2. Les nouveaux outils d'ingénierie publique des collectivités territoriales
a) Une offre privée onéreuse et parfois inexistante

Dans le nouveau cadre de l'ingénierie publique, les collectivités territoriales sont appelées à faire appel au secteur privé, pour toutes les prestations de maîtrise d'oeuvre s'inscrivant dans le cadre concurrentiel, en raison du désengagement de l'État. Comme l'a relevé M. Norbert Bouvet, président de l'AMF devant votre mission lors de son déplacement en Mayenne, « le recours au secteur privé n'est pas toujours efficient, en raison du coût élevé des prestations, parfois aussi élevé que les travaux à effectuer et le manque de motivation du secteur privé à s'investir dans certains projets ».

Ainsi, les collectivités territoriales doivent faire face à trois difficultés majeures. Tout d'abord, le secteur privé ne dispose pas toujours des ressources ou de la compétence nécessaire pour assumer les missions délaissées par l'État, en raison de la complexité de la réglementation. M. Jean-Pierre Auger, président de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF), estime en effet qu'en matière d'aménagement de l'espace public ou de voirie, la présence, pendant de longues décennies, de l'ingénierie publique, n'a pas permis à l'ingénierie privée de développer des compétences particulières dans ces domaines, qui sont pourtant des secteurs à forts enjeux pour les collectivités territoriales, notamment les plus petites.

Les maires du Finistère, interrogés à ce sujet, regrettent une « méconnaissance du terrain » qui caractériserait l'ingénierie privée. Selon un maire de Côte-d'Or, le fait de recourir à des prestations privées pour des travaux d'ingénierie publique ferait reposer la connaissance et l'historique des réseaux sur les élus et non plus dans le cadre d'une mission d'ingénierie (les hommes de l'art).

Ensuite, les entreprises privées peuvent ne pas être motivées pour assumer certaines missions d'ingénierie publique, demandées par les collectivités territoriales de petite taille, en raison de leur faible enjeu pour le secteur.

Enfin, comme l'a souligné M. Norbert BOUVET, président de l'AMF de Mayenne, le recours au secteur privé n'est pas toujours efficient, en raison du coût élevé des prestations, parfois aussi élevé que les travaux à effectuer.

b) Le département : échelon pertinent d'une nouvelle ingénierie publique ?

De nombreuses initiatives ont été prises par les Conseils généraux, sous des formes juridiques diverses, afin d'assurer une ingénierie publique territoriale alternative en faveur des petites collectivités, en dehors du champ concurrentiel.

Ces initiatives sont motivées par les compétences transférées aux départements. On rappellera que les conseils généraux gèrent, depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales 163 ( * ) , près de 385.000 kilomètres de voirie, soit deux cinquième du réseau routier national, contre 55.000 kilomètres de routes en 1972. L'État, quant à lui, ne possède plus qu'un réseau de 12.000 kilomètres de routes d'intérêt national et d'autoroutes non concédées. Pour assurer l'entretien de leur réseau routier, les départements se sont dotés de services techniques dédiés, renforcés par le récent transfert des parcs de l'Équipement 164 ( * ) .

Disposant de l'ingénierie nécessaire, les conseils généraux développent depuis plusieurs années des nouveaux outils destinés aux petites collectivités, victimes du désengagement de l'État et de la réduction des prestations auparavant fournies par les anciennes DDE et DDA. Les formules juridiques retenues sont diverses : elles vont de l'association à l'établissement public local, en passant par les agences techniques départementales et peut-être à l'avenir, par les sociétés publiques locales (SPL) 165 ( * ) . L'hétérogénéité de ces outils démontre la nécessité d'une certaine souplesse destinée à trouver la formule la plus adaptée aux spécificités des territoires. Il en est de même au niveau des champs d'intervention de ces structures ainsi que de leurs modalités de financement.

Des exemples d'initiatives départementales

Le conseil général de Saône-et-Loire a mis en place une agence , sous la forme juridique d'un établissement public, intervenant en assistance à maîtrise d'ouvrage en matière de voirie ou de construction de bâtiments. Le département a également souhaité instituer un organisme spécialisé dans le domaine de l'eau, afin d'intervenir en assistance à maîtrise d'ouvrage et en maîtrise d'oeuvre. Un tel projet nécessitait une forme juridique sécurisée. Face au refus des services de l'État que cet organisme soit constitué sous la forme d'un syndicat mixte, le département a opté pour le statut d'une association Loi 1901.

Le département du Var a également mis en place une agence départementale d'ingénierie publique. Les missions proposées sont adaptées aux besoins des territoires : une mutualisation des fonctions supports en milieu urbain, pour les agglomérations et les grandes communes ; une ingénierie de conseil et d'assistance en milieu rural, pour les petites communes et les intercommunalités. La formule juridique privilégiée est la société publique locale, sur laquelle le département conserve une maîtrise totale. Le recours à l'agence n'est pas soumis aux règles de la concurrence. Par ailleurs, elle intervient uniquement pour le compte de ses membres, qui sont exclusivement des collectivités territoriales ou leurs groupements.

Le département de la Mayenne s'est récemment doté d'une agence technique départementale de l'eau (ATD'EAU 53). Elle prend le relais de l'État pour apporter aux 61 collectivités territoriales ou EPCI adhérents, une assistance technique, juridique ou financière dans le domaine de la gestion de l'eau (eau potable/eau potable et assainissement). L'agence est un établissement public administratif constitué à partir du conseil général et des collectivités compétentes dans le domaine de l'eau.

On citera également la création de plusieurs agences départementales de l'aménagement du département par le conseil général de la Charente, ou encore la mise en place d'une Mission d'Ingénierie et d'Appui Départementale (MIAD) par le département du Pas-de-Calais .

Enfin, dans le département des Bouches-du-Rhône , une agence technique départementale a été mise en place pour assurer un appui aux communes en matière juridique et dans le domaine de la formation des élus.

L'ensemble de ces initiatives départementales respectent les dispositions européennes du droit de la concurrence, ces agences s'apparentant à des opérateurs bénéficiant de la dérogation « in house » . On rappellera que la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a défini, dans son arrêt Teckal 166 ( * ), les deux conditions qui permettent de qualifier un contrat « in house » :

- la collectivité doit exercer sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services ;

- le cocontractant de la collectivité réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui le détiennent.

Cette décision a été complétée par une nouvelle décision de la CJCE, l' arrêt Asemfo 167 ( * ) , selon laquelle, sous réserve des conditions définies par l'arrêt Teckal, les sociétés dont le capital est entièrement détenu par des collectivités sont, vis-à-vis de ces dernières, dans une situation de « in house ».

Face à cette sécurité juridique au regard des dispositions européennes, votre mission estime que les agences départementales, quelles que soient la forme juridique retenue, permettent l'émergence d'une nouvelle forme d'ingénierie publique à destination des petites collectivités, afin de suppléer le désengagement de l'État dans ce domaine. C'est pourquoi votre mission propose que, si les départements le demandent, ces initiatives reçoivent le soutien des services de l'État. Il s'agirait, en particulier, de veiller à la sécurité juridique qui doit nécessairement s'attacher à de telles démarches et à favoriser le transfert de savoir-faire.

Votre rapporteur rappelle également que l'article L. 3232-1-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise les départements, pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, à mettre à la disposition des communes ou des EPCI ne bénéficiant pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences dans le domaine de l'assainissement, de la protection de la ressource en eau, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, une assistance technique dans des conditions déterminées par convention. Le second alinéa de cet article prévoit que les départements peuvent déléguer ces missions d'assistance technique à un syndicat mixte dont il est membre.

Votre mission estime que les dispositions de cet article pourraient être élargies à d'autres secteurs de politiques publiques qui nécessitent une expertise que les communes ne possèdent pas toujours comme, à titre d'exemple, la gestion des déchets ou la mise en accessibilité des bâtiments municipaux.

Enfin, à l'instar de ce que suggérait notre collègue M. Yves Daudigny, il pourrait être envisagé, pour les conseils généraux qui le souhaiteraient et selon des modalités à définir par convention, une gestion expérimentale de l'ATESAT par les départements. Toutefois, un tel transfert pose la question de son financement qui sera abordé plus loin.


* 163 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 164 Loi n° 2009-1291 du 26 octobre 2009 relative au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers.

* 165 Créées par la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés locales, les SPL se distinguent des sociétés d'économie mixte et des sociétés publiques locales d'enseignement par son actionnariat entièrement public. Le capital d'une SPL doit être détenu par au moins deux collectivités territoriales ou leurs groupements. Elles peuvent intervenir sur tout type d'activité dès lors que celle-ci présente un caractère d'intérêt général et qu'elle entre dans le champ des compétences de ses actionnaires publics.

* 166 CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98.

* 167 CJCE, 19 avril 2007, aff. C-295/05.

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