2. La défense antimissile des territoires : une problématique montante à l'OTAN depuis 2002

Tout au long de ces dernières années, les débats intervenus à l'OTAN sur la défense antimissile des territoires ont été conditionnés et rythmés par l'évolution des projets américains .

La fin de la guerre froide marque aussi celle de l'Initiative de défense stratégique du Président Reagan. Mais la question est relancée après l'adoption du National Missile Defense Act du 22 juillet 1999, prévoyant de déployer un système de défense antimissile destiné à protéger le territoire national américain d'une frappe balistique limitée.

Dans un premier temps, l'OTAN n'apparaît qu'indirectement concernée, même si ce projet américain pour la protection du territoire américain doit impliquer les alliés hébergeant des installations américaines. C'est le cas du Danemark et du Royaume-Uni, avec l'amélioration envisagée des radars d'alerte avancée de Thule et de Fylingdales .

Au plan politique, les alliés européens s'interrogent surtout sur l'avenir du traité américano-russe ABM ( Anti-Ballistic Missiles ) de 1972, qui impose aux deux parties une stricte limitation de leurs systèmes de défense antimissiles. Les Etats-Unis voudraient amener la Russie à le renégocier, mais celle-ci s'y refuse. La question va être tranchée dans le contexte de l'après 11 septembre 2001, alors que les Etats-Unis viennent d'être pour la première fois frappés sur leur sol. George W. Bush annonce le retrait unilatéral des Etats-Unis du traité ABM le 13 décembre 2001 . Ce retrait, qui deviendra effectif 6 mois plus tard, le 13 juin 2002, suscite les protestations de la Russie sans pour autant créer de crise ouverte. En effet, les Etats-Unis et la Russie signeront le 24 mai 2002 un traité sur la réduction des armes stratégiques offensives (traité SORT - Strategic Offensive Reductions Treaty ) et le Conseil OTAN-Russie (COR) sera créé à Rome le 28 mai de la même année.

L'obstacle juridique au déploiement d'une défense antimissile des territoires ayant disparu, l' administration Bush va pouvoir mettre au point un programme beaucoup plus ambitieux que celui imaginé en fin de présidence Clinton. A la National Missile Defense succède la Missile Defense , destinée à protéger le territoire américain, les pays alliés et amis, ainsi que les forces déployées . La distinction entre défense de théâtre et défense des territoires est ainsi effacée. L'ensemble des moyens doivent être intégrés dans une architecture unique, quelle que soit l'étendue de la zone à protéger, la portée des missiles balistiques à contrer ou la phase dans laquelle ils doivent être interceptés.

Cette nouvelle approche va impliquer beaucoup plus directement les pays européens et l'OTAN dans le débat sur la défense antimissile des territoires .

D'abord parce que les Etats-Unis vont insister sur la menace balistique émanant du Moyen-Orient et pesant sur le territoire européen , dans un contexte de progrès des capacités balistiques iraniennes et de révélations, à l'été 2002, sur des activités nucléaires sensibles et clandestines. Ils mettent en avant une double préoccupation : la protection des forces américaines déployées en Europe et, plus globalement, la nécessité d'adapter la relation de sécurité transatlantique à cette menace potentielle.

Mais aussi parce que l'existence de moyens de défense antimissile en Europe leur paraît nécessaire à la protection du territoire américain , dans la perspective d'un développement des capacités balistiques iraniennes.

Dès lors, la question de la défense antimissile des territoires ne va cesser d'alimenter au sein de l'OTAN un débat qui, selon les périodes, portera tantôt sur l'inclusion de pays européens dans le système de défense du territoire américain, tantôt sur la protection du territoire européen lui-même, avec ou sans la participation de l'OTAN.

a) Le sommet de Prague (2002) : l'OTAN décide d'étudier les options pour la protection des territoires et des populations contre les missiles balistiques

Une impulsion importante est donnée en ce sens lors du sommet de l'OTAN à Prague, le 21 novembre 2002 .

D'une part, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance décident « d' examiner différentes options pour faire face de manière efficace à la menace croissante que les missiles représentent pour le territoire, les forces et les centres de population de l'Alliance , en recourant à une combinaison appropriée d'efforts politiques et de défense, en même temps qu'à la dissuasion ».

D'autre part, ils demandent que soit lancée « une nouvelle étude de faisabilité sur la défense antimissile de l'OTAN visant à examiner les options relatives à la protection du territoire, des forces et des centres de population des pays de l'Alliance contre toute la gamme des menaces liées aux missiles », les efforts conduits en ce sens devant être « compatibles avec l'indivisibilité de la sécurité des Alliés ».

Le sommet de Prague marque donc la première évocation d'une défense antimissile de l'OTAN couvrant les territoires, les forces et les centres de population . La référence à l'indivisibilité de la sécurité traduit tout autant certaines préoccupations européennes liées à un éventuel découplage entre la sécurité de part et d'autre de l'Atlantique, que la volonté des Etats-Unis d'intégrer les alliés européens à leur démarche, pour des raisons politiques, mais aussi techniques, le territoire européen présentant un intérêt stratégique du point de vue de la défense du territoire américain contre une menace balistique à longue portée d'origine moyen-orientale.

L' étude de faisabilité prévue dans la déclaration de Prague, s'est achevée en mai 2006. Elle a conclu que la défense du territoire et des centres de population européens était possible « dans les limites et les hypothèses définies par l'étude ».

L'étude estime que la protection d'une grande partie des centres de population nécessiterait des sites radar et un site d'intercepteurs pour un coût de 8 milliards d'euros sur 20 ans . Une défense complète du territoire des pays de l'Alliance représenterait un investissement total de 27 milliards d'euros , en considérant que l'OTAN n'aurait pas à développer ses propres satellites d'alerte et disposerait des données provenant des satellites d'alerte américains.

Lors du sommet de Riga, le 29 novembre 2006, les chefs d'Etat et de gouvernement endossent les conclusions de cette étude et demandent que « les travaux se poursuivent sur les implications politiques et militaires de la défense antimissile pour l'Alliance, avec notamment une actualisation sur les développements dans le domaine de la menace liée aux missiles ». Cette formulation extrêmement prudente montre toutefois la réticence des dirigeants alliés à prendre tout engagement sur la mise en place d'une défense antimissile des territoires et des populations, essentiellement pour des raisons de coût et de priorités dans les besoins d'équipement.

Mais l'évolution des projets américains va rapidement contraindre l'OTAN à reprendre le dossier.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page