Audition de Mme Agnès JEANNET et M. Laurent CAILLOT,
membres de l'inspection générale des affaires sociales (Igas),
auteurs du rapport « L'accès à l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires
de la politique de la ville »
(mardi 10 mai 2011)

M. Claude Jeannerot, président . - Je suis heureux de vous accueillir dans le cadre des travaux de la mission commune d'information sur Pôle emploi. Membres de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), vous avez rédigé, en 2010, un rapport consacré à l'accès à l'emploi des jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans ce rapport, vous formulez un certain nombre de critiques notamment sur le manque de coordination entre les missions locales et Pôle emploi et formulez des propositions pour améliorer leur mise en réseau, en envisageant même une filialisation des missions locales dans Pôle emploi. Vous le savez, notre mission d'information souhaite mieux comprendre comment travaille Pôle emploi avec les autres acteurs du service public de l'emploi et dégager de ce constat des pistes d'amélioration. Il nous importe donc de connaître votre analyse et vos propositions. Je vous propose de commencer cette audition par une présentation des principales conclusions de votre rapport. Nous souhaiterions d'ailleurs savoir si vos conclusions ont été bien accueillies et si des suites leur ont déjà été données. Ensuite, nous engagerons le dialogue avec nous.

Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales . - Nous nous sommes intéressés à ce sujet dans le cadre du programme de travail annuel de l'inspection générale, qui nous permet de proposer au ministre des missions d'inspection. Cette mission se situait dans le programme de travail de l'année 2009. Nous avons souhaité, en quatre mois, étudier un dispositif de la politique de l'emploi en relation avec un public, les jeunes, et un territoire, les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Pour tenir ce délai, nous avons circonscrit le champ de notre étude, en laissant de côté le sujet, plus vaste, de l'insertion professionnelle pour nous concentrer sur l'intermédiation.

Nous avons examiné la façon dont les missions locales et Pôle emploi contribuent, dans leurs champs de compétences respectifs, à l'accès à l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous avons choisi, au hasard, quatre régions et, au sein des 215 quartiers prioritaires du plan « Espoir banlieues », les zones urbaines sensibles (Zus) présentant les critères sociodémographiques les plus préoccupants en termes de taux de chômage. Nous avons, dans chaque région, sélectionné deux agglomérations différentes pour prendre en compte une certaine diversité territoriale et administrative. Nous avons ainsi choisi la région Champagne-Ardenne, avec Reims et Saint-Dizier, le Languedoc-Roussillon, avec Nîmes et Montpellier, Rhône-Alpes, avec Vénissieux et Valence, et l'Ile-de-France, avec Aulnay et Montereau.

Nous nous sommes d'abord rendus directement dans les quartiers concernés, afin d'éviter d'être influencés par les discours des différents acteurs, pour examiner, au sein de la Zus, quels services étaient présents. Nous avons ensuite rencontré les responsables hiérarchiques jusqu'aux niveaux du département et de la région. Cette enquête de terrain a été complétée par un questionnaire distribué dans des départements disposant de sous-préfets à la politique de la ville ou de préfets à l'égalité des chances, afin de conforter nos analyses et de disposer d'une vision plus exhaustive de la situation.

Notre constat sur le service rendu par ces deux composantes du service public de l'emploi que sont les missions locales et Pôle emploi peut se résumer en quatre points principaux.

En premier lieu, ni Pôle emploi ni les missions locales ne se sont fixé comme priorité durable le fait de suivre, avec une attention soutenue et des moyens à la hauteur des enjeux, les jeunes dans les Zus. Des priorités erratiques ont été fixées dans certains contrats de ville, mais sans aucune pérennité sur le long terme. La loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1 er août 2003 fait pourtant de la réduction des inégalités une priorité de politique nationale. Or force est de constater que cette priorité ne se retrouve pas de matière pérenne dans les orientations stratégiques de ces deux opérateurs. L'Etat doit pouvoir donner à ceux ci une priorité d'action ferme, qui s'inscrive dans la durée.

Notre deuxième point consiste en une critique assez forte de la manière dont Pôle emploi gère ses partenariats. Nous avons examiné la façon dont Pôle emploi travaille avec les opérateurs dédiés au suivi des jeunes et comment il s'articule avec ceux-ci. Or force est de constater que ce partenariat souffre de graves insuffisances, d'abord dans sa définition même. Ce partenariat est nommé cotraitance, une opération par laquelle Pôle emploi délègue à un opérateur une mission d'accompagnement vers l'emploi, en considérant que ses propres règles s'appliqueront dans le cadre de cette délégation. Soumis à l'examen, ce contrat de cotraitance reste néanmoins vague et ne comprend aucun cahier des charges précis ni aucune règle claire de partage des compétences. Ce contrat revêt donc un caractère plutôt administratif et présente des problèmes de définition qui, s'ils avaient été clarifiés, auraient permis une meilleure articulation, que nous avons appelée de nos voeux.

La mise en oeuvre de ce contrat pose également des difficultés sans doute liées au fait que l'accompagnement n'est pas véritablement renforcé. Le coût de cet accompagnement atteint 230 euros par jeune, alors que la plupart des autres actions de cotraitance ou de sous-traitance bénéficient de budgets nettement supérieurs, sans même parler du contrat d'autonomie, qui culmine à 7 700 euros. L'ambition d'un accompagnement renforcé suppose pourtant des moyens. Or les moyens mis en place par Pôle emploi vis-à-vis des missions locales ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ce contrat nous est apparu, in fine, comme un contrat administratif, de subventionnement, sans trop d'ambitions. Pôle emploi donne 35 millions d'euros aux missions locales et leur fixe un objectif quantitatif de suivre 120 000 à 150 000 jeunes.

Le manque d'ambition de ce subventionnement constitue la critique la plus forte du dispositif, critique qui peut être mise en perspective avec les tentatives beaucoup plus ambitieuses lancées au début des années 1990. En 1999, l'Igas a publié un rapport sur les services de l'emploi face au chômage, qui faisait le bilan des « espaces jeunes ». Il s'agissait de services intégrés ANPE-missions locales, orientés sur le placement, et s'appuyant sur un système d'information commun, une formation commune des agents et une labellisation. Ces « espaces jeunes » n'ont cependant pas perduré. L'Igas expliquait leur disparition par une différence de culture entre les missions locales et l'ANPE et par une réticence de l'ANPE à mettre à disposition les moyens adéquats. Sans émettre de véritable recommandation sur le sujet, nous avons souhaité rappeler qu'une démarche d'intégration des moyens comme celle-ci ne doit pas être totalement écartée. Le fait de combiner les moyens, au service d'un objectif unique d'accès à l'emploi, permettrait en effet d'obtenir une plus grande efficacité qu'à l'heure actuelle, où les deux services travaillent chacun de leur côté sans véritablement échanger et partager les objectifs et les publics.

Enfin, l'Etat n'a pas non plus su faire travailler en complémentarité les deux réseaux pour la prescription des contrats aidés et nous avons constaté que chacun plaçait les jeunes sur ces contrats sans qu'un objectif commun ne soit fixé sur un territoire donné.

Quant aux recommandations, nous avons d'abord mis en évidence l'exigence de faire de l'emploi des jeunes dans les Zus une priorité pérenne. En 2009, lorsque nous avons lancé notre mission, la note d'orientation de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)-Pôle emploi ne mentionnait même pas l'emploi des jeunes des Zus. En 2010, en revanche, cette note d'orientation contenait un objectif en la matière. Des priorités apparaissent mais elles ne s'inscrivent pas dans la continuité des actions menées. Cette recommandation s'adresse donc, en premier lieu, à l'Etat qui conserve la main sur ces deux opérateurs.

Nous avons aussi recommandé de donner aux préfets de région une unité d'action sur ces deux opérateurs. Ceci permettrait d'éviter les concurrences et de confirmer le rôle de l'Etat dans la politique de l'emploi.

Des recommandations sur les offres de services ont également été émises. Il s'agit de bien conforter le rôle des missions locales sur le placement, en revenant à l'idée, déjà présente en 1999, d'une mise en commun des outils disponibles, avec notamment un accès homogène aux offres d'emploi des deux réseaux, sans chercher à partager les entreprises ou les secteurs professionnels, ce qui ne répondrait pas aux attentes de la population cible, qui se révèle aujourd'hui quelque peu délaissée.

Notre dernière préconisation concernait la territorialisation. Une orientation nationale sur un tel sujet doit certes exister mais elle s'avère largement insuffisante. Sur les quatre régions étudiées, deux n'avaient pas fixé, dans le cadre de leur convention annuelle régionale signée entre l'Etat et Pôle emploi sous l'égide du préfet de région, de priorité en faveur des jeunes des Zus. Il convient de généraliser ces priorités et de les assortir d'indicateurs, en établissant un mode de délégation à un niveau infrarégional qui permette de suivre ce qui se passe dans les bassins d'emploi. Il faut de la volonté pour que ces orientations soient réellement mise en oeuvre dans les territoires.

Nous avions enfin, formulé une dernière recommandation qui a été depuis mise en oeuvre par M. Christian Charpy, le directeur général de Pôle emploi. Cette recommandation proposait que les agences de Pôle emploi disposent de marges de manoeuvre pour la négociation de plans d'actions avec les missions locales. Lors de notre mission, nous avions en effet éprouvé le sentiment que les agences étaient quelque peu bridées par les décisions régionales et ne pouvaient nouer des partenariats qu'elles étaient pourtant prêtes à engager.

M. Laurent Caillot, inspecteur des affaires sociales . - Concernant la contribution que Pôle emploi pourrait apporter pour un meilleur accès des jeunes de ces quartiers à l'emploi, nous souhaitons rappeler, au préalable, que nous avons mené nos investigations dans un contexte difficile pour Pôle emploi, du fait de la fusion et de l'augmentation du chômage. Notre diagnostic et nos préconisations s'en sont donc trouvé nuancés.

La contribution de Pôle emploi semble pouvoir être envisagée sur deux plans. Pôle emploi joue d'abord un rôle en tant que responsable de l'intermédiation sur le marché de l'emploi. De ce point de vue, le récent accord national interprofessionnel (ANI) du 7 avril 2011 sur l'accompagnement des jeunes demandeurs d'emploi, largement partagé entre les partenaires sociaux, nous semble tracer une ligne de partage relativement pragmatique et opérante, en prévoyant d'orienter les jeunes déjà dotés d'un bon niveau d'employabilité vers Pôle emploi, ce qui correspond à sa vocation première, et les jeunes en situation de décrochage, confrontés à des obstacles sociaux ou à un manque de qualification, vers les missions locales dont ils constituent le public naturel depuis les origines de ce réseau, voilà trente ans. Compte tenu de cette orientation prise par les partenaires sociaux et de notre propre analyse, il nous semble que le problème de la contribution de Pôle emploi ne provient pas du caractère incomplet de son offre de services - il dispose en réalité d'une palette variée et graduée de prestations, allant des ateliers de recherche d'emploi au bilan de compétences jusqu'aux méthodes de recrutement par simulation, aux formations conventionnées et aux prestations d'accompagnement intensif sous-traitées à des opérateurs privés - mais plutôt de l'accès à l'offre de services de Pôle emploi à ses cotraitants. Pôle emploi devrait, en premier lieu, mettre à disposition des autres acteurs les offres d'emploi recueillies. Or nous avons constaté une réticence des services de Pôle emploi à partager ces offres, en particulier avec les missions locales.

L'autre contribution que nous pourrions attendre de Pôle emploi en tant qu'opérateur central du service public de l'emploi serait qu'il prenne l'initiative d'une clarification et d'une dynamisation de ses partenariats, pour faciliter le travail d'accompagnement mis à la charge des cotraitants. Nous avons conscience des difficultés internes et externes qui ont pu handicaper Pôle emploi. L'opérateur ne méconnait pas l'importance de nouer des partenariats mais il a sans doute fait passer cette préoccupation au second plan par rapport à sa propre installation. Nous avons été attentifs à la dissymétrie entre les deux réseaux : Pôle emploi, opérateur unique, établissement public, hiérarchisé, très centralisé, sécurisé dans ces financements, à comparer avec un réseau de missions locales hétérogène, d'ancrage local et plus fragile dans ses ressources puisque celles-ci proviennent pour moitié des contributeurs locaux et pour l'autre moitié de l'Etat et de Pôle emploi.

Pour une contribution plus efficace de Pôle emploi à l'accès à l'emploi des jeunes issus des quartiers difficiles, nous pensons que deux conditions doivent être réunies, qui tiennent au mode de fonctionnement de Pôle emploi et au rôle de l'Etat. La première condition consisterait à ce que Pôle emploi déconcentre son organisation et octroie des marges de manoeuvres à ses structures au niveau local afin que les responsables d'agence puissent nouer des partenariats et conclure des conventions sans avoir à obtenir l'accord de leur direction régionale. Le système de pilotage extrêmement descendant qui préside aujourd'hui à l'organisation de Pôle emploi freine, voire verrouille, en effet toutes les initiatives et l'action des services est centrée sur la prescription de mesures et le traitement du flux des demandeurs d'emploi, bien davantage que sur l'apport de solutions territorialisées. La seconde condition de réussite que nous avons identifiée tient au fait que l'Etat doit prendre toute sa part dans ce rôle d'animation régionale de la politique de l'emploi, via le préfet de région qui doit se saisir des conventions annuelles régionales signées avec Pôle emploi, pour garantir que cet opérateur intègre pleinement cette priorité de l'accès à l'emploi des jeunes de ces quartiers dans son action au niveau régional.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur . - Vous indiquez que la coordination est défaillante et que les subventions ne sont pas associées à des objectifs précis et vous appelez l'Etat à jouer son rôle de coordinateur puisqu'il subventionne ces opérateurs. Or les missions locales sont placées sous la direction des collectivités territoriales et constituent, de ce fait, un instrument enraciné sur un territoire alors que Pôle emploi représente plus une émanation de l'appareil d'Etat. Ces deux opérateurs obéissent donc à des systèmes de décision très différents. C'est là que réside, selon moi, la grande difficulté de leur partenariat. Du point de vue financier, la partie sécurisée relève plus du niveau local puisque, lorsqu'une commune participe à une mission locale, elle est contrainte par la loi d'apporter sa part du financement. Les logiques de gouvernance diffèrent, rendant toujours difficile la coordination. Il faudrait peut-être que Pôle emploi accepte aussi d'écouter davantage les collectivités, ce qui ne semble pas être aujourd'hui dans sa culture. Comment envisagez-vous l'évolution de ces deux institutions placées dans des logiques de décision aussi différentes ?

M. Ronan Kerdraon . - Je suis moi-même président d'une mission locale et je me retrouve dans vos remarques même si ma mission locale, en Bretagne, n'est pas concernée par les problèmes propres aux Zus. Les missions locales sont effectivement financées par les collectivités et l'Etat. Au départ, ce financement était réparti à parts égales, alors qu'il est aujourd'hui à 60 % à la charge des collectivités. A côté de cela, des sommes importantes ont été dépensées pour financer les contrats d'autonomie. L'on peut s'étonner d'une telle situation. Votre vision a-t-elle évolué depuis votre rapport de 2009 ? Quelles conséquences opérationnelles l'Etat, Pôle emploi et les missions locales ont-ils tirées de votre rapport ? Quel regard portez-vous, au-delà des relations entre les deux réseaux, sur la notion de territorialisation, une notion importante à mes yeux qui rejoint celle de décentralisation et de droit à l'expérimentation ?

M. André Reichardt . - J'ai cru comprendre que vous imputiez la responsabilité de la mauvaise articulation entre les deux opérateurs à Pôle emploi, notamment parce que celui-ci ne fournit pas ses offres d'emploi. Est-ce exclusivement de sa faute ou cela ne relève-t-il pas d'une responsabilité partagée ? J'ai cru ressentir dans ma région, au moins dans deux missions locales, un sentiment de concurrence entre l'agence de Pôle emploi et la mission locale. Cette défiance, à mon sens, est bien partagée par les deux opérateurs. Quelle est votre vision ?

Mme Annie David . - Je m'associe à ces deux questions sur la territorialisation et l'accès aux offres d'emploi. Quelles améliorations préconisez-vous ? Vous avez aussi évoqué le manque de pérennité dans les objectifs en matière d'emploi des jeunes. Comment faire pour inscrire cette priorité de manière pérenne parmi les objectifs de Pôle emploi et des missions locales ?

Mme Agnès Jeannet . - Les missions locales ont été créées, au départ, à titre expérimental, dans une logique de mise à disposition de moyens de l'Etat sur un territoire. En 1989, lors de la création du RMI, elles ont été institutionnalisées. Elles ont toujours un statut associatif et sont présidées par les élus locaux mais elles sont pilotées par l'Etat, avec toutes les difficultés d'une telle gouvernance, et un financement conjoint encadré par des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO), conçues par la DGEFP. Nous nous trouvons donc face à un choc de ces deux histoires et il n'existe aucune garantie qu'un même service soit rendu sur tout le territoire et dans le temps.

S'agissant de la territorialisation, nous ne pouvons reprendre le sujet sur le plan institutionnel. Nous ne croyons pas à la filialisation. Deux éléments se révèlent néanmoins importants. Il faut trouver des modes de coopération sur un territoire donné, avec des objectifs conjoints, afin qu'élus et Etat se mettent en phase pour contraindre les deux opérateurs à coopérer. Il se révélera toujours difficile de garantir le service sur tout le territoire car des changements de majorité politique entraînent parfois le retrait de financements ou l'évolution des équipes mais cela existe dans tous les services publics. Nous ne voyons d'autre solution que de conclure des contrats d'action sur des bassins d'emploi avec des objectifs pour les Zus. Nous avons vu que la DGEFP mobilisait les sous-préfets. Il s'agit sans doute d'une bonne solution.

Le choc des cultures professionnelles et de modes de gouvernance était déjà évoqué en 1999 par l'Igas. Peut-être faut-il redéfinir le système au Parlement puisque cela fait maintenant vingt ans que cela ne fonctionne pas et que le dispositif reste inefficace en termes de service rendu pour cette population.

Quant aux priorités, il me semble qu'elles devraient être fixées par l'Etat.

M. Laurent Caillot . - Sur l'offre de services, vous avez évoqué le contrat d'autonomie. L'évaluation de celui-ci n'était pas l'objet central de notre enquête car nos investigations étaient centrées sur un public. Nous avons cependant constaté clairement que les conditions de lancement de ce contrat avaient invalidé le postulat de départ, selon lequel il faudrait faire intervenir des opérateurs privés dans certains bassins d'emploi à cause de l'inefficacité des missions locales dans le repérage et le suivi des jeunes en difficulté. Au contraire, le recrutement réalisé par les opérateurs privés, dans des conditions parfois difficiles, a été d'autant plus réussi que ces opérateurs privés se sont appuyés sur les missions locales. La Dares, le service statistique du ministère de l'emploi, a publié une étude qui reprend des conclusions similaires aux nôtres et fondées sur un constat opéré au même moment. Le contrat d'autonomie contient, selon nous, des innovations intéressantes, dans la mesure où il marque la reconnaissance du besoin des jeunes d'un accompagnement plus intensif, mais la forme qu'a pris cette mesure, qui consiste à acheter des prestations à un tarif élevé auprès d'opérateurs privés, ne nous a semblé appropriée que dans un premier temps avant le redéploiement des moyens au profit des missions locales, qui devraient bénéficier d'un financement à la hauteur de ces ambitions et avec la fixation d'objectifs proportionnés.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle . - Qu'en est-il du contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) renforcé ?

M. Laurent Caillot . - Le Civis renforcé représente une légère amélioration par rapport au Civis de droit commun mais il reste très en-deçà du niveau d'accompagnement offert dans le cadre du contrat d'autonomie. Ce contrat d'autonomie ne constitue qu'une expérimentation, qui ne concerne qu'un petit nombre de bassins d'emploi où la situation est très dégradée. L'ambition serait de redéployer les moyens qui y sont consacrés sur l'ensemble des missions locales.

Depuis un an, nous relevons des signes de progrès menant vers une plus grande territorialisation des politiques de l'emploi. Début 2011, le Gouvernement a ainsi, lors d'un comité interministériel des villes, pris une orientation claire en faveur d'une territorialisation des politiques de l'emploi et de l'inscription d'objectifs annuels pour les préfets en matière de diffusion de mesures facilitant l'accès à l'emploi des jeunes dans les quartiers prioritaires. Le ministère de l'emploi a par ailleurs demandé aux sous-préfets d'activer et coordonner les acteurs locaux. Ceci s'avère cependant insuffisant, à nos yeux, car les obstacles au partenariat, plus structurels, tiennent à des logiques d'action opposées entre Pôle emploi et les missions locales. Pour autant, la mobilisation du corps préfectoral qui, repérant les dysfonctionnements, inciterait à les traiter constitue, selon nous, un premier pas intéressant vers la territorialisation. Il convient aussi de noter l'expérimentation récente des contrats urbains de cohésion sociale, lancée par le Premier ministre voilà deux semaines dans une trentaine de sites prioritaires. L'objectif est de mobiliser les moyens de droit commun dans les contrats des politiques de la ville, ambition fondatrice qui a été dévoyée par une pratique consistant à multiplier les outils spécifiques et à réinventer, dans les politiques de la ville, des outils parallèles à ceux de la politique de l'emploi. La relance de la politique de l'emploi en faveur des jeunes demandeurs d'emploi dans les dernières semaines va aussi dans le sens d'une mobilisation des acteurs, de même que le fait que les partenaires sociaux se soient saisis de la question, estimant qu'il entre dans leur mission de tracer des principes d'orientation des publics au sein du service public de l'emploi. Ces évolutions apportent une contribution utile et s'inscrivent dans une démarche de progrès depuis un an.

Je complèterai enfin notre réponse sur la responsabilité de la mauvaise articulation entre Pôle emploi et les missions locales. Notre rapport pourrait laisser penser que la faute revient principalement à Pôle emploi. Il est certain que dans un rapport aussi dissymétrique, si l'opérateur dominant fait preuve de peu de coopération, son partenaire dispose de peu de moyens pour l'y inciter. Ceci étant, il faut rappeler que les missions locales se sont organisées progressivement pour devenir un acteur à part entière, avec la reconnaissance par l'Etat d'une convention collective des agents des missions locales voilà dix ans. Ce cheminement les a isolées des autres composantes du service public de l'emploi. Après l'échec du rapprochement organique via les « espaces jeunes », chaque acteur a continué sa vie de son côté avec un accord cadre de partenariat flou. Les deux réseaux trouvaient avantage à cet arrangement. De ce point de vue, il existe sans doute aussi une responsabilité collective des missions locales, qui continuent à se satisfaire de cette situation, au détriment des intérêts du public dont elles ont la charge.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur . - Ceci est d'autant plus facile que les collectivités locales viennent compenser un éventuel désengagement de l'Etat.

M. Laurent Caillot . - Tout à fait, même si l'on peut considérer que la situation des collectivités locales, avec leurs difficultés financières, rend les missions locales plus vulnérables.

M. Ronan Kerdraon . - Les missions locales sont financées par plusieurs institutions et n'ont pas le même dialogue de gestion en fonction de l'identité du financeur. Ne serait-il pas intéressant d'imaginer un dialogue sur des objectifs communs à l'ensemble des financeurs ? Avez-vous émis des préconisations en ce sens ? Les directeurs de missions locales doivent en effet accomplir un travail non négligeable pour recueillir les financements.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle . - Nous avons ciblé, dans le cadre de la politique d'insertion des jeunes, les relations entre Pôle emploi et les missions locales. Dans votre rapport, avez-vous envisagé d'autres partenaires qui pourraient concourir à l'insertion des jeunes des quartiers difficiles ?

M. Laurent Caillot . - Il est clair qu'il s'avère difficile pour une petite structure de se trouver face à des financeurs qui ont des calendriers d'engagement et des objectifs différents. La CPO représentait déjà un premier progrès puisque, cosignée par l'Etat, la région et les collectivités départementales et communales, elle permettait déjà une mise en perspective de l'action des missions locales. On pourrait envisager que Pôle emploi soit intégré dans cette CPO, ce qui l'obligerait à mener un dialogue avec les différents acteurs. Le tour de table permettrait aussi de faciliter la gestion des désengagements partiels des uns et des autres.

Mme Agnès Jeannet . - J'ai vu fonctionner des conférences de financeurs. Il me semble qu'il s'agit là de bonnes pratiques, qui permettent à l'Etat de se rapprocher des régions voire des départements ou des agglomérations. Ces conférences peuvent permettre de faire avancer les choses. Nous avons également vu des pratiques d'audits coordonnés entre l'Etat et la région sur les missions locales. Ces deux mécanismes constituent, selon nous, de bonnes pratiques.

M. Laurent Caillot . - Quant à l'insertion par l'activité économique (IAE) ou les écoles de la deuxième chance, il s'agit de dispositifs destinés à des jeunes en très grande difficulté. Nous considérons bien sûr que ces outils ont toute leur place dans la palette des moyens destinés à conduire les jeunes vers l'emploi. Nous n'avons pas réservé une place particulière à l'insertion par l'économique dans notre rapport. Les missions locales et Pôle emploi orientent déjà un certain nombre de jeunes vers ces structures qui fonctionnent bien et dont les activités mènent à l'emploi. Nous n'avons donc pas noté de difficultés particulières en la matière, si ce n'est la pérennité du financement de l'IAE.

M. Claude Jeannerot, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos sollicitations et de vous être prêtés à cet échange de vues qui viendra, j'en suis sûr, enrichir notre analyse et nos propres propositions.

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