Mercredi 23 mars 2011

M. Jacques Pélissard,
président de l'association des maires de France (AMF)

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M. François Patriat , président . - Notre mission a entendu les représentants des petites villes, des villes moyennes. L'audition du président de l'AMF est l'une des plus importantes à nos yeux. Nous souhaitons avoir votre avis, Monsieur le président, et celui de l'AMF, sur l'impact de la RGPP pour les collectivités locales.

M. Jacques Pélissard, président de l'association des maires de France (AMF) . - La RGPP est une politique d'Etat sur laquelle nous ne portons pas de jugement d'opportunité. Mais elle a bien sûr des conséquences sur les collectivités territoriales. Il n'y a pas eu grande concertation en amont. Cette réorganisation de l'administration territoriale d'Etat a été mise en oeuvre par les préfets. Au niveau des départements, ils ont -bien-- informé les parlementaires, les maires des villes les plus importantes, les conseils généraux, mais il ne s'agissait que d'information.

Il n'est pas anormal que l'Etat veuille ajuster son organisation en fonction des évolutions démographiques ou techniques : trop longtemps la France est demeurée passive, conservant des structures du passé. La volonté des gouvernements successifs de s'adapter à un monde en mutation doit être saluée. Mais une concertation en amont aurait été souhaitable. Nous sommes en train d'obtenir du gouvernement la réactivation de la Conférence nationale des exécutifs, CNE, qui était un forum où de très nombreux participants s'exprimaient, chacun à son tour, mais sans véritable dialogue. La nouvelle formule sera plus resserrée, plus dense, avec trois représentants de l'Association des régions de France, trois de l'Assemblée des départements de France et trois de l'AMF. Des réunions plus thématiques se tiendront aussi avec les ministères compétents. Il s'agira d'une instance de concertation, non de négociation à proprement parler car le mot n'a pas été prononcé, mais d'échange sur les attentes et les préoccupations respectives. La CNE aura un rôle à jouer en amont du processus législatif et réglementaire. Ce matin, nous avons tenu une réunion avec les autres associations d'élus locaux, afin d'organiser nos positions.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer en amont, vous l'avez rappelé. Certains maires, certains présidents d'Epci, s'inquiètent du désengagement de l'Etat et du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, qui les obligent à recruter du personnel. Dans mon département, j'ai interrogé les 350 maires : leur première difficulté tient à la moindre présence de l'Etat pour les assister dans la maîtrise d'ouvrage. On observe du reste une confusion entre les conséquences de la réglementation européenne sur la concurrence et les conséquences de la moindre présence de l'Etat. Quel est votre sentiment sur cet aspect ?

Le président de la République a récemment prôné la polyvalence des services de l'Etat, singulièrement en milieu rural. Qu'en pensez-vous ? Enfin, quel est le sentiment des maires sur la gestion des passeports biométriques et la réforme présentée initialement comme une mesure de simplification ?

M. Jacques Pélissard . - La réaction n'est pas la même dans les grosses villes comme Dijon et les villes moyennes, pour lesquelles la RGPP, modifiant les effectifs dans les préfectures et sous-préfectures, a des incidences notables. Dans ma ville, la forte réduction du nombre des fonctionnaires a eu un impact sur l'activité... Et dans les zones rurales, l'ingénierie publique, assurée naguère par les directions départementales de l'équipement (DDE) ou de l'agriculture (DDA), a purement et simplement disparu ! Or ces administrations fournissaient une assistance efficace et fiable. Les conséquences sont financières. Certains départements ont créé une agence départementale au service de toutes les communes ; des bureaux d'études intercommunaux ont été mis en place. Dans mon intercommunalité, qui compte 33.000 habitants, nous avons ainsi mutualisé un bureau, mais avec un coût supplémentaire. L'Etat allège son dispositif sur le terrain : tant mieux pour les finances publiques d'Etat ; mais les finances publiques locales supportent un poids nouveau.

L'AMF est depuis longtemps l'avocat de la polyvalence. En zone rurale, elle conditionne l'équité de répartition des services publics ; mais l'émiettement, la parcellisation des services publics ne sont pas souhaitables et la réponse se trouve donc dans le regroupement et la mutualisation des services. En avril 2005, nous avons conclu un accord avec La Poste. Lorsqu'un bureau utile quelques heures par semaine est accueilli dans une mairie qui n'est pas surchargée non plus, tout le monde, le maire, les usagers, La Poste, est satisfait. Un nouveau contrat tripartite vient d'être signé avec La Poste et la dotation du fonds de péréquation postale a augmenté, 170 millions d'euros par an désormais. Les mairies deviennent des maisons de services publics et la qualité des services s'améliore.

Sur les passeports biométriques, nous nous sommes battus... avec le concours efficace du Sénat ! Les 3.000 euros proposés initialement par machine ont été portés à 5.000 ; et l'arriéré a été pris en compte dans le cadre d'une forfaitisation -95 millions d'euros ont été débloqués pour apurer la situation. Aujourd'hui, plus de 2.500 communes sont dotées d'une station biométrique. L'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des finances et l'AMF ont conduit ensemble une expertise pour évaluer les coûts réels, dans 2.074 communes volontaires. La dotation globale doit être de 8.830.0000 euros, soit 7,25 euros par titre -l'IGA parvenait, elle, à un coût de 7,13 euros mais elle ne prend pas en considération les congés maladie ni les RTT, qui imposent de compter 1,5 agent par station. Et si l'équilibre est presque atteint sur les passeports, lorsque s'y ajouteront les cartes nationales d'identité, le niveau actuel de compensation ne sera plus viable. J'ai donc demandé au secrétaire général du ministère une évaluation du surcoût à venir.

M. François Patriat , président . - Avez-vous recensé les communes touchées par la transformation des cartes militaire, judiciaire, sanitaire, scolaire ?

M. Jacques Pélissard . - Non, nous ne l'avons pas fait. Nous nous sommes beaucoup mobilisés lors de la révision de la carte militaire car les conséquences étaient dramatiques pour les petites communes qui voyaient leur régiment s'en aller. Nous avons maintenu une pression forte afin qu'elles bénéficient de compensations. Nous avons peu agi, en revanche, lors de la révision des cartes judiciaire et hospitalière. Nous avons transmis les attentes globales des communes, maintien de l'offre de soins etc. La globalisation de l'offre est une réponse si l'on maintient la présence hospitalière sur l'ensemble du territoire.

M. François Patriat , président . - La RGPP appliquée aux cartes militaire, scolaire, judiciaire, a été mal vécue par certaines communes. A-t-elle eu des contre-effets positifs ? Comment ont été traités les problèmes des collectivités, des commerces locaux ?

M. Jacques Pélissard . - A la demande de l'AMF, des compensations ont été accordées : possibilité pour les communes de racheter à prix préférentiel des emprises foncières délaissées, mesures financières d'accompagnement. Aujourd'hui, nous n'avons plus guère de remontées sur ces questions.

M. Éric Doligé . - Existe-t-il des services de l'Etat où la réduction des effectifs atteint un seuil critique, induisant désormais des problèmes majeurs ? Lors des regroupements d'administrations en une seule unité, un service a-t-il pris le pas sur les autres, la direction régionale de l'environnement (Diren), DDE ou autre ? Enfin, les nouvelles directions ainsi créées n'ont-elles pas tendance à faire du contrôle plutôt que du conseil ?

M. Jacques Pélissard . - Oui, elles tendent plutôt à contrôler qu'à conseiller. Quant à la pondération au sein des nouvelles directions, tout dépend des hommes. Lorsque le pilotage est assuré par l'ancienne DDA, l'orientation est agricole et rurale ; lorsque c'est la DDE, les questions de logement ou d'urbanisme sont privilégiées. Il n'y a pas encore d'approche uniforme.

M. Jean-Luc Fichet . - Nous sommes en queue de peloton européen pour l'encadrement dans les écoles primaires : la diminution des postes continue pourtant ! Les communes vont bientôt se révolter, je crois, car les classes sont surchargées et l'on a transféré aux collectivités les jardins d'éveil et la sécurité. Si un pépin se produit un jour, à qui faudra-t-il en imputer la responsabilité ? Des écoles ferment : les communes perdent leur avenir. De plus en plus nombreux, les hôpitaux locaux sont devenus centres hospitaliers. Certains ont été fermés. Aujourd'hui on prône les communautés hospitalières de territoire : elles auraient un intérêt si elles entraînaient une mutualisation réelle mais il n'en est pas ainsi. Comme pour la RGPP, la mise en place a été brutale. Dans le Finistère, le directeur d'un hôpital a été informé qu'il devenait sous-directeur de la structure d'à côté ; le conseil de surveillance n'avait même pas été averti, les procédures n'ont pas été respectées. Nous avons été conviés à des réunions de réorganisation hospitalière -menée à marche forcée... Dans certaines spécialités, les praticiens sont rares mais deux misères ne font pas une richesse. En gériatrie, par exemple, les manques sont énormes. Partagez-vous le sentiment que la machine est lancée et que les dépenses à consentir localement sont considérables pour gérer les conséquences dans les territoires touchés ?

M. Jacques Pélissard . - Dans le secteur scolaire, on a atteint un point bas, avec à nouveau 16.000 suppressions de postes cette année. On ne peut plus raisonnablement, à partir de ce niveau, poursuivre la réduction des effectifs. L'AMF sera hostile à toute nouvelle suppression, après celle de 2011. Quant aux maternités, on ne peut aujourd'hui, pour des raisons de démographie médicale et d'impératifs de santé publique, maintenir un morcellement des lieux de soins. Chez moi, en 1989, bien avant que ne soit inventée la RGPP, coexistaient une maternité qui effectuait 200 accouchements par an, une autre à Champagney à quelques dizaines de kilomètres -200 accouchements également- et une clinique privée, 1.200 accouchements par an. Les trois établissements ont été réunis à l'hôpital public de Lons-le-Saulnier, mais les consultations avancées et la préparation à l'accouchement ont été maintenues sur les anciens sites.

On manque aujourd'hui d'IRM, de scanners, d'équipements de médecine nucléaire : ils coûtent cher et l'on ne peut en doter tous les établissements. Du reste, on ne possède pas les compétences dans tous les établissements... En outre, les médecins doivent se côtoyer pour traiter plus efficacement le patient. Les regroupements dans une communauté hospitalière de territoire, dotée d'équipes mobiles, me paraissent intéressants. J'ajoute que le temps de communication -envoi, par exemple, des radioscopies effectuées sur un patient- a beaucoup diminué grâce à internet. Aujourd'hui, on peut regrouper les médecins et maintenir une présence territoriale et une bonne desserte des populations.

M. Jean-Luc Fichet . - Certes, on ne peut maintenir un plateau technique dans chaque commune. Mais la gériatrie par exemple exige une prise en charge de proximité ; or, avec la création de ces pôles, les hôpitaux locaux ne peuvent plus survivre. Ils ne sont pas, pourtant, des établissements coûteux. Les regroupements de médecins dans un seul pôle, pourquoi pas, mais je ne vois pas comment on créera des équipes itinérantes, car les praticiens seront déjà débordés de travail au sein du pôle ! Localement, on ne trouve pas de spécialistes et les médecins ne sont pas remplacés quand ils partent en vacances. On a alors recours à des entreprises d'intérim et les médecins qu'elles envoient sont payés 1.100 euros par jour !

Les populations finiront par migrer pour se rapprocher des centres de prise en charge. Pendant ce temps, on dit aux maires : si vous voulez maintenir une offre de santé sur vos territoires, libres à vous de créer des pôles de santé.

M. Jacques Pélissard . - Mais chaque fois qu'un plateau technique est supprimé, il est remplacé par un pôle gériatrique, installé au plus près des lieux où les personnes accueillies ont passé leur vie. On n'a pas besoin, dans ces centres, d'une réactivité médicale rapide, les patients peuvent être transférés vers le pôle hospitalier en cas de nécessité.

Les « mercenaires médicaux », en particulier dans certaines spécialités, anesthésie par exemple, sont payés des sommes considérables. Ils sont très mobiles, et l'un d'eux à qui je proposais une sédentarisation dans l'hôpital de ma ville m'a ri au nez car les rémunérations n'ont rien à voir avec ce qu'ils perçoivent en se déplaçant et les fidéliser est par conséquent impossible.

M. Michel Bécot . - Nous avons auditionné de nombreuses personnalités : plusieurs ont évoqué l'idée de généralistes de l'administration dans des maisons d'Etat. On n'a pas besoin de disposer partout de toutes les spécialités ; un généraliste doté des moyens de communication modernes peut répondre à bien des sollicitations.

M. Jacques Pélissard . - On a besoin d'une administration compétente. Je ne reviens pas sur l'ingénierie, je l'ai déjà évoquée. Mais je souhaite le maintien des services des finances publiques, direction générale des impôts, direction du Trésor, direction des finances publiques, la fusion ne nous posant pas de problème si les services rendus aux maires sont de bonne qualité. Les maires ont besoin d'aide dans la construction de leurs budgets. Le trésorier principal n'était pas toujours « au top ». Je préfère un responsable hautement compétent, qui se déplace, à un maillage trop serré mais sans compétences pointues. La nouvelle organisation n'a pas suscité de dysfonctionnements, je n'ai enregistré aucune remontée à ce sujet.

M. François Patriat , président . - Longtemps, les maires ont souhaité recevoir une assistance en matière budgétaire ou d'ingénierie. Et ils en ont toujours besoin : une commune de 30 ou de 80 habitants ne peut se doter des compétences correspondantes ! Et pourtant, sur bien des sujets, les réponses aux questions se font attendre longtemps car le préfet ne dispose pas des moyens humains suffisants. Les départements ont été maintenus au fil des lois votées. Mais l'Etat a choisi de régionaliser ses services. Dans les communes des départements les plus éloignés du chef-lieu de région, on attend, on attend...

M. Jacques Pélissard . - La gestion de proximité et le conseil sont des points importants. C'est pourquoi il me semble essentiel de maintenir un bon maillage de sous-préfectures. Le sous-préfet est le bon interlocuteur des communes concernant les actions de l'Etat ; et il lui revient de faire remonter les besoins. Les intercommunalités aussi jouent un rôle de plus en plus important. L'instruction des documents d'urbanisme, des permis de construire, relève de la compétence communautaire, même si le maire conserve la signature. La gestion de proximité va gagner en puissance.

M. François Patriat , président . - Les sous-préfectures comptent généralement deux agents, le sous-préfet et sa secrétaire...

M. Jacques Pélissard . - Les préfectures et sous-préfectures vont être impactées directement par la diminution des effectifs. Mais pour retrouver sa compétitivité, notre pays doit veiller à une meilleure efficacité de la dépense publique.

M. François Patriat , président . - L'Etat doit se réformer, certes. La décentralisation a également changé la répartition des tâches et provoqué une remise en cause de certains blocs de compétences. Mais le Médiateur M. Delevoye hier a brillamment souligné la souffrance de nos concitoyens face au manque non seulement de services publics mais de biens publics. L'analyse de M. Delevoye rejoignait parfaitement un ressenti que nous connaissons bien.

Dans la région que je préside, l'Etat nous a demandé de mettre aux normes les lycées, salles de classes, laboratoires, matériel. Et cette année il annonce : « on ferme la filière » ! Nous allons tout faire pour réutiliser ces équipements au profit des jeunes et de l'apprentissage, mais quel manque de coordination, quel dysfonctionnement ! On ne gère pas un territoire avec un esprit notarial... Dés lors nous nous posons la question : faut-il investir dans le lycée agricole de Château-Chinon ? Ne va-t-on pas le fermer ?

M. Jacques Pélissard . - Les communes vivent cela aussi. Elles rénovent l'école, la cantine, et elles apprennent que l'établissement est menacé. Nous avions, dans un document signé en 2006 avec le ministre concerné, obtenu -arraché, devrais-je dire- un délai de deux ans, en cas d'investissement accompagné par l'Etat, avant toute décision de modification du nombre de postes. Ce n'est pas suffisant.

Soit on choisit une organisation beaucoup plus verticale, secteur par secteur, en modifiant la répartition actuelle des compétences ; soit on opte pour une concertation fine, à valeur prescriptive pour le moyen terme et non seulement le court terme. La CNE représente me semble-t-il la première pierre dans la voie de la concertation, pour éviter à l'avenir les situations que vous évoquez. Dans mon département, l'Etat a imposé des équipements, laboratoires, paillasses, lors de la création d'une filière de gestion des déchets. Ils n'ont jamais servi...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - En matière de permis de construire, il y a une contradiction : l'Etat menait l'instruction des permis de construire, il s'occupe aujourd'hui de contrôle de légalité. Il faut clarifier les choses... Que pensez-vous de l'orientation vers un contrôle de légalité focalisé sur les actes les plus importants ? Quelles en sont les conséquences au quotidien sur nos délibérations ?

M. Jacques Pélissard . - Les contrôles semblent moins nombreux mais le plus souvent pointilleux -et pas toujours intelligents... Avec les réformes de 1982, 1994, 2010, on est passé d'un Etat qui s'occupait de tout et contrôlait tout à des pouvoirs locaux pour l'instant mal articulés avec les moyens financiers locaux. La question des compétences et du financement de ces compétences est encore en chantier ! Votre mission amorce un cheminement essentiel pour notre communauté nationale.

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