M. Yvon Ollivier,
préfet honoraire

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M. François Patriat , président . - Monsieur le Préfet, votre grande connaissance de l'Etat, des territoires et des administrations, à travers les différentes fonctions que vous avez exercées, m'amène à vous poser plusieurs questions : quels sont les axes à suivre pour la réforme de l'Etat, comment l'articuler efficacement avec la réforme des collectivités territoriales, comment jugez-vous aujourd'hui la RGPP ?

M. Yvon Ollivier, préfet honoraire . - J'ai participé à la RGPP en tant que responsable d'un groupe d'audit au ministère de l'intérieur en 2007 et 2008. Je suis parti ensuite à la retraite et me suis éloigné de la mise en oeuvre de la RGPP. Je suis donc un observateur extérieur manquant d'informations. Cela expliquera la prudence de certains de mes propos.

La réforme de l'Etat aujourd'hui a besoin de réflexion sur ce que sont les missions de l'Etat. Nous n'avons pas encore assez réfléchi à ce qu'elles doivent être au XXIème siècle : Etat stratège, Etat régulateur, Etat correcteur des inégalités, Etat prestataire ... La part relative de ces différentes missions doit évoluer et je crains qu'on ne se soit pas toujours donné assez de temps pour cette réflexion.

La réforme de l'Etat doit se faire en tenant compte de la réforme des collectivités territoriales et des progrès de la décentralisation. Au moment du lancement de la RGPP, le problème se posait encore de la bonne distribution des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales : la réponse est évidemment politique. Nous restons encore dans un tel flou et un tel mixage des compétences entre collectivités territoriales ainsi qu'entre collectivités et Etat que forcément se pose un problème de lisibilité pour le citoyen qui ne sait plus qui fait quoi. La RGPP, c'est comment améliorer la performance de l'action publique avec le minimum de moyens budgétaires. Je crains que nous ne soyons pas encore au terme de la clarification des compétences alors qu'un des principes de base de la décentralisation est leur répartition claire entre l'Etat et les collectivités territoriales. L'Etat lui-même connaît quelques problèmes à abandonner des compétences qui ont pourtant été décentralisées. C'était un des constats de départ de la RGPP. Les effectifs de l'Etat ont continué à croître tandis que les effectifs des collectivités territoriales ont, parallèlement, enflé au fur et à mesure des transferts de compétences. La RGPP s'inscrit dans une optique budgétaire.

M. Dominique de Legge , rapporteur. - Deux logiques se sont télescopées : la logique du Comité Balladur qui privilégie la région et celle de la réforme des collectivités territoriales qui met en avant les communes et les départements. Dans le même temps, la réforme de l'Etat s'est surtout appuyée sur l'échelon régional : le département n'est plus le lieu de la réflexion de l'Etat mais celui de l'exécution.

Le préfet de la région Bretagne a attiré mon attention sur le fait que de plus en plus on lui demande de coordonner les services de l'Etat dans une logique horizontale alors que la réalité des moyens humains et financiers dont il dispose reste dans une logique très centralisée, ministère par ministère.

Quel est votre sentiment et les voies d'amélioration sur ce point ?

M. Yvon Ollivier . - Je suis en phase avec la direction prise : le niveau pertinent de l'administration territoriale de l'Etat est plutôt celui de la région car c'est celui notamment de la problématique de l'aménagement du territoire ; que l'Etat s'allège au niveau du département pour se concentrer à la région est dans la logique de la décentralisation. L'Etat doit accepter de réduire sa présence sur le territoire. Au vu des comparaisons internationales, la France reste un pays très administré (car nous avons une double administration -Etat et collectivités territoriales- avec des chevauchements entre elles). Cela correspond peut-être à notre culture nationale et à la demande de l'opinion publique. L'évolution va dans le sens de la logique régionale : comme préfet, je l'ai vécu : je pense notamment aux contrats de plan. Il faut une concentration des moyens. En ce qui concerne les travaux du comité Balladur, on a assisté à une offensive régionale et à une forte résistance départementale.

J'ai le sentiment que depuis longtemps nous sommes obsédés en France par une vision un peu trop uniforme de l'administration territoriale. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays qui distinguent les zones rurales et faiblement urbanisées des zones fortement urbanisées en ayant deux types de structures : la structure ordinaire de type province et celle des villes-province, dans laquelle la ville prend les compétences de la province. Ne sommes-nous pas dans cette situation en France dans un certain nombre de départements ? C'est déjà le cas à Paris, commune et département. Mais prenons les exemples de Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux... Ce sont des collectivités importantes, y compris dans des secteurs normalement de compétence départementale comme l'action sociale et les établissements scolaires qui pourraient être de la compétence de l'agglomération. Les derniers textes ont prévu des dispositifs de délégation. Je suis favorable à une évolution de ce genre. Il ne me semble pas qu'une structure agglomérée qui parfois dépasse les limites du département, doit être gérée absolument comme la Corrèze où le département a un rôle important : il joue le rôle de conseil et de support des collectivités de base. Ce rôle de conseil n'existe plus dans les départements très urbanisés. De façon expérimentale, cette piste pourrait être exploitée mais cette distinction se heurte à la tradition française dans laquelle la réalité départementale est très fortement ancrée. Elle est plus visible, pour les Français, que le niveau régional.

L'intercommunalité a une vertu extraordinaire. Les gouvernements ont dû renoncer aux fusions communales qui sont pratiquées dans certains pays démocratiques comme la Suède. L'intercommunalité progresse et présente l'avantage de concilier le regroupement des petites communes sur des compétences qu'elles ne peuvent pas exercer comme l'urbanisme, les transports, tout en maintenant ce lien social des petites communes avec la présence de milliers de quasi-bénévoles dont je souligne le travail formidable.

M. François Patriat , président . - La méthode de la RGPP est-elle bonne ? Simplicité, économie, efficacité. La RGPP a-t-elle répondu à ces objectifs ?

M. Pierre-Yves Collombat . - On se fait beaucoup d'illusions sur les collectivités locales étrangères. Je pense à la situation d'endettement des communes allemandes. On y trouve aussi la complexité territoriale.

On a assisté à la montée en puissance de la région alors que la réforme des collectivités territoriales a privilégié le département.

Pourriez-vous nous expliquer la logique de la réorganisation des services de l'Etat entre ce qui est du niveau régional et ce qui est du niveau départemental ? Quel est finalement le rôle du préfet de département ? Je suis bien conscient qu'il faut tenir compte de la décentralisation mais j'ai l'impression que pour l'Etat maintenant il s'agit de faire payer aux collectivités territoriales des charges qui, avant, relevaient de l'Etat.

L'Etat doit-il s'occuper des seules fonctions régaliennes en imposant des normes et des contrôles ?... Avant les élus avaient affaire à des fonctionnaires d'Etat qui disposaient des moyens de leur expertise. Ils étaient appréciés des petites collectivités. A l'équipement, les agents sont là pour nous aider à agir... Aujourd'hui cela se double d'un contrôle plus tatillon qu'auparavant.

M. Yvon Ollivier . - L'approche de la RGPP était nécessaire. Elle a été bien accueillie par le corps préfectoral et la haute administration. Avec ses indicateurs de performance, la RGPP est la suite logique de la LOLF, surtout à un moment où la pression européenne s'exerce plus fortement pour le respect des critères de Maastricht.

Je suis d'accord, Monsieur le Sénateur, pour ne pas trouver seulement de bonnes solutions à l'étranger mais, quand même, ces exemples sont à regarder comme les bonnes expériences étrangères par rapport auxquelles nous sommes en retard.

Il y a ce dilemme entre la nécessité d'aller vite pour obtenir des résultats et la nécessité d'agir de façon concertée : la RGPP n'a pas vraiment été un modèle de concertation sociale ni de concertation avec les élus car tout est allé vite. Un exemple : au ministère de l'intérieur, le chantier a démarré en plein été, les premières recommandations sont tombées en octobre et le rapport définitif au mois de mars suivant. Or, il a fallu procéder à des travaux techniques d'ampleur. La concertation a varié selon les sujets. Elle a été étroite entre l'équipe RGPP et le ministère. Ainsi on s'est trouvé face à un processus de décision très rapide et ensuite face à un processus de mise en oeuvre très rapide également. Je songe à la mise en oeuvre de la réforme des titres délivrés par le ministère de l'intérieur, très importante pour dégager des gains de productivité. Mais en la menant très rapidement, on a pris le risque que les suppressions de poste résultant du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite interviennent avant la réalisation des gains de productivité.

J'en viens à l'articulation des responsabilités du préfet de région et de celles du préfet de département, l'insuffisance des moyens de l'Etat au niveau local que vous évoquez : il était normal de concentrer la représentation de l'Etat au niveau régional car l'Etat conserve des compétences fortes en matière d'aménagement du territoire et de développement économique et c'est à ce niveau que l'interface avec le monde économique et les collectivités locales doit s'exercer. Le rôle du préfet de département reste essentiel en matière de sécurité et de gestion de crise qui est très sensible dans notre société. Il reste celui qui veille à l'application de la loi sur le terrain qu'il administre et à la régulation en matière d'urbanisme ou sanitaire. Je ne suis pas sûr que l'Etat sur ce point se soit organisé de façon efficace.

Nous avons eu un débat au comité de suivi sur un allègement sensible du contrôle de légalité. Il existait des tenants de la suppression du contrôle de légalité. Il a été décidé de le maintenir en réduisant de moitié sa portée, en ne conservant que les actes les plus porteurs d'enjeux, l'urbanisme et les marchés publics. Je ne suis pas sûr que l'Etat était bien armé dans le passé pour assurer le contrôle de légalité, il fallait que le contrôle préfectoral s'appuie sur le TPG en matière de contrôle budgétaire, de marchés publics, sur l'équipement pour les permis de construire ... Les clivages verticaux dans l'administration ont été atténués au fil des réformes mais la dernière qui met les directeurs des services déconcentrés sous l'autorité du préfet devrait permettre une meilleure appréhension du contrôle de légalité et du conseil aux collectivités locales, une plus grande efficacité par une plus grande intégration des équipes qui, avant, étaient dispersées.

La décentralisation consiste à être responsable de ce qu'on fait et à le faire soi-même sans l'Etat comme garant. Les experts de l'Etat peuvent parfois avoir tendance à se substituer aux responsables locaux dans le souci de bien faire.

Je suis partisan de la prise de responsabilités par les collectivités locales. Les intercommunalités y participent en se dotant de services comptables, juridiques, qu'on allait auparavant chercher du côté de l'Etat.

Dans le cadre de la RGPP au ministère de l'intérieur, on s'est interrogé sur la justification du maintien des sous-préfectures auquel certains n'étaient pas favorables. Pour notre équipe, il fallait les conserver comme relais de l'Etat de proximité. Dans certaines sous-préfectures, vont rester le sous-préfet, son chauffeur et sa cuisinière, puisque l'essentiel des missions soit a disparu, soit a été transféré à la préfecture. Il va donc falloir aménager le rôle des sous-préfets. Les intercommunalités pourraient jouer le rôle des sous-préfectures vis-à-vis des collectivités de base. Le gouvernement ne nous a pas suivis dans l'opportunité de se passer d'un certain nombre de sous-préfectures.

M. François Patriat , président . - Je reviens sur un point qui ici peut faire consensus. Je songe aux propos de notre collègue Gérard Miquel : la décentralisation implique, pour les collectivités locales, de prendre pleinement leurs responsabilités et de se doter des services compétents comme l'ingénierie pour les routes. Le problème c'est le sentiment que les collectivités locales ont des difficultés à obtenir des réponses sur les autres missions : c'est le problème de l'éloignement des DREAL, c'est celui de l'élaboration des PPRI (mon préfet, aujourd'hui, n'a pas les moyens suffisants pour les établir rapidement). Deuxième question : c'est l'impact sur les collectivités locales de la réforme des différentes cartes : certaines communes sont dans une situation dramatique.

M. Yvon Ollivier . - Il est vrai, aujourd'hui, qu'il y a des tâtonnements dans les préfectures dans la mise en place de la RéATE. Le point d'équilibre est-il trouvé entre la nécessité de faire rapidement et l'engrangement des gains de productivité ? Je suis mal placé pour y répondre mais il me semble que l'impact de la nouvelle organisation territoriale s'effectuera plus facilement dans deux ou trois ans. La RéATE a été mise en place au début de l'année 2010. Quand on voit le temps d'apprentissage pour beaucoup de réformes, c'est un temps très court et des ajustements devront être réalisés pour trouver les bons circuits de décision.

Il y a, par ailleurs, une question structurelle en France : d'un côté, on a suivi le modèle anglo-saxon de la gestion de performance à travers des budgets de programme et la création de responsabilités verticales -le modèle, dans beaucoup de pays, a été de transformer les administrations centrales en agences autonomes-. Nous sommes allés beaucoup moins loin que les Anglais, les Suédois ou les Canadiens dans ce domaine. Mais à travers la LOLF, un responsable de programme de service public est investi d'objectifs chiffrés et doit rendre des comptes au Parlement.

Nous avons, parallèlement à ce modèle, la prétention d'avoir une cohérence de la présence de l'Etat au niveau régional et départemental grâce au système préfectoral. C'est donc une forme de contradiction : comment concilier la logique verticale de la LOLF et la logique horizontale de la RéATE ? Des techniques ont été mises en place pour introduire le préfet de région et le trésorier payeur général de région dans les programmes de la LOLF mais ce n'est pas évident car les deux logiques sont opposées. C'est un défi de les concilier sur le terrain, cela peut se traduire par des frottements.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie Monsieur le Préfet.

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