II. UNE FILIÈRE QUI CONNAÎT DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES

A. LES SYMPTÔMES DE LA CRISE : LA STAGNATION DES PRIX ET LA FAIBLESSE DES MARGES

1. Une filière bovine marquée par plusieurs crises sur la période récente

L'histoire récente de la filière bovine est marquée par deux crises majeures.

En 1996, la mise en évidence du lien entre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui touchait le troupeau britannique depuis une dizaine d'année et l'apparition de nouveaux cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob (MCJ) chez des consommateurs d'animaux potentiellement porteurs de l'ESB a déclenché la première crise. L'embargo sur le boeuf britannique mis en place en Europe continentale a circonscrit la crise de confiance des consommateurs au Royaume-Uni. Mais l'apparition de cas d'ESB en France à partir de 1999-2000 a conduit à une réduction forte de consommation de viande bovine. La filière a surmonté cette crise, au prix de l'instauration de règles drastiques de sécurité sanitaire, retrouvant après la crise les niveaux de consommation qui prévalaient avant son déclenchement.

Le développement de la fièvre catarrhale ovine (FCO) en Europe à partir de la mi-2006 a également posé un redoutable défi à la filière bovine. Elle n'a pas affecté de manière significative la consommation des ménages mais elle a pesé sur les mouvements d'animaux vivants. En effet, s'agissant d'une maladie contagieuse, des restrictions aux déplacements d'animaux depuis les zones affectées ont été mises en place. La FCO a perturbé fortement les exportations vers l'Italie de broutards destinés à l'engraissement, qui constituent un segment important des débouchés de la production française. Seule la vaccination systématique a permis de rétablir les possibilités d'échanges transfrontaliers d'animaux.

2. Les revenus des éleveurs en berne
a) La faiblesse des revenus, symptôme de la crise

La faiblesse des revenus des éleveurs est le révélateur d'une crise structurelle d'autant plus surprenante que jamais les cours mondiaux de la viande n'avaient été aussi hauts et que les aides européennes à l'élevage ont été globalement maintenues, voire augmentées pour les élevages en systèmes herbagers, avec le bilan de santé de la PAC.

La situation économique des éleveurs se dégrade depuis 2006. Sur les trois derniers exercices connus, 2008, 2009 et 2010, le revenu des exploitations spécialisées en bovin-viande s'établit aux alentours de 12 000 euros par an et par unité de travail agricole (UTA). Pour 2010, le revenu des éleveurs spécialisés en viande bovine s'établit à 14 300 euros.

Ce niveau est en baisse de 15,6 % en moyenne annuelle depuis cinq ans pour les éleveurs bovins viandes et se situe 39 % en dessous de la moyenne nationale des exploitations agricoles.

Source : Les comptes provisoires par catégorie d'exploitations pour 2010 - Commission des comptes de l'agriculture de la Nation - Session du 30 juin 2011.

La situation actuelle est caractérisée par une certaine incompréhension des éleveurs. D'une part, les plus en difficulté sont les plus performants, ceux qui avaient investi pour se moderniser. D'autre part, les prix à la consommation n'ont cessé d'augmenter sur moyenne période depuis le début des années 2000, à l'inverse des prix de vente des animaux par les éleveurs qui ont eu tendance à stagner ou progresser très légèrement.

b) Des prix qui augmentent faiblement sur le long terme

Les prix de vente pratiqués par les éleveurs ne connaissent pas d'évolution nette à la hausse sur le moyen terme. Les éleveurs ont connu des baisses importantes de prix en 2001 et 2002, suite à la crise de l'ESB. La crise économique a contribué à faire de nouveau baisser les prix à partir de 2008, mais la période récente est caractérisée par une légère remontée des prix de vente, d'après les chiffres présentés par l'observatoire des prix et des marges.

Au total, le prix au kilo aurait augmenté de l'ordre de 15 % en 12 ans, contre une augmentation d'environ 30 % du prix au détail pour le consommateur sur la même période.

Source : Observatoire des prix et des marges.

c) La cause des difficultés structurelles des éleveurs : la progression continue des coûts de production

Les difficultés des éleveurs tiennent fondamentalement au décalage entre l'évolution de leurs prix de vente et celui de leurs charges d'exploitation.

Un poste de charges paraît particulièrement sensible : celui de l'alimentation animale . Son poids est très variable selon les systèmes d'exploitation choisis. L'élevage à l'herbe nécessite moins d'achats à l'extérieur. L'existence d'une culture céréalière sur l'exploitation permet aussi d'améliorer l'autonomie alimentaire. Par ailleurs, les engraisseurs spécialisés sont beaucoup plus exposés que les naisseurs à la hausse du coût de l'alimentation animale.

Au total, l'alimentation peut représenter entre 10 et 15 % des coûts de production. Les prix de l'alimentation animale ont été contenus en 2009 et début 2010, mais sont repartis à la hausse à la mi-2010, sous l'effet de la hausse des prix des céréales.

Les éleveurs ont aussi absorbé sur leurs comptes les hausses des prix de l'énergie. Enfin, les coûts d'amortissement des emprunts nécessaires pour améliorer l'exploitation, renouveler le matériel ou aménager les bâtiments d'élevage ont tendance à peser de plus en plus lourd sur les comptabilités.

Au total, la Fédération nationale bovine estimait, début 2011, qu'il était nécessaire de relever de 60 centimes le prix de vente du kilo de carcasse en viande bovine pour couvrir les hausses de charges subies par les éleveurs.

3. Une filière à faibles marges : le rapport de l'observatoire des prix et des marges
a) La situation des industriels

L'industrie de la viande n'apparaît pour sa part pas très prospère. Le secteur de l'abattage-découpe en viande bovine connaît un taux de rentabilité relativement faible. Le rapport de M. Philippe Rouault 11 ( * ) , délégué interministériel aux industries agro-alimentaires et à l'agro-industrie, remis en octobre 2010, pointait cette faiblesse de l'industrie des viandes, dont le résultat net est estimé à environ 1,3 % du chiffre d'affaires.

Cette analyse est globalement confirmée par l'observatoire des prix et des marges qui relève que, si la marge brute des industriels a progressé de 40 % entre 1998 et 2008, les charges des entreprises de transformation ont augmenté dans les mêmes proportions. De ce fait, les marges nettes qui étaient faibles en début de période le restent aujourd'hui .

L'adoption du « paquet hygiène » par l'Union européenne, en vigueur à partir du 1 er janvier 2006, a accéléré la restructuration des abattoirs, obligeant à effectuer des mises aux normes avant 2010. Les petites structures, souvent publiques, ont fermé. De nombreux abattoirs publics, de faible capacité, avaient déjà été fermés dans les années 1980 et 1990, passant de plus de 450 en 1985 à 120 aujourd'hui. Ce mouvement de mise aux normes n'est pas terminé car les abattoirs ont jusqu'à 2012 pour atteindre un niveau supplémentaire d'exigence, permettant de les inscrire au minimum en classe 2. La fédération nationale des exploitants d'abattoirs publics (FNEAP) estime qu'environ une vingtaine d'abattoirs devraient disparaître encore d'ici la fin 2012.

Mais les changements de réglementation ne sont pas le seul facteur de restructuration des abattoirs : la stagnation des volumes d'abattage en viande bovine depuis plusieurs années pèse sur le taux d'utilisation de ces équipements. Lors des auditions, les industriels ont exprimé leurs craintes de voir l'appareil d'abattage français désormais en surcapacité. D'après le cabinet Blézat Consultants, les plus grandes menaces porteraient non pas sur les gros établissements, assurant la production de plus de 10 000 tonnes par an, ni les très petits, traitant moins de 1 000 tonnes, mais sur les établissements de taille intermédiaire.

b) La marge des distributeurs : des données incertaines

La situation des distributeurs est moins bien connue et difficile à analyser. Le rapport provisoire de décembre 2010 de l'observatoire des prix et des marges laissait penser que la grande distribution avait vu sa marge brute augmenter, mais en proportion de l'augmentation des charges supplémentaires qu'elle subissait, notamment du passage du temps de travail à 35 heures.

Le rapport remis par l'observatoire en juin 2011 semble infléchir cette analyse. La part de la transformation et de la distribution dans la décomposition du prix de la viande a eu tendance à augmenter. Ainsi la part qui revenait au producteur était de 52 % en 2000 et est tombée à 46 % en 2010. A l'inverse, transformation et distribution représentaient 43 % du prix total de vente au consommateur en 2000, elles en représentent 49 % en 2010. La part des taxes est restée stable, à 5 %.

Sur ces 49 %, la distribution capte un peu plus de la moitié de la marge brute, et la transformation un peu moins de la moitié.

Ces données sont fragiles, car l'observatoire n'a semble-t-il pas eu toutes les données souhaitées de la part de la grande distribution et de ce fait, manque d'éléments. Par ailleurs, l'analyse qui est effectuée ne porte que sur des marges brutes et non sur des marges nettes, sur lesquelles auraient été imputés les coûts supportés par les opérateurs à chaque étape.

Les évolutions divergentes entre prix d'achat au producteur et prix de vente au consommateur laissent néanmoins penser que la distribution a connu une amélioration de sa marge brute depuis une dizaine d'année, en plus d'avoir absorbé la hausse des coûts de production de l'industrie.


* 11 Analyse comparée de la compétitivité des industries agroalimentaires françaises par rapport à leurs concurrentes européennes, rapport établi par M. Philippe Rouault, délégué interministériel aux industries agro-alimentaires et à l'agro-industrie, octobre 2010.

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