M. Frédéric Péchenard,
directeur général de la police nationale

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M. François Patriat, président. - Nous parvenons à l'ultime audition de notre mission, qui vise à apprécier comment les élus ressentent aujourd'hui les effets de la RGPP. Le sujet de la Police nationale est éminemment médiatique. Comment conciliez-vous les objectifs qui vous sont assignés en matière de sécurité avec vos contraintes d'optimisation et d'économies que vous devez respecter dans le cadre de la RGPP ?

M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale - Étant fonctionnaire, j'applique les directives du Gouvernement et je suis soumis à un devoir de réserve.

En tant que directeur d'une administration importante, tant par ce qu'elle représente que par le nombre de fonctionnaires, je suis tenté d'affirmer que je ne dispose pas assez d'effectifs et de moyens, dans un contexte où les exigences d'efficacité qui me sont demandées se sont renforcées, d'où un « effet ciseaux ». Toutefois, jusqu'à présent, nous sommes parvenus à concilier ces deux impératifs. En analysant l'activité des services de police, nous constatons, depuis 2007, date de mon arrivée, une augmentation des personnes mises en cause et du taux d'élucidation. En d'autres termes, la Police travaille plus et mieux. Ce constat s'explique aussi bien par le travail individuel de chaque policier que par les moyens qui nous sont alloués en matière de police technique et scientifique, où les fichiers des empreintes digitales et des empreintes génétiques nous permettent d'identifier les personnes commettant des infractions ou des délits. Pour être efficace, nous avons besoin d'effectifs qui se déplacent. Un audit commun réalisé avec l'ancien directeur de la Gendarmerie nationale sur la police technique et scientifique nous a révélé que nous ne nous déplacions que sur 50 % des cambriolages. Nous sommes aujourd'hui à 80 % et demain, à 100 %. Encore faut-il avoir du personnel nombreux et formé.

C'est pourquoi je ne suis pas, a priori, complètement hostile à la RGPP et à la baisse des effectifs. La contrepartie de la réduction de personnels est de disposer d'une police bien payée, mieux formée et mieux recrutée - ce que nous avons réussi - avec des moyens importants, ce qui n'est pas le cas actuellement. Sur le premier point, rappelons qu'un gardien de la paix de base ressemble beaucoup à un inspecteur de police de catégorie B d'il y a trente ans. L'officier de police d'aujourd'hui est recruté à Bac + 3 pour occuper l'un des soixante-dix postes proposés au niveau national. Les métiers de la police attirent car ils sont convenablement payés et enthousiasmant. Nos personnels bénéficient d'une formation longue : un an pour les policiers et les gardiens de la paix, dix-huit mois pour les officiers et de deux ans pour les commissaires. Rappelons que les agents du FBI sont formés en seize semaines.

En revanche, depuis mon arrivée, notre budget n'a cessé de baisser, ce qui s'opère au détriment de notre immobilier, de l'informatique et de ce qu'on aurait pu faire en plus en police technique et scientifique. Ainsi, on peut perdre des effectifs - il y aura un seuil à partir duquel ce sera plus difficile - à condition de disposer des ressources nécessaires. La mutualisation avec la Gendarmerie conduira soit à engranger des économies, soit à ne pas bénéficier d'économies mais à apporter un meilleur service à la population, soit à assumer des dépenses importantes dans un premier temps avant de profiter d'économies à terme.

Dans le cadre de la RGPP I, nous avons réduit nos effectifs de 4 000 équivalents temps pleins travaillés (ETPT). 3 000 ETPT devront être supprimés dans le cadre de la RGPP II. On estime souvent qu'il est facile de réduire les personnels affectés aux fonctions support afin de préserver les personnels affectés à des missions opérationnelles. Cette vision angélique des choses est très éloignée de la réalité. Par exemple, avant l'application de la RGPP, chacun des trente services de la Police judiciaire disposait d'un technicien chargé de la maintenance informatique. Ce personnel en était un élément important en raison des tâches administratives contraintes auxquelles est soumise la police judiciaire. Pourtant, le directeur de l'époque, estimant le coût engendré par ces techniciens trop élevé, a décidé d'en supprimer vingt sur trente. Chacun des chefs de service a dès lors fait appel à un gardien de la paix opérationnel pour qu'il s'occupe, non officiellement, de la maintenance informatique. Si, visuellement, nous avons économisé vingt emplois, nous en avons en réalité perdu dix puisque trente policiers opérationnels ont été affectés à des tâches informatiques, ce qui répondait à un véritable besoin. Ainsi, la réduction des effectifs de la Police nationale ne s'opère pas seulement sur les fonctions support mais a incontestablement des conséquences sur les effectifs affectés aux missions opérationnelles.

En revanche, la réduction des moyens nous invite à dépenser mieux, ce qui est source d'une vraie vertu pédagogique : même si je prends le contre-pied de ce que je viens de dire, la diminution des personnels s'est opérée sur des missions qui n'étaient pas stratégiques. Toutefois, cet exercice a ses limites que nous avons aujourd'hui atteintes.

A l'exception de la préfecture de police et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la RGPP a concerné l'ensemble des services de la Police nationale. La DCRI a été épargnée en raison de sa création récente, datant de 2008, qui est une véritable réussite, puisque nous sommes parvenus à déjouer l'ensemble des tentatives d'attentats islamistes sur notre territoire, contrairement aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Allemagne. En raison de la menace terroriste actuelle, il est indispensable que la DCRI dispose d'effectifs suffisants. En revanche, je serai contraint de diminuer les effectifs de la préfecture de police, dès 2011. A la sortie de l'école, les jeunes sont affectés massivement à celle-ci et c'est à partir de ce vivier qu'est irrigué le reste de la France. L'un des échecs de la Police nationale est que nous ne parvenons pas à fidéliser les policiers en région parisienne, en raison d'un coût de la vie plus élevé et des difficultés du métier dans ce territoire. En effet, 80 % des bandes et des cités sensibles se situent en région parisienne.

M. François Patriat, président. - En d'autres termes, les policiers les moins expérimentés sont affectés, en premier poste, en Île-de-France. Ne pourrait-on pas envisager une situation inverse ?

M. Frédéric Péchenard - Ce serait mieux. Nous avons créé un concours de policiers spécifique à l'Île-de-France : les lauréats doivent rester au moins huit ans en région parisienne. Une filière a également été mise en place afin de permettre à ceux qui souhaitent poursuivre leur carrière dans des secteurs difficiles de devenir brigadier plus rapidement.

Malgré mon constat pessimiste, nous disposons de policiers d'expérience en région parisienne et l'Île-de-France propose de nombreux avantages : le conjoint peut y trouver plus facilement du travail et le policier peut poursuivre sa carrière en changeant de secteur géographique sans être toutefois obligé de déménager. Notre difficulté est de ne pas envoyer de jeunes policiers seuls en mission car ils peuvent mal réagir dans certaines situations difficiles, d'où l'importance de l'encadrement. Lors des émeutes de Villiers-le-Bel, au cours desquelles cent-cinquante policiers ont été blessés dont soixante-quinze par armes à feu, aucun d'entre eux n'a riposté alors qu'ils étaient objectivement dans une situation de légitime défense. Cela a été possible grâce à un bon encadrement. Il s'agissait d'éviter le début d'une émeute nationale, comme en 2005. Avoir des jeunes policiers est un atout s'ils sont suffisamment encadrés. Je veux rendre un hommage appuyé aux forces de maintien de l'ordre qui font preuve de professionnalisme, de capacités d'encadrement et d'expérience dans l'exercice de leurs missions.

M. Dominique de Legge, rapporteur - La RGPP permet un retour sur investissement, en permettant de mieux rémunérer les policiers mais n'a pas conduit à une amélioration des moyens matériels dont vous disposez. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Il semblerait que, jusqu'à présent, les réductions d'effectifs se soient principalement concentrées sur les fonctions support. Estimez-vous que toute suppression supplémentaire se traduirait par une moindre présence effective sur le terrain ?

Qu'en est-il des implantations sur le territoire ? Avez-vous mis en place une politique de restructuration, souvent vécue comme un recul de la présence des forces de l'ordre sur le terrain ?

M. Frédéric Péchenard - La meilleure rémunération et la meilleure formation des policiers ne sont pas liées à la RGPP. Elles datent de la réforme des corps et carrières de la police nationale de juin 2005. Une police bien payée prévient le risque de corruption et permet d'attirer des candidats de qualité.

Dans le cadre de la RGPP, nous avons fermé un certain nombre de sites. J'ai fait le choix de ne pas toucher aux effectifs de policiers opérationnels de sécurité publique, de police judiciaire, de police aux frontières et de la DCRI. Notre effort a principalement porté sur la direction de la formation et la direction centrale des CRS. En matière de formation, nous étions surdimensionnés, avec dix écoles de police et neuf centres de formation, ce qui pouvait répondre auparavant à une problématique d'aménagement du territoire. Ce n'est pas mon problème ! Je présente des solutions techniques au ministre de l'Intérieur qui est le décisionnaire politique. Dans un premier temps, nous avons fermé tous les centres de formation professionnelle puis les écoles de police de Marseille, de Vannes, de Paris et de Draveil. Nous avons conservé au moins une école par zone de défense. Malgré la hausse de nos effectifs depuis la LOPPSI I, nos écoles et nos centres de formation n'étaient occupés qu'à moitié. En ne conservant que nos cinq écoles de police les plus modernes, nous sommes toujours en capacité de former 5 000 policiers par an. Ces restructurations n'ont pas nui à l'efficacité de la formation de la police.

Nous avons également réduit les personnels des unités des compagnies républicaines de sécurité (CRS), avec une diminution de 1 000 ETPT. Il existe toujours soixante compagnies, dont onze comportaient six sections. Celles-ci disposent désormais de quatre sections. Parallèlement, a été fermé un certain nombre d'unités mobiles zonales, d'où une interrogation sur la place des forces mobiles en France. Le métier de base des CRS est le maintien de l'ordre ce qui représente, aujourd'hui, entre 10 et 15 % de leurs missions. On pourrait réduire plus drastiquement leurs effectifs. Toutefois, certaines périodes nécessitent de les mobiliser à 100 %, notamment lors de l'organisation du G8 ou du G20. Ils assument également des missions de sécurisation ou de rétablissement de l'ordre an cas de violences urbaines. En revanche, la baisse des effectifs de la Police doit épargner les commissariats de la sécurité publique et de la police judiciaire. En effet, les résultats en matière de lutte contre la délinquance sont liés à la qualité des investigations. En d'autres termes, il nous paraît impossible d'envisager une baisse d'effectifs sur deux métiers de la police nationale : l'investigation et la présence policière dans la rue avec, par exemple, les patrouilleurs.

La Police nationale dispose d'un parc automobile de 28 000 véhicules, contre 33 000 auparavant. Nous en achèterons 1 000 nouveaux cette année : aussi, il nous faudrait 28 ans pour renouveler l'ensemble de notre parc. Or, rappelons que nos voitures sont utilisées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par conséquent, notre position n'est pas tenable sur le long terme.

Le budget global de la Police nationale augmente légèrement chaque année. Sur 9 milliards d'euros, 8 milliards sont consacrés à rémunérer les policiers et le milliard d'euros restant permet de financer les équipements, les voitures, les gilets pare-balles, les missions et des outils de plus en plus sophistiqués pour assurer les missions de la DCRI. Nous avons disposé d'un budget d'1,11 milliard d'euros en 2006, 1,77 milliard d'euros en 2008, 1,29 milliard d'euros en 2009, 1,32 milliard en 2010, 965 millions d'euros en 2011et les prévisions pour 2012 et 2013 s'établissent respectivement à 889 millions et 873 millions d'euros. 2011 est la première année où notre budget de fonctionnement est inférieur au milliard d'euros, ce qui nous oblige à opérer des choix, comme celui de ne pas renouveler les gilets pare-balles. Tout ceci développe un sentiment de paupérisation chez les policiers. Or, ces derniers doivent être fiers de leur matériel et de leur uniforme. Ainsi, mon inquiétude pour les prochaines années est de faire face au renouvellement de l'équipement.

Mme Catherine Deroche - Pouvez-vous préciser les cas qui génèrent, dans un premier temps, des dépenses importantes avant d'engranger des économies à plus long terme ?

M. Frédéric Péchenard - Il s'agit, par exemple, de la police d'agglomération. Nous avons beaucoup travaillé avec la Gendarmerie depuis quatre ans, afin de dégager des synergies pour que nos forces soient complémentaires malgré des cultures et des habitudes de travail différentes. Le second objectif est de poursuivre le redéploiement police - gendarmerie sous la forme d'une police d'agglomération, mise en place à Paris, Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux. Dans un même bassin de délinquance, il doit y avoir un seul chef et une seule force de l'ordre, quelle qu'elle soit. Quel était le sens d'une gendarmerie à Rillieux-la-Pape alors que Lyon est dans un secteur de Police nationale ou d'un commissariat à Fourmies alors que l'ensemble des communes alentour est en zone Gendarmerie ?

Ce redéploiement nous permettra, à terme, de bénéficier d'économies. Occuper de nouvelles implantations territoriales est source de coûts : on ne s'installe pas dans les mêmes locaux pour assurer les mêmes missions. On est parfois obligés d'affecter des moyens supplémentaires afin de rassurer les élus locaux qui sont très attachés à leur commissariat ou à leur gendarmerie.

M. Raymond Couderc - Dans les effectifs officiels des commissariats, une partie d'entre eux n'est pas opérationnelle en raison du bénéfice de congés de récupération liés à des services antérieurs, pouvant s'étaler jusqu'à six mois. Ces situations ont dû faciliter vos objectifs de réduction d'effectifs dans la mesure où ces personnels n'affectent pas la réalité de la présence de la Police sur le terrain.

M. Frédéric Péchenard - Cette situation pose en réalité un problème car elle concerne tous les services de la Police. Les policiers bénéficient d'un compte épargne-temps et la loi leur permet d'en bénéficier ce qui leur permet parfois d'être absent pendant six mois. A cela s'ajoutent les congés maladie, les policiers blessés au cours de missions et les décharges syndicales - la police disposant de neuf syndicats importants et représentatifs. Tout ceci explique la différence entre l'effectif idéal ou théorique et l'effectif réel.

M. François Patriat, président - Dans le domaine de la sécurité, beaucoup d'élus locaux se plaignent de disposer d'un effectif de police réduit et ressentent plus d'insécurité dans leur commune.

M. Frédéric Péchenard - Depuis quatre ans, j'ai toujours entendu, de la part des commissariats que je visite, la demande d'augmenter les effectifs. Le problème est en réalité que, dans les petites circonscriptions, les policiers sont accaparés par les tâches indues. Par exemple, le commissariat de Verdun, qui dispose d'une cinquantaine de policiers, s'organise pour disposer de deux patrouilles, nuit et jour, en permanence. Si un détenu est hospitalisé, il ne reste plus qu'une patrouille. Une vraie réflexion doit être menée sur ces missions.

M. François Patriat, président - Je vous remercie.

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