2. HELSINKI : comment concilier nature et développement ?

Ville de tous les superlatifs, Helsinki ne cesse d'être comparée, citée en exemple comme modèle de développement souhaitable pour les années à venir. Avec la croissance de population la plus élevée d'Europe (+1,5%), un taux de chômage réduit (moins de 5%), un écart des revenus très faible (de 1 à 8, alors qu'à Londres, par exemple il est de 1 à 1100), un très fort ratio d'usage des transports en commun (72% des déplacements quotidiens pendulaires), un taux de 85% d'habitants vivant en appartements et un taux de 73% d'habitants ayant droit à l'appellation « sociale », la ville d'Helsinki semble n'avoir que des qualités. Comment expliquer ces résultats ? Est-il possible dans une approche prospective, de penser le développement d'autres villes à travers le prisme de la capitale de la Finlande ?

Poser la question de la prospective de la ville renvoie à penser un système de compréhension à la fois propre et universel d'un fonctionnement généraliste de la ville, identifié comme objet et comme construit social et politique . La ville revêt plusieurs dimensions : peinte à la fois comme un objet bâti, palpable, elle se décline aussi en fonction des gens qui y habitent, des politiques qui la dessinent, des traditions, de l'Histoire, des habitudes. Chaque ville constitue ainsi un système d'interactions unique qui réagit d'une manière qui lui est propre.

Ainsi, il n'est pas ici question de prétendre à la recherche de modèles ou d'un inventaire de « bonnes pratiques », mais au contraire de chercher à illustrer, à l'aide d'études de cas concrets, ce qui fait de chaque système de ville un exemple innovant en matière d'aménagement, de transport, de gestion des flux, de lutte contre la segmentation, de prise en compte des enjeux environnementaux, de gestion des risques, etc... Dès lors, comparer les villes entre elles ne revient pas à les faire entrer dans une logique de classement. Il s'agit de donner à voir les principaux défis auxquels demain elles seront exposées et de tenter d'en extraire des idées.

Dans cette perspective , l'intérêt d'Helsinki est qu'elle est sans doute une préfiguration de l'avenir d'un certain nombre de villes européennes, en ce qu'elle s'est toujours développée loin des utopies folles ou des systèmes de gestion complexes. Alors qu'aujourd'hui le biomimétisme 277 ( * ) est au coeur des réflexions sur la ville du futur, Helsinki semble depuis toujours l'avoir adopté comme modèle. Gaudí, architecte catalan de la deuxième moitié du XIXème siècle, disait : « L'architecture du futur construira en imitant la nature, parce que c'est la plus rationnelle, durable et économique des méthodes ».

Nous verrons en quoi la ville d'Helsinki présente des spécificités géographiques et culturelles qui l'ont poussée à emprunter un chemin différent de nombre de villes européennes, notamment dans son rapport à la nature. Enfin, nous tenterons de comprendre dans quelle mesure elle envisage elle-même son futur.

Ville-tampon et identité hybride

Une position géographique unique

La Finlande n'appartient pas, géographiquement parlant, à la Scandinavie. C'est un pays à la fois continental, frontalier avec la Russie, la Suède et la Norvège et un pays maritime ouvert sur la mer Baltique.

Région métropolitaine d'Helsinki

Ville-tampon entre l'Europe occidentale et l'ancien bloc de l'Est, la ville d'Helsinki demeure longtemps isolée face à deux puissants voisins. La Finlande est un Etat relativement jeune, indépendant depuis seulement 1917. La Russie et la Suède, pays limitrophes ont de tout temps exercé une grande influence sur elle, effet encore perceptible aujourd'hui en termes de positionnement international de la ville. Pendant longtemps, la Finlande a connu une domination suédoise avec un système colonial dans lequel elle était amoindrie et ne pouvait développer que sa propre élite. De 1809 à 1917, elle passe sous la domination de l'empire russe. En 1947, après la guerre de continuation, la Finlande doit céder 10% de son territoire à la Russie et est soumise à l'obligation de neutralité face à l'URSS. La région de la Carélie, cédée à la Russie, demeure un point douloureux dans l'Histoire de la Finlande. À la fois atout et contrainte, cette situation a poussé la Finlande, et particulièrement la ville d'Helsinki à développer une vraie stratégie de partenariat avec les autres pays nord-européens.

Les enjeux de coopération et d'échange : survie d'une ville entourée

L'adhésion à l'Union européenne en 1994 a intensifié la politique de coopération et de partenariat de la Finlande. De la même façon, la mer Baltique constitue un pôle structurant d'échange. Au coeur d'une large conurbation, elle multiplie les contacts et les projets d'infrastructure en lien avec ses homologues de Saint-Pétersbourg et Tallin dans le cadre d'une paradiplomatie, lui permettant de mettre en place des projets de coopération transfrontalière. Forme de politique extérieure propre développée par des acteurs infra-étatiques dans le but d'obtenir une reconnaissance internationale, la paradiplomatie prend tout son sens en Finlande 278 ( * ) .

Parallèlement à une construction européenne englobante, beaucoup de régions et de villes, véritables acteurs européens, développent des « micro-politiques ». Réseaux de villes et plates-formes régionales de coopération décentralisée auxquels prennent part les villes européennes, témoignent de cette volonté d'agir à un niveau local . La Finlande, et plus particulièrement la ville d'Helsinki ont largement joué sur ses ressorts de politique extérieure aussi bien avec l'Union européenne qu'avec ses voisins externes tels que la Russie. En 1997, la Finlande, voyant l'élargissement de l'Union européenne présenter une contrainte pour ses relations avec la Russie, marginalisée par l'arrivée des nouveaux membres, met en place une politique septentrionale ( Northern Dimension ) 279 ( * ) , qui vise le développement d'une politique renforcée en matière de coopération au niveau transfrontalier.

Une identité hybride

De ce passé riche en échange, la Finlande, « État-sandwich » a développé une identité hybride : bien que la majorité des habitants parle finnois, le suédois reste usité en tant que langue maternelle par 6% 280 ( * ) de la population.

La Finlande a toujours appuyé son développement sur sa capitale : Helsinki. D'emblée, il apparaît que la ville a développé un paradoxe : alors que ce pays repose sur le principe d'équité territoriale et sociale, elle concentre son développement sur sa capitale quasi exclusivement, répondant ainsi aux sirènes de la compétitivité internationale. Ce changement structurel de politiques publiques est régulièrement contesté, notamment par les intérêts ruraux 281 ( * ) du nord du pays.

Enfin, la ville d'Helsinki dispose d'outils stratégiques puissants pour poursuivre ses deux objectifs : soutenir l'idéal d'égalité et devenir une métropole européenne reconnue.

Helsinki, la ville-nature

La situation géographique d'Helsinki définit également les positions politiques et environnementales de la ville. La Baltique, mer fermée, implique des conséquences climatiques directes, à la fois en termes de taux de salinité et d'enjeux environnementaux. Cette géographie a contribué à la prise de conscience précoce par les Finlandais des conséquences environnementales, et de la nécessité de coopération à l'échelle régionale pour préserver le patrimoine naturel.

Une nature apprivoisée et sauvage

La Finlande jouit d'une géologie et d'un climat relativement homogènes sur l'ensemble de son territoire. Son climat rude (de + 25°C à - 25°C) impose des règles de vie, des rapports à l'autre et à la nature très différents de ceux que l'on trouve dans le Sud de l'Europe. Les Finlandais ont une relation à la nature marquée par la dualité : ils tentent tour à tour de la dompter, de l'apprivoiser sans jamais toutefois la contrôler. Les températures basses et la luminosité faible pendant au moins six mois de l'année ont façonné une façon très particulière d'habiter la ville.

A Helsinki, point de petites fenêtres et de petites surfaces habitables : la maison ou l'appartement est le premier lieu de vie des Finlandais. Il se doit d'être proche de toutes commodités aussi bien bâties que naturelles, ouvert sur l'extérieur (pelouses ou champ collectif) sans barrières ni clôtures. La conception de la ville s'articule autour de la question d'accessibilité aux aménités qu'elle procure : canotage, voile, baignade, promenades à ski sont à deux pas de la plupart des quartiers.

La ville s'est développée sur des promontoires rocheux au dessus de la mer. D'innombrables baies et presqu'îles font de son environnement un archipel maritime très découpé, suivant une structure dite en « doigts verts » qui mêle zones urbaines et zones naturelles. Cette logique géographique globale se retrouve dans la ville elle-même où nature et bâti cohabitent. Leurs modes de gestion respectifs permettent ainsi de créer de véritables aires de respiration au coeur même de la métropole.

Architecturalement , la logique n'est pas de plier la nature au plan de l'homme, mais de la contourner, de la faire entrer dans le bâtiment . Le couple d'architecte Pietilä a réalisé dans cet esprit la Dipolii, maison des étudiants, du campus d'Otaniemi. Cette construction se caractérise par une architecture organique et une « forme concassée » à l'image de la pierre brute. A l'intérieur, les parois de pierre sont laissées à l'état brut, alors que sur le devant, les gros rochers n'ont pas été déblayés ou le relief aplani : la nature est contournée et considérée comme un élément à intégrer et non à faire disparaître. De la même façon, la cité-jardin de Tapiola développée dans les années 1950, prend en compte l'impératif d'intégration de la nature. Elle fait de la forêt et des plans d'eau des atouts. Frédéric Bonnet, architecte, décrit ainsi cet étrange rapport : « La culture d'une nature à la fois apprivoisée et sauvage, hostile et sensuelle, est individuelle, mais aussi collective ».

Des outils d'aménagement efficaces

En 2004, Helsinki a mis en place un schéma régional directeur qui favorise l'urbanisation le long des grands axes de transports publics, tout en préservant de vastes zones agricoles forestières ou naturelles . Pour l'instant et ce jusqu'en 2015, le plan d'urbanisme de la ville prévoit également de privilégier les transports en commun qui constituent déjà 72% des déplacements pendulaires. La maîtrise du foncier en Finlande appartient majoritairement à la puissance publique (à 80% dans le pays et à 66% pour la ville d'Helsinki). Cet élément favorise « la traduction concrète d'une planification stratégique efficace, elle-même issue d'une ingénierie publique importante et compétente mise au service du développement de la régénération urbains ».

En tant que propriétaire foncier, la ville d'Helsinki a également la maîtrise du foncier et peut décider de l'aménagement des terrains en passant outre la logique de rentabilité des opérateurs privés . Elle porte ainsi son effort sur la qualité résidentielle ou les équipements, en aménageant des temps de respiration dans la ville. De la même façon, Helsinki présente un modèle de gestion de projets unique en ce qu'il permet une forte incitation qualitative en termes de logement : mise aux normes environnementales, performances sanitaires, prise en compte des adaptations climatologiques, etc. L'éco-quartier de Viikki reste un modèle en la matière.

Auparavant, zone sinistrée et caractérisée par une agriculture fragile, Viikki articule désormais un parc technologique sur les questions d'agriculture expérimentale et des sciences du vivant, et un éco-quartier qui accueille aujourd'hui 15000 habitants dont 6000 étudiants et autant d'emplois. Lancé il y a plus de dix ans, il fait partie des grands projets de la ville et se destine à être une forme de cluster visant à concurrencer Espoo, la ville voisine. Conçue comme une « aire résidentielle écologique », Viikki reste reliée à la ville par de petites artères qui articulent les différentes échelles de la ville.

Si le pôle technologique tout comme la pépinière d'entreprises ou les activités du parc scientifique reflètent certes une architecture « technologique » usant -et parfois abusant- du verre et de la serre, il n'en reste pas moins que la forme urbaine adoptée est la même que celle pour la ville d'Helsinki dans son ensemble : les « doigts verts ». La nature pénètre les éco-constructions et les infrastructures. Alors qu'au nord du quartier une route relie les infrastructures entre elles, le sud est caractérisé par un plan en doigts verts à échelle humaine, permettant d'accéder aux équipements par une circulation douce. Ces « doigts verts » entre les îlots ont pour but de ralentir les flux et de purifier les eaux pluviales grâce aux plantes. Cette continuité se retrouve depuis les jardins jusqu'aux espaces arborés beaucoup plus vastes. Espaces publics, ces vastes jardins dont la gestion est déléguée aux habitants (pour 20 euros par an), jouent le rôle de lien avec les grands paysages.

Toutefois, l'aspect écologique du quartier d'Eco-Viikki est mis à mal par les questions de desserte. Peu de lignes de transport arrivent jusqu'à ce point de la ville et leur fréquence ne permet pas de se dispenser de la voiture pour y accéder. De plus, le quartier est majoritairement peuplé par des familles, qui se déplacent en voiture. Ainsi, bien que la municipalité ait souhaité intervenir en diminuant les places de parking disponibles sur la zone, le nombre de voitures est encore élevé.

L'eau et la forêt sont présentes dans toute la ville, faisant des banlieues un espace de vie complètement différent des banlieues européennes. Elles jouissent d'un cadre de vie alliant des performances tant architecturales que constructives. Alvar Aalto 282 ( * ) , architecte-urbaniste-designer finlandais décrit le mode de construction durable de la manière suivante : « construire durable, c'est construire solide avec de beaux matériaux ».

Helsinki : un modèle pour la métropole européenne du futur ?

À l'instar des autres villes européennes, Helsinki doit relever différents enjeux liés à la réforme de l'Etat, à la fusion des communes, au renforcement de l'échelon intercommunal et de la refonte de la fiscalité locale.

Place d'Helsinki en Finlande : remise en cause du modèle égalitariste finlandais

État fédéral, la Finlande s'appuie sur deux niveaux d'administration publique : l'État et les communes qui disposent de compétences étendues ; l'intercommunalité n'est pas encore très développée et elle est financée par les communes qui en gardent le contrôle. La Finlande possède par ailleurs de solides mécanismes de redistribution entre le Sud du pays dominé par la région métropolitaine d'Helsinki et le Nord, beaucoup plus rural qui repose principalement sur l'agriculture et l'élevage. Le poids de plus en plus prépondérant d'Helsinki et de sa région constitue aujourd'hui un véritable enjeu de développement national.

Les autorités locales finlandaises ont plusieurs défis à relever. Au premier rang d'entre eux figure le vieillissement de la population . En 2000, 15% de la population était âgée de plus de 65 ans. Les perspectives pour 2030 s'élèvent à 26,3%, au delà des proportions des autres pays européens. Dans le cas finlandais, trois questions se posent alors : Qui supportera le coût de plus en plus important des retraites ? Quelle gestion pour les services médicaux et sociaux ? Comment répondre à la baisse croissante de la population active de la population ?

Dans un deuxième temps la question de l'efficience de la gestion des services municipaux est à considérer. Elle soulève la question de la privatisation des services publics et de la délégation de gestion à des opérateurs privés. Enfin, la crise financière a creusé des déficits dans les budgets des autorités locales finlandaises. Bien que l'Etat se soit engagé à augmenter ses subventions aux collectivités, ces dernières craignent de ne pouvoir compenser les pertes subies.

L'échec de la gouvernance métropolitaine : concurrence Espoo - Helsinki

Dans un contexte de mondialisation croissante et de concurrence accrue entre les territoires, la course à la performance entre villes devient un enjeu majeur . Dès lors, chaque région capitale s'accorde sur le fait que la taille critique est un point à ne pas sous-estimer. Paris, comme Londres, Madrid ou Helsinki entament alors des dialogues avec leurs villes voisines afin de grossir les rangs de la région-capitale. L'aire métropolitaine d'Helsinki est composée de la capitale et de trois autres villes : Vantaa, Espoo et Kauniainen. Les enjeux économiques et sociaux dépassent largement les frontières de la capitale dans ses frontières administratives : les clusters d'entreprises sont souvent localisés sur plusieurs communes ou en dehors d'Helsinki, les facultés de l'université sont réparties entre Espoo et Helsinki, les habitants quittent le centre de Helsinki pour habiter en périphérie...

D'autre part, la gestion des services publics constitue un autre point qui rend nécessaire une approche métropolitaine de la région d'Helsinki. Depuis les années 1990, quelques communes finlandaises se sont regroupées en intercommunalités 283 ( * ) ou ont fusionné. Ce processus de fusion, mis en place pour garantir la provision de l'ensemble des services obligatoires, est volontaire et bénéficie d'un soutien politique et financier de l'Etat. Toutefois, cette politique reste difficile à appliquer partout tant les communes sont attachées à leur identité et à leurs compétences propres qui sont très étendues en Finlande. Pour l'instant, il n'est pas question pour la Ville d'Helsinki de fusionner avec d'autres villes de sa région métropolitaine : Espoo y étant opposée. Pour nombre de finlandais, cette logique d'autonomisation progressive des communes met à mal l'idéal égalitaire de la Finlande, qui devra résoudre ce problème dans les années à venir.

Espoo, ville accueillant le siège de l'entreprise finlandaise phare Nokia et de son campus universitaire, est une ville dynamique, jeune, étudiante, avec un taux d'immigration largement inférieur à la moyenne nationale (8%), et dont le taux de chômage était de 8% en 2009. La reprise économique qui a suivi la crise de 1990 a largement servi la ville d'Espoo, lui permettant de développer massivement ses services urbains. Vitrine architecturale bénéficiant de nombreuses réalisations de Pekka Helin et Alvar Alto, elle attire les classes aisées, et les jeunes cadres de Nokia dans des zones pavillonnaires.

Aujourd'hui, Helsinki et Espoo sont entrées dans une concurrence féroce, tout en s'accordant sur des terrains d'entente et de coopération comme les transports ou les universités. L'opposition historique entre Espoo et Helsinki repose d'une part sur une rivalité en termes d'attraction des populations. Helsinki est plus ancienne que sa voisine et sa gestion reflète le modèle historique de l'Etat-providence. Elle accueille une population très diversifiée alors qu'Espoo concentre les contribuables les plus aisés. Cette rivalité repose d'autre part sur la recherche et l'innovation. Le technopôle et l'université de Viikki, sur le territoire d'Helsinki, ont été créés pour faire concurrence à l'université technologique d'Espoo 284 ( * ) .

Ainsi, l'aire métropolitaine d'Helsinki semble moins refléter la « culture du consensus » que l'impossibilité de trouver un accord de gouvernance au niveau métropolitain qui impliquerait les municipalités de manière plus forte - alors même que les enjeux du regroupement n'ont jamais été aussi grands. Enfin, au-delà de la compétition avec Espoo, Helsinki, en tant que capitale, est soumise au risque de compétition avec l'Etat finlandais.

Des enjeux métropolitains forts : objets de la consultation « Vision 2050 »

En 2008, Helsinki et 13 autres municipalités ont organisé une compétition d'idées pour la « Greater Helsinki Vision 2050 ». Sur 120 projets déposés par des équipes internationales, neuf furent proposés et présentés. Si des prix ont été attribués, l'idée n'était pas de désigner un gagnant mais de donner à réfléchir, acteurs publics et équipes retenues ensemble, à une vision commune à dégager pour la métropole des années à venir. Si le premier prix s'attache aux formes urbaines de la Ville d'Helsinki et notamment à la question de la densité dans la capitale, la deuxième équipe a articulé son projet autour de l'idée d'une nature omniprésente et d'un tramway circulaire. La troisième équipe a exploré l'espace monofonctionnel de l'aéroport afin d'en améliorer la relation entre structure et fonction. La quatrième équipe a développé le concept de « superdiversity », voulant faire d'Helsinki une région métropolitaine 2.0 où les habitants sont acteurs de leur territoire. La cinquième équipe s'est saisie du concept de « branding city » pour mettre en place une boîte à outils intégrée d'évènements, d'activités sociales et de nouveaux lieux de vie multifonctionnels afin de rendre Helsinki plus « vendeuse » auprès de la population internationale. Le sixième projet s'attache également à réduire l'étalement urbain de la métropole, en cohérence avec le septième projet présenté qui vise à rendre la ville plus vivable par le développement des transports et de la multimodalité. Enfin le dernier projet souhaite relier la métropole aux autres pôles de la Baltique par une voie ferrée et une infrastructure routière 285 ( * ) .

Le séminaire organisé en 2009 a permis de faire émerger la volonté commune d'avoir une ville plus planifiée, permettant une meilleure mobilité personnelle, et jouissant d'espaces denses mais de qualité, à la fois proches de la nature et au centre de la ville. À partir de ces éléments la ville d'Helsinki a développé quelques axes prioritaires d'action.

En matière de logement, les objectifs sont d'atteindre la parité entre location et propriété dans le marché de l'immobilier, le parc de location étant réparti de façon égale entre le public et le privé . La municipalité est d'autant plus légitime à se saisir de ces questions, qu'elle est propriétaire des terrains à 80%. Cette propriété foncière est un actif très important qui permet à la ville de dégager des revenus et d'exercer un contrôle fort sur le marché immobilier. Symbole de ce contrôle par la municipalité : le programme « HITAS » par lequel elle fournit au promoteur un cahier des charges extrêmement précis. Helsinki est la seule ville en Finlande à disposer de tant de terrains, résultat d'une histoire caractérisée par des acquisitions agressives et des cadeaux de la part du Roi. Vantaa et Espoo ne possèdent qu'environ 30% des terrains de leur commune.

Le système HITAS

La ville a développé un système de régulation des prix et de la qualité (The « HITAS System : City's own price and quality Regulation System ») , rendu possible par différentes caractéristiques :

- la ville est propriétaire de la majeure partie des logements et perçoit des loyers.

- elle supervise des projets grâce aux « land tenancy agreements ».

- elle contrôle le prix et la qualité des logements : par exemple présence d'au moins un sauna pour un immeuble ou plusieurs étages, ou cuisines entièrement équipées.

- l'existence d'une forte coopération entre les autorités, les contractants et les designers.

La ville, par sa situation de propriétaire développeur et son expertise dans le domaine du logement, peut contrôler les prix de revente et a donc un rôle stratégique sur son territoire.

En matière de mobilité, la municipalité se réjouit du fonctionnement actuel des transports collectifs ; les deux principaux projets pour le futur s'articulent autour du prolongement de l'unique ligne de métro de la ville. Toutefois, cette opération cristallise quelques tensions avec la ville d'Espoo en matière de financement. Par ailleurs, le vélo ne représente que 6% des trajets à Helsinki (contre 40% à Copenhague). Un plan de transport pour les deux-roues est aménagé dans le centre de la ville.

Bien que pays grand producteur de bois, la Finlande n'envisage pas d'exploiter cette ressource sous sa forme énergétique ; le « Plan pour 2050 » prévoit de se concentrer sur l'éolien et le solaire.

Depuis le début des années 1980, l'étalement urbain représente un défi pour la région métropolitaine d'Helsinki. Les surfaces d'habitation sont grandes et les respirations dans la ville, si elles améliorent le cadre de vie directement représentent également un obstacle à la densité de la ville. La métropole s'étend régulièrement, les distances domicile-travail s'accroissent et les communes périurbaines de Helsinki se densifient sans véritable planification.

La municipalité bien que très vigilante sur ses prérogatives, ne voit d'autres solutions que de s'en remettre à l'Etat : « We have to accept a solution coming from the State, we municipalities can't do it » 286 ( * ) . Dans les faits, derrière cet aveu, la ville d'Helsinki souhaite que l'Etat l'aide à développer des approches cohérentes pour le développement urbain de ses banlieues et donc à dépasser le conflit qui l'oppose à la ville d'Espoo . La deuxième solution serait de densifier le coeur de la métropole, soit Helsinki, qui perd des habitants au profit de ses villes voisines.

Pour répondre à ce phénomène, M. Pentillä se déclare parfaitement en accord avec des propositions faite lors de la consultation sur le Grand Paris ou réalisée à Stockholm, à savoir, la mise en place d'un étage supplémentaire sur le bâti existant. Toutefois, malgré cet objectif affiché, la compétition entre ville demeure un frein : le projet d'aménagement de l'écoquartier de Viikki souligne les limites de compatibilité entre la volonté commune de limiter l'étalement urbain et la compétitivité des villes à l'échelle de la métropole.

Helsinki est l'une des villes les plus bâtisseuses d'Europe . En une dizaine d'années les projets se sont multipliés, notamment le développement du port de Vuosaari 287 ( * ) , premier port finlandais en matière de flux de camions et second port en ce qui concerne les conteneurs. Doté des infrastructures portuaires les plus modernes de la région, le port répond à plusieurs ambitions à l'échelle de Helsinki et de la Finlande. L'objectif de compétitivité économique a en partie guidé la définition de ce projet, mais c'est surtout sa position de carrefour qui sous-tend le projet : développement des activités avec la Russie, optimisation de la desserte portuaire des régions les plus peuplées et les plus productives de la Finlande.

Bien que la ville soit responsable de la gestion et du développement du port, il convient de souligner le poids très fort de l'Etat finlandais, notamment en termes de financement 288 ( * ) . De plus, face à la crise, un groupe de travail du Ministère des finances étudie actuellement le passage d'une gestion municipale à une gestion privée du port.

Pour conclure, la ville d'Helsinki permet de penser un développement urbain dans un rapport à la nature qui donne toute sa force à la ville post-carbone qui va devoir se construire dans la première moitié du XXIème siècle . Elle lance des pistes et donne des idées pour un développement équilibré. Pour autant, elle est aussi en proie à de profondes transformations auxquelles elle va devoir faire face. D'abord, le contexte de compétition des villes à l'échelon global exerce une pression de plus sur une ville qui s'est toujours battue pour préserver son statut géopolitique. De plus, la crise des années 90 qui a vu Nokia investir des quartiers entiers de la ville entraînant avec lui les franges aisées de la population, posent la question de la ségrégation urbaine et de la paupérisation du centre-ville, cristallisant ainsi la concurrence nouvelle entre la ville d'Helsinki et sa périphérie. Enfin, la pression foncière des ménages ainsi que la croissance urbaine de la capitale finlandaise concourent à augmenter l'étalement urbain.

Ainsi, en vingt ans, de profondes transformations ont soufflé sur Helsinki l'obligeant à repenser son modèle, notamment en termes de gouvernance. Si elle tente aujourd'hui de penser son avenir à l'horizon 2050, la coopération des communes entre elles demeure un enjeu majeur pour l'efficacité des politiques publiques qu'elles entendront mener.

Pauline Malet

Bibliographie

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* 277 Discipline consistant à observer les plantes et les animaux pour tenter de résoudre les problèmes quotidiens. Elle dépasse le simple cadre de l'architecture mais a inspiré de très nombreux architectes.

* 278 Entretien avec Anaïs Marin, Université d'Helsinki, Helsinki Collegium for Adavanced Studies .

* 279 http://www.eeas.europa.eu/north_dim/index_en.htm (site de l'Action extérieure de l'Union européenne)

* 280 http://tilastokeskus.fi/til/vrm_en.html

* 281 Giersig Nico, Multilevel Urban Governance and the European City, discussing Metropolitain Reforms in Stockholm and Helsinki , VS Verlag, 2008.

* 282 Alvar Aalto (1898-1976) : architecte, dessinateur, urbaniste et designer finlandais. Partisan d'une architecture humaniste, où l'idée d'une continuité entre le vivant et l'architecture semble centrale, créatrice non d'un bâtiment mais d'un cadre de vie. Le choix des matériaux est au coeur du travail de l'architecte : le bois, le marbre blanc, la brique rouge constituent ses matériaux de prédilection. Aalto est à l'origine d'un répertoire de formes douces et chaleureuses qui traverseront son oeuvre.

* 283 Entretien avec Helena Johansson, Association des Autorités Locales et régionales Finlandaises, Affaires internationales.

* 284 Entretien avec Ina Lijeström, ingénieur projet en charge de Eco Vikkii et Science park.

* 285 http://www.greaterhelsinkivision.fi/

* 286 « Nous devons accepter une solution venant de l'Etat, nous, municipalités, ne pouvons pas faire cela ». Entretien avec Hannu Penttilä, Adjoint au Maire d'Helsinki en charge de l'immobilier et aménagement urbain. Présentation autour de « Helsinki Metropolitan Area Vision 2050 and how to make it real ».

* 287 http://www.portofhelsinki.fi/Vuosaari%20harbour

* 288 Entretien avec Antti Saarinen, Directeur du marketing du Port d'Helsinki.

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