2. Une surveillance étendue

Le contrôle de sûreté ne se cantonne pas aux centrales nucléaires proprement dites. Selon l'article 1er de la loi du 13 juin 2006 dite TSN , il s'étend à toutes les « installations nucléaires de base », identifiées par décision de l'ASN, la dernière liste en ayant été établie au 31 décembre 2010 par la décision n° 2011-DC-0204 (cf annexe n°5).

a) Le contrôle de toutes les composantes de la filière

Cette liste intègre d'abord tous les réacteurs nucléaires, même lorsqu'ils n'appartiennent pas à ce qu'on appelle communément une «centrale nucléaire» et qu'EDF nomme un « Centre Nucléaire de Production d'Electricité » (CNPE). En particulier, cela concerne les réacteurs de recherche, généralement de plus petite puissance que les réacteurs destinés à produire de l'électricité, qui sont utilisés pour des expérimentations, comme Phébus et Minerve sur le site du CEA à Cadarache. Le futur réacteur Jules Horowitz, actuellement en construction sur le même site, est destiné tout à la fois à la recherche et à la production de radionucléides à finalité médicale. De son côté, l'IRSN dispose pour certaines de ses recherches du réacteur Cabri.

A côté des réacteurs nucléaires, l'article 28 de la loi dite TSN mentionne également au nombre des installations nucléaires de base les installations «de préparation, d'enrichissement, de fabrication, de traitement ou d'entreposage de combustibles nucléaires». Cela vise, en amont de la combustion en réacteur, l'usine Comurhex qui fabrique l'hexafluorure d'uranium utilisé pour l'enrichissement de l'uranium; les installations Georges Besse I et Georges Besse II qui réalisent cet enrichissement selon deux technologies différentes, et que la mission parlementaire a visité lors de son déplacement au Tricastin, le 27 mai; enfin, les usines de fabrication de combustibles comme celle de Roman pour les combustibles usuels, ou l'usine Melox à Marcoule pour le combustible MOX. Le magasin interrégional de Chinon fournit l'exemple d'un centre d'entreposage d'EDF pour les combustibles neufs.

L'article 28 de la loi TSN vise encore, à l'aval de la combustion en réacteur, les installations de traitement, d'entreposage ou de stockage de déchets radioactifs. Cela concerne au premier chef l'usine de La Hague, visitée par la mission parlementaire le 20 mai, qui traite les combustibles nucléaires usés de manière à séparer l'uranium restant (96% de la masse), le plutonium (1% de la masse), et les déchets de haute activité à vie longue (3% de la masse).

En fin de cycle, les centres d'entreposage et de stockage des déchets radioactifs sont aussi des installations nucléaires de base soumises au contrôle de sûreté. Cela concerne par exemple, pour l'entreposage, le centre ICEDA du CEA à Cadarache. Quant aux centres de stockage, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) en gère trois : le centre de la Manche, dont l'exploitation est terminée depuis 1994, et qui a été placé en régime de surveillance depuis 2003; le centre de l'Aube pour les déchets de faible et moyenne activité, exploité depuis 1992; le centre de Morvilliers pour les déchets de très faible activité, exploité depuis 2003.

Les installations arrêtées demeurent soumises au contrôle de sûreté tant qu'elles n'ont pas été démantelées. C'est le cas notamment du réacteur de Brennilis, arrêté en 1985; du réacteur Superphénix, arrêté en 1998; ou du réacteur de recherche Phénix, arrêté fin 2009.

Enfin, l'article 28 de la loi TSN précise que tous les « transports de substances radioactives » relèvent du contrôle de sûreté. Cela inclut évidemment les transports entre les unités de fabrication ou d'exploitation aux différents stades de la production et de l'utilisation du combustible nucléaire : de la fourniture initiale en uranium à l'envoi final vers les centres d'entreposage ou de stockage des déchets nucléaires.

b) La couverture d'activités connexes

Mais le champ du contrôle de sûreté s'étend au-delà de la filière nucléaire, d'une part, parce qu'il concerne toute utilisation de sources radioactives, d'autre part, parce qu'il remonte jusqu'au stade de la fabrication des pièces mécaniques essentielles utilisées par l'industrie nucléaire.

Ø L'unification du contrôle de sûreté et de radioprotection

Le contrôle de sûreté s'étend, au-delà de la filière nucléaire, à toutes les activités industrielles ayant recours à la gammagraphie, notamment à des fins de vérification des soudures. Toutes les activités de recherche utilisant des radionucléides sont également soumises à ces mêmes pouvoirs de contrôle, y compris lorsque l'objet de la recherche n'a aucun lien avec l'énergie nucléaire : en particulier, les laboratoires hébergeant un accélérateur de particules, comme le LURE à Orsay, sont soumis au régime des installations nucléaires de base.

Enfin, tous les établissements de recherche ou de soin exploitant les possibilités de la médecine nucléaire ou des rayonnements ionisants sont aussi soumis au contrôle de l'autorité de sûreté. Dès son premier rapport d'activité pour l'année 2007, correspondant à la première année de l'extension de ses compétences au monde médical, l'Autorité de sûreté nucléaire a d'ailleurs émis des inquiétudes quant aux conditions de sûreté dans les centres de radiologie et de radiothérapie, au regard des pratiques de référence dans l'industrie nucléaire; du reste, malgré les efforts du ministère en charge de la santé, la question reste d'actualité.

Ø Le contrôle des équipements sous pression

La mission parlementaire a visité, le 16 mai, les usines Areva du Creusot et de Chalon qui fabriquent les pièces mécaniques essentielles des réacteurs nucléaires, en particulier la cuve, les générateurs de vapeur, les pressuriseurs.

Les parlementaires présents ont pu mesurer l'importance du maintien d'un savoir-faire à travers le spectacle prométhéen des forges du Creusot et de l'usine de Saint-Marcel. Au-delà de l'intérêt évident de maintenir en France des spécialités indispensables pour l'autonomie de notre industrie, il est tout aussi évident que le contrôle qualité et le haut niveau d'exigence de sûreté sont beaucoup mieux contrôlés que dans l'hypothèse de commandes auprès d'industries étrangères.

Dans ces deux usines, 500 composants lourds ont été fabriqués depuis 1975, permettant d'équiper l'ensemble des réacteurs du parc français.

Cette visite a d'abord permis de mesurer l'importance du choix nucléaire de la France pour le développement du tissu économique national. Avec ces deux usines, notre pays a préservé jusqu'aujourd'hui une compétence d'industrie lourde de haute précision, l'usine du Creusot assurant la forge des pièces à partir de lingots d'acier pesant plusieurs centaines de tonnes, et l'usine de Chalon / Saint Marcel équipant et montant ces pièces pour aboutir au composant achevé, prêt à l'expédition à partir d'une sortie donnant directement sur un embarcadère, pour un transport par péniche sur la Saône. Au total, c'est un millier d'emplois qui sont concernés 11 ( * ) . Les composants sont expédiés dans le monde entier, jusqu'aux Etats-Unis et en Chine, car ces usines ont peu de concurrents à l'échelle internationale, sinon au Japon.

Mais cette visite a permis aussi de constater la prégnance du contrôle de sûreté bien en amont de l'industrie nucléaire. Car ce contrôle s'applique dès le stade de la fabrication pour les pièces essentielles du réacteur.

Les équipements sous pression (ESP) sont soumis à une pression de 155 bars, et fonctionnent en outre à haute température (environ 300°C). Ils jouent un rôle critique dans la sûreté d'un réacteur à eau pressurisée, puisqu'ils contribuent au confinement de l'eau du circuit primaire en contact avec le réacteur, et assurent la circulation de l'eau servant au refroissementr du coeur.

L'importance de leur contrôle, dès le stade de leur fabrication, a justifié la création par les instances en charge de la sûreté nucléaire, dès le milieu des années 70, d'une unité spécifique, basée à Dijon, aujourd'hui la Direction des équipements sous pression. Outre les deux usines du Creusot et de Chalon, en Saône-et-Loire, elle a la responsabilité du contrôle de l'usine Valinox à Montbard, en Côte d'Or, qui fabrique les tubes des générateurs de vapeur.

Le contrôle sur la fabrication des pièces suppose en amont une attention portée à la conception, c'est à dire à la stratégie choisie pour obtenir la forme voulue avec les performances de résistance requises, et, en aval, une surveillance des dispositifs de mesure et de correction prévus, en cours de fabrication, pour respecter le cahier des charges.

Une documentation suit chaque pièce; elle doit recevoir une signature de validation d'un inspecteur de l'autorité de sûreté à chaque nouvelle étape de conception, puis de fabrication.

Lorsqu'une pièce d'un réacteur français est fabriquée à l'étranger, notamment au Japon s'agissant du corps des cuves, les agents de la Direction des équipements sous pression vont effectuer le contrôle sur place, en liaison avec les autorités de sûreté locales. En juillet 2008, une inspection a ainsi détecté un écart sur deux anneaux de jointure (viroles) destinées à l'EPR de Flamanville, et l'Autorité de sûreté a demandé au sous-traitant italien de recommencer leur fabrication.

La base juridique du contrôle des équipements sous pression est la directive 97/23/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 mai 1997, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les équipements sous pression, telle que mise en application par l'arrêté du 12 décembre 2005, qui adapte la réglementation des équipements sous pression conventionnels, au contexte de la sûreté nucléaire.

En dépit de toutes les garanties internationales, vos rapporteurs estiment que quand la sûreté des installations, et à plus long terme celle des populations, est en cause, l'intégration au plus près des industries de fabrication des éléments de réacteurs s'avère très souhaitable.

La mission de la Direction des équipements sous pression s'étend en outre au suivi des équipements lorsqu'ils sont en fonctionnement, ce qui implique l'examen des programmes de suivi en service, la vérification des programmes de surveillance du vieillissement, et l'organisation, lors des visites décennales, des mises à l'épreuve hydraulique.

Le suivi du vieillissement est assuré par le prélèvement (et l'examen) périodique d'échantillons intégrés à dessein dans la structure, dès la fabrication. La présence a priori de ces échantillons constitue donc un requis rédhibitoire pour la validation d'un équipement sous pression.

Pour assurer le suivi le plus continu possible des opérations soumises à contrôle, la Direction des équipements sous pression recourt à des organismes habilités, principalement Apave Groupe et Bureau Veritas, qui font eux-mêmes l'objet d'inspections périodiques de la part de l'Autorité de sûreté nucléaire; cela permet à cette Direction, dotée d'un effectif limité (27 personnes), de se réserver les interventions de contrôle les plus critiques.

Ainsi, au cours de la visite du 16 mai, les membres de la mission ont pu voir le chantier de reprise intégrale de la centaine de soudures fixant les tubes tranversant le couvercle de la cuve, suite à la détection par l'Autorité de sûreté de défauts dans ces soudures. L'Autorité de sûreté a imposé que trois nouvelles soudures soient effectuées entièrement en présence d'inspecteurs appartenant à un organisme habilité, pour que ceux-ci puissent vérifier la qualité de mise en oeuvre du nouveau procédé utilisé.


* 11 Le bassin d'emploi comprend aussi l'aciérie Industeel d'ArcelorMittal située elle-aussi au Creusot, qui fabrique les lingots.

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