M. Bruno Bourg-Broc, président,
et M. Serge Gloaguen,
de la fédération des maires des villes moyennes (FMVM)

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M. François Patriat , président . - Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Bourg-Broc, président de la FMVM ainsi qu'à M. Serge Gloaguen, maire de Digne-les-Bains, et à Mme Nicole Gibourdel, déléguée générale à la FMVM.

M. Claudy Lebreton, président de l'ADF, que nous venons d'entendre, a affirmé qu'il était trop tôt pour dresser un bilan de la RGPP. Pour autant, ses effets se font déjà sentir sur le terrain. Le but de notre mission est d'apporter des solutions aux difficultés rencontrées sur le terrain. Comment les villes moyennes vivent-elles la RGPP ? Ont-elles été associées à la réorganisation des services déconcentrés de l'État ? Quel est l'impact de la RGPP ? Se traduit-elle par des économies et un meilleur service aux habitants ?

M. Bruno Bourg-Broc, président de la fédération des maires des villes moyennes (FMVM) . - Notre fédération regroupe les villes entre 20 et 100 000 habitants qui constituent le coeur de leur bassin de vie. Pour nous, Neuilly, malgré ses 90 000 habitants, n'est donc pas une ville moyenne. La FMVM est administrée à parité par la gauche et la droite. Au-delà des positionnements idéologiques, je tenterai de m'exprimer devant votre commission en tant que président de la FMVM et de maire de Châlons-en-Champagne.

La RGPP n'a pas fait l'objet d'un débat parlementaire, ce qui n'est en rien condamnable ; ses effets, importants pour nos territoires, sont étudiés dans les seuls rapports budgétaires. Il me semble prématuré d'en dresser un bilan alors que nous sommes encore en pleine réorganisation. A titre personnel, je suis favorable à la RGPP dès lorsque l'économie réalisée au service de l'État ne se traduit pas par une diminution des services apportés à la population. Les villes moyennes sont plus touchées que d'autres. De fait, cette politique se traduit par des concentrations des services de l'État, parfois au sommet. En conséquence, des villes comme Châlons-en-Champagne qui, malgré ses 50 000 habitants, est préfecture de département et de région, en ont plutôt profité tandis que d'autres connaissent, du fait d'un mouvement de concentration continu et de grande ampleur, une véritable hémorragie. Nous l'avions dit lors de notre audience par le Président de la République en juin 2008. Je conçois que les réformes de la Défense, de la Justice et de la santé ne soient pas menées dans une logique d'aménagement du territoire. Néanmoins, lorsqu'une ville moyenne perd son régiment, puis son tribunal et, enfin, son hôpital, ça fait mal ! D'autant que les mêmes avaient souvent déjà connu le départ de leur succursale de la Banque de France. Le raisonnement est très vertical -on a pensé la réforme de la Défense en tenant compte des seuls besoins militaires.

M. Serge Gloaguen . - Oui, ça fait mal. Digne-les-Bains, préfecture des Alpes de Haute-Provence, voit sa population, qui avait progressé de 2001 à 2006 pour atteindre le seuil critique des 20 000 habitants, diminuer depuis peu : moins 500 habitants en 2007, moins 200 habitants en 2008. Digne, cité administrative qui vit également du tourisme, du thermalisme et de l'artisanat, compte 12 000 emplois, qui font également vivre un arrière-pays dignois de 28 000 habitants. Pas moins de 53 % de ces emplois sont publics et parapublics. Or nous en avons perdu un certain nombre, notamment la direction des services vétérinaires et celle de l'administration fiscale.

Expert-comptable libéral jusqu'en 2002, je suis familier de la logique comptable. Ce qui est navrant, dans cette affaire, est le manque d'écoute de l'autorité préfectorale. « A Digne-les-Bains, il ne se passe rien. », nous répondait-on. Résultat, 3 000 Dignois ont manifesté leur mécontentement le 16 octobre dernier. Nous avons beaucoup donné à la République ; celle-ci doit maintenant faire preuve de solidarité à notre égard. Or, s'il faut évidemment réduire la voilure du train de vie de l'État, au vu du déficit qui se creuse depuis 1974, il faut aménager des compensations. Or le projet de réseau autoroutier, l'A585, depuis l'A51 jusqu'à Digne n'a pas été retenu dans le schéma national des infrastructures de transport. Le coup de grâce a été la programmation de la fermeture de la maison d'arrêt, la seule fermée de la région PACA. Cette maison d'arrêt représente quarante emplois directs pour une cinquantaine de détenus. Nous avons été avertis de ce projet par la presse en juillet ; j'avais pourtant rencontré le préfet le printemps précédent pour discuter des grands dossiers... Ce projet fragilisait le tribunal de grande instance et les effectifs de police nationale. Dès que nous l'avons appris, je me suis rapproché de l'autorité préfectorale qui m'a encouragé à demander des compensations. Les parlementaires bas-alpins et moi-même avons rencontré la garde des sceaux. Lors de cette entrevue, j'ai expliqué mon projet de construction d'un centre pénitentiaire. Début 2010, j'avais, en effet, proposé un terrain à cet effet à l'administration pénitentiaire. Elle m'a encouragé à lui transmettre un dossier. J'y travaille : un centre pénitentiaire créerait de l'emploi. Emplois publics et privés sont liés. Le départ des fonctionnaires, surtout ceux de catégorie A, entraîne la fermeture des services parapublics : EDF et La Poste ont déménagé une partie de leurs activités à Avignon ; la Mutuelle du Soleil s'est installée à Marseille.

Conseiller régional jusqu'en 2010, je ne suis pas contre la logique de métropolisation : il faut renforcer Marseille face à Barcelone. Mais arrêtons d'entasser les services dans les grandes cités qui concentrent les problèmes de logement, de transport, de sécurité et de santé publique. Digne, où un quatre pièces vaut un studio à Menton, est une ville où il fait bon vivre, sans compter que le taux de délinquance y est bas. Pour preuve, de nombreux fonctionnaires prennent leur retraite chez nous, dont récemment un préfet. En bref, je reproche à l'autorité préfectorale de nous avoir « enfumés » : elle a cherché à minimiser les effets de la RGPP.

Je ne ménage pas mes efforts pour créer de l'emploi, mais il nous reste peu de cartes à jouer. Dans le cadre des pôles d'excellence rurale, j'ai déposé un projet d'extension de l'activité thermale à la remise en forme. Cinq dossiers seront retenus sur dix ; espérons que Digne en fera partie. Cette situation fragilise l'activité privée : le projet d'installation d'un centre de balnéothérapie et d'une résidence sur le site du golf est gelé ; les investisseurs attendent. En septembre dernier, j'ai eu l'occasion de rencontrer Michel Sapin, le préfet de région, avant son départ. J'ai apprécié son franc-parler.

Nous travaillons à plusieurs projets : une solution alternative pour la desserte routière de Digne, la poursuite d'une ligne de chemin de fer jusqu'à Briançon, un projet de centre pénitentiaire, le maintien du service de réanimation à l'hôpital de Digne, qui représente 1 000 emplois. Nous ne sommes pas très exigeants, disais-je à la nouvelle préfète. Mais nous ne pouvons pas reculer ; cela signifierait une diminution de la population.

Pour conclure, je formulerai une question : est-il encore permis, en France, de parler d'aménagement du territoire ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Pour illustrer ce propos, retenons l'exemple de la maison d'arrêt : sa fermeture signifie, à terme, celle du tribunal et de la brigade de gendarmerie.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Au fond, l'addition de politiques sectorielles, menées au nom de la RGPP, se traduit par d'importants dégâts collatéraux sur l'aménagement du territoire. Monsieur Bourg-Broc, pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience de gestionnaire d'une commune. La RGPP a-t-elle modifié vos relations avec les services de l'État ? Les usagers retrouvent-ils leurs petits dans les démarches administratives quotidiennes ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Les villes moyennes ont été très touchées par la fermeture des tribunaux, des prisons, des casernes et des succursales de la Banque de France. La réorganisation des services déconcentrés de l'État, que j'ai négociée avec le préfet, a été plutôt favorable à Châlons-en-Champagne parce que la ville est chef-lieu de la région : quelque 150 emplois ont été supprimés au niveau départemental, la ville en a gagné entre dix et quinze. En revanche, Chaumont, Troyes et Charleville-Mézières ont perdu des emplois. Dans le principe, je suis favorable aux mutualisations et aux économies de moyens. Voyons maintenant comment cela fonctionne dans la pratique ; pour l'heure, les nouvelles directions n'existent que sur le papier. Et, malgré un important effort de pédagogie de l'État, nous ne savons pas encore très bien à quel service nous adresser. Un temps d'adaptation est nécessaire. Évaluer maintenant l'efficacité de la RGPP me paraît prématuré.

M. François Patriat , président . - Peut-être pas pour les petites villes ! En Bourgogne, Joigny a perdu 500 militaires, son hôpital et son tribunal. D'après le maire, cela correspond à 15 % de la ville ; l'État lui verse 3 millions en contrepartie. Pour ces communes, la RGPP a des effets bien réels. Pour nous, l'essentiel est de comprendre quels sont les effets de la RGPP sur les moyens et la population des communes.

Mme Catherine Deroche . - Les auditions montrent que l'impact de la RGPP est très différent selon les départements et les villes moyennes. Votre fédération a-t-elle réalisé des études d'impact ?

M. Gérard Miquel . - Châlons-en-Champagne, parce qu'elle est chef-lieu de région, a récupéré des cadres d'État. Dans la région PACA, vaste par son territoire, la réorganisation des services de l'État s'est-elle également traduite par un départ des services publics de Digne-les-Bains pour le chef-lieu de région ? Ne pensez-vous pas que la dimension territoriale doit être prise en compte dans ces opérations ? De fait, les régions sont diverses : en Alsace, qui compte seulement deux départements, le ressenti n'est certainement pas le même.

M. Jean-Luc Fichet . - Entre une collectivité menacée d'embonpoint ( M. Bourg-Broc nuance cette affirmation .) et une autre soumise à une sévère cure d'amaigrissement, quelle est la ligne de partage ? J'aimerais en savoir plus sur l'effet de filière, « l'effet domino » entre emplois publics et privés.

M. Raymond Couderc . - Maire de Béziers et membre du conseil d'administration de la FMVM, je veux apporter mon témoignage. Ville de 75 000 habitants, Béziers a la malchance d'être installée dans un département qui abrite Montpellier. Depuis 1987, sont partis pour le chef-lieu de région la direction d'EDF-GDF, l'Urssaf, la caisse d'allocations familiales, la caisse primaire d'assurance maladie et la direction régionale de l'Office national des forêts. De nombreuses entreprises privées ont suivi le mouvement ; les banques, par exemple, ont transféré leurs centres de décision à Marseille ou à Toulouse. Cette vision de l'administration du territoire est sans doute enseignée à l'ENA ou à l'École nationale des ponts et chaussées car on nous sert toujours les mêmes réponses...

Mon interlocuteur local est le sous-préfet. Nous avons des discussions claires et constructives : il m'a d'ailleurs prêté main forte lorsque les services de l'équipement, parce qu'on leur avait retiré le conseil aux communes, ont renforcé les contrôles dans des domaines où on ne leur demandait rien.

M. Bruno Bourg-Broc . - Nous n'avons pas établi d'études d'impact précises et globales. La RGPP, a eu raison de rappeler M. Courderc, a été précédée d'un mouvement lent et insidieux. Ma ville comptait 500 emplois de France Télécom ; elle en a perdu plus de la moitié récemment. Je me suis battu pour conserver la direction régionale : il n'y a plus que 6 postes contre cent autrefois ! Ces mouvements aux dépens des moyennes et petites villes sont inquiétants. Nous savons quelles ont été les conséquences de telle réforme sur l'emploi public, sans toutefois pouvoir mesurer son impact global. Les données démographiques sont connues ; mais leur évolution est-elle liée à la RGPP ?

Quant à la qualité du service public, elle devrait aller s'améliorant. A-t-on amélioré le délai de délivrance des passeports et des cartes d'identité en transférant ce service aux communes ? Notre mairie a réalisé des investissements pour accueillir ce service -j'en suis fier-, en contrepartie duquel nous avons reçu une subvention plus forte que prévu grâce à un amendement sénatorial. En revanche, la parole de l'État doit être plus claire : il faut avoir le courage de dire que ce service sera désormais réalisé dans des conditions différentes.

Oui à la prise en compte de la dimension territoriale : on ne peut pas traiter de la même façon l'Alsace et la Champagne-Ardenne qui s'étire sur 400 km.

M. François Patriat , président . -- Vous envisagez donc une différenciation de la RGPP selon les territoires ?

M. Bruno Bourg-Broc . - Naturellement ! Philippe Seguin, peu avant son décès, avait eu l'intelligence de dire que la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne pouvait pas s'appliquer uniformément selon les secteurs et les territoires. Oui à la réduction de l'emploi, mais à condition que le service public continue d'être rendu. Nous avons été habitués à un certain confort. : on attend tout du maire, de l'action sociale à la météo. La situation évolue : une espèce de RGPP est en marche partout en Europe.

M. Serge Gloaguen . - La parole de l'État doit être claire, sa stratégie aussi. Nous avions travaillé au relogement de la police nationale à l'hôtel de ville de Digne avec les préfets successifs avant que le ministre nous oppose une fin de non-recevoir. Il y a quatre ans, nous avons acheté un terrain en centre-ville à une congrégation religieuse pour y installer le commissariat. Depuis, silence radio. La réponse est venue de M. Michel Sapin : deux commissariats restent à construire, ceux de Digne et de Béziers ; l'espoir est permis pour 2012. Pour le centre pénitentiaire, même expérience. On balade les élus !

Digne accueille cinq lycées, le plus grand internat de la région PACA ainsi que le plus grand CFA, un IUT, une école d'infirmières, un IUFM... La ville respecte le quota de 20 % de logements sociaux, contrairement à de nombreuses communes du littoral. Mais l'emploi public baisse depuis deux ou trois ans. Ayant travaillé en entreprise, je cherche à compenser ces pertes en attirant de nouvelles activités : je ne baisse pas les bras ! La région fait beaucoup : elle a instauré un mécanisme de solidarité pour financer les routes départementales de montagne là où il y a des cols et de la neige. Pour autant, elle ne peut pas tout.

M. Michel Bécot . - Ces illustrations locales sont intéressantes, mais nous manquons d'une vision globale. Dans le monde de l'entreprise, d'où je viens, on établit des stratégies de long terme ; avant de se lancer sur un marché à l'export, on procède à des études de marché. Monsieur le président, ne faudrait-il pas interroger les concepteurs de la RGPP ?

M. François Patriat , président . - Nous entendrons le ministre dans quelques instants.

Mme Michèle André . - La RGPP est bien là, hélas ! Je l'ai constaté comme rapporteur spécial. Peut-on supprimer 700 postes dans les préfectures en 2011 en maintenant un service d'égale qualité ? La réponse est non ! Toutes me répondent : « nous sommes à l'os » quand certaines communes, contraintes d'accueillir le service des passeports et des cartes d'identité, ont dû embaucher. J'ai alerté les ministres du budget et de l'intérieur, en vain.

Supprimer un fonctionnaire sur deux, c'est une gestion aveugle ! Les effets se font sentir dans les préfectures et les sous-préfectures. Quant au préfet de département, on en fait un sous-préfet, soumis au préfet de région !

M. Bruno Bourg-Broc . - Je n'ai pas une hostilité aussi catégorique à la RGPP.

Mme Michèle André . - Je n'ai pas d'hostilité a priori, je ne fais qu'en constater les effets !

M. Bruno Bourg-Broc . - Il ne faut pas perdre de vue le lien entre RGPP et aménagement du territoire. L'État doit avoir le souci de la continuité de sa parole. Quand on laisse espérer un commissariat à une ville, il faut tenir parole, de gauche ou de droite ! La perte de confiance de la population à l'égard des hommes politiques et des institutions vient de ce que leur parole a perdu sa crédibilité.

M. François Patriat , président . - Merci de vos réponses.

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