2. L'intégration des perturbateurs endocriniens à la législation européenne
a) La stratégie communautaire de 1999

L'Union Européenne a pris assez tôt la mesure des enjeux présentés par les perturbateurs endocriniens puisqu'elle a initié une stratégie communautaire dès le 17 décembre 1999. La Commission y prenait acte de l'inadaptation des outils réglementaires pour protéger les citoyens des effets potentiellement néfastes des perturbateurs endocriniens. De même, elle soulignait que beaucoup de recherches restaient à faire et qu'il n'existait pas encore de méthodes d'essai validées pour établir si une substance constituait ou non un perturbateur endocrinien.

Elle présentait alors une série de mesures de court (1 à 2 ans), moyen (2 à 4 ans) et long terme (plus de 4 ans).

Loin de l'image d'inertie que l'on peut parfois avoir de l'administration européenne, cette stratégie a été assez remarquablement mise en application , même si tous les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Notamment, la Commission a publié, dès l'année 2000, une liste de 553 substances et 9 hormones artificielles qui doivent être prioritairement évaluées. Elle s'est engagée dans la qualification de tests avec l'OCDE, mais sans succès à ce jour (cf. infra). Elle a surtout intégré la notion de perturbation endocrinienne dans l'ensemble de la législation européenne pertinente : produits phytopharmaceutiques, produits chimiques, eau...

b) 2001, la classification des substances CMR

Par la directive 67/548/CEE, l'Union Européenne a établi une classification des substances chimiques dangereuses notamment pour la reproduction.

Elle comporte trois catégories en fonction du niveau de connaissance des effets sanitaires :

• Catégorie 1 : substances dont les effets sur la reproduction sont avérés ;

• Catégorie 2 : substances dont les effets sont prouvés chez l'animal ;

• Catégorie 3 : substances pour lesquelles les études présentent des défauts qui rendent les conclusions moins convaincantes.

Les substances de catégorie 1 et 2 doivent être spécifiquement étiquetées et sont interdites au grand public.

En France, la même année, par le décret 2001-97 modifiant le code du travail, ont été étendues les prescriptions relatives à la prévention des risques liés aux agents cancérogènes ou reprotoxiques. Lorsque les employés sont amenés à être exposés à des substances de catégorie 1 ou 2, l'employeur a l'obligation d'évaluer les risques, de substituer la substance dangereuse par une autre lorsque c'est techniquement possible, de mettre en place des mesures de protection propres au poste de travail (confinement...), de limiter le nombre des travailleurs exposés et de prendre des mesures spécifiques de détection précoce, d'hygiène, d'urgence, de balisage de zones, d'étiquetage, de formation et de suivi médical.

Les femmes enceintes et allaitantes ne doivent être ni affectées ni maintenues à un poste les exposants à des substances de catégorie 1 ou 2 .

c) Une législation européenne renouvelée et protectrice
(1) La réglementation des pesticides

Les pesticides ont fait l'objet d'un « paquet » réglementaire à l'automne 2009. Le règlement CE n°1107/2009 vient remplacer la directive 91/414/CEE. Il est applicable depuis le 14 juin 2011.

Concernant les perturbateurs endocriniens, il fixe un dispositif transitoire, la Commission devant proposer une définition fondée sur des critères scientifiques d'ici au 14 décembre 2013. Pour ce faire, la DG environnement a confié un rapport au Pr Kortenkamp qui devrait être rendu en septembre 2011 .

D'ici à 2013, le principe est qu'une substance phytosanitaire ne peut pas être approuvée si elle est considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens, à moins que l'exposition de l'homme à cette substance ne soit négligeable .

Dans le cadre de la période transitoire, tous les produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) classés en catégorie 2 sont considérés comme ayant un effet de perturbation endocrinienne.

Les enjeux sont évidemment très importants pour l'industrie comme pour la santé et l'agriculture. En effet, depuis le début des années 1990, les nouvelles réglementations ont conduit au retrait de 74 % des substances actives existantes à l'époque . Depuis lors, 81 nouvelles avaient été mises sur le marché mais ne représentant que 25 % de l'ensemble (247 existantes). Si l'industrie a accueilli favorablement les mesures de simplification, d'harmonisation et d'unification du marché européen, elle s'est inquiétée de l'instauration de critères d'exclusion et de substitution fondés sur le danger et non sur l'évaluation des risques en matière de perturbateurs endocriniens.

Il est vrai que la réglementation pose plusieurs questions sensibles :

- la définition de l'exposition négligeable et du niveau de résidu correspondant qui est particulièrement problématique compte tenu des nombreuses études mettant en évidence une action de perturbation endocrinienne largement indépendante de la dose,

- Comment cette recherche mécanistique doit-elle être reliée à une exposition humaine réaliste ?

- Quelle sera la méthode d'essai validée permettant de qualifier un produit de perturbateur endocrinien ou non ?

(2) REACH

Il n'est pas ici question pour votre rapporteur de faire une présentation complète du cadre réglementaire européen en matière de produits chimiques, il est néanmoins essentiel de prendre la mesure de ce dispositif novateur et extrêmement ambitieux.

Reach, pour Registration, evaluation and autorisation of chemicals , est le nouveau cadre de réglementation des substances chimiques en Europe. Il a été proposé par la Commission en octobre 2003. Il est entré en application le 1 er juin 2007 .

Il contraint les entreprises produisant ou important plus d'une tonne de produits chimiques par an en Europe à s'enregistrer et à référencer les produits dont elles doivent démontrer l'innocuité. Cette réglementation vise donc à éviter que des produits chimiques soient commercialisés sans que leurs dangers éventuels aient été évalués. Les données recueillies sont mises à la disposition des autorités et du public. L'enregistrement des substances est progressif en fonction de leur l'importance.

Un système d'autorisation et de restriction particulier est mis en place pour les substances considérées comme « hautement préoccupantes » ( very high concern - VHC).

Il s'agit selon l'article 57 des substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) de catégorie 1 et 2 mais aussi de celles qui sont persistantes, sujettes à bioaccumulation et de toutes celles qui ont des propriétés de perturbation endocrinienne et pour lesquelles on dispose de preuves scientifiques de probables effets graves sur la santé humaine ou l'environnement .

De fait, les perturbateurs endocriniens sont donc largement couverts par la législation REACH qui conduit à leur exclusion soit du fait de leur caractère CMR, soit de leurs propriétés mécanistiques.

Reste que ces dernières doivent pouvoir être définies de manière précise et détectées par des tests validés, ce qui est l'objet du rapport confié au Pr Kortenkamp par la DG environnement afin de compléter la législation européenne sur ce point.

(3) La directive sur l'eau

La directive cadre sur l'eau de 2000 (directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000) établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau est le cadre législatif général visant à garantir le bon état de toutes les eaux européennes à l'horizon 2015 .

Au sein du cadre, c'est la directive n° 2008/105/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l'eau qui limite la concentration de trente-trois substances et de huit autres polluants dans les eaux de surface . Cette liste comprend onze substances dangereuses prioritaires, qui sont toxiques, persistantes et s'accumulent dans les tissus animaux et végétaux et présentent un risque à long terme, essentiellement des métaux lourds, des pesticides et des hydrocarbures. Les rejets doivent être progressivement supprimés sur vingt ans. Cette liste sera revue en 2011 (article 16).

Votre rapporteur souhaite que cette réglementation prenne en compte le nouvel enjeu des perturbateurs endocriniens .

(4) L'enjeu des tests OCDE

L'un des points centraux est donc l'adoption par l'OCDE de tests validés permettant de détecter les perturbateurs endocriniens.

Ce point est d'autant plus important qu'aujourd'hui plusieurs publications académiques reconnues par leurs pairs ne sont pas prises en compte par les agences et organismes internationaux de réglementation car elles ne respectent pas les critères de qualité définis dans le cadre de l'OCDE.

L'OCDE a lancé une action sur les perturbateurs endocriniens dès 1996 pour élaborer les nouvelles lignes directrices pour les essais et réviser les existantes. Le principal défaut de ces procédures est leur extrême longueur. Jean-Pierre Cravedi indiquait à votre rapporteur que le processus pouvait mettre une vingtaine d'années comprenant la recherche et développement, les étapes de validation et d'examen par les experts et les acceptations réglementaires au niveau de l'OCDE et de l'Union Européenne.

Par exemple, en matière de détection des effets délétères sur la reproduction et le développement, l'OCDE a validé six lignes directrices différentes.

En matière de perturbateurs endocriniens, un dispositif a été soumis en 2002 :

De nombreux points liés aux spécificités des perturbateurs endocriniens restent en discussion : les courbes dose-réponse, l'impact des mélanges qui pose la question de l'adaptation des protocoles standards.

Le processus d'identification d'un perturbateur endocrinien est en effet réellement complexe comme le montre le schéma général ci-dessous pour l'homme ou des animaux :

Un autre arbre de décision présenté à votre rapporteur, relatif aux produits phytopharmaceutiques, permet de mieux comprendre le processus et notamment les enjeux réglementaires et politiques du mode de classement d'une molécule potentiellement dangereuse pour l'homme :

Dans tous les cas, l'adoption de tests reconnus est un point fondamental. Il permettra de faire évoluer la législation européenne en la matière et de prendre pleinement en compte l'enjeu des perturbateurs endocriniens pour la santé et l'environnement par les agences compétentes .

A Bruxelles, les interlocuteurs de votre rapporteur étaient en attente du rapport du Pr Kortenkamp à l'automne qui doit permettre à la Commission de proposer des mesures en la matière d'ici à 2013 .

Votre rapporteur ne peut qu'encourager la Commission à avancer dans ce domaine et le Gouvernement français à apporter une attention particulière au bon déroulement des étapes de la procédure en cours .

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