Général d'armée Jacques Mignaux,
directeur général de la gendarmerie nationale

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M. François Patriat , président . - La Gendarmerie nationale et la police nationale ont fait l'objet de nombreux questionnements au sein de notre mission au cours des dernières semaines. Elles sont également largement évoquées dans les courriers de réponse que les maires nous ont adressés suite à différents questionnaires. Les interrogations portent sur l'impact de la RGPP sur les forces de sécurité dans le pays. Cela n'est pas surprenant dans la mesure où la Gendarmerie nationale est l'un des partenaires privilégiés des élus locaux et notamment des maires.

Général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale . - La Gendarmerie nationale compte un peu moins de 100 000 personnels, civils et militaires. Son action couvre 50 % de la population et 95 % du territoire, aussi bien en zones rurales que périurbaines. Je qualifierais volontiers les relations que la Gendarmerie entretient avec les élus comme étant étroites, confiantes et indispensables. La RGPP illustre dans la Gendarmerie la difficulté à concilier la nécessité de se réformer et celle de garantir un service de proximité. Je veux ici souligner que des mesures qui apparaissent comme indolores au niveau national peuvent avoir des répercussions importantes au niveau local, notamment lorsqu'elles s'appliquent à des effectifs de taille réduite.

La réforme engagée vise à recentrer les forces de sécurité sur leurs missions au service des citoyens. Quatre axes ont été retenus.

Tout d'abord, la Gendarmerie nationale a été rattachée au ministère de l'intérieur afin d'accroître son efficacité. Ce rattachement a permis de conduire des politiques de sécurité plus performantes, de mutualiser des fonctions supports, de baisser les coûts d'achat, de supprimer des doublons, de mettre en cohérence des services de soutien de la Gendarmerie nationale et de la police nationale, de rationaliser la flotte d'hélicoptères ainsi que les bases, de créer des fichiers communs, d'adapter les capacités de formation (avec notamment la réduction du format de quatre écoles de la Gendarmerie nationale) et de mutualiser d'autres formations avec la police nationale (comme dans le cas des plongeurs).

Le deuxième axe de la réforme correspond au recentrage des forces de sécurité sur leur coeur de métier. Il renvoie au désengagement de missions considérées comme périphériques, à l'allègement des gardes statiques, au transfert de la garde des centres de rétention administrative (CRA) à la police des airs et des frontières (PAF), au développement de la visioconférence et à la réduction du format des forces mobiles sans altérer la capacité à gérer les crises (quinze escadrons ont été dissous ou sont en cours de dissolution). Ce recentrage sur le coeur de métier a aussi eu pour conséquence de transférer des missions de police administrative et judiciaire à des personnels civils ou militaires autres que les gendarmes.

Le troisième axe de la RGPP tend à adapter les forces de sécurité à l'évolution de la délinquance par une meilleure couverture du territoire. Il s'agit là de rationaliser les implantations, les dispositifs concernant les grandes plaques urbaines ainsi que les forces d'appui. Les redéploiements entre les deux forces ont débouché sur la prise en charge par la Police nationale de douze communes auparavant placées sous la compétence de la Gendarmerie nationale et, en sens inverse, sur le transfert de sept circonscriptions de sécurité publique placées désormais sous la responsabilité de la Gendarmerie nationale. Au total, nous sommes parvenus à maintenir une couverture territoriale cohérente tout en préservant le potentiel opérationnel. Nous avons procédé à la fermeture de 200 unités sur près de 4 000.

Le dernier axe de la RGPP réside dans le renforcement de la lutte contre l'insécurité routière. Les unités dédiées à cette mission ont été regroupées, redimensionnées et leur périmètre d'action s'est étendu au réseau secondaire routier. Si 58 unités spécialisées sur près de 500 ont été supprimées, le dispositif est toutefois désormais mieux ciblé et plus réactif.

Je veux souligner que les objectifs fixés à la Gendarmerie nationale par la RGPP ont été remplis et que le calendrier a été respecté. Au total, ce sont 3 509 emplois équivalent temps plein (ETP) qui auront été supprimés d'ici à la fin de l'année : 475 ETP au deuxième semestre 2008 et 3 034 ETP sur la période 2009-2011. Ces suppressions ont été obtenues notamment par la contraction du format de la Gendarmerie mobile et de la Garde républicaine. On a essayé de faire du qualitatif en redéployant les effectifs de gendarmerie départementale sur les secteurs les plus sensibles (soit 25 départements identifiés comme ayant une activité très soutenue).

La première phase de la RGPP a donc été respectée avec le souci de ne pas dégrader le service rendu. L'organisation et le fonctionnement de la Gendarmerie ont été revus. Dans le même temps, la sécurité n'a pas reculé pour nos concitoyens comme l'illustrent la baisse de 5 % de la délinquance générale, de 5,5 % de la délinquance de proximité et le chiffre de 193 vies épargnées en matière de sécurité routière (soit une baisse de 6 %).

Mais la RGPP a suscité un vrai questionnement. La concertation conduite par les préfets a toutefois été continue. Pour la période 2012-2013, la poursuite de la RGPP apparaît délicate à mettre en oeuvre, mais nous ferons en sorte de ne pas altérer la qualité du service.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - A propos de concertation, celle-ci a-t-elle été menée par les seuls préfets ? Quelles initiatives a pris la Gendarmerie en la matière ?

Les réductions d'effectifs ont surtout porté sur la fonction soutien. Si celles-ci sont poursuivies, cette fonction n'en sera-t-elle pas affectée ? Quelles seront les conséquences de ces réductions sur le potentiel opérationnel de la Gendarmerie ?

Général Jacques Mignaux . - S'agissant de la concertation, nous avons travaillé au niveau central et le plus tôt possible en amont des décisions prises. Les préfets ont eu des échanges avec les commandants de groupements. Dans certains cas, comme lorsque deux brigades cohabitaient dans le même canton ou lorsqu'une brigade couvrait une zone dépendant également de la police nationale, les décisions de suppression ont été faciles à justifier. Elles ont été plus difficiles à expliquer lorsqu'il s'est agi de supprimer d'autres brigades. Il convenait en effet d'éviter les déserts sécuritaires et les élus savent parfaitement bien où la Gendarmerie nationale peut être utile.

Sur chaque dossier, le préfet s'est impliqué au travers d'une explication pédagogique avec les élus. Cela ne s'est pas trop mal passé dans l'ensemble. Nous n'avons pas appliqué des recettes « vues de Paris » et nous avons préservé le maillage territorial.

Ce travail a été plutôt facile concernant l'optimisation des effectifs des pelotons de surveillance et de protection ou des brigades de recherche. Dans ce dernier cas, la concertation a également été menée avec les magistrats afin de dégager des économies sans entraver la capacité opérationnelle des brigades. Nous avons aussi fusionné des groupes de commandement de compagnies afin d'économiser des emplois : une quarantaine de groupes ont ainsi été supprimés car ils n'étaient pas viables du fait de leur trop petite taille (cinq personnes par exemple).

Globalement, nous n'avons pas eu de tensions particulières avec les élus. Nous avons fait en sorte de maintenir sur les territoires concernés par les restructurations soit un poste de Gendarmerie, soit une permanence, soit même un simple passage.

Les effectifs à rendre concernent en priorité les fonctions de soutien (740 postes rendus), la Garde républicaine (100 postes), l'état major (200 postes) et la gendarmerie départementale (1 770 postes supprimés, dont 750 ont été remplacés par des effectifs en provenance de la gendarmerie mobile). Il faut reconnaître que sur les fonctions de soutien nous sommes un peu « à l'os ».

Il existe un décalage entre les gains d'emplois anticipés grâce à la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (par exemple le procès-verbal électronique) et les économies effectivement réalisées qui se traduisent par des « petits bouts » d'ETP qu'il est ensuite difficile d'agglomérer.

Pour l'avenir, la Gendarmerie mobile ne sera pas touchée par la deuxième vague de la RGPP et la couverture du territoire sera préservée. Mais il faudra toutefois faire des choix afin de rendre 2 067 ETP dans les deux ans à venir.

Mme Michèle André . - Les effectifs supprimés au niveau de la Garde républicaine peuvent manquer. La RGPP prévoit un recours accru à la visioconférence afin de limiter les escortes. Où en est-on de ce point de vue là ?

La Gendarmerie nationale est-elle concernée par CHORUS et comment ? Il est apparu que la transition vers ce nouveau système d'information budgétaire et comptable pose des problèmes à d'autres services de l'Etat, notamment dans le domaine des relations avec les fournisseurs.

Général Jacques Mignaux . - Le taux d'emploi des effectifs dans la Garde républicaine est très soutenu et il n'est donc pas simple d'assurer une prestation de qualité identique dans un contexte de réduction des emplois.

M. François Patriat , président . - Quels sont les effectifs de la Garde républicaine ?

Général Jacques Mignaux . - Nous avons 3 000 hommes dans la garde républicaine. Par ailleurs, les transfèrements de détenus étaient jusqu'à présent assurés par la Gendarmerie et la Police (surtout dans le cas des dépôts pour cette dernière). En application de l'article D-315 du code de procédure pénale, la Gendarmerie intervient lorsque le périmètre couvert correspond à plusieurs circonscriptions de Police. Nous effectuons plus de 160 000 transfèrements par an. La réforme pénitentiaire a eu pour conséquence une implantation accrue des établissements pénitentiaires en dehors du centre des villes. Aussi, avons-nous créé des unités dédiées à cette mission dans la mesure où les transfèrements désorganisent les petites unités territoriales (une détention provisoire peut avoir pour conséquence de mobiliser des effectifs tout une journée).

Un contrat a été passé avec le ministère de la justice en vue de réduire de 5 % par an le nombre des transfèrements. En 2010, soit la première année de mise en place de ce contrat, l'objectif a même été dépassé. Il faut constater l'émergence d'une nouvelle culture chez les magistrats qui se sont approprié les moyens de visioconférence à leur disposition et permettant de relier la maison d'arrêt au palais de justice.

En dehors des mesures liées à la RGPP, il a en outre été prévu que, sur la période 2011-2013, l'administration pénitentiaire reprenne les transfèrements de personnes placées sous écrou (ces escortes étant considérées comme induites par le fonctionnement interne du système judiciaire). En contrepartie, 800 ETP doivent être rendus au ministère de la justice, dont 600 ETP issus de la Gendarmerie nationale. Cette évolution devrait à l'avenir permettre d'éviter de désorganiser les unités du fait de l'organisation des transfèrements, mais, pour le gestionnaire, il est difficile de « reconstituer » les ETP en question.

M. François Patriat , président . - Combien de gendarmes faut-il pour être opérationnel sur un territoire donné ?

Général Jacques Mignaux . - Nous ne raisonnons pas de cette manière. La disponibilité du gendarme est organisée avec 48 heures de repos par semaine travaillée, dont deux week-ends par mois. Au-delà de cette donnée de base, on doit tenir le terrain. Nous travaillons à la mutualisation et à l'appui réciproque des brigades dans la perspective d'assurer la mission dévolue à la Gendarmerie nationale. Pour les commandants, c'est tous les jours la quadrature du cercle. On ne peut pas se disperser. Une circulaire pose les grands principes de ce qu'on attend des brigades. Il faut ensuite beaucoup d'intelligence au niveau local car les effectifs sont toujours comptés.

Fort heureusement, la Gendarmerie peut également compter sur 24 000 réservistes très utiles. S'appuyant sur une enveloppe budgétaire de 45 millions d'euros, ce dispositif permet de gérer les flux de population en cours d'année (par exemple dans les régions touristiques de montagne ou sur le littoral).

M. François Patriat , président . - Et pourtant, les maires nous écrivent pour nous dire qu'ils sont mis devant le fait accompli. Il y a certainement une part d'irrationnel dans leur jugement, mais aussi une part de réel.

Général Jacques Mignaux . - La mise en route de CHORUS a été difficile, surtout du fait des milliers de baux que la gendarmerie a eu à ressaisir dans le nouveau système informatique. Nous avons essayé de définir des priorités dans les paiements. Désormais, les services se sont approprié l'outil, qui reste toutefois une contrainte particulière.

On est parfois obligé de mettre les élus devant le fait accompli, car personne ne peut se satisfaire d'une décision de suppression d'une brigade par exemple. Un travail préparatoire est mené, puis la décision est expliquée sur le terrain.

M. François Patriat , président . - Comment les choses se passent-elles en matière de logement des gendarmes ?

Général Jacques Mignaux . - Nous sommes souvent obligés de résilier des baux, mais l'exercice est compliqué car nous sommes très imbriqués.

Il faut toutefois rappeler qu'on a toujours supprimé des unités pour s'adapter au territoire, et cela avant même la RGPP. Ainsi, avant 2009, une quarantaine d'unités étaient supprimées par an, ce qui suscitait beaucoup de discussions avec les élus souvent attachés à leur brigade. Parfois, ces derniers construisent même de belles casernes qui constituent un argument pour mieux conserver leur brigade dans l'avenir.

Avec la Police, nous travaillons sur des formes de coopération pour ne pas fermer certains locaux.

M. Didier Guillaume . - Vous avez beaucoup de chance, car les citoyens et les élus vous aiment. Cet attachement vient de l'histoire de la Gendarmerie et d'un taux de délinquance moindre en zone rurale. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, du fait de la RGPP, ne peut pas s'appliquer à la sécurité, car sur le terrain les choses ne se passent pas bien. La force de la Gendarmerie nationale, c'est le contact et l'échange d'informations. Mais j'entends beaucoup d'interlocuteurs m'expliquer que le gendarme n'a plus le temps d'accomplir cette mission essentielle. Le travail de proximité qui incombait jusqu'à présent à la Gendarmerie n'existe plus désormais, sous l'effet des réductions d'effectifs fixées par la RGPP et de l'augmentation de la charge de travail administratif pesant sur le gendarme.

Concernant les transfèrements, dans mon département, la Drôme, nous avons une gare qui voit transiter près de trois millions de passagers par an. Quand la brigade de gendarmerie est appelée sur la gare, elle s'y rend mais alors elle délaisse le reste du territoire. Il faut incontestablement tenir compte des services que vous rendez à d'autres pour justement calibrer vos effectifs. Dans le cas contraire, un problème se pose sur le terrain.

Général Jacques Mignaux . - La Gendarmerie nationale est très attachée à son contact avec la population et à son ancrage dans les territoires. La difficulté consiste à trouver le meilleur moyen de préserver la proximité et la visibilité de nos effectifs. Le travail du gendarme s'est constamment alourdi au fil du temps : réforme de la garde à vue, réforme de la médecine légale... Tout ceci éloigne le gendarme de son coeur de métier. Arrêter plusieurs fois le même individu correspond par ailleurs à une débauche d'énergie. Dans le même temps, le territoire ne se dépeuple pas et les flux de population demeurent.

Le gendarme souhaiterait bien sûr être plus souvent dehors et voir plus fréquemment ses procédures suivies d'effets. L'objectif est d'être dehors pour dissuader.

La RGPP représente un exercice contraignant, qui a ses vertus et ses limites.

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