2. Le rejet de l'explication par les spécialisations structurelles et géographiques comporte également quelques incertitudes
a) Le rejet des explications par la structure de la production et des marchés d'exportation...

Parmi les éléments candidats à l'explication de l'écart des performances des deux pays dans le domaine des exportations, figure la considération de leur spécialisation géographique - leurs clients étrangers respectifs sont-ils différents sous l'angle de la croissance de leurs importations ? - ou sectorielle - les produits exportés sont-ils différents au regard de la demande internationale qui se porte sur eux ?

Le tableau ci-après tend à établir que ces deux variables ne jouent que marginalement pour expliquer les écarts entre la France et l'Allemagne.

Décomposition de la dynamique des parts de marché (1995-2005)

Variation en %

Contribution

de la structure géographique

de la structure sectorielle

Reliquat dû à la performance

Parts de marché mondial hors intra-européen

Allemagne

- 4,1

+ 5,3

+ 16,9

- 26,4

France

- 19,7

+ 2,5

+ 19,2

- 40,4

Parts de marché mondial incluant l'intra-européen

Allemagne

- 3,6

+ 4,6

+ 9,3

- 17,5

France

- 22,3

+ 0,7

+ 9,6

- 32,6

Source : CAE - Rapport n° 81 - Performances à l'exportation de la France et de l'Allemagne - Lionel Fontagné et Guillaume Gaulier.

On y relève que la structure géographique du commerce français a été un peu moins favorable à l'essor des exportations que pour l'Allemagne. En revanche, la composante sectorielle des exportations françaises aurait été légèrement plus adaptée au commerce mondial au cours de la période.

Finalement, la divergence des parts de marché des deux pays devrait être attribuée à des facteurs propres aux exportateurs eux-mêmes rangés ici sous la rubrique « performance ». Celle-ci est d'autant plus décisive que du fait de la similarité de leurs avantages comparatifs révélés, les deux pays sont en concurrence souvent frontale sur le marché international en dépit d'une intégration économique particulièrement forte et ancienne qui aurait pu aboutir à une division du travail plus poussée entre eux.

Ce diagnostic est également celui du rapport de Coe-Rexecode sur l'écart de compétitivité entre les deux pays.

Il attribue à l'insuffisante performance des productions françaises la responsabilité du différentiel d'exportations avec l'Allemagne dont il exonère la composante structurelle de cette production.

L'écart dans la dynamique des exportations des deux pays vers des destinations extracommunautaires ne proviendrait pas davantage de la diversification des flux (appréciée à partir de la constitution de nouveaux marchés correspondant à de nouvelles destinations, des produits ou des exportateurs nouveaux). Les différences se font sur la valorisation des marchés existants.

Marges intensives et extensives

Les variations des exportations d'un pays peuvent être décomposées entre les évolutions de la valeur des exportations (marges intensives) et celles qui portent sur des données en volume (nombre et flux physiques correspondant à des produits, des destinations ou de nouveaux exportateurs) qu'on nomme marges extensives.

Décomposition de la dynamique des exportations hors intra-Union européenne de l'Allemagne et de la France, 1995-2005
(en milliards de dollars)

L'augmentation en valeur des exportations allemandes entre 1995 et 2005 (+ 166,5 milliards de dollars - + 90,6 %) est attribuable pour 94 % à l'augmentation de la valeur des produits exportés tout au long de la période. L'apparition de nouveaux flux a compté pour seulement 6 % de la dynamique des exportations allemandes dans cette période. Sous ce dernier angle, la France apparaît comme légèrement plus dynamique : elle se crée plus de nouvelles opportunités de marché. Mais, elle valorise moins ses positions de marché une fois celles-ci acquises.

Cette variable, ici nommée « performance » peut recouvrir l'ensemble des éléments, autres que la spécialisation géographique et sectorielle, susceptibles d'exercer une influence sur la compétitivité des firmes des deux pays. Toute la question est de cerner les composantes de la compétitivité qui font la différence de performances entre les deux pays.

Ces diagnostics ne sont pas sans une certaine fragilité parce qu'ils reposent sur une conception très large de la notion de spécialisation sectorielle et sur une approche par la demande adressée qui admet quelques incertitudes.

b) ... appelle quelques précisions

Malgré des similarités fortes des deux pays sous les deux angles, de leur spécialisation sectorielle et géographique, la divergence de leurs performances exportatrices suggère d'attribuer une partie de cet écart à des différences de spécialisation productive.

Ainsi, le rôle du reliquat « performance » pourrait devoir être minoré une fois exclu de son périmètre le positionnement au sein d'un secteur donné sur ses différents produits.

Cette observation pourrait expliquer pourquoi, malgré les niveaux analogues des indicateurs quantitatifs de compétitivité des deux pays et dans un contexte où les variables qualitatives autres que celles relatives à l'offre semblent ne pas pouvoir expliquer la divergence de leurs performances à l'exportation, les deux pays ont divergé.

(1) La similitude des spécialisations sectorielles n'est pas absolue et admet des positionnements différents par produit

Si les spécialisations sectorielles de l'Allemagne et de la France ressortent comme comparables , elles paraissent néanmoins différentes sur certains points qui peuvent être considérés comme particulièrement importants pour l'analyse du commerce extérieur des deux pays.

Il est exact que vue à partir d'un haut degré d'agrégation , la spécialisation des deux pays révélée par leurs exportations est globalement très proche. Les deux pays ont des avantages comparatifs révélés dans les secteurs automobile, chimique, mécanique et électrique. La France possède en outre des avantages comparatifs révélés dans les secteurs agro-alimentaire et sidérurgique.

À ce niveau d'analyse, on relève tout au plus que les grands secteurs contribuant le plus favorablement au solde commercial allemand sont donc un peu plus concentrés qu'en France. En particulier, l'Allemagne ressort comme hautement spécialisée dans les secteurs automobile et de la mécanique. La branche des automobiles particulières allemandes concentre près de 20 % des avantages comparatifs révélés d'une Allemagne qui en est, de loin, le premier exportateur mondial (devant le Japon). Cette spécialisation s'est d'ailleurs beaucoup renforcée en dix ans.

Avantages comparatifs révélés de la France

Avantages comparatifs révélés de l'Allemagne

Incidemment, une observation peut être faite qui apporte une première nuance au diagnostic d'une similarité des effets de la spécialisation sectorielle des deux pays sur leurs exportations. La spécialisation de l'Allemagne apparaît plus stable que la spécialisation du commerce international français dans un contexte où les deux pays ont connu des évolutions, en partie, différentes.

Parmi les variations les plus significatives, le renforcement de la spécialisation automobile de l'Allemagne et les pertes subies par la France dans les secteurs à forte valeur ajoutée (le mouvement inverse se constatant pour l'Allemagne) appellent une particulière attention.

Évolution des avantages comparatifs révélés de la France, 2000-2007

Évolution des avantages comparatifs révélés de l'Allemagne, 2000-2007

L'évolution du secteur automobile ressort comme ayant des effets particulièrement significatifs.

Comme l'indique Mathilde Lemoine 33 ( * ) , « ... de 1991 à 2007, les exportations françaises de l'industrie automobile ont généré 13 % de la croissance des exportations françaises totales en valeur en moyenne par an. Néanmoins, depuis 2004, elles ne contribuent qu'à hauteur de 3 % à l'augmentation moyenne annuelle des exportations ».

Et de souligner que la situation est encore plus dégradée pour ce qui est de l'effet d'entraînement du secteur sur les exportations internes à la zone euro et vers l'Allemagne.

« Le résultat est encore plus probant en ce qui concerne les exportations d'automobiles vers la zone euro et vers l'Allemagne. Les exportations françaises de l'industrie automobile vers la zone euro qui représentent 15,5 % des exportations totales de biens vers la zone euro ont contribué négativement à la croissance des exportations totales entre 2004 et 2008. En effet entre 2004 et 2008, les exportations françaises d'automobiles vers la zone euro ont reculé de - 0,6 % en moyenne par an. À titre de comparaison, les exportations automobiles de l'Allemagne en valeur ont augmenté de 8,7 % en moyenne par an pendant cette même période. Ainsi, si la croissance des exportations françaises d'automobiles vers la zone euro avait cru au même rythme que celle des exportations allemandes d'automobiles, la croissance totale des exportations françaises de biens en valeur vers la zone euro aurait été de 1,6 point de % plus élevée. La mauvaise performance de l'industrie automobile à l'export expliquerait alors à elle seule près de 42 % du repli de la part de marché de la France en zone euro depuis 2004.

En appliquant le même calcul aux exportations françaises d'automobile vers l'Allemagne qui représentent 14,2 % des exportations de biens vers l'Allemagne, leur baisse de 1,4 % en moyenne entre 2004 et 2007 expliquerait plus de 37 % du recul de la part de marché de la France en Allemagne ».

Surtout, la décomposition des spécialisations à un niveau plus fin révèle qu'il n'y a pas autant de concordance entre les spécialisations que ce qu'on observe à un niveau sectoriel plus agrégé .

En fait, en lien avec une base industrielle plus profonde, l'Allemagne offre une gamme de produits sans doute plus variée. Si la concentration sectorielle de l'Allemagne est plus élevée, son offre de produits peut être plus diversifiée.

L'Allemagne paraît davantage spécialisée sur les produits à haute valeur ajoutée et au fort contenu technologique.

Les dix plus gros avantages et désavantages comparatifs révélés de la France
et de l'Allemagne sur la période 2000-2005

Si les handicaps comparés des deux pays sont analogues (en particulier les énergies fossiles), l'Allemagne se singularise par de très fortes positions dans l'automobile mais aussi dans les machines spécialisées (et plus globalement dans la mécanique), la France occupant des positions privilégiées dans les produits de beauté, les spiritueux et l'aéronautique (avec toutefois un probable biais statistiques sur ce « terrain 34 ( * ) »).

Les deux tableaux ci-après suggèrent que les évolutions dans les deux pays ont été différentes :

La France a réalisé des avancées dans quelques domaines de forte valeur ajoutée et de haute technologie : aéronautique, instruments de mesure, composants électroniques... Mais, elle a perdu des positions sur d'autres spécialités ayant des caractéristiques analogues.

Pour l'Allemagne, les pertes concernent plutôt moins ces dernières spécialités.

En tendance, c'est par le profil différent des reculs commerciaux que les deux pays diffèrent le plus - la France perdant des positions dans les produits de base mais aussi dans les branches de haute technologie -, ainsi que par l'ampleur de la concentration des avantages révélés de l'Allemagne sur ses points forts.

On peut considérer cette dernière comme un élément de faiblesse relative. Par exemple, le rapport du Conseil d'analyse économique précité suggère que la spécialisation allemande dans l'automobile peut entraîner une vulnérabilité conjoncturelle au cycle de l'automobile.

Les mauvaises performances à l'exportation de la France pourraient provenir de ce cycle selon Mathilde Lemoine 35 ( * ) dont le raisonnement pourrait, sous certaines conditions, être étendu à l'Allemagne.

Pourtant, dans les faits, les productions automobiles des deux pays semblent avoir connu des élasticités différentes au cycle si bien que la concentration, faiblesse pour l'un n'en serait pas une pour l'autre. Ce résultat suggère qu'à niveau équivalent de concentration sur une branche industrielle donnée, la vulnérabilité des deux pays aux variations du marché de la branche peut être variable en fonction des produits effectivement proposés (et de leur compétitivité bien sûr).

Il n'empêche que la concentration de la spécialisation allemande sur le secteur, qui plus est moyennement innovant, peut poser un problème. Il en va de même de la spécialisation de la France sur le secteur aéronautique, qui constitue un marché fortement cyclique et ce que les industriels du secteur appellent un « sporty business » exposé à une vive concurrence et à des risques très variés (monétaire, protectionniste, juridique...).

(2) Les estimations de demande adressée sont fragiles et suscitent des doutes sur l'absence d'effets des spécialisations géographiques

Quant à lui, le diagnostic d'une absence de causalité entre la spécialisation géographique de l'Allemagne et de la France et leurs performances commerciales respectives s'appuie sur la similitude des évolutions des demandes adressées à chacun des pays.

La demande adressée à un pays n'est pas une valeur observée : elle est calculée en tenant compte de la croissance des importations des pays importateurs pondérées par la part dans les exportations du pays concerné dans les importations de ces pays.

De tels calculs sont complexes et ils supposent notamment de connaître avec beaucoup de précision, d'un côté, la composition des importations et son évolution, et de l'autre côté, la spécialisation du pays exportateur.

Or, les calculs portant sur la demande adressée sont réalisés à partir d'hypothèses simplificatrices notamment celle qui consiste à présumer la fixité de la spécialisation à l'exportation.

Cette hypothèse nécessaire à la démonstration n'est évidemment pas vérifiée dans les faits si bien que les calculs de demande adressée admettent systématiquement des marges d'erreur. Celles-ci risquant d'être d'autant plus larges que le point de référence est fixé loin en arrière.


* 33 Commentaire au rapport du Conseil d'analyse économique n° 81.

* 34 Biais résultant des particularités du système Airbus qui voit la France exporter plus d'avions que ses partenaires dans l'entreprise.

* 35 « La fin du cycle automobile caractérisée par l'augmentation de la mortalité des véhicules a déterminé la performance sectorielle. L'évolution de cette industrie à l'export a été pénalisée par l'attente de la sortie de nouveaux modèles et d'innovations. Dès lors, le comportement des entreprises et l'évolution sectorielle se sont rejoints, ce qui s'est traduit par une perte de part de marché de cette industrie dans la zone euro mais aussi de la France compte tenu de son poids. Cette analyse sectorielle renforce le caractère conjoncturel de la sous-performance à l'export ».

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