III. DÉMOCRATISER L'ART D'AUJOURD'HUI EN FRANCE : UN OBJECTIF QUI DÉPASSE LA NOTION DE MARCHÉ

Lors des auditions menées dans le cadre du présent rapport, les acteurs du marché de l'art contemporain ont bien évidemment été interrogés sur les outils, réformes et pistes de réflexion qui permettraient à la France d'enrayer le déclin observé depuis les années 1960. Car finalement tout le monde constate un engouement populaire pour l'art contemporain, la FIAC symbolisant cette énergie nouvelle dont Paris n'est pas exclue, mais pour autant les artistes de la scène française ne profitent pas de cette formidable dynamique. Comment expliquer cela ?

Certains estiment que c'est une question de génie, qu'il ne se décrète pas, et que finalement il suffit d'attendre que de très bons artistes d'aujourd'hui émergent. D'autres, comme Pierre Cornette de Saint-Cyr, estiment que la France, ses institutions, ses relais, ne soutiennent pas assez la scène française alors que c'est le cas dans d'autres pays où les artistes se retrouvent mieux cotés sur le marché de l'art, plus présents dans les foires et biennales d'art contemporain.

Toute la difficulté de l'État est donc aujourd'hui de trouver une nouvelle approche permettant à la fois de soutenir ses artistes, sans pour autant tomber dans le travers de « l'art officiel » et des « artistes fonctionnaires ». Il s'agit donc d'opter pour une nouvelle philosophie de soutien à la création qui, sans balayer tout ce qui a été fait, permette à de nouveaux acteurs d'émerger et à l'écosystème de l'art contemporain de mieux fonctionner. L'objectif doit être de permettre à la scène française de profiter de la dynamique sans précédent de l'art d'aujourd'hui pour que ses artistes ne soient pas exclus de ce mouvement bénéfique.

Compte tenu de la complexité de « l'écosystème » de l'art contemporain et de toutes les interactions possibles, on peut résumer la nouvelle urgence de la façon suivante : il s'agit désormais de démocratiser l'art d'aujourd'hui. Démocratiser la fiscalité favorable à l'art, démocratiser l'accès aux financements de la production artistique, démocratiser enfin l'accès au patrimoine contemporain. La dynamique de l'art actuel doit pouvoir se décliner à tous les niveaux, pour tous les acteurs du marché, des plus forts aux plus faibles, des plus connus aux moins célèbres.

A. AFFICHER LA PRIORITÉ DE LA FRANCE POUR L'ART D'AUJOURD'HUI

1. Donner les moyens à la scène française d'être reconnue dans le monde

La question de la place des artistes de la scène française dans le marché de l'art contemporain s'appréhende, on l'aura compris, de plusieurs façons. Le présent rapport a présenté plusieurs des préconisations de votre rapporteur en faveur de l'accompagnement économique de la création artistique, via les galeries, afin de faciliter la présence des artistes lors des foires internationales d'art contemporain.

Il serait bien évidemment mal venu de demander aux institutions culturelles de ne promouvoir que les artistes français. La programmation de Monumenta qui alterne artistes étrangers (Anselm Kiefer en 2007, Richard Serra en 2008, Anish Kapoor en 2011) et français (Christian Boltanski en 2010, Daniel Buren en 2012) paraît proposer un bon équilibre. Cependant, on peut s'interroger sur le choix de Christian Boltanski pour la Biennale de Venise 2011, alors qu'est réclamée l'émergence de nouveaux artistes...

La promotion de la scène française peut trouver plusieurs véhicules :

? la formation des étudiants, commissaires d'exposition et critiques en langues étrangères ;

? l'accompagnement financier des commissaires d'expositions étrangers pour venir en France et découvrir la scène française, et des français pour faciliter l'exportation de nos artistes ;

? l'exploration du marché international pour proposer aux structures étrangères les oeuvres des artistes français ;

? le développement de l'attractivité de la France pour que les artistes émergents étrangers choisissent de s'y installer et de faire partie de la scène française.

Certaines personnes auditionnées on suggéré la mise en place d'un régime d'agrément spécifique aux artistes étrangers, leur permettant de payer l'ensemble des impôts directs sous forme de dation. Le critère de l'« intérêt patrimonial majeur » constituerait un garde-fou pour éviter les situations abusives.

De telles mesures ne peuvent être envisagées sans une diplomatie culturelle dynamique et solide. Or nombre de personnes auditionnées ont souligné les insuffisances du réseau culturel de la France à l'étranger . La compétence culturelle des relais a tout d'abord été évoquée en pointant du doigt le mode de nomination des conseillers culturels par le ministère des affaires étrangères et non par le ministère de la culture. Mais la constitution d'un réseau ne doit pas se concevoir par le seul truchement de l'action des ambassades. Le témoignage des personnes auditionnées a montré que bon nombre de projets internationaux ont démarré à la faveur de l'expatriation d'une personne compétente, professionnelle du secteur, devenant pour la scène française une « personne ressource ». Il s'agit donc de tisser un réseau de professionnels capables d'orienter, de conseiller voire d'accueillir les artistes français.

Votre rapporteur souhaite ici évoquer le rôle de l'Institut français dont votre commission a largement contribué à définir les missions. En effet, l'acteur de la diplomatie culturelle doit désormais avoir pour objectif de créer ce réseau et d'en faire bénéficier les artistes.

L'INSTITUT FRANÇAIS

Couvrant les secteurs du spectacle vivant (Cirque, Danse, Théâtre, Rue, Marionnettes et Musiques actuelles, classiques, anciennes et contemporaines), des arts visuels et de l'architecture, tant pour des artistes vivant et travaillant en France que sur le continent africain et dans la région caribéenne, l'Institut français a pour missions de :


• favoriser le repérage des scènes artistiques en France, en Afrique ou dans la Caraïbe ;


• développer des projets thématiques pour une programmation pluridisciplinaire et répondre aux dynamiques événementielles permettant de valoriser les scènes artistiques dans différentes disciplines ;


• accompagner des tournées internationales de spectacles et d'expositions dans le cadre d'échanges avec des musées ou partenaires étrangers ;


• élaborer, en lien avec les commissaires, la programmation artistique des saisons culturelles ;


• assurer un rôle d'expertise et de conseils artistiques auprès de nombreux partenaires dans le monde.

Parmi les actions aujourd'hui évoquées et initiées par le ministère de la culture, votre rapporteur souligne la priorité d'un recensement des résidences d'artistes à l'étranger dont l'accès doit désormais être facilité au travers d'un portail Internet. Aujourd'hui la présentation des accueils en résidence d'artiste à l'étranger sur le site internet de l'Institut français ne concerne que quatre destinations (trois d'entre elles à New York et une à Kyoto). Ce réseau semble bien faible au regard des enjeux potentiels décrits par tous les professionnels : faible en termes de densité et de maillage du globe. Il faut cependant souligner la promotion qui est faite par l'Institut français des allocations (6 000 euros pour un séjour d'au moins deux mois consécutifs à l'étranger) attribuées dans le cadre du programme « Hors les murs » qui peut aider les créateurs d'aujourd'hui.

En outre, les « antennes-relais » doivent se développer à l'image des bureaux spécialisés dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques (six dans les grandes capitales européennes et deux à New York et Sao Paulo).

Proposition n° 11 : Demander à l'Institut français de créer un réseau de professionnels de l'art à l'étranger et créer un portail dédié aux artistes souhaitant travailler ou exposer à l'étranger.

Proposition n° 12 : Détacher des spécialistes de l'art contemporain dans des villes stratégiques à l'étranger pour constituer des « antennes-relais ».

2. Coordonner les différents acteurs pour un vrai pilotage de la politique de soutien à l'art d'aujourd'hui

Le pilotage de la politique de soutien de la scène française implique, on l'a compris, une intervention habile de l'État qui doit donner une dynamique claire sans paraître imposer une vision officielle préjudiciable à l'art contemporain. La coordination des acteurs a débuté, en février 2011, avec les entretiens pour les arts plastiques organisés à l'initiative du ministère de la culture. Ces tables rondes ont rassemblé plus de 450 personnes représentant l'ensemble du secteur des arts plastiques et ont contribué à l'instauration d'un dialogue constructif entre les acteurs publics et privés.

Cette initiative a suscité un grand intérêt et doit être déclinée en région. En outre, le ministère a annoncé la mise en place d'une « Conférence des arts plastiques », instance de rencontre, de concertation et de débats entre les divers acteurs du secteur des arts plastiques.

Le pilotage par le ministère de la culture implique que celui-ci se pose la question de sa propre efficacité. L'organisation de l'audition prévue dans le cadre du présent rapport fut révélatrice d'une approche si transversale en matière d'art contemporain qu'elle paraît pouvoir être source de confusion. En effet, les trois directions générales du ministère sont concernées, à des titres différents :


• la direction générale des patrimoines, au titre du marché de l'art, de la politique patrimoniale et de l'observatoire du marché de l'art ;


• la direction générale des médias et des industries culturelles, au titre de l'économie du marché de l'art (fonction d'appui) ;


• la direction générale de la création artistique au titre des arts plastiques.

Votre rapporteur s'interroge sur la pertinence d'une telle répartition des rôles, alors que la France doit précisément agir dans le sens d'une meilleure coordination, d'une politique cohérente et forte en faveur de la scène française. Une délégation à l'art contemporain pourrait s'avérer utile au regard des enjeux dans ce domaine.

Proposition n° 13 : Réfléchir à une meilleure coordination des différentes directions générales du ministère de la culture, par exemple en étudiant la pertinence de la mise en place d'une délégation à l'art contemporain.

Le pilotage de la politique française en faveur de l'art d'aujourd'hui doit amener à s'interroger sur le rôle de chacun, sur les interactions entre tous les acteurs, et sur la pertinence des projets (tels la triennale en remplacement de la Force de l'art) dont il convient de susciter l'adhésion.

Aujourd'hui le projet du Palais de Tokyo constitue le symbole d'une nouvelle dynamique en faveur de l'art contemporain. Ce projet, qui a entraîné un chantier devant aboutir en avril 2012, poursuit trois objectifs :

- mettre en valeur la scène française dans un contexte international ;

- établir un dialogue avec les institutions françaises et étrangères ;

- monter des partenariats.

Le Palais de Tokyo est un projet ambitieux qui s'appuie sur une double mutation : celle de la structure et celle de la politique de diffusion.

Tout d'abord le choix de la structure s'est porté sur une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), créée en juillet 2011 et ayant absorbé l'association « Palais de Tokyo - Site de création contemporaine ». La formule de l'établissement public n'a pas été retenue, afin d'offrir une certaine souplesse et d'adresser un signal fort aux acteurs du marché de l'art contemporain désireux de voir naître en France une dynamique similaire à celle existant à l'étranger. Elle doit permettre d'associer les efforts de tous les acteurs, privés et publics, autour d'un projet dédié à l'art d'aujourd'hui.

La politique de diffusion doit permettre de valoriser la scène française tout au long de la carrière en offrant un lieu d'exposition supplémentaire et ciblé sur les artistes qui ne bénéficient pas de la promotion offerte à la sortie des écoles d'art ou aux artistes confirmés. Le ministre de la culture souhaite ainsi « mieux accompagner les artistes sur un segment, entre émergence et confirmation, que nous valorisons mal ». Les travaux engagés pour un montant total de 20 millions d'euros (dont 5,5 millions de crédits de paiement au titre de 2012 dans le projet de loi de finances) doit permettre ainsi l'ouverture d'un nouveau lieu baptisé « Quartier d'art contemporain ». La « triennale », visant à valoriser la scène artistique française, s'y tiendra en 2012.

3. Favoriser la mobilité, la fluidité et le dialogue

La question des collections du FNAC et des FRAC a été évoquée dans le chapitre précédent sous l'angle de la politique d'acquisition et de la gestion. Mais la philosophie de la circulation des oeuvres ne s'arrête pas à la question de prêts et d'expositions itinérantes. Elle concerne également la nature même des collections et leur devenir. Ainsi M. Christophe Girard, adjoint à la culture de la Ville de Paris, a-t-il lancé l'idée d'une réflexion sur la vocation patrimoniale des collections d'oeuvres d'art contemporain et sur la possibilité de soutenir la création. En effet, les moyens sont nécessairement limités pour acquérir de nouvelles oeuvres et donc soutenir la création française par le biais du FNAC et des FRAC. Parallèlement, on sait que certaines oeuvres ne sont malheureusement pas valorisées car elles restent confinées dans les réserves. D'où l'idée de vendre des oeuvres d'aujourd'hui pour en acquérir d'autres. Cette approche peut interpeler mais il ne s'agit pas d'envisager une procédure de déclassement systématique ou abusif du domaine public. Il s'agit simplement de lancer une réflexion sur ce que doit représenter le patrimoine contemporain et le mettre en relation avec la possibilité financière de poursuivre sa constitution dans les collections régionales ou nationale. A l'image des oeuvres d'art dans les rues de Paris dont l'implantation devrait davantage être envisagée de façon temporaire et non permanente, certaines oeuvres pourraient ainsi davantage circuler entre domaine public et domaine privé , ce qui aurait d'ailleurs pour effet de relancer la carrière des artistes concernés.

Un outil existe désormais grâce à l'initiative de membres de votre commission. En effet, la proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories fut l'occasion pour M. Philippe Richert, rapporteur, de proposer de réactiver un dispositif de déclassement des oeuvres appartenant aux collections publiques, resté « lettre morte ». Sur proposition de son rapporteur, votre commission fit donc la proposition de créer une nouvelle commission scientifique au champ de compétence bien délimité mais élargi, afin de réfléchir aux enjeux et à la philosophie de cette procédure de déclassement, « sans dogmatisme ni tabou ».

Ainsi fut adoptée la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections. Le code du patrimoine prévoit désormais, dans son article 115-1, qu'une Commission scientifique nationale des collections puisse se prononcer sur le déclassement ou la cessions d'oeuvres ou de biens inscrits sur l'inventaire du FNAP, appartenant aux autres collections du domaine public, ou, hors domaine public, sur les collections des FRAC.

Le décret n° 2011-160 du 8 février 2011, tant attendu depuis la publication de la loi précitée, a enfin précisé la composition et le fonctionnement de la Commission scientifique nationale des collections, dont le troisième collège serait en charge des questions de déclassement des oeuvres d'art contemporain.

ARTICLE 115-1 DU CODE DU PATRIMOINE

La Commission scientifique nationale des collections a pour mission de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain, dans l'exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections, à l'exception des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.

A cet effet, la commission :

1° Définit des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections visées aux 2° et 3°, et de cession des biens visés au 4° ; elle peut également être consultée, par les autorités compétentes pour procéder à de tels déclassements ou cessions, sur toute question qui s'y rapporte ;

2° Donne son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France et d'oeuvres ou objets inscrits sur l'inventaire du Fonds national d'art contemporain et confiés à la garde du Centre national des arts plastiques ;

3° Donne son avis sur les décisions de déclassement de biens culturels appartenant aux autres collections qui relèvent du domaine public ;

4° Peut être saisie pour avis par les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain, lorsque les collections n'appartiennent pas au domaine public, sur les décisions de cession portant sur les biens qui les constituent.

DÉCRET N° 2011-160 DU 8 FÉVRIER 2011

I. La Commission scientifique nationale des collections instituée à l'article L. 115-1 du code du patrimoine comporte quatre collèges dont la compétence est ainsi définie :

.............................................................................................................

3° Le troisième collège donne :

a) L'avis conforme, prévu au 2° de l'article L. 115-1, sur les propositions de déclassement des oeuvres ou objets inscrits sur l'inventaire du Fonds national d'art contemporain et confiés à la garde du Centre national des arts plastiques ;

b) L'avis simple, prévu au 3° de l'article L. 115-1, sur les projets de déclassement des biens des fonds régionaux d'art contemporain appartenant au domaine public ;

c) L'avis simple, prévu au 4° de l'article L. 115-1, pour les projets de cession des biens des fonds régionaux d'art contemporain n'appartenant pas au domaine public ;

..............................................................................................................

Votre rapporteur, conscient de toutes les précautions qui doivent être prises dans une approche visant à reconsidérer à certains égards les oeuvres d'art contemporain dans les collections publiques, souhaite que la réflexion puisse avoir lieu. La Commission scientifique nationale pouvant désormais fonctionner, il serait tout à fait intéressant de lui confier une mission d'étude sur ce sujet afin qu'elle puisse définir des recommandations comme le prévoit le code du patrimoine. Non seulement cela serait utile pour l'image parfois critiquée des FRAC et du FNAC, mais cela donnerait tout son sens à l'instance que votre commission a souhaité instaurer.

Proposition n° 14 : Initier une réflexion sur la possibilité de revendre des oeuvres d'art contemporain des collections du FNAC et des FRAC pour en acquérir de nouvelles. Associer la Commission scientifique nationale des collections à cette réflexion en lui demandant de proposer des recommandations.

La question de la valorisation des collections des FRAC et du FNAC ne se pose pas seulement en termes de propriété, mais aussi sous l'angle de la mobilité des oeuvres. En effet, plusieurs témoignages ont interpellé votre rapporteur sur le développement des prêts et des expositions itinérantes. La formidable collection d'art contemporain dont dispose la France pourrait bénéficier à des collectivités (dans les mairies par exemple) ou à des établissements culturels ne disposant pas de moyens suffisants pour développer leurs propres collections.

Proposition n° 15 : Encourager l'itinérance des expositions et les prêts d'oeuvres d'art contemporain.

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