B. UNE CROISSANCE GLOBALEMENT PLUS ÉLEVÉE EN FRANCE

Entre 2000 et 2010, le rythme de croissance a atteint 1,5 % en moyenne en France contre 1,1 % en Allemagne.

Considéré annuellement, ce différentiel peut apparaître modeste mais cumulé sur dix ans, il représente un écart excédant 4 points de PIB, soit, sur la base d'un PIB initial français de l'ordre de 1 450 milliards d'euros, plus de 60 milliards d'euros de richesses supplémentaires créées en France.

Cet écart important est parfois minimisé comme ne provenant que de facteurs transitoires correspondant à une contrainte de politique économique qu'aurait subie l'Allemagne du fait de la réunification. En particulier, celle-ci aurait entamé la compétitivité de l'économie allemande en provoquant un choc de coûts du fait des conditions de l'unification monétaire combinées au retard de productivité de l'économie des nouveaux länder . Se serait ajouté à ce choc le poids des transferts publics nécessités par la réunification qui auraient entraîné un prélèvement sur les revenus de la partie occidentale du pays synonyme d'affaiblissement des ressorts de la croissance économique dans les régions concernées.

Cette explication ne parvient pas à convaincre entièrement. Elle tend à minorer les effets des freins structurels à la croissance et ceux des options de politique économique du pays.

Au demeurant, pour ces dernières, il nous semble que le regard porté sur la stratégie économique de l'Allemagne des dix dernières années doit privilégier, plutôt qu'une vision de sa cohérence avec son passé (la réunification intervenue dix ans plus tôt), une explication par les conditions de la mondialisation et par les anticipations du futur qui la soutiennent.

Un effet réunification ?

L'explication de la stratégie suivie par l'Allemagne dans les années 2000 par l'impact économique de la réunification n'apparaît pas avec la clarté qu'on lui attribue souvent.

On tend à oublier qu'un effet direct de la réunification allemande fut d'avoir procuré à l'Allemagne, un supplément de croissance dans les années où elle s'est produite. Par ailleurs, à plus long terme, elle a ouvert des perspectives de croissance potentielle supérieure à ce qu'elles étaient dans la période de la République fédérale d'Allemagne. Surtout, il semble que la réunification ait été largement absorbée à la fin des années 90.

À la fin des années 80, l'Allemagne a connu une phase haute de son cycle économique qui laissait présager un retournement cyclique. Or, la réunification a participé à la prolongation de la forte croissance de la République fédérale d'Allemagne.

Croissance du PNB

De ce point de vue, l'évolution conjoncturelle suivant la réunification a nettement fait contraste avec celle connue dans le reste de l'Europe, et notamment en France. L'écart de croissance entre l'Allemagne et l'Europe a atteint 1,4 point en 1990 et est monté à 1,8 point en 1991 au bénéfice de l'Allemagne.

Sans doute, cet écart de croissance a-t-il entraîné une réduction de l'excédent extérieur allemand mais attribuer celui-ci à une simple dégradation de la compétitivité-coût du pays relève de l'à peu près.

Les importations ont bondi, de 12 % en 1990 et 14 % en 1991 (contre 8,6 % en 1989 et 4,1 % pour les années 1984-1987 en moyenne annuelle). Les exportations ont, quant à elle, été freinées, n'augmentant que de 1,5 % en 1990 et 0,5 % en 1991 (contre 11,4 % en 1989 et 3,5 % en moyenne entre 1985 et 1989).

Mais, ces évolutions, qui ont laissé subsister un confortable excédent extérieur, paraissent traduire moins une perte de compétitivité-coût que l'effet d'un rééquilibrage des déterminants de l'activité économique en Allemagne , l'appareil productif national étant mobilisé après la réunification par le souci de satisfaire un marché intérieur plus ample et bénéficiant d'une redistribution du revenu propice à l'expression de la demande domestique.

Ainsi que le montre le graphique ci-dessus, la réunification a offert à l'Allemagne sa période la plus faste en termes de croissance au prix d'une réduction - mais non d'une annulation - de son excédent extérieur.

Pour apprécier l'impact à court terme de la réunification allemande sur la croissance du pays, il convient de tenir compte de ses incidences monétaires. Elles ont modéré le supplément de croissance lié à la réunification puisque les taux d'intérêt se sont tendus et que le taux de change du mark s'est apprécié.

En considérant ces évolutions comme imputables en totalité à la réunification - ce qui est sans doute une hypothèse exagérée puisque l'inflation sous-jacente aurait sans doute entraîné une réaction de politique monétaire en dehors de la réunification - le tableau ci-dessous indique les résultats d'une estimation des effets nets de la réunification sur quelques grandes variables de l'économie ouest allemande .

Effet total de la réunification allemande
sur l'économie ouest-allemande
à taux d'intérêt et taux de change endogènes

On y observe que la réunification a dopé la croissance économique même si l'on tient compte d'effets monétaires indirects moins favorables que ceux intervenus dans la sphère réelle.

En revanche, la concomitance entre la réunification allemande et la contraction de l'activité économique dans le reste de l'Europe est patente.

Corrélation mais pas causalité. En effet, les tests économétriques réalisés montrent que l'effet d'entraînement des importations allemandes a été positif pour les partenaires : toutefois, cet enchaînement a pu être modéré par les perturbations financières et monétaires apparues après la réunification et dont les effets ont été asymétriques en Europe.

Une simulation des effets immédiats de la réunification allemande sur l'économie française, (voir le tableau ci-dessous), montre qu'elle aurait bénéficié à la France, dans des proportions évidemment moindres que pour l'Allemagne elle-même.

Effets sur l'économie française de la réunification allemande
et des mesures d'accompagnement

La question des effets à plus long terme de la réunification sur l'économie allemande ne révèle pas davantage que celle-ci aurait créé des freins structurels à la croissance.

En effet, à plus long terme, la réunification allemande peut être analysée comme une chance de croissance supplémentaire pour le pays. Le présent rapport n'a pas pour objet d'analyser si ces opportunités ont été saisies. Il s'agit de mesurer ce que l'orientation économique de l'Allemagne depuis une dizaine d'années doit à la réunification. Contrairement aux thèses selon lesquelles cet événement aurait constitué un handicap que l'Allemagne s'emploierait encore à surmonter, la conviction de votre rapporteur est que, si, à court terme, la réunification a dopé la croissance allemande au prix de quelques déséquilibres, ceux-ci ont été rapidement corrigés, la réunification offrant structurellement des opportunités de croissance à l'Allemagne.

Sans doute, à court terme, un choc sur les coûts de productions s'est produit en Allemagne. Mais, à plus long terme, dans ce genre de choc, l'évolution des tensions initiales sur les coûts dépendent de l'évolution du couple rémunérations/productivité, qui sont en interrelation.

Dans l'hypothèse où le rattrapage économique des nouveaux länder réussit, les progrès de productivité qui y sont réalisés permettent de rejoindre la « frontière de productivité » de la partie ouest de l'Allemagne. Le choc salarial initial s'efface à supposer que le marché du travail permette de maintenir une évolution des salaires moins rapide que celle de la productivité à comportements de marges inchangés des entreprises. Si celui-ci s'assouplit, une partie des efforts des titulaires du capital peut être redistribuée aux salariés de sorte que la dynamique des salaires puisse être un peu meilleure. Dans cette configuration, les transferts publics destinés aux nouveaux länder peuvent être vus comme un investissement public aux retours économiques élevés à proportion du surcroît de croissance que le rattrapage permet d'accomplir.

Dans une autre hypothèse, le rattrapage ne se fait pas. Les firmes des nouveaux länder disparaissent du fait de leur défaut de compétitivité et les employés perdent leur emploi. L'offre de travail augmente et si le marché du travail est flexible, les salaires reviennent à un niveau qui permet à la demande de travail de s'exprimer efficacement. Les transferts publics peuvent être alors considérés comme moins rentables économiquement. Ils ne s'accompagnent pas d'une élévation du rythme de la croissance mais sont utiles malgré tout par leur contribution à la transition. Ils évitent un choc de décroissance.

Or, au total, il semble que, malgré ses lenteurs, une convergence se soit produite entre les Länder orientaux et le reste de l'économie allemande.

Si elle reste inférieure d'un tiers par rapport aux Länder occidentaux la productivité horaire du travail a augmenté de 40 % par rapport à 1991 dans l'est du pays soit deux fois plus qu'à l'ouest.

Au demeurant, la part des industries manufacturières en Allemagne orientale s'est rapprochée (19 %) de celle de l'Allemagne occidentale (24 %) et est supérieure à la place de l'industrie dans les économies française et britannique.

La demande intérieure en volume n'a progressé que de 2,8 % en Allemagne entre 2000 et 2008 contre 16,4 % en France.

Elle avait même régressé jusqu'en 2005 (-2,1 %) pour ne se reprendre que par la suite.

En conséquence, son poids dans le PIB est passé de 98 à 93,6 % alors qu'il s'est alourdi en France de 98,9 à 102,1 % du PIB.

Les dépenses de consommation finale des ménages qui représentent 57,9 % du PIB allemand en 2001, soit plus que les 54,6 % en France se sont en conséquence repliées en proportion de PIB.

En 2008, elle n'était plus que de 54 % contre 58,9 % en France, les deux pays connaissant sur ce plan des évolutions en ciseaux.

L'investissement a lui aussi rétrogradé de 20 à 19 % du PIB allemand contre une augmentation de 18,9 % à 21,3 % du PIB en France.

Seule la part du solde extérieur dans l'activité en Allemagne a progressé, alors qu'elle se dégradait en France.

Dans ce panorama, les années 2006 et 2007 semblent avoir témoigné d'un essor de la croissance économique en Allemagne, qu'il convient de souligner. Cependant, la poursuite de ce sursaut a été interrompue par la crise si bien qu'il est difficile de l'interpréter comme l'installation d'une tendance d'autant que la progression du commerce mondial et le renforcement des positions allemandes dans la zone euro n'étaient pas nécessairement soutenables.

La reprise observée en 2010 en Allemagne diffère du fait de la contribution apportée par la demande intérieure. Elle offre a priori davantage de perspectives. Mais sa durabilité peut être discutée elle aussi comme on l'indique dans la partie finale du présent rapport.

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