II. UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE PROTECTION DE L'ENFANCE EN DANGER

Si son actuelle politique familiale est d'inspiration récente, le Québec fait office, en matière de protection de l'enfance, de précurseur tant l'adoption, en 1977, de la loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) aura marqué un saut qualitatif majeur dans la prise en charge de l'enfance en danger, inspirant au passage bon nombre de législations étrangères. Au fil de ces révisions successives, la LPJ concilie désormais avantageusement intérêt de l'enfant et responsabilité parentale.

De la même façon, la justice pénale pour adolescents, fondée sur une loi fédérale mais administrée dans chaque province, a exporté certains concepts novateurs, tels la préférence pour le recours aux mesures et sanctions extrajudiciaires et la recherche d'une responsabilisation accrue des auteurs d'infractions.

A. UN CADRE LÉGISLATIF AMBITIEUX : LA LOI SUR LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

Fruit d'un long cheminement historique, le système actuel de protection de la jeunesse est placé, depuis plus de trente ans, sous l'empire d'une loi novatrice et volontariste : la loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) 38 ( * ) .


Les grandes étapes de la protection de l'enfance au Québec

1869 : adoption des premières lois visant les enfants en difficulté : acte concernant les écoles d'industrie - qui vise essentiellement à prévenir la délinquance chez les enfants errants ou abandonnés - et acte concernant les écoles de réforme - qui tend à la réhabilitation des jeunes ayant commis un délit

1908 : adoption de la loi sur les jeunes délinquants , dont l'objectif est non seulement de protéger la société mais aussi « d'aider et protéger l'enfant »

1921 : adoption de la loi sur l'assistance publique par laquelle l'Etat devient partenaire des institutions privées d'assistance et intervient directement dans l'aide aux personnes et aux familles

1924 : adoption de la première loi concernant l'adoption afin d'offrir une « famille légitime » à des enfants trouvés, abandonnés ou orphelins

1933 et 1944 : deux commissions d'enquête - la commission des assurances sociales de Québec (rapport Montpetit, 1933) et la commission d'assurance-maladie de Québec (rapport Garneau, 1944) - recommandent l'adoption d'une loi de protection de l'enfance ; celle-ci, bien que votée en 1944, n'entrera jamais en vigueur du fait d'un changement de gouvernement et surtout, de fortes oppositions face à l'intrusion de l'Etat dans le domaine de la protection de l'enfance

1950 : adoption de la loi relative aux écoles de protection de la jeunesse , qui accueillent les enfants de plus de six ans « particulièrement exposés à des dangers moraux ou physiques », et dont l'application est confiée à un nouveau tribunal, la Cour de bien-être social

1951 et 1960 : modifications apportées à la loi de 1950 qui devient loi de protection de la jeunesse (1960), désormais applicable à tous les enfants mineurs et qui autorise la mise en place de mesures autres que le placement « dans le meilleur intérêt de l'enfant » (1951)

1969 : dépôt du rapport de la commission royale d'enquête sur l'administration de la justice en matière criminelle et pénale (rapport Prévost) qui propose la déjudiciarisation des comportements non criminels des mineurs

1974 : adoption de la loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements par laquelle toute personne, même liée par le secret professionnel, est tenue de signaler les enfants maltraités par suite d'excès ou de négligence auprès du nouveau Comité pour la protection de la jeunesse

1975 : dépôt du rapport du comité d'étude sur la réadaptation des enfants et des adolescents placés en centre d'accueil (rapport Batshaw) ; très critique à l'égard du fonctionnement des centres, le rapport propose notamment de développer les solutions alternatives au placement - interventions directes dans les familles, services d'assistance éducative en milieu scolaire, centres de jour, etc.

Adoption de la Charte des droits et libertés de la personne

(entrée en vigueur le 28 juin 1976)

1977 : adoption de la loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (entrée en vigueur le 15 janvier 1979) (cf. infra)

1982 : adoption de la loi sur les jeunes contrevenants (LJC) (entrée en vigueur le 1 er avril 1984) qui remplace la loi de 1908 et s'applique aux adolescents âgés de douze ans à quinze ayant commis une infraction à une loi ou à un règlement du Canada

1982 et 1984 : dépôt du rapport de la commission parlementaire spéciale sur la protection de la jeunesse (rapport Charbonneau, 1982) et modifications consécutives apportées à la LPJ (1984) afin de réaffirmer la primauté de l'autorité parentale et de responsabiliser davantage les parents

1989 : adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants (ratifiée par le Canada et à laquelle le Québec s'est déclaré lié en 1991)

1992 : dépôt du rapport du groupe de travail sur l'évaluation de la loi sur la protection de la jeunesse , La protection de la jeunesse : plus qu'une loi (rapport Jasmin I, 1994)

1994 : modifications importantes apportées à la LPJ pour tenir compte à la fois du rapport Jasmin I et de l'entrée en vigueur du nouveau code civil du Québec et de la loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) afin, notamment, d'indiquer que les parents doivent être aidés dans l'exercice de leurs responsabilités

2002 : adoption de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) (entrée en vigueur le 1 er avril 2003)

2004 : dépôt de deux rapports proposant de nouvelles modifications à la LPJ : la protection des enfants au Québec : une responsabilité à mieux partager (rapport Dumais) et l'intervention judiciaire en matière de protection de la jeunesse : constats, difficultés et pistes de solution (rapport Turmel)

2006 : modifications importantes apportées à la LPJ à la suite des rapports Dumais et Turmel, avec six grands objectifs : favoriser la continuité et la stabilité pour les enfants ; promouvoir la participation active des enfants et des parents aux décisions ; s'assurer du caractère exceptionnel de l'intervention d'autorité de l'Etat dans la vie des familles ; concilier protection de l'enfance et respect de la vie privée ; moderniser les procédures judiciaires et baliser le recours exceptionnel à l'hébergement dans une unité d'encadrement intensif

D'après le manuel de référence sur la protection de la jeunesse,
ministère de la santé et des services sociaux (pp. 259 et suivantes).

1. Une législation novatrice

Adoptée le 19 décembre 1977, la LPJ est entrée en vigueur le 15 janvier 1979 39 ( * ) . Outre qu'elle reconnaît l'enfant comme sujet de droit et lui accorde des droits spécifiques, la loi pose le principe de l'antériorité de l'intervention sociale , à l'opposé de la judiciarisation systématique des situations qui avait cours jusqu'alors.

Elle introduit, ce faisant, la figure délibérément personnalisée du directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) à la tête de chaque centre jeunesse et le partage des responsabilités entre réseaux social et judiciaire.


Les centres jeunesse du Québec et leur clientèle

Employant, au 31 mars 2010, 13 865 personnes - dont 70 % affectées à l'intervention psychosociale et de réadaptation -, les seize centres jeunesse (CJ) sont des organismes parapublics à vocation régionale intervenant jour et nuit auprès des enfants en danger ou des jeunes délinquants. Ils sont régis par trois lois 40 ( * ) qui en définissent le statut, la mission, le mandat et les obligations.

En 2007-2008, environ 105 000 enfants - soit un peu plus de 2 % des enfants québécois - ont fait l'objet d'une intervention des CJ, dont 70 % au titre de la LPJ, 15 % en vertu de la LSSSS et 15 % sur le fondement de la LSJPA, et 12 000 interventions ont nécessité le retrait temporaire ou permanent du milieu familial.

Parmi les 70 000 cas signalés au DPJ au titre de la protection de l'enfance, la moitié environ a été retenue pour évaluation et la situation d'un peu plus de 10 000 enfants a in fine été jugée compromise au sens de la LPJ 41 ( * ) . Les motifs de signalement sont assez stables suivant les années : 63 % à raison de situations de négligence, 21 % pour des troubles de comportement sérieux, 11 % pour abus physiques, 4 % pour abus sexuels et 1 % à la suite d'un abandon. Les enfants de moins de cinq ans représentent près de 20 % des signalements, ceux âgés entre six et treize ans près de 40 % et ceux entre quatorze et dix-sept ans les 40 % restants.

Quant aux familles aidées, la moitié d'entre elles ont un revenu annuel sous le seuil de pauvreté et bénéficient de la sécurité du revenu, près de la moitié sont monoparentales, près de 40 % des parents ont été eux-mêmes victimes de mauvais traitements, 25 % ont un problème de toxicomanie, 25 % vivent une situation de violence conjugale et près de 20 % présentent des problèmes de santé mentale.

Les programmes des CJ se déclinent, notamment, en interventions auprès des familles présentant une problématique de négligence ou des jeunes ayant des troubles de l'attachement, en actions de réadaptation en internat, en foyer de groupe ou par le travail, ou de qualification des jeunes afin d'accroître leur autonomie. Ils assurent aussi l'homologation, l'évaluation et le suivi des familles d'accueil.

Conformément à la lettre et à l'esprit de la LPJ, la voie des mesures volontaires est retenue lorsque la disponibilité et la capacité des parents sont jugées suffisantes, le recours au juge restant logiquement privilégié dans les cas d'abus physiques ou sexuels.

S'agissant de l'application de la LSJPA, sept cents jeunes contrevenants ont fait l'objet d'une peine de mise sous garde ouverte ou fermée, les autres situations évaluées - soit trois mille enfants ayant commis environ dix mille délits au sens du code criminel - étant traitées dans la collectivité (probation, programme de développement des habiletés sociales, déjudiciarisation, travaux réparatoires, etc.).

En outre, les CJ ont procédé, en 2008, à près de trois cents adoptions québécoises, quatre cents adoptions internationales, mille recherches d'antécédents sociobiologiques et un peu plus de mille retrouvailles.

Source : direction des jeunes et des familles, ministère de la santé et des services sociaux (MSSS)

a) Assurer la sécurité et le développement de l'enfant

Pour ambitieuse qu'elle soit au regard de la protection de l'enfance en danger, la LPJ n'a pas vocation à viser l'ensemble des enfants et des familles. Elle se définit, dès l'origine, comme une loi d'exception dont la finalité consiste à renforcer l'autorité parentale lorsqu'elle est défaillante ou à y suppléer dans les cas extrêmes.

Ainsi, la LPJ s'applique à tout enfant dont la sécurité ou le développement est considéré comme compromis (art. 2) à raison d'une situation d'abandon, de négligence, de mauvais traitements psychologiques - formellement reconnus en 2006 -, d'abus physiques ou sexuels ou de troubles sérieux du comportement (art. 38), ou peut être compromis à la suite d'une fugue, d'une situation d'absentéisme scolaire ou de délaissement après un placement (art. 38.1), l'intervention du DPJ ayant pour but de mettre fin à la situation et d'éviter qu'elle ne se reproduise (art. 2.3).

Dans cet objectif, la loi se fonde sur plusieurs principes :

- l'intérêt de l'enfant et le respect de ses droits (art. 3) ;

- la primauté de la responsabilité parentale (art. 2.2) - y compris lorsque l'enfant est placé, seul un juge pouvant retirer l'autorité parentale ;

- la participation active de l'enfant et de ses parents (art. 2.3) à la prise de toute décision les concernant ainsi qu'aux services qui leur sont offerts, le droit, pour chacun d'entre eux, d'être accompagné et assisté étant reconnu (art. 8) ;

- le maintien de l'enfant dans son milieu familial ainsi que la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie (art. 4) ;

- la participation de la communauté (art. 2.3) ;

- l'importance d'agir avec diligence (art. 2.4) et sa concrétisation effective, en 2006, avec l'instauration d'une durée maximale d'hébergement au terme de laquelle un projet de vie stable pour l'enfant doit être réalisé (cf. infra) ;

- enfin, le respect des personnes et de leurs droits et la prise en considération des caractéristiques des communautés culturelles et des communautés autochtones (art. 2.4).

b) Un processus d'intervention qui vise à concilier protection et respect des droits

Du signalement à la fin de l'intervention, le DPJ est tenu d'assurer tout à la fois la protection de l'enfant et d'accompagner les parents, afin de mettre fin à la situation de compromission de la sécurité ou du développement de l'enfant et d'éviter qu'elle ne se reproduise.

Parce que le signalement est la pierre angulaire de la LPJ , le signalant est doublement protégé, par la garantie de la confidentialité d'abord, par l'immunité dont il bénéficie ensuite, dès lors qu'il est de bonne foi.

Dès réception du signalement, et si la situation l'exige, le DPJ peut décider de mesures de protection immédiate , qui ne peuvent toutefois être prolongées au-delà de quarante-huit heures qu'avec l'accord du juge (art. 46).

Le processus d'intervention en protection de la jeunesse

Source : direction des jeunes et des familles, ministère de la santé et des services sociaux

Après que le traitement du signalement a permis de s'assurer qu'une des situations visées à l'article 38 est en cause, le DPJ vérifie notamment, au cours de son évaluation, la crédibilité du déclarant, la matérialité des faits, la vulnérabilité de l'enfant ou le niveau des compétences parentales.

A l'issue de cette enquête, et seulement si la sécurité ou le développement de l'enfant sont effectivement compromis, l'on s'oriente soit vers des mesures volontaires , établies après entente avec les parents (art. 54), soit vers la voie judiciaire 42 ( * ) , étant précisé que :

- si l'entente sur les mesures volontaires n'est pas, en elle-même, un droit , le DPJ est tenu d'y recourir dès lors qu'il a la conviction raisonnable qu'il s'agit là du régime approprié et que l'application des mesures proposées permettrait de corriger la situation (art. 52) ;

- la participation active de l'enfant et de ses parents doit être favorisée autant dans l'intervention judiciaire que dans l'intervention sociale (art. 2.3), et les approches consensuelles - telles que le projet d'entente sur les mesures (art. 76.3 et 76.4) et la conférence de règlement à l'amiable (art. 85) - recherchées.

Dans les deux cas, le DPJ a la responsabilité du suivi de l'application des mesures, un intervenant extérieur devant participer à la révision ultérieure obligatoire et régulière 43 ( * ) des solutions mises en oeuvre.


* 38 Conformément à la loi constitutionnelle du Canada, la protection de l'enfance relève de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux.

* 39 Elle a ensuite fait l'objet de nombreuses modifications dont les principales ont eu lieu en 1984, 1994 et 2006.

* 40 Il s'agit des lois sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) - qui en fixe l'organisation générale -, sur la protection de la jeunesse (LPJ) - loi spécifique, administrée uniquement par les CJ - et sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) - loi fédérale mais administrée dans chaque province.

* 41 3 000 enfants ont fait l'objet d'une mesure de placement en centre de réadaptation et en ressource intermédiaire, 600 ont été placés en foyer de groupe et 7 000 en ressource de type familial (famille d'accueil), 2 000 enfants ont été confiés à un tiers significatif et 150 autres placés dans d'autres types de ressources.

* 42 Depuis 2006, une entente sur des mesures volontaires est possible même après l'intervention du juge.

* 43 A l'échéance de l'entente sur mesures volontaires ou de l'ordonnance du tribunal ou tous les douze mois en cas d'ordonnance d'une durée supérieure à l'année, voire tous les six mois en cas d'hébergement d'enfants de moins de cinq ans et durant les deux premières années d'hébergement pour les enfants âgés de six à douze ans. Par ailleurs, la révision peut toujours être anticipée à la suite de faits nouveau et peut avoir lieu à la demande des parents.

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