espaces et faible en urbanité (au sens de la vie sociale urbaine).

L'urbanisme du possible consiste d'abord à redonner la priorité au transport collectif dans les villes et en limite des villes, là où le phénomène de l'étalement urbain est le plus sensible .

6. La préservation de l'environnement

La mégapole et les nappes urbaines sont a priori antinomiques avec une politique de préservation de l'environnement, avec le défi du changement climatique ou de la préservation des biotopes . Mais comme il est illusoire à échelle humaine de réduire drastiquement la taille des mégapoles, il faut donc les réformer, les faire évoluer dans deux directions :

- d'abord mettre en place tous les dispositifs internes favorables en terme de protection de l'environnement , qu'il s'agisse d'assainissement, d'économie, d'énergie, de retraitement des déchets, de choix des matériaux pour la construction et les travaux publics, etc... ;

- en second lieu, il faut recréer des coupures vertes conséquentes (parcs, jardins, espaces sportifs) dans toutes les parties des mégapoles et faire que cela soit l'un des facteurs essentiels de la restructuration et de la structuration future de ces mégapoles.

En résumé, l'écologie sera une démarche intrinsèque et extrinsèque, impliquant aussi bien les comportements les plus quotidiens que la configuration urbaine, pariant sur la mixité entre habitat dense et vastes espaces verts.

Ce qui est le plus frappant dans les dernières décennies, c'est la brutalité de la mutation qui, en trois générations, a fait basculer les populations du rural à l'urbain . Avant de pouvoir gérer écologiquement cette mutation, il faut d'abord pouvoir gérer politiquement ces nouvelles aires urbaines. Il faut aussi tenir compte du fait que, dans l'extrême pauvreté des villes du Sud, les modèles perfectionnistes à l'européenne ne fonctionnent pas.

De plus l'approvisionnement des nappes urbaines est énergivore . Il faudrait annexer, entre les pôles urbanisés, des lambeaux de champs ou de zones maraichères qui subsistent et des réserves forestières. En matière d'énergie, il faut réduire le plus possible la consommation des énergies fossiles par le recours aux énergies renouvelables : miniaturiser et disperser les lieux de production est désormais possible avec les outils de maîtrise informatique des réseaux, notamment en matière d'électricité.

Des mesures sont possibles pour préparer l'avenir des villes au-delà de la génération actuelle :

- en matière de nourriture , par exemple avec la constitution de coopératives agricoles à proximité des villes, la création de sociétés civiles d'intérêt collectif (SCIC), la réserve de terres agricoles pour la production alimentaire grâce à un statut sécurisant le retour à la production agricole de parcelles préservées.

- en matière d'énergie par sa redistribution à l'échelle locale entre les producteurs excédentaires et les demandeurs sous toutes les formes disponibles dans une ville : géothermie, biomasse, vent, solaire, chaleur des eaux usées etc...


* 173 Métropoles XXL en pays émergents, sous la direction de Dominique Lorrain, SciencesPo Les Presse, 2011

* 174 Tome III, Débats

* 175 Brochure de présentation d'ONU-Habitat, http://www.unhabitat.org/pmss/listItemDetails.aspx?publicationID=2673

* 176 Ibid.

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