8. Audition de Mireille APEL-MULLER, Déléguée générale de l'Institut pour la ville en mouvement (IVM), et de ERIC CHARMES, TAOUFIK SOUAMI ET ERIC LE BRETON

Densité ou intensité urbaine ?

Mireille Apel-Muller , déléguée générale de l'Institut pour la Ville en Mouvement (IVM) , décrit les travaux menés par cet Institut depuis sa création en 2000 sous l'impulsion scientifique de François Ascher, et avec le soutien de PSA Peugeot Citroën : l'Institut pour la ville en mouvement souhaite contribuer à l'émergence de solutions innovantes pour les mobilités urbaines. Il associe des représentants du monde de l'entreprise à des chercheurs, mêle des universitaires à des acteurs de la vie sociale, culturelle et associative mais aussi à des villes, autour de recherches-actions, de projets réalisés en commun.

L'IVM s'est donné pour mission de tester des solutions concrètes, de permettre les comparaisons internationales, de recenser les approches urbanistiques et architecturales les plus originales. Il mobilise en Asie, en Amérique et en Europe des experts et des compétences pluridisciplinaires, diffuse les connaissances et sensibilise l'opinion à l'enjeu que représentent les mobilités pour les sociétés contemporaines. La mobilité urbaine en est le sujet principal car elle est le fil conducteur de la vie urbaine contemporaine.

Dans des territoires urbains de plus en plus complexes, et larges, et interdépendants, la mobilité est plus que jamais une condition du développement économique, culturel et social. L'accès à la mobilité est indispensable à l'insertion des personnes et l'on peut parler du droit à la mobilité comme un droit générique car il donne accès aux autres droits fondamentaux (logement, travail, santé, éducation...) - La mobilité urbaine est pensée non pas seulement comme une question technique, qui relève du domaine de l'ingénierie ou de l'économie des transports, mais aussi comme un élément clé des modes de vies contemporains, dans ses dimensions culturelles, sociales et spatiales.

Il faut penser la qualité des temps et des lieux du mouvement, parce que plus que jamais ces lieux deviendront les pôles stratégiques de l'organisation urbaine, où la mobilité ne sera pas pensée au nom d'un affrontement stérile entre transports collectifs de masse et voiture individuelle, mais en termes d'organisation de services de mobilité pour tous, adaptés aux besoins de chacun. C'est une question pour les architectes, les urbanistes, pour les designers des espaces urbains et des paysages car l'enjeu pour les villes de demain est aussi de rendre lisible pour tous leur organisation et leurs connexions.

Les villes du futur seront-elles de nouveaux types de villes ?

Les villes du futur, en Europe, sont déjà là. En effet, l'essentiel des villes est déjà construit. Mais on peut supposer que c'est dans l'articulation et dans la connexion entre les différents territoires que l'innovation pourrait être la plus importante. Une définition de l'urbain qui ne fera plus appel exclusivement à l'imaginaire de la ville compacte et resserrée sur son noyau historique, mais qui s'intéressera à la mosaïque des situations urbaines, identifiées non seulement par leur forme, mais par leurs interdépendances et par les modes de vie qui s'y développent. Une ville où les services et la mobilité seront des éléments déterminants de la qualité de la vie.

Pour répondre à cette question des villes du futur, l'enjeu de la gouvernance de ces nouvelles  « situations urbaines » est crucial. Mais ces débats ne sont pas à proprement parler des espaces de futurologie.

Les pratiques et les frontières urbaines évoluent plus vite que les institutions. Comment penser une gouvernance plus démocratique, qui intègre plus largement les différents acteurs et toutes les parties prenantes ? Certaines villes commencent à expérimenter des modalités nouvelles de consultation des habitants permettant une participation plus large que l'électorat traditionnel mais les motifs de la consultation ne sont pas forcément à l'échelle des enjeux ( comme par exemple la consultation sur le projet d'aménagement du tramway sur un tronçon de la Diagonal, grande artère commerçante de Barcelone, les immigrants, les jeunes de 16 ans étaient invités à donner leur avis mais sur une question qui n'avait pas de réelle envergure métropolitaine). Peut-on imaginer une gouvernance et des citoyennetés urbaines à la carte, selon la nature des projets et des citoyens concernés ?

Eric Charmes, enseignant et chercheur en urbanisme, estime qu'il faut être prudent dans le maniement des utopies. Mais il n'en reste pas moins qu'il faut décider. Pour ce faire, le débat avec le public à un niveau le plus élevé est nécessaire. Dans les modèles urbanistiques contemporains, une question essentielle est celle de la densité urbaine . Mais la notion de densité est multiforme et peut faire l'objet de débats. Il faut par exemple distinguer densité et intensité, l'intensité incluant la présence de services, équipements ou commerces nombreux et plus largement l'existence de potentialités multiples. Par ailleurs, la densité maximale n'est pas toujours la meilleure réponse en termes d'environnement comme sembleraient le montrer des études récentes. La ville moyennement dense du type « faubourg » serait le modèle le plus adéquat pour éviter en particulier les déplacements réguliers des urbains vers la nature.

La question du gouvernement des villes s'inscrit dans l'espace entre le mouvement et l'inertie . Cela est particulièrement sensible avec les couronnes périurbaines, où l'accès à un ancrage campagnard s'associe à une forte mobilité. Les communes périurbaines sont nombreuses - environ 1200 autour de Paris avec une population moyenne inférieure à 1.300 habitants. Ce phénomène interroge l'idée qu'il faudrait nécessairement des gouvernements unifiés pour les grandes agglomérations. Il semble plutôt qu'il faut travailler autour de coopérations entre niveaux de collectivités et entre intercommunalités. La question a notamment été étudiée par Martin Vanier, géographe prospectiviste à Grenoble.

Cette approche du gouvernement des villes paraît d'autant plus pertinente que leur périmètre évolue constamment. Le nombre de communes périurbaines en particulier ne cesse d'augmenter, avec la tendance à l'extension de l'aire d'influence des métropoles. Cette extension n'est pas un étalement physique, sous forme de vastes nappes urbaines, elle prend plutôt la forme d'une intégration fonctionnelle de noyaux d'urbanisation (les communes périurbaines). C'est en large part par l'intensification des relations de dépendance et de hiérarchisation entre espaces urbanisés que se développent les grandes métropoles.

Face à ces relations diverses et multiples entre noyaux d'urbanisation et agglomérations, une idée émise par l'américain Gérald Frug pour améliorer le gouvernement des villes est le vote pluriel (jusqu'à 5 votes dans les différentes communes en fonction des lieux d'habitat, de déplacement, de travail, de loisir...). La mise en oeuvre d'une telle idée relève d'un lointain horizon utopique, mais elle permet de mesurer l'écart entre les systèmes actuels de représentation et ce qu'ils devraient être pour donner un sens politique et institutionnel aux pratiques spatialement très éclatées des citadins.

Taoufik Souami, enseignant, souligne que les objectifs des « villes nouvelles », conçues sur le modèle des villes centres classiques, n'a pas vraiment été atteint. Le basculement de l'imaginaire des villes a eu lieu quand les habitants - y compris en zones périurbaines - ont pensé l'avenir de leur commune en termes urbains, et non plus en termes ruraux. Mais la culture urbaine n'est pas encore suffisamment maîtrisée pour fournir de bonnes réponses.

En termes de gouvernance, l'habitant reste rattaché à sa commune, ne serait-ce que par le registre de naissance. D'où l'importance des élus locaux et de la dotation de solidarité rurale qui concerne plus de 20.000 communes périurbaines - à vocation urbaine, mais toujours ressenties comme rurales. Les villes du futur ne peuvent être de toute manière pensées qu'en fonction de leur fonctionnement institutionnel à venir.

La réflexion sur les villes du futur s'effectue surtout à l'aide de modèles qui sont incarnés par des images , comme l'ont été « les villes nouvelles » avec le RER et d'autres réalisations matérielles de l'époque. Pour prévoir l'évolution des villes, il faut ainsi penser les outils et les processus de fabrication des trajectoires de la ville qui se construit par des inventions permanentes, par « bouts de ville ».

Ces réflexions nouvelles sur des territoires urbains complexes posent aussi des questions de vocabulaire entre la référence à l'urbain et la référence au rural. La ville dès lors est moins une contrainte qu'une ressource, y compris dans la prise en compte de l'environnement.

Les dimensions économiques de la ville sont également à considérer : il n'est plus aussi certain que dans le passé (par exemple à l'époque d'Haussmann) que le processus de construction de la ville par la rente foncière soit toujours aussi effectif. En effet, est-on certain du prix que la société attribue aux morceaux de villes considérés ?

Eric Le Breton, sociologue, évoque cinq aspects de l'avenir des villes :

1. Le droit des flux :

C'est le droit à la fois des habitants et le droit des passants (75 % des Français travaillent dans une commune différente de celle de leur lieu d'habitation). Ce droit porte sur les conflits d'usage de la ville. Il conduit à l'invention d'une nouvelle démocratie pour les passants.

2. Les villes complexes :

Les villes contemporaines sont des villes de plus en plus complexes du fait de l'enchevêtrement entre les multiples zones fonctionnelles (activités, loisirs, habitation, commerce...). Les quartiers de ville sont devenus des labyrinthes, en particulier pour les jeunes, les touristes, les handicapés, les malvoyants etc... Cette remarque pose ainsi le problème de la lisibilité de la ville et aussi du traitement de la divergence urbaine qui s'amplifie (entre les riches et les pauvres).

3. Le périurbain :

Dans les territoires complexes de la ville moderne, le périurbain n'existe pas. Les territoires autour des centres deviennent des mosaïques où s'installe la pauvreté, des populations vieillissantes exclues des services à la personne, des couches sociales qui vivent juste au-dessus des minimas sociaux.

4. Les dimensions sociales de la mobilité :

La première difficulté de l'insertion des populations à risque tient aux difficultés de l'accès à la mobilité en zone urbaine. Les gens sont coincés dans leur quartier ou leur commune. D'où l'interrogation : comment faire monter en puissance les solutions connues : taxis à la demande, covoiturage, transports collectifs, etc. ?

5. Villes du futur ou citoyens du futur ?

Penser la ville du futur n'est-ce pas d'abord penser l'homme du futur ?

S'agissant des effets du changement climatique sur l'évolution des villes, on constate une différence importante entre l'Europe et les États-Unis. La place innovante des entreprises est en effet beaucoup plus marquée en Amérique du Nord.

En définitive, l'important est moins la connaissance de l'utopie urbaine que la prise en compte des conditions du développement de l'utopie urbaine . Or celles-ci dépendent de la prise de conscience par les habitants de cet avenir de leur ville. C'est pourquoi les nouvelles formes de consultation des habitants seront si importantes pour comprendre et pour maîtriser les évolutions des villes.

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